Le Journal de Michel Perdrial

Le Journal de Michel Perdrial




Loïc Boyer
Je suis l’auteur de textes courts qui furent publiés depuis mil neuf cent quatre-vingt-quinze dans des revues littéraires en France (Supérieur Inconnu, Supplément d’Ame, Nouvelle Donne, Le Bord de l’Eau, Pris de Peur, l’Art du Bref, Sol’Air, Gros Textes, Salmigondis, Verso, Décharge, Bulle, Filigranes, Diérèse, Martobre, Comme ça et Autrement, (Cahier d’) Ecritures, La Nef des Fous), en Belgique (Traversées, Ecrits Vains, L’Arbre à Plumes, Inédit Nouveau, Bleu d’Encre), au Canada (Les Saisons Littéraires) et en Italie (Les Cahiers du Ru).
Les courageuses Editions du Chardon ont publié en mil neuf cent quatre-vingt-dix-neuf Erotica, un recueil de vingt-huit de ces textes, illustré par Isabelle Pio et Antoine Lopez et préfacé par Sarane Alexandrian, toujours disponible auprès de moi.
Je suis également l’auteur d’une pièce de théâtre et de plusieurs romans ou récits à ce jour inédits.
Depuis le onze novembre deux mille six, je publie mon Journal via Internet, un temps sous-titré Persiflages, moquages et autres énervages mâtinés de complimentages et de contentages. Sa première partie est lisible chez Eklablog, la deuxième ici.
Je vis au centre de Rouen dans un ancien monastère où autrefois les Sœurs de la Miséricorde se vouaient à l’éducation des jeunes filles.







Rss

26 septembre 2024


J’ai visité le Musée d’art moderne Richard Anacréon, le MamRA, seul, il y a fort longtemps. Lorsque je suis revenu à Granville bien accompagné, je n’ai pas pu renouveler, l’ayant trouvé fermé à chaque fois. Là, ce n’est pas le cas. Je m’y présente ce mercredi à l’ouverture, après avoir grimpé l’escalier de la Haute Ville. Il est onze heures.
Une aimable jeune femme m’accueille à qui je paie cinq euros cinquante, plein tarif. Elle me signale les trois expositions, la permanente consacrée à Richard Anacréon, et les deux temporaires, l’une consacrée à la Grande Guerre et l’autre à la vie granvillaise. Je commence par la partie Anacréon, essentiellement des tableaux, et pas seulement ceux qu’il possédait, très peu de livres.
Ce n’était pas ainsi dans mon souvenir mais il est lointain. Quand même, je crois qu’Anacréon ne reconnaîtrait pas son univers, ni son projet. Ses livres doivent être dans les réserves. Je note le portrait d’Anacréon par Edmond Heuzé, un sage portrait de femme par Pascin et La maison de l’artiste à la Naze de Vlaminck. Dans l’expo Grande Guerre, on trouve quelques livres et correspondances, dont une lettre de Georges Duhamel à Paul Léautaud, qui dans son Journal littéraire se moque de ce va-t-en-guerre. Dans la partie Granville, quelques toiles montrent la Haute Ville autrefois et une salle niaise est consacrée au sport.
Toast de guacamole, cuisse de canard rôtie, crème de parmesan, pommes de terre et carottes et quatre quart citron fraise, c’est le menu du Grand Café où je déjeune à midi. A ma droite, quatre collègues et six smartphones sur leur table. A ma gauche, une plus vieille que moi et un livre qu’elle lit entre deux assiettes, chose que je suis incapable de faire.
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Né dans la Haute Ville, Richard Anacréon quitta Granville à dix-sept ans pour tenter sa chance à Paris. Quelques années plus tard, il entra par hasard dans l’administration du Petit Parisien qu’il quitta pendant l’Occupation Il ouvrit alors une librairie qu’il nomma L’Originale, rue de Seine, et se spécialisa dans la vente d’ouvrages en édition originale. Sa boutique était fréquentée par Valéry, Colette, Jouhandeau, Fargue, Utrillo, Derain, Claudel, Carco, Léautaud, Cendrars, Reverdy, Mac Orlan, Genet, etc.
Dans les années Quatre-Vingt, Anacréon a fait don à sa ville natale de sa collection d’œuvres d’art (Derain, Van Dongen, Vlaminck, Utrillo, Laurencin, Signac, Friesz, Cross, Luce) et de ses livres en éditions rares, notamment ceux contenant des truffes. Car le malin libraire passa des dizaines d’années à obtenir, pour les glisser entre les pages, dessins, courriers, extraits de manuscrits relatifs au livre-réceptacle.
En contrepartie, Richard Anacréon demanda qu’un Musée portant son nom soit créé à la Haute Ville, le quartier de son enfance. Ce fut chose faite en mil neuf cent quatre-vingt-cinq. La totalité de sa collection rejoignit le Musée quand il mourut à l’âge de quatre-vingt-cinq ans en mil neuf cent quatre-vingt-douze.
Depuis, le MamRA continue d’enrichir ses collections, en vente aux enchères, par don ou de gré à gré, et des dépôts permettent de diversifier les collections.
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Richard Anacréon, un personnage qui m’a été rendu familier par la lecture du Journal littéraire de Paul Léautaud, lequel fréquentait sa librairie, L’Originale, notamment pour y vendre, quand il manquait d’argent, certains des livres avec envoi qu’il avait reçus.
A cette époque où les libraires étaient aussi éditeurs, Léautaud a publié chez L’Originale Journal littéraire Fragment, illustré de quatre eaux-fortes d'André Dignimont, en mil neuf cent quarante-six, puis Souvenir de basoche, avec des eaux-fortes de G. Fournier, en mil neuf cent quarante-huit.
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Paul Léautaud, dans son Journal littéraire en mil neuf cent quarante-cinq :
Anacréon, le libraire de la rue de Seine, me téléphone ce soir. Il a été passé quelques jours dans sa famille, à Saint-Jean-le-Thomas. Il a rapporté pour moi un petit jambonneau, tout cuit, prêt à manger. Je ne peux pas le lui refuser. Il ne voudra pas, naturellement que je le paie. Les gens obligeants, serviables, sont assommants. Il y a longtemps que je juge cette manie comme une sorte de tare.
 

