Dernières notes
Loïc Boyer
Je suis l’auteur de textes courts qui furent publiés depuis mil neuf cent quatre-vingt-quinze dans des revues littéraires en France (Supérieur Inconnu, Supplément d’Ame, Nouvelle Donne, Le Bord de l’Eau, Pris de Peur, l’Art du Bref, Sol’Air, Gros Textes, Salmigondis, Verso, Décharge, Bulle, Filigranes, Diérèse, Martobre, Comme ça et Autrement, (Cahier d’) Ecritures, La Nef des Fous), en Belgique (Traversées, Ecrits Vains, L’Arbre à Plumes, Inédit Nouveau, Bleu d’Encre), au Canada (Les Saisons Littéraires) et en Italie (Les Cahiers du Ru).
Les courageuses Editions du Chardon ont publié en mil neuf cent quatre-vingt-dix-neuf Erotica, un recueil de vingt-huit de ces textes, illustré par Isabelle Pio et Antoine Lopez et préfacé par Sarane Alexandrian, toujours disponible auprès de moi.
Je suis également l’auteur d’une pièce de théâtre et de plusieurs romans ou récits à ce jour inédits.
Depuis le onze novembre deux mille six, je publie mon Journal via Internet, un temps sous-titré Persiflages, moquages et autres énervages mâtinés de complimentages et de contentages. Sa première partie est lisible chez Eklablog, la deuxième ici.
Je vis au centre de Rouen dans un ancien monastère où autrefois les Sœurs de la Miséricorde se vouaient à l’éducation des jeunes filles.
Les courageuses Editions du Chardon ont publié en mil neuf cent quatre-vingt-dix-neuf Erotica, un recueil de vingt-huit de ces textes, illustré par Isabelle Pio et Antoine Lopez et préfacé par Sarane Alexandrian, toujours disponible auprès de moi.
Je suis également l’auteur d’une pièce de théâtre et de plusieurs romans ou récits à ce jour inédits.
Depuis le onze novembre deux mille six, je publie mon Journal via Internet, un temps sous-titré Persiflages, moquages et autres énervages mâtinés de complimentages et de contentages. Sa première partie est lisible chez Eklablog, la deuxième ici.
Je vis au centre de Rouen dans un ancien monastère où autrefois les Sœurs de la Miséricorde se vouaient à l’éducation des jeunes filles.
10 septembre 2018
Vers sept heures, ce samedi, je prends place dans le bus Teor Un qui mène à Mont-Saint-Aignan. Environ un tiers des voyageurs ne valident pas de titre de transport. Il est tôt, c’est le ouiquennede, les contrôleurs ne bossent pas. C’est ce que l’on croit jusqu’au jour où on se fait choper. « Freins puissants, pour votre sécurité tenez-vous aux barres de maintien », indique le message défilant. Il y aurait bien eu un accident récemment. Je descends à Campus et rejoins le parquigne de la Fac de Lettres où se tient le vide grenier annuel, rien à voir avec l’Université.
J’en parcours les allées sans y trouver grand-chose mais n’en repars pas bredouille. Dans mon sac : Plume, pinceau et poison d’Oscar Wilde et Traité de la cabane solitaire d’Antoine Marcel, l’un et l’autre publiés par Arléa, un euro les deux, et Sonderkommando (Dans l’enfer des chambres à gaz) de Shlomo Venezia avec une préface de Simone Veil, publié chez Albin Michel , un euro.
Je suis rentré bien avant que commence le concert hebdomadaire de carillon. Je l’écoute sur le banc du jardin en terminant la Correspondance d’Albert Camus et Maria Casarès. A Colchiques dans les prés succède San Francisco de Maxime Le Forestier.
L’après-midi, je prends un café verre d’eau à la terrasse du Sacre en lisant les Carnets de Kazimierz Brandys quand la Marche pour le Climat arrive place du Vieux. Cette initiative citoyenne (comme ils disent) est née à Paris suite à la démission du Hulot et a fait des petits en province. Elles et eux sont quelques centaines à défiler, que j’entends plus que je ne vois, criant des slogans tout en tapant dans leurs mains en cadence: « C’est pas le climat qu’il faut changer, c’est le système qu’il faut changer » « La pollution, la surconsommation, ça nous mène à l’extinction ».
Pendant ce temps, dans toute la ville, des dizaines de milliers d’autres se mobilisent contre le climat. Leur manifestation a pour nom Grande Braderie de Rouen.
Et jeudi dernier, au Havre, Bruno le Maire, Ministre de l’Economie, et Elisabeth Borne, Ministre des Transports et subalterne du Ministre de la Transition Ecologique, inauguraient au Havre le plus gros porte-conteneur à pavillon français, dont les boîtes sont pleines de marchandises fabriquées en Chine, parmi lesquelles celles qui remplaceront les bradées d’aujourd’hui, avant de l’être à leur tour.
*
Il faudrait dire : « Marche pour que l’évolution du climat reste compatible avec le maintien de l’espèce humaine sur terre ».
*
La surconsommation, c’est toujours la consommation de l’autre.
*
Avec De Rugy pour Ministre de la Transition Ecologique, lui qui a fait voter l’Assemblée Nationale sur le glyphosate à deux heures du matin, on est au moins sûr de continuer à avancer vers la catastrophe. Quarante-quatre ans et déjà tous les cheveux blancs. Alors que le Hulot, soixante-trois ans, pas un cheveu blanc. Biologique, la teinture, j’espère.
*
Macron et le paiement de l’impôt à la source. Si ça plante : « Voyez comme j’avais raison d’avoir des doutes ». Si ça marche : « Voyez comme j’ai eu raison de prendre le risque. »
J’en parcours les allées sans y trouver grand-chose mais n’en repars pas bredouille. Dans mon sac : Plume, pinceau et poison d’Oscar Wilde et Traité de la cabane solitaire d’Antoine Marcel, l’un et l’autre publiés par Arléa, un euro les deux, et Sonderkommando (Dans l’enfer des chambres à gaz) de Shlomo Venezia avec une préface de Simone Veil, publié chez Albin Michel , un euro.
Je suis rentré bien avant que commence le concert hebdomadaire de carillon. Je l’écoute sur le banc du jardin en terminant la Correspondance d’Albert Camus et Maria Casarès. A Colchiques dans les prés succède San Francisco de Maxime Le Forestier.
L’après-midi, je prends un café verre d’eau à la terrasse du Sacre en lisant les Carnets de Kazimierz Brandys quand la Marche pour le Climat arrive place du Vieux. Cette initiative citoyenne (comme ils disent) est née à Paris suite à la démission du Hulot et a fait des petits en province. Elles et eux sont quelques centaines à défiler, que j’entends plus que je ne vois, criant des slogans tout en tapant dans leurs mains en cadence: « C’est pas le climat qu’il faut changer, c’est le système qu’il faut changer » « La pollution, la surconsommation, ça nous mène à l’extinction ».
