Le Journal de Michel Perdrial

Le Journal de Michel Perdrial




Loïc Boyer
Je suis l’auteur de textes courts qui furent publiés depuis mil neuf cent quatre-vingt-quinze dans des revues littéraires en France (Supérieur Inconnu, Supplément d’Ame, Nouvelle Donne, Le Bord de l’Eau, Pris de Peur, l’Art du Bref, Sol’Air, Gros Textes, Salmigondis, Verso, Décharge, Bulle, Filigranes, Diérèse, Martobre, Comme ça et Autrement, (Cahier d’) Ecritures, La Nef des Fous), en Belgique (Traversées, Ecrits Vains, L’Arbre à Plumes, Inédit Nouveau, Bleu d’Encre), au Canada (Les Saisons Littéraires) et en Italie (Les Cahiers du Ru).
Les courageuses Editions du Chardon ont publié en mil neuf cent quatre-vingt-dix-neuf Erotica, un recueil de vingt-huit de ces textes, illustré par Isabelle Pio et Antoine Lopez et préfacé par Sarane Alexandrian, toujours disponible auprès de moi.
Je suis également l’auteur d’une pièce de théâtre et de plusieurs romans ou récits à ce jour inédits.
Depuis le onze novembre deux mille six, je publie mon Journal via Internet, un temps sous-titré Persiflages, moquages et autres énervages mâtinés de complimentages et de contentages. Sa première partie est lisible chez Eklablog, la deuxième ici.
Je vis au centre de Rouen dans un ancien monastère où autrefois les Sœurs de la Miséricorde se vouaient à l’éducation des jeunes filles.







Rss

16 octobre 2018


J’arrive vers dix-huit heures ce vendredi au Centre Photographique Rouen Normandie, rue de la Chaîne, qui ouvre sa saison avec Farce Satrape de Thorsten Brinkmann. C’est la première exposition personnelle en France de cet artiste allemand. On y voit des autoportraits en dignitaire de comédie pris à distance avec un déclencheur. Devenu roi, reine, prince, princesse, chevalier, il est vêtu de nippes, armé d’objets de récupération et porte comme heaume un objet détourné. Les tons dominants sont l’ocre, le vert émeraude, le vermillon et le lapis-lazuli. Certaines photos sont augmentées d’objets de seconde main les transformant en installations. D’autres sont prolongées par une peinture murale.
« L’œuvre de Thorsten Brinkmann procède en premier lieu d’une collecte assidue d’objets esseulés, usés, dysfonctionnels, mis à la marge par chacun d’entre nous. Nous laissant porter, tantôt allègrement, tantôt avec une molle résistance, par le courant de la société de consommation dans laquelle nous sommes immergés, il en est peu pour se retourner vers ces objets incessamment absorbés dans le vortex de l’obsolète. », écrit plaisamment dans sa présentation de l’exposition Raphaëlle Stopin, maîtresse des lieux.
Je trouve ça décorakitsch. Cela ne me déplaît pas mais ne m’intéresse pas davantage.
Deux marins du Mir passent devant la galerie sans faire plus qu’y jeter un coup d’œil en biais. Cinq minutes plus tard, trois soldates russes entrent sans hésitation. Chacune porte plusieurs sacs à la main car elles viennent de magasiner. Elles regardent chaque œuvre exposée puis repartent comme elles sont venues. Je trouve beaucoup de têtes nouvelles dans ce vernissage et des anciennes issues pour certaines de l’Esadhar (ex Ecole Régionale des Beaux-Arts). L’une porte deux cartons vides trouvés dans la rue et les garde serrés contre elle le temps de sa présence, se livrant ainsi à une discrète performance en hommage à l’artiste célébré ce soir, lequel se définit lui-même par le pléonastique « serialsammler » (collectionneur en série).
Je reste jusqu’au moment des prises de paroles, mais comme ici on ne parle pas allemand et que Thorsten Brinkmann ne parle pas français, l’échange est réduit à peu de chose. Un « verre de l’amitié » suit dont je me dispense.
                                                                  *
Ce samedi marque le début de la Fête du Ventre, dont le succès n’est pas à démontrer. Une fête de la panse attirera toujours plus qu’une fête de la pensée. Cette année, pour cause de travaux,  l’estomac déborde rue de la Jeanne et, pour cause de sécurité, il est ceinturé par des plots en béton. «  Qu’est-ce qui te tente ? », demande un père à sa fille vingtenaire. « Tout me tente, lui répond-elle, enfin plus ou moins ».
                                                                 *
Le traditionnel concert de carillon d’onze heures et demie est un hommage à Charles Aznavour. Au Son du Cor, où c’est encore peut-être la dernière fois que l’on peut prendre un café au soleil en terrasse, on écoute Compay Segundo. Une paix royale règne au jardin dans l’après-midi, les ouvriers de la flèche de la cathédrale sont en ouiquennede et les chiens ailleurs. J’y tapote ce texte tandis que me parviennent les chants et les slogans de la nouvelle mal nommée Marche pour le Climat.
                                                                 *
Objectif de chaque jour : ne pas se laisser absorber dans le vortex de l’obsolète.
 