25 septembre 2024


Quand je reviens à mon logis provisoire après mon petit-déjeuner au Derby ce mardi, j’interroge le ciel de ma fenêtre, va-t-il pleuvoir ou non ?
J’ai sous les yeux un escalier dont la rampe est en béton imitation bois. Il permet aux valides de rejoindre l’entrée principale du Normandy (les invalides ont un passage souterrain entre le glacier et le kebabier). J’ai souvent pris cet escalier pour descendre au Plat Gousset avec qui me tenait la main lors de précédents séjours car nous logions dans un hôtel situé un peu plus haut.
Un hôtel que je décide d’aller revoir. Je monte donc l’escalier puis la rue en pente, mais je ne le retrouve pas. Peut-être a-t-il été remplacé par l’Hôtel Mercure nommé Le Grand Large. Je me demande si ce n’était pas le nom de cet hôtel à l’ancienne où les petits-déjeuners se prenaient dans les angles de l’escalier. J’étais loin d’imaginer qu’un jour, devenu vieux, je regarderais d’une fenêtre en face l’escalier à la rampe en béton imitation bois. Cela me rend mélancolique.
C’est un jour à aller relire Lagarce au Grand Café puis à faire des courses chez Utile. A midi, je déjeune encore une fois au café restaurant Au Tout Va Bien : tartelette au canard, rosbif frites et tarte Tatin, puis le temps restant gris mais sans pluie, je monte jusqu’à la terrasse de La Rafale où je suis le seul client durant un bon moment.
La rue de l’Egout est fermée pour travaux. Cela déconcerte les touristes. Vers quinze heures, au moment où je pars, une quinzaine s’installent aux tables voisines. Ils n’ont pas de chance. C’est le moment où les ouvriers de la rue de l’Egout lancent le marteau-piqueur.
Je rejoins le haut des remparts et assiste aux élégantes allées et venues sur fond de nuages gris de quatre parapentistes qui semblent n’être là que pour moi. L’un que je prends en photo quand il passe au-dessus de ma tête allongé sous son aile me salue cordialement.
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Passant souvent devant la Mairie, j’ai fini par voir la banderole qui y est apposée : « Cécile Kohler, enseignante en lien avec le collège Malraux de Granville est otage en Iran, avec son compagnon Jacques depuis le 7 mai 2022. Ensemble pour leur libération ! »
Il fut un temps où les noms des otages français à l’étranger étaient connus de tout le pays. Désormais, on ne semble se soucier d’eux que là où ces personnes étaient connues avant leur séquestration.
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Un de ma connaissance me confirme que c’est bien une goélette que je voyais dimanche matin du chemin de ronde de la Haute Ville. Sa photo, publiée par mes soins sur le réseau social Effe.Bé, montre que ce voilier a au moins deux mats, ce qui est la définition de la goélette. Un autre de ma connaissance m’apprend qu’il s’agissait de la Granvillaise.
« La Granvillaise est une réplique de bisquine construite en 1990 à Granville. C'est un lougre de pêche à trois-mâts, à coque bois et voiles au tiers. », m’explique Ouikipédia.
Fort bien, et qu’est-ce qu’une bisquine et un lougre ?
« Les bisquines sont des bateaux de pêche originaires de La Manche et gréés en « bisquine ». »
« Un lougre est un ancien type de bateau utilisé sur les côtes de la Manche et en océan Atlantique. »
On est bien avancé avec ça.
 

