Dernières notes
Loïc Boyer
Je suis l’auteur de textes courts qui furent publiés depuis mil neuf cent quatre-vingt-quinze dans des revues littéraires en France (Supérieur Inconnu, Supplément d’Ame, Nouvelle Donne, Le Bord de l’Eau, Pris de Peur, l’Art du Bref, Sol’Air, Gros Textes, Salmigondis, Verso, Décharge, Bulle, Filigranes, Diérèse, Martobre, Comme ça et Autrement, (Cahier d’) Ecritures, La Nef des Fous), en Belgique (Traversées, Ecrits Vains, L’Arbre à Plumes, Inédit Nouveau, Bleu d’Encre), au Canada (Les Saisons Littéraires) et en Italie (Les Cahiers du Ru).
Les courageuses Editions du Chardon ont publié en mil neuf cent quatre-vingt-dix-neuf Erotica, un recueil de vingt-huit de ces textes, illustré par Isabelle Pio et Antoine Lopez et préfacé par Sarane Alexandrian, toujours disponible auprès de moi.
Je suis également l’auteur d’une pièce de théâtre et de plusieurs romans ou récits à ce jour inédits.
Depuis le onze novembre deux mille six, je publie mon Journal via Internet, un temps sous-titré Persiflages, moquages et autres énervages mâtinés de complimentages et de contentages. Sa première partie est lisible chez Eklablog, la deuxième ici.
Je vis au centre de Rouen dans un ancien monastère où autrefois les Sœurs de la Miséricorde se vouaient à l’éducation des jeunes filles.
Les courageuses Editions du Chardon ont publié en mil neuf cent quatre-vingt-dix-neuf Erotica, un recueil de vingt-huit de ces textes, illustré par Isabelle Pio et Antoine Lopez et préfacé par Sarane Alexandrian, toujours disponible auprès de moi.
Je suis également l’auteur d’une pièce de théâtre et de plusieurs romans ou récits à ce jour inédits.
Depuis le onze novembre deux mille six, je publie mon Journal via Internet, un temps sous-titré Persiflages, moquages et autres énervages mâtinés de complimentages et de contentages. Sa première partie est lisible chez Eklablog, la deuxième ici.
Je vis au centre de Rouen dans un ancien monastère où autrefois les Sœurs de la Miséricorde se vouaient à l’éducation des jeunes filles.
29 août 2018
Lecture est faite, un peu dans le Nord, le reste au Son du Cor, de Correspondance (1873-1939) de Sigmund Freud publié dans la collection Connaissance de l’Inconscient chez Gallimard en mil neuf cent soixante-six, mon exemplaire provenant de chez Book-Off où je l’ai payé un euro. Cet ouvrage ne recueille que les missives d’ordre personnel, pas celles faisant état de ses travaux en psychanalyse, et c’est pourquoi je l’ai acheté.
Le temps gris et froid de ce lundi m’est l’occasion, au café Le Grand Saint Marc, égayé par le babillage de la petite serveuse qui narre un épisode de ses quinze ans, d’en taper quelques extraits choisis:
Bien des choses capables de plaire à d’autres ne trouvent pas grâce à mes yeux, parce que je ne suis ni ceci, ni cela, dans mon fond je ne suis rien. A Emil Fluss, Vienne, le seize juin mil huit cent soixante-treize, Freud a alors dix-sept ans
Je ne me sentirai pas fatigué, car je serai sous l’effet de la cocaïne que j’absorberai pour maîtriser ma terrible impatience. A Martha Bernays, sa fiancée, Vienne, le vingt-neuf juin mil huit cent quatre-vingt-quatre
Tout d’abord, si je t’autoriserai à patiner ? Sûrement non ; je suis trop jaloux. Je ne sais pas patiner et je n’aurais du reste pas le temps de t’accompagner et il faudrait cependant que tu sois accompagnée. Renonces-y donc. A Martha Bernays, Vienne, le mercredi vingt et un janvier mil huit cent quatre-vingt-cinq
Ne sais-tu pas d’ailleurs, que seuls les pauvres sont gênés de recevoir des cadeaux, les riches jamais ? A Martha Bernays, Vienne, le dix mars mil huit cent quatre-vingt-cinq
Et puis, cette façon d’enjôler, d’implorer, d’étreindre ; incroyables, les attitudes qu’elle prend, la manière dont elle se serre contre quelqu'un, sa façon de mouvoir ses membres et la moindre de ses articulations. Curieuse créature ! A Martha Bernays, Paris, le huit novembre mil huit cent quatre-vingt-cinq (à propos de Sarah Bernhard qu’il est allé voir dans Théodora à la Porte Saint-Martin)
Gants blancs, cravate blanche et même une chemise neuve, une séance chez le coiffeur pour ce qui me reste de cheveux, etc. Un peu de cocaïne pour me délier la langue. A Martha Bernays, Paris, le lundi dix-huit janvier mil huit cent quatre-vingt-six (s’apprêtant pour une soirée chez Charcot)
Mlle Jeanne Charcot est toute différente, petite, elle aussi, un peu forte, d’une ressemblance comique avec son père génial, ce qui, tout en la rendant intéressante, fait qu’on ne se demande même pas si elle est jolie. A Martha Bernays, Paris, le vingt janvier mil huit cent quatre-vingt-six
Vers la fin de la soirée seulement, j’ai entamé une conversation politique avec Gilles de la Tourette dans laquelle il a, bien entendu, prophétisé la plus terrible des guerres avec l’Allemagne. Je lui ai fait savoir aussitôt que je n’étais ni Allemand ni Autrichien mais juif. A Martha Bernays, Paris, le mardi deux février mil huit cent quatre-vingt-six
Depuis une quinzaine d’années, je n’ai plus voulu poser devant un photographe parce que je suis trop vaniteux pour supporter la vue de ma déchéance physique. A Carl Gustav Jung, Rome, le dix-neuf septembre mil neuf cent sept (il a cinquante et un ans)
La morale sexuelle, telle qu’elle est définie par la société, surtout dans sa forme extrême qui est celle de l’Amérique, me paraît fort méprisable. Je suis partisan d’une vie sexuelle infiniment plus libre, bien que j’aie fort peu usé moi-même d’une telle liberté. A James J. Putnam, Vienne, le huit juillet mil neuf cent quinze
J’appartiens en effet à une race qui, au Moyen Age, fut tenue pour responsable de toutes les épidémies qui frappent les peuples et que l’on accuse présentement de la décadence de l’Empire en Autriche et de la perte de guerre en Allemagne. De telles expériences vous refroidissent et vous incitent peu à croire aux illusions. (…/…)
… si nous continuons à nous haïr les uns les autres à cause de différences minimes et à nous tuer pour d’insignifiants profits, si nous exploitons sans cesse pour notre anéantissement mutuel les grands progrès réalisés dans le contrôle des forces naturelles, à quelle sorte d’avenir pouvons-nous nous attendre ? A Romain Rolland, Vienne, le quatre mars mil neuf vingt-trois
