Le Journal de Michel Perdrial

Le Journal de Michel Perdrial




Loïc Boyer
Je suis l’auteur de textes courts qui furent publiés depuis mil neuf cent quatre-vingt-quinze dans des revues littéraires en France (Supérieur Inconnu, Supplément d’Ame, Nouvelle Donne, Le Bord de l’Eau, Pris de Peur, l’Art du Bref, Sol’Air, Gros Textes, Salmigondis, Verso, Décharge, Bulle, Filigranes, Diérèse, Martobre, Comme ça et Autrement, (Cahier d’) Ecritures, La Nef des Fous), en Belgique (Traversées, Ecrits Vains, L’Arbre à Plumes, Inédit Nouveau, Bleu d’Encre), au Canada (Les Saisons Littéraires) et en Italie (Les Cahiers du Ru).
Les courageuses Editions du Chardon ont publié en mil neuf cent quatre-vingt-dix-neuf Erotica, un recueil de vingt-huit de ces textes, illustré par Isabelle Pio et Antoine Lopez et préfacé par Sarane Alexandrian, toujours disponible auprès de moi.
Je suis également l’auteur d’une pièce de théâtre et de plusieurs romans ou récits à ce jour inédits.
Depuis le onze novembre deux mille six, je publie mon Journal via Internet, un temps sous-titré Persiflages, moquages et autres énervages mâtinés de complimentages et de contentages. Sa première partie est lisible chez Eklablog, la deuxième ici.
Je vis au centre de Rouen dans un ancien monastère où autrefois les Sœurs de la Miséricorde se vouaient à l’éducation des jeunes filles.







Rss

29 mai 2019


C’est par un temps incertain que je rejoins Montreuil avec la ligne Neuf du métro ce mardi matin. En sortant à son terminus, j’attends que passe une averse face à la Mairie, bâtiment à l’architecture symétrique quelque peu totalitaire. Quand elle cesse, je vais au hasard entre peintures de rue typiques d’une ville de banlieue et friches à potagers ou festivités d’une ville en voie de gentrification (comme on dit).
Après être passé devant le Nouveau Théâtre de Montreuil taillé à coups de serpe, je découvre la maison blanche cossue qui était mise à la disposition de Jacques Duclos, Député, Communiste, candidat du Parti à la Présidentielle de mil neuf cent soixante-neuf, dont il me souvient encore de l’accent pyrénéen que j’entendais chez mes parents quand il faisait campagne à la télévision (il finit troisième du premier tour avec vingt et un pour cent des voix, on ne reverra pas ça). Aujourd’hui où les Communistes dirigent à nouveau la ville après la parenthèse de Dominique Voynet, Ecologiste, cette maison abrite la crèche Nelson Mandela. Je longe ensuite un square doté d’une plaque en hommage à Danielle Casanova et arrive dans le quartier Croix-de-Chavaux sur la place du Marché. Ce jour la halle est déserte.
Le Bistrot du Marché n’en est pas moins ouvert. On y affiche le café à un euro au comptoir. J’y entre et en commande un. Libération étant entre les mains de mon voisin, j’ouvre Le Parisien où, en pages intérieures, je découvre ce titre « Le climat, les vieux s’en foutent » Chahinez, 18 ans lycéenne à Ivry-sur-Seine, ville où EELV est arrivé en tête ». Cette demoiselle est un peu vexante.
Ce bar est du genre comme j’aimerais qu’il y en ait à Rouen : tables en bois brut carrées et rectangulaires, chaises dépareillées de style Emmaüs, banquette rouge, escalier métallique qui colimaçone vers un mystérieux premier étage, enceintes accrochées au plafond d’où sort de la musique tropicale, femmes avenantes au service, clientèle cosmopolite d’âge divers munie d’ordinateurs, de tablettes ou de livres (dont quelques jolies filles).
Si j’habitais Montreuil, je serais fourré là tous les jours, me dis-je. Je décide de m’attarder et pour ce faire m’assois en salle et commande un café verre d’eau à seulement un euro cinquante puis poursuis la lecture des Lettres d’Afrique à Madame de Sabran du Chevalier de Boufflers pendant un bon moment, si bien que midi arrive et que je décide de rester pour le déjeuner.
Le menu est à seize euros dans lequel je choisis le velouté de petits pois à la ricotta, le pavé de saumon et son jus de carotte au gingembre avec salade d’avocat et petits légumes et la verrine de mousse de mascarpone et son coulis de mangue. J’en suis satisfait, surtout du velouté qui s’accorde avec le temps frais et humide. Dehors, c’est le déluge. Il s’ensuit une affluence encore accrue. Les derniers arrivés grimpent à l’étage au moment où je paie mes vingt-quatre euros (le quart de côtes-du-rhône est un peu cher).
Il pleut toujours quand je sors. Ce mauvais temps m’amène à renoncer. Je ne connaîtrai pas davantage Montreuil. A quatorze heures trente, je suis de retour à mon logis provisoire d’où j’entends la voisine passer l’aspirateur, une activité qui lui est quotidienne.
                                                                  *
« Ici de 1939 à 1990 ont habité Gilberte et Jacques Duclos qui avec le Parti Communiste Français ont combattu toute leur vie pour le peuple de France » (En fait, Jacques Duclos est mort dans cette maison en soixante-quinze, sa femme lui a survécu jusqu’en quatre-vingt-dix)
                                                                  *
« Dans ce square en septembre 1939, Danielle Casanova 1909-1943 a réuni clandestinement les jeunes filles patriotes de France pour commencer la lutte libératrice. Arrêtée, puis déportée, elle mourut après mille souffrances au camp d’Auschwitz. »
 

