Dernières notes
Loïc Boyer
Je suis l’auteur de textes courts qui furent publiés depuis mil neuf cent quatre-vingt-quinze dans des revues littéraires en France (Supérieur Inconnu, Supplément d’Ame, Nouvelle Donne, Le Bord de l’Eau, Pris de Peur, l’Art du Bref, Sol’Air, Gros Textes, Salmigondis, Verso, Décharge, Bulle, Filigranes, Diérèse, Martobre, Comme ça et Autrement, (Cahier d’) Ecritures, La Nef des Fous), en Belgique (Traversées, Ecrits Vains, L’Arbre à Plumes, Inédit Nouveau, Bleu d’Encre), au Canada (Les Saisons Littéraires) et en Italie (Les Cahiers du Ru).
Les courageuses Editions du Chardon ont publié en mil neuf cent quatre-vingt-dix-neuf Erotica, un recueil de vingt-huit de ces textes, illustré par Isabelle Pio et Antoine Lopez et préfacé par Sarane Alexandrian, toujours disponible auprès de moi.
Je suis également l’auteur d’une pièce de théâtre et de plusieurs romans ou récits à ce jour inédits.
Depuis le onze novembre deux mille six, je publie mon Journal via Internet, un temps sous-titré Persiflages, moquages et autres énervages mâtinés de complimentages et de contentages. Sa première partie est lisible chez Eklablog, la deuxième ici.
Je vis au centre de Rouen dans un ancien monastère où autrefois les Sœurs de la Miséricorde se vouaient à l’éducation des jeunes filles.
Les courageuses Editions du Chardon ont publié en mil neuf cent quatre-vingt-dix-neuf Erotica, un recueil de vingt-huit de ces textes, illustré par Isabelle Pio et Antoine Lopez et préfacé par Sarane Alexandrian, toujours disponible auprès de moi.
Je suis également l’auteur d’une pièce de théâtre et de plusieurs romans ou récits à ce jour inédits.
Depuis le onze novembre deux mille six, je publie mon Journal via Internet, un temps sous-titré Persiflages, moquages et autres énervages mâtinés de complimentages et de contentages. Sa première partie est lisible chez Eklablog, la deuxième ici.
Je vis au centre de Rouen dans un ancien monastère où autrefois les Sœurs de la Miséricorde se vouaient à l’éducation des jeunes filles.
13 octobre 2024
« C’est la tramontane ce matin », m’apprend la serveuse à grande mémoire du Classic, une retraitée qui fait des dépannages. « Le temps se cherche », ajoute-t-elle. Ce qui est sûr, c’est qu’il a bien changé, hier estival, aujourd’hui automnal, avec de gros nuages noirs et cette tramontane que je sais maintenant être un vent froid.
Je voulais aller au Cimetière Marin ce samedi matin. Comme je préfère le voir sous le soleil, j’ajourne. J’improvise en choisissant le bus Cinq dont le terminus m’inspire : Notre-Dame Souveraine du Monde. Son départ est Passage du Dauphin, devant l’entrée du sombre couloir où s’achètent les tickets. C’est une ligne qui fait l’ascension du Mont Saint-Clair. Je prends le huit heures cinquante en espérant ne pas me faire saucer à l’arrivée.
Ça grimpe sacrément le Mont Saint-Clair. Après avoir passé la Croix, le bus descend par l’autre côté et nous arrivons au terminus. L’église Notre-Dame Souveraine du Monde n’est pas à la hauteur de son nom. C’est un petit bâtiment d’architecture contemporaine dont je fais néanmoins une photo.
Comme en chemin j’ai repéré un jardin et que le bus va repartir dans l’autre sens, je demande au chauffeur quel arrêt. « Les Pierres Blanches », me dit-il. J’y descends. Ce que je voyais comme un jardin est la Forêt Domaniale de Sète Les Pierres Blanches qui s’étend sur vingt-sept hectares. Une végétation méditerranéenne sur un sol caillouteux dont je parcours les sentiers prudemment avant d’en trouver un moins périlleux et presque plat. Par-ci par-là sont présentes des ruines et de temps à autre une trouée dans les arbres permet de voir l’Etang de Thau et les parcs à huîtres de Bouzigues et de Mèze. En contrebas, je reconnais l’Ile de Thau et ses petits bateaux.
Ma balade faite, je rentre avec le bus suivant, conduit par le même chauffeur, un distrait qui oublie de s’arrêter quand on sonne. Pas de souci pour moi, je descends au terminus, Passage du Dauphin, non loin du Tabary’s.
Je m’installe à sa terrasse de véranda pour un café verre d’eau lecture. Le temps se cherche toujours. A onze heures : moins de vent mais pas encore de pluie. A onze heures quarante : quelques gouttes. A midi : une courte drache, que j’évite car je suis déjà installé dans l’un des restaurants du Port.
Il a pour nom Aux Copains d’abord. On n’y entend pas les chansons de Brassens mais de la variété anglophone féminine. Je déjeune du menu à vingt-cinq euros cinquante : six huîtres de Bouzigues, un loup entier à la plancha et un tiramisu (ne suis-je pas au bord du Canal Grande ?)
Le temps a fini par se trouver quand je quitte l’endroit : du gris sans pluie ni vent. Direction le Classic pour mon classique café verre d’eau lecture d’après-midi. Le lundi deux mai mil neuf cent quatre-vingt-quatorze, Jean-Luc Lagarce est à L’Olympia pour un concert d’IAM : Il y a là un côté théâtre soviétique des années 30, sans que personne ne s’en soucie, l’idée aussi qu’on peut avoir des futuristes.
*
La serveuse retraitée du Classic, soixante kilomètres en bicyclette tous les jours autour de l’Etang de Thau et vers Palavas et La Grande Motte. « En vélo sec en plus », commente un habitué admiratif. « Il y a des pistes cyclables partout », dit-elle, comme si ceci expliquait cela.
*
Pas mécontent de cette expédition improvisée qui m’a mené aux Pierres Blanches. Elle m’a également permis de constater qu’au Mont Saint-Clair, il vaut mieux monter en bus qu’à pied.
*
Jean-Luc Lagarce, Journal :
Vendredi vingt-neuf octobre mil neuf cent quatre-vingt-treize :
Je pars parfois un peu en biais, côté gauche, j’ai des petites douleurs au front, etc. Scanner programmé la semaine prochaine.
Je ne cache pas que ce point là me préoccupe pas mal. Je suis un intellectuel et les intellectuels – comme les autruches – sont persuadés que leur tête est importante.
Jeudi vingt-cinq novembre mil neuf cent quatre-vingt-treize :
Tout le monde doit savoir que je suis malade, et comme depuis toujours, j’ai l’air aussi enthousiaste et jovial qu’un rescapé des camps, on me parle avec une déférence endeuillée assez étrange. Comme si on craignait toujours que je me tire une balle dans la tête.
Vendredi 27 mai 1994, Dijon, Hôtel du Nord :
Je joue le rôle du « Monsieur qui va mourir » dans « La Grande Famille du Théâtre français ».
Je voulais aller au Cimetière Marin ce samedi matin. Comme je préfère le voir sous le soleil, j’ajourne. J’improvise en choisissant le bus Cinq dont le terminus m’inspire : Notre-Dame Souveraine du Monde. Son départ est Passage du Dauphin, devant l’entrée du sombre couloir où s’achètent les tickets. C’est une ligne qui fait l’ascension du Mont Saint-Clair. Je prends le huit heures cinquante en espérant ne pas me faire saucer à l’arrivée.
Ça grimpe sacrément le Mont Saint-Clair. Après avoir passé la Croix, le bus descend par l’autre côté et nous arrivons au terminus. L’église Notre-Dame Souveraine du Monde n’est pas à la hauteur de son nom. C’est un petit bâtiment d’architecture contemporaine dont je fais néanmoins une photo.
Comme en chemin j’ai repéré un jardin et que le bus va repartir dans l’autre sens, je demande au chauffeur quel arrêt. « Les Pierres Blanches », me dit-il. J’y descends. Ce que je voyais comme un jardin est la Forêt Domaniale de Sète Les Pierres Blanches qui s’étend sur vingt-sept hectares. Une végétation méditerranéenne sur un sol caillouteux dont je parcours les sentiers prudemment avant d’en trouver un moins périlleux et presque plat. Par-ci par-là sont présentes des ruines et de temps à autre une trouée dans les arbres permet de voir l’Etang de Thau et les parcs à huîtres de Bouzigues et de Mèze. En contrebas, je reconnais l’Ile de Thau et ses petits bateaux.
Ma balade faite, je rentre avec le bus suivant, conduit par le même chauffeur, un distrait qui oublie de s’arrêter quand on sonne. Pas de souci pour moi, je descends au terminus, Passage du Dauphin, non loin du Tabary’s.
Je m’installe à sa terrasse de véranda pour un café verre d’eau lecture. Le temps se cherche toujours. A onze heures : moins de vent mais pas encore de pluie. A onze heures quarante : quelques gouttes. A midi : une courte drache, que j’évite car je suis déjà installé dans l’un des restaurants du Port.
Il a pour nom Aux Copains d’abord. On n’y entend pas les chansons de Brassens mais de la variété anglophone féminine. Je déjeune du menu à vingt-cinq euros cinquante : six huîtres de Bouzigues, un loup entier à la plancha et un tiramisu (ne suis-je pas au bord du Canal Grande ?)