Car jusqu’alors, semble-t-il, j’étais tenté de tenir les surréalistes, qui apparemment m’ont choisi comme saint patron, pour des fous intégraux (disons à quatre-vingt-quinze pour cent, comme l’alcool absolu). Le jeune Espagnol, avec ses candides yeux de fanatique et son indéniable maîtrise technique, m’a incité à reconsidérer mon opinion. A Stefan Zweig, Londres, le vingt juillet mil neuf cent trente-neuf (il s’agit de Salvador Dali, venu le visiter en son exil)
Je ne vais pas bien, mon mal et les suites du traitement en sont cause, mais dans quelle proportion l’un et l’autre, je l’ignore. On a tenté de me plonger dans une atmosphère d’optimisme en me disant que le carcinome est en régression, que les symptômes réactionnels ne sont que temporaires. Je n’en crois rien et n’aime pas être trompé. A Marie Bonaparte, Londres, le vingt-huit avril mil neuf cent trente-neuf (il mourra à trois heures du matin dans la nuit du vingt-deux au vingt-trois septembre)
Le temps gris et froid de ce lundi m’est l’occasion, au café Le Grand Saint Marc, égayé par le babillage de la petite serveuse qui narre un épisode de ses quinze ans, d’en taper quelques extraits choisis:
Bien des choses capables de plaire à d’autres ne trouvent pas grâce à mes yeux, parce que je ne suis ni ceci, ni cela, dans mon fond je ne suis rien. A Emil Fluss, Vienne, le seize juin mil huit cent soixante-treize, Freud a alors dix-sept ans
Je ne me sentirai pas fatigué, car je serai sous l’effet de la cocaïne que j’absorberai pour maîtriser ma terrible impatience. A Martha Bernays, sa fiancée, Vienne, le vingt-neuf juin mil huit cent quatre-vingt-quatre
Tout d’abord, si je t’autoriserai à patiner ? Sûrement non ; je suis trop jaloux. Je ne sais pas patiner et je n’aurais du reste pas le temps de t’accompagner et il faudrait cependant que tu sois accompagnée. Renonces-y donc. A Martha Bernays, Vienne, le mercredi vingt et un janvier mil huit cent quatre-vingt-cinq
Ne sais-tu pas d’ailleurs, que seuls les pauvres sont gênés de recevoir des cadeaux, les riches jamais ? A Martha Bernays, Vienne, le dix mars mil huit cent quatre-vingt-cinq
Et puis, cette façon d’enjôler, d’implorer, d’étreindre ; incroyables, les attitudes qu’elle prend, la manière dont elle se serre contre quelqu'un, sa façon de mouvoir ses membres et la moindre de ses articulations. Curieuse créature ! A Martha Bernays, Paris, le huit novembre mil huit cent quatre-vingt-cinq (à propos de Sarah Bernhard qu’il est allé voir dans Théodora à la Porte Saint-Martin)
Gants blancs, cravate blanche et même une chemise neuve, une séance chez le coiffeur pour ce qui me reste de cheveux, etc. Un peu de cocaïne pour me délier la langue. A Martha Bernays, Paris, le lundi dix-huit janvier mil huit cent quatre-vingt-six (s’apprêtant pour une soirée chez Charcot)
Mlle Jeanne Charcot est toute différente, petite, elle aussi, un peu forte, d’une ressemblance comique avec son père génial, ce qui, tout en la rendant intéressante, fait qu’on ne se demande même pas si elle est jolie. A Martha Bernays, Paris, le vingt janvier mil huit cent quatre-vingt-six
Vers la fin de la soirée seulement, j’ai entamé une conversation politique avec Gilles de la Tourette dans laquelle il a, bien entendu, prophétisé la plus terrible des guerres avec l’Allemagne. Je lui ai fait savoir aussitôt que je n’étais ni Allemand ni Autrichien mais juif. A Martha Bernays, Paris, le mardi deux février mil huit cent quatre-vingt-six
Depuis une quinzaine d’années, je n’ai plus voulu poser devant un photographe parce que je suis trop vaniteux pour supporter la vue de ma déchéance physique. A Carl Gustav Jung, Rome, le dix-neuf septembre mil neuf cent sept (il a cinquante et un ans)
La morale sexuelle, telle qu’elle est définie par la société, surtout dans sa forme extrême qui est celle de l’Amérique, me paraît fort méprisable. Je suis partisan d’une vie sexuelle infiniment plus libre, bien que j’aie fort peu usé moi-même d’une telle liberté. A James J. Putnam, Vienne, le huit juillet mil neuf cent quinze
J’appartiens en effet à une race qui, au Moyen Age, fut tenue pour responsable de toutes les épidémies qui frappent les peuples et que l’on accuse présentement de la décadence de l’Empire en Autriche et de la perte de guerre en Allemagne. De telles expériences vous refroidissent et vous incitent peu à croire aux illusions. (…/…)
… si nous continuons à nous haïr les uns les autres à cause de différences minimes et à nous tuer pour d’insignifiants profits, si nous exploitons sans cesse pour notre anéantissement mutuel les grands progrès réalisés dans le contrôle des forces naturelles, à quelle sorte d’avenir pouvons-nous nous attendre ? A Romain Rolland, Vienne, le quatre mars mil neuf vingt-trois
Car jusqu’alors, semble-t-il, j’étais tenté de tenir les surréalistes, qui apparemment m’ont choisi comme saint patron, pour des fous intégraux (disons à quatre-vingt-quinze pour cent, comme l’alcool absolu). Le jeune Espagnol, avec ses candides yeux de fanatique et son indéniable maîtrise technique, m’a incité à reconsidérer mon opinion. A Stefan Zweig, Londres, le vingt juillet mil neuf cent trente-neuf (il s’agit de Salvador Dali, venu le visiter en son exil)
Je ne vais pas bien, mon mal et les suites du traitement en sont cause, mais dans quelle proportion l’un et l’autre, je l’ignore. On a tenté de me plonger dans une atmosphère d’optimisme en me disant que le carcinome est en régression, que les symptômes réactionnels ne sont que temporaires. Je n’en crois rien et n’aime pas être trompé. A Marie Bonaparte, Londres, le vingt-huit avril mil neuf cent trente-neuf (il mourra à trois heures du matin dans la nuit du vingt-deux au vingt-trois septembre)
28 août 2018
Alors que je passe quasiment tous les jours devant, ce n’est qu’en cette fin d’août que je pousse pour la première fois la porte de la librairie d’occasion Rollon ouverte depuis avril dernier rue de la Croix-de-Fer. L’intérieur en est plus intéressant que la vitrine. On y voit un mur de bédés quasiment neuves, passion d’un des deux bouquinistes associés, et selon l’intérêt de son binôme, qui tient la boutique, des ouvrages consacrés aux sciences humaines, à la littérature et à l’histoire (dont un rayonnage sur les Vikings).