28 mai 2019


Ce lundi matin, muni de mon Guide du Routard Ile de France datant de deux mille six, je rejoins par métro la place d’Italie où je grimpe dans le bus Cinquante-Sept dont le terminus est à l’entrée d’Arcueil, ville dont le Maire doit être content ce matin puisqu’il est Ecologiste. Il me faut l’aide de plusieurs autochtones, dont le responsable du Carrefour des Solidarités, pour trouver ce que je veux voir en priorité : la maison où vécut Erik Satie après son époque montmartroise et son amour déçu pour Suzanne Valadon. Elle n’est indiquée nulle part.
De couleur jaune d’or, elle comprend de nombreux appartements. Son gardien, qui rentre les poubelles, ne sait pas dans lequel vivait le musicien. « L’immeuble a été restauré », me dit-il. A en juger par ce qui pend à certaines fenêtres, il est encore habité par des personnes modestes.
Près de la porte d’entrée figure une représentation en creux du célèbre résident. Au-dessus de cette même porte, une plaque commémorative indique que « Dans cette « Maison aux quatre cheminées » Erik Satie a composé nombre de ses œuvres. Avec émotion Arcueil se souvient. 1998.» Sur un mur latéral est inscrite une citation de l’homme au melon : J’ai dû oublier mon parapluie dans l’ascenseur. Mon parapluie doit être très inquiet de m’avoir perdu.
Le mien est dans mon sac à dos. Malgré les quelques gouttes qui se mettent à tomber lorsque je m’éloigne de la maison jaune aux quatre cheminées, je n’ai pas à l’en sortir. Je longe quelques belles maisons colorées et arrive à la superbe église gothique Saint-Denys, hélas fermée (il faudrait aller chercher la clé à la paroisse, avenue Lénine). Près d’elle se trouve l’ancienne Mairie. Au fond sont les aqueducs. C’est le côté mignon d’Arcueil. La plus grande partie manque d’attrait.
« Les inconditionnels du maître devront se rendre au cimetière » ordonne Le Guide du Routard. J’y monte (Arcueil n’est pas plate) et ai bien du mal à trouver la tombe pour la raison que la douzième division où Satie repose (comme on dit) n’est pas indiquée par un panneau comme le sont les autres. Pourquoi donc n’y a-t-il pas une petite pancarte avec une flèche pour guider le pèlerin ? Je m’épuise dans ce cimetière pentu et ne peux compter sur les quelques personnes croisées. « La tombe de qui ? » Finalement je la trouve, tout en bas, à gauche en entrant, au fond de l’allée, devant le mur d’enceinte, sur lequel une plaque dit qu’« Ici repose un musicien immense, un homme de cœur, un citoyen d’exception ». La municipalité devrait faire nettoyer la pierre tombale, le nom de l’encensé n’y est presque plus lisible. Quelques pièces de jeu d’échec et une poire en plastique jaune témoignent du passage d’autres inconditionnels.
En Art, j’aime la simplicité ; de même, en cuisine. écrivit aussi Satie à qui je fais honneur en déjeunant près de son cimetière, au Bon Coin, une gargote où le menu est à douze euros, dans lequel je choisis le hareng pommes à l’huile, le rôti de porc purée et la tarte coco framboise. Le quart de vin rouge est à trois cinquante et le café à un soixante-dix. Le patron a le tic de chantonner quand il sert. La clientèle est constituée d’une poignée d’habitués dont deux fossoyeurs qui ont des soucis de fossoyeurs : tout le monde veut être enterré en même temps, le matin à onze heures et demie ou l’après-midi à seize heures.
                                                         *
Quand même Arcueil a fêté le cent-cinquante-troisième anniversaire de son citoyen d’exception avec un « Petit Festival Erik Satie » du dix-sept au vingt et un mai, apprends-je par une affiche à l’arrêt de bus où j’attends le Cinquante-Sept (impossible pour moi vu l’état de mes pieds de marcher jusqu’à Paris comme le faisait le musicien).
                                                         *
Une fille de dix-huit ans, derrière moi dans le bus, à sa copine :
-Moi, je trouve que c’est vachement beau quand t’as tes gosses qui sont petits à ton mariage.
                                                          *
Au retour : lecture et diabolo menthe à la terrasse de Chez Dionis. Deux profs ayant voté Insoumis hier en ont après les Ecolos qui sont arrivés en tête dans quatre arrondissements de Paris dont celui où nous sommes. Ils les accusent d’être en cheville avec le patronat. Je ne m’en mêle pas.
                                                           *
Intéressant aussi le résultat de ces Européennes à Rouen :
Vingt-cinq pour cent pour Loiseau, dix-huit pour Jadot, treize pour Bardella, huit pour Glucksmann, presque huit pour Aubry, sept pour Bellamy, quatre pour Hamon, trois pour Brossat. De quoi rebattre les cartes pour les Municipales.
Il est vrai qu’il n’y a eu que cinquante et un pour cent de votants.
 

