Le Journal de Michel Perdrial

Le Journal de Michel Perdrial




Loïc Boyer
Je suis l’auteur de textes courts qui furent publiés depuis mil neuf cent quatre-vingt-quinze dans des revues littéraires en France (Supérieur Inconnu, Supplément d’Ame, Nouvelle Donne, Le Bord de l’Eau, Pris de Peur, l’Art du Bref, Sol’Air, Gros Textes, Salmigondis, Verso, Décharge, Bulle, Filigranes, Diérèse, Martobre, Comme ça et Autrement, (Cahier d’) Ecritures, La Nef des Fous), en Belgique (Traversées, Ecrits Vains, L’Arbre à Plumes, Inédit Nouveau, Bleu d’Encre), au Canada (Les Saisons Littéraires) et en Italie (Les Cahiers du Ru).
Les courageuses Editions du Chardon ont publié en mil neuf cent quatre-vingt-dix-neuf Erotica, un recueil de vingt-huit de ces textes, illustré par Isabelle Pio et Antoine Lopez et préfacé par Sarane Alexandrian, toujours disponible auprès de moi.
Je suis également l’auteur d’une pièce de théâtre et de plusieurs romans ou récits à ce jour inédits.
Depuis le onze novembre deux mille six, je publie mon Journal via Internet, un temps sous-titré Persiflages, moquages et autres énervages mâtinés de complimentages et de contentages. Sa première partie est lisible chez Eklablog, la deuxième ici.
Je vis au centre de Rouen dans un ancien monastère où autrefois les Sœurs de la Miséricorde se vouaient à l’éducation des jeunes filles.







Rss

27 juin 2019


Deux rendez-vous pour cette matinée de mardi, je me rends d’abord pédestrement à la clinique Saint-Hilaire où je dois subir mon examen semestriel du champ visuel à neuf heures. Il fait déjà chaud sur le chemin et c’est pire dans le couloir surplombé d’une verrière où m’a conduit un ascenseur de deux de tension. Assis sur un banc, j’attends que la salle Trois Cent Six ouvre.
C’est une jeune docteure qui me prend en charge. Elle me parle sur le ton avec lequel on s’adresse aux demeurés. Sans doute s’agit-il pour elle d’asseoir son autorité (comme on dit). Une nouvelle fois, je dois cliquer quand je vois des petits points blancs lumineux, et sans doute que j’en loupe pas mal.
Au changement d’œil, devenue plus humaine, elle me propose de mettre en route le ventilateur qui se trouve dans mon dos. Si ça ne me rend pas plus performant, au moins suis-je rafraîchi. « Ça n’a pas été trop désagréable ? » me demande-t-elle. Je lui dis que je préfère une séance chez le dentiste. Elle m’explique qu’il y a forcément un moment où l’attention devient flottante car cela dure cinq minutes pour chaque œil. Elle-même, quand elle en a fait un, s’est laissée dériver. Pour le résultat, votre ophtalmo vous expliquera.
A onze heures et demie, c’est un jeune plombier en tenue adaptée (bermuda et ticheurte) qui sonne à ma porte. Rendez-vous a été pris avec lui via l’agence qui gère ma location pour la raison que ma voisine du dessous, avec qui j’étais sévèrement fâché, est venue me voir pour m’informer que mon chauffe-eau devait fuir au vu ce qui coulait dans sa chambre. Cet incident nous a permis de reprendre une relation dénuée d’animosité.
Ce chauffe-eau difficile d’accès est situé dans un réduit au fond de la petite chambre. Le jeune homme a bien plus de facilité que moi pour se glisser jusqu’à lui et sans délai il m’annonce qu’un tuyau flexible mal installé et formant un coude est cause de ce dégât des eaux. Il va falloir modifier l’installation dont il fait une photo. En attendant que son devis soit accepté un récipient placé au bon endroit devrait éviter que l’eau continue à se répandre en dessous.
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Si la Normandie n’est pas la plus concernée par cette canicule de fin juin, il y fait quand même trop chaud pour moi. L’après-midi, je tente de trouver un peu de fraîcheur en bas de la rue Cauchoise sous l’auvent du Sacre dont les panneaux vitrés ont été repliés  Un petit vent coulis s’y fait sentir, j’y suis à peu près bien pour lire. Jusqu’à ce que le serveur latino décide me mettre la musique à fond, montrant par-là cumbia son pays lui manque et son absence de savoir-vivre, car s’il m’empêche de lire, il gêne tout autant la clientèle du restaurant d’en face.
D’une manière générale, la direction et le personnel des cafés rouennais n’aiment pas les clients qui lisent. C’est une illustration du mépris de classe.
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La veille dans l’après-midi, à proximité du Gros-Horloge, je croise ma sœur et mon beauf, pas vus depuis longtemps.
-Tu as pris du poids, me dit-elle.
 