Je n’y trouve rien à acheter mais j’y repasse ce lundi après-midi afin d’y vendre un lot de classiques en poche qui me sont achetés cinquante centimes pièce.
-Il faut que je prenne ma calculette, me dit le libraire quand il s’agit de faire le total.
Je le lui donne avant qu’il la mette en marche. « Il suffit de diviser le nombre de livres par deux », lui dis-je. Il me répond qu’il est un littéraire.
Je repasserai par cette boutique dont je déplore cependant le nom (Rollon, ce pillard incendiaire assassin violeur). Il aurait été préférable de l’appeler Librairie de la Croix de Fer. Cela aurait permis de la situer et lui aurait donc donné davantage de chance de durer.
*
Autre librairie d’occasion ouverte il y a quelque temps à Rouen : la bizarrement nommée Bourse aux Livres, rue Grand-Pont. Sur sa vitrine : « Location et achat de livres d’occasion ». Cette tentative de remettre en vogue la location de livres a échoué. La bouquinerie n’aura pas duré suffisamment de temps pour que j’y entre. Sur sa vitrine : « A louer ».
*
Autre échec commercial, dans un autre domaine : L’Echoppe Normande, rue Saint-Romain, épicerie spécialisée dans les produits régionaux, dont le Meuh Cola. Son gérant avait dû tabler sur le passage des touristes mais comme ceux-ci sont essentiellement inclus dans les troupeaux cornaqués par les guides de l’Office de Tourisme et qu’ils n’ont pas la possibilité de s’arrêter pour acheter quoi que ce soit, l’espoir a été déçu. Cette épicerie faisait aussi Point Relais pour les colis, ce qui n’est jamais bon signe.
*
A propos du tourisme de troupeau, deux extraits de l’article publié le vingt et un août par 76actu et titré « Combien rapporte le juteux business des croisiéristes » :
« Ce qui est rassurant avec les touristes en croisière, c’est qu’on sait qu’ils sont là. « On les repère facilement en ville », reconnaît Matthieu de Montchalin, président des Vitrines de Rouen (Seine-Maritime). »
« Il va falloir s’habituer à ces groupes plus ou moins conséquents, parce que les responsables du tourisme en Normandie n’ont pas l’intention de lâcher le filon. « Nous faisons énormément de promotion depuis trois ans, avec un cabinet conseil », confie l’Office de Tourisme de Rouen. »
Matthieu de Montchalin est par ailleurs le directeur de la librairie rouennaise L’Armitière et l’ancien président du Syndicat de la Librairie Française, ce qui n’est pas forcément rassurant.
Je n’y trouve rien à acheter mais j’y repasse ce lundi après-midi afin d’y vendre un lot de classiques en poche qui me sont achetés cinquante centimes pièce.
-Il faut que je prenne ma calculette, me dit le libraire quand il s’agit de faire le total.
Je le lui donne avant qu’il la mette en marche. « Il suffit de diviser le nombre de livres par deux », lui dis-je. Il me répond qu’il est un littéraire.
Je repasserai par cette boutique dont je déplore cependant le nom (Rollon, ce pillard incendiaire assassin violeur). Il aurait été préférable de l’appeler Librairie de la Croix de Fer. Cela aurait permis de la situer et lui aurait donc donné davantage de chance de durer.
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Autre librairie d’occasion ouverte il y a quelque temps à Rouen : la bizarrement nommée Bourse aux Livres, rue Grand-Pont. Sur sa vitrine : « Location et achat de livres d’occasion ». Cette tentative de remettre en vogue la location de livres a échoué. La bouquinerie n’aura pas duré suffisamment de temps pour que j’y entre. Sur sa vitrine : « A louer ».
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Autre échec commercial, dans un autre domaine : L’Echoppe Normande, rue Saint-Romain, épicerie spécialisée dans les produits régionaux, dont le Meuh Cola. Son gérant avait dû tabler sur le passage des touristes mais comme ceux-ci sont essentiellement inclus dans les troupeaux cornaqués par les guides de l’Office de Tourisme et qu’ils n’ont pas la possibilité de s’arrêter pour acheter quoi que ce soit, l’espoir a été déçu. Cette épicerie faisait aussi Point Relais pour les colis, ce qui n’est jamais bon signe.
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A propos du tourisme de troupeau, deux extraits de l’article publié le vingt et un août par 76actu et titré « Combien rapporte le juteux business des croisiéristes » :
« Ce qui est rassurant avec les touristes en croisière, c’est qu’on sait qu’ils sont là. « On les repère facilement en ville », reconnaît Matthieu de Montchalin, président des Vitrines de Rouen (Seine-Maritime). »
« Il va falloir s’habituer à ces groupes plus ou moins conséquents, parce que les responsables du tourisme en Normandie n’ont pas l’intention de lâcher le filon. « Nous faisons énormément de promotion depuis trois ans, avec un cabinet conseil », confie l’Office de Tourisme de Rouen. »
Matthieu de Montchalin est par ailleurs le directeur de la librairie rouennaise L’Armitière et l’ancien président du Syndicat de la Librairie Française, ce qui n’est pas forcément rassurant.
27 août 2018
Organisé par le Comité Grand Pont se déroule ce dernier dimanche d’août un vide grenier sur les quais hauts de la rive droite de Rouen et dans les rues voisines. Je m’y rends dans la fraîcheur grise de sept heures et demie pour la raison qu’il est proche de chez moi. J’y vois comme prévu beaucoup de professionnels et parmi les particuliers pas mal de vendeurs de quasi déchets. Certains ont leur nom devant leur stand, écrit en gros à la peinture blanche sur la chaussée ou le trottoir (de l’art de saloper la voie publique).
-Je pensais que tu irais aux Bouquinistes de l’Iton, me dit mon vieux copain d’école qui a déballé sa marchandise à la même place que l’an dernier.
L’absence d’un bus matinal m’en a empêché. Après avoir fait tout le circuit, je reviens voir un brocanteur qui parmi quelques livres propose Le Paris secret des années 30 de Brassaï. De six euros je réussis à le faire baisser à cinq. Ce livre m’évite d’être bredouille. Ayant déposé l’ouvrage à la maison j’y retourne et cette fois, c’est à un musicien de l’Opéra que j’achète un sac de livres. Pas sûr que j’aurais trouvé davantage à Evreux.
*
Je me réjouissais, suite à mes achats au vide grenier du Vaudreuil, des bonnes lectures d’un commerçant décédé de Louviers. Je dois mettre un bémol. Les pages de son exemplaire de Scènes de la vie rustique de Tourgueniev n’ont pas été coupées.