27 mai 2019


Ce dimanche matin, à l’heure où à chaque correspondance on doit attendre le métro suivant sept minutes et où la voix de la Hairatépé rappelle que pour passer d’un quai à l’autre, il est interdit de traverser les voies, je me dirige vers la station Gambetta. Sa sortie est devant la Mairie du vingtième arrondissement où un policier municipal contrôle l’entrée des rares qui viennent voter tôt. Je prends un café au comptoir d’un établissement dont la gérante explique au seul autre client que comme elle connaît bien la voisine, celle-ci lui envoie tous les enterrements (nous sommes près du Père Lachaise).
Le vide grenier qui m’amène ici se tient autour du square Edouard-Vaillant et autour de l’Hôpital Tenon. Il est important et j’en serais content si seulement on pouvait avancer dans ses allées. Celles-ci sont bien trop étroites et déjà encombrées de poussettes et de chariots. J’en fais le double tour sans trouver livre à acheter et renonce à recommencer.
Je traverse la ville dans l’autre sens et sors à Villiers où débute un autre vide grenier qui occupe le boulevard des Batignolles jusqu’à la place de Clichy. Malheureusement, ses allées sont également trop étroites. Bien qu’il soit moins fréquenté, j’en suis vite exaspéré et le quitte sans avoir fait d’achat.
Un lieu plus paisible m’attire : le cimetière de Montmartre. Je le parcours à la recherche de ses célébrités pour en photographier les tombes et en partager les images avec mes ami(e)s du réseau social Effe Bé au cas où ça les intéresserait. La première trouvée est bien kitsch, c’est celle de Dalida. Viennent ensuite la famille Medrano « boum boum »,  Hector Berlioz, Jean-Baptiste Greuze, Anatole le garde-champêtre de la Commune Libre de Montmartre et sa cantinière Mick, Ludmilla Tcherina, Vaslav Nijinski, Pierre Barouh, le « génial compositeur guitariste » Fernando Sor, Dick Rivers, Fred Chichin, Michel Berger et France Gall en leur maison de verre, Jacques Charon, Henri Beyle dit Stendhal, Daniel Rozoum dit Daniel Darc, Louise Weber dite La Goulue, Godefroy Cavaignac et son gisant, Louis Jouvet et toute sa famille. Il me manque le raton laveur et quelques autres, dont François Truffaut que j’ai cherché sans le trouver.
Faute d’autre opportunité, je déjeune au Café Saint-Lazare d’une honnête andouillette grillée et d’une crème brûlée à la vanille, accompagnées d’un quart de brouilly (cela fera dix-huit euros soixante) installé à l’une des tables de trottoir, pas très loin des vendeurs de roses à la sauvette qui vous font une Fête des Mères à pas cher.
Ces activités parisiennes ne m’empêchent pas de voter à Rouen. Par la main de mon aimable mandataire, au lycée Camille Saint-Saëns, bureau quarante et un, je glisse dans l’urne le bulletin Europe Ecologie Les Verts.
                                                             *
Touristes chinoises avec téléphones accrochés par un cordon autour du cou.
                                                             *
Dialogue entre un octogénaire et un bouquiniste au vide grenier des Batignolles :
-Je cherche des Hansi.
-Je connais pas.
-Ah bah alors ! Si vous en trouvez faut acheter, ça vaut trois cents euros.
-D’accord, je regarderai.
                                                             *
Un homme dont cela semble être le travail arrosant les plantes de la maison France Gall Michel Berger. Sur son arrosoir, les initiales VIP.
 