26 juin 2019


Ce dimanche matin quand j’arrive devant l’Hôtel de Ville de Rouen dont le toit a pris feu vendredi après-midi par la grâce des ouvriers qui y travaillent, un incendie vite maîtrisé par les pompiers, je découvre que le bus Vingt qui aurait pu me déposer près de l’hippodrome des Trois Pipes de Bihorel où se tient le vide grenier annuel a son arrêt déporté je ne comprends pas où. Je me rabats sur le Effe Deux qui m’emmène à Tamarelle près d’où habitait avec ses parents celle qui m’a récemment prêté son appartement parisien.
A la descente du bus, j’avise sur le trottoir opposé une dame originaire d’Afrique accompagnée de sa fille. Elle tire un chariot qui me donne à penser qu’elle va au même endroit que moi. Ne voulant pas courir le risque de m’égarer comme je l’ai fait une année précédente je lui demande si, où et comment. « Suivez-nous », me répond-elle.
C’est ainsi que je parcours sans mal le chemin compliqué qui va de Tamarelle aux Trois Pipes. L’ayant remerciée, je salue une connaissance qui s’en va alors que je ne fais qu’arriver. L’un de premiers vendeurs que je vois est le semi professionnel qui la veille à Oissel a proposé de me ramener à Rouen.
-J’ai été bête, lui dis-je, j’aurais dû accepter, je serais arrivé plus vite qu’avec le train.
-Oui mais je vous aurais laissé rive gauche, m’apprend-il, j’habite près du Jardin des Plantes.
Pas de regret donc, je lui souhaite une bonne journée et fais le tour de l’hippodrome dans un sens, puis dans l’autre sens. Ma récolte est maigre : Jaune bleu blanc de Valery Larbaud (L’Imaginaire/Gallimard) et un tire-bouchon métallique dont les bras se lèvent en signe de victoire quand on débouche une bouteille, un euro chacun.
Le bus Vingt du retour est en retard, ce qui m’oblige à passer un trop long moment au soleil près d'un abribus dans lequel un barbu fait sa prière devant son smartphone. « Pour être à l’heure, explique le chauffeur, je devrais ne faire monter et descendre personne. » Il me permet néanmoins de le quitter à Hôtel de Ville.
                                                                *
Une jeune femme aux Trois Pipes, parlant de son mari et de la kermesse de l’école :
-Il est rentré à sept heures du soir, il tirait la gueule, cinq heures de chamboule tout.
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Une autre, presque quadragénaire, à propos du budget familial :
-Nous les jeunes, on tient pas les comptes.
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L’après-midi, au Sacre, à peine ai-je ouvert Correspondances croisées de Pierre Louÿs, Natalie Clifford-Barney et Renée Vivien (Editions A L’Ecart) que je vois arriver l’homme au chapeau et au pantacourt. C’est aujourd’hui son anniversaire. Nous le fêtons sobrement à l’ombre du parasol avec un café verre d’eau suivi d’un diabolo menthe.
 