Pendant ce temps, dans toute la ville, des dizaines de milliers d’autres se mobilisent contre le climat. Leur manifestation a pour nom Grande Braderie de Rouen.
Et jeudi dernier, au Havre, Bruno le Maire, Ministre de l’Economie, et Elisabeth Borne, Ministre des Transports et subalterne du Ministre de la Transition Ecologique, inauguraient au Havre le plus gros porte-conteneur à pavillon français, dont les boîtes sont pleines de marchandises fabriquées en Chine, parmi lesquelles celles qui remplaceront les bradées d’aujourd’hui, avant de l’être à leur tour.
*
Il faudrait dire : « Marche pour que l’évolution du climat reste compatible avec le maintien de l’espèce humaine sur terre ».
*
La surconsommation, c’est toujours la consommation de l’autre.
*
Avec De Rugy pour Ministre de la Transition Ecologique, lui qui a fait voter l’Assemblée Nationale sur le glyphosate à deux heures du matin, on est au moins sûr de continuer à avancer vers la catastrophe. Quarante-quatre ans et déjà tous les cheveux blancs. Alors que le Hulot, soixante-trois ans, pas un cheveu blanc. Biologique, la teinture, j’espère.
*
Macron et le paiement de l’impôt à la source. Si ça plante : « Voyez comme j’avais raison d’avoir des doutes ». Si ça marche : « Voyez comme j’ai eu raison de prendre le risque. »
7 septembre 2018
Quand le train de sept heures cinquante-neuf quitte la gare de Rouen ce mercredi, j’ai une pensée pour celui dont les obsèques vont débuter dans une demi-heure puis je me plonge dans les Fables de La Fontaine jusqu’à Saint-Lazare..
Les métros Trois et Huit me mènent jusqu’à la porte du Café du Faubourg. Mon café bu, j’ouvre Le Parisien sur le comptoir. On y informe sur les graves conséquences de l’insuffisance cardiaque. Ses symptômes principaux sont l’essoufflement, les chevilles qui enflent, une toux persistante. Passe-t-on de l’insuffisance veineuse à l’insuffisance cardiaque, c’est ce que je me demande en pliant le journal.
Chez Book-Off, où l’on a rangé Olivier Messiaen : une poétique du merveilleux de Brigitte Massin (Alinéa) au rayon Poésie, je trouve quelques livres à un euro à mettre dans mon sac, dont L’Analphabète (récit autobiographique) d’Agota Kristof (Zoé) et Les morts à leur place (journal d’un tournage) de Gregor von Rezzori (Le Serpent à Plume) puis, après être passé pour rien au marché d’Aligre et chez Emmaüs, je me rapproche du Palais de Pékin, avenue Parmentier. Ce midi n’y déjeunent que des esseulé(e)s et un duo d’ouvriers. L’un de ceux-ci boit son Coca au goulot de la bouteille, ce qui m’horripile.
Mes douze euros réglés (buffet à volonté et quart de vin blanc), je remonte la rue du Chemin-Vert jusqu’à la Petite Rockette devant laquelle s’agglutinent des impatient(e)s. Après avoir résolu un problème de serrure, les responsables lèvent le rideau de fer. La foule se précipite vers vêtements et objets divers. Je suis seul dans le coin des livres et en trouve deux à mon goût : Carnets (Paris, 1985-1987) de Kazimierz Brandys et Truman Capote, biographie par Gerald Clarke (tous deux chez Gallimard).
A proximité se trouve la dernière adresse de Jacques Higelin, cimetière du Père Lachaise, et je veux l’aller saluer. Je sais que sa tombe est proche de celle de Bashung et j’ai parfaitement en mémoire la localisation de cette dernière.
Un homme et une femme quinquagénaires sont assis sur une pierre tombale à l’entrée du sentier qui démarre de l’autre côté de l’allée pavée qui longe la dernière demeure d’Alain Baschung (1947-2009). Je leur demande s’ils savent où.
« C’est là », me dit l’homme en montrant l’emplacement voisin. Rien de moins ostentatoire, une simple dalle décorée de galets et de coquillages, une minuscule plaque Jacques Higelin (1941-2018), quelques offrandes de particuliers. J’en fais une photo.
Il n’y a qu’une trentaine de mètres entre cette dalle et le banc où Higelin était assis le jour de l’enterrement de Bashung. Savait-il alors qu’à sa mort il serait enterré juste à côté ? C’est la question que je me pose en m’arrêtant devant la pierre tombale de Bashung après avoir traversé l’allée pavée. Pour finir, comme lui aussi repose dans le coin, et qu’aujourd’hui n’y font pas grumeau des fans inconsolables, je photographe la tombe de James Douglas Morrison (1943-1971).
Le métro Trois me conduit à Quatre Septembre. Après un café verre d’eau aux Ducs, j’explore le second Book-Off. J’y trouve deux livres à un euro : Victor Hugo en voyage de Krishnâ Renou (Payot) et Fontaine, autobiographie de l’urinoir de Marcel Duchamp de Teodoro Gilabert (L’oeil ébloui) J’y trouve aussi le vieux bouquiniste, toujours vaillant malgré ses problèmes de santé.
-Maintenant ici, les livres d’art, c’est plus cher que chez Amazon, râle-t-il.
-Il n’y a pas que vous qui ayez le droit de faire du pognon, nous aussi, lui répond un employé.
-Quelle vulgarité ! s’exclame-t-il faussement choqué.
Avant le train de dix-sept heures quarante-huit, je prends un autre café A la Ville d’Argentan.
Deux habitués sont en conversation avec le cuisinier. L’un d’eux ne veut pas prendre d’alcool car il a rendez-vous demain avec son cardiologue.
-J’espère que tu n’as pas lu Le Parisien aujourd’hui, lui dit le cuisinier.
Il lui explique l’article sur l’insuffisance cardiaque.
-Rassure-toi, conclut-il, c’est toujours les meilleurs qui partent en premier, toi tu risques rien.
Les métros Trois et Huit me mènent jusqu’à la porte du Café du Faubourg. Mon café bu, j’ouvre Le Parisien sur le comptoir. On y informe sur les graves conséquences de l’insuffisance cardiaque. Ses symptômes principaux sont l’essoufflement, les chevilles qui enflent, une toux persistante. Passe-t-on de l’insuffisance veineuse à l’insuffisance cardiaque, c’est ce que je me demande en pliant le journal.