Le temps a fini par se trouver quand je quitte l’endroit : du gris sans pluie ni vent. Direction le Classic pour mon classique café verre d’eau lecture d’après-midi. Le lundi deux mai mil neuf cent quatre-vingt-quatorze, Jean-Luc Lagarce est à L’Olympia pour un concert d’IAM : Il y a là un côté théâtre soviétique des années 30, sans que personne ne s’en soucie, l’idée aussi qu’on peut avoir des futuristes.
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La serveuse retraitée du Classic, soixante kilomètres en bicyclette tous les jours autour de l’Etang de Thau et vers Palavas et La Grande Motte. « En vélo sec en plus », commente un habitué admiratif. « Il y a des pistes cyclables partout », dit-elle, comme si ceci expliquait cela.
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Pas mécontent de cette expédition improvisée qui m’a mené aux Pierres Blanches. Elle m’a également permis de constater qu’au Mont Saint-Clair, il vaut mieux monter en bus qu’à pied.
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Jean-Luc Lagarce, Journal :
Vendredi vingt-neuf octobre mil neuf cent quatre-vingt-treize :
Je pars parfois un peu en biais, côté gauche, j’ai des petites douleurs au front, etc. Scanner programmé la semaine prochaine.
Je ne cache pas que ce point là me préoccupe pas mal. Je suis un intellectuel et les intellectuels – comme les autruches – sont persuadés que leur tête est importante.
Jeudi vingt-cinq novembre mil neuf cent quatre-vingt-treize :
Tout le monde doit savoir que je suis malade, et comme depuis toujours, j’ai l’air aussi enthousiaste et jovial qu’un rescapé des camps, on me parle avec une déférence endeuillée assez étrange. Comme si on craignait toujours que je me tire une balle dans la tête.
Vendredi 27 mai 1994, Dijon, Hôtel du Nord :
Je joue le rôle du « Monsieur qui va mourir » dans « La Grande Famille du Théâtre français ».
12 octobre 2024
Quand on sort du Classic, il suffit de passer le pont et c’est tout de suite l’arrêt de bus Noël Guignon, point de départ des bus Dix dont le terminus est Thermes à Balaruc-les-Bains. Je monte dans celui de huit heures. Nous sommes cinq passagers, dont un perturbé qui ne cesse de se lever pour aller dire au chauffeur qu’il conduit mal. L’arrêt final est derrière l’immense bâtiment des Thermes.
Je contourne cette institution. Du côté de l’Etang de Thau, elle est vitrée. On peut voir des curistes en plein effort, un spectacle dont je me détourne pour contempler Sète juste en face. Le Mont Saint-Clair vu d’ici, c’est vraiment reposant. Quelques bateaux de pêche circulent sur l’eau calme.
Un chemin dénué d’habitations m’appelle sur la droite. J’y croise quelques personnes et passe près d’un groupe de pêcheurs à la ligne qui occupent un banc et ses à-côtés. « Fausse alerte », dit l’un quand je m’éloigne. C’est gens-là n’ont pas la conscience tranquille. Plus loin, une peinture murale évoque la montgolfière. Un des frères Montgolfier est mort ici, de vieillesse. Quand ce chemin sauvage retrouve la civilisation, je fais demi-tour. Les pêcheurs sont partis. Ils cachaient une peinture murale en trompe-l’œil montrant un Brassens gratteur de guitare en bonne compagnie.
On sue toujours aux Thermes, bien que certains soient maintenant dans des transats. Au-delà, c’est une promenade goudronnée, elle est bordée de restaurants à terrasse dont l’avantage est d’être près de la plage, les voitures passent derrière. Au-dessus, de nombreux petits appartements cherchent des locataires curistes ou touristes.
Je m’assois au premier rang de la terrasse de la Brasserie Les Voiles et commande un café verre d’eau que je bois bien chauffé par le soleil devant un petit bout de port. Je reprends là le Journal de Lagarce. « Ça passe vite les journées, les soins sont tôt le matin. Après tu peux faire ce que tu veux », déclare une curiste à la table voisine.
Quand il commence à y avoir du monde, je pars et, avec l’aide de deux autochtones’ trouve l’Office de Tourisme. Il est un peu caché près d’un bain pour les pieds des anciens Thermes où l’eau jaillit à quarante-cinq degrés. « Si tu veux attraper une mycose, tu mets les pieds là-dedans », dit une passante. Je me procure les plans de Balaruc et de Mèze
Il est onze heures dix quand je redescends au bord de l’Etang. Je commande les six huîtres de Bouzigues avec un verre de vin blanc que propose L’Escale pour neuf euros. Elles sont belles et bonnes. Je réserve là une table pour midi car le vendredi c’est aïoli puis je vais me poser sur un banc. « Tu veux pas te baigner Jocelyne ? Elle est à trente degrés. » On plaisante chez les curistes. Ils sont facilement reconnaissables à leur immense sac en plastique plus ou moins transparent avec de la publicité pour les Thermes d’un côté et pour le Casino de l’autre. Des sacs presque vides où je ne vois qu’une serviette et des chaussures.
A midi, je suis de retour à L’Escale, assis à une table ombragée, attendant mon aïoli provençal où l’on promet cabillaud, carottes, pommes de terre, chou-fleur, haricots verts, bulots, œuf dur et courgette. Il est bon sans plus. Au moment de régler l’addition, j’ai la désagréable surprise d’apprendre qu’il est à vingt-cinq euros alors que je croyais l’avoir vu à quinze. Je paie sans sourciller, gardant pour moi-même l’opinion que ça ne vaut pas ça.
Je prends le café à la terrasse d’une gargote à gaufres et à crêpes nommée Au Bon Coin. Il ne coûte qu’un euro cinquante. Peut-être parce que l’endroit ne possède pas de toilettes. Une femme téléphone à un de sa connaissance pour savoir s’il est inondé. Il l’est, cinquante centimètres d’eau dans la maison. Ce qui la désole, elle, c’est qu’on va être obligé de repousser le déjeuner de la semaine prochaine. Elle ne comprend pas comment c’est possible. Ici il fait beau, tu verrais et pas une goutte d’eau.
C’est avec le bus Dix de quatorze heures trente que je retourne à Noël Guignon. Noël Guignon, du nom du quai où est le terminus, celui d’un ancien Maire. Lorsque j’ai vu ça pour la première fois affiché sur les bus, j’ai pensé que ça arrive un Noël source de guignon.
*
Rentré, je découvre que le sentier sauvage de Balaruc-les-Bains s’appelle Promenade Georges Brassens / Laurent Spinosi. Le second, dit Lolo, était un ami d’enfance du premier. Un pêcheur amoureux de la mer et de la nature, un artiste aussi qui vivait à l endroit de la peinture en trompe l’œil le montrant avec le chanteur, dans une cabane sans eau ni électricité. Une sorte d’ermite, mais outre son ami Brassens, il lui arrivait de recevoir Brigitte Bardot, Manitas de Plata, Eddy Barclay, Salvador Dali et d’autres.
Je contourne cette institution. Du côté de l’Etang de Thau, elle est vitrée. On peut voir des curistes en plein effort, un spectacle dont je me détourne pour contempler Sète juste en face. Le Mont Saint-Clair vu d’ici, c’est vraiment reposant. Quelques bateaux de pêche circulent sur l’eau calme.
Un chemin dénué d’habitations m’appelle sur la droite. J’y croise quelques personnes et passe près d’un groupe de pêcheurs à la ligne qui occupent un banc et ses à-côtés. « Fausse alerte », dit l’un quand je m’éloigne. C’est gens-là n’ont pas la conscience tranquille. Plus loin, une peinture murale évoque la montgolfière. Un des frères Montgolfier est mort ici, de vieillesse. Quand ce chemin sauvage retrouve la civilisation, je fais demi-tour. Les pêcheurs sont partis. Ils cachaient une peinture murale en trompe-l’œil montrant un Brassens gratteur de guitare en bonne compagnie.
On sue toujours aux Thermes, bien que certains soient maintenant dans des transats. Au-delà, c’est une promenade goudronnée, elle est bordée de restaurants à terrasse dont l’avantage est d’être près de la plage, les voitures passent derrière. Au-dessus, de nombreux petits appartements cherchent des locataires curistes ou touristes.
Je m’assois au premier rang de la terrasse de la Brasserie Les Voiles et commande un café verre d’eau que je bois bien chauffé par le soleil devant un petit bout de port. Je reprends là le Journal de Lagarce. « Ça passe vite les journées, les soins sont tôt le matin. Après tu peux faire ce que tu veux », déclare une curiste à la table voisine.
Quand il commence à y avoir du monde, je pars et, avec l’aide de deux autochtones’ trouve l’Office de Tourisme. Il est un peu caché près d’un bain pour les pieds des anciens Thermes où l’eau jaillit à quarante-cinq degrés. « Si tu veux attraper une mycose, tu mets les pieds là-dedans », dit une passante. Je me procure les plans de Balaruc et de Mèze
Il est onze heures dix quand je redescends au bord de l’Etang. Je commande les six huîtres de Bouzigues avec un verre de vin blanc que propose L’Escale pour neuf euros. Elles sont belles et bonnes. Je réserve là une table pour midi car le vendredi c’est aïoli puis je vais me poser sur un banc. « Tu veux pas te baigner Jocelyne ? Elle est à trente degrés. » On plaisante chez les curistes. Ils sont facilement reconnaissables à leur immense sac en plastique plus ou moins transparent avec de la publicité pour les Thermes d’un côté et pour le Casino de l’autre. Des sacs presque vides où je ne vois qu’une serviette et des chaussures.
