Ravi de ma lecture au lit de « J’ai trouvé un flacon de mercure… », le choix de textes anarchistes de Félix Fénéon paru en deux mille vingt-trois dans la collection Le Bon Voisin chez HD Editions avec en couverture un portrait de profil de l’auteur signé Willem, un livre acheté un euro chez Book-Off. On y trouve la Revue du mois écoulé qu’écrivit Félix Fénéon dans La Revue des journaux et des livres entre octobre mil huit cent quatre-vingt-cinq et septembre mil huit cent quatre-vingt-six, la signant Frédéric Moreau, dans laquelle il évoque l’actualité avec l’humour pince-sans-rire que l’on retrouvera dans ses Nouvelles en trois lignes.
Extraits :
Revue du mois d’octobre mil huit cent quatre-vingt-cinq :
La demande en grâce de la Bruxelloise Jeanne Lorette, condamnée à trois ans de prison pour avoir tué, à La Haye, son amant l’exquis diplomate japonais Sakurada, est rejetée ; l’instruction du crime de Villemomble se poursuit ; pour la troisième fois revient aux assises l’affaire du docteur Estachy accusé d’avoir fait manger à son collègue Tournatoire des grives intoxiquées d’atropine ; et, pour faire suite au procès Albert Pel, voici le procès Ribout : cette fois, au lieu de particularités mélodramatiques, des détails sentimentaux ; au lieu d’une condamnation, un acquittement. Défenseur : Me Demange. Les cours d’assises se transforment en cours de chimie : désormais, nul n’a le droit d’ignorer les aimables propriétés de la colchicine et autres poisons végétaux, expéditifs et discrets au point de ne laisser aucune trace dans l’organisme.
La chronique judiciaire fut, en outre, défrayée par le sieur Sgaluppi, qui berna tout le monde, depuis Lord Lyons et le prince Orloff jusqu’à Hugo. Moyennant finances, cet industrieux escarpe, qui se faisait appeler le commandeur Albert de Sartigny, conférait à tout venant les décorations exotiques les mieux cotées : de par lui, les ordres de l’Aigle blanc de Pologne, du Palatinat romain, de la Croix blanche, etc. s’accrurent de membres nombreux ; quelques mois de prison interrompent les héraldiques opérations de ce gentilhomme.
Trop nombreux pour être énumérés en ces notes, les duels provoqués par les compétitions électorales ; d’ailleurs, ces haines-là, féroces à la tribune des réunions publiques, s’amadouent sur le terrain : une égratignure, - et la réclame est faite, l’honneur satisfait et l’électeur roulé. Bien anodin aussi le duel du peintre moderniste Henri Gervex et du comte d’Izarn de Freissinet : celui-ci en est quitte pour un pouce de fer au flanc.
Revue du mois de novembre mil huit cent quatre-vingt-cinq :
Place de la Concorde, le 29 octobre, un coup de pistolet était tiré dans la direction de la voiture de M de Freycinet, par un sieur Mariotti, qui, pendant deux ou trois jours, joua au personnage mystérieux et anonyme : ce simulacre d’attentat avait simplement pour but d’appeler l’attention publique sur un déni de justice dont ce fantaisiste agresseur se prétendait victime.
Le lendemain à trois heures et demie, comme il sortait de l’Élysée par la porte de l’avenue Gabriel, le Président de la République, - étourdissement ou, peut-être, légère attaque d’apoplexie, - se fendit la lèvre aux barreaux de la grille, minime accident qui, commenté et amplifié, causa quelque émotion.
Revue du mois de janvier mil huit cent quatre-vingt-six :
La série rouge :
Le 13. Assassinat de Monsieur Barrème, préfet de l’Eure.
Le 14. Assassinat de Madame Laplaige, rue Beaubourg.
Le 15. Assassinat de Marie Aguétant, rue Caumartin.
Le 16. La Cour d’assise de la Seine condamne à mort Barbier (affaire de la rue de Rambuteau).
Le 20. Assassinat de la femme Evrat, rue de Charenton.
Le 24. M. de Verneuil tue, boulevard du Temple, l’amant de sa femme, et blesse grièvement celle-ci.
Le 26. La fille Heuchard tue son amant.
Sont morts, en janvier, sans le concours des assassins : MM Messieurs de Falloux, ancien ministre, de Foubert et Goguet, sénateurs, Paul Baudry ; Bressant, ancien sociétaire de la Comédie-Française, le docteur Jules Guérin.