24 septembre 2024


La plus calme des nuits, c’est celle du dimanche au lundi. De plus, depuis quelques jours, la balayeuse ne passe plus à six heures du matin réveiller la clientèle de l’Hôtel des Bains à ma gauche, ni les handicapés du Normandy à ma droite.
Ce Normandy était aussi un hôtel à l’origine. Plus tard, la Gestapo s’y établit, puis Eisenhower. Son usage actuel me donne à réfléchir. Ces corps que l’on déplace comme des colis. J’évite de regarder de ce côté-là. Au petit jour, de jeune employées arrivent d’un bon pas, un casque à musique sur les oreilles, retrouvant des mal-en-point, dont certains déjà sortis pour fumer. Peu d’entre elles doivent se dire, c’est peut-être moi dans cinquante ans.
Comme il ne pleut pas, je vais voir de près celle qui domine Granville, l’église Saint-Paul Un petit bout de la rue Couraye et à droite commence l’escalier Saint-Paul. Au bout duquel est l’église dont le parvis sert à garer les voitures. Cette église Saint-Paul est de style romano-byzantin, inspirée de l'éclectisme de la fin du dix-neuvième siècle. C’est un édifice désacralisé, cerné d’avertissements « Danger : chute de pierres » et même fermé pour raison d’insécurité. Du béton fait avec du sable de mer, ce n’est pas bon. La municipalité veut la restaurer pour en faire un tiers lieu et espère que Stéphane Bern y mettra de l’argent avec son loto. Un autochtone s’étonne que je la photographie par temps gris.
Le tour fait, je redescends au centre-ville et rejoins le Port du Hérel et le café du même nom pour un allongé verre d’eau lecture à l’intérieur avec vue sur les bateaux de plaisance et l’église Saint-Paul. Chez Lagarce, une quantité de « ceci dit » en fin de phrase. Il est trop tard pour lui apprendre qu’il ne faut pas, cela dit.
Ce lundi, pour déjeuner, je vais au Port de Pêche et entre au Cabestan. C’est le moment où les pêcheurs partent en mer. La patronne tente à nouveau de me faire consulter la carte sur une tablette. « C’est quand même plus intéressant de regarder les chalutiers qui sortent du port que cet écran », lui dis-je. La formule du jour est sur l’ardoise : roussette et tarte amandine.
Un peu de soleil quand je m’assois à la terrasse du Pirate pour le café puis un ciel bleu inespéré durant l’après-midi. De quoi faire un aller et retour sur la Promenade du Plat Gousset qui semble nue sans ses cabines de plage. A son entrée, Yver, le glacier qui a fêté ses trente ans l’an dernier, est plus que fermé. Des ouvriers cassent la baraque avant de la refaire.
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Idée idiote – je n’en manque pas – je suis candidat à la direction du théâtre de Vesoul. (Sklong !) (Jean-Luc Lagarce Journal lundi vingt-neuf mai mil neuf cent quatre-vingt-neuf)
 

