François, notre conducteur, annonce d’un ton enjoué qu’à l’approche de Paris Saint-Lazare nous circulons avec deux minutes d’avance. Je rejoins la Bastille avec le bus Vingt-Neuf qui dévie toujours le Marais à la surprise de celles et ceux qui y allaient. Les trottoirs sont mouillés ce mercredi. Il a plu. Il ne pleuvra plus. « Parfois ils ne disent pas la vérité », commente un commerçant du Marché d’Aligre. Aucun livre n’est là pour moi.
En attendant onze heures, je prends un café assis, toujours à deux euros vingt, au Camélia. Une vieille dilapide sa retraite dans les cartes à gratter. Un sportif boit un café au comptoir, à qui elle demande de faire une flexion, jambes tendues, jusqu’à toucher le bout de ses pieds. Une formalité pour lui. « Il faut être jeune, lui dit-elle, moi j’ai quatre-vingts ans. » « Bon courage », lui répond-il. Elle ne cesse de se réapprovisionner et de perdre. « C’est du vol, c’est comme les politiques », se plaint-t-elle.
A l’ouverture de Book-Off, je me débarrasse de quatre lourds livres contre la modique somme de huit euros puis en dépense six pour Bonne nuit, Œdipe de Joseph Barry (Seuil), Chroniques du hasard d’Elena Ferrante, illustrations d’Andrea Ucini (Gallimard), Dans la forêt du miroir (Essais sur les mots et sur le monde) d’Alberto Manguel (Actes Sud / Léméac), Sauve qui peut la vie de Nicole Lapierre (Seuil), « J’ai trouvé un flacon de mercure… » (Choix de textes anarchistes 1884 – 1895) de Félix Fénéon (Le Bon Voisin) et le premier numéro de la revue érotique, littéraire et graphique Stupre, cet exemplaire ayant été offert avec les mots suivants : « Pour Dorothée. Une dédicace profonde et dure. Enjoy » (elle n’en a pas été assez pénétrée).
Je suis à peine dans le métro Un quand la voix annonce qu’il n’ira pas plus loin que Gare de Lyon en raison d’un dégagement de fumée à Saint-Paul. A ce nouveau terminus, la rame est accueillie par des gilets orange criant à tous de descendre, ce qui fait paniquer les non francophones. Après une bonne marche souterraine, je rejoins la ligne Quatorze, en descends à Châtelet, marche encore longtemps dans des couloirs avant de pouvoir remonter par le Forum des Halles (la pire horreur qui soit à Paris) d’où j’émerge près de l’église Saint-Eustache, encore une bonne marche à l’air libre et me voici au Diable des Lombards à seulement midi et demi pour une quiche au thon suivie d’une dorade entière rôtie légumes verts sauce vierge. L’écran muet annonce que Donald Trump veut faire de Gaza une deuxième Côte d’Azur. Mes voisins ont des conversations de collègues : « Les bagnards, ils cassaient des cailloux toute la journée. Le soir, ils savaient ce qu’ils avaient fait. Nous, on ne sait pas. ».
Pour finir, j’achève de remplir mon sac de livres à un euro aux deux autres Book-Off. Enquête sur des lieux de Petr Král (Flammarion), Le supplice des week-ends de Robert Benchley (Pavillon Poche Laffont) et Comment ne pas devenir écrivain voyageur d’Adrien Blouet (Notabilia) à Saint-Martin. Panama Al Brown d’Eduardo Arroyo (Cahiers Rouges Grasset) et East Village Blues de Chantal Thomas avec photos d’Allen S. Weiss (Points) à Quatre Septembre.
Dans le train de retour, je poursuis ma lecture de la Correspondance de Clementine et Winston Churchill. Tandis qu’il commande son bataillon dans les tranchées chez les Flamands, elle crée des cantines ouvrières dans les usines d’armement d’Angleterre.
Désormais, le jour est encore présent lorsque je sors de la Gare de Rouen à six heures moins une.
*
Ces vieilles et ces vieux qui se vantent de leur grand âge auprès de n’importe qui. Comme s’il y avait un quelconque mérite à en être arrivé là.
En attendant onze heures, je prends un café assis, toujours à deux euros vingt, au Camélia. Une vieille dilapide sa retraite dans les cartes à gratter. Un sportif boit un café au comptoir, à qui elle demande de faire une flexion, jambes tendues, jusqu’à toucher le bout de ses pieds. Une formalité pour lui. « Il faut être jeune, lui dit-elle, moi j’ai quatre-vingts ans. » « Bon courage », lui répond-il. Elle ne cesse de se réapprovisionner et de perdre. « C’est du vol, c’est comme les politiques », se plaint-t-elle.
A l’ouverture de Book-Off, je me débarrasse de quatre lourds livres contre la modique somme de huit euros puis en dépense six pour Bonne nuit, Œdipe de Joseph Barry (Seuil), Chroniques du hasard d’Elena Ferrante, illustrations d’Andrea Ucini (Gallimard), Dans la forêt du miroir (Essais sur les mots et sur le monde) d’Alberto Manguel (Actes Sud / Léméac), Sauve qui peut la vie de Nicole Lapierre (Seuil), « J’ai trouvé un flacon de mercure… » (Choix de textes anarchistes 1884 – 1895) de Félix Fénéon (Le Bon Voisin) et le premier numéro de la revue érotique, littéraire et graphique Stupre, cet exemplaire ayant été offert avec les mots suivants : « Pour Dorothée. Une dédicace profonde et dure. Enjoy » (elle n’en a pas été assez pénétrée).
Je suis à peine dans le métro Un quand la voix annonce qu’il n’ira pas plus loin que Gare de Lyon en raison d’un dégagement de fumée à Saint-Paul. A ce nouveau terminus, la rame est accueillie par des gilets orange criant à tous de descendre, ce qui fait paniquer les non francophones. Après une bonne marche souterraine, je rejoins la ligne Quatorze, en descends à Châtelet, marche encore longtemps dans des couloirs avant de pouvoir remonter par le Forum des Halles (la pire horreur qui soit à Paris) d’où j’émerge près de l’église Saint-Eustache, encore une bonne marche à l’air libre et me voici au Diable des Lombards à seulement midi et demi pour une quiche au thon suivie d’une dorade entière rôtie légumes verts sauce vierge. L’écran muet annonce que Donald Trump veut faire de Gaza une deuxième Côte d’Azur. Mes voisins ont des conversations de collègues : « Les bagnards, ils cassaient des cailloux toute la journée. Le soir, ils savaient ce qu’ils avaient fait. Nous, on ne sait pas. ».
Pour finir, j’achève de remplir mon sac de livres à un euro aux deux autres Book-Off. Enquête sur des lieux de Petr Král (Flammarion), Le supplice des week-ends de Robert Benchley (Pavillon Poche Laffont) et Comment ne pas devenir écrivain voyageur d’Adrien Blouet (Notabilia) à Saint-Martin. Panama Al Brown d’Eduardo Arroyo (Cahiers Rouges Grasset) et East Village Blues de Chantal Thomas avec photos d’Allen S. Weiss (Points) à Quatre Septembre.
Dans le train de retour, je poursuis ma lecture de la Correspondance de Clementine et Winston Churchill. Tandis qu’il commande son bataillon dans les tranchées chez les Flamands, elle crée des cantines ouvrières dans les usines d’armement d’Angleterre.
Désormais, le jour est encore présent lorsque je sors de la Gare de Rouen à six heures moins une.
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Ces vieilles et ces vieux qui se vantent de leur grand âge auprès de n’importe qui. Comme s’il y avait un quelconque mérite à en être arrivé là.