Grève des mineurs à Decazeville (Aveyron). M. Watrain, ingénieur et sous-directeur de l’exploitation, est tué par les grévistes.
Revue du mois de mars mil huit cent quatre-vingt-six :
Le 5. Trois coups de revolver sont tirés, au grand émoi des boursiers, sur la Corbeille de la Rente, par un énergumène du nom de Gallo.
Le 27. Désordres dans le bassin de Charleroi. Complète destruction des verreries de Sadin, Dorlodot, Devilley, Jonet, Mondron, Gosselies et Courcelles. A Marchiennes, la verrerie de l’Étoile et les laminoirs de Monceau sont dévastés. Le château d’Oultremont brûle. Les troupes tirent sur les révoltés, qui répliquent à coups de briques, de gourdin et de hache.
Le 28. Le romancier naturaliste, Robert Caze, meurt des suites d’une blessure reçue dans son duel avec notre confrère Charles Vignier.
Revue du mois de mai mil huit cent quatre-vingt-six :
Le 11. A Lyon, les ouvriers de la Mûlatière, en grève depuis huit jours, « manifestent » devant l’usine de M. Allouard. Des fenêtres, M. Allouard et ses employés tirent sur la foule, blessent trente personnes. Intervention de la police. Arrestation parmi les ouvriers.
Au Trocadéro, grand festival au profit de l’Institut Pasteur, MM Saint-Saëns, Léo Delibes et Gounod conduisent eux-mêmes l’exécution de leurs œuvres.
Revue du mois de juillet mil huit cent quatre-vingt-six :
Le 9. Un individu nommé Justin Cagus, originaire du Tarn, tire un coup de revolver dans la salle des séances du Palais-Bourbon.
Le 16. L’anarchiste Gallo, l’auteur de l’attentat de la Bourse est condamné à vingt ans de travaux forcés et à la relégation perpétuelle.
Obsèques du cardinal Guibert.
Le 20. Aux environs de Saint-Etienne, duel au pistolet entre M. Maxime Lisbonne, ci-devant colonel de la Commune, et M. Louis Périé, rédacteur en chef de la Loire républicaine. Résultat nul.
Revue du mois d’août mil huit cent quatre-vingt-six :
Le 5. Découverte de débris humains dans un urinoir situé en face de l’église de Montrouge. Premier paquet : deux jambes et deux bras. Deuxième paquet trouvé rue d’Alésia, contenant divers fragments du corps, une cuisse et le bassin dont on avait enlevé les intestins. Plus loin, rue Gardioni, un troisième paquet recelait le buste entier, moins le sein gauche. On recherche la tête et le sein manquant ; impossible d’établir l’identité de la victime.
Revue du mois de septembre mil huit cent quatre-vingt-six :
Les principaux incidents du mois de septembre sont les tremblements de terre aux États-Unis, l’abdication du prince-régnant de Bulgarie, l’occupation des Nouvelles-Hébrides, le mouvement insurrectionnel madrilène, la grève de Vierzon et le voyage du président du conseil dans le Midi.
Pendant la première semaine de septembre, tremblements de terre aux Etats-Unis. Les secousses sont ressenties à Pittsburgh, Cincinnati, Cleveland, Detroit, Indianapolis, New York, Santa-Cruz, Germentowm, Summerville, Chicago, Augusta, Colombia. Dommages matériels : cinq millions de dollars. Nombreux morts. La ville de Charlestown est détruite.
Le 24. MM Jules Guesde, Paul Lafargue et le docteur Susini, condamnés par défaut, le 12 août dernier, comparaissent devant la Cour d’assises de la Seine sous l’inculpation : le premier, d’excitation au meurtre et au pillage ; le second, d’excitation au pillage, le troisième, d’excitation au meurtre. Me Lenoêl-Zévort les assiste. Les accusés présentent eux-mêmes leur défense, exposent leurs doctrines socialistes, et sont acquittés.
*
Autre intéressante lecture : Le Traité de la servitude volontaire d’Etienne de La Boétie, trouvé dans une boite à livres rouennaise, que je ‘n’avais jamais lu, un texte écrit à seize ou dix-huit ans publié longtemps après sa mort.