23 septembre 2024


Un jeune couple est dans le studio Air Bibi d’à côté, pas de bruit jusqu’à ce samedi quand, un peu avant minuit, elle et lui rentrent avec un troisième à qui montrer comme c’est petit et pas haut, oui, mais la vue par la fenêtre, que l’on ouvre. Je vais leur dire qu’ils ne sont pas seuls. Excuses et départ du trio. Pendant cette nuit de fin de semaine, j’entends aussi la jeunesse saoule qui passe dans la rue et la pluie incessante sur la toiture. Je dors quand même, parfois. Le couple voisin ne revient que vers cinq heures du matin, sans autres bruits que les obligés, escalier et serrure.
Ce dimanche, il faut attendre huit heures pour qu’ouvre la Boulangerie Demé, rue Lecampion. Le Derby, dans cette même rue, est déjà en action. C’est le premier jour de l’automne. Le temps est meilleur qu’annoncé. Après mon petit-déjeuner, je parcours la Brocante, un évènement mensuel, cours Jonville. On y trouve une bonne vingtaine d’exposants, dont quelques vendeurs de livres et un bouquiniste installé prés du Pirate. Il vend peu cher mais rien pour moi.
Je monte ensuite à la Haute Ville avant que le chemin de ronde ne soit accaparé par les athlètes d’un triathlon. J’y photographie deux œuvres d’art mural et en mer un voilier ancien que je n’hésite pas à qualifier de goélette bien que je n’y connaisse rien.
A dix heures, je fais l’ouverture de La Rafale à la petite table ronde à droite en entrant. Personne ne peut s’asseoir à côté de moi dans un souci de convivialité. Je relis là Lagarce Jamais là où il faut. (…) Quelle image est-ce que je donne. écrit-il le samedi vingt-sept août mil neuf cent quatre-vingt-huit.
Aux tables de celles et ceux qui causent ensemble, on se demande si la Villa Bonheur, c’est la même chose que le Château Bonheur, rapport aux Journées du Patrimoine. Le genre de question qui finit par trouver une réponse : Non. On est d’autant plus content de l’apprendre que personne n’ira. Après, les voici lancés sur les lunettes et les mutuelles, autre discussion vaseuse. Pendant ce temps, les deux serveurs font les zozos derrière le comptoir et oublient de mettre la musique à fond, une bénédiction.
Quand je redescends, je croise des filles courant le triathlon en pleine montée de marches, certaines complètement asphyxiées.
A midi, je déjeune à l’intérieur du Pirate d’un menu du jour peu renouvelé : terrine de Saint-Jacques, filet de tacaud et mousse au chocolat puis je profite d’un soleil inattendu pour un café lecture en terrasse. Rien ne me tentait vraiment aux Journées Européennes du Patrimoine et Journées du Matrimoine de Granville et surtout, les réservations obligatoires, cela m’a découragé d’emblée.
 

