Le Journal de Michel Perdrial

Le Journal de Michel Perdrial




Loïc Boyer
Je suis l’auteur de textes courts qui furent publiés depuis mil neuf cent quatre-vingt-quinze dans des revues littéraires en France (Supérieur Inconnu, Supplément d’Ame, Nouvelle Donne, Le Bord de l’Eau, Pris de Peur, l’Art du Bref, Sol’Air, Gros Textes, Salmigondis, Verso, Décharge, Bulle, Filigranes, Diérèse, Martobre, Comme ça et Autrement, (Cahier d’) Ecritures, La Nef des Fous), en Belgique (Traversées, Ecrits Vains, L’Arbre à Plumes, Inédit Nouveau, Bleu d’Encre), au Canada (Les Saisons Littéraires) et en Italie (Les Cahiers du Ru).
Les courageuses Editions du Chardon ont publié en mil neuf cent quatre-vingt-dix-neuf Erotica, un recueil de vingt-huit de ces textes, illustré par Isabelle Pio et Antoine Lopez et préfacé par Sarane Alexandrian, toujours disponible auprès de moi.
Je suis également l’auteur d’une pièce de théâtre et de plusieurs romans ou récits à ce jour inédits.
Depuis le onze novembre deux mille six, je publie mon Journal via Internet, un temps sous-titré Persiflages, moquages et autres énervages mâtinés de complimentages et de contentages. Sa première partie est lisible chez Eklablog, la deuxième ici.
Je vis au centre de Rouen dans un ancien monastère où autrefois les Sœurs de la Miséricorde se vouaient à l’éducation des jeunes filles.







Rss

19 novembre 2018


Ce samedi, c’est pas bibi qui va mettre le bololo (comme parlent nos dirigeants). Totalement hostile au mouvement des Gilets Jaunes, je suis ravi de vivre dans une ville où dans l’hyper centre on n’en voit pas la queue d’un et où je peux donc vaquer tranquillement à mes occupations habituelles.
Et heureusement que je n’ai plus de voiture car si je m’étais trouvé bloqué à l’un de leurs barrages, j’aurais refusé de me soumettre à leur exigence fascisante consistant à obliger les conducteurs à enfiler leur gilet jaune pour être autorisé à passer et j’aurais pu être de ceux qui sont malmenés.
Ces types qui bloquent les ronds-points et les péages d’autoroute, ce sont les mêmes qui à chaque mouvement social gueulent contre les grévistes qui font chier et disent qu’ils sont pris en otage. Les mêmes aussi, qui ne voulant pas payer de taxes et d’impôts, râlent quand l’Etat supprime un service public dans leurs patelins.
Qui sont-ils ? Une majorité de plus de cinquante ans, pratiquement que des Blancs, sept hommes pour trois femmes. Où se retrouvent-ils pour bloquer ? A l’entrée des centres commerciaux où d’habitude ils passent le samedi après-midi à remplir le chariot de cochonneries avant de rentrer s’écrouler devant la télé. Car ils sont autant canapéistes qu’automobilistes.
Ce qu’ils appellent leur colère n’est qu’un aveu d’impuissance. Leur salaire est insuffisant mais ils sont infoutus de faire grève afin que le patron les augmente. « C’est un ras-le-bol général », disent-ils quand on les interroge, incapables de s’expliquer davantage. Je les soupçonne de s’emmerder à la campagne ou dans la zone suburbaine où ils vivent.
Tous ces gus en uniforme jaune crient « Macron démission » et braillent La Marseillaise dès qu’ils voient une caméra.
La télé d’information continue, qui en temps de conflit social pourrait s’appeler Télé Anti Grève, est devenue Télé Gilets Jaunes. « On va continuer à soutenir le mouvement », déclare son homme-tronc. « Euh, à suivre le mouvement », le reprend sa binôme.
                                                                    *
« Il y a des fachos mais il y en a partout. Il y a aussi beaucoup de fâchés. », a déclaré le Mélenchon, ce qui a autorisé des politiciens de la gauche de la gauche, dont le Ruffin de Picardie (Insoumis) et le Wulfranc de Normandie (Communiste), à rejoindre ceux de la droite de la droite Le Pen Philippot Dupont-Aignan et de la droite du style Morin Ciotti Wauquiez.
Un facho + un fâché = des fâcheux.
                                                                    *
Bilan de cette première journée : beaucoup moins de participant(e)s que pour les obsèques de Jauni, mais quand même une morte et quatre cent neuf blessé(e)s dont quatorze grièvement (la Police n’y est pour rien mais a les siens).
A noter aussi, la femme musulmane que des Gilets Jaunes ont obligé à enlever son voile et insulté à Saint-Quentin, le couple d’homosexuels que d’autres Gilets Jaunes ont agressé « je le connais, c’est un pédé » et dont la voiture a été cassée à Bourg-en-Bresse, la femme noire que d’autres Gilets Jaunes ont insulté quand elle a voulu forcer un barrage en Charente « retourne dans ton pays », « dégage », « pouffiasse », « salope », « les histoires de Noirs, on veut plus en entendre parler ».
D’autres Gilets Jaunes, je ne sais où, ont déployé sur la benne d’un tracteur un calicot sur lequel on peut lire, destiné à Macron : « Baise ta vieille, ne baise pas les vieux ». Et à Mont-Saint-Aignan un Gilet Jaune ne libèrait la route pour les étudiantes qu’à condition qu’elles lui envoient une photo.
 