Chez Book-Off, où l’on a rangé Olivier Messiaen : une poétique du merveilleux de Brigitte Massin (Alinéa) au rayon Poésie, je trouve quelques livres à un euro à mettre dans mon sac, dont L’Analphabète (récit autobiographique) d’Agota Kristof (Zoé) et Les morts à leur place (journal d’un tournage) de Gregor von Rezzori (Le Serpent à Plume) puis, après être passé pour rien au marché d’Aligre et chez Emmaüs, je me rapproche du Palais de Pékin, avenue Parmentier. Ce midi n’y déjeunent que des esseulé(e)s et un duo d’ouvriers. L’un de ceux-ci boit son Coca au goulot de la bouteille, ce qui m’horripile.
Mes douze euros réglés (buffet à volonté et quart de vin blanc), je remonte la rue du Chemin-Vert jusqu’à la Petite Rockette devant laquelle s’agglutinent des impatient(e)s. Après avoir résolu un problème de serrure, les responsables lèvent le rideau de fer. La foule se précipite vers vêtements et objets divers. Je suis seul dans le coin des livres et en trouve deux à mon goût : Carnets (Paris, 1985-1987) de Kazimierz Brandys et Truman Capote, biographie par Gerald Clarke (tous deux chez Gallimard).
A proximité se trouve la dernière adresse de Jacques Higelin, cimetière du Père Lachaise, et je veux l’aller saluer. Je sais que sa tombe est proche de celle de Bashung et j’ai parfaitement en mémoire la localisation de cette dernière.
Un homme et une femme quinquagénaires sont assis sur une pierre tombale à l’entrée du sentier qui démarre de l’autre côté de l’allée pavée qui longe la dernière demeure d’Alain Baschung (1947-2009). Je leur demande s’ils savent où.
« C’est là », me dit l’homme en montrant l’emplacement voisin. Rien de moins ostentatoire, une simple dalle décorée de galets et de coquillages, une minuscule plaque Jacques Higelin (1941-2018), quelques offrandes de particuliers. J’en fais une photo.
Il n’y a qu’une trentaine de mètres entre cette dalle et le banc où Higelin était assis le jour de l’enterrement de Bashung. Savait-il alors qu’à sa mort il serait enterré juste à côté ? C’est la question que je me pose en m’arrêtant devant la pierre tombale de Bashung après avoir traversé l’allée pavée. Pour finir, comme lui aussi repose dans le coin, et qu’aujourd’hui n’y font pas grumeau des fans inconsolables, je photographe la tombe de James Douglas Morrison (1943-1971).
Le métro Trois me conduit à Quatre Septembre. Après un café verre d’eau aux Ducs, j’explore le second Book-Off. J’y trouve deux livres à un euro : Victor Hugo en voyage de Krishnâ Renou (Payot) et Fontaine, autobiographie de l’urinoir de Marcel Duchamp de Teodoro Gilabert (L’oeil ébloui) J’y trouve aussi le vieux bouquiniste, toujours vaillant malgré ses problèmes de santé.
-Maintenant ici, les livres d’art, c’est plus cher que chez Amazon, râle-t-il.
-Il n’y a pas que vous qui ayez le droit de faire du pognon, nous aussi, lui répond un employé.
-Quelle vulgarité ! s’exclame-t-il faussement choqué.
Avant le train de dix-sept heures quarante-huit, je prends un autre café A la Ville d’Argentan.
Deux habitués sont en conversation avec le cuisinier. L’un d’eux ne veut pas prendre d’alcool car il a rendez-vous demain avec son cardiologue.
-J’espère que tu n’as pas lu Le Parisien aujourd’hui, lui dit le cuisinier.
Il lui explique l’article sur l’insuffisance cardiaque.
-Rassure-toi, conclut-il, c’est toujours les meilleurs qui partent en premier, toi tu risques rien.
6 septembre 2018
Lundi trois septembre, à l’heure où en d’autres temps j’aurais accueilli les élèves, je fais ma rentrée au cabinet médical. Nous sommes trois en salle d’attente, pour plusieurs médecins. Le mien revient de vacances, un autre rentre de Finlande où il accompagnait les hockeyeurs. Le téléphone ne cesse de sonner et la secrétaire de mettre en attente. Entre deux prises de rendez-vous, elle tente de régler un problème d’aiguillage. Les résultats d’examens d’un patient né en mil neuf cent trente-deux sont systématiquement envoyés par le Chu à la femme d’un des médecins, elle-même médecin ailleurs. Le service de cardiologie lui dit d’appeler l’anneau central, lequel la renvoie vers les secrétaires de chacun des cardiologues pour faire la modification d’adresse, et le malade en a vu six ou sept.
Ce matin, mon médecin est accompagné de son interne, en qui je découvre une jeune fille. Si je l’avais croisée dans la rue, je l’aurais prise pour une lycéenne. C’est elle qui m’examine sous le contrôle de son aîné : prise de tension, écoute du cœur.
Je suis là avant tout pour l’ordonnance de prise de sang nécessaire au contrôle des taux de cholestérol, glycémie, etc., mais j’ai aussi une question bizarre à poser. Est-il possible d’entendre trop ? Je ne voudrais pas passer pour un dingue mais depuis un certain temps j’ai l’impression qu’on a monté le volume, que je suis en quelque sorte devenu le contraire d’un malentendant. Si je suis dans un café et que des gens parlent à l’autre bout, je les entends comme s’ils étaient à proximité. Le médecin et sa future consœur sont dans l’expectative.
Elle me regarde dedans les oreilles, ne trouve rien d’anormal. Tandis que son tuteur rédige un courrier pour un oto-rhino-laryngologiste, elle en fait un pour un dermatologue. Cela fait longtemps que je n’ai pas montré mes grains de beauté.
-Vos mains sont gonflées, remarque-t-elle.
-Depuis plusieurs années, lui dis-je, mes pieds aussi, c’est aussi lié à la chaleur.
Je leur demande de quoi c’est le signe.
-Insuffisance veineuse, me répondent-ils sans m’en dire davantage.
Je ne pose pas de question supplémentaire. En ce jour de rentrée scolaire, cela me fait penser à l’« Insuffisant » des profs sur le bulletin trimestriel. Cet « Insuffisant » était souvent suivi d’un « Peut mieux faire ». Là, je suis bien en peine de m’améliorer. Il est fini le temps où des filles me disaient que j’avais des doigts de pianiste.
Après avoir salué l’une et l’autre, je paie vingt-cinq euros à la secrétaire dont les téléphones ne sonnent plus.
Sitôt rentré à la maison, je ressors pour aller voir à quelle heure le laboratoire d’analyses médicales situé près de la Halle aux Toiles, que je fréquente depuis des années, ouvre ses portes le mardi. Je le découvre fermé, et bien fermé. Des pancartes « A louer » en décorent les vitres. Aucune affichette n’indique une nouvelle adresse.