25 juin 2019


Lendemain de Fête de la Musique, traces d’urine odorante dans la ruelle et viande saoule à son extrémité. « Police Nationale, vos papiers » me dit l’un des jeunes alcoolisés que je suis bien obligé de croiser. C’est à ce moment qu’une camionnette tournant à gauche dans la rue Saint-Nicolas vient taper dans une borne en béton. « Putain ! » déclare son chauffeur avant de faire une petite marche arrière et de repartir comme si de rien. Rue des Carmes des employés municipaux aspirent mécaniquement gobelets et bouteilles puis nettoient à grande eau. Ils passeront partout sauf dans ma rue où ne peuvent entrer les engins. Viande saoule également devant la gare où j’arrive un peu avant sept heures, et prête à se battre pour une raison obscure.
Mon voyage en train est des plus courts. Huit minutes pour faire Rouen Oissel où le vide grenier annuel m’appelle. Je ne sais si on a fêté la musique dans cette ville de banlieue. Nulle trace ne le montre. Je n’espère pas beaucoup de ce déballage qui va de la gare à l’église. Effectivement, je n’y trouve à acheter qu’un seul ouvrage : le Journal d’Anne Frank dans son édition définitive grand format chez Calmann-Lévy. Un semi professionnel du livre de ma connaissance s’est mieux débrouillé. Il porte son butin dans les bras. Si j’ai mal au pied, lui a mal au dos. Douleur ici, douleur ailleurs, tel est le sort des retraités.
Cette aimable personne propose de me ramener à Rouen. Comme j’ai mon billet de retour, je ne donne pas suite et j’attends presque trente minutes qu’il soit l’heure de mon train. Ce qui n’est pas très rationnel.
                                                                     *
A midi, après avoir entendu le carillonneur de la Cathédrale faire suivre Douce France de Bella ciao, je me casse le nez (comme on dit) sur un Son du Cor fermé, conséquence des libations de la veille. Au Sacre, où l’on n’a pas moins bu, on est plus vaillant, c’est ouvert. « On a vidé six fûts à la tireuse », se félicite un serveur.
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Un client du Sacre faisant écho sans le savoir à Jules Renard : « Non seulement j’aime bien être en vacances, mais en plus, je préfère que les autres n’y soient pas. »
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Elle hésite longuement devant la vitrine du Rêve de l’Escalier puis, plutôt que d’acheter un livre, entre à côté s’acheter une pâtisserie.
 

24 juin 2019


Voici l’été et son cortège de désagréments, à commencer ce vendredi par la dénommée Fête de la Musique, cette Fête de la Bière à alibi culturel. Au Son du Cor, où une nouvelle serveuse opère et où le café est passé à un euro cinquante, les tables hautes siglées Carlsberg sont alignées tel un rempart, coupant la salle de la terrasse. Une d’entre elles est occupée dès midi par des employés du Cent Six (salle de musiques zactuelles) qui prennent de l’avance. Rien de plus pénible que leur conversation professionnelle prétentieuse. L’un deux est un zélateur des Gilets Jaunes. Il raconte que celui qui en a renversé quatre un samedi à Rouen est un gendarme réserviste, sûr qu’il a appuyé sur le champignon quand il les a vus. Que deviennent-ils ces Jaunes ? J’ai l’impression qu’ils ont disparu, de la ville tout au moins. Ceux qui ont commis des dégradations se font rattraper par la loi. Rouen dans la rue est dans le collimateur des enquêteurs et s’en plaint. C’est vraiment trop injuste.
Quand j’en ai assez de cette bande son (du cor) je tente de trouver mieux au Sacre. C’est pire. La terrasse a carrément disparu au profit d’enceintes dont la hauteur donne une idée du volume. Sur la façade a été déployé un immense calicot faisant la publicité de la marque de bière qui sera crachée par les pompes extérieures.
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Inutile de songer à trouver le calme et le silence au jardin. Vivre à côté de la Cathédrale pendant que les ouvriers se chargent d’en restaurer la flèche sans y mettre le feu, c’est comme vivre à côté d’une cimenterie, la poussière en moins.
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Donc, des élèves de Première ont piqué une crise de nerfs et ont pétitionné parce qu’au bac de français, ils ont eu à commenter un poème d’Andrée Chédid et l’ont prise pour un homme. Il a été décidé de ne pas en tenir compte dans la correction. Cela donne une idée du niveau en orthographe de ces futurs bacheliers.
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Je ne sais combien parmi les plus jeunes qu'eux seront volontaires pour le Service National Universel et iront écouter la Marseillaise au pied d’un drapeau bleu blanc rouge, comme des Gilets Jaunes mais avec un autre uniforme. Celles et ceux qui l’expérimentent à Evreux ont eu droit à des articles dans les journaux après avoir fait des malaises à rester plantés au soleil pendant un discours de Guy Lefrand, le Maire Les Républicains de la ville, par ailleurs médecin urgentiste, et citoyen ayant eu droit à un rappel à la loi pour avoir encouragé les Jaunes à s’en prendre à la Préfecture.
Ce Snu est censé devenir obligatoire. Enverra-t-on les réfractaires bien que mineur(e)s en prison, comme au bon vieux temps du service militaire ?
 

