Le Journal de Michel Perdrial
Le Journal de Michel Perdrial



Loïc Boyer
Je suis l’auteur de textes courts qui furent publiés depuis mil neuf cent quatre-vingt-quinze dans des revues littéraires en France (Supérieur Inconnu, Supplément d’Ame, Nouvelle Donne, Le Bord de l’Eau, Pris de Peur, l’Art du Bref, Sol’Air, Gros Textes, Salmigondis, Verso, Décharge, Bulle, Filigranes, Diérèse, Martobre, Comme ça et Autrement, (Cahier d’) Ecritures, La Nef des Fous), en Belgique (Traversées, Ecrits Vains, L’Arbre à Plumes, Inédit Nouveau, Bleu d’Encre), au Canada (Les Saisons Littéraires) et en Italie (Les Cahiers du Ru).
Les courageuses Editions du Chardon ont publié en mil neuf cent quatre-vingt-dix-neuf Erotica, un recueil de vingt-huit de ces textes, illustré par Isabelle Pio et Antoine Lopez et préfacé par Sarane Alexandrian, toujours disponible auprès de moi.
Je suis également l’auteur d’une pièce de théâtre et de plusieurs romans ou récits à ce jour inédits.
Depuis le onze novembre deux mille six, je publie mon Journal via Internet, un temps sous-titré Persiflages, moquages et autres énervages mâtinés de complimentages et de contentages. Sa première partie est lisible chez Eklablog, la deuxième ici.
Je vis au centre de Rouen dans un ancien monastère où autrefois les Sœurs de la Miséricorde se vouaient à l’éducation des jeunes filles.







Rss

En lisant Correspondance (1873-1939) de Sigmund Freud

29 août 2018


Lecture est faite, un peu dans le Nord, le reste au Son du Cor, de Correspondance (1873-1939) de Sigmund Freud publié dans la collection Connaissance de l’Inconscient chez Gallimard en mil neuf cent soixante-six, mon exemplaire provenant de chez Book-Off où je l’ai payé un euro. Cet ouvrage ne recueille que les missives d’ordre personnel, pas celles faisant état de ses travaux en psychanalyse, et c’est pourquoi je l’ai acheté.
Le temps gris et froid de ce lundi m’est l’occasion, au café Le Grand Saint Marc, égayé par le babillage de la petite serveuse qui narre un épisode de ses quinze ans, d’en taper quelques extraits choisis:
Bien des choses capables de plaire à d’autres ne trouvent pas grâce à mes yeux, parce que je ne suis ni ceci, ni cela, dans mon fond je ne suis rien. A Emil Fluss, Vienne, le seize juin mil huit cent soixante-treize, Freud a alors dix-sept ans
Je ne me sentirai pas fatigué, car je serai sous l’effet de la cocaïne que j’absorberai pour maîtriser ma terrible impatience. A Martha Bernays, sa fiancée, Vienne, le vingt-neuf juin mil huit cent quatre-vingt-quatre
Tout d’abord, si je t’autoriserai à patiner ? Sûrement non ; je suis trop jaloux. Je ne sais pas patiner et je n’aurais du reste pas le temps de t’accompagner et il faudrait cependant que tu sois accompagnée. Renonces-y donc. A Martha Bernays, Vienne, le mercredi vingt et un janvier mil huit cent quatre-vingt-cinq
Ne sais-tu pas d’ailleurs, que seuls les pauvres sont gênés de recevoir des cadeaux, les riches jamais ? A Martha Bernays, Vienne, le dix mars mil huit cent quatre-vingt-cinq
Et puis, cette façon d’enjôler, d’implorer, d’étreindre ; incroyables, les attitudes qu’elle prend, la manière dont elle se serre contre quelqu'un, sa façon de mouvoir ses membres et la moindre de ses articulations. Curieuse créature ! A Martha Bernays, Paris, le huit novembre mil huit cent quatre-vingt-cinq (à propos de Sarah Bernhard qu’il est allé voir dans Théodora à la Porte Saint-Martin)
Gants blancs, cravate blanche et même une chemise neuve, une séance chez le coiffeur pour ce qui me reste de cheveux, etc. Un peu de cocaïne pour me délier la langue. A Martha Bernays, Paris, le lundi dix-huit janvier mil huit cent quatre-vingt-six (s’apprêtant pour une soirée chez Charcot)
Mlle Jeanne Charcot est toute différente, petite, elle aussi, un peu forte, d’une ressemblance comique avec son père génial, ce qui, tout en la rendant intéressante, fait qu’on ne se demande même pas si elle est jolie. A Martha Bernays, Paris, le vingt janvier mil huit cent quatre-vingt-six
Vers la fin de la soirée seulement, j’ai entamé une conversation politique avec Gilles de la Tourette dans laquelle il a, bien entendu, prophétisé la plus terrible des guerres avec l’Allemagne. Je lui ai fait savoir aussitôt que je n’étais ni Allemand ni Autrichien mais juif. A Martha Bernays, Paris, le mardi deux février mil huit cent quatre-vingt-six
Depuis une quinzaine d’années, je n’ai plus voulu poser devant un photographe parce que je suis trop vaniteux pour supporter la vue de ma déchéance physique. A Carl Gustav Jung, Rome, le dix-neuf septembre mil neuf cent sept (il a cinquante et un ans)
La morale sexuelle, telle qu’elle est définie par la société, surtout dans sa forme extrême qui est celle de l’Amérique, me paraît fort méprisable. Je suis partisan d’une vie sexuelle infiniment plus libre, bien que j’aie fort peu usé moi-même d’une telle liberté. A James J. Putnam, Vienne, le huit juillet mil neuf cent quinze
J’appartiens en effet à une race qui, au Moyen Age, fut tenue pour responsable de toutes les épidémies qui frappent les peuples et que l’on accuse présentement de la décadence de l’Empire en Autriche et de la perte de guerre en Allemagne. De telles expériences vous refroidissent et vous incitent peu à croire aux illusions. (…/…)
… si nous continuons à nous haïr les uns les autres à cause de différences minimes et à nous tuer pour d’insignifiants profits, si nous exploitons sans cesse pour notre anéantissement mutuel les grands progrès réalisés dans le contrôle des forces naturelles, à quelle sorte d’avenir pouvons-nous nous attendre ? A Romain Rolland, Vienne, le quatre mars mil neuf vingt-trois
Car jusqu’alors, semble-t-il, j’étais tenté de tenir les surréalistes, qui apparemment m’ont choisi comme saint patron, pour des fous intégraux (disons à quatre-vingt-quinze pour cent, comme l’alcool absolu). Le jeune Espagnol, avec ses candides yeux de fanatique et son indéniable maîtrise technique, m’a incité à reconsidérer mon opinion. A Stefan Zweig, Londres, le vingt juillet mil neuf cent trente-neuf (il s’agit de Salvador Dali, venu le visiter en son exil)
Je ne vais pas bien, mon mal et les suites du traitement en sont cause, mais dans quelle proportion l’un et l’autre, je l’ignore. On a tenté de me plonger dans une atmosphère d’optimisme en me disant que le carcinome est en régression, que les symptômes réactionnels ne sont que temporaires. Je n’en crois rien et n’aime pas être trompé. A Marie Bonaparte, Londres, le vingt-huit avril mil neuf cent trente-neuf (il mourra à trois heures du matin dans la nuit du vingt-deux au vingt-trois septembre)