Sachant qu’un nouveau labo a ouvert place Saint-Marc j’y vais et explique ma déconvenue à l’accueil.
-C’est nous, me répond la secrétaire, on a déménagé il y a plus d’un an, le propriétaire a dû retirer l’information du changement d’adresse.
Mardi quatre septembre, je suis le premier devant la porte avant qu’elle ne s’ouvre, à sept heures. Tout est neuf ici, dans une gamme orange et jaune, sauf le fauteuil de prélèvement. C’est toujours le même, bleu et dépenaillé. La mousse surgit de déchirures sur les accoudoirs.
L’infirmière hésite entre mes deux bras. Mes veines ne sont pas seulement insuffisantes, elles sont trop discrètes. Elle tapote dessus pour les faire ressortir et réussit à en piquer une.
A dix-sept heures trente, j’ai mes résultats. Comme l’an dernier, le cholestérol est normal alors qu’il a été anormalement élevé pendant plusieurs décennies. En revanche, il y a ailleurs un chiffre écrit en gras. Inquiétant ou pas ? Mon médecin en jugera, qui me téléphonera ou pas.
*
Depuis ce lundi, je ne cesse de regarder mes mains gonflées par l’insuffisance veineuse, et pire, je sens qu’elles le sont, mes pieds pareillement. Tu vas chez le médecin pour deux trois soucis et tu en ressors avec un supplémentaire qui t’accapare l’esprit.
*
Une somme d’insuffisances en augmentation constante, telle pourrait être la définition de la vieillesse.
Ce matin, mon médecin est accompagné de son interne, en qui je découvre une jeune fille. Si je l’avais croisée dans la rue, je l’aurais prise pour une lycéenne. C’est elle qui m’examine sous le contrôle de son aîné : prise de tension, écoute du cœur.
Je suis là avant tout pour l’ordonnance de prise de sang nécessaire au contrôle des taux de cholestérol, glycémie, etc., mais j’ai aussi une question bizarre à poser. Est-il possible d’entendre trop ? Je ne voudrais pas passer pour un dingue mais depuis un certain temps j’ai l’impression qu’on a monté le volume, que je suis en quelque sorte devenu le contraire d’un malentendant. Si je suis dans un café et que des gens parlent à l’autre bout, je les entends comme s’ils étaient à proximité. Le médecin et sa future consœur sont dans l’expectative.
Elle me regarde dedans les oreilles, ne trouve rien d’anormal. Tandis que son tuteur rédige un courrier pour un oto-rhino-laryngologiste, elle en fait un pour un dermatologue. Cela fait longtemps que je n’ai pas montré mes grains de beauté.
-Vos mains sont gonflées, remarque-t-elle.
-Depuis plusieurs années, lui dis-je, mes pieds aussi, c’est aussi lié à la chaleur.
Je leur demande de quoi c’est le signe.
-Insuffisance veineuse, me répondent-ils sans m’en dire davantage.
Je ne pose pas de question supplémentaire. En ce jour de rentrée scolaire, cela me fait penser à l’« Insuffisant » des profs sur le bulletin trimestriel. Cet « Insuffisant » était souvent suivi d’un « Peut mieux faire ». Là, je suis bien en peine de m’améliorer. Il est fini le temps où des filles me disaient que j’avais des doigts de pianiste.
Après avoir salué l’une et l’autre, je paie vingt-cinq euros à la secrétaire dont les téléphones ne sonnent plus.
Sitôt rentré à la maison, je ressors pour aller voir à quelle heure le laboratoire d’analyses médicales situé près de la Halle aux Toiles, que je fréquente depuis des années, ouvre ses portes le mardi. Je le découvre fermé, et bien fermé. Des pancartes « A louer » en décorent les vitres. Aucune affichette n’indique une nouvelle adresse.
Sachant qu’un nouveau labo a ouvert place Saint-Marc j’y vais et explique ma déconvenue à l’accueil.
-C’est nous, me répond la secrétaire, on a déménagé il y a plus d’un an, le propriétaire a dû retirer l’information du changement d’adresse.
Mardi quatre septembre, je suis le premier devant la porte avant qu’elle ne s’ouvre, à sept heures. Tout est neuf ici, dans une gamme orange et jaune, sauf le fauteuil de prélèvement. C’est toujours le même, bleu et dépenaillé. La mousse surgit de déchirures sur les accoudoirs.
L’infirmière hésite entre mes deux bras. Mes veines ne sont pas seulement insuffisantes, elles sont trop discrètes. Elle tapote dessus pour les faire ressortir et réussit à en piquer une.
A dix-sept heures trente, j’ai mes résultats. Comme l’an dernier, le cholestérol est normal alors qu’il a été anormalement élevé pendant plusieurs décennies. En revanche, il y a ailleurs un chiffre écrit en gras. Inquiétant ou pas ? Mon médecin en jugera, qui me téléphonera ou pas.
*
Depuis ce lundi, je ne cesse de regarder mes mains gonflées par l’insuffisance veineuse, et pire, je sens qu’elles le sont, mes pieds pareillement. Tu vas chez le médecin pour deux trois soucis et tu en ressors avec un supplémentaire qui t’accapare l’esprit.
*
Une somme d’insuffisances en augmentation constante, telle pourrait être la définition de la vieillesse.
5 septembre 2018
Sept heures ce dimanche, bien que ce ne soit pas tout près, c’est à pied par l’avenue du Mont-Riboudet (où s’expose tout ce qu’on peut acheter comme voiture) que je rejoins la basilique du Sacré-Cœur dans laquelle à l’occasion de la Saint Fiacre on bénit les légumes (une année j’y ai vu la Sénatrice) et près de laquelle se tient un traditionnel vide grenier (j’y ai trouvé à acheter en un temps déjà lointain).
Cette fois, je sais vite qu’il n’en sera rien. Si certains déballeurs sont encore du quartier, beaucoup viennent maintenant d’ailleurs et ce sont des déjà vus avec la même marchandise. Je comprends cette baisse de qualité lorsque je constate que l’organisation n’est plus entre les mains du comité de quartier mais entre celles du professionnel à bonnet et barbe blanche, toujours muni d’un bâton destiné à mesure les emplacements, déjà responsable d’autres vides greniers de la ville, dont ceux trop fréquents des quais de Seine.
J’attrape le premier bus Teor et à huit heures je suis de retour chez moi.