21 juin 2019


Dans le sept heures cinquante-neuf pour Paris, ce mercredi, ma voisine de droite lit sur papier « Réunion d’échange autour du contrôle », celle de devant lit sur écran « Souligner les apports de son expérience professionnelle » et moi un livre de poche publié chez Rivages : L’Art de la promenade de Karl Gottlob Schelle. J’en conclus que nous ne vivons pas dans le même monde.
Comme si je n’avais pas acheté suffisamment de livres ces derniers temps, j’en trouve d’autres qui me paraissent indispensables chez Book-Off où depuis peu on rachète aussi les jeux de société. Une employée passe trois quarts d’heure à en vérifier un, comptant et recomptant cartes et pions. L’endroit est climatisé, ce qui est une bénédiction par ce temps orageux. Ne pourrait-on pas aussi installer la clim chez Emmaüs où je me trouve peu après ?
Au Péhemmu chinois la chaleur est supportable et mon menu immuable. Ce que la gentille serveuse résume par un « Comme d’hab » suivi d’un « Bon app ». L’atelier de couture est de retour. « Etre à la table ou à la machine okay, mais les deux non », tel est le sujet de la discussion. Leur plat est avalé en vingt minutes et payé avec des chèques restaurant. Des ouvriers, au lieu de manger, dépensent leur argent dans des grilles qu’ils grattent de façon frénétique. L’un porte un ticheurte « Lendemain de fête ».
A treize heures je suis sous Beaumarchais et vois bientôt apparaître celle qui m’a hébergé récemment portant le lourd sac de livres que j’avais abandonné chez elle. Nous allons prendre un café en terrasse. Elle m’offre des sardines à l’huile portugaises qu’elle a rapportées de ses vacances. J’ai pour elle Les Cahiers d’école de Thérèse de Lisieux, énorme livre publié au Cerf. Elle a une particulière dilection pour cette sainte à qui elle a fait une sorte d’infidélité en passant à Fátima. Quand elle doit retourner travailler, je rejoins par métro le second Book-Off.
Au retour, le train de dix-sept heures vingt-trois est à peine parti qu’il freine brusquement puis s’arrête. La cheffe de bord nous apprend qu’un train précédent a eu des vitres cassées par des jets de ballast. Elle explique à qui ne le sait pas ce qu’est le ballast puis traduit son propos en excellent anglais. Quand nous repartons c’est pour nous arrêter en gare d’Achères. La Police est en cours d’intervention. Nous y restons un bon moment avant d’avancer jusqu’à la gare de Poissy. Pas question d’aller plus loin tant que la zone n’est pas sécurisée. « Si vous voulez fumer ou vous dégourdir les jambes, vigilez d’avoir un quai à votre disposition avant de descendre », met en garde celle qui semble être la seule employée de la Senecefe présente dans le train avec le conducteur. Certains des présents en gare de Poissy veulent y monter. « Notre train n’est pas un train de banlieue, nous ne desservirons pas la gare de Mantes-la-Jolie », leur explique-t-elle. Je la trouve vaillante et efficace.
Quand nous repartons enfin, j’ai terminé L’Art de la promenade. Nous atteignons Rouen avec une heure et quart de retard. Pour celles et ceux qui ont une correspondance vers Dieppe l’aventure continue car un arbre est tombé sur la voie.
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Sur un des murs du Péhemmu chinois un moche dessin représentant une tulipe. A force de le regarder, j’y voix deux cuisses nues entre lesquelles se niche un sexe féminin glabre, la fleur de tulipe devenant un tatouage le jouxtant.
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Tellement rare cet emploi du verbe vigiler que je me demande si je l’avais déjà entendu.
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Un livre superficiel empli de truismes que L’Art de la promenade de Karl Gottlob Schelle. La seule excuse de l’auteur est de l’avoir été écrit en mil huit cent deux. Quand même ceci : Il suffit déjà d’un importun rencontré sur une promenade pour nous retrouver dans la situation d’Horace qui, sur la Voie sacrée, se vit accoster et importuner par un érudit.
 