*
C’est la rentrée de France Culture ce lundi. Je me réjouis de retrouver Tewfik Hakem puis Guillaume Erner au réveil. Tout l’été, ce ne furent que rediffusions, de la radio en conserve. Au point que j’ai réussi à passer l’essentiel de la journée sans radio allumée. Il y eut aussi les prêches de Michel Onfray, Décadence, un autoportrait peut-être. Je n’en ai pas entendu un mot.
-Je pensais que tu irais aux Bouquinistes de l’Iton, me dit mon vieux copain d’école qui a déballé sa marchandise à la même place que l’an dernier.
L’absence d’un bus matinal m’en a empêché. Après avoir fait tout le circuit, je reviens voir un brocanteur qui parmi quelques livres propose Le Paris secret des années 30 de Brassaï. De six euros je réussis à le faire baisser à cinq. Ce livre m’évite d’être bredouille. Ayant déposé l’ouvrage à la maison j’y retourne et cette fois, c’est à un musicien de l’Opéra que j’achète un sac de livres. Pas sûr que j’aurais trouvé davantage à Evreux.
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Je me réjouissais, suite à mes achats au vide grenier du Vaudreuil, des bonnes lectures d’un commerçant décédé de Louviers. Je dois mettre un bémol. Les pages de son exemplaire de Scènes de la vie rustique de Tourgueniev n’ont pas été coupées.
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C’est la rentrée de France Culture ce lundi. Je me réjouis de retrouver Tewfik Hakem puis Guillaume Erner au réveil. Tout l’été, ce ne furent que rediffusions, de la radio en conserve. Au point que j’ai réussi à passer l’essentiel de la journée sans radio allumée. Il y eut aussi les prêches de Michel Onfray, Décadence, un autoportrait peut-être. Je n’en ai pas entendu un mot.
24 août 2018
C’est la bétaillère qui arrive du Havre à sept heures vingt-huit pour me permettre de retourner à Paris ce mercredi. Des travailleurs non encore revenus, plus guère de vacanciers sur le départ, je n’ai aucune difficulté à m’y asseoir. Elle arrive à l’heure. J’ai plus de temps qu’il n’en faut pour rejoindre Quatre Septembre à pied avec mon gros sac de livres à vendre chez Book-Off.
Après avoir bu un café au comptoir du Bistrot d’Edmond en prenant gare au guêpes qui tètent la bière aux embouts de la tireuse, je m’assois en attendant dix heures sur l’un des bancs de la petite place et regarde sortir du métro des filles vêtues d’élégantes minirobes se hâtant vers leur travail.
Tous mes livres sont validés. J’en tire onze euros cinquante et n’en dépense que deux sur place. Le métro Huit pris à Opéra m’emmène à Ledru-Rollin d’où je rejoins le marché d’Aligre. Là aussi août se fait sentir, des brocanteurs sont ailleurs. Les deux gros vendeurs de livres sont là mais rien, pareil chez Emmaüs.
Un peu avant midi, j’entre au Péhemmu chinois Le Rallye. J’y déjeune de mon habituel menu. A l’intérieur c’est calme, moins en terrasse. Des buveurs s’y battent à grands gestes contre les guêpes.
Je me dirige ensuite vers le bar tabac chinois le Week-End à la Bastille où j’ai rendez-vous en terrasse à treize heures avec celle qui travaille à proximité. Elle arrive aussi ponctuellement que le train du matin. Je lui raconte un peu mes vacances à Dunkerque, notamment Excentric City. Elle me raconte ses derniers ouiquennedes, passés en Normandie. A ma demande, elle me parle de l’expo du Centre Pompidou pour laquelle elle est chargée de l’éclairage. « Il y aura ton nom sur le catalogue et le dépliant, j’espère », lui dis-je. Elle me dit que oui sans doute, mais s’en fiche un peu.
Quand elle retourne à son labeur, je vais explorer le second Book-Off et y dépense quatre euros. Revenu place de la Bastille, j’attends le premier bus pour Saint-Lazare. Un touriste anglophone m’aborde. Il cherche où est la Bastille. Je l’invite à se retourner et lui montre la colonne de Juillet et son génie doré brillant sous le soleil. Sa déception est grande. Il pensait trouver là un bâtiment, la prison peut-être.
C’est un Vingt-Neuf qui se présente le premier, lequel passe par les rues étroites du Marais. Après un café verre d’eau à La Ville d’Argentan, je franchis pour la première fois les barrières à Morin mises en marche de façon audacieuse pour deux trains en même temps, celui de Caen et celui de Rouen.
Le dix-sept heures quarante-huit est encore la bétaillère. Il y fait une chaleur épouvantable. « N’hésitez pas à ouvrir les fenêtres pour faire de l’air », conseille le chef de bord. Encore faudrait-il pouvoir. A chaque fois qu’une vitre qui se baisse est hors service, les ateliers de maintenance la remplace par une vitre fixe. Dans la demi voiture de seconde où je suis, seules deux peuvent encore être descendues. Chacun(e) sue stoïquement, dont à ma droite, assise sur un strapontin, une demoiselle qui rentre de vacances en tenue idoine avec sa grosse valise rouge. Certaines femmes ne seront jamais plus aussi jolies qu’à dix huit ans.
*
Il semble que les trottinettes électriques en libre service aient trouvé leur public. Des petits malins les planquent même au fond d’une cour ou dans un café pour en avoir l’usage exclusif, ai-je lu dans Le Parisien.
Ce mercredi, j’en vois passer une montée par un couple (fille devant, garçon derrière avec gros sac à dos) puis deux chargées de cartons de déménagement (deux entre les jambes pour la fille, un sous le pied pour le garçon).
*
Guêpes à Dunkerque (je me suis fait piquer au bras à l’arrêt de bus La Poste de Bray-Dunes). Guêpes à Paris (c’est une année à guêpes, dit le bon peuple). Bizarrement, pas vu le dard d’une à Rouen.
Après avoir bu un café au comptoir du Bistrot d’Edmond en prenant gare au guêpes qui tètent la bière aux embouts de la tireuse, je m’assois en attendant dix heures sur l’un des bancs de la petite place et regarde sortir du métro des filles vêtues d’élégantes minirobes se hâtant vers leur travail.
Tous mes livres sont validés. J’en tire onze euros cinquante et n’en dépense que deux sur place. Le métro Huit pris à Opéra m’emmène à Ledru-Rollin d’où je rejoins le marché d’Aligre. Là aussi août se fait sentir, des brocanteurs sont ailleurs. Les deux gros vendeurs de livres sont là mais rien, pareil chez Emmaüs.
Un peu avant midi, j’entre au Péhemmu chinois Le Rallye. J’y déjeune de mon habituel menu. A l’intérieur c’est calme, moins en terrasse. Des buveurs s’y battent à grands gestes contre les guêpes.