*
L’arbre situé devant l’église Saint Maclou n’est plus mais le panneau informant de son abattage est toujours en place. Il sert à l’expression de l’opinion publique :
« Vous avez eu raison de le couper. Il était trop beau. »
« Où Sanchez passe, l’arbre trépasse. »
« Je vous suggère de soigner les arbres ou du moins de tenter de le faire. »
« Cette mairie n’aime pas les arbres ni ses habitants. »
« Plus d’arbres, plus d’oiseaux. »
« Honte à notre mairie. »
« Moi-même je ne me sens pas très bien. »
*
Sur le tableau d’affichage de la Taverne Saint Amand, ce message à la craie qui révèle une certaine anxiété :
« Ne vous fiez pas à la salle vide, les gens sont sur la terrasse en arrière-cour. »
*
Propos de terrasse au Son du Cor :
« Qu’est-ce qu’il lui a pris d’aller piquer cinq cent balles. Cinq cent balles, c’est beaucoup et pas beaucoup. C’est pas une somme. »
« Comment on peut se marier alors qu’on vit pas ensemble. Alors qu’elle m’a raconté son plan cul avec un mec qui la bourrait à tire-larigot. La salope. »
« Mon fromager du marché, il est tout au bout de l’alimentaire. Il fait la jonction avec toute la merde. » (toute la merde = la brocante)
*
Dialogue de garçons au même endroit :
-Hier, tu t’es bourré la gueule ?
-Non, pas eu envie.
-Oui, ça fait du bien parfois de pas être saoul.
*
Une fille à la terrasse du Sacre parlant à sa copine : « Je me suis mise au pastis. Parce que le lendemain, je me sens mieux. Je sais pas pourquoi. C’est l’eau peut-être.
Cette fois, je sais vite qu’il n’en sera rien. Si certains déballeurs sont encore du quartier, beaucoup viennent maintenant d’ailleurs et ce sont des déjà vus avec la même marchandise. Je comprends cette baisse de qualité lorsque je constate que l’organisation n’est plus entre les mains du comité de quartier mais entre celles du professionnel à bonnet et barbe blanche, toujours muni d’un bâton destiné à mesure les emplacements, déjà responsable d’autres vides greniers de la ville, dont ceux trop fréquents des quais de Seine.
J’attrape le premier bus Teor et à huit heures je suis de retour chez moi.
*
L’arbre situé devant l’église Saint Maclou n’est plus mais le panneau informant de son abattage est toujours en place. Il sert à l’expression de l’opinion publique :
« Vous avez eu raison de le couper. Il était trop beau. »
« Où Sanchez passe, l’arbre trépasse. »
« Je vous suggère de soigner les arbres ou du moins de tenter de le faire. »
« Cette mairie n’aime pas les arbres ni ses habitants. »
« Plus d’arbres, plus d’oiseaux. »
« Honte à notre mairie. »
« Moi-même je ne me sens pas très bien. »
*
Sur le tableau d’affichage de la Taverne Saint Amand, ce message à la craie qui révèle une certaine anxiété :
« Ne vous fiez pas à la salle vide, les gens sont sur la terrasse en arrière-cour. »
*
Propos de terrasse au Son du Cor :
« Qu’est-ce qu’il lui a pris d’aller piquer cinq cent balles. Cinq cent balles, c’est beaucoup et pas beaucoup. C’est pas une somme. »
« Comment on peut se marier alors qu’on vit pas ensemble. Alors qu’elle m’a raconté son plan cul avec un mec qui la bourrait à tire-larigot. La salope. »
« Mon fromager du marché, il est tout au bout de l’alimentaire. Il fait la jonction avec toute la merde. » (toute la merde = la brocante)
*
Dialogue de garçons au même endroit :
-Hier, tu t’es bourré la gueule ?
-Non, pas eu envie.
-Oui, ça fait du bien parfois de pas être saoul.
*
Une fille à la terrasse du Sacre parlant à sa copine : « Je me suis mise au pastis. Parce que le lendemain, je me sens mieux. Je sais pas pourquoi. C’est l’eau peut-être.
4 septembre 2018
Jeudi dernier, j’apprends par un message du Centre Photographique Rouen Normandie la mort deux jours plus tôt de Didier Mouchel, son ancien responsable quand ça s’appelait le Pôle Image de Haute-Normandie. Je ne le connaissais pas beaucoup mais cette nouvelle m’attriste.
Nous échangions toujours quelques mots lors des vernissages des expositions qu’il organisait dans la galerie du Pôle Image, rue de la Chaîne. Certaines furent de grande qualité. Je me souviens particulièrement de celle consacrée aux photos de Jacob Holdt.
Il lui est arrivé d’intervenir pour calmer le courroux d’une de qui j’avais critiqué les images. Il n’était pas de ceux qui m’en veulent d’avoir écrit telle ou telle chose.
Certains mercredis matins, je le trouvais à Saint-Lazare, facile à repérer avec son mètre quatre-vingt-dix. Nous avions pris le même train sans le savoir. Il allait consulter des fonds photographiques. Je me souviens de la fois où il s’est foutu de moi parce que j’étais perdu dans le métro parisien. Je me souviens aussi de la fois où il m’avait effrayé en manquant se prendre une bûche avec son vélo devant le Centre des Impôts de Rouen où il arrivait à fond sur le trottoir.
« Les Rouennais ne verront plus la grande silhouette de Didier Mouchel passer à vélo par tous les temps. » écrit Frédérique Fanchette dans Libération.
Il y a longtemps que je ne le voyais plus sur son vélo. Je pensais même qu’il avait quitté la ville depuis sa retraite.
La dernière fois que je l’ai aperçu, sans avoir l’occasion de lui parler, c’était au vernissage d’une exposition due à celle qui lui a succédé, il y a un an ou peut-être davantage. Il avait le cheveu ras. Pas une seconde je n’ai pensé que ce pouvait être à cause de la maladie.
Samedi, à la terrasse du Sacre, j’apprends par mes voisins que ses obsèques auront lieu au crématorium du Cimetière Monumental ce mercredi à huit heures trente. Je n’ai donc pas à me poser la question d’y aller ou pas.
-Il a eu un bel article dans Libé, dit l’un des trois hommes.
Didier Mouchel est mort d’un cancer à l’âge de soixante-cinq ans.
Nous échangions toujours quelques mots lors des vernissages des expositions qu’il organisait dans la galerie du Pôle Image, rue de la Chaîne. Certaines furent de grande qualité. Je me souviens particulièrement de celle consacrée aux photos de Jacob Holdt.
Il lui est arrivé d’intervenir pour calmer le courroux d’une de qui j’avais critiqué les images. Il n’était pas de ceux qui m’en veulent d’avoir écrit telle ou telle chose.