18 novembre 2018


Ce vendredi matin, je trouve au Rêve de l’Escalier un livre que je cherchais depuis longtemps et que je paie douze euros avec mon avoir : Le Dictionnaire de la Mort de Robert Sabatier (Albin Michel), mais cet exemplaire présente un manque, page cent quarante-trois. Un précédent propriétaire a découpé une lamelle de papier qui a fait disparaître une ligne de texte. « Censure ou bien dégradation », est-il écrit au crayon en page de garde.
Cette ligne manquante m’obsède avant même que je sois rentré. Il faut que je consulte un autre exemplaire pour connaître ce qu’on a voulu cacher.
J’interroge le catalogue des petites bibliothèques municipales de Rouen. Elles ne possèdent pas ce livre indispensable. Pas davantage ne l’a la bibliothèque de Sotteville. Voyons voir à la bibliothèque François Truffaut du Petit-Quevilly, me dis-je.
J’apprends ainsi que depuis la veille on y désherbe, ce qui n’a lieu qu’une fois tous les deux ans. Je m’y pointe donc l’après-midi avec un jour de retard, suffisamment tôt pour être en avance. Je peux entrer dans la bibliothèque avant que n’ouvre la salle réservée à la vente. La jeune fille blonde de l’accueil me confirme qu’ici non plus pas de Dictionnaire de la Mort. Faisant le tour du rayon Littérature, je n’y vois ni Léautaud, ni Perros, ni Calet, ni Hyvernaud.
A quatorze heures trente débute la vente. Je comprends vite que je me suis déplacé pour rien, constatant que point de livres d’Histoire ni de Sciences Humaines (« On n’a pas désherbé dans ces coins-là », me dit une bibliothécaire) et qu’en Littérature, il n’y a que des romans, hormis le Journal de voyage de Michel de Montaigne, que je sais sans intérêt pour moi, et que deux tomes du Journal de Charles Juliet, et cet auteur m’ennuie.
                                                             *
Le patron de bistrot chauffé par le beaujolais, petit tribun de comptoir : « Y font jamais le plein, et y découvrent qu’y a des gens qui vivent à la campagne. » Il parle de ceux qui nous gouvernent.
                                                            *
Une cliente devant une bière : « Comme je suis contente, je n’ai pas mon fils pendant deux week-ends. »
                                                            *
Deux autres, dont l’une vient d’apprendre qu’elle a un cancer. Sa copine : « On va aller marcher, on va aller jusqu’au cimetière à maman. » De quoi lui remonter le moral (comme on dit).
                                                            *
Elles parlent ensuite de celle qui avait enfin réussi à dire à son fils trentenaire qu’il était temps de quitter la maison familiale. Trois jours après, il est mort dans un accident. « C’est sûr que chez elle, il avait la belle vie. S’il avait un coup de cafard, il pouvait sortir s’acheter des fringues. Ou sa drogue. ».
                                                           *
Il reste des étiquettes Surgissement sur les murs de la ville de Rouen, de quand les révolutionnaires locaux espéraient un nouveau Mai Soixante-Huit pour le Cinquantenaire. L’une d’elles a été corrigée en Vagissement. Peut-être une allusion à la seule insurrection qui vient, celle des Gilets Jaunes.
                                                           *
Mai mil neuf cent soixante-huit : Daniel Cohn-Bendit.
Novembre deux mille dix-huit : Jacline Mouraud.
 