Je me dirige ensuite vers le bar tabac chinois le Week-End à la Bastille où j’ai rendez-vous en terrasse à treize heures avec celle qui travaille à proximité. Elle arrive aussi ponctuellement que le train du matin. Je lui raconte un peu mes vacances à Dunkerque, notamment Excentric City. Elle me raconte ses derniers ouiquennedes, passés en Normandie. A ma demande, elle me parle de l’expo du Centre Pompidou pour laquelle elle est chargée de l’éclairage. « Il y aura ton nom sur le catalogue et le dépliant, j’espère », lui dis-je. Elle me dit que oui sans doute, mais s’en fiche un peu.
Quand elle retourne à son labeur, je vais explorer le second Book-Off et y dépense quatre euros. Revenu place de la Bastille, j’attends le premier bus pour Saint-Lazare. Un touriste anglophone m’aborde. Il cherche où est la Bastille. Je l’invite à se retourner et lui montre la colonne de Juillet et son génie doré brillant sous le soleil. Sa déception est grande. Il pensait trouver là un bâtiment, la prison peut-être.
C’est un Vingt-Neuf qui se présente le premier, lequel passe par les rues étroites du Marais. Après un café verre d’eau à La Ville d’Argentan, je franchis pour la première fois les barrières à Morin mises en marche de façon audacieuse pour deux trains en même temps, celui de Caen et celui de Rouen.
Le dix-sept heures quarante-huit est encore la bétaillère. Il y fait une chaleur épouvantable. « N’hésitez pas à ouvrir les fenêtres pour faire de l’air », conseille le chef de bord. Encore faudrait-il pouvoir. A chaque fois qu’une vitre qui se baisse est hors service, les ateliers de maintenance la remplace par une vitre fixe. Dans la demi voiture de seconde où je suis, seules deux peuvent encore être descendues. Chacun(e) sue stoïquement, dont à ma droite, assise sur un strapontin, une demoiselle qui rentre de vacances en tenue idoine avec sa grosse valise rouge. Certaines femmes ne seront jamais plus aussi jolies qu’à dix huit ans.
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Il semble que les trottinettes électriques en libre service aient trouvé leur public. Des petits malins les planquent même au fond d’une cour ou dans un café pour en avoir l’usage exclusif, ai-je lu dans Le Parisien.
Ce mercredi, j’en vois passer une montée par un couple (fille devant, garçon derrière avec gros sac à dos) puis deux chargées de cartons de déménagement (deux entre les jambes pour la fille, un sous le pied pour le garçon).
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Guêpes à Dunkerque (je me suis fait piquer au bras à l’arrêt de bus La Poste de Bray-Dunes). Guêpes à Paris (c’est une année à guêpes, dit le bon peuple). Bizarrement, pas vu le dard d’une à Rouen.
23 août 2018
Souvenir récent : une vieille à chariot monte au dernier moment dans le DK’Bus et s’adresse à un groupe de jeunes des deux sexes :
-J’ai bien cru que j’allais le rater mon bus, ç’aurait été embêtant parce que je vais au marché, le marché c’est important.
Une fille et un garçon compatissent, lui confirment l’importance du marché puis lui souhaitent une bonne journée quand elle descend.
La même situation dans le Teor rouennais. Au mieux, la jeunesse l’ignore. Plus vraisemblablement, elle se fiche de sa tronche.
Je sais que je suis de retour à Rouen. Au Nord, quiconque, sans distinction d’âge ou de sexe, me croisait dans une rue peu fréquentée, dans un train ou dans un bus presque vide, me disait bonjour. Ici, seul qui me connaît me salue.
Autre constatation qui permet de ne pas confondre Dunkerque et Rouen, l’une des deux villes est propre et l’autre affreusement sale.
Depuis mon retour, mes nuits sont moins tranquilles, perturbées par des angoisses diverses, dont l’une est pourtant sans objet depuis douze ans. Elle surgit la nuit dernière sous forme de rêve. Je suis à la montagne dans un tramouais déglingué qui grimpe les pentes aussi bien qu’un téléphérique. En tête, deux grosses questions : qu’est-ce que j’ai fait de mon sac à dos et est-ce que l’inspecteur est vraiment au courant que je suis à la retraite.
*
A l’Intermarché de la rue Ecuyère où je suis un client irrégulier, personne d’autre que moi à la caisse.
-C’est calme, dis-je à la jeune personne qui la tient.
-Ça fait un moment que c’est calme, me répond-elle, j’espère que ça vite reprendre.
Et non pas :
-Oui, j’espère que les gens ne vont pas revenir trop vite de vacances, ça me permet de respirer et de réfléchir à ma vie.
*
La rue du Père-Adam. D’un côté, des restaurants à spécialité, crêpes, pizzas, etc. De l’autre, des boutiques éphémères mais qui ne le savent pas quand elles ouvrent. La dernière installée est du genre mystico pantoufle. Sur sa vitrine, parmi d’autres propositions : « Nettoyage karmique ».
*
Commerces qui ouvrent, commerces qui ferment. Adieu Flunch qui s’est fait dévorer la clientèle par son voisin Garden Resto. Plus triste, la disparition de l’Hôtel des Carmes, le plus charmant des hôtels de Rouen. Le bâtiment a été racheté par FPPM International (sigle derrière lequel se cache la maroquinerie Paul Marius). Il sera transformé en commerce et en bureaux.
*
-Tu viens avec nous cet après-midi ?
-Non, je peux pas, je vais me faire nettoyer le karma.
-J’ai bien cru que j’allais le rater mon bus, ç’aurait été embêtant parce que je vais au marché, le marché c’est important.
Une fille et un garçon compatissent, lui confirment l’importance du marché puis lui souhaitent une bonne journée quand elle descend.
La même situation dans le Teor rouennais. Au mieux, la jeunesse l’ignore. Plus vraisemblablement, elle se fiche de sa tronche.
Je sais que je suis de retour à Rouen. Au Nord, quiconque, sans distinction d’âge ou de sexe, me croisait dans une rue peu fréquentée, dans un train ou dans un bus presque vide, me disait bonjour. Ici, seul qui me connaît me salue.
Autre constatation qui permet de ne pas confondre Dunkerque et Rouen, l’une des deux villes est propre et l’autre affreusement sale.
Depuis mon retour, mes nuits sont moins tranquilles, perturbées par des angoisses diverses, dont l’une est pourtant sans objet depuis douze ans. Elle surgit la nuit dernière sous forme de rêve. Je suis à la montagne dans un tramouais déglingué qui grimpe les pentes aussi bien qu’un téléphérique. En tête, deux grosses questions : qu’est-ce que j’ai fait de mon sac à dos et est-ce que l’inspecteur est vraiment au courant que je suis à la retraite.
*
A l’Intermarché de la rue Ecuyère où je suis un client irrégulier, personne d’autre que moi à la caisse.
-C’est calme, dis-je à la jeune personne qui la tient.