Certains mercredis matins, je le trouvais à Saint-Lazare, facile à repérer avec son mètre quatre-vingt-dix. Nous avions pris le même train sans le savoir. Il allait consulter des fonds photographiques. Je me souviens de la fois où il s’est foutu de moi parce que j’étais perdu dans le métro parisien. Je me souviens aussi de la fois où il m’avait effrayé en manquant se prendre une bûche avec son vélo devant le Centre des Impôts de Rouen où il arrivait à fond sur le trottoir.
« Les Rouennais ne verront plus la grande silhouette de Didier Mouchel passer à vélo par tous les temps. » écrit Frédérique Fanchette dans Libération.
Il y a longtemps que je ne le voyais plus sur son vélo. Je pensais même qu’il avait quitté la ville depuis sa retraite.
La dernière fois que je l’ai aperçu, sans avoir l’occasion de lui parler, c’était au vernissage d’une exposition due à celle qui lui a succédé, il y a un an ou peut-être davantage. Il avait le cheveu ras. Pas une seconde je n’ai pensé que ce pouvait être à cause de la maladie.
Samedi, à la terrasse du Sacre, j’apprends par mes voisins que ses obsèques auront lieu au crématorium du Cimetière Monumental ce mercredi à huit heures trente. Je n’ai donc pas à me poser la question d’y aller ou pas.
-Il a eu un bel article dans Libé, dit l’un des trois hommes.
Didier Mouchel est mort d’un cancer à l’âge de soixante-cinq ans.
3 septembre 2018
Pour la dernière fois, je rejoins La Maison Rouge, ce mercredi vers treize heures. L’endroit a ouvert en juin deux mille quatre et va fermer le vingt-huit octobre deux mille dix-huit. Ainsi en a décidé Antoine de Galbert, non pour des raisons économiques mais par envie de passer à autre chose. On n’y demande plus à voir le contenu des sacs à l’entrée.
-Est-ce que vous bénéficiez d’un tarif particulier ? me demande avec diplomatie la jolie fille de la billetterie.
-Oui, de vieux, lui réponds-je.
-De sage, corrige-t-elle.
-Oh ça, ce n’est pas sûr, lui dis-je tandis qu’elle me donne l’étiquette à coller sur ma veste et le livret de l’exposition L’Envol ou le rêve de voler.
Après avoir laissé mon sac à dos dans un casier transparent, je franchis la porte qui donne sur une sorte de couloir. Sur le mur de gauche est visible l’extrait de La Dolce Vita de Fellini montrant la statue de Jésus suspendue à l’hélicoptère dans le ciel romain. En face, une photo de P.W. Wodehouse Le père Patrick Moore de la Scarboro en avion aux côtés de Notre-Dame-de-Fatima (la statue d’icelle occupe un siège de passager sanglée par une ceinture de sécurité) et une lévitation de Philippe Ramette. Auguste Rodin est ensuite requis avec plusieurs sculptures.
L’idée de quitter le sol a travaillé et travaille beaucoup d’artistes dont quelques originaux. Ainsi voit-on ici Le vélo hélicoptère de Gustav Messmer et le film d’une de ses tentatives d’envol, des chaussures à ressort du même, le Spoutnik russe CCCP 28000 km à l’heure d’André Robillard qui « vit et travaille à Orléans » et le bureau encombré des notes confuses de Chucho, un Cubain qui affirme avoir été enlevé plusieurs fois par des extraterrestres qu’il décrit semblables aux êtres humains.
Dans le patio, la fusée Soviet Union de François Burland est prête au décollage. Tout aussi impressionnante est l’œuvre de Fabio Mauri Macchina per fissare acquerelli, une grande échelle en bois vernis à laquelle je grimperais bien. C’est interdit. En revanche, le public est invité à laisser ses chaussures dans une antichambre avant de pénétrer dans une salle où se trouve une œuvre fragile de je ne sais qui. Ce que je suis incapable de faire. De même, je ne tente pas de prendre place sur You are invited to try me out, de je ne sais qui, sorte de forme destinée à mettre le corps dans la position du parachutiste qui se lance. Ni de m’allonger sur le dos pour regarder un film projeté au plafond. Tout cela n’est plus de mon âge.
Au chapitre de l’humour, trois vidéos de Roman Signer me font sourire : cinquante-six petits hélicoptères se heurtent à murs et plafond, deux parapluies attachés par les manches sont lancés dans la tempête, un véhicule à trois roues dans lequel se tient un homme casqué est verticalisé par plusieurs autres dans un but de décollage.
Chaque exposition de La Maison Rouge se termine au sous-sol. Cette fois, on y découvre le drame qui s’est joué le jour du vernissage. Une sorcière, victime d’un balai défectueux, s’est écrasée contre le mur. Son corps a bien sûr été enlevé mais on en voit une photo et surtout, le sang séché du mur jusqu’au sol témoigne de la violence du choc. Cette œuvre nommée La Sorcière est signée Pierre Joseph, la comédienne est restée anonyme.
Une grosse averse s’abat sur Paris quand je remonte. J’attends un peu dans cette Maison Rouge dont je vais regretter les expositions, puis comme cela ne veut pas cesser, je me lance hardiment jusqu’au métro Bastille.
Il ne pleut plus lorsque j’émerge à Quatre-Septembre. Chez Book-Off, je charge mon sac de plusieurs livres à un euro. Le plus lourd est 1000 Nudes (Uwe Scheid Collection) que publia autrefois Taschen. Il fut offert en cadeau le onze octobre mil neuf quatre-vingt-dix-sept : « Chère Sofia, simplement, bon anniversaire avec ma toute tendre amitié ». La signature est illisible. Avant de se débarrasser de cet audacieux présent, Sofia en a usé plus d’une fois, à moins qu’il soit passé par d’autres mains. Un sévère pli en casse le dos, qui l’ouvre à la page d’une photo anonyme datant de mil huit cent quatre-vingt-cinq Elle montre une trapéziste de face les cuisses écartées.
*
André Robillard, quatre-vingt-six ans, réside depuis sa jeunesse à l’Hôpital Psychiatrique de Fleury-les-Aubrais dans lequel, avec des objets de récupération, il crée des spoutniks et des fusils à tuer la misère.
-Est-ce que vous bénéficiez d’un tarif particulier ? me demande avec diplomatie la jolie fille de la billetterie.
-Oui, de vieux, lui réponds-je.
-De sage, corrige-t-elle.
-Oh ça, ce n’est pas sûr, lui dis-je tandis qu’elle me donne l’étiquette à coller sur ma veste et le livret de l’exposition L’Envol ou le rêve de voler.
Après avoir laissé mon sac à dos dans un casier transparent, je franchis la porte qui donne sur une sorte de couloir. Sur le mur de gauche est visible l’extrait de La Dolce Vita de Fellini montrant la statue de Jésus suspendue à l’hélicoptère dans le ciel romain. En face, une photo de P.W. Wodehouse Le père Patrick Moore de la Scarboro en avion aux côtés de Notre-Dame-de-Fatima (la statue d’icelle occupe un siège de passager sanglée par une ceinture de sécurité) et une lévitation de Philippe Ramette. Auguste Rodin est ensuite requis avec plusieurs sculptures.