18 novembre 2018


Sorti d’Au P’tit Boulevard, je rejoins le Centre Pompidou et ne monte qu’au niveau Deux, celui de la Bibliothèque Publique d’Information, dont une porte est ouverte pour accéder sans avoir à attendre longuement sur le trottoir de la rue Beaubourg à l’exposition Riad Sattouf (l’écriture dessinée).
Celle-ci est installée à droite après la cafète, comme me dit celui qui veille à l’entrée. On y est accueilli par Esther, héroïne de Riad Sattouf, dont je n’ai pas encore lu la vie dessinée sous le titre Les Cahiers d’Esther.
Pour profiter à fond de cette expo, il faudrait que j’aie la patience de lire toutes les planches affichées mais je picore dans celles tirées des Cahiers d’Esther, de La Vie secrète des jeunes et de L’Arabe du futur. Celles de Pascal Brutal m’indiffèrent.
Parmi les dessins originaux, l’un qui date des années de formation de Riad Sattouf montre un type à l’aspect inquiétant prénommé Michel. Je regrette de ne pas avoir pris mon appareil photo, même si ce portrait est situé un peu trop haut.
« Prière de ne pas se pencher », est-il écrit sur les vitrines montrant des documents personnels. Peut-être risque-t-on d’être aspiré dans l’univers de Riad Sattouf.. Sur un mur est projeté un film d’intervious d’acteurs ayant joué dans ses films. J’apprends ainsi qu’il a fait son cinéma, mais je n’ai pas envie de m’y intéresser. Dans une autre partie est diffusée une émission de France Culture avec le bédéiste. On le voit aussi dans une vidéo d’extraits d’émissions de télévision dont il fut l’invité, l’une de l’insupportable Demorand (un barbu interroge un autre barbu), l’autre de l’insupportable Busnel (en compagnie des Delerm père et fils, barbe blanche et barbe grise).
En épilogue sont montrées des éditions en de nombreuses langues de L’Arabe du futur et le catalogue, dans lequel ne figure pas le nom de celle qui a été chargée de la lumière. Le livre d’or est sous la forme d’un boîtier électronique. « Une exposition bien éclairée », y écris-je.
A la sortie, le ciel est toujours bleu. Je vais me dorer au soleil sur le quai de Seine, là où autrefois roulaient les voitures. Assis sur le muret, je lis Et si je suis désespéré que voulez-vous que j’y fasse, le livre d’entretien de Mathias Greffrath avec Günther Anders publié chez Allia, tout en regardant passer les bateaux. Une grosse barge emplie de déchets métalliques est nommée La Renaissance de la Matière. Une petite péniche s’appelle Hidalgo, que Madame la Maire pourrait louer lors des prochaines municipales pour lui faire faire des allers et retours sur le fleuve.
Un bus Vingt et Un m’emmène au second Book-Off où, encore une fois, je ne trouve pas grand-chose. Le train de dix-sept heures vingt-trois est à quai bien avant l’heure. Je peux m’y installer sans attendre qu’il soit affiché pour terminer la lecture de Et si je suis désespéré que voulez-vous que j’y fasse dont le titre est la dernière phrase.
 

16 novembre 2018


« Eloignez-vous du borduquet », ordonne la voix de la Senecefe. Le sept heures cinquante-six pour Paris entre à l’heure en gare de Rouen ce mercredi. A peine suis-je assis dans la voiture six qu’une jeune brune autoritaire exige que je change de place, c’est la sienne. J’en ai une à mon nom dans la voiture neuf mais je préfère m’installer ailleurs n’étant pas de ces voyageurs inhabituels qui se croient obligés d’être assis sur leur réservation.
Le Café du Faubourg est fermé pour une raison exceptionnelle, est-il écrit sur la porte. Je me rabats sur le Café Noisette où ne se trouvent qu’une jolie blonde qui tapote sur son ordinateur et le patron qui en même temps fait la cuisine et le service du bar. On y écoute Radio Latina et donc la pub d’Auchan pour son essence à prix coûtant jusqu’au dix-sept novembre (la démagogie n’est pas chose réservée aux politiciens).
Chez Book-Off, j’ai la chance de trouver à un euro Le Reste sans changement d’André Blanchard (Le Dilettante), qui me manquait, son dernier, et Retour à Reims de Didier Eribon, que je cherchais depuis longtemps, mais au marché d’Aligre, statuettes africaines partout, livres nulle part.
Pour déjeuner, je choisis Au P’tit Boulevard, boulevard de Sébastopol. L’endroit bénéficie du soleil et le plat du jour est gigot d’agneau flageolets. N’y mangent que des solitaires d’âge avancé et un groupe en formation à formateur démago (« Je paie le vin pour tout le monde »). Chemise ouverte sur un poitrail à poils blancs, il n’a d’yeux et de discours que pour la seule femme du groupe.
-C’était très bon, dis-je au patron en réglant d’un coup de carte sans contact mes vingt euros trente (quart de côtes-du-rhône inclus).
-On essaie de satisfaire tout le monde, me répond-il, ce n’est pas facile, même les politiciens n’y arrivent pas.
                                                                     *
Des ballons jaunes pour annoncer le beaujolais nouveau, c’est une couleur de saison.
 