22 septembre 2024


Pas d’orage hier, il est maintenant attendu ce samedi à quatorze heures selon la Météo Marine. Ce qui me laisse le temps d’utiliser le dernier aller et retour de ma carte Nomad.
Je demande au chauffeur de m’arrêter à Beausoleil, commune de Saint-Pair. Un très bel endroit où le Thar, petit fleuve que j’ai eu tort l’autre jour de voir dans le centre du bourg, se  jette mollement dans la Manche.
De là, je rejoins la Promenade goudronnée qui longe la plage de Kairon, laquelle plage est invisible pour cause de haute mer. Après le poste de sauvetage, je m’offre une pause sur un banc, le soleil dans le dos, à bâbord Carolles et son Pignon Butor qui marque le début des falaises, à tribord Granville, son église Saint-Paul, ses Ports et sa Haute Ville. Sur la mer quelques petits voiliers.
Il s’agit ensuite de marcher sur cette Promenade jusqu’à Jullouville, puis la frontière passée, de continuer jusqu’à ce qui sert de centre à ce bourg. C’est ma plus longue marche de ce séjour. Je suis content d’arriver.
Il est onze heures quand je m’assois à une table ensoleillée de la terrasse d’un bar tabac jeux un peu caché nommé Au Gré Du Vent qui occupe le rez-de-chaussée d’une villa. Des quinquagénaires de mobil-homes sont à la table voisine. L’une est en pétard contre son chien qui vient de lui péter ses lunettes. « Tu vas faire un tour chez l’éducateur canin ». Un ventripotent porte un ticheurte Les Wampas. Elles et eux boivent des bières et dépensent un tas d’argent dans les jeux à perdre. Mon café allongé ne me coûte qu’un euro trente.
« Non, je ne suis pas en couple avec Pauline, hier j’en ai niqué une autre. » Ainsi s’exprime un des serveurs du Bambou, une pizzeria dont je suis le seul client à midi, ce qui laisse le temps au personnel de discuter. J’ai commandé une napolitaine avec supplément chorizo à quatorze euros. J’ai du mal à la terminer. Quand je pars, d’autres clients arrivent, ce sont les parents d’un des serveurs, peut-être de celui qui s’est qualifié de polyglotte, heu … polygame.
Direction le bord de mer où, sur un banc, j’observe les intrépides qui se baignent, tandis que du côté du Pignon Butor, ça devient gris.
Je rentre avec le treize heures vingt-deux et ai le temps d’un café verre d’eau lecture au Pirate avant les premières gouttes. En guise d’orage, une petite pluie passagère.
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Un gars du coin sur la Promenade : « Je suis un locaux, moi, j’habite ici. »
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Une collégienne parlant à sa copine de sa première permission de sortie : « Le but, ça va être de rentrer après mon grand frère. »
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Ne pas rester sur le côté. Ne serait-ce que noircir ce cahier, tout le temps, tous les jours. Bagarrer avec moi-même, seulement avec moi. (Jean-Luc Lagarce Journal trois septembre mil neuf cent quatre-vingt-huit)
 

21 septembre 2024


Il semblerait que l’été soit bientôt fini. L’orage est annoncé pour ce vendredi soir, la pluie pour les jours suivants. Avant cela, je retourne à Jullouville avec le car Nomad Trois Cent Huit dont je descends à Office de Tourisme. La mer est haute lorsque je m’engage sur la Promenade en direction de la falaise que l’on voit loin là-bas, celle de Carroles.
Au bout de la plage de Jullouville commence celle de Carolles. Plus de Promenade goudronnée mais un chemin de sable sur lequel (ou dans lequel) je n’aime pas marcher. Il se transforme ensuite, devant de coquettes villas, en chemin herbeux privé empruntable par le public. Juste avant la falaise sont amassées les cabines de plage de Carolles Plage. Seules celles du premier rang ont la vue sur mer. Là commence une série d’escaliers qui permet d’atteindre le sommet de la falaise. Un panneau indique la Cabane Vauban à deux mille deux cents mètres. Je monte un peu pour faire une photo de la plage de Carolles vue de là-haut puis je rebrousse.
De retour au bourg, je trouve à côté de l’Hôtel des Pins une table ensoleillée en terrasse chez Garence « bar à manger resto à boire ». J’y bois un allongé verre d’eau et garde la boutique à la demande du patron pendant qu’il va voir sa femme je ne sais où. A Bailar Calypso chante Elli Medeiros. Maman a tort chante Mylène Farmer. « On ferme à la fin de du mois, me dit le patron à son retour, ici ce n’est qu’une plage, après septembre il n’y a plus que des mouettes. » Deux euros dix, ce café allongé, mais il ne me laisse pas chercher la pièce de dix centimes.
Pour déjeuner, c’est au Breiz Bar, une gargote sur la route à voitures mais au soleil. Je commande un Breiz Burger, au jambon cru et au camembert. Avec les frites maison, j’en ai pour treize euros trente. Autrefois passait ici la voie ferrée. L’Office de Tourisme à côté est dans l’ancienne Gare.
Le dessert, un financier à la framboise, je l’achète un euro quarante à la boulangerie et le mange devant la mer sous les caméras de surveillance. La pendule est là pour me rappeler que le car du retour passe à treize heures vingt-deux.
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Au Café de la Gare de Granville, on s’inquiète : « Le Covid, il revient à fond de balle. »
                                                                  *
Jullouville, dit aussi Jullouville-les-Pins, est une création d’Armand Jullou.
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On m’a à nouveau coupé le téléphone. Bon. Ces gars-là sont sans pitié et l’histoire jugera. (Jean-Luc Lagarce Journal jeudi vingt-six novembre mil neuf cent quatre-vingt-sept)
 