15 octobre 2018


Des mois que la flèche de la Cathédrale de Rouen a sa base enrubannée, comme un gros doigt dressé vers le ciel auquel pour soigner la blessure on aurait mis une poupée (comme disait ma grand-mère). Depuis quelques jours, les ouvriers ont commencé le gros nettoyage et c’est comme de vivre à côté d’une usine. Il y en a pour plusieurs années de travaux. J’espère que les phases ultérieures seront moins gênantes pour mon hyperacousie.
En revanche, plus que quelques jours à devoir vivre à proximité d’un chenil. La rentrée scolaire a parfois du bon. Aboyus va aller se faire entendre ailleurs. En attendant, chacun dans la copropriété peut constater, qu’avec son copain Abrutus, il est en liberté dans le jardin. Chacun, sauf la voisine qui avait elle aussi un chien (bien moins bruyant qu’Aboyus) à qui la représentante du syndic, amie des propriétaires du duo canin, avait juré qu’aucun chien n’allait dans le jardin sans être tenu en laisse. Je lui avais dit que c’était un mensonge et que le règlement de copropriété l’obligeait (comme il interdit la présence d’animaux criards).
Cette autre voisine à chien n’est plus là, ayant disparu avec son animal pendant mes vacances à Montpellier. Je n’ai pas encore osé demander à sa fille qui occupe maintenant son appartement ce qui lui est arrivé.
Une autre vieille voisine a disparu depuis plusieurs mois. Comme elle a une fille, on peut espérer qu’elle n’est pas morte, oubliée dans son appartement.
                                                                *
Boualem Sansal était à la librairie L’Armitière ce jeudi soir. Je voulais y aller et puis j’ai eu la flemme. Je l’ai entendu sur France Culture dans Le Réveil culturel de Tewfick Hakem. Quel courage il a de vivre encore en Algérie où il est si mal vu, où sa vie est potentiellement en danger. « Là-bas je n’ai aucune vie sociale », disait-il. Outre sa critique du régime, on lui reproche ses prises de position sur l’islam, d’être allé en Israël, d’avoir signé la pétition contre le nouvel antisémitisme.
Une autre invitée de Tewfick Hakem, la bédéiste Emma, une féministe qui est favorable au port du voile à l’école. Elle a parlé avec des femmes voilées qui l’on convaincue qu’elles s’habillaient ainsi par choix personnel. Cette spécialiste de la charge mentale ignore tout de la charge sociale.
                                                               *
Vendredi matin, place du Vieux, une mère et son fils :
-T’es pas à l’école pour faire rire les autres, t’es à l’école pour travailler. Ou alors t’as qu’à aller au cours de théâtre.
-Mais au cours de théâtre on s’ennuie pendant des heures !
                                                               *
Au Sacre, vendredi après-midi :
-C’était peut-être le dernier café au soleil.
-Ça fait combien de fois qu’on le dit ?
 