Ce lundi en début d’après-midi, la pluie ayant cessé, me voici parti en itinérance mémorielle, comme dirait quelqu’un, au moyen du métro, direction Georges-Braque, duquel je descends à Charles-de-Gaulle, commune du Petit-Quevilly.
Avisant un facteur bicycliste, je lui demande de m’indiquer le cimetière Saint-Sever. Il ne sait pas où, mais au moins suis-je bien au début du boulevard Stanislas-Gérardin.
Je le remonte bien plus longtemps que je croyais devoir le faire, sur au moins un kilomètre, passant devant Aldi Lideule Emmaüs, avant que deux cantonniers occupés à creuser un trou à l’aide d’une petite pelleteuse, me disent que j’y suis presque, après le truc funéraire là-bas.
Effectivement, entre deux magasins de cercueils s’ouvre une allée qui mène à ce cimetière rouennais excentré. La loge de la gardienne étant fermée de midi à deux, je me sers du vague plan affiché pour repérer le carré militaire en forme de demi-cercle où sont enterrés les soldats français de Quatorze Dix-Huit. Il se situe dans le rond central. Un jeune homme aimerait bien m’aider mais il n’est que jardinier, s’excuse-t-il.
Je passe en revue la troupe couchée sous terre, constatant qu’il y a là de nombreux militaires venus bon gré mal gré d’Afrique du Nord et « Morts pour la France » (parmi eux, un Zidane). Ils sont tous réputés musulmans et signalés d’un croissant, tout comme leurs compagnons de malheur sont réputés chrétiens et signalés d’une croix.
Quand je trouve la tombe de mon grand-oncle Alfred, j’ai la surprise de le voir prénommé André. J’en fais plusieurs photos, dont l’une avec mon ombre allongée sur son emplacement, car un beau soleil d’automne s’est mis à briller derrière le stade qui jouxte le cimetière. Sans doute suis-je le premier de la famille à m’arrêter sur sa tombe depuis cent ans et un mois qu’il est son mort.
Mues par une bonne intention, certaines familles de soldats morts ont doté d’une pierre tombale l’emplacement de leurs défunts. Ce fut une mauvaise idée. Leurs noms gravés dans la pierre à l’horizontale ont subi les intempéries et se sont effacés partiellement ou totalement.
Ce cimetière Saint-Sever se compose de trois parties. Dans la première sont enterrés des Rouennais de la rive gauche, dont quelques célébrités très locales : un fouteux ayant donné son nom au stade d’à côté, un journaliste pro Lecanuet ayant donné le sien à une bibliothèque, un auteur de revues aux Folies Bergère ayant célébré des milliers de mariage quand il était conseiller municipal et deux ou trois industriels. Dans la deuxième sont les militaires français et quelques belges. Dans la troisième, qui dépend du Royaume-Uni, sont alignés militairement les soldats britanniques et du Commonwealth, tous porteurs d’un uniforme en béton.
Quatorze heures ayant sonné, je demande à la gardienne s’il existe une liste des soldats français enterrés ici. Il y en a une, dépenaillée, l’originale qui date d’il y a cent ans. « Il faudrait informatiser tout ça », lui dis-je. Sa collègue y pense, me répond-elle, au moins à les scanner. Dans un registre à part, les soldats français morts en mil neuf cent dix-huit sont mélangés avec leurs homologues anglais et avec les civils. Ces morts sont terriblement nombreux. L’aimable employée municipale prend le temps de parcourir la liste des patronymes jusqu’à trouver celui de mon grand-oncle. Là aussi, il est prénommé André.
-Peut-être qu’il s’appelait Alfred et se faisait appeler André, fait-elle comme hypothèse.
De retour à la maison, j’envoie mes photos à ma sœur qui est la généalogiste de la famille. Je lui demande si c’est Alfred ou André. Elle est catégorique : Alfred  Marcel André Perdrial. Il était cocher, m’apprend-elle à cette occasion.
                                                                 *
Entre les parties française et anglaise sont inscrits sur un mur en arc de cercle de plusieurs mètres de haut les noms des morts rouennais de la guerre de Quatorze Dix-Huit. La plupart sont en passe d’être effacés. Si la Mairie ne s’est pas donné la peine de restaurer ce monument pour le centenaire de l’Armistice, on peut penser qu’elle ne le fera jamais.
 

12 novembre 2018


Grand-père Jules ne parlait jamais de son frère mort à la fin de la guerre de Quatorze Dix-Huit. Une recherche sur le site MémorialWebGen, qui recense les morts de cet absurde conflit mondial, m’apprend son prénom et l’essentiel de sa courte vie.
Alfred Marcel André Perdrial, conducteur au 15e Escadron du Train des Equipages Militaires (Matricule au recrutement : 449 - Le Havre), était né le 30/08/1895 à Allouville-Bellefosse et est mort le 11/10/1918  (23 ans) à l’Hôpital à Rouen des suites de maladie contractée en service (Mention Mort pour la France). Il est enterré dans le carré militaire du cimetière Saint-Sever. Il était le fils de Jules Joseph Perdrial, cantonnier, et de Louise Lefebvre, tisserande, mes arrière-grands-parents.
Le cimetière Saint-Sever, bien que rouennais, se trouve au Petit-Quevilly. Le site de cette commune de banlieue le présente ainsi :
« Durant la Première guerre mondiale, le cimetière Saint-Sever est retenu par l’armée britannique pour y enterrer ses soldats décédés dans les hôpitaux militaires installés à Grand-Quevilly, Saint-Etienne-du-Rouvray et Sotteville-lès-Rouen. 11.436 tombes de soldats originaires du Royaume Uni, d’Australie, des Indes Orientales, de Nouvelle Zélande, d’Inde, d’Afrique du Sud, d’Egypte, du Canada… ainsi que celles de travailleurs chinois sont soigneusement alignées dans un cimetière-jardin aménagé par l’architecte paysagiste Réginald Blomfield. »
« Outre les tombes de militaires du Commonwealth, le cimetière Saint-Sever abrite plusieurs centaines de tombes de soldats français morts durant la Première guerre mondiale ainsi que le monument aux morts de la ville de Rouen qui regroupe les noms de 6000 soldats rouennais décédés durant la guerre 14/18. »
Je ne pense pas que mon grand-père Jules ait éprouvé l’envie ou le besoin de se rendre sur la tombe de son frère Alfred. Je l’aurais su. Mes parents, mes frères, ma sœur et moi vivions dans la même maison que lui et sa femme (ma grand-mère Eugénie). Rien de ce que faisaient les un(e)s ne pouvait être ignoré des autres.
                                                                  *
Quelle ville cosmopolite était Rouen à cette époque ! Ce onze novembre deux mille dix-huit, lors de la cérémonie parisienne du centenaire, est lue, dans sa langue par une jeune fille, une lettre d’un des travailleurs chinois présents à Rouen, dans laquelle il racontait la joie internationale le jour de l’Armistice.
                                                                  *
Mourir de ce qu’on appelait la grippe espagnole, un mois jour pour jour avant l’Armistice, tel fut le lot de grand-oncle Alfred. Le même sort attendait Guillaume Apollinaire, deux jours avant l’Armistice.
                                                                  *
Ecoutant Etre et savoir sur France Culture, j’entends une enseignante dire qu’il y a eu huit millions d’appelés français pendant la Première Guerre Mondiale mais seulement quatre millions ont été sur le front. Où étaient les autres ? demande-t-elle, sous-entendant que les pauvres étaient envoyés à la mort et les enfants de nantis à l’abri.
Fils d’un cantonnier et d’une tisserande, mon grand-père Jules et mon grand-oncle Alfred étaient bons pour les tranchées.
 