A midi, je suis de retour à L’Escale, assis à une table ombragée, attendant mon aïoli provençal où l’on promet cabillaud, carottes, pommes de terre, chou-fleur, haricots verts, bulots, œuf dur et courgette. Il est bon sans plus. Au moment de régler l’addition, j’ai la désagréable surprise d’apprendre qu’il est à vingt-cinq euros alors que je croyais l’avoir vu à quinze. Je paie sans sourciller, gardant pour moi-même l’opinion que ça ne vaut pas ça.
Je prends le café à la terrasse d’une gargote à gaufres et à crêpes nommée Au Bon Coin. Il ne coûte qu’un euro cinquante. Peut-être parce que l’endroit ne possède pas de toilettes. Une femme téléphone à un de sa connaissance pour savoir s’il est inondé. Il l’est, cinquante centimètres d’eau dans la maison. Ce qui la désole, elle, c’est qu’on va être obligé de repousser le déjeuner de la semaine prochaine. Elle ne comprend pas comment c’est possible. Ici il fait beau, tu verrais et pas une goutte d’eau.
C’est avec le bus Dix de quatorze heures trente que je retourne à Noël Guignon. Noël Guignon, du nom du quai où est le terminus, celui d’un ancien Maire. Lorsque j’ai vu ça pour la première fois affiché sur les bus, j’ai pensé que ça arrive un Noël source de guignon.
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Rentré, je découvre que le sentier sauvage de Balaruc-les-Bains s’appelle Promenade Georges Brassens / Laurent Spinosi. Le second, dit Lolo, était un ami d’enfance du premier. Un pêcheur amoureux de la mer et de la nature, un artiste aussi qui vivait à l endroit de la peinture en trompe l’œil le montrant avec le chanteur, dans une cabane sans eau ni électricité. Une sorte d’ermite, mais outre son ami Brassens, il lui arrivait de recevoir Brigitte Bardot, Manitas de Plata, Eddy Barclay, Salvador Dali et d’autres.
11 octobre 2024
Ce jeudi, je prends le petit bus Vingt-Trois de sept heures cinquante à son point de départ Pont de Pierre (le suivant est à dix heures). Il passe quasiment au-dessus de la Pointe Courte.
J’en descends à l’arrêt Plage, commune de Bouzigues. A ma droite, les installations huitrières, en face Sète, à gauche le village vers lequel je marche avec le soleil dans les yeux. Le premier que je rencontre dans les rues étroites aux maisons colorées est un Policier Municipal en uniforme. Il m’indique la boulangerie. Le pain au chocolat est à un euro trente. La boulangère m’indique le seul café ouvert qui a nom Le Globe. Celle qui m’y reçoit le fait fraîchement. Peut-être parce que je suis un homme. Je m’installe à l’une des tables de rue. Prés de moi sont six femmes bavardes ayant laissé la marmaille à l’école. « Quelqu’un veut autre chose, les garces ? » demande l’une. L’allongé coûte un euro quatre-vingts.
Mon petit-déjeuner terminé, je visite le Port sous toutes ses coutures puis comme rien n’est encore ouvert au bord de l’eau, je retourne au Globe, où ce qui tient lieu de terrasse est malheureusement encore à l’ombre, pour un café verre d’eau lecture. Le samedi onze décembre mil neuf cent quatre-vingt-treize, à onze heures, Jean-Luc Lagarce est au Café Vauban à Sète :
Ici, théâtre magnifique (XIXe siècle), mais représentation un peu étrange (beaucoup de monde).
Hier soir j’étais un peu triste. (Ah ?) Je suis monté à la troisième galerie pour regarder le spectacle.
Le spectacle : La Cantatrice chauve dont il assure la mise en scène. Le théâtre magnifique : le Théâtre. Molière devant lequel je suis passé avec le bus Vingt-Trois. Le Café Vauban est en face de la Gare.
Une alignée de restaurants borde l’Etang de Thau avec voitures garées entre eux et l’eau. Les coquillages n’y sont pas moins chers qu’ailleurs. Pour déjeuner, je choisis sur le port l’excentré Chez Turlot : tourte façon tielle, dos de morue crème citronnée et gâteau au chocolat noisettes pour vingt-deux euros cinquante, une table en terrasse au soleil sans vent, le tout est plutôt bon.
Le café, je le prends à La Voile Blanche, hôtel bar restaurant, vue sur le port entre deux voitures. La terrasse côté restaurant est complète. Celle côté café n’a qu’un seul client, moi. « Le service est terminé, monsieur dame», annonce la patronne à un couple qui veut déjeuner à treize heures trente. « Je crois que je rêve ! Je crois que je rêve ! », s’exclame la femme en partant. A deux heures et quart, deux vieilles s’installent côté café et se font virer par la patronne : « On est encore en plein service, c’est trop tôt. » Elles partent sans rien dire. Je me demande ce qui m’a valu d’être accepté. Peut-être simplement le fait que j’aie demandé si c’était possible avant de m’asseoir. Quand je lui donne deux euros vingt, je remercie la patronne de m’avoir accueilli.
De retour à l’arrêt Plage, un banc au soleil me permet d’attendre le bus Vingt-Trois de quinze heures vingt-huit, terminus Pont de Pierre, en regardant les baigneurs, moins nombreux qu’à Granville. Bouzigues est un joli village. Il gagne à être vu de loin. Le désordre des habitations donne naissance à une harmonie colorée, entre crème et orange, avec le clocher qui dépasse.
*
Une affiche sur la vitrine et dans les toilettes : « Café Le Globe, chez Céline et Sandra, café philo le 17 octobre à 18 h, « Le rôle de l’animal de compagnie » animé par Brigitte, suivi d’un banquet philosophique à 15 € : macaronade, tarte aux fruits, vin à volonté. »
Je ne pense pas que cette Brigitte ait pour patronyme Bardot mais je présume que la fin de banquet sera philosop’hic !
J’en descends à l’arrêt Plage, commune de Bouzigues. A ma droite, les installations huitrières, en face Sète, à gauche le village vers lequel je marche avec le soleil dans les yeux. Le premier que je rencontre dans les rues étroites aux maisons colorées est un Policier Municipal en uniforme. Il m’indique la boulangerie. Le pain au chocolat est à un euro trente. La boulangère m’indique le seul café ouvert qui a nom Le Globe. Celle qui m’y reçoit le fait fraîchement. Peut-être parce que je suis un homme. Je m’installe à l’une des tables de rue. Prés de moi sont six femmes bavardes ayant laissé la marmaille à l’école. « Quelqu’un veut autre chose, les garces ? » demande l’une. L’allongé coûte un euro quatre-vingts.
Mon petit-déjeuner terminé, je visite le Port sous toutes ses coutures puis comme rien n’est encore ouvert au bord de l’eau, je retourne au Globe, où ce qui tient lieu de terrasse est malheureusement encore à l’ombre, pour un café verre d’eau lecture. Le samedi onze décembre mil neuf cent quatre-vingt-treize, à onze heures, Jean-Luc Lagarce est au Café Vauban à Sète :
Ici, théâtre magnifique (XIXe siècle), mais représentation un peu étrange (beaucoup de monde).
Hier soir j’étais un peu triste. (Ah ?) Je suis monté à la troisième galerie pour regarder le spectacle.
Le spectacle : La Cantatrice chauve dont il assure la mise en scène. Le théâtre magnifique : le Théâtre. Molière devant lequel je suis passé avec le bus Vingt-Trois. Le Café Vauban est en face de la Gare.
Une alignée de restaurants borde l’Etang de Thau avec voitures garées entre eux et l’eau. Les coquillages n’y sont pas moins chers qu’ailleurs. Pour déjeuner, je choisis sur le port l’excentré Chez Turlot : tourte façon tielle, dos de morue crème citronnée et gâteau au chocolat noisettes pour vingt-deux euros cinquante, une table en terrasse au soleil sans vent, le tout est plutôt bon.
Le café, je le prends à La Voile Blanche, hôtel bar restaurant, vue sur le port entre deux voitures. La terrasse côté restaurant est complète. Celle côté café n’a qu’un seul client, moi. « Le service est terminé, monsieur dame», annonce la patronne à un couple qui veut déjeuner à treize heures trente. « Je crois que je rêve ! Je crois que je rêve ! », s’exclame la femme en partant. A deux heures et quart, deux vieilles s’installent côté café et se font virer par la patronne : « On est encore en plein service, c’est trop tôt. » Elles partent sans rien dire. Je me demande ce qui m’a valu d’être accepté. Peut-être simplement le fait que j’aie demandé si c’était possible avant de m’asseoir. Quand je lui donne deux euros vingt, je remercie la patronne de m’avoir accueilli.
De retour à l’arrêt Plage, un banc au soleil me permet d’attendre le bus Vingt-Trois de quinze heures vingt-huit, terminus Pont de Pierre, en regardant les baigneurs, moins nombreux qu’à Granville. Bouzigues est un joli village. Il gagne à être vu de loin. Le désordre des habitations donne naissance à une harmonie colorée, entre crème et orange, avec le clocher qui dépasse.
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Une affiche sur la vitrine et dans les toilettes : « Café Le Globe, chez Céline et Sandra, café philo le 17 octobre à 18 h, « Le rôle de l’animal de compagnie » animé par Brigitte, suivi d’un banquet philosophique à 15 € : macaronade, tarte aux fruits, vin à volonté. »
Je ne pense pas que cette Brigitte ait pour patronyme Bardot mais je présume que la fin de banquet sera philosop’hic !