26 mai 2019


En guise de promenade digestive, sorti du Bon Coin ce samedi vers treize heures trente, j’attaque la rue pentue du Mont-Cenis et poursuis par les volées de marches qui conduisent derrière la basilique de Montmartre. Au passage, je photographie une plaque indiquant qu’au coin de la rue Saint-Vincent se trouvait une maison paysanne où vécut Berlioz, donne un coup de chapeau au Chevalier de la Barre quand j’emprunte sa rue, prends une photo de l’endroit où se trouvait le cabaret de Patachou dans lequel chantèrent Brassens Brel Ferré Piaf et tant d’autres, une encore de la maison où vécut Erik Satie de mil huit cent quatre-vingt-dix à mil huit cent quatre-vingt-dix-huit, rue Cortot.
Dans cette même rue, peu fréquentée par les touristes, se trouve le Musée de Montmartre où je n’aurais jamais cru entrer un jour. Les critiques d’art de La Dispute de France Culture en ont décidé autrement en disant du bien de l’exposition temporaire qui s’y tient : Georges Dorignac, corps et âmes. Jamais je n’avais entendu le nom de cet artiste mort le vingt et un décembre mil neuf cent vingt-cinq à l’âge de quarante-six ans.
Ayant payé les douze euros demandés, je grimpe au deuxième étage du bâtiment dans lequel se tient cette expo car c’est là qu’elle débute. Dès les premières peintures, encore inspirées des Impressionnistes, je sais que cette fois j’en aurai pour mon argent. Les portraits qui suivent, d’un noir bien noir, me le confirment.
Une échappée mène vers l’atelier reconstitué de Suzanne Valadon que je peux photographier à ma guise puisque j’y suis seul. Un peu plus loin, c’est la chambre d’enfant, reconstituée, de son fils Maurice Utrillo qui aurait peut-être pu faire de moi un homme riche si j’avais eu le réflexe d’acheter le tableau signé de son nom proposé une année au vide grenier d’Appeville-Annebault (était-ce une copie, était-ce un vrai volé ou non volé, je ne le saurai jamais).
L’exposition consacrée à Georges Dorignac continue au premier étage où sont montrés de grands dessins noirs représentant des femmes et des hommes au labeur, ainsi que d’autres d’inspiration religieuse byzantine dont Jeanne d’Arc écoutant les voix et une Vierge à l’enfant.
Content de cette découverte, je me rends dans le bâtiment où se déploie sur plusieurs étages l’exposition permanente consacré au quartier et à ses artistes puis m’attarde dans les jardins Renoir, reconstitués d’après les souvenirs dudit.
Quel endroit paisible que ce Musée de Montmartre, me dis-je, tandis qu’à l’horizon montent des nuages presque aussi noirs que les dessins de Dorignac.
                                                                  *
Dorignac sculpte ses dessins. (Auguste Rodin)
                                                                  *
Il faut respecter le noir, rien ne le prostitue. (Odilon Redon)
                                                                  *
On ne peut rien faire si on ne laisse pas un lambeau de soi-même à chacune de ses œuvres. (Georges Dorignac)
 