11 novembre 2018


Quand il avait plus de quatre-vingts ans, mon grand-père, Jules Perdrial, entreprit de mettre par écrit sa guerre de Quatorze/Dix-Huit. Il offrit une photocopie de son récit manuscrit à chacun(e) de ses petits-enfants.
En juin deux mille quatorze, j’ai extrait les moments les plus significatifs de son récit et les ai publiés en quatre épisodes dans ce Journal que j’ai commencé le onze novembre deux mille six. Ce Onze Novembre deux mille dix-huit, centenaire de la fin de cette boucherie, m’est l’occasion d’une republication en un seul bloc.
Quand l’histoire commence, Jules Perdrial est au service militaire. Depuis le premier octobre mil neuf cent treize, il fait ses classes (comme on disait) à l’Ecole Spéciale Militaire de Saint-Cyr-l’Ecole.
2 Août 1914 l’Allemagne déclare la guerre, l’Ecole est presque aussitôt fermée, avec les autres auxiliaires je suis muté au 27ème Régiment de Dragons à Versailles (…) je suis versé dans le service armé apte à faire campagne, bien que relevant d’une jaunisse, je ne pesais plus que 50 kilos.
Il choisit la cavalerie car il aime et connaît les chevaux.
Ceux qui avaient préféré l’Infanterie nous quittèrent et seulement quelques semaines après nous apprîmes qu’ils avaient été envoyés dans un détachement de zouaves et qu’au cours de violents combats presque tous avaient été tués.
Mes classes terminées, je partis vers le 20 août 1915, dans un petit groupe pour rejoindre à Sacourt (Vosges) un escadron du 27ème Dragons, au repos dans ce secteur, que nous quittâmes pour aller participer à l’attaque du 25 Septembre en Champagne, secteur de Perthes-les-Hurlus, j’y reçus le baptême du feu.
Ensuite nous allons de place en place, puis nous cantonnons à St Bandry (Oise) d’où nous allons tenir les tranchées dans un secteur calme (…), ce secteur est infesté de gros rats et dans les cagnas (petits abris creusés au flanc des tranchées) où nous couchons, ils viennent nous disputer et arrivent à nous dévorer en partie nos boules de pain, bien que nous les ayons contre nous et quelquefois comme oreiller.
Début Janvier 1916, la décision ayant été prise antérieurement de supprimer la cavalerie sur le front, nous sommes démontés…