-Ça fait un moment que c’est calme, me répond-elle, j’espère que ça vite reprendre.
Et non pas :
-Oui, j’espère que les gens ne vont pas revenir trop vite de vacances, ça me permet de respirer et de réfléchir à ma vie.
*
La rue du Père-Adam. D’un côté, des restaurants à spécialité, crêpes, pizzas, etc. De l’autre, des boutiques éphémères mais qui ne le savent pas quand elles ouvrent. La dernière installée est du genre mystico pantoufle. Sur sa vitrine, parmi d’autres propositions : « Nettoyage karmique ».
*
Commerces qui ouvrent, commerces qui ferment. Adieu Flunch qui s’est fait dévorer la clientèle par son voisin Garden Resto. Plus triste, la disparition de l’Hôtel des Carmes, le plus charmant des hôtels de Rouen. Le bâtiment a été racheté par FPPM International (sigle derrière lequel se cache la maroquinerie Paul Marius). Il sera transformé en commerce et en bureaux.
*
-Tu viens avec nous cet après-midi ?
-Non, je peux pas, je vais me faire nettoyer le karma.
21 août 2018
Deux femmes et leurs trois jeunes garçons arrivent au Son du Cor ce samedi. L’une est copieusement enceinte. Elle se met à hauteur du trio pour expliquer qu’ici on n’est pas dans une cour, il y a des gens qui ont envie de boire un verre tranquillement, donc ne pas crier. Les moutards promettent. Ils commencent un jeu de ballon sur le boulodrome. Au bout de quelques minutes, ils font autant de bruit que sur un terrain de foute. On a vu pire, me dis-je.
Je reconnais alors cette future accouchée, déjà mère du plus âgé des garçons, lequel doit avoir cinq ans. Elle aussi me reconnaît et me dit bonjour de loin. Elle doit me trouver affreusement vieilli.
On se disait bonjour régulièrement, il y a fort longtemps, sans se parler autrement que d’un « Ça va ? » A cette époque lointaine, je fréquentais Le Saint Amand, sympathique troquet de la place du même nom, hélas remplacé par L’Espiguette. Elle aussi y lisait, pendant sa pause. Elle était étudiante et travaillait dans un restaurant. Un jour, je ne l’ai plus vue, sans doute partie dans une autre ville, et la voici en pèlerinage à Rouen avec une amie
Le nombre de filles que j’ai connues jeunes et qui sont maintenant mères ou en voie de l’être est affolant. Ainsi deux de celles qui faisaient le ménage chez moi quand elles étaient lycéennes et avec qui je suis toujours en contact. Elles se sont posé bien des questions et puis ont décidé que oui. L’une a déjà son bébé. L’autre l’aura dans quelques mois.
Il y a eu la Génération X, la Génération Y, la Génération Z, voici la Génération Cinquante. « On pourrait craindre des températures s'élevant à cinquante degrés sur l'Est de la France d'ici deux mille cinquante. » (Jean Jouzel, climatologue)
*
Ce dimanche au Son du Cor arrive une autre femme de ma connaissance, dans le début de la quarantaine, ayant un jeune enfant qui n’est pas là. Elle vient retrouver l’homme qui est son nouveau. J’ai parlé une première fois avec elle, il y a deux ou trois ans, lors d’une présentation de programme à l’Opéra de Rouen. Je me suis dit qu’elle avait dû être très jolie quand elle était jeune.
Depuis notre rencontre on se disait bonjour quand on se croisait et pas davantage. J’emploie l’imparfait car depuis qu’elle est avec cet homme, elle fait comme si je n’existais plus. J’ai été surpris la première fois.
De quoi parle-t-elle avec son nouveau chéri ? D’herbes culinaires. Puis il lui passe la revue qu’il lisait en l’attendant pour qu’elle la lise aussi et qu’ils en parlent ensemble. Pas très rock’n’roll.
*
Rouen, jardin de l’Hôtel de Ville, une femme avec sa bambine sur les épaules : « Maman, elle est à la bourre, elle a rendez-vous avec le docteur des dents. »
Ne pourrait-elle pas dire le dentiste et faut-il quand on est mère parler de soi à la troisième personne du singulier en se donnant pour nom ce qui n’est qu’un de ses rôles sociaux ?
Je reconnais alors cette future accouchée, déjà mère du plus âgé des garçons, lequel doit avoir cinq ans. Elle aussi me reconnaît et me dit bonjour de loin. Elle doit me trouver affreusement vieilli.
On se disait bonjour régulièrement, il y a fort longtemps, sans se parler autrement que d’un « Ça va ? » A cette époque lointaine, je fréquentais Le Saint Amand, sympathique troquet de la place du même nom, hélas remplacé par L’Espiguette. Elle aussi y lisait, pendant sa pause. Elle était étudiante et travaillait dans un restaurant. Un jour, je ne l’ai plus vue, sans doute partie dans une autre ville, et la voici en pèlerinage à Rouen avec une amie
Le nombre de filles que j’ai connues jeunes et qui sont maintenant mères ou en voie de l’être est affolant. Ainsi deux de celles qui faisaient le ménage chez moi quand elles étaient lycéennes et avec qui je suis toujours en contact. Elles se sont posé bien des questions et puis ont décidé que oui. L’une a déjà son bébé. L’autre l’aura dans quelques mois.
Il y a eu la Génération X, la Génération Y, la Génération Z, voici la Génération Cinquante. « On pourrait craindre des températures s'élevant à cinquante degrés sur l'Est de la France d'ici deux mille cinquante. » (Jean Jouzel, climatologue)
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Ce dimanche au Son du Cor arrive une autre femme de ma connaissance, dans le début de la quarantaine, ayant un jeune enfant qui n’est pas là. Elle vient retrouver l’homme qui est son nouveau. J’ai parlé une première fois avec elle, il y a deux ou trois ans, lors d’une présentation de programme à l’Opéra de Rouen. Je me suis dit qu’elle avait dû être très jolie quand elle était jeune.
Depuis notre rencontre on se disait bonjour quand on se croisait et pas davantage. J’emploie l’imparfait car depuis qu’elle est avec cet homme, elle fait comme si je n’existais plus. J’ai été surpris la première fois.
De quoi parle-t-elle avec son nouveau chéri ? D’herbes culinaires. Puis il lui passe la revue qu’il lisait en l’attendant pour qu’elle la lise aussi et qu’ils en parlent ensemble. Pas très rock’n’roll.
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Rouen, jardin de l’Hôtel de Ville, une femme avec sa bambine sur les épaules : « Maman, elle est à la bourre, elle a rendez-vous avec le docteur des dents. »
Ne pourrait-elle pas dire le dentiste et faut-il quand on est mère parler de soi à la troisième personne du singulier en se donnant pour nom ce qui n’est qu’un de ses rôles sociaux ?