26 mai 2019


Vendredi soir on célèbre la Fête des Voisins en bas d’un des immeubles faisant face à celui où je loge provisoirement. Cela me rappelle l’une à laquelle j’ai participé avec une majorité des habitant(e)s de la copropriété rouennaise qui m’abrite depuis vingt ans. Etrange évènement : on se retrouve avec des personnes à qui jusqu’à présent on disait bonjour poliment et dont on connaît peu ou rien et cela se termine, alcool aidant, par confidences, tutoiements et visites d’appartements. Le lendemain on est un peu gêné. Je me suis juré de ne pas recommencer et je n’ai pas eu de mal car cela ne se fait plus. Celles et ceux qui étaient là ce soir-là n’y sont plus, ayant déménagé, sauf une, avec qui plus tard je me suis définitivement fâché.
Ces festivités ne m’empêchent pas de dormir. Levé tôt ce samedi, je vais en métro jusqu’à Notre-Dame-de-Lorette. Près de l’église commence la rue de Maubeuge qui monte vers Barbès. S’y déroule ce que les organisateurs appellent « un vide grenier festif et intemporel » permettant une « très belle balade au centre d'un agréable quartier parisien ».
Tout cela est un peu exagéré. Le déballage se tient d’un seul côté de la rue. On y trouve bon nombre de professionnels, dont l’un que j’ai l’habitude de voir à Rouen au Clos Saint-Marc, et peu de livres, dont aucun pour moi.
A pied, je rejoins l’Opéra où le métro sept me conduit jusqu’au quartier Mouffetard où est annoncé un vide grenier de cent à deux cents exposants. Ils ne sont qu’une dizaine. Je retourne dans le dix-huitième.
A midi, pour déjeuner, je choisis Le Bon Coin, rue des Cloÿs, un endroit que m’avait fait découvrir Philippe Dumez quand il trouvait encore de l’intérêt à ma compagnie. Le patron me propose une petite table au fond qui m’agrée. Sur le mur derrière elle, un article de journal qualifie la maison d’« institution de quartier ». Elle l’est assurément. La plupart des clients sont des habitués. Parmi les quelques qui ne le sont pas, un père excédé par sa deux ans qui ne veut pas manger mais qui ne fait rien pour aider sa femme. A côté de lui est son beau-frère et en face sa belle-mère. Il a parfois le regard si noir pour l’ensemble de sa famille que sa présence future à la page des faits divers du Parisien n’est pas à exclure.
Mon choix va au travers de porc pommes sautées (dix euros cinquante), à la tarte pomme rhubarbe (trois euros quatre-vingt-dix) et au quart de côtes-du-rhône (sept euros cinquante). L’ensemble est fort bon et le service attentif malgré l’affluence.
                                                     *
Rue Mouffetard, la Fête des Voisins, c’était chez Franprix, « Apéro offert ».
                                                     *
« Moi, ça me va bien » (tic de jeune Parisien)
 

25 mai 2019


Voici celle qui me tenait autrefois la main partie en vacances bien méritées et moi bénéficiant de son appartement durant ce temps. Une bétaillère de début d’après-midi m’emmène à Saint-Lazare où je prends le métro douze jusqu’à Jules Joffrin. Je n’ai qu’à tirer ma nouvelle valise sur quelques centaines de mètres pour y être.
Quand je ressors, je vais boire un diabolo menthe à la terrasse de Chez Dionis au bout de la rue Letort, d’où j’observe la vie de ce sympathique quartier. A ma droite sont deux femmes dont l’une a déjà accouché et l’autre pas encore. Il est question du trousseau demandé par Trousseau. A ma gauche, deux professeures et un professeur des écoles se livrent à leur occupation préférée de fin de semaine : « boire des coups ». Leur conversation, professionnelle, ne m’est pas trop pénible.
Je passe ensuite au Gé Vingt faire des emplettes puis profite de l’ambiance sonore générée par des branlotin(e)s dans la rue tout en réfléchissant à mes projets : parcourir quelques vide greniers et traîner mes guêtres dans des communes périphériques afin de vérifier le propos d’Alphonse Allais : Les environs de Paris sont les plus beaux environs du monde.
 

