Je vais à pied jusqu’à l’usine ophtalmologique ce jeudi quatre novembre. Mon rendez-vous pour l’opération de l’œil gauche est fixé à sept heures trente. Je marche seul dans la nuit, faisant attention où je mets le pied, notamment sur le pont Corneille en travaux. J’arrive à six heures quarante-cinq. Je ne suis pas le premier. Trois personnes attendent déjà devant la porte fermée.
Quand celle-ci s’ouvre à sept heures, je fais les formalités d’admission auprès d’une secrétaire qui a l’air d’être aussi âgée que moi. Elle m’invite à monter au premier étage rejoindre les autres vieux et vieilles concernés par l’opération de la cataracte. D’autres sont aussi convoqués, plus loin dans le couloir, des jeunes couples qui ont besoin d’aide médicale à la procréation. Il faut attendre encore assez longtemps avant qu’arrivent des infirmières. La moitié des mal voyants apprennent que leur ophtalmo est malade et qu’ils ne seront pas opéré ce matin. Ils doivent aller prendre un autre rendez-vous. Aucun ne proteste : « Ça arrive. »
Mon dossier est étudié par une première infirmière. Elle m’emmène dans une cabine où je dois me déshabiller et revêtir une tenue adéquate. Mes affaires sont mises dans un casier. Je suis emmené dans une salle de pré-opération où sont alignés plusieurs lits à roulettes. L’un est pour moi sur lequel je suis installé. A un moment, je suis emmené un peu plus loin sans savoir où car je dois garder les yeux fermés à cause des gouttes qu’on y a mis.
Un homme se présente comme étant l’anesthésiste. Il me place un cathéter dans une veine du dos de la main. Il s’agit de me shooter (comme il dit) à l’aide d’une perfusion. Une infirmière me dote d’un tensiomètre, d’une pince sur le doigt, d’électrodes pour surveiller mon cœur. Elle bloque ma tête avec un adhésif. Et puis il faut attendre. J’attends plus que prévu parce qu’il y a eu un carambolage sur le pont Mathilde et le boss est retardé. Quand il arrive enfin, on me dit que c’est bon
Je suis roulé dans une sorte de couloir noir jusqu’à la salle d’opération. Le boss, que je ne vois pas, me dit bonjour, Je ne me sens pas shooté. Je ne sais pas ce qui se passe car aucun mot n’est prononcé. Je ne vois pas arriver une aiguille ou un autre instrument vers mon œil. Je ne perçois qu’un cercle coloré. Je me demande quand ça va commencer quand on me dit que c’est terminé.
Je suis emmené dans la salle de surveillance où je dois patienter. Un appareil automatique prend ma tension régulièrement. Au bout d’une demi-heure, on me conduit dans la salle de petit-déjeuner. J’ai droit à un café, une brioche et un jus d’orange. Il faut encore attendre pour que je sois autorisé à sortir.
Une dernière prise de tension (élevée, contrairement à l’habituelle) et je peux aller me rhabiller. Dans le miroir, je découvre comment mon œil est caché. Ça peut faire peur. Quand je sors de la cabine arrive l’ambulancier appelé par l’une des infirmières pour me ramener chez moi. Il faut repasser par l’accueil afin que je règle cent euros, le supplément d’honoraire de l’anesthésiste. Pour le boss, ce sera plus tard et davantage.
L’ambulancier m’accompagne jusqu’à sa voiture. Il a un peu de mal à sortir parce que le responsable de la barrière ne répond pas. Après un long détour dû aux travaux du pont Corneille, il réussit à entrer dans la rue Saint-Romain elle aussi en travaux. Il me dit qu’avant il était chauffeur de bus et qu’il peut rentrer avec sa voiture dans ma ruelle. Heureusement, il ne s’y risque pas. Il m’accompagne à pied jusqu’à ma porte. Cela est pris en charge par la Sécurité Sociale.
Il est onze heures quarante. Après avoir déjeuné, je ne peux rien faire. Je passe l’après-midi assis dans mon fauteuil de ministre à écouter France Culture puis une nuit un peu agitée.
Le lendemain, à cinq heures du matin, je me débarrasse du cache-œil. Mon œil gauche est semblable à ce qu’il était. Il voit déjà mieux qu’avant et cela doit s’améliorer au fil des jours. L’œil droit ne me sert à rien, myope comme il est, ne voyant même pas le ZU du tableau des ophtalmos. Cette deuxième journée est fort longue. Je ne peux ni lire ni écrire.
*
Jour trois pour l’œil gauche, j’ai l’impression de redécouvrir mon appartement. De la profondeur, du volume et de la poussière. Pas question de faire le ménage, c’est une des activités interdites.
Ma première sortie est pour aller acheter une tradigraine à la boulangerie Chez Catherine place Saint-Marc. Pour la première fois depuis l’âge de quatorze ans, je suis dans la rue sans lunettes. Je redécouvre les pavés de Rouen où je risque moins de faire une chute.
Maintenant je vois mieux de près. L’après-midi, je mets en marche mon ordinateur et en forçant un peu, je commence à mettre en forme mon texte dicté.
*
Jour quatre pour l’œil gauche, sans changement notable. Un court passage au marché du Clos Saint-Marc. Lire, quand on a un œil réparé et l’autre pas, c’est comme marcher avec une jambe plus courte que l’autre, on se fatigue vite.