12 octobre 2018


Sorti du Camélia, j’entre au second Book-Off et y trouve de quoi me plaire dans les livres à un euro, dont Scènes de ménagerie, dessins d’André François et mini textes de Vincent Pachès précédemment publiés dans le Monde en deux mille et deux mille un (Seuil), et, rangé par erreur dans les livres à cinq et sept euros, Mes chères cousines (Lettres d’Alexandre Vialatte à Guite et Anne Vincent 1916-1929), le numéro quarante-trois des Cahiers d’Alexandre Vialatte.
J’ai l’intention de poursuivre jusqu’à l’ex Mona Lisait du quartier Beaubourg où l’on m’a signalé deux curiosités mais à cause de la chaleur et d’une douleur qui me traverse parfois le pied gauche, je m’offre une pause sur un banc à l’ombre dans le jardin de la Place des Vosges, dont trois fontaines sur quatre fonctionnent ; laissant à d’autres le plaisir de bronzer sur la pelouse. Une femme s’assoit à ma gauche puis quand un autre banc se libère, préfère s’éloigner. Un municipal chargé de balayer les premières feuilles mortes dans les allées ne se prive pas d’envoyer la poussière sur les allongé(e)s. Je commence la lecture de la deuxième nouvelle du recueil de Stefan Zweig La Peur. Intitulée Révélation inattendue d’un métier, elle se passe à Paris :
Pas un Parisien ne connaissait mon arrivée ni ne m’attendait. J’étais souverainement libre de faire ce que je voulais. Je pouvais à ma fantaisie flâner ou lire le journal, m’asseoir dans un café, manger, visiter un musée, regarder les vitrines ou bouquiner sur les quais ; je pouvais téléphoner à des amis ou me contenter de humer l’air doux et tiède ; libre comme je l’étais, tout cela m’était permis et mille autres choses encore.
En quoi je peux me reconnaître, hormis le fait que, si j’y ai une ancienne amoureuse, je n’ai pas d’amis à qui téléphoner dans la capitale et que je ne regarde plus les vitrines depuis longtemps, sauf celles exposant des livres.
Le temps passe plus vite qu’il ne le faudrait. N’ayant pas envie de courir jusqu’à mon but, j’y renonce et me fais véhiculer lentement par un bus Vingt jusqu’à Saint-Lazare.
Après un café et deux verres d’eau A la Ville d’Argentan, j’entre en gare et apprends que la bétaillère de dix-sept heures quarante-huit sera en retard. Elle est encore au dépôt des Batignolles où elle souffre de difficultés de préparation « veuillez nous excuser pour la gêne occasionnée ».
Elle finit par arriver et part avec quarante minutes de retard. Après avoir terminé Révélation inattendue d’un métier, je réfléchis à mes écritures. Dans un mois, ce sera le douzième anniversaire de ce Journal et, pour la première fois, je m’interroge sur l’intérêt de continuer. Par ailleurs, comment faire pour que les romans ou récits que j’ai écrits autrefois ne disparaissent pas avec moi.
Le ciel est gris à l’arrivée à Rouen et le pavé de ma ruelle mouillé.
                                                            *
Jeudi onze octobre, pointe de fréquentation de mes écritures quasi quotidiennes, deux cent soixante-trois visites et quatre cent quinze pages lues, à mettre sur le plateau positif de la balance.
 

11 octobre 2018


A peine le Corail de sept heures cinquante-neuf a-t-il quitté la gare de Rouen ce mercredi que les contrôleurs déboulent dans la voiture Six où j’ai place coutumière (ses toilettes sont hors d’usage depuis des semaines), même pas un premier passage pour que celles et ceux qui ne sont pas tout à fait en règle puissent se sjgnaler. Derrière moi sont assis deux mâles qui vont au Mondial de l’Automobile et qui en parlent. Je change de place pour lire La Peur de Stefan Zweig (première nouvelle du recueil du même nom) dans l’édition Cahiers Rouges de Grasset. Peu avant l’arrivée à Saint-Lazare, la cheffe de bord annonce pour bientôt la présence de contrôleurs en civil dans les trains et vingt-sept degrés cet après-midi dans la capitale.
Il fait déjà beau quand je rejoins à pied le Book-Off de Quatre Septembre avec un sac de livres à vendre. J’en tire neuf euros soixante-dix et en dépense sept dans la boutique. Le métro Trois, dans le couloir duquel je découvre que l’on donne justement une adaptation de La Peur au Théâtre Michel, m’emmène à Ledru-Rollin d’où je vais au marché d’Aligre, dont le stock de livres ne se renouvelle pas, puis chez Emmaüs, où je donne deux livres invendus et découvre un gisement de vieux Poésie/Gallimard (Artaud Breton Eluard Jammes Lautréamont Lorca Rilke Tardieu) que je fais mien à un euro les trois. Devant la boutique sont installées des tentes blanches sous lesquelles mange avant midi une équipe de cinéma sur laquelle je ne me renseigne pas.
Où déjeunerai-je moi-même ? C’est le soleil qui en décidera. Il donne à fond mais est si bas que l’ombre est sur la plupart des terrasses. Je finis par trouver une table rue du Faubourg Saint-Antoine sur laquelle ses rayons qui traversent un arbre du square Trousseau se posent. C’est au Camélia. J’y mange en chemise et fort bien d’une pichade mentonnaise (tarte à l’oignon tomatée) et d’un burgueur de salers avec frites fraîches, servi par une jeune femme bien aimable. Avec le quart de vin rouge, cela fait dix-neuf euros quatre-vingt-dix.
                                                                  *
Ouvrant au hasard le recueil d’André Breton Clair de terre (Poésie/Gallimard) page cent trente-neuf  Sans connaissance :
On n’a pas oublié
La singulière tentative d’enlèvement
Tiens une étoile pourtant il fait encore grand jour
De cette jeune fille de quatorze ans
Quatre de plus que de doigts
Qui regagnait en ascenseur
Je vois ses seins comme si elle était nue
On dirait des mouchoirs séchant sur un rosier
L’appartement de ses parents.
(…)
Son signalement 1 m. 65 la concierge n’a pas osé arrêter ce visiteur inhabituel mais poli
Il était d’autre part très bien de sa personne.
 