Le voici dans l’Infanterie à faire ses classes de fantassin (marche, fusil et baïonnette).
(…) et fin Mars nous sommes rapprochés du front par étapes de 20 à 24 km (toujours chargés du barda réglementaire à savoir : capote, casque, ceinturon avec baïonnette, le sac au dos garni de notre linge +220 cartouches, boite de viande et biscuits de réserve, une paire de chaussures de rechange, le fusil, un bidon plein au départ de 2 litres (eau ou vin), le masque à gaz, la musette dans laquelle notre quart cuillère, fourchette et notre ration de pain, en tout plus de 35 kilos (poids vérifié).
Arrivés à Compiègne, lui et ses camarades sont invités à monter dans un train de marchandise qui les conduit dans la région de Verdun.
Voici Jules Perdrial, mon jeune grand-père, au cœur de ce qu’on appelle la Grande Guerre :
(…) nous embarquons à la tombée de la nuit dans des camions qui sont très nombreux mais dont les conducteurs nous informent qu’ils seront beaucoup moins nombreux à venir chercher ceux d’entre nous qui auront la chance de s’en tirer indemnes.
Nous débarquons dans la forêt de Regret (…) et la nuit venue nous partons pour Fleury-devant-Douaumont où nous nous entassons dans des caves, toutes les maisons ayant été démolies et les obus tombant presque continuellement…
Après 3 ou 4 jours passés ainsi nous avons relevé la nuit les gars qui étaient en 1ère ligne, nous avions tout près devant nous le village de Douaumont, en ruines, pas loin, mais plus près encore les Allemands dans leurs tranchées, nous étions même à un endroit dans la même tranchée, séparés par un espace d’une quinzaine de mètres entre deux petites barricades, que nous avons fait reculer de plusieurs dizaines de mètres par une attaque à la grenade au petit matin, mais cela n’améliora pas notre situation, il y avait des cadavres sur le parapet, et quelques-uns dans notre tranchée…
Nous ne recevions plus aucune nourriture, les hommes qui devaient nous ravitailler se trouvant généralement tués ou blessés en route, nous ne trouvions que du chocolat dans les musettes des morts mais souffrant déjà d’une soif presque intolérable nous ne pouvions en manger.
Au bout de quatre jours, grand-père Jules peut regagner l’arrière, de nuit :
… nous étions presque méconnaissables, amaigris, longue barbe, couverts de boue séchée, mais nous nous trouvions relativement bien heureux d’être sortis de cet enfer.
 Je garde de cette période de repos un pénible souvenir, un homme du régiment l’avait quitté au moment où nous montions en ligne pour aller paraît-il voir sa famille à Paris, il revint ou fut ramené, jugé pour désertion devant l’ennemi, c’était en récidive, il fut condamné à être fusillé, tout le régiment assista à cette exécution.
Après avoir reçu des renforts, le régiment de grand-père Jules (deux cent dix hommes) repart à Douaumont
… face au fort toujours occupé par l’ennemi, mais que nous étions chargés de reprendre.
Ce jour-là, dans la matinée, massés face à l’objectif, nous étions bombardés par l’ennemi mais nous recevions aussi les obus de 400 mm dont notre commandement avait pris soin de nous vanter la puissance et l’efficacité au cours d’un rassemblement qui avait eu lieu les jours précédents, et dont nos artilleurs se servaient pour la 1ère fois, ces obus ne tombaient pas très nombreux mais quand il en tombait un dans notre tranchée plusieurs hommes étaient projetés jusqu’à 6 ou 7 mètres en l’air et généralement tués…
Un courageux volontaire nommé Vincent se charge d’alerter l’arrière et tout rentre dans l’ordre.
Arriva l’heure H (aux environs de midi) derrière nos gradés nous sortîmes tous des tranchées pour nous élancer dans la direction du fort, je n’allais pas loin, un obus de petit calibre tomba à 3 ou 4 mètres de moi, je reçus un éclat dans la cheville, pied gauche, je m’assis quelques instants dans un trou d’obus, puis me rendant compte que ma blessure étant chaude je pouvais encore marcher, ce qui n’allait pas se prolonger bien longtemps, je partis vers le poste de secours…
Quand il y arrive, on lui dit de marcher aussi loin que possible en direction de Verdun, puis le petit meusien (train à voie étroite) l’emmène à Revigny où on lui fait une piqûre antitétanique. Un autre train l’emmène à Sens (Yonne). Un hôpital y est installé dans une église désaffectée.
… après une opération pour enlever l’éclat, mon pied s’infecta, gonfla, prit une teinte violette, je souffrais beaucoup, ma température s’installa à 38/38.5.
Un mois passa, puis le médecin qui commençait à craindre la gangrène, tenta une opération au thermocautère, des pointes de feu profondes, sans anesthésie, autant dire la torture, je ne pouvais guère bouger 4 hommes me maintenaient sur mon lit, mais je hurlais à chaque pointe de feu. Le résultat fut que l’infirmière trouva le lendemain matin, une grande flaque de sang dans mon lit, une hémorragie dont je n’avais pas eu connaissance. L’après-midi, je fus de nouveau opéré, sous anesthésie cette fois, le chirurgien m’avait prévenu qu’il allait peut-être être obligé de me couper le pied, j’eus la satisfaction à mon réveil de constater que j’étais encore bipède…
Constatant que l’état général de grand-père Jules devient de plus en plus mauvais, un médecin l’envoie dans un bon hôpital (seul moyen pour moi d’éviter que cela ne tourne au tragique).
C’est aux environs du 1er juillet que j’arrivais à Cannes, dans un hôpital de la Croix Rouge installé dans le Grand Hôtel St Charles, tout y était parfait, les infirmières, presque toute de la bourgeoisie, ou de l’aristocratie, avec comme infirmière major la princesse Josepha de Bourbon, étaient bénévoles et très dévouées…
Il se remet un peu et obtient une permission de vingt jours qu’il va passer à Ourville-en-Caux (ce fut une grande joie pour mes parents de me voir arriver pas trop estropié).
Début décembre, je regagnais le dépôt du 129 au Havre, là je fus tout de suite obligé d’abandonner la canne dont je m’aidais encore pour marcher car cela était interdit en ville (par ordre du commandant de la place, qui heureusement ne défendait pas de boiter).
(…) j’avais reçu une carte du Caporal Catelin, qui commandait mon escouade à l’attaque du fort par laquelle il m’informait qu’il s’en était tiré indemne mais que sur les 210 de notre compagnie ils n’étaient que 11 dans ce cas, les 199 autres étant tués, blessés ou portés disparus.
Reconnu inapte à l’infanterie, il est reclassé dans l’artillerie et envoyé au dépôt Richepanse à Rouen.