10 octobre 2024
Voici venu le moment d’inaugurer ma Carte Thermalis (vingt et un jours à volonté) et pour ce faire je monte à l’arrêt Pont Virla dans le bus Trois direction Centre Malraux.
Nous passons près de la Plage de la Corniche où n’aura pas été creusé un petit trou moelleux et plus loin je descends à l’arrêt Cimetière du Py. La tombe de Georges Brassens est fléchée guitare à l’appui, à gauche après l’entrée puis à droite.
Mon caveau de famille, hélas n'est pas tout neuf / Vulgairement parlant, il est plein comme un œuf. C’est possible mais quatre noms seulement figurent sur la pierre tombale de la famille Brassens-Dagrosa : celui du chanteur et ceux des trois enterrés après lui, sa sœur Simone Cazzani, le mari de celle-ci Yves Cazzani et Joha Heiman dite Püppchen (Petite Poupée), la non demandée en mariage, dont le surnom est mal orthographié.
Ce n’est pas une tombe qui respire la joie de vivre. Le cimetière non plus. Je n’ai pas envie d’en parcourir les allées. Je marche jusqu’à l’Espace Georges Brassens mais je ne le visiterai pas. Cela se fait avec un casque sur les oreilles dans lequel le chanteur nous raconte sa vie et je n’ai pas envie d’être ainsi mené. Je préfère suivre mon chemin de vieux bonhomme.
Je reprends donc un bus Trois terminus Malraux et en descends à l’arrêt Ile de Thau, un nom prometteur. Dans la réalité, des canaux avec quelques bateaux, dont certains en piteux état, bordés d’immeubles habités par des pauvres. Je me balade le long de l’eau. A un moment, deux bicyclistes me dépassent, signe particulier : un revolver à la ceinture. Rien dans leur tenue ne signale qu’ils appartiennent à la Police Municipale.
Je rentre par le bus Trois direction Gare, un long bus accordéon qui est plein comme un œuf quand il arrive au centre ville. C’est le jour du marché. Pour moi, c’est un café au soleil à la terrasse du Classic, suivi d’une heure de lecture.
Pour déjeuner, j’essaie le Korner Café au coin à côté, une grande terrasse et rien dedans. Le mercredi, c’est la macaronade à la sétoise (quatorze euros). J’ai vite mon assiette et ça nourrit son homme. Bizarrement, le couple d’à côté, arrivé juste après moi, n’est toujours pas servi quand je pars à treize heures. Elle et lui sont mécontents mais ne disent rien. Certains font vraiment preuve de patience.
Peu de bancs le long du Canal Royal et souvent occupés par des zonards. J’en trouve un de libre sur la rive d’en face. J’y étudie le plan des bus pour les jours à venir. Puis je retourne de l’autre côté pour un café lecture au Marina. Je m’assois avec le soleil dans le dos. Une main sur mon épaule, c’est la serveuse qui vient aux nouvelles. Deux filles sont à la table devant la mienne. L’une à l’autre à propos d’une troisième : « Elle est pétillante, même si elle a vécu de la merde. »
*
Sète est la source d’innombrables jeux de mots. Le nom d’un site d’information locale Ici7. Même mon smartphone s’y met. Si, lui dictant mes textes, je dis « Je suis à Sète », il écrit « Je suis ascète ».
*
Dans le même genre, vu du bus, un café, nommé Les Temps de Thau.
*
Jean-Luc Lagarce, Journal, le mercredi treize octobre mil neuf cent quatre-vingt-treize : Soirée en chaussons, tout seul, ensuite et c’est bien. Àh ! vivre comme Léautaud…
Le plus souvent à courir partout pour son travail ou ses plaisirs bien que terriblement malade.
Nous passons près de la Plage de la Corniche où n’aura pas été creusé un petit trou moelleux et plus loin je descends à l’arrêt Cimetière du Py. La tombe de Georges Brassens est fléchée guitare à l’appui, à gauche après l’entrée puis à droite.
Mon caveau de famille, hélas n'est pas tout neuf / Vulgairement parlant, il est plein comme un œuf. C’est possible mais quatre noms seulement figurent sur la pierre tombale de la famille Brassens-Dagrosa : celui du chanteur et ceux des trois enterrés après lui, sa sœur Simone Cazzani, le mari de celle-ci Yves Cazzani et Joha Heiman dite Püppchen (Petite Poupée), la non demandée en mariage, dont le surnom est mal orthographié.
Ce n’est pas une tombe qui respire la joie de vivre. Le cimetière non plus. Je n’ai pas envie d’en parcourir les allées. Je marche jusqu’à l’Espace Georges Brassens mais je ne le visiterai pas. Cela se fait avec un casque sur les oreilles dans lequel le chanteur nous raconte sa vie et je n’ai pas envie d’être ainsi mené. Je préfère suivre mon chemin de vieux bonhomme.
Je reprends donc un bus Trois terminus Malraux et en descends à l’arrêt Ile de Thau, un nom prometteur. Dans la réalité, des canaux avec quelques bateaux, dont certains en piteux état, bordés d’immeubles habités par des pauvres. Je me balade le long de l’eau. A un moment, deux bicyclistes me dépassent, signe particulier : un revolver à la ceinture. Rien dans leur tenue ne signale qu’ils appartiennent à la Police Municipale.
Je rentre par le bus Trois direction Gare, un long bus accordéon qui est plein comme un œuf quand il arrive au centre ville. C’est le jour du marché. Pour moi, c’est un café au soleil à la terrasse du Classic, suivi d’une heure de lecture.
Pour déjeuner, j’essaie le Korner Café au coin à côté, une grande terrasse et rien dedans. Le mercredi, c’est la macaronade à la sétoise (quatorze euros). J’ai vite mon assiette et ça nourrit son homme. Bizarrement, le couple d’à côté, arrivé juste après moi, n’est toujours pas servi quand je pars à treize heures. Elle et lui sont mécontents mais ne disent rien. Certains font vraiment preuve de patience.
Peu de bancs le long du Canal Royal et souvent occupés par des zonards. J’en trouve un de libre sur la rive d’en face. J’y étudie le plan des bus pour les jours à venir. Puis je retourne de l’autre côté pour un café lecture au Marina. Je m’assois avec le soleil dans le dos. Une main sur mon épaule, c’est la serveuse qui vient aux nouvelles. Deux filles sont à la table devant la mienne. L’une à l’autre à propos d’une troisième : « Elle est pétillante, même si elle a vécu de la merde. »
*
Sète est la source d’innombrables jeux de mots. Le nom d’un site d’information locale Ici7. Même mon smartphone s’y met. Si, lui dictant mes textes, je dis « Je suis à Sète », il écrit « Je suis ascète ».
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Dans le même genre, vu du bus, un café, nommé Les Temps de Thau.
*
Jean-Luc Lagarce, Journal, le mercredi treize octobre mil neuf cent quatre-vingt-treize : Soirée en chaussons, tout seul, ensuite et c’est bien. Àh ! vivre comme Léautaud…
Le plus souvent à courir partout pour son travail ou ses plaisirs bien que terriblement malade.
9 octobre 2024
Le silence absolu est troublé par le bruit du vent cette nuit de lundi à mardi. Rien de comparable cependant avec celui effrayant de Granville. Au matin, le ciel est partagé entre bleu et noir. Malgré la douceur, je choisis l’intérieur du Classic afin de bénéficier de l’ambiance locale.
Vers neuf heures cinquante, le soleil l’a emporté. Je passe sur le quai d’en face pour avoir vue sur le Miam par-delà le canal et en faire une photo avec Poupette au premier plan (c’est un petit bateau).
Le Musée International des Arts Modestes a été fondé par Hervé Di Rosa et Bernard Belluc dans un ancien chai à vin réaménagé par Patrick Bouchain. Il ouvre à dix heures. Je paie cinq euros soixante. L’exposition en cours a pour nom BeauBadUgly. Elle présente des œuvres jugées de mauvais goût par le monde de l’art tout en ayant plu ou plaisant toujours à un public que l’on peut qualifier de populaire. Un terrible Bernard Buffet en est l’exemple premier. Suivent une série de poulbots et des peintures dont on a tous vu des reproductions ici où là sans connaitre le nom de leurs auteurs. Elles sont classées par thème : les enfants, les femmes, les paysages exotiques, le fantastique, etc. Une femme à son mari. « Ah bah oui, ta sœur, elle avait ça dans sa chambre. ».
Des escaliers métalliques faits pour les voyeurs (mais à cette heure, il n’y a rien à voir) permettent d’aller au premier étage où Colette Barbier et Nina Childress présentent « des réponses conceptuelles, ironiques, potaches, admiratives, décalées, d’artistes contemporains de générations et d’origines diverses » aux œuvres du bas.
De semblables escaliers mènent au second étage où sont montrés, de façon permanente et sous forme d’accumulations, des objets de la vie quotidienne chers à Hervé Di Rosa. Ni l’exposition temporaire, ni l’exposition permanente ne retiennent mon attention très longtemps.