20 septembre 2024


A nouveau le bus Deux en direction de Saint-Pair, lequel passe par Saint-Nicolas, autrefois commune, aujourd’hui quartier de Granville doté d’une belle église que je ne vois que par la vitre. Nous passons ensuite devant l’Hôpital Jacques-Monod puis descendons vers la mer. Je le quitte à l’arrêt Plage Saint-Nicolas. Sur ma droite, j’aperçois le Château de la Crête. Sur ma gauche, c’est Saint-Pair.
La mer commence à descendre, me dit un pêcheur qui soulève sa ligne pour que je puisse passer dessous afin de marcher sur le sable mouillé jusqu’à cette station balnéaire. A l’entrée du bourg, un petit détour est nécessaire pour passer un bout de rivière. Arrivé au Casino, je monte vers le centre.
C’est le marché sur la place mais il n’y a personne à la terrasse ensoleillée de L’Encre Marine, jusqu’à ce que je m’y assoie face a l’église dont le clocher pointu en pierre se détache sur le ciel bleu. Il affiche neuf heures cinquante.
L’ombre me rattrape. Je ne m’attarde pas. Le bus de dix heures quatorze me ramène à Granville. Quand il passe devant l’église Saint-Nicolas, ce sont les obsèques d’un qui devait être important ; il y a des uniformes parmi les présents.
Descendu à Plat Gousset, je passe par la rue et la place des Corsaires aux hautes et belles façades pour rejoindre le Au Tout Va Bien. Dans ce troquet de pêcheurs, l’inquiétude du jour, ce sont les gros travaux qui vont avoir lieu au centre-ville. Le Carnaval ne pourra pas y passer. L’organisation, ça va être « un vrai casse-tête chinois ». Granville est le type même de la ville restée au vingtième siècle. Ça ne va pas durer.
Je déjeune du menu proposé : salade de gésiers, rôti de bœuf, tarte aux fruits rouges. Et puis en haut à La Rafale pour me dorer au soleil avec Lagarce. Les touristes qui arrivent sur cette place ne savent souvent pas par où continuer. Ils hésitent puis beaucoup se déversent dans la rue de l’Egout.
Je fais comme ces derniers, l’ombre venue, et rentre par le chemin de ronde d’où j’admire les couleurs de la grande marée basse, une succession de nuances de beige et de nuances de bleu. Loin, très loin sont les pêcheurs à pied.
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Je ne raconte pas mes rêves. Ceux des autres m’ennuient. D’où ce choix. Et de rares exceptions. Ainsi la nuit dernière, je me retrouve à Rouen ayant quitté Granville, précisément dans une ville qui est censée être Rouen mais qui ne lui ressemble pas du tout, et je découvre que je suis rentré trop tôt, sans bagages, sans papiers, sans argent, dans cette ville où je ne connais personne. S’ensuit une série de péripéties angoissantes pour trouver de l’argent afin de retourner à Granville. Immense soulagement en me réveillant.
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Jean-Luc Lagarce, Journal, mardi sept juillet mil neuf cent quatre-vingt-sept :
Cinéma (à la télévision) : La Vie de famille de Jacques Doillon, avec l’inusable Sami Frey (toujours parfait), une gamine super, Juliet Berto et Juliette Binoche, débutante excellente.
Pas mal, pas mal. (Et Doillon pas hystérique, ça mérite d’être signalé.)
Un  film dont on reparle en ce moment, notamment la gamine super.
 