10 octobre 2018


La nuit est agitée, des averses et du vent, mais ce dimanche matin, à huit heures deux, quand se lève officiellement le soleil, cela s’est calmé. Me voici donc parti pour le vide grenier qui se tenait jusqu’à présent sur la place de la Rougemare et est désormais situé dans le haut de la rue Beauvoisine ainsi que dans le jardin André Maurois.
Peut-être est-ce le ciel gris, mais je le trouve triste, surtout la partie du jardin. Les exposants y sont installés carrément sur la pelouse de part et d’autre d’allées trop étroites, rien de mieux pour ruiner le gazon. Je fais deux fois le tour, trouve deux livres de poche que j’achète uniquement parce qu’on me les propose à cinquante centimes.
J’y repasse l’après-midi. Dans le jardin où les bacs réservés au « jardin partagé » sont peu cultivés, on trouve maintenant une structure gonflable qui envoie certains moutards dans les airs. Deux clowns sur échasses se chargent d’égayer les autres. Je n’ai aucun succès côté livres. J’achète, pour trois euros soixante, deux pots de confitures du jardin sans pesticide à une aimable dame et, avant de rentrer, monte jusqu’à la station de métro face à laquelle est l’épicier arabe qui vend des pommes de Normandie à un euro le kilo.
                                                            *
Grâce à une discussion entre étudiant(e)s sur le réseau social Effe Bé, je sais d’où provenait l’odeur de vomi qui m’a encouragé à fuir le vide grenier de la Madeleine.
Lou Andréa : « C’est les fruits du ginkgo biloba (les petites boules jaunes qui tombent de certains arbres –les femelles-) qui sont partout sur l’allée devant la fac et qui ont cette odeur (super immonde). Sinon c’est un arbre impressionnant (la seule forme vivante ayant survécu sans muter après les attaques nucléaires au Japon, par ex), plein de vertus (top en infusion pour la circulation sanguine), et surtout super joli avec ses feuilles en éventail. Alors laissez mes ginkgos chéris qui puent tranquilles »
                                                           *
Le vide grenier d’Isneauvlle, le seul où patrouillent des Gendarmes munis de fusils mitrailleurs. ai-je écrit. J’ai eu tort. L’un de mes lecteurs m’a signalé qu’il en est d’autres dans lesquels on les croise. J’aurais dû écrire : Le vide grenier d’Isneauvlle, le seul où j’ai vu patrouiller des Gendarmes munis de fusils mitrailleurs.
                                                           *
Ce lundi, les soldats russes sont partout en ville. Arborant grandes casquettes plates et petites sacoches élégantes, ils marchent par deux ou trois, guidés par leur mobile.
Ce sont les marins du Mir qui fait relâche pour une semaine sur le quai de Rouen.
Une jolie soldate blonde à calot se promène seule, remontant la rue Cauchoise.
 