Avant onze heures, je suis dehors ou plutôt sous la véranda du Tabary’s à l’intérieur de laquelle un escalier en béton permet de descendre sur le quai. Un vieil autochtone de la table voisine s’adresse à moi. « Vous lisez la Bible ? » « Non, le Journal de Jean-Luc Lagarce. » « C’est qui ? » « Un auteur de pièces de théâtre. » « Ah oui, bon bah j’y vais, parce que les retraités, avec la prostate, il faut pisser toutes les cinq minutes. Vous devriez faire une pièce de théâtre avec ça. » Il est remplacé par un homme jeune qui lit un gros Folio. Quand il le met dans sa poche arrière en partant, je vois Dostoïevski mais ne peux lire le titre. « Combien le café ? », demande une dame au serveur. « Un euro quatre-vingt-dix.» « C’est cher ! » « Bah, il y a les bateaux, le canal, ça se paye. »
Pour déjeuner je retourne au Café Oscar, une salade de chèvre chaud suivie d’un tajine sucré salé, le tout pour quinze euros. Mes voisin(e)s discutent de table en table. L’une est d’Amiens, elle fait partie des gens qui ont connu Macron à quinze ans quand il fréquentait déjà Brigitte. Ce n’est pas cher et c’est bon mais côté service il ne faut pas être pressé. Je ne suis pas pressé, seulement impatient par nature.
Il est treize heures trente quand je m’en sors. Je traverse le canal par le pont de la Civette afin de passer du côté sans voiture pour mon café lecture. Je m’installe à une table de bord de quai avec vue sur la statue du jouteur à La Villa. Le vent souffle et le soleil brille. De plus en plus de ciel bleu, de moins en moins de vent, mais j’ai un œil qui pleure quand je referme mon livre. Il est quinze heures. La Villa ferme ses portes. Deux euros cinquante le café, qui n’est même pas bon.
*
Le dessinateur des poulbots est un certain Stanislas Pozar qui a pris pour nom d’artiste Michel Thomas. Michel Thomas est le nom d’un écrivain qui a pris pour pseudonyme Michel Houellebecq. Michel Houellebecq est-il à l’écriture ce que Michel Thomas est au dessin, je m’interroge.
*
Relisant à l’occasion de ma visite du Miam mon texte relatant la précédente il y a six ans, je constate que le prix de l’entrée n’a pas augmenté, que j’avais pris un café au Classic et déjeuné au Saint Louis, que déjà je pestais contre les voitures près du canal et que sur celui-ci Poupette était déjà là.
*
Plus question de Léautaud dans le Journal de Lagarce qui a d’autres lectures. Comme s’il avait abandonné sans le dire.
*
Ai découvert que la maison natale de Brassens se trouve près de mon logis Air Bibi (la rue devenue Georges-Brassens est parallèle à la rue Arago) et qu’il adorait se faire photographier à la Pointe Courte.
Vers neuf heures cinquante, le soleil l’a emporté. Je passe sur le quai d’en face pour avoir vue sur le Miam par-delà le canal et en faire une photo avec Poupette au premier plan (c’est un petit bateau).
Le Musée International des Arts Modestes a été fondé par Hervé Di Rosa et Bernard Belluc dans un ancien chai à vin réaménagé par Patrick Bouchain. Il ouvre à dix heures. Je paie cinq euros soixante. L’exposition en cours a pour nom BeauBadUgly. Elle présente des œuvres jugées de mauvais goût par le monde de l’art tout en ayant plu ou plaisant toujours à un public que l’on peut qualifier de populaire. Un terrible Bernard Buffet en est l’exemple premier. Suivent une série de poulbots et des peintures dont on a tous vu des reproductions ici où là sans connaitre le nom de leurs auteurs. Elles sont classées par thème : les enfants, les femmes, les paysages exotiques, le fantastique, etc. Une femme à son mari. « Ah bah oui, ta sœur, elle avait ça dans sa chambre. ».
Des escaliers métalliques faits pour les voyeurs (mais à cette heure, il n’y a rien à voir) permettent d’aller au premier étage où Colette Barbier et Nina Childress présentent « des réponses conceptuelles, ironiques, potaches, admiratives, décalées, d’artistes contemporains de générations et d’origines diverses » aux œuvres du bas.
De semblables escaliers mènent au second étage où sont montrés, de façon permanente et sous forme d’accumulations, des objets de la vie quotidienne chers à Hervé Di Rosa. Ni l’exposition temporaire, ni l’exposition permanente ne retiennent mon attention très longtemps.
Avant onze heures, je suis dehors ou plutôt sous la véranda du Tabary’s à l’intérieur de laquelle un escalier en béton permet de descendre sur le quai. Un vieil autochtone de la table voisine s’adresse à moi. « Vous lisez la Bible ? » « Non, le Journal de Jean-Luc Lagarce. » « C’est qui ? » « Un auteur de pièces de théâtre. » « Ah oui, bon bah j’y vais, parce que les retraités, avec la prostate, il faut pisser toutes les cinq minutes. Vous devriez faire une pièce de théâtre avec ça. » Il est remplacé par un homme jeune qui lit un gros Folio. Quand il le met dans sa poche arrière en partant, je vois Dostoïevski mais ne peux lire le titre. « Combien le café ? », demande une dame au serveur. « Un euro quatre-vingt-dix.» « C’est cher ! » « Bah, il y a les bateaux, le canal, ça se paye. »
Pour déjeuner je retourne au Café Oscar, une salade de chèvre chaud suivie d’un tajine sucré salé, le tout pour quinze euros. Mes voisin(e)s discutent de table en table. L’une est d’Amiens, elle fait partie des gens qui ont connu Macron à quinze ans quand il fréquentait déjà Brigitte. Ce n’est pas cher et c’est bon mais côté service il ne faut pas être pressé. Je ne suis pas pressé, seulement impatient par nature.
Il est treize heures trente quand je m’en sors. Je traverse le canal par le pont de la Civette afin de passer du côté sans voiture pour mon café lecture. Je m’installe à une table de bord de quai avec vue sur la statue du jouteur à La Villa. Le vent souffle et le soleil brille. De plus en plus de ciel bleu, de moins en moins de vent, mais j’ai un œil qui pleure quand je referme mon livre. Il est quinze heures. La Villa ferme ses portes. Deux euros cinquante le café, qui n’est même pas bon.
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Le dessinateur des poulbots est un certain Stanislas Pozar qui a pris pour nom d’artiste Michel Thomas. Michel Thomas est le nom d’un écrivain qui a pris pour pseudonyme Michel Houellebecq. Michel Houellebecq est-il à l’écriture ce que Michel Thomas est au dessin, je m’interroge.
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Relisant à l’occasion de ma visite du Miam mon texte relatant la précédente il y a six ans, je constate que le prix de l’entrée n’a pas augmenté, que j’avais pris un café au Classic et déjeuné au Saint Louis, que déjà je pestais contre les voitures près du canal et que sur celui-ci Poupette était déjà là.
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Plus question de Léautaud dans le Journal de Lagarce qui a d’autres lectures. Comme s’il avait abandonné sans le dire.
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Ai découvert que la maison natale de Brassens se trouve près de mon logis Air Bibi (la rue devenue Georges-Brassens est parallèle à la rue Arago) et qu’il adorait se faire photographier à la Pointe Courte.
8 octobre 2024
Le jour se lève, il faut tenter de vivre, comme dirait l’autre, bien que le temps soit le même qu’hier en encore moins bien. « Ce matin, il pleut pas, il pleut après midi », annonce un autochtone renseigné par son smartphone au Classic où je petit-déjeune.
Il s’agit de ne pas traîner ce lundi pour découvrir la Pointe Courte. Je longe le canal vers l’énorme pont-levant. Celui-ci atteint, je l’emprunte puis passe dessous. Une flèche indique le chemin à suivre sous la voie ferrée et j’y suis.
Ce quartier de la Pointe Courte est un « village dans la ville » avec ses maisons colorées, ses ruelles aux noms évocateurs (traverse des Jouteurs, traverse des Rameurs, rue de la Pétanque).et ses filets de pêche qui sèchent le long des quais. Ce sont les travaux de remblaiement liés à l’arrivée du chemin de fer qui ont créé cet espace en bordure de l’étang de Thau. Il a été rapidement investi par les pêcheurs qui y ont établi leurs cabanons. Ses habitants sont surnommés les pointus. « C’est un site de pêche important, notamment durant la saison de la daurade en octobre, pendant laquelle des centaines de pêcheurs se rassemblent le long du canal », ai-je lu. Ce matin, c’est bien calme.
C’est d’abord la partie ordonnée qui s’offre à moi avec ses maisons en dur et en couleur, bien alignées, certaines un peu décorées. Arrivé au bout de la Pointe, je découvre l’autre versant, constitué de cabanons, parfois déglingués, et d’un port de pêche désordonné. Un beau bazar comme j’aime, avec des chats errants et des oiseaux d’étang au bec effilé. Je rencontre deux pointus, nous nous saluons, puis un petit groupe de touristes anglophones avec guide que je ne fais heureusement que croiser. Je découvre qu’Agnès Varda a une traverse à son nom pour avoir ici en mil neuf cent cinquante-cinq tourné son film La Pointe courte et que Georges Brassens donne le sien à une digue qui lui ressemble.
Le tour fait, j’entre côté canal au restaurant Le Passage qui vient d’ouvrir. J’en suis le seul client et mon café bu lis là Lagarce jusqu’à ce qu’un marteau-piqueur se déclenche sur le quai.