19 septembre 2024


Beau temps encore ce mercredi, j’utilise ma carte Nomad, dix voyages de proximité pour quinze euros, au maximum de sa capacité kilométrique en allant à Champeaux, juste après Carolles. Deux kilomètres plus loin, c’est Saint-Jean-de-Thomas. Il faut pour y aller une carte à vingt-cinq euros. Ce sont les petits calculs d’Hervé Morin, Duc de Normandie, chef des transports Nomad.
« A cause des travaux à Carolles, je vous déposerai au niveau d’un restaurant », me dit le chauffeur du Trois Cent Huit. « Et pour le retour ? » « Vous en faites pas, je vous expliquerai, faut bien que je serve à quelque chose. » Avec moi dans le car au départ de Granville, un vieux couple qui va au Mont (des touristes) et une femme qui va à Géant Casino devenu Intermarché (une travailleuse).
Champeaux est le pays des falaises. C’est aussi celui des chevaux, me dis-je en descendant du car devant le restaurant Chez Coco. « Au retour, c’est là-bas, devant le restaurant Le Marquis de Tombelaine », m’explique l’aimable chauffeur. Je vais voir les chevaux, des pur-sang qui s’éloignent et un percheron qui m’ignore. Nous sommes à un kilomètre du centre du bourg.
Je marche sur la grand-route, me demandant où donc est le chemin côtier de randonnée. J’arrive à une petite route pentue à quinze pour cent. Elle me mène pile à la Cabane Vauban. Car Champeaux à la sienne, semi-enterrée, plus rudimentaire que celle de Carolles et non signalée. Le sentier est là mais en le parcourant on ne peut pas voir la mer car la végétation la cache. De plus, il m’apparaît dangereux pour un vieux. J’y renonce. Je me pose sur le banc en bois qui jouxte la Cabane et je sors Lagarce
Je reste là de dix à onze heures. Peu de passage devant moi : un grand-père avec son petit-fils ou sa petite-fille sur le dos suivi de sa fille, devant les deux chiens (plutôt sympathiques), un coureur qui me dit bonjour (c’est rare), une fille seule et souriante (je l’aurais acceptée au bout de mon banc), un couple de sexagénaires (ils se tiennent à la corde) et quelques papillons. Pendant ce temps, la mer descend.
A ma gauche est la plage de Saint-Jean-de-Thomas. Ce n’est pas loin. Je pourrais y aller mais il faudrait ensuite remonter et il y a déjà suffisamment d’effort à faire pour retrouver le restaurant Chez Coco. C’est ouvert. On y propose un menu du jour à quinze euros avec buffet d’entrées et quart de vin inclus. Chez le Marquis, c’est plus cher : moules frites à dix-sept euros, plat du jour à vingt et un. En attendant midi, je prends un café à l’extérieur avec vue sur le carrefour et au loin les chevaux et la mer.
« Vous êtes le premier », me dit la serveuse. « C’est souvent le cas », lui réponds-je. Comme plat je choisis la langue sauce piquante gratin de courgettes et comme dessert une crème caramel beurre salé. Tout cela est correct. « On voit la mer, observe ma voisine de derrière, c’est peu de chose de voir la mer mais c’est beaucoup. » J’ai le temps de  boire un café à l’extérieur à une table maintenant au soleil avant d’aller devant chez le Marquis attendre le car de treize heures onze.
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Une cliente du Café de la Gare pendant mon petit-déjeuner : « L’avantage que tu sois dans une impasse, c’est qu’il n’y a pas de passage. »
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Vivre seul. Entendons par là, ne rien donner. Rester imperméable (tenter de le rester). (Jean-Luc Lagarce Journal jeudi vingt et un août mil neuf cent quatre-vingt-six)
 

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