*
Jour cinq pour l’œil gauche, et veille de l’opération de l’œil droit. Première chose à faire : ce soir me doucher corps et cheveux avec Betadine.
*
Ce onze novembre deux mille vingt-quatre marque le dix-huitième anniversaire de mon Journal.
Quand celle-ci s’ouvre à sept heures, je fais les formalités d’admission auprès d’une secrétaire qui a l’air d’être aussi âgée que moi. Elle m’invite à monter au premier étage rejoindre les autres vieux et vieilles concernés par l’opération de la cataracte. D’autres sont aussi convoqués, plus loin dans le couloir, des jeunes couples qui ont besoin d’aide médicale à la procréation. Il faut attendre encore assez longtemps avant qu’arrivent des infirmières. La moitié des mal voyants apprennent que leur ophtalmo est malade et qu’ils ne seront pas opéré ce matin. Ils doivent aller prendre un autre rendez-vous. Aucun ne proteste : « Ça arrive. »
Mon dossier est étudié par une première infirmière. Elle m’emmène dans une cabine où je dois me déshabiller et revêtir une tenue adéquate. Mes affaires sont mises dans un casier. Je suis emmené dans une salle de pré-opération où sont alignés plusieurs lits à roulettes. L’un est pour moi sur lequel je suis installé. A un moment, je suis emmené un peu plus loin sans savoir où car je dois garder les yeux fermés à cause des gouttes qu’on y a mis.
Un homme se présente comme étant l’anesthésiste. Il me place un cathéter dans une veine du dos de la main. Il s’agit de me shooter (comme il dit) à l’aide d’une perfusion. Une infirmière me dote d’un tensiomètre, d’une pince sur le doigt, d’électrodes pour surveiller mon cœur. Elle bloque ma tête avec un adhésif. Et puis il faut attendre. J’attends plus que prévu parce qu’il y a eu un carambolage sur le pont Mathilde et le boss est retardé. Quand il arrive enfin, on me dit que c’est bon
Je suis roulé dans une sorte de couloir noir jusqu’à la salle d’opération. Le boss, que je ne vois pas, me dit bonjour, Je ne me sens pas shooté. Je ne sais pas ce qui se passe car aucun mot n’est prononcé. Je ne vois pas arriver une aiguille ou un autre instrument vers mon œil. Je ne perçois qu’un cercle coloré. Je me demande quand ça va commencer quand on me dit que c’est terminé.
Je suis emmené dans la salle de surveillance où je dois patienter. Un appareil automatique prend ma tension régulièrement. Au bout d’une demi-heure, on me conduit dans la salle de petit-déjeuner. J’ai droit à un café, une brioche et un jus d’orange. Il faut encore attendre pour que je sois autorisé à sortir.
Une dernière prise de tension (élevée, contrairement à l’habituelle) et je peux aller me rhabiller. Dans le miroir, je découvre comment mon œil est caché. Ça peut faire peur. Quand je sors de la cabine arrive l’ambulancier appelé par l’une des infirmières pour me ramener chez moi. Il faut repasser par l’accueil afin que je règle cent euros, le supplément d’honoraire de l’anesthésiste. Pour le boss, ce sera plus tard et davantage.
L’ambulancier m’accompagne jusqu’à sa voiture. Il a un peu de mal à sortir parce que le responsable de la barrière ne répond pas. Après un long détour dû aux travaux du pont Corneille, il réussit à entrer dans la rue Saint-Romain elle aussi en travaux. Il me dit qu’avant il était chauffeur de bus et qu’il peut rentrer avec sa voiture dans ma ruelle. Heureusement, il ne s’y risque pas. Il m’accompagne à pied jusqu’à ma porte. Cela est pris en charge par la Sécurité Sociale.
Il est onze heures quarante. Après avoir déjeuné, je ne peux rien faire. Je passe l’après-midi assis dans mon fauteuil de ministre à écouter France Culture puis une nuit un peu agitée.
Le lendemain, à cinq heures du matin, je me débarrasse du cache-œil. Mon œil gauche est semblable à ce qu’il était. Il voit déjà mieux qu’avant et cela doit s’améliorer au fil des jours. L’œil droit ne me sert à rien, myope comme il est, ne voyant même pas le ZU du tableau des ophtalmos. Cette deuxième journée est fort longue. Je ne peux ni lire ni écrire.
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Jour trois pour l’œil gauche, j’ai l’impression de redécouvrir mon appartement. De la profondeur, du volume et de la poussière. Pas question de faire le ménage, c’est une des activités interdites.
Ma première sortie est pour aller acheter une tradigraine à la boulangerie Chez Catherine place Saint-Marc. Pour la première fois depuis l’âge de quatorze ans, je suis dans la rue sans lunettes. Je redécouvre les pavés de Rouen où je risque moins de faire une chute.
Maintenant je vois mieux de près. L’après-midi, je mets en marche mon ordinateur et en forçant un peu, je commence à mettre en forme mon texte dicté.
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Jour quatre pour l’œil gauche, sans changement notable. Un court passage au marché du Clos Saint-Marc. Lire, quand on a un œil réparé et l’autre pas, c’est comme marcher avec une jambe plus courte que l’autre, on se fatigue vite.
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Jour cinq pour l’œil gauche, et veille de l’opération de l’œil droit. Première chose à faire : ce soir me doucher corps et cheveux avec Betadine.
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Ce onze novembre deux mille vingt-quatre marque le dix-huitième anniversaire de mon Journal.