Le Journal de Michel Perdrial
Le Journal de Michel Perdrial



Loïc Boyer
Je suis l’auteur de textes courts qui furent publiés depuis mil neuf cent quatre-vingt-quinze dans des revues littéraires en France (Supérieur Inconnu, Supplément d’Ame, Nouvelle Donne, Le Bord de l’Eau, Pris de Peur, l’Art du Bref, Sol’Air, Gros Textes, Salmigondis, Verso, Décharge, Bulle, Filigranes, Diérèse, Martobre, Comme ça et Autrement, (Cahier d’) Ecritures, La Nef des Fous), en Belgique (Traversées, Ecrits Vains, L’Arbre à Plumes, Inédit Nouveau, Bleu d’Encre), au Canada (Les Saisons Littéraires) et en Italie (Les Cahiers du Ru).
Les courageuses Editions du Chardon ont publié en mil neuf cent quatre-vingt-dix-neuf Erotica, un recueil de vingt-huit de ces textes, illustré par Isabelle Pio et Antoine Lopez et préfacé par Sarane Alexandrian, toujours disponible auprès de moi.
Je suis également l’auteur d’une pièce de théâtre et de plusieurs romans ou récits à ce jour inédits.
Depuis le onze novembre deux mille six, je publie mon Journal via Internet, un temps sous-titré Persiflages, moquages et autres énervages mâtinés de complimentages et de contentages. Sa première partie est lisible chez Eklablog, la deuxième ici.
Je vis au centre de Rouen dans un ancien monastère où autrefois les Sœurs de la Miséricorde se vouaient à l’éducation des jeunes filles.







Rss

Vagabondant avec Lawrence Ferlinghetti

17 mars 2025


De ma lecture des carnets de route écrits entre mil neuf cent soixante et deux mille dix par Lawrence Ferlinghetti illustrés de dessins de l’auteur publiés au Seuil sous le titre La Vie vagabonde, ces quelques notes prises dans la première moitié du livre :
New York, premier avril mil neuf cent soixante : Toujours est-il que Jack n’a rien de Beat ni de Beatnik, hormis dans l’esprit de milliers de lecteurs de Sur la route persuadés que c’est une espèce de rebelle fou déchaîné, alors que ce n’est en réalité qu’un « bon gars de chez nous » du petit bourg de Lowell et tout sauf un rebelle.
Port-au-Prince, novembre décembre mil neuf cent soixante : Un véritable paradis tropical (mieux même que la Bolivie où la population en est encore à déféquer dans les rues). Ici nous avons des conditions de vie véritablement uniques, des femmes, des femmes-enfants indigènes encore disponibles pour soixante cents (argent américain), de joyeux indigènes hauts en couleur dansant d’innocentes danses vaudoues.
Mexique, vingt-neuf octobre mil neuf cent soixante et un : J’écris ces mots assis dans les toilettes payantes de la station Greyhound de Calisco, après avoir repassé la frontière le lendemain matin. Soudain mon stylo-bille acheté seize cents m’échappe des doigts et tombe dans la cuvette. Là, je commets une grave erreur. Je tire la chasse, espérant clarifier les eaux troubles, puis récupérer mon stylo. Une fois les eaux éclaircies, mon stylo a disparu, à jamais. Il réapparaîtra peut-être d’ici quelques siècles dans les alluvions du Rio Grande et un descendant d’Américains au teint étrange se demandera de quelle étrange arme il s’agit, et combien elle en a tué avec quelles munitions.
Le Pickwick Hotel, San Diego, trente octobre mil neuf cent soixante et un : Toute la nuit sous la fenêtre, les cars Greyhound grondent et font chauffer leurs moteurs, embrayent, s’éloignent bruyamment, déboulent en mugissant, leurs haut-parleurs à fond. Trois étages plus haut, je suis propulsé toutes les dix minutes dans une direction différente – Dallas, La Nouvelle-Orléans, Tijuana, Los Angeles (prononcé Loss-Angle-less : aucun angle, aucune perspective), New York. Toute la nuit je suis appelé par la mère de quelqu’un qui m’a égaré dans un autre dépôt.
Paris, le trente mai mil neuf cent soixante-trois : Me revois sur le balcon, avec une liasse de feuilles, bleu pâle ou vertes, à présent dans un carton au grenier de San Francisco … me prenais pour le Proust américain, amoureux de Thomas Wolfe, baisant la Grande Femme d’Europe. Le propriétaire de l’appartement, Monsieur Edgar Letellier, un musicien classique qui ressemblait à Einstein, avec sa femme plantureuse & leurs deux jeunes filles, trop jeunes pour moi, à peine sorties de l’enfance, pas vraiment jeunes filles en fleur. Je marche dans la rue de la Roquette, les mêmes vieille putains … Café du Tambour, place de la Bastille. … Reste assis là en terrasse au moins deux heures, à observer les visages fantastiques, authentique scène de rue digne des Enfants du Paradis, ou d’un autre siècle.
Saint-Tropez, le vingt-trois juin mil neuf cent soixante-trois : C’est comme ça que je suis tombé sur Albert Cossery à la terrasse du premier café dans lequel j’entre au matin, alors que justement je le cherchais – il est là, c’est exactement comme ça que je me doutais que je le trouverais, sans télégramme ni rendez-vous. Nous allons sur une plage sauvage magnifique à l’autre bout de l’île & passons la journée à prendre le soleil & nager avec divers couples français, des amis à lui, tous jeunes (il doit avoir dans les quarante-cinq ans, mais ressemble à Jean Gabin jeune) – tous à poil – à l’exception d’une garce américaine, mannequin pour Vogue, qui refuse de se déshabiller « en présence d’hommes qu’elle ne connaît pas » – ou plutôt dit qu’elle n’aime pas voir « des hommes qu’elle me connaît pas » nus.
Paris, trois et quatre juillet mil neuf cent soixante-trois : Deux derniers jours fantastiques à Paris, commencés avec la lecture de poésie à l’American Center de Montparnasse – Harold Norse et moi, présentés par Jean-Jacques Lebel ; Lebel & moi arrivons affublés de masques à gaz – ça gaze – public, nombreux – et ensuite chez Alain Jouffroy tout le monde a fumé de l’herbe et danse, Harold Norse avec un boléro sur la tête, jouant les toreros, utilisant un châle comme une cape, je lui enlève son couvre-chef par derrière, avec l’intention de le faire voltiger à travers la pièce, sauf que sa perruque dont tout le monde ignorait l’existence se détache en même temps, révélant son crâne chauve que personne ne soupçonnait, immédiatement il remet le chapeau et postiche sur sa tête, tandis que Lebel et consorts se bidonnent & que Norse continue sa danse, subjugué…
Mexique, octobre novembre mil neuf cent soixante-quinze : Je fais ce voyage de Mexico au Golfe du Mexique, aller et retour, sans bagages ni personne – uniquement ce qui tient dans mes poches. Le besoin de bagages est une forme d’insécurité.
Notes de Boulder, juillet mil neuf cent quatre-vingt-deux : Dire que l’on est « révolutionnaire », c’est un peu comme dire qu’on est bouddhiste zen – Si on le dit, c’est probablement qu’on ne l’est pas.