20 juin 2019


Une bonne lecture que celle de Lettres d’Afrique à Madame de Sabran du Chevalier de Boufflers que publie Actes Sud dans sa collection de poche Babel. Ces six cents lettres écrites quotidiennement par celui qui est parti en mil sept cent quatre-vingt-cinq chercher renommée et fortune au Sénégal afin de pouvoir épouser celle qu’il aime (il y sera gouverneur pendant deux ans) m’ont fait découvrir à quel point la marine à voile était erratique.
Je n’ai pas pris de note au début de ma lecture itinérante puis m’y suis astreint au bout d’un moment, appréciant de plus en plus la personnalité de Stanislas de Boufflers :
Il me reste une perruche pour la reine, un cheval pour M. le maréchal de Castries, une petite captive pour M. de Beauvau, une poule sultane pour le duc de Laon, une autruche pour M. de Nivernois, et un mari pour toi. Dix-neuf juillet mil sept cent quatre-vingt-six (« Du nom d’Ourika, héroïne du roman éponyme de Mme de Duras qui s’inspire de son histoire. » précise à propos de la petite captive, dans une note infrapaginale, François Bessire qui ne connaît pas le sens du mot éponyme)
Je passe ici une petite vie assez triste, occupé de sottes affaires du matin jusqu’au soir et forcé de gronder tout le monde du peu d’ordre que je vois partout, tandis que je suis bien sûr d’en avoir moins que personne. Dix février mil sept cent quatre-vingt-sept
Je commence à voir qu’il y a dans le fond du cœur de l’homme un germe d’aversion pour tout ce qui n’est pas lui, qui le rend ennemi du bien général, parce qu’il trouve la part qui lui en revient toujours trop petite. Quatre avril mil sept cent quatre-vingt-sept
Il y aurait encore une autre raison, qui n’est pas bien décisive pour mon âge ni pour l’état où je me trouve, c’est que le gros capitaine, pour ne manquer de rien, mène, avec lui, une jeune personne charmante ; il l’a amenée avant-hier dîner chez moi, elle a exactement le visage de ta fille et la taille de notre sœur Buller, elle a l’air aussi décent que si, au lieu d’être une coureuse, elle était une vierge, et qu’au lieu d’être avec un gros crapuleux, elle voyageât avec un père respectable. Deux juin mil sept cent quatre-vingt-sept
Mon enfant, je suis tenté de croire que la petite aventurière est ta fille grandie d’un demi-pied, amincie d’autant, âgée de quatre ou cinq ans de plus et ne sachant plus un mot de français. Mais ce sont les mêmes grâces, les mêmes manières, les mêmes traits, les mêmes cheveux, les mêmes couleurs, etc., etc. Cinq juin mil sept cent quatre-vingt-sept