Je dois partir, ce qui n’est pas forcément un mal car, tandis que je rentre, il se met à pleuvouiller. Je longe le canal jusqu’au Tabary’s, « maison fondée en 1902 », la brasserie bourgeoise de Sète, où je choisis une table à l’intérieur, dominant la véranda et surplombant le canal, pour encore un café et rouvrir mon livre. J’ai au-dessus de la tête une photo de Brassens confortablement installé dans l’un des fauteuils de cet endroit avec ses amis.
Je cafouille pour manger à midi allant de déception en déception sous une brouillasse brumeuse. En désespoir, je déjeune des lasagnes maison du Classic (onze euros). Au moins sont-elles bonnes. Ce temps alors qu’il fait chaud, je n’essaie même pas de comprendre.
*
Nouvelle lecture pour Jean-Luc Lagarce, très malade, en mil neuf cent quatre-vingt-douze :
Samedi 15 août 1992, Paris, Lecture du Journal de Paul Léautaud, c’est très important. On verra. N'irai pas jusqu’au bout.
Vendredi 21 août 1992, Perros-Guirec. Lecture de Paul Léautaud la nuit dans mon petit lit.
Lundi 21 septembre 1992, Besançon, lecture de Léautaud et rien d’autre tard la nuit.
*
Léautaud cité par Lagarce :
29 septembre 1905
Comme la vie pèse, quelquefois ! Et que de fois aussi je l’aurai senti, qu’on ne réussit à la supporter qu’à force de se monter le coup. Seulement, de temps en temps, quelque chose crève, et alors, adieu l’illusion.
*
Jean-Luc Lagarce, Journal :
La vie risque d’être souvent ainsi : regardée. (samedi douze septembre mil neuf cent quatre-vingt-douze)
Traversée fatigante en train entre Chambéry et Belfort
Le sentiment très fort et très juste que la Mort, c’est exactement cela : être tout seul dans un train qui traverse des paysages qu’on ne connaît pas. (samedi vingt et un novembre mil neuf cent quatre-vingt-douze)
Le succès et ma cote m’obligent à des débats étranges… On me parle comme si j’étais un petit génie alors que je ne suis qu’un pauvre homme un peu perdu. (mercredi vingt-cinq novembre mil neuf cent quatre-vingt-douze)
Il s’agit de ne pas traîner ce lundi pour découvrir la Pointe Courte. Je longe le canal vers l’énorme pont-levant. Celui-ci atteint, je l’emprunte puis passe dessous. Une flèche indique le chemin à suivre sous la voie ferrée et j’y suis.
Ce quartier de la Pointe Courte est un « village dans la ville » avec ses maisons colorées, ses ruelles aux noms évocateurs (traverse des Jouteurs, traverse des Rameurs, rue de la Pétanque).et ses filets de pêche qui sèchent le long des quais. Ce sont les travaux de remblaiement liés à l’arrivée du chemin de fer qui ont créé cet espace en bordure de l’étang de Thau. Il a été rapidement investi par les pêcheurs qui y ont établi leurs cabanons. Ses habitants sont surnommés les pointus. « C’est un site de pêche important, notamment durant la saison de la daurade en octobre, pendant laquelle des centaines de pêcheurs se rassemblent le long du canal », ai-je lu. Ce matin, c’est bien calme.
C’est d’abord la partie ordonnée qui s’offre à moi avec ses maisons en dur et en couleur, bien alignées, certaines un peu décorées. Arrivé au bout de la Pointe, je découvre l’autre versant, constitué de cabanons, parfois déglingués, et d’un port de pêche désordonné. Un beau bazar comme j’aime, avec des chats errants et des oiseaux d’étang au bec effilé. Je rencontre deux pointus, nous nous saluons, puis un petit groupe de touristes anglophones avec guide que je ne fais heureusement que croiser. Je découvre qu’Agnès Varda a une traverse à son nom pour avoir ici en mil neuf cent cinquante-cinq tourné son film La Pointe courte et que Georges Brassens donne le sien à une digue qui lui ressemble.
Le tour fait, j’entre côté canal au restaurant Le Passage qui vient d’ouvrir. J’en suis le seul client et mon café bu lis là Lagarce jusqu’à ce qu’un marteau-piqueur se déclenche sur le quai.
Je dois partir, ce qui n’est pas forcément un mal car, tandis que je rentre, il se met à pleuvouiller. Je longe le canal jusqu’au Tabary’s, « maison fondée en 1902 », la brasserie bourgeoise de Sète, où je choisis une table à l’intérieur, dominant la véranda et surplombant le canal, pour encore un café et rouvrir mon livre. J’ai au-dessus de la tête une photo de Brassens confortablement installé dans l’un des fauteuils de cet endroit avec ses amis.
Je cafouille pour manger à midi allant de déception en déception sous une brouillasse brumeuse. En désespoir, je déjeune des lasagnes maison du Classic (onze euros). Au moins sont-elles bonnes. Ce temps alors qu’il fait chaud, je n’essaie même pas de comprendre.
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Nouvelle lecture pour Jean-Luc Lagarce, très malade, en mil neuf cent quatre-vingt-douze :
Samedi 15 août 1992, Paris, Lecture du Journal de Paul Léautaud, c’est très important. On verra. N'irai pas jusqu’au bout.
Vendredi 21 août 1992, Perros-Guirec. Lecture de Paul Léautaud la nuit dans mon petit lit.
Lundi 21 septembre 1992, Besançon, lecture de Léautaud et rien d’autre tard la nuit.
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Léautaud cité par Lagarce :
29 septembre 1905
Comme la vie pèse, quelquefois ! Et que de fois aussi je l’aurai senti, qu’on ne réussit à la supporter qu’à force de se monter le coup. Seulement, de temps en temps, quelque chose crève, et alors, adieu l’illusion.
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Jean-Luc Lagarce, Journal :
La vie risque d’être souvent ainsi : regardée. (samedi douze septembre mil neuf cent quatre-vingt-douze)
Traversée fatigante en train entre Chambéry et Belfort
Le sentiment très fort et très juste que la Mort, c’est exactement cela : être tout seul dans un train qui traverse des paysages qu’on ne connaît pas. (samedi vingt et un novembre mil neuf cent quatre-vingt-douze)
Le succès et ma cote m’obligent à des débats étranges… On me parle comme si j’étais un petit génie alors que je ne suis qu’un pauvre homme un peu perdu. (mercredi vingt-cinq novembre mil neuf cent quatre-vingt-douze)
7 octobre 2024
Comme annoncé, du gris dans le ciel ce dimanche, et même il a déjà plu un peu quand je descends la rue Arago. A la Boulangerie Laurent Soro, la vendeuse me fait remarquer qu’ici le pain au chocolat c’est un croissant au chocolat mais c’est la même chose. Il est vrai qu’hier je lui avais trouvé une forme étrange.
« Un allongé, un verre d’eau », me dit, à peine suis-je entré au Classic, la serveuse de l’ouverture qui ne m’a vu qu’une fois. « Vous avez une bonne mémoire », lui dis-je. « Et hier, vous étiez assis là-bas », ajoute-t-elle. Avant de conclure : « Trente-cinq ans de métier ». Face à moi sont quatre hommes d’ici qui pourraient jouer dans une reprise de la partie de cartes de Pagnol.
Ce mauvais temps n’est pas trop grave pour moi car nous sommes le premier dimanche du mois, le jour où le Musée Paul Valéry est gratuit et j’ai envie de voir l’exposition Entre ciel et terre consacrée aux peintures d’extérieur de Jean Hugo.
Le Musée Paul Valéry est situé sur le flanc du Mont Saint-Clair, au-dessus du Cimetière Marin et donc près du tombeau de Paul Valéry. Ce n’est pas tout près. Je passe par la place de l’Hôtel de Ville où une fanfare joue Hallelujah puis emprunte la Grande Rue Haute. Je longe le Cimetière Marin par un trottoir pentu qui comporte quelques marches et j’y suis.
Devant la porte attendent avec moi certains qui sont là pour le colloque Paul Valéry et la génération surréaliste organisé à l’occasion du centième anniversaire de ce mouvement. Parmi eux, des profs. L’un se vante d’avoir connu Deleuze (il a assisté à ses cours). Un autre a son adresse mail chez Wanadoo.
Comme je suis le premier à entrer, je peux avoir l’étage Entre ciel et terre pour moi seul pendant un moment, faire des photos d’ensemble de l’exposition puis m’intéresser à chaque tableau. Bien sûr, Jean Hugo n’a pas révolutionné la peinture, mais ça se regarde avec plaisir, des tableaux montrant son lieu de vie (il habitait au Mas de Fourques à Lunel) et d’autres peints ailleurs, le Port de Sète, Audierne, l’Aber Wrac’h, des paysages de Normandie avec des vaches, des campagnes anglaises, un beau portrait de Marie (l’une de ses filles). J’aime particulièrement La liseuse endormie.
A côté est une salle de la collection permanente avec des œuvres de l’enfant du pays Hervé Di Rosa et de son collègue Combas. De ce dernier, quatre peintures en hommage (comme on dit) à un autre enfant du pays, Georges Brassens : Fernande, Dans l’eau de la claire fontaine, En avant toute pipe en avant et G le B-G (ces deux dernières datant de deux mille vingt et un).