24 mai 2019


Sitôt arrivé à Saint-Lazare ce mercredi matin, je rejoins pédestrement le Musée de l’Orangerie. Point de file d’attente à l’entrée, je paie mes neuf euros (tarif plein pot), laisse mon sac au vestiaire puis descends au niveau moins deux afin de découvrir l’exposition Franz Marc/August Macke, l’aventure du Cavalier bleu, sur laquelle je n’ai rien lu ni entendu mais ces deux peintres sont de ceux pour qui j’ai une particulière dilection.
Las, je suis fort désappointé tant par la quantité que par la qualité des œuvres montrées. Il n’y en a pas pour plus de cinq euros et la relecture des Nymphéas de Monet par Alex Katz n’est pas de nature à me dédommager. Dans l’exposition permanente, des élèves de Cépé munis d’oreillettes suivent les explications d’une guide parlant bas dans le micro, ce qui a pour double avantage de les obliger à être attentifs et de ne pas déranger les autres visiteurs. Au niveau zéro, chez Monet, prolifèrent des Japonais(e)s s’entre-photographiant.
C’est plus tôt que prévu que je rejoins la place de l’Opéra par la place Vendôme et la rue de la Paix. J’ai le temps d’explorer le premier Book Off avant midi. J’y trouve au rayon Policiers Nature morte avec bride et mors de Zbigniew Herbert (Calmann-Lévy), ce qui relève d’une certaine logique, bien qu’il s’agisse d’une enquête sur le rapport entre l’art et la vie quotidienne.
Sorti de là je choisis le Royal Bourse Opéra pour un déjeuner rondement mené par les deux jeunes serveuses. Mes voisines déclarent qu’elles vont essayer de ne pas parler boulot. Moyennant quoi, elles parlent marmaille. « J’ai trouvé une nounou, une jeune étudiante qui rentre en France et qui a besoin de travailler ». Le bon burgueur classique frites salade, la très bonne tarte à l’abricot et le quart de côtes-du-rhône me coûtent vingt euros.
Le métro Huit me permet d’être au second Book-Off avant treize heures trente. Au détour d’une allée, j’y découvre le vieux bouquiniste. Il m’explique que s’il ne lit plus, c’est à cause de son avécé dont la moitié affaissée de son visage témoigne. Il voit beaucoup moins et au bout d’un quart d’heure a mal à la tête.
Mon sac un peu plus empli, faute de bus Vingt qui a changé d’itinéraire, je prends une nouvelle fois le Vingt-Neuf pour regagner Saint-Lazare et une nouvelle fois j’ai tort. Traverser le Marais avec ce genre de véhicule est l’assurance d’être bloqué au moindre incident. J’ai le temps de bien voir un jeune homme à drapeau tricolore et vélo couvert d’affiches faire la promotion du Frexit.
J’arrive échauffé à La Ville d’Argentan où opère un nouveau serveur à qui je demande mon habituel café verre d’eau. Il innove en m’apportant carrément une bouteille d’eau. Cette nouveauté est bienvenue. Elle est la conséquence de l’absence pour arrêt de travail de quatre mois d’un des serveurs habituels, victime d’un accident de trottinette électrique.
                                                             *
Ce jeudi, au Son du Cor, deux quinquagénaires découvrant l’inscription « la vie est belle » sur le mur de l’orthophoniste d’en face.
-Un mec bourré sûrement, suppute l’un.
-Bah oui, pour écrire des conneries pareilles, commente l’autre.
                                                             *
Devant le lycée Camille Saint-Saëns, tracés à la peinture jaune sur tous les panneaux électoraux, des Fuck signés des initiales G J. Des Gilets sont passés par-là avec leur argumentaire élaboré. Seules quelques affiches de candidats sont collées, dont celle de la liste pour laquelle votera celui qui le fera à ma place dimanche.
 