Je vais, je viens, je m’agite, je travaille, je fais travailler mon monde, je donne de l’argent aux uns, des coups de bâtons aux autres, et nous passons ainsi notre vie tous tant que nous sommes du mieux que nous pouvons. Vingt et un août mil sept cent quatre-vingt-sept
C’est aujourd’hui la Saint-Barthélemy et je la célèbrerai ce soir par le massacre de deux bœufs, cinq gros cochons, douze petits, trois biches, sept ou huit chevreaux, cent poules, quarante canards, etc. cela vaut mieux que d’égorger des protestants, mais en vérité, cela n’en est pas loin : les catholiques tuaient les protestants parce qu’ils ne pensaient pas comme eux et nous tuons les bêtes parce qu’elles ne parlent pas comme nous. Enfin, elles vivent, elles respirent, elles sentent, elles souffrent, elles craignent, voilà bien des choses communes qui ne touchent point et ce mépris-là est un grand pas vers l’homicide. Vingt-quatre août mil sept cent quatre-vingt-sept
La mer est comme les femmes ; elle a l’air d’obéir, mais en effet elle commande, et bien impérieusement. Vingt-huit août mil sept cent quatre-vingt-sept
Je ne saurai que te répondre, sinon que l‘homme est ainsi fait, et s’il vivait avec des loups, il voudrait encore que ces messieurs hurlassent de lui en bien. Dix septembre mil sept cent quatre-vingt-sept
Malgré tant de désastres, je vois avec plaisir que ma pauvre petite troupe est pour ainsi dire respectée : ils sont bien logés, bien nourris, bien habillés, bien couchés, bien ménagés, bien punis, tout cela contribue beaucoup à la santé. Ce qui va le plus à l’hôpital, ce sont les ouvriers et cela tient à leur ivrognerie et à leur manie de travailler toujours au grand soleil la tête nue. Douze septembre mil sept cent quatre-vingt-sept
Si tu voyais comme M. et Mme d’Ervieux ont l’air content au milieu du manque de tout, dans une masure sans porte, sans fenêtres, sans lit, sans armoires, sans plancher, tu verrais qu’il y a une récompense attachée au dévouement des femmes qui suivent leurs maris. Mais ton principe à toi est que les maris doivent suivre les femmes : il faudra accorder nos deux avis en ne nous quittant plus. Vingt-six septembre mil sept cent quatre-vingt-sept
Presque aucun des Blancs qui m’ont suivi ne reviendra en bonne santé : d’abord ce pauvre homme dont je suis fort inquiet ; mon cuisiner, mort ; mon jardinier, mort ; mon palefrenier, scorbutique ; mon menuiser, fiévreux. Quatre décembre mil sept cent quatre-vingt-sept
 