L’essentiel de la collection permanente est en bas, pas mal d’œuvres ayant pour cadre la région, notamment un Courbet Mer calme à Palavas. Tout en visitant, on peut entendre l’intervenant du colloque Paul Valéry et la génération surréaliste, Franck Salaün, un orateur à ordinateur qui disserte sur Paul Valéry face à l’engagement poétique des Surréalistes pour une trentaine d’auditeurs. Je retiens cette phrase destinée à consoler certains dans le public « On reste longtemps jeune quand on est surréaliste. »
Il est onze heures quand je ressors. La porte du haut du Cimetière Marin est ouverte. Une pancarte fléchée indique « Paul Valéry ». Ce sera pour une autre fois. La fanfare joue encore quand je repasse place de l’Hôtel-de-Ville, pour peu de monde, Let it Be. Arrivé au Classic, je fonce sur la seule table libre pour un nouveau café, bien mérité, et lire un peu Lagarce.
Où déjeuner ? Au Saint Louis, de l’autre côté du canal, dans la partie piétonnière, mais à l’intérieur, pour vingt-trois euros : tielle, entrecôte frites salade et tarte aux pommes grillée. A une autre table, un faux Zidane avec un faux Gaudin et une femme pour laquelle, j’ai beau chercher, je ne trouve aucune célébrité lui ressemblant.
Pour le café, comme au Classic on ferme à quatorze heures le dimanche et qu’ailleurs c’est blindé, je m’éloigne un peu le long du canal jusqu’à De Mère en Fille, un petit bar qui ne paie pas de mine et donc peu fréquenté. L’une et l’autre sont derrière le comptoir. Le café (un euro quatre-vingts) est meilleur qu’ailleurs. Une fois bu, je rouvre le Journal de Lagarce. Cela ne va pas fort, son Sida, ses relations difficiles avec sa famille, le cancer de son père, la disparition de Gary dont il était amoureux...
*
Paul Valéry n’est pas dans mes auteurs de prédilection. Je n’apprécie ni l’écrivain, ni l’homme, que son ami de jeunesse, Paul Léautaud, assaisonne de belles manière dans son Journal littéraire.
Je viens de relire Le cimetière marin, quel maniérisme ! On ne peut en sauver que son Le vent se lève... ! Il faut tenter de vivre !
*
Jean Hugo, arrière-petit-fils de Victor Hugo, catholique pratiquant, père de cinq filles, dont une Léopoldine et une Adèle. L’abbé Mugnier dans son Journal à propos de ses peintures et de l’homme qu’il pensait à tort petit-fils de Victor :
C'est très net, finement dessiné. Le grand-père affectionnait le burg, le petit-fils préfère le mas, la petite maison sans complication, aux toits et aux murs faits pour le soleil. Et dans ces coins de Provence, si petits si familiers, où l'on croit être transporté soi-même voici que surgissent des centaures, coiffés de chapeaux plus ou moins pointus. L'idée de ces centaures est venue des gardians de la Camargue. Il y a aussi une femme qui se change en jument sous l'œil de son propriétaire. D'où vient cette drôlerie? Et cet oiseau perché qui a une tête de femme ! Ce mélange de mythologie et de réalité provinciale est curieux avec une telle ascendance romantique. (...) Enfin je l'ai aperçu et je l'ai trouvé bien de visage, il ne peut plus supporter la ville, veut la campagne, il a exprimé le désir de me voir, il va se rendre à La Chapelle, chez les Jean de Moustier !
*
Un dimanche tout gris à Sète.
« Le temps comme ça, c’est casse-couilles » (la vox populi)
Variante : « On n’est pas en octobre, on est fin novembre, peuchère ! »
« Un allongé, un verre d’eau », me dit, à peine suis-je entré au Classic, la serveuse de l’ouverture qui ne m’a vu qu’une fois. « Vous avez une bonne mémoire », lui dis-je. « Et hier, vous étiez assis là-bas », ajoute-t-elle. Avant de conclure : « Trente-cinq ans de métier ». Face à moi sont quatre hommes d’ici qui pourraient jouer dans une reprise de la partie de cartes de Pagnol.
Ce mauvais temps n’est pas trop grave pour moi car nous sommes le premier dimanche du mois, le jour où le Musée Paul Valéry est gratuit et j’ai envie de voir l’exposition Entre ciel et terre consacrée aux peintures d’extérieur de Jean Hugo.
Le Musée Paul Valéry est situé sur le flanc du Mont Saint-Clair, au-dessus du Cimetière Marin et donc près du tombeau de Paul Valéry. Ce n’est pas tout près. Je passe par la place de l’Hôtel de Ville où une fanfare joue Hallelujah puis emprunte la Grande Rue Haute. Je longe le Cimetière Marin par un trottoir pentu qui comporte quelques marches et j’y suis.
Devant la porte attendent avec moi certains qui sont là pour le colloque Paul Valéry et la génération surréaliste organisé à l’occasion du centième anniversaire de ce mouvement. Parmi eux, des profs. L’un se vante d’avoir connu Deleuze (il a assisté à ses cours). Un autre a son adresse mail chez Wanadoo.
Comme je suis le premier à entrer, je peux avoir l’étage Entre ciel et terre pour moi seul pendant un moment, faire des photos d’ensemble de l’exposition puis m’intéresser à chaque tableau. Bien sûr, Jean Hugo n’a pas révolutionné la peinture, mais ça se regarde avec plaisir, des tableaux montrant son lieu de vie (il habitait au Mas de Fourques à Lunel) et d’autres peints ailleurs, le Port de Sète, Audierne, l’Aber Wrac’h, des paysages de Normandie avec des vaches, des campagnes anglaises, un beau portrait de Marie (l’une de ses filles). J’aime particulièrement La liseuse endormie.
A côté est une salle de la collection permanente avec des œuvres de l’enfant du pays Hervé Di Rosa et de son collègue Combas. De ce dernier, quatre peintures en hommage (comme on dit) à un autre enfant du pays, Georges Brassens : Fernande, Dans l’eau de la claire fontaine, En avant toute pipe en avant et G le B-G (ces deux dernières datant de deux mille vingt et un).
L’essentiel de la collection permanente est en bas, pas mal d’œuvres ayant pour cadre la région, notamment un Courbet Mer calme à Palavas. Tout en visitant, on peut entendre l’intervenant du colloque Paul Valéry et la génération surréaliste, Franck Salaün, un orateur à ordinateur qui disserte sur Paul Valéry face à l’engagement poétique des Surréalistes pour une trentaine d’auditeurs. Je retiens cette phrase destinée à consoler certains dans le public « On reste longtemps jeune quand on est surréaliste. »
Il est onze heures quand je ressors. La porte du haut du Cimetière Marin est ouverte. Une pancarte fléchée indique « Paul Valéry ». Ce sera pour une autre fois. La fanfare joue encore quand je repasse place de l’Hôtel-de-Ville, pour peu de monde, Let it Be. Arrivé au Classic, je fonce sur la seule table libre pour un nouveau café, bien mérité, et lire un peu Lagarce.
Où déjeuner ? Au Saint Louis, de l’autre côté du canal, dans la partie piétonnière, mais à l’intérieur, pour vingt-trois euros : tielle, entrecôte frites salade et tarte aux pommes grillée. A une autre table, un faux Zidane avec un faux Gaudin et une femme pour laquelle, j’ai beau chercher, je ne trouve aucune célébrité lui ressemblant.
Pour le café, comme au Classic on ferme à quatorze heures le dimanche et qu’ailleurs c’est blindé, je m’éloigne un peu le long du canal jusqu’à De Mère en Fille, un petit bar qui ne paie pas de mine et donc peu fréquenté. L’une et l’autre sont derrière le comptoir. Le café (un euro quatre-vingts) est meilleur qu’ailleurs. Une fois bu, je rouvre le Journal de Lagarce. Cela ne va pas fort, son Sida, ses relations difficiles avec sa famille, le cancer de son père, la disparition de Gary dont il était amoureux...
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Paul Valéry n’est pas dans mes auteurs de prédilection. Je n’apprécie ni l’écrivain, ni l’homme, que son ami de jeunesse, Paul Léautaud, assaisonne de belles manière dans son Journal littéraire.
Je viens de relire Le cimetière marin, quel maniérisme ! On ne peut en sauver que son Le vent se lève... ! Il faut tenter de vivre !
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Jean Hugo, arrière-petit-fils de Victor Hugo, catholique pratiquant, père de cinq filles, dont une Léopoldine et une Adèle. L’abbé Mugnier dans son Journal à propos de ses peintures et de l’homme qu’il pensait à tort petit-fils de Victor :
C'est très net, finement dessiné. Le grand-père affectionnait le burg, le petit-fils préfère le mas, la petite maison sans complication, aux toits et aux murs faits pour le soleil. Et dans ces coins de Provence, si petits si familiers, où l'on croit être transporté soi-même voici que surgissent des centaures, coiffés de chapeaux plus ou moins pointus. L'idée de ces centaures est venue des gardians de la Camargue. Il y a aussi une femme qui se change en jument sous l'œil de son propriétaire. D'où vient cette drôlerie? Et cet oiseau perché qui a une tête de femme ! Ce mélange de mythologie et de réalité provinciale est curieux avec une telle ascendance romantique. (...) Enfin je l'ai aperçu et je l'ai trouvé bien de visage, il ne peut plus supporter la ville, veut la campagne, il a exprimé le désir de me voir, il va se rendre à La Chapelle, chez les Jean de Moustier !
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Un dimanche tout gris à Sète.