(…) le jour de Noël 1916, dedans le train qui m’amenait à Rouen, je contemplais avec un peu de mélancolie en passant à la halte d’Allouville-Bellefosse le pays où j’ai passé mes 15 premières années et le clocher de l’église qui me rappelait tant de souvenirs et tout près de laquelle habitait encore ma grand-mère que je ne pouvais même pas aller embrasser.
De là, bien que boitant encore beaucoup, on l’expédie à Auzeville près de Toulouse puis à Marseille où il est prévu qu’il embarque pour Salonique. Il se fait porter malade. Le major lui dit que dans son état il n’aurait jamais dû quitter le dépôt. Le commandant de la place de Marseille l’hospitalise au Fort Saint-Jean où il reste deux mois puis on l’envoie à Nîmes, toujours boitant, où le vingt décembre mil neuf cent dix-sept, les médecins l’estiment apte à retourner au front. Le voici en Alsace, où dans la neige il participe à de nouveaux combats, puis en Champagne
… où nous avons retrouvé des quantités de poux à Rollot, secteur de Montdidier.
Début juillet nos pièces étaient à Montgobert (…) Nous les conducteurs cantonnions à ce moment à Puisieux, région de Villers-Cotterêts, nous couchions à même le sol dans une grange, située au bord d’une rivière, sur laquelle nous voyions le jour nager les rats, ils étaient tellement nombreux qu’ils crevaient de faim. Toute la nuit, ils nous couraient dessus…
En Septembre, les Allemands commençant à battre retraite, nous partons pour les Flandres, nous mettons en batterie dans la région d’Ypres, Roulers, à Stamkot notamment où nous avons des chevaux tués…
Nous avions dû dépasser Thilt, et nous trouvions dans la région de Deinzt, quand dans les tous derniers jours d’Octobre, une permission me fut accordée, sur l’avis de décès de mon frère, combattant aussi (classe 1915) mort à l’hôpital à Rouen pendant une permission, victime de la grippe espagnole…
Avec un camarade nous sommes partis au petit jour après une nuit passée dans la grange d’une ferme abandonnée et où avec un canon à longue portée, l’ennemi nous a bombardés toute la nuit, en partant nous avons constaté que les 14 chevaux (…) attachés à 40 ou 50 mètres de nous étaient tous morts, tués probablement par le même obus.
Plutôt que de dire ce qu’il éprouve à la mort de ce frère, grand-père Jules évoque alors le triste sort des chevaux :
Ce n’est pas sans une certaine tristesse que nous constations ainsi la mort de ces pauvres bêtes, nos compagnons de misère, victimes eux aussi de la bêtise et de la méchanceté des hommes, dont les dirigeants ne trouvent d’autres moyens que d’envoyer leurs peuples se faire massacrer dans les guerres.
C’est la seule critique de la guerre dans son texte. Suit un épisode qui aura lieu plus tard, dans lequel il est aussi question des chevaux :
Quelques semaines plus tard dans l’Aisne, alors que sous les ordres d’un gradé nous allions en colonne conduire nos chevaux à un abreuvoir, nous suivions un chemin creux où il y avait eu de récents combats, j’aperçus tout à coup à terre une légère fumée, je pensai une seconde à un mégot, puis compris aussitôt qu’il s’agissait d’une grenade qui venait d’être amorcée par le sabot d’un cheval.
Le cheval de grand-père Jules a l’œil crevé, ses camarades et lui sont indemnes
… un éclat m’avait frappé à hauteur de la poitrine côté gauche pénétrant dans un portefeuille bourré de nombreux papiers et s’arrêta ayant à peu près tout traversé, sans cet obstacle il aurait sûrement pénétré et dans cette région du cœur cela aurait pu se terminer très mal pour moi.  
Après avoir dit la tristesse que lui inspire le sort des chevaux, grand-père Jules en revient à la permission donnée pour le décès de son frère dont il n’évoque pas l’enterrement :
… c’est chez mes Parents à Ourville-en-Caux que je passais cette permission qui se terminait le 11 Novembre et c’est dans la matinée de ce jour que comme une traînée de poudre la nouvelle se répandit dans la Commune, l’armistice sera signé à 11h, partout ce fut une immense joie…
 J’étais le seul permissionnaire dans le pays (…) les plus aisés payaient le champagne, ce qui me valut de me sentir un peu vaseux le lendemain matin, mais après avoir déjeuné gaiement avec mes parents, je suis parti dans l’après-midi rejoindre mon régiment en Belgique.
En arrivant à ma batterie qui se trouvait dans la région de Audenarde, je retrouvai mes camarades, tous heureux de voir la guerre finie (…) quelques heures seulement avant la cessation d’un combat, l’un d’eux avait eu un bras arraché.
La démobilisation n’est pas pour tout de suite, les troupes avancent vers l’Allemagne :
… le 1er décembre nous défilons à Bruxelles devant le roi Albert 1er, puis après avoir séjourné dans la région de Liège, puis passé à Verviers, nous sommes rentrés en Allemagne, à la première halte de bonne heure le matin, dans un petit village, les habitants venaient curieusement nous regarder, puis ils nous ont offert de leur café, ersatzcafe comme ils disaient (il y a longtemps qu’ils n’en avaient plus de vrai)…
Le voici donc occupant pendant un moment l’Allemagne à Eschweiler (entre Aix-la-Chapelle/Aachen et Duren) où l’on ne trouve plus ni chiens ni chats, ils ont été mangés, puis il retourne en Belgique à Beyne-Heusey près de Liège où il loge chez l’habitant et prend ses repas avec une douzaine d’autres chez deux institutrices, et là dans son texte grand-père Jules fait une très longue digression au sujet d’un guérisseur qu’il y rencontre et qui jure-t-il fait des miracles, retrouvant le frère disparu de l’un d’eux, rendant la vue et la mobilité à la grand-mère d’un autre. De retour en France, il cantonne à Remiremont, puis à Saint-Amé où il est hébergé par la famille Coolus, enfin à Guebwiller qu’il quitte le quinze août mil neuf cent dix-neuf avec l’ordre de se faire démobiliser à Rouen, quartier Richepanse, ce qu’il fait le dix-neuf ;
Comme tous ceux qui avaient combattu je touchai, ce que la nation nous donnait en récompense des services rendus, quelques dizaines de francs de pécule et un costume (dit Clemenceau) d’un modèle standard.
A 27 ans, je me retrouvais donc dans la vie civile, avec une santé un peu altérée, particulièrement les voies digestives, et un peu handicapé par les séquelles de la blessure, m’empêchant de reprendre mon métier de garçon d’hôtel.
Grand-père Jules est ainsi resté six années à l’armée dont quatre à faire la guerre. Ayant retrouvé sa liberté, il passe le permis pour faire chauffeur d’auto, conduisant d’abord des camions puis des voitures de maître.
Pour moi comme pour beaucoup, le régiment et la guerre ne furent plus alors qu’un souvenir, conclut-il sobrement.
 