9 octobre 2018


Parti pédestrement à neuf heures et quart ce samedi, je longe la Seine, me désolant une nouvelle fois des constructions que l’on y trouve, notamment dans l’écoquartier Luciline avec ses immeubles serrés les uns contre les autres qui ne donnent pas envie d’y louer un appartement, et j’arrive une demi-heure plus tard au centre commercial des Docks dans lequel se tient le désherbage d’automne des bibliothèques rouennaises.
Les zélés bibliothécaires s’y affairent tandis qu’autour d'eux on ne pense qu’à une chose foncer sur les livres dès que sera donné le feu vert. Il tarde à venir. Dix heures sont passées qu’il s’agit encore pour l’organisation de déplacer des romans afin de mettre des documentaires à la place. J’ai posé clandestinement la main sur un livre de bord de table que je ne voudrais pas qu’on déplace, rangé par erreur avec la fiction à cause de son titre, Le roman de Jean-Luc Lagarce de Jean-Pierre Thibaudat publié par Les Solitaires Intempestifs. Je finis même par carrément le prendre.
Il y a maintenant foule autour des tables. Deux professionnels de ma connaissance piaffent d’impatience, tout comme moi, mais ce sont les amateurs de bédés les plus bouillants. Ils finissent par entrer dans la boutique avant d’y être invités. Je suis leur mauvais exemple. Je trouve ici et là de quoi assouvir ma convoitise, au point d’avoir les deux sacs pleins quand je me rends à la table où l’on paie.
Point question de revenir à pied, je rejoins l’arrêt de bus Kindarena et monte dans le premier Teor venu où je réussis à m’asseoir bien qu’il soit blindé. A onze heures, je suis à la maison, pas mécontent de ma matinée.
                                                             *
Une fille au Sacre :
-Louise et moi, on va se pécho c’est sûr.
Elle ajoute que lorsque ses parents sont venus la voir, ils lui ont dit :
-Ah, il est très bien ton coloc, tu l’aimes bien ?
                                                             *
Ne suis-je pas moi aussi le maître des horloges ?
 

10 octobre 2018


Belle journée annoncée, c’est le moment de réussir à aller de Rouen à Fécamp. Il faut prendre un premier train qui va au Havre puis un second qui vient du Havre. Le battement entre les deux est de dix minutes en gare de Bréauté Beuzeville. Le premier (venant de Paris) doit donc être à l’heure. C’est le cas ce vendredi.
Jamais encore je n’ai pris un train si court, me dis-je en voyant arriver le deuxième. Il ne se compose que d’une voiture, n’est pas plus long qu’un bus. Surprise, il est quasiment plein. Un cleube du troisième âge est en vadrouille, désirant visiter la Bénédictine et y goûter. Les quelques personnes montées en même temps que moi à Bréauté doivent se caser sur des strapontins. Je m’assois sur le seul siège vacant au risque d’être pris pour l’un des retraités réjouis voyageant en troupeau. Ils ne cessent de blablater. Madame Michu est dans la bande, qui déclare : « Comme on dit, des fois faut mettre un peu plus cher pour que ce soit bien. ».
A l’arrivée je prends la direction du port, faisant une photo de mon ombre avec des jambes que le soleil bas rend démesurées. Puis je longe les bateaux sur le souple tapis rouge que la municipalité a fait poser sur les gros pavés.
Me voici sur le front de mer. Ne s’y trouvent que des vieilles et des vieux qui le parcourent en solitaire. La plupart des volets sont clos pour de nombreux mois. Les brasseries n’ouvrent qu’à onze heures. Je fais demi-tour. Quel est donc cet homme à casquette marchant sur les galets en compagnie d’une jeune femme brune et qui me salue d’un geste de la main ? Je ne sais le reconnaître.
Dans le port ce n’est guère plus vivant. Quand même, la bien nommée Cave du Salut est ouverte. Je m’installe à sa terrasse couverte pour un café qui ne coûte qu’un euro vingt. Seul un bon moment, je lis Les Morts à leur place de Gregor von Rezzori. Quand arrivent deux touristes anglaises pour un petit-déjeuner et deux locaux pour un canon et des propos populistes (« Quand même la place elle doit être bonne puisqu’ils la veulent tous »), je quitte le lieu.
Fécamp est mal orientée, elle tourne le dos au soleil. A midi, l’ombre est partout sauf sur une petite place triangulaire où se serrent des gargotes à terrasse. J’opte pour celle du Forban, la plus ensoleillée. On y propose un menu ouvrier, mais ce jour n’y mange aucun travailleur. J’ai vue sur la falaise d’en face, derrière laquelle tournent un peu les éoliennes, et sur les Pêcheries de Fécamp devenues Musée. La municipalité a fait peindre la bordure des trottoirs en rouge. Cela n’empêche pas une touriste allemande de chuter lourdement. Elle se relève vivement, un peu honteuse. Son mari l’est davantage, qui file, elle à sa suite. Filet de hareng pommes à huile salade (avec peu de hareng), pâtes carbonara au saumon (avec peu de saumon) et crêpe au caramel (avec suffisamment de caramel), un quart de sauvignon, cela fait vingt euro cinquante.
Peu désireux de m’attarder, je rentre en début d’après-midi par un duo de trains ramenant chez leurs parents des élèves mâles d’un quelconque lycée professionnel où ils doivent être internes à en juger par leurs énormes valises.
A quinze heures quinze, je suis à la terrasse du Sacre et y poursuis la lecture de Gregor von Rezzori jusqu’à ce que le soleil décline. A peine ai-je poussé la porte chez moi que dans le jardin se fait entendre un aboiement reconnaissable point entendu depuis longtemps.
                                                             *
J’aimais bien quand tu parlais des chiens de tes voisines, me disait l’une il y a quelques mois, pourquoi tu ne le fais plus ?
C’est qu’Aboyus et Abrutus ont pris le large. Les voilà de retour temporairement, semblables à eux-mêmes, surtout le bruyant, après lequel court toujours l’une de ses propriétaires afin de lui coller une tape sur le cul quand il se précipite sur qui entre ou sort.
 