L’idée de quitter le sol a travaillé et travaille beaucoup d’artistes dont quelques originaux. Ainsi voit-on ici Le vélo hélicoptère de Gustav Messmer et le film d’une de ses tentatives d’envol, des chaussures à ressort du même, le Spoutnik russe CCCP 28000 km à l’heure d’André Robillard qui « vit et travaille à Orléans » et le bureau encombré des notes confuses de Chucho, un Cubain qui affirme avoir été enlevé plusieurs fois par des extraterrestres qu’il décrit semblables aux êtres humains.
Dans le patio, la fusée Soviet Union de François Burland est prête au décollage. Tout aussi impressionnante est l’œuvre de Fabio Mauri Macchina per fissare acquerelli, une grande échelle en bois vernis à laquelle je grimperais bien. C’est interdit. En revanche, le public est invité à laisser ses chaussures dans une antichambre avant de pénétrer dans une salle où se trouve une œuvre fragile de je ne sais qui. Ce que je suis incapable de faire. De même, je ne tente pas de prendre place sur You are invited to try me out, de je ne sais qui, sorte de forme destinée à mettre le corps dans la position du parachutiste qui se lance. Ni de m’allonger sur le dos pour regarder un film projeté au plafond. Tout cela n’est plus de mon âge.
Au chapitre de l’humour, trois vidéos de Roman Signer me font sourire : cinquante-six petits hélicoptères se heurtent à murs et plafond, deux parapluies attachés par les manches sont lancés dans la tempête, un véhicule à trois roues dans lequel se tient un homme casqué est verticalisé par plusieurs autres dans un but de décollage.
Chaque exposition de La Maison Rouge se termine au sous-sol. Cette fois, on y découvre le drame qui s’est joué le jour du vernissage. Une sorcière, victime d’un balai défectueux, s’est écrasée contre le mur. Son corps a bien sûr été enlevé mais on en voit une photo et surtout, le sang séché du mur jusqu’au sol témoigne de la violence du choc. Cette œuvre nommée La Sorcière est signée Pierre Joseph, la comédienne est restée anonyme.
Une grosse averse s’abat sur Paris quand je remonte. J’attends un peu dans cette Maison Rouge dont je vais regretter les expositions, puis comme cela ne veut pas cesser, je me lance hardiment jusqu’au métro Bastille.
Il ne pleut plus lorsque j’émerge à Quatre-Septembre. Chez Book-Off, je charge mon sac de plusieurs livres à un euro. Le plus lourd est 1000 Nudes (Uwe Scheid Collection) que publia autrefois Taschen. Il fut offert en cadeau le onze octobre mil neuf quatre-vingt-dix-sept : « Chère Sofia, simplement, bon anniversaire avec ma toute tendre amitié ». La signature est illisible. Avant de se débarrasser de cet audacieux présent, Sofia en a usé plus d’une fois, à moins qu’il soit passé par d’autres mains. Un sévère pli en casse le dos, qui l’ouvre à la page d’une photo anonyme datant de mil huit cent quatre-vingt-cinq Elle montre une trapéziste de face les cuisses écartées.
*
André Robillard, quatre-vingt-six ans, réside depuis sa jeunesse à l’Hôpital Psychiatrique de Fleury-les-Aubrais dans lequel, avec des objets de récupération, il crée des spoutniks et des fusils à tuer la misère.
31 août 2018
J’ai une place numérotée dans le sept heures cinquante-neuf pour Paris, ce mercredi, mais je ne la cherche pas. Après un voyage sans histoire, hormis un arrêt de cinq minutes à quelques centaines de mètres du but, celui qui m’attendait me reconnaît au sac en plastique Pages Jaunes dans lequel sont les livres que je lui ai vendus. Il est plus vieux que me le laissait entendre sa voix au téléphone. Je suppose qu’il pense la même chose pour moi. Il me donne les codes de retrait. Je lui donne sa commande. C’est allégé que je rejoins en métro Ledru-Rollin. Un café vite bu au Faubourg et me voici devant le rideau de Book-Off au moment où il se lève.
Parmi les livres à un euro du rayon Littérature, je mets la main sur le Journal de la jeune Rywka Lipszyc édité en deux mille quinze par Calmann-Lévy et dont le manuscrit fut trouvé par une femme médecin de l’Armée Rouge dans les ruines du camp d’Auschwitz-Birkenau.
Il fait lourd, le ciel est gris tirant sur le noir, l’averse annoncée. Jamais je n’ai vu la place d’Aligre si peu fréquentée par les brocanteurs et vendeurs de livres. Je me réfugie chez Emmaüs, rue de Charonne, où le problème de la matinée est difficile à régler. Une femme est venue hier donner plusieurs cartons d’objets divers. Par erreur, elle y a laissé ses télécommandes. Elle les réclame. Oui mais les cartons sont partis à Montreuil.
J’achète trois poches pour un euro dont les Fables de La Fontaine dans l’édition Garnier Flammarion. J’ai envie d’enfin les lire toutes. Le train est le lieu pour cela.
Un peu plus loin dans cette rue se trouve l’un des cinq Chez Gladines, « bistro resto » dont le mobilier pourrait provenir de chez son voisin. Une jeune serveuse un peu survoltée m’installe à l’une des petites tables. Sans trop réfléchir, je commande la formule du jour : une bavette d’aloyau haricots verts sauce échalote et une tarte Tatin, pour boire un quart de saint-chinian.
Le jeune serveur porte un maillot de foute dont le devant est siglé d’un nom qui m’est familier : Rakuten. Je l’interroge.
-Rakuten, ils viennent de racheter Price Minister.
-Oui, je sais. Mais pourquoi ce nom sur ce maillot ?
-C’est le maillot du Barça. Ils le sponsorisent depuis deux ans.
Je ne sais si c’est rassurant.
-Tartatin !, claironne sa collègue quand elle m’apporte le dessert.
Si la bavette était décevante, cette tarte est excellente. Je règle la somme ronde de vingt euros puis, sans qu’il ait encore plu, me dirige vers La Maison Rouge afin d’y faire une ultime visite, celle de l’exposition L’Envol.
Parmi les livres à un euro du rayon Littérature, je mets la main sur le Journal de la jeune Rywka Lipszyc édité en deux mille quinze par Calmann-Lévy et dont le manuscrit fut trouvé par une femme médecin de l’Armée Rouge dans les ruines du camp d’Auschwitz-Birkenau.