*
Une grosse déception : la Correspondance Vladimir Nabokov / Edmund Wilson. Ces deux messieurs qui n’avaient rien de personnel à se dire m’ont ennuyé avec leurs petites querelles littéraires et leurs nombreux débats sur la traduction du russe en anglais.
Déçu aussi par les textes, les photos et la plupart des dessins de la revue érotique, littéraire et graphique Stupre, représentative du fade vingt et unième siècle.
Extraits :
Revue du mois d’octobre mil huit cent quatre-vingt-cinq :
La demande en grâce de la Bruxelloise Jeanne Lorette, condamnée à trois ans de prison pour avoir tué, à La Haye, son amant l’exquis diplomate japonais Sakurada, est rejetée ; l’instruction du crime de Villemomble se poursuit ; pour la troisième fois revient aux assises l’affaire du docteur Estachy accusé d’avoir fait manger à son collègue Tournatoire des grives intoxiquées d’atropine ; et, pour faire suite au procès Albert Pel, voici le procès Ribout : cette fois, au lieu de particularités mélodramatiques, des détails sentimentaux ; au lieu d’une condamnation, un acquittement. Défenseur : Me Demange. Les cours d’assises se transforment en cours de chimie : désormais, nul n’a le droit d’ignorer les aimables propriétés de la colchicine et autres poisons végétaux, expéditifs et discrets au point de ne laisser aucune trace dans l’organisme.
La chronique judiciaire fut, en outre, défrayée par le sieur Sgaluppi, qui berna tout le monde, depuis Lord Lyons et le prince Orloff jusqu’à Hugo. Moyennant finances, cet industrieux escarpe, qui se faisait appeler le commandeur Albert de Sartigny, conférait à tout venant les décorations exotiques les mieux cotées : de par lui, les ordres de l’Aigle blanc de Pologne, du Palatinat romain, de la Croix blanche, etc. s’accrurent de membres nombreux ; quelques mois de prison interrompent les héraldiques opérations de ce gentilhomme.
Trop nombreux pour être énumérés en ces notes, les duels provoqués par les compétitions électorales ; d’ailleurs, ces haines-là, féroces à la tribune des réunions publiques, s’amadouent sur le terrain : une égratignure, - et la réclame est faite, l’honneur satisfait et l’électeur roulé. Bien anodin aussi le duel du peintre moderniste Henri Gervex et du comte d’Izarn de Freissinet : celui-ci en est quitte pour un pouce de fer au flanc.
Revue du mois de novembre mil huit cent quatre-vingt-cinq :
Place de la Concorde, le 29 octobre, un coup de pistolet était tiré dans la direction de la voiture de M de Freycinet, par un sieur Mariotti, qui, pendant deux ou trois jours, joua au personnage mystérieux et anonyme : ce simulacre d’attentat avait simplement pour but d’appeler l’attention publique sur un déni de justice dont ce fantaisiste agresseur se prétendait victime.
Le lendemain à trois heures et demie, comme il sortait de l’Élysée par la porte de l’avenue Gabriel, le Président de la République, - étourdissement ou, peut-être, légère attaque d’apoplexie, - se fendit la lèvre aux barreaux de la grille, minime accident qui, commenté et amplifié, causa quelque émotion.
Revue du mois de janvier mil huit cent quatre-vingt-six :
La série rouge :
Le 13. Assassinat de Monsieur Barrème, préfet de l’Eure.
Le 14. Assassinat de Madame Laplaige, rue Beaubourg.
Le 15. Assassinat de Marie Aguétant, rue Caumartin.
Le 16. La Cour d’assise de la Seine condamne à mort Barbier (affaire de la rue de Rambuteau).
Le 20. Assassinat de la femme Evrat, rue de Charenton.
Le 24. M. de Verneuil tue, boulevard du Temple, l’amant de sa femme, et blesse grièvement celle-ci.
Le 26. La fille Heuchard tue son amant.
Sont morts, en janvier, sans le concours des assassins : MM Messieurs de Falloux, ancien ministre, de Foubert et Goguet, sénateurs, Paul Baudry ; Bressant, ancien sociétaire de la Comédie-Française, le docteur Jules Guérin.
Grève des mineurs à Decazeville (Aveyron). M. Watrain, ingénieur et sous-directeur de l’exploitation, est tué par les grévistes.