23 mai 2019


Trois décennies plus tard, Anatole Deibler était de retour à Rouen avec sa guillotine. Il narre la chose avec moult détails et quelques redites mais je résiste à l’envie de le raccourcir :
Exécuté à Rouen, le 21 juin 1930
Le nommé Verdière, Henri Ferdinand, débardeur âgé de vingt-quatre ans, né le 12 juin 1906 à Saint-Aignan, village situé à deux kilomètres au nord de Rouen, condamné par la cour d’Assises de la Seine-Inférieure le 7 mars 1930, pour attentat à la pudeur, viol et meurtre d’une fillette de huit ans.
Le mercredi 11 décembre 1929, vers 2 heures de l’après-midi, Monsieur Galland, employé des chemins de fer, demeurant au 5 de la rue des Limites à Rouen, signalait à la police la disparition de sa fillette Christiane, âgée de huit ans, qu’il avait envoyée faire une commission vers midi et demi.
Quelques instants après cette déclaration, des inspecteurs de police se mirent à la recherche de la fillette, et commencèrent à inspecter un hôtel meublé à côté de la maison où elle habitait.
Ils demandèrent à la gérante de l’hôtel de leur faire visiter les chambres. Au bas de l’escalier qui donnait accès au premier étage, ils trouvèrent une paire de sabots d’enfant, sabots qui furent reconnus comme appartenant à la petite Christiane Galland. Bientôt, dans la misérable chambre occupée par un débardeur nommé Verdière, ils découvrirent le cadavre encore chaud de la fillette entre le matelas et le sommier.
Elle était morte depuis peu et ses vêtements en désordre laissaient supposer qu’elle avait été violée. La malheureuse avait les mains liées et la bouche bâillonnée. Pour ce faire, le misérable individu s’était servi d’une chemise kaki dont les morceaux inutilisés furent retrouvés dans un coin de la chambre.
Toute l’après-midi et toute la nuit, les inspecteurs de la Sûreté recherchèrent Henri Verdière sans résultat.
Le lendemain matin, vers 10 heures, les inspecteurs Méridienne et Clouet l’arrêtèrent alors qu’il travaillait sur le quai. Il protesta d’abord de son innocence, donnant des alibis qui seront démentis après avoir été vérifiés.
Après un interrogatoire serré, Verdière finit par admettre qu’il avait rencontré la petite fille près de chez lui.
L’ayant attirée dans sa chambre en lui offrant des bonbons, et s’être livré sur elle à des attouchements obscènes, la victime, se mettant à crier, il la bâillonna et lui attacha les mains avec des bandelettes arrachées à sa chemise ; puis, l’ayant violée, il la cacha entre le matelas et le sommier de son lit avant de prendre la fuite. Elle mourra étouffée peu de temps après.
Le jour de son exécution, réveillé par l’avocat général qui lui demandait d’avoir du courage, et s’il avait compris que son recours en grâce était rejeté, il répondit « non » d’un geste de la tête.
Après s’être habillé, il consentit à entendre la messe, à genoux sur un prie-Dieu. Il communia et récita le Pater Noster et l’Ave Maria avec l’aumônier puis, d’un pas ferme, il descendit au greffe avec deux gardiens.
L’avocat général lui demanda s’il avait des déclarations ou des recommandations à faire :
-Non, aucune. Rien, répondit le condamné.
L’avocat général, s’adressant alors à l’exécuteur, lui dit :
-Monsieur l’exécuteur, le condamné vous appartient.
L’aumônier et l’avocat adressèrent quelques paroles d’encouragement à Verdière, et comme le défenseur lui disait : « Montrez que vous êtes un homme ! », le condamné lui répondit d’une voix calme :
-Je veux mourir comme un brave. Je n’ai pas peur !
On lui offrit une cigarette et un demi-verre de rhum dont il but quelques gorgées. Il ôta lui-même son veston et se laissa entraver les mains et les jambes sans souffler mot.
Puis, avant de sortir du greffe, se tournant vers les gardiens, d’une voix nette, il les remercia des égards qu’ils avaient eus pour lui, sans oublier le gardien-chef.
D’un pas ferme, il monta dans le fourgon, qui s’arrêta quelque cent mètres plus loin, au coin de la place Bonne-Nouvelle. Verdière en descendit, toujours calme, embrassa l’aumônier puis se laissa basculer sur la guillotine sans offrir la moindre résistance.
Le père et les deux grands-pères de la petite Christiane Galland assistaient à l’exécution.
                                                                 *
Employé modèle, Anatole Deibler mourut à la tâche. Le deux février mil neuf cent trente-neuf, âgé de soixante-quinze ans, il s’écroula sur le quai du métro Porte de Saint-Cloud alors qu’il se rendait à la gare Montparnasse afin de prendre le train pour Rennes où il devait guillotiner Maurice Pilorge, vingt-quatre ans, qui avait tué son amant Néstor Escudero devant le Casino de Dinard.
Un sien neveu héritera de son activité et de sa guillotine.
                                                                 *
Maurice Pilorge fut guillotiné par un des assistants d’Anatole Deibler puis immortalisé (comme on dit) par Jean Genet dans son poème Le Condamné à mort.
 

1 ... « 187 188 189 190 191 192 193 » ... 364