19 juin 2019


Le vide grenier qui nécessitait ma présence à Paris ce dimanche est celui de la Butte aux Cailles dans lequel j’arrive vers sept heures et demie ayant laissé mon sac de livres de la veille à la charge de celle qui m’a hébergé.
L’un des premiers que j’y vois est l’habituel bouquiniste à longs cheveux et à livres à un euro. Ces derniers sont recouverts d’un plastique.
-La boutique ouvrira vers quelle heure ? lui demandé-je prudemment.
-Je ne sais pas, il fait beau, je vais aller faire un tour.
C’est ce que je fais moi aussi, trouvant ici et là des livres pour me plaire à des prix qui ne se discutent pas, entre deux euros et cinquante centimes. Et cela dans l’ambiance civilisée qui caractérise ce quartier bourgeois bohème. Quand mon sac à dos est plein et que mon sac en plastique l’est à moitié je m’oblige à me restreindre car je veux aussi aller au vide grenier du Carré Bastille, association qui regroupe des commerçants et des habitants des rues de la Roquette, des Taillandiers, de Charonne et Keller (anciennement rue Manuel-Valls), des rues que je connais bien pour les parcourir le mercredi.
Avant de m’y rendre, je vais voir ce que le bouquiniste à longs cheveux propose. Son stock n’est pas renouvelé. Les deux seuls livres qui m’auraient intéressé sont sales. Décevant son espoir avec un certain plaisir, je ne lui achète rien.
Arrivé à Bastille, je constate que les stands sont disparates et éloignés les uns des autres, qu’on voit là beaucoup de professionnels et peu de livres. Des deux seuls que je convoite, on me demande trop : deux euros pour le poche, cinq pour le grand format. Inutile de m’attarder dans le quartier qui, de plus, a l’air sinistre en ce dimanche.
Alors que je décide de retourner d’où je viens, un quinquagénaire me salue :
-Bonjour, vous allez bien ? me dit-il cependant que je ne le reconnais pas.
-On s’est vu hier à Saint-Blaise, ajoute-t-il.
Diantre, c’est l’agréable vendeur de livres qui aujourd’hui est là comme acheteur. Mon incapacité à reconnaître qui je n’ai pas déjà vu dix fois me rend la vie impossible.
Au dernier stand de la rue de la Roquette, j’achète pour cinquante centimes Au Japon d’Albert Londres (Arléa), un livre de poche vendu par une dame d’église qui veut savoir à quelle association caritative je souhaite que cette somme mirobolante soit attribuée. S’il faut en plus que je fasse une bonne action ! Elle m’en cite trois dont elle commence à m’expliquer les buts, mais je n’ai pas envie d’entendre ça, je lui dis d’en faire ce qu’elle veut.
Plutôt que de refaire immédiatement le tour du labyrinthe que constitue le vide grenier de la Butte aux Cailles, je m’accorde une pause sur un banc près du métro Corvisart. J’y termine la lecture du Grand Partout, l’assez ennuyeux livre de William T. Vollmann, puis vais déjeuner à volonté pour seize euros quatre-vingt-dix (prix dominical) avec un demi de vin blanc à cinq euros vingt chez Sushi Chérie, boulevard Auguste-Blanqui, où l’on ne doit surtout pas prendre le nom de la maison comme une invitation à se permettre des privautés avec les jeunes serveuses.
De retour sur la Butte, je constate que les livres qui j’avais délaissés n’y sont plus. Un tiens vaut mieux que deux tu l’auras, comme l’écrivait Gilles Corrozet. C’est donc un peu plus fatigué que nécessaire que je rejoins Saint-Lazare pour un retour à Rouen en deux heures et neuf minutes.
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Des Chinois qui demandent des couverts pour manger dans un restaurant japonais. Tout fout le camp.
                                                           *
Parmi les vendeurs de la Butte aux Cailles ayant local sur place : Les Amis de la Commune (celle de mil huit cent soixante et onze) et Les Amis de la Bienvenue (association fort conviviale).
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Parmi les livres trouvés ce dimanche : Lettres de guerre 1939-1945 d’Heinrich Böll (L’Iconoclaste), Lettres à Denise Lévy de Simone Breton (Joëlle Losfeld), Juste un peu flou (Slightly out of Focus) de Robert Capa (Delpire), L’Usage du monde de Nicolas Bouvier avec les dessins de Thierry Vernet (Droz) et Chroniques 1954-2003 de Françoise Sagan dans l’édition à couverture rigide et tranches en rose fluo du Livre de Poche.
 