Revue du mois de mars mil huit cent quatre-vingt-six :
Le 5. Trois coups de revolver sont tirés, au grand émoi des boursiers, sur la Corbeille de la Rente, par un énergumène du nom de Gallo.
Le 27. Désordres dans le bassin de Charleroi. Complète destruction des verreries de Sadin, Dorlodot, Devilley, Jonet, Mondron, Gosselies et Courcelles. A Marchiennes, la verrerie de l’Étoile et les laminoirs de Monceau sont dévastés. Le château d’Oultremont brûle. Les troupes tirent sur les révoltés, qui répliquent à coups de briques, de gourdin et de hache.
Le 28. Le romancier naturaliste, Robert Caze, meurt des suites d’une blessure reçue dans son duel avec notre confrère Charles Vignier.
Revue du mois de mai mil huit cent quatre-vingt-six :
Le 11. A Lyon, les ouvriers de la Mûlatière, en grève depuis huit jours, « manifestent » devant l’usine de M. Allouard. Des fenêtres, M. Allouard et ses employés tirent sur la foule, blessent trente personnes. Intervention de la police. Arrestation parmi les ouvriers.
Au Trocadéro, grand festival au profit de l’Institut Pasteur, MM Saint-Saëns, Léo Delibes et Gounod conduisent eux-mêmes l’exécution de leurs œuvres.
Revue du mois de juillet mil huit cent quatre-vingt-six :
Le 9. Un individu nommé Justin Cagus, originaire du Tarn, tire un coup de revolver dans la salle des séances du Palais-Bourbon.
Le 16. L’anarchiste Gallo, l’auteur de l’attentat de la Bourse est condamné à vingt ans de travaux forcés et à la relégation perpétuelle.
Obsèques du cardinal Guibert.
Le 20. Aux environs de Saint-Etienne, duel au pistolet entre M. Maxime Lisbonne, ci-devant colonel de la Commune, et M. Louis Périé, rédacteur en chef de la Loire républicaine. Résultat nul.
Revue du mois d’août mil huit cent quatre-vingt-six :
Le 5. Découverte de débris humains dans un urinoir situé en face de l’église de Montrouge. Premier paquet : deux jambes et deux bras. Deuxième paquet trouvé rue d’Alésia, contenant divers fragments du corps, une cuisse et le bassin dont on avait enlevé les intestins. Plus loin, rue Gardioni, un troisième paquet recelait le buste entier, moins le sein gauche. On recherche la tête et le sein manquant ; impossible d’établir l’identité de la victime.
Revue du mois de septembre mil huit cent quatre-vingt-six :
Les principaux incidents du mois de septembre sont les tremblements de terre aux États-Unis, l’abdication du prince-régnant de Bulgarie, l’occupation des Nouvelles-Hébrides, le mouvement insurrectionnel madrilène, la grève de Vierzon et le voyage du président du conseil dans le Midi.
Pendant la première semaine de septembre, tremblements de terre aux Etats-Unis. Les secousses sont ressenties à Pittsburgh, Cincinnati, Cleveland, Detroit, Indianapolis, New York, Santa-Cruz, Germentowm, Summerville, Chicago, Augusta, Colombia. Dommages matériels : cinq millions de dollars. Nombreux morts. La ville de Charlestown est détruite.
Le 24. MM Jules Guesde, Paul Lafargue et le docteur Susini, condamnés par défaut, le 12 août dernier, comparaissent devant la Cour d’assises de la Seine sous l’inculpation : le premier, d’excitation au meurtre et au pillage ; le second, d’excitation au pillage, le troisième, d’excitation au meurtre. Me Lenoêl-Zévort les assiste. Les accusés présentent eux-mêmes leur défense, exposent leurs doctrines socialistes, et sont acquittés.
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Autre intéressante lecture : Le Traité de la servitude volontaire d’Etienne de La Boétie, trouvé dans une boite à livres rouennaise, que je ‘n’avais jamais lu, un texte écrit à seize ou dix-huit ans publié longtemps après sa mort.
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Une grosse déception : la Correspondance Vladimir Nabokov / Edmund Wilson. Ces deux messieurs qui n’avaient rien de personnel à se dire m’ont ennuyé avec leurs petites querelles littéraires et leurs nombreux débats sur la traduction du russe en anglais.
Déçu aussi par les textes, les photos et la plupart des dessins de la revue érotique, littéraire et graphique Stupre, représentative du fade vingt et unième siècle.