Il fait lourd, le ciel est gris tirant sur le noir, l’averse annoncée. Jamais je n’ai vu la place d’Aligre si peu fréquentée par les brocanteurs et vendeurs de livres. Je me réfugie chez Emmaüs, rue de Charonne, où le problème de la matinée est difficile à régler. Une femme est venue hier donner plusieurs cartons d’objets divers. Par erreur, elle y a laissé ses télécommandes. Elle les réclame. Oui mais les cartons sont partis à Montreuil.
J’achète trois poches pour un euro dont les Fables de La Fontaine dans l’édition Garnier Flammarion. J’ai envie d’enfin les lire toutes. Le train est le lieu pour cela.
Un peu plus loin dans cette rue se trouve l’un des cinq Chez Gladines, « bistro resto » dont le mobilier pourrait provenir de chez son voisin. Une jeune serveuse un peu survoltée m’installe à l’une des petites tables. Sans trop réfléchir, je commande la formule du jour : une bavette d’aloyau haricots verts sauce échalote et une tarte Tatin, pour boire un quart de saint-chinian.
Le jeune serveur porte un maillot de foute dont le devant est siglé d’un nom qui m’est familier : Rakuten. Je l’interroge.
-Rakuten, ils viennent de racheter Price Minister.
-Oui, je sais. Mais pourquoi ce nom sur ce maillot ?
-C’est le maillot du Barça. Ils le sponsorisent depuis deux ans.
Je ne sais si c’est rassurant.
-Tartatin !, claironne sa collègue quand elle m’apporte le dessert.
Si la bavette était décevante, cette tarte est excellente. Je règle la somme ronde de vingt euros puis, sans qu’il ait encore plu, me dirige vers La Maison Rouge afin d’y faire une ultime visite, celle de l’exposition L’Envol.
30 août 2018
Le beau temps revenu, je m’installe à midi ce mardi à l’une des tables au soleil du Son du Cor. Le café verre d’eau m’arrive sans que j’aie besoin de le commander. J’y commence la lecture de Correspondance avec Ferny Besson d’Alexandre Vialatte. Pas loin de moi, côté droit, est une jolie fille à petite robe bleu ciel qui mange des cubes de fromage avec son sirop de violette tout en tournant les pages d’un livre de poche hélas de Paolo Coelho. Trois autres filles à longues jupes, style Lycée Jeanne d’Arc, s’assoient à ma gauche. Elles parlent bruyamment d’autres filles qui aiment plusieurs filles à la fois puis de la pratique du théâtre qui fait du bien à la timidité. Le téléphone d’une retentit.
-Je suis au Son du Cor, répond-elle, tu peux venir me faire un p’tit bisou.
-C’était Léon, annonce-t-elle aux deux autres. Il est super gentil mais qu’est-ce qu’il est chiant avec sa politique.
J’ai suffisamment d’indices pour savoir de qui elle parle.
-Salut, ça va bien ? me dit-il après avoir embrassé le trio.
-J’étais sûr que c’était toi qui allais arriver, lui dis-je mais je ne lui explique pas pourquoi.
La fille à la petite robe bleu ciel me sourit quand elle se lève. Je la regarde disparaître entre les maisons qui se rapprochent à l’entrée de la rue du Pont-Codrille, lisant tout en marchant, une chose que je n’ai jamais été capable de faire.
Quand le soleil me quitte, je vais payer mon euro quarante à l’intérieur. Au bout de la rue d’Amiens, un homme à petites lunettes bleu ciel s’avance pour me serrer la main
-Bonjour, vous allez bien ? me dit-il
-Je vous connais, lui dis-je, mais je ne sais plus d’où.
-Je suis l’ancien patron du Marégraphe.
Cela me ramène bien des années en arrière. Il m’apprend que désormais il travaille chez Axa et me demande si je vais toujours là-bas. Je réponds par la négative. Depuis son départ l’endroit a changé en mal. Adieu les jolies chaises et tables colorées de la terrasse où je lisais au bord de la Seine. Je lui demande si son nouveau travail lui va. Il me répond qu’il faut se sentir bien là où on est.
Après être repassé par chez moi, je ressors pour rejoindre la terrasse du Sacre, sûr d’y trouver plein soleil. A peine suis-je assis que le café verre d’eau m’arrive sans que j’aie besoin de le commander. J’y poursuis ma lecture des lettres de Vialatte jusqu’à ce qu’il soit seize heures. Je vais payer mon euro quarante à l’intérieur puis rentre installer dans le jardin à l’ombre une planche sur deux tréteaux afin d’y poser mon ordinateur et raconter mon dernier mardi d’août, bleu ciel.
-Je suis au Son du Cor, répond-elle, tu peux venir me faire un p’tit bisou.
-C’était Léon, annonce-t-elle aux deux autres. Il est super gentil mais qu’est-ce qu’il est chiant avec sa politique.
J’ai suffisamment d’indices pour savoir de qui elle parle.
-Salut, ça va bien ? me dit-il après avoir embrassé le trio.
-J’étais sûr que c’était toi qui allais arriver, lui dis-je mais je ne lui explique pas pourquoi.
La fille à la petite robe bleu ciel me sourit quand elle se lève. Je la regarde disparaître entre les maisons qui se rapprochent à l’entrée de la rue du Pont-Codrille, lisant tout en marchant, une chose que je n’ai jamais été capable de faire.
Quand le soleil me quitte, je vais payer mon euro quarante à l’intérieur. Au bout de la rue d’Amiens, un homme à petites lunettes bleu ciel s’avance pour me serrer la main
-Bonjour, vous allez bien ? me dit-il
-Je vous connais, lui dis-je, mais je ne sais plus d’où.
-Je suis l’ancien patron du Marégraphe.
Cela me ramène bien des années en arrière. Il m’apprend que désormais il travaille chez Axa et me demande si je vais toujours là-bas. Je réponds par la négative. Depuis son départ l’endroit a changé en mal. Adieu les jolies chaises et tables colorées de la terrasse où je lisais au bord de la Seine. Je lui demande si son nouveau travail lui va. Il me répond qu’il faut se sentir bien là où on est.
Après être repassé par chez moi, je ressors pour rejoindre la terrasse du Sacre, sûr d’y trouver plein soleil. A peine suis-je assis que le café verre d’eau m’arrive sans que j’aie besoin de le commander. J’y poursuis ma lecture des lettres de Vialatte jusqu’à ce qu’il soit seize heures. Je vais payer mon euro quarante à l’intérieur puis rentre installer dans le jardin à l’ombre une planche sur deux tréteaux afin d’y poser mon ordinateur et raconter mon dernier mardi d’août, bleu ciel.
© 2014 Michel Perdrial - Design: Bureau l’Imprimante