18 juin 2019


Retour à Paris ce ouiquennede en raison de la présence de vide greniers prometteurs et de l’absence de celle qui me prête à nouveau son appartement pour une nuit. Le train qui m’y emmène ce samedi est parti de Rouen à sept heures dix et n’atteindra la capitale que dans deux heures et deux minutes, ce qui est normal et causé par les travaux d’Eole qui la rapprochera de Mantes-la-Jolie, « magnifique village sous un merveilleux ciel bleu », nous dit le chef de bord. Il nous invite à bien profiter du paysage puisqu’à partir de là nous circulerons au ralenti sur l’itinéraire bis.
A l’arrivée je prends le métro jusqu’à Porte de Montreuil puis rejoins à pied la très jolie rue Saint-Blaise qui mène à l’église Saint-Germain-de-Charonne. C’est le cœur de l’ancien village de Charonne. Je ne le connaissais pas. L’association de quartier y organise son trentième vide grenier. C’est un plaisir de le parcourir sous le soleil et dans la douceur. Un agréable vendeur de livres me permet à lui seul d’emplir mon sac de livres grand format à un euro et de poches à moitié moins. Un autre et sa femme m’offrent une controverse comme je les aime :
-Bonjour, combien pour ce livre ?
-Trois euros, me répond-elle.
-Ah oui !
-Il est neuf.
-Neuf avec un prix en francs ?
-Sinon, y a les librairies, intervient le mari d’un air hargneux.
-Pour les livres neufs oui, mais pour les livres en francs je ne suis pas sûr. Vous concourez pour le titre du vendeur le plus aimable ?
-Comme tous les ans, me rétorque cet insolent.
-En plus, leur fais-je remarquer en découvrant deux lettres en pointillé en quatrième de couverture, c’est un Service de Presse. Vous ne l’avez pas payé. Et vous n’avez pas le droit le vendre. Je pourrais vous dénoncer aux autorités.
Certes, je suis de mauvaise foi, il a le droit de vendre un service de presse (même si chez Book-Off on refuse de les acheter) et je ne dénonce jamais personne, mais les voir aussi furieux est un tel plaisir.
En fin de matinée et le pied toujours douloureux, je quitte ce petit paradis parisien qu’est l’îlot Saint-Blaise où Pierre Bonnard a sa rue et rejoins Jules Joffrin puis dépose mon sac encombrant avant d’aller peu loin déjeuner au Bon Coin où le patron s’étonne de me voir « Vous m’aviez dit que vous retourniez dans votre pays. »
Comme l’intérieur du restaurant est colonisé par de jeunes couples à poussettes, et le temps le permettant, je m’installe à l’une des tables de trottoir puis commande la saucisse d’Auvergne purée et la tarte à la rhubarbe avec un quart de côtes-du-rhône. C’est fort bon et cette fois, comme je l’indique en payant la même somme que les fois précédentes, je ne reviendrai pas avant longtemps.
Après un café verre d’eau à la terrasse du Grand Café, je passe une partie de l’après-midi assis à celle de Chez Dionis avec un diabolo menthe et Le Grand Partout, les souvenirs de hobo de William T. Vollmann publiés chez Actes Sud Comme je n’avais absolument aucune raison d’y aller, je me suis embarqué pour Cheyenne.
Face à l’estaminet, dans la rue Duhesme et dans les rues voisines, se déroule une fête on ne peut plus bobo dont me parviennent les effluves. Pour ce Festival Midi Minuit du Carré Versigny, les chaussées sont recouvertes d’une véritable pelouse sur laquelle sont allongés certains tandis que d’autres sont installés à des terrasses agrandies. Chorale, activités pour enfants, concerts et parlotes conviviales sont au programme.
-Bah oui, y essaient de faire des trucs, au moins c’est sympa. » commente une passante.
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Parmi les livres achetés ce samedi : le Journal de guerre de Franz Stock paru aux Editions du Cerf et une belle édition au Castor Astral du Dictionnaire des idées reçues de Gustave Flaubert.
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Ces jeunes parents qui entrent dans les restaurants y propulsent l’encombrant Génération Cinquante avec autant de fierté que si Macron était derrière la porte pour leur remettre la Légion d’Honneur à titre de héros du quotidien.
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Une fille à son copain devant le Grand Café :
-Non, mais on va pas acheter la viande au Leclerc, faut aller vers Barbès.
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Vollmann : J’adore les villes autant que la solitude, les prostituées autant que les arbres.
 

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