Le Journal de Michel Perdrial
Le Journal de Michel Perdrial



Loïc Boyer
Je suis l’auteur de textes courts qui furent publiés depuis mil neuf cent quatre-vingt-quinze dans des revues littéraires en France (Supérieur Inconnu, Supplément d’Ame, Nouvelle Donne, Le Bord de l’Eau, Pris de Peur, l’Art du Bref, Sol’Air, Gros Textes, Salmigondis, Verso, Décharge, Bulle, Filigranes, Diérèse, Martobre, Comme ça et Autrement, (Cahier d’) Ecritures, La Nef des Fous), en Belgique (Traversées, Ecrits Vains, L’Arbre à Plumes, Inédit Nouveau, Bleu d’Encre), au Canada (Les Saisons Littéraires) et en Italie (Les Cahiers du Ru).
Les courageuses Editions du Chardon ont publié en mil neuf cent quatre-vingt-dix-neuf Erotica, un recueil de vingt-huit de ces textes, illustré par Isabelle Pio et Antoine Lopez et préfacé par Sarane Alexandrian, toujours disponible auprès de moi.
Je suis également l’auteur d’une pièce de théâtre et de plusieurs romans ou récits à ce jour inédits.
Depuis le onze novembre deux mille six, je publie mon Journal via Internet, un temps sous-titré Persiflages, moquages et autres énervages mâtinés de complimentages et de contentages. Sa première partie est lisible chez Eklablog, la deuxième ici.
Je vis au centre de Rouen dans un ancien monastère où autrefois les Sœurs de la Miséricorde se vouaient à l’éducation des jeunes filles.







Rss

En lisant Lettres d’Afrique à Madame de Sabran du Chevalier de Boufflers

20 juin 2019


Une bonne lecture que celle de Lettres d’Afrique à Madame de Sabran du Chevalier de Boufflers que publie Actes Sud dans sa collection de poche Babel. Ces six cents lettres écrites quotidiennement par celui qui est parti en mil sept cent quatre-vingt-cinq chercher renommée et fortune au Sénégal afin de pouvoir épouser celle qu’il aime (il y sera gouverneur pendant deux ans) m’ont fait découvrir à quel point la marine à voile était erratique.
Je n’ai pas pris de note au début de ma lecture itinérante puis m’y suis astreint au bout d’un moment, appréciant de plus en plus la personnalité de Stanislas de Boufflers :
Il me reste une perruche pour la reine, un cheval pour M. le maréchal de Castries, une petite captive pour M. de Beauvau, une poule sultane pour le duc de Laon, une autruche pour M. de Nivernois, et un mari pour toi. Dix-neuf juillet mil sept cent quatre-vingt-six (« Du nom d’Ourika, héroïne du roman éponyme de Mme de Duras qui s’inspire de son histoire. » précise à propos de la petite captive, dans une note infrapaginale, François Bessire qui ne connaît pas le sens du mot éponyme)
Je passe ici une petite vie assez triste, occupé de sottes affaires du matin jusqu’au soir et forcé de gronder tout le monde du peu d’ordre que je vois partout, tandis que je suis bien sûr d’en avoir moins que personne. Dix février mil sept cent quatre-vingt-sept
Je commence à voir qu’il y a dans le fond du cœur de l’homme un germe d’aversion pour tout ce qui n’est pas lui, qui le rend ennemi du bien général, parce qu’il trouve la part qui lui en revient toujours trop petite. Quatre avril mil sept cent quatre-vingt-sept
Il y aurait encore une autre raison, qui n’est pas bien décisive pour mon âge ni pour l’état où je me trouve, c’est que le gros capitaine, pour ne manquer de rien, mène, avec lui, une jeune personne charmante ; il l’a amenée avant-hier dîner chez moi, elle a exactement le visage de ta fille et la taille de notre sœur Buller, elle a l’air aussi décent que si, au lieu d’être une coureuse, elle était une vierge, et qu’au lieu d’être avec un gros crapuleux, elle voyageât avec un père respectable. Deux juin mil sept cent quatre-vingt-sept
Mon enfant, je suis tenté de croire que la petite aventurière est ta fille grandie d’un demi-pied, amincie d’autant, âgée de quatre ou cinq ans de plus et ne sachant plus un mot de français. Mais ce sont les mêmes grâces, les mêmes manières, les mêmes traits, les mêmes cheveux, les mêmes couleurs, etc., etc. Cinq juin mil sept cent quatre-vingt-sept
Je vais, je viens, je m’agite, je travaille, je fais travailler mon monde, je donne de l’argent aux uns, des coups de bâtons aux autres, et nous passons ainsi notre vie tous tant que nous sommes du mieux que nous pouvons. Vingt et un août mil sept cent quatre-vingt-sept
C’est aujourd’hui la Saint-Barthélemy et je la célèbrerai ce soir par le massacre de deux bœufs, cinq gros cochons, douze petits, trois biches, sept ou huit chevreaux, cent poules, quarante canards, etc. cela vaut mieux que d’égorger des protestants, mais en vérité, cela n’en est pas loin : les catholiques tuaient les protestants parce qu’ils ne pensaient pas comme eux et nous tuons les bêtes parce qu’elles ne parlent pas comme nous. Enfin, elles vivent, elles respirent, elles sentent, elles souffrent, elles craignent, voilà bien des choses communes qui ne touchent point et ce mépris-là est un grand pas vers l’homicide. Vingt-quatre août mil sept cent quatre-vingt-sept
La mer est comme les femmes ; elle a l’air d’obéir, mais en effet elle commande, et bien impérieusement. Vingt-huit août mil sept cent quatre-vingt-sept
Je ne saurai que te répondre, sinon que l‘homme est ainsi fait, et s’il vivait avec des loups, il voudrait encore que ces messieurs hurlassent de lui en bien. Dix septembre mil sept cent quatre-vingt-sept
Malgré tant de désastres, je vois avec plaisir que ma pauvre petite troupe est pour ainsi dire respectée : ils sont bien logés, bien nourris, bien habillés, bien couchés, bien ménagés, bien punis, tout cela contribue beaucoup à la santé. Ce qui va le plus à l’hôpital, ce sont les ouvriers et cela tient à leur ivrognerie et à leur manie de travailler toujours au grand soleil la tête nue. Douze septembre mil sept cent quatre-vingt-sept
Si tu voyais comme M. et Mme d’Ervieux ont l’air content au milieu du manque de tout, dans une masure sans porte, sans fenêtres, sans lit, sans armoires, sans plancher, tu verrais qu’il y a une récompense attachée au dévouement des femmes qui suivent leurs maris. Mais ton principe à toi est que les maris doivent suivre les femmes : il faudra accorder nos deux avis en ne nous quittant plus. Vingt-six septembre mil sept cent quatre-vingt-sept
Presque aucun des Blancs qui m’ont suivi ne reviendra en bonne santé : d’abord ce pauvre homme dont je suis fort inquiet ; mon cuisiner, mort ; mon jardinier, mort ; mon palefrenier, scorbutique ; mon menuiser, fiévreux. Quatre décembre mil sept cent quatre-vingt-sept