9 novembre 2018


Sorti de Chez Elham, je traverse en biais la piazza Beaubourg et entre au Centre Pompidou avec l’intention de passer un moment dans la collection permanente. Montant par la chenille au niveau Cinq, je regarde au niveau Deux si, par hasard, je n’aperçois pas sur la coursive, occupée à fumer une roulée, celle qui fait en sorte que soit éclairée l’exposition bientôt consacrée à Riad Sattouf, mais non.
Le nouvel accrochage Art Moderne répond au thème Histoire(s) d’une collection. Il s’est agi de retracer l’histoire des collections du Musée, du Musée des Artistes Vivants à l’actuel, en passant par le Palais de Tokyo. C’est instructif mais permet de voir des tableaux pas souvent montrés. Je découvre ainsi le Nu au divan d’André Marquet. Descendu au niveau Quatre, je ne m’attarde guère parmi les œuvres Art Contemporain mises en avant, mais je suis content de revoir Le baiser de Wang Du. Une exposition temporaire intitulée Une avant-garde polonaise est consacrée à Katarzyna Kobro et Władysław Strzemiński. Cette avant-garde fut un peu à la traîne. En redescendant, je ne vois pas davantage celle qui me tenait la main. Au sous-sol est montrée l’exposition Photographie, arme de classe consacrée à la photographie sociale et documentaire en France de mil neuf cent vingt-huit à trente-six. C’est touffu et confus.
Il ne pleut plus quand je prends le bus Vingt et Un qui doit se trouver un chemin dans les travaux de la rue de Rivoli où Madame la Maire désire une piste cyclable à double sens. C’est aussi le bazar place Gaillon devant chez Drouant où les télés ont déployé les antennes paraboliques pour cause de Goncourt. La Despentes se montre à une fenêtre de l’étage mais personne ne semble la connaître. Je me désintéresse de l’évènement. Cinquante mètres plus loin, j’entre au second Book-Off. J’y fais mauvaise pêche.
Pour le retour à Rouen, j’innove en prenant le dix-sept heures vingt-trois, un Corail où j’ai place réservée. J’y lis Les Gisants de Jacques Drillon (Le Promeneur), une explication mot à mot de La mort des amants de Charles Baudelaire.
                                                                      *
Parmi les livres non achetés chez Book-Off : Un vrai roman (Mémoires) de Philippe Sollers (Plon). Sollers m’insupporte mais comme il est tenu en estime par l’un de ma connaissance que je ne dénoncerai pas, je le sors du rayonnage et en lis la quatrième de couverture rédigée par l’auteur : J’ai connu nombre de célébrités littéraires, philosophiques ou politiques de mon temps. Les gens que l’on connaît sont forcément de votre temps. Il ne m’en faut pas davantage pour le reposer.
 

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