20 août 2018
Comme chaque année, ce mois d’août à Rouen est le mois des Italiens. Pour quelle raisons les transalpins choisissent-ils de venir en vacances à la fin de l’été et en famille dans la moitié nord de la France et notamment de visiter Rouen, alors que rarissimes sont les Espagnols et les Portugais à faire de même, c’est un mystère.
Chaque jour plusieurs familles italiennes avec enfants d’âge divers passent donc sous mes fenêtres. Ce sont là des touristes autonomes, heureux d’admirer les maisons à pans de bois et d’en faire des photos avec leur descendance au premier plan. Tout au plus pourrais-je leur reprocher de parler un peu fort.
En revanche, quelle plaie que ces troupeaux d’Allemands cornaqués par les guides de l’Office de Tourisme. Dans cette ville, dès neuf heures, chaque matin, on sort les encombrants, ces vieilles et vieux débarqués des bateaux de tourisme fluvial et on les tire jusqu’à ma ruelle. Ils rendent impossible la circulation piétonnière entre la rue Saint-Romain et la rue Saint-Nicolas.
Ils sont là comme ils seraient ailleurs, sans l’avoir choisi, n’ayant pas idée qu’ils pourraient se débrouiller seuls pour visiter la cité et découvrir ainsi autre chose que ce qu’on veut bien leur montrer.
C’est un public captif dont profitent celles et ceux qui, après avoir fait des études d’histoire ou de langue, n’ont trouvé d’autre emploi que celui de guide touristique. Impossible d’apercevoir une lueur d’enthousiasme dans le regard de la plupart des membres de ces troupeaux mais ils rient de manière pavlovienne aux piètres plaisanteries de leur cornac. Parfois à mes dépens car, côté guides, on me déteste et on ne se prive pas pour déblatérer sur mon compte dans la langue de Goethe.
S’il y avait une police municipale qui fasse son travail, chaque matin elle distribuerait des pévés pour entrave à la libre circulation et s’il y avait espoir d’une justice rendue, il faudrait déposer plainte pour abus de faiblesse contre celles et ceux qui profitent de la vieillesse pour en faire leur gagne-pain.
*
Quelle tristesse la mort de ces quatre jeunes Français, Mélissa Nathan Axelle William, lors de l’effondrement du pont Morandi à Gênes. Je les vois heureux d’être entrés en Italie, de bientôt prendre le ferry pour la Sicile où allait se tenir l’un de ces concerts sauvages qu’ils affectionnaient. Partis quelques minutes plus tôt ou quelques minutes plus tard, il ne leur serait rien arrivé. J’imagine ce que ressent le père d’Axelle, la conductrice, qui avait prêté sa voiture.
*
Vu à la télé, un survivant de l’effondrement remercier Dieu de l’avoir gardé en vie. La crétinerie à l’état pur.
Chaque jour plusieurs familles italiennes avec enfants d’âge divers passent donc sous mes fenêtres. Ce sont là des touristes autonomes, heureux d’admirer les maisons à pans de bois et d’en faire des photos avec leur descendance au premier plan. Tout au plus pourrais-je leur reprocher de parler un peu fort.
En revanche, quelle plaie que ces troupeaux d’Allemands cornaqués par les guides de l’Office de Tourisme. Dans cette ville, dès neuf heures, chaque matin, on sort les encombrants, ces vieilles et vieux débarqués des bateaux de tourisme fluvial et on les tire jusqu’à ma ruelle. Ils rendent impossible la circulation piétonnière entre la rue Saint-Romain et la rue Saint-Nicolas.
Ils sont là comme ils seraient ailleurs, sans l’avoir choisi, n’ayant pas idée qu’ils pourraient se débrouiller seuls pour visiter la cité et découvrir ainsi autre chose que ce qu’on veut bien leur montrer.
C’est un public captif dont profitent celles et ceux qui, après avoir fait des études d’histoire ou de langue, n’ont trouvé d’autre emploi que celui de guide touristique. Impossible d’apercevoir une lueur d’enthousiasme dans le regard de la plupart des membres de ces troupeaux mais ils rient de manière pavlovienne aux piètres plaisanteries de leur cornac. Parfois à mes dépens car, côté guides, on me déteste et on ne se prive pas pour déblatérer sur mon compte dans la langue de Goethe.
S’il y avait une police municipale qui fasse son travail, chaque matin elle distribuerait des pévés pour entrave à la libre circulation et s’il y avait espoir d’une justice rendue, il faudrait déposer plainte pour abus de faiblesse contre celles et ceux qui profitent de la vieillesse pour en faire leur gagne-pain.
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Quelle tristesse la mort de ces quatre jeunes Français, Mélissa Nathan Axelle William, lors de l’effondrement du pont Morandi à Gênes. Je les vois heureux d’être entrés en Italie, de bientôt prendre le ferry pour la Sicile où allait se tenir l’un de ces concerts sauvages qu’ils affectionnaient. Partis quelques minutes plus tôt ou quelques minutes plus tard, il ne leur serait rien arrivé. J’imagine ce que ressent le père d’Axelle, la conductrice, qui avait prêté sa voiture.
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Vu à la télé, un survivant de l’effondrement remercier Dieu de l’avoir gardé en vie. La crétinerie à l’état pur.
17 août 2018
Qui dit quinze août, dit vide grenier du Vaudreuil. Le temps sec assuré, je suis dès potron-minet à la gare de Rouen. Le train pour Paris venant du Havre s’arrête au quai numéro deux à sept heures dix comme prévu. J’en descends à Val-de-Reuil.
Ayant passé le pont, je trouve l’étroit sentier qui longe l’Eure et mène au Vaudreuil, un sentier heureusement préservé et réservé aux piétons. Les bicyclistes ont pour pédaler une voie verte en béton qui lui est plus ou moins parallèle. C’est un bonheur quand on marche de ne pas devoir partager l’espace avec les vélos. Ce sentier n’est pas « un chemin noir » mais il faut quand même à certains endroits se méfier des ronces et des orties. Sa dernière partie est plus civilisée, longeant des propriétés cossues. Leurs habitants y ont accès par un portillon au fond du jardin. En un peu plus d’une demi-heure et sans avoir vu quiconque, j’arrive au rond-point qui marque l’entrée du village. Là commence le déballage.
« Grande foire à tout du Vaudreuil, quatre cents exposants », est-il écrit sur les affiches. C’est conforme à la réalité. Assez vite je trouve un premier livre, Qui a tué Roger Ackroyd ? de Pierre Bayard (Editions de Minuit), que son vendeur me propose à cinquante centimes, puis j’aperçois une table de confitures d’abricot et de quetsche. Trois euros les deux pots, j’en achète quatre que je laisse en dépôt.