5 octobre 2018


Pour déjeuner je choisis de retourner Chez Gladines, rue de Charonne, où j’évite le menu du jour, optant pour une douzaine d’escargots persillade puis des patates au cantal et au jambon avec un quart de vin de Saint-Chinian.
Je le regrette dès l’arrivée des gastéropodes que m’apporte une gérante à la gaîté toute commerciale. Ils sont bouillants et réduits à peu de chose. Pas de quoi oublier ceux de La Petite Auberge à Rouen. Le pire vient ensuite. Les patates, calcinées, desséchées, ont l’apparence de chips. Si peu mangeables que je dois en laisser. Ce dont j’ai horreur. ne supportant pas davantage que l’un(e) avec qui je partage un repas puisse sans raison valable ne pas manger ce qu’elle ou lui a commandé, et donc le fasse envoyer à la poubelle. Au point d’avoir refusé une nouvelle invitation pour ce vendredi de l’une qui lors de notre dernier repas au restaurant a laissé son assiette à peine entamée.
Il n’est pas non plus dans mes mœurs (comme dirait Thomas Clerc) de critiquer la cuisine à l’issue, mais cette fois, les vingt-cinq euros cinquante débités de ma carte bancaire, je dis ma déconvenue au jeune homme employé lorsqu’il me demande si ça a été. Il refuse d’admettre que ses patates ont des têtes de chips cramées. Je clos le débat en lui signifiant mon intention de ne plus mettre le pied dans son auberge.
Marcher vers la Bastille me désénerve. Je fais une halte en chemin à la Maison de la Presse qui propose sur le trottoir des cartons de livres à un euro et y achète Une passion excentrique (Visites anglaises) de Christine Jordis (Seuil) puis je monte dans un bus Vingt-Neuf qui m’emmène jusqu’à l’Opéra Garnier.
Après un café aux Ducs, je furète une bonne heure dans les rayonnages du second Book-Off. J’en ressors avec plusieurs livres à un euro, dont Michel de Montaigne, la biographie de Madeleine Lazard (Fayard) et l’édition grand format d’Hymnes à la Haine de Dorothy Parker (Phébus) avec en couverture une photo d’elle jeune et jolie, ainsi qu’un livre à cinq euros : Correspondance (1927-1938) de Stefan Zweig et Joseph Roth (Rivages).
La bétaillère de dix-sept heures quarante-huit est à quai lorsque j’arrive à Saint-Lazare. Pendant le voyage de retour à Rouen, je termine les Fables de La Fontaine.
J’aurai lu quelques-unes des plus longues en diagonale. Aucun doute, les meilleures sont les courtes.
                                                             *
Boulevard Beaumarchais, là où se trouvait un restaurant de fruits de mer avec bourriches d’huîtres sur le trottoir, après travaux c’est The Brooklyn Pizzeria.
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Dans le métro, une publicité pour Calme et attentif « le livre qui change la vie des enfants … et des parents ». Traduit en des tas de langues et déjà vendu par dizaines de milliers.
                                                             *
Il y a peu deux professeurs belges provoquaient une petite polémique en suggérant que le participe passé employé avec avoir devienne invariable. Pas question, a dit l’Académie Française.
La Fontaine accordait le participe présent, les gens portants bâtons, et mendiants. C’était l’usage. Avant que l’Académie le rende invariable en mil six cent soixante-dix neuf.
 

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