« Le temps comme ça, c’est casse-couilles » (la vox populi)
Variante : « On n’est pas en octobre, on est fin novembre, peuchère ! »
6 octobre 2024
En fin d’après-midi, ma logeuse arrive avec son ami plombier. Le robinet d’eau chaude est effectivement naze. L’homme de l’art coupe l’eau, le démonte, va en acheter un semblable chez Bricorama, l’installe et ce samedi matin une bonne douche chaude. Pour la télé, le fils de cette dame s’en occupera dimanche matin. Elle est efficace et gentille. A mon arrivée m’attendaient une documentation touristique (à jour, ce qui est rare) et un petit paquet de la spécialité locale, les zézettes de Sète.
Le soleil est là quand je sors ce samedi vers huit heures, mais encore trop bas pour éclairer la terrasse du Classic. Je profite donc de l’ambiance intérieure de cet agréable café pendant mon petit-déjeuner dont le pain au chocolat (très bon) provient d’à côté, Boulangerie Laurent Soro (un euro, qui dit mieux ?).
Sète a son Vieux Port. Elle a aussi sa Corniche. C’est là où pédestrement je choisis d’aller. Après ce Vieux Port apparaît l’ébouriffant Théâtre de la Mer, le blockhaus de la Culture. Là commence la Promenade Maréchal Leclerc dite de la Corniche (deux kilomètres).
Je marche le long des falaises et des criques sur une piste goudronnée dotée de nombreux bancs en béton. De petits balcons sur la mer permettent de voir jusqu’au Cap d’Agde surplombé par l’ancien volcan du Mont Saint-Loup. A un moment, après un passage par sentier pierreux pour être au plus près du bord, je dois prendre la rue de Savoie par la faute de propriétés privées puis un escalier me ramène à une petite plage et sur le sentier. J’arrive alors à un quartier résidentiel à l’architecture caractéristique des lieux où l’on crée le plus possible d’appartements de vacances avec vue sur mer. Je décide d’arrêter là.
Au retour, le soleil dans les yeux gène un peu. Arrivé à la Criée, je passe par les stands des Bretons de Saint-Brieuc qui sont invités pendant deux jours à vendre leurs premières coquilles Saint-Jacques, dégustation possible à de grandes tables pour qui aime la convivialité. Ce n’est pas pour moi et de plus c’est trop tôt
J’ai les pieds cuits quand j’arrive au Classic. Impossible d’avoir une place en terrasse. Il y a un monde fou sur le bord du canal. Je lis Lagarce à l’intérieur au milieu des autochtones. Il est à Amsterdam, passe beaucoup de temps au De Jaren et découvre le menu indonésien aux quatorze plats. Mon café préféré là-bas et ce somptueux repas quand j’étais bien accompagné, cela ravive dans ma mémoire des souvenirs empreints de mélancolie.
Pour déjeuner, je fuis le monde et entre au Oscar Café sur le quai du canal dont le patron propose un couscous à onze euros quatre-vingt-dix. Comme sa femme en cuisine ne l’a pas encore tout à fait terminé, je commande un kir qu’il me sert accompagné de petites choses chaudes. « Je ne vous conseille pas de prendre une entrée, me dit-il ainsi qu’au couple étant arrivé après moi, parce que c’est copieux. » Plus qu’à l’attendre en écoutant Elli, Lio et Mylène que diffuse une radio des années quatre-vingt. La cloche tinte en cuisine, c’est bon signe. Ce couscous n’est pas seulement copieux, il est excellent. « On n’est pas cher parce qu’on fait venir directement la marchandise de là-bas par bateau, m’explique le patron quand je paie en lui disant de remercier la cuisinière. On pourrait faire payer plus mais on ne veut pas. » Durant ce repas, leur jolie fillette dans les dix ans est allée s’acheter un burgueur, l’a mangé à une table en jetant un vague coup d’œil à son smartphone puis a disparu sans jamais dire un mot à ses parents, vivant sa vie en toute indépendance.
Sorti de là, je rejoins le Classic. Une table étant libre en terrasse, je la fais mienne pour le café et la lecture. A Granville, je mettais les longs moments passés à lire sur le compte du mauvais temps. Ici il fait beau et c’est exactement pareil. Au moins cette fois ai-je emporté un deuxième livre, déjà lu il y a longtemps, et qu’il conviendrait de relire précisément en ce lieu : Le Regard de la mémoire de Jean Hugo, un épais livre de poche de chez Babel.
Pour rentrer je fais un détour par le quai d’en face qui a l’avantage d’être débarrassé de la circulation des véhicules à moteur. On y trouve une suite de cafés restaurants qui sont au soleil l’après-midi. Ce dont il faudra que je profite. Sète est pleine de ressources dans ce domaine.
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Un homme d’ici au téléphone : « Je regarde dans le journal, à partir de demain c’est gris et après il pleut, c’est dingue non ? » (le journal : Le Midi Libre)
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Mes yeux ou plutôt mes paupières vont mieux, plus aucune démangeaison. Mon médecin m’a dit que si ça allait bien, inutile de prendre les antibiotiques, mais j’ai un doute sur la guérison. Les symptômes ont disparu mais le mal est peut-être encore là. Je vais donc manger les antibiotiques pendant une semaine. C’est l’option ceinture et bretelles.
Le soleil est là quand je sors ce samedi vers huit heures, mais encore trop bas pour éclairer la terrasse du Classic. Je profite donc de l’ambiance intérieure de cet agréable café pendant mon petit-déjeuner dont le pain au chocolat (très bon) provient d’à côté, Boulangerie Laurent Soro (un euro, qui dit mieux ?).
Sète a son Vieux Port. Elle a aussi sa Corniche. C’est là où pédestrement je choisis d’aller. Après ce Vieux Port apparaît l’ébouriffant Théâtre de la Mer, le blockhaus de la Culture. Là commence la Promenade Maréchal Leclerc dite de la Corniche (deux kilomètres).
Je marche le long des falaises et des criques sur une piste goudronnée dotée de nombreux bancs en béton. De petits balcons sur la mer permettent de voir jusqu’au Cap d’Agde surplombé par l’ancien volcan du Mont Saint-Loup. A un moment, après un passage par sentier pierreux pour être au plus près du bord, je dois prendre la rue de Savoie par la faute de propriétés privées puis un escalier me ramène à une petite plage et sur le sentier. J’arrive alors à un quartier résidentiel à l’architecture caractéristique des lieux où l’on crée le plus possible d’appartements de vacances avec vue sur mer. Je décide d’arrêter là.
Au retour, le soleil dans les yeux gène un peu. Arrivé à la Criée, je passe par les stands des Bretons de Saint-Brieuc qui sont invités pendant deux jours à vendre leurs premières coquilles Saint-Jacques, dégustation possible à de grandes tables pour qui aime la convivialité. Ce n’est pas pour moi et de plus c’est trop tôt
J’ai les pieds cuits quand j’arrive au Classic. Impossible d’avoir une place en terrasse. Il y a un monde fou sur le bord du canal. Je lis Lagarce à l’intérieur au milieu des autochtones. Il est à Amsterdam, passe beaucoup de temps au De Jaren et découvre le menu indonésien aux quatorze plats. Mon café préféré là-bas et ce somptueux repas quand j’étais bien accompagné, cela ravive dans ma mémoire des souvenirs empreints de mélancolie.
Pour déjeuner, je fuis le monde et entre au Oscar Café sur le quai du canal dont le patron propose un couscous à onze euros quatre-vingt-dix. Comme sa femme en cuisine ne l’a pas encore tout à fait terminé, je commande un kir qu’il me sert accompagné de petites choses chaudes. « Je ne vous conseille pas de prendre une entrée, me dit-il ainsi qu’au couple étant arrivé après moi, parce que c’est copieux. » Plus qu’à l’attendre en écoutant Elli, Lio et Mylène que diffuse une radio des années quatre-vingt. La cloche tinte en cuisine, c’est bon signe. Ce couscous n’est pas seulement copieux, il est excellent. « On n’est pas cher parce qu’on fait venir directement la marchandise de là-bas par bateau, m’explique le patron quand je paie en lui disant de remercier la cuisinière. On pourrait faire payer plus mais on ne veut pas. » Durant ce repas, leur jolie fillette dans les dix ans est allée s’acheter un burgueur, l’a mangé à une table en jetant un vague coup d’œil à son smartphone puis a disparu sans jamais dire un mot à ses parents, vivant sa vie en toute indépendance.
Sorti de là, je rejoins le Classic. Une table étant libre en terrasse, je la fais mienne pour le café et la lecture. A Granville, je mettais les longs moments passés à lire sur le compte du mauvais temps. Ici il fait beau et c’est exactement pareil. Au moins cette fois ai-je emporté un deuxième livre, déjà lu il y a longtemps, et qu’il conviendrait de relire précisément en ce lieu : Le Regard de la mémoire de Jean Hugo, un épais livre de poche de chez Babel.
Pour rentrer je fais un détour par le quai d’en face qui a l’avantage d’être débarrassé de la circulation des véhicules à moteur. On y trouve une suite de cafés restaurants qui sont au soleil l’après-midi. Ce dont il faudra que je profite. Sète est pleine de ressources dans ce domaine.
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Un homme d’ici au téléphone : « Je regarde dans le journal, à partir de demain c’est gris et après il pleut, c’est dingue non ? » (le journal : Le Midi Libre)
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Mes yeux ou plutôt mes paupières vont mieux, plus aucune démangeaison. Mon médecin m’a dit que si ça allait bien, inutile de prendre les antibiotiques, mais j’ai un doute sur la guérison. Les symptômes ont disparu mais le mal est peut-être encore là. Je vais donc manger les antibiotiques pendant une semaine. C’est l’option ceinture et bretelles.
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