Ce vide grenier est l’un des derniers de la région à rassembler des vendeurs locaux, presque uniquement des particuliers dont la marchandise, quelle qu’elle soit, est en bon état. De plus l’ambiance y est agréable. J’y croise une dizaine de mes concurrents, moitié que je salue, moitié que j’ignore. A un moment, nous sommes à quatre autour d’un gisement de livres à deux euros les trois. J’en capte quatre.
-Alors, ce sera deux euros cinquante, me dit le vendeur.
Plus loin, je trouve des poches à cinquante centimes puis aperçois le Taschen Hiroshige cent vues célèbres d’Edo au milieu d’autres livres sans intérêt.
-Bonjour, vous le vendez combien ?
-Ce n’est pas à moi, c’est à ma sœur, me répond le jeune homme brun.
-Non, ce n’est pas à moi, répond celle-ci tout aussi brune et du même âge. Ça doit être papa qui avait acheté ça. Cinq euros, ça va ?
Son frère tique mais ne dit rien. Je sors un billet et alourdis sérieusement mon sac.
Je termine le circuit, constatant qu’il y a cette année profusion de jolies filles des deux côtés des stands, puis retourne explorer le gisement. Trois autres livres pour deux euros m’obligent à porter un sac à chaque main.
Je repasse chez les vendeuses de confitures, leur achète deux pots supplémentaires, case le tout dans mon sac à dos puis prends courageusement le chemin du retour en songeant à celles qui furent ici avec moi autrefois, me tenant par la main.
Un sac sur le dos, deux autres à bout de bras, je dois ressembler à un vagabond pourtant quand, à l’endroit le plus reculé, surgit une jeune joggeuse, celle-ci n’opère pas un demi-tour paniqué, elle me sourit et dit bonjour. Pas de quoi m’illusionner sur mon physique, inutile de regarder mon reflet dans la rivière.
Chargé comme je suis, je m’offre une montée puis une descente en ascenseur à la gare de Védéherre. Le train pour Rouen venant de Paris s’arrête au quai numéro un à onze heures vingt-huit comme prévu.
*
Châtelain en Pologne, les mémoires du Comte Potocki (Julliard), Les pauvres gens de Dostoïevski (Ressouvenances), Scènes de la vie rustique de Tourguéniev (Gallimard) et Journal d’un diplomate en Russie (1917-1918) de Louis de Robien (Albin Michel), quatre des livres provenant du gisement, portent une étiquette d’appartenance à Monsieur et Madame A-C Dubrulle, d’abord domiciliés à Louviers puis à Saint-Didier-des-Bois, un nom qui fait partie de mon paysage d’enfance : les établissements Bart-Dubrulle Camping Plein Air, avenue Henri-Dunant à Louviers. L’entreprise a disparu dans les années quatre-vingt-dix. Témoignage d’une époque où certains commerçants d’une petite ville de province étaient férus de littérature, et du fait que les livres encombrent les héritiers.
Ayant passé le pont, je trouve l’étroit sentier qui longe l’Eure et mène au Vaudreuil, un sentier heureusement préservé et réservé aux piétons. Les bicyclistes ont pour pédaler une voie verte en béton qui lui est plus ou moins parallèle. C’est un bonheur quand on marche de ne pas devoir partager l’espace avec les vélos. Ce sentier n’est pas « un chemin noir » mais il faut quand même à certains endroits se méfier des ronces et des orties. Sa dernière partie est plus civilisée, longeant des propriétés cossues. Leurs habitants y ont accès par un portillon au fond du jardin. En un peu plus d’une demi-heure et sans avoir vu quiconque, j’arrive au rond-point qui marque l’entrée du village. Là commence le déballage.
« Grande foire à tout du Vaudreuil, quatre cents exposants », est-il écrit sur les affiches. C’est conforme à la réalité. Assez vite je trouve un premier livre, Qui a tué Roger Ackroyd ? de Pierre Bayard (Editions de Minuit), que son vendeur me propose à cinquante centimes, puis j’aperçois une table de confitures d’abricot et de quetsche. Trois euros les deux pots, j’en achète quatre que je laisse en dépôt.
Ce vide grenier est l’un des derniers de la région à rassembler des vendeurs locaux, presque uniquement des particuliers dont la marchandise, quelle qu’elle soit, est en bon état. De plus l’ambiance y est agréable. J’y croise une dizaine de mes concurrents, moitié que je salue, moitié que j’ignore. A un moment, nous sommes à quatre autour d’un gisement de livres à deux euros les trois. J’en capte quatre.
-Alors, ce sera deux euros cinquante, me dit le vendeur.
Plus loin, je trouve des poches à cinquante centimes puis aperçois le Taschen Hiroshige cent vues célèbres d’Edo au milieu d’autres livres sans intérêt.
-Bonjour, vous le vendez combien ?
-Ce n’est pas à moi, c’est à ma sœur, me répond le jeune homme brun.
-Non, ce n’est pas à moi, répond celle-ci tout aussi brune et du même âge. Ça doit être papa qui avait acheté ça. Cinq euros, ça va ?
Son frère tique mais ne dit rien. Je sors un billet et alourdis sérieusement mon sac.
Je termine le circuit, constatant qu’il y a cette année profusion de jolies filles des deux côtés des stands, puis retourne explorer le gisement. Trois autres livres pour deux euros m’obligent à porter un sac à chaque main.
Je repasse chez les vendeuses de confitures, leur achète deux pots supplémentaires, case le tout dans mon sac à dos puis prends courageusement le chemin du retour en songeant à celles qui furent ici avec moi autrefois, me tenant par la main.
Un sac sur le dos, deux autres à bout de bras, je dois ressembler à un vagabond pourtant quand, à l’endroit le plus reculé, surgit une jeune joggeuse, celle-ci n’opère pas un demi-tour paniqué, elle me sourit et dit bonjour. Pas de quoi m’illusionner sur mon physique, inutile de regarder mon reflet dans la rivière.
Chargé comme je suis, je m’offre une montée puis une descente en ascenseur à la gare de Védéherre. Le train pour Rouen venant de Paris s’arrête au quai numéro un à onze heures vingt-huit comme prévu.
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Châtelain en Pologne, les mémoires du Comte Potocki (Julliard), Les pauvres gens de Dostoïevski (Ressouvenances), Scènes de la vie rustique de Tourguéniev (Gallimard) et Journal d’un diplomate en Russie (1917-1918) de Louis de Robien (Albin Michel), quatre des livres provenant du gisement, portent une étiquette d’appartenance à Monsieur et Madame A-C Dubrulle, d’abord domiciliés à Louviers puis à Saint-Didier-des-Bois, un nom qui fait partie de mon paysage d’enfance : les établissements Bart-Dubrulle Camping Plein Air, avenue Henri-Dunant à Louviers. L’entreprise a disparu dans les années quatre-vingt-dix. Témoignage d’une époque où certains commerçants d’une petite ville de province étaient férus de littérature, et du fait que les livres encombrent les héritiers.
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