Dernières notes
Loïc Boyer
Je suis l’auteur de textes courts qui furent publiés depuis mil neuf cent quatre-vingt-quinze dans des revues littéraires en France (Supérieur Inconnu, Supplément d’Ame, Nouvelle Donne, Le Bord de l’Eau, Pris de Peur, l’Art du Bref, Sol’Air, Gros Textes, Salmigondis, Verso, Décharge, Bulle, Filigranes, Diérèse, Martobre, Comme ça et Autrement, (Cahier d’) Ecritures, La Nef des Fous), en Belgique (Traversées, Ecrits Vains, L’Arbre à Plumes, Inédit Nouveau, Bleu d’Encre), au Canada (Les Saisons Littéraires) et en Italie (Les Cahiers du Ru).
Les courageuses Editions du Chardon ont publié en mil neuf cent quatre-vingt-dix-neuf Erotica, un recueil de vingt-huit de ces textes, illustré par Isabelle Pio et Antoine Lopez et préfacé par Sarane Alexandrian, toujours disponible auprès de moi.
Je suis également l’auteur d’une pièce de théâtre et de plusieurs romans ou récits à ce jour inédits.
Depuis le onze novembre deux mille six, je publie mon Journal via Internet, un temps sous-titré Persiflages, moquages et autres énervages mâtinés de complimentages et de contentages. Sa première partie est lisible chez Eklablog, la deuxième ici.
Je vis au centre de Rouen dans un ancien monastère où autrefois les Sœurs de la Miséricorde se vouaient à l’éducation des jeunes filles.
Les courageuses Editions du Chardon ont publié en mil neuf cent quatre-vingt-dix-neuf Erotica, un recueil de vingt-huit de ces textes, illustré par Isabelle Pio et Antoine Lopez et préfacé par Sarane Alexandrian, toujours disponible auprès de moi.
Je suis également l’auteur d’une pièce de théâtre et de plusieurs romans ou récits à ce jour inédits.
Depuis le onze novembre deux mille six, je publie mon Journal via Internet, un temps sous-titré Persiflages, moquages et autres énervages mâtinés de complimentages et de contentages. Sa première partie est lisible chez Eklablog, la deuxième ici.
Je vis au centre de Rouen dans un ancien monastère où autrefois les Sœurs de la Miséricorde se vouaient à l’éducation des jeunes filles.
6 juillet 2019
Comme d’habitude, les jeudis de juillet à Rouen la municipalité installe des scènes près de certaines terrasses de café. Pour le premier, je vais voir à sept heures moins le quart à quoi ressemble La Gammine qui chante place des Carmes à proximité du Bar des Fleurs en se revendiquant de Camille, Barbara et Norah Jones. Elle n’a plus l’âge de son nom (même avec une lettre doublée) et parle trop avant de chanter. Ses deux premières chansons sont banales. Je n’en entends pas davantage car je pars pour aller voir et ouïr Johnny and Rose qui doit commencer à dix-neuf heures sur le terrain de pétanque jouxtant le Son de Cor. Je trouve place comme souvent derrière les vélos sur le côté bien à l’ombre.
Johnny and Rose sont trois, deux filles et un garçon. Celui-ci ne m’est pas inconnu. Je l’ai souvent côtoyé à la terrasse de ce troquet entre midi et deux, quand il y venait avec sa copine et son caniche. Je l’ai aussi pratiqué au Cent Six (salle de musiques zactuelles) où il sert au bar. Je l’ai vu également dans un train Paris Rouen jouant à cache-cache avec les contrôleurs (il y a prescription, c’était il y a longtemps). C’est la première fois que je vois les deux filles en tenue rose, l’une est à la batterie sommaire, l’autre au mini synthétiseur. Toutes deux chantent, en anglais ou en français, et lui aussi qui joue de la guitare.
-On est un peu de l’Angleterre, dit-il, mais on vit ici.
C’est de la pop sucrée qui ne nécessite pas de bouchons d’oreilles. Au Son du Cor, où on n’aime pas la musique forte qui fait fuir le client, on doit être content. Quant à moi, cela me plaît suffisamment pour que je reste jusqu’à la fin de la première session, pendant laquelle est interprétée une reprise d'Elli et Jacno Le téléphone.
En deuxième partie de soirée, c’est la grosse artillerie locale place Saint-Marc: Steeple Remove, Tahiti 80 et Christine, mais je préfère être dans mon lit avec Le monde d’hier de Stefan Zweig.
*
Le midi de ce jeudi au Son du Cor, où le nombre de sièges à percher les oies a encore augmenté, j’ai affaire à un nouveau serveur qui comme il est maintenant d’usage en ce lieu exige un euro cinquante à peine mon café posé sur la table. Près de moi, un homme offre un verre à trois touristes qu’il loge (deux ont roulé toute la nuit dans un bus Munich Paris où il n’y avait que huit voyageurs). « La confiance règne à Rouen », dit-il à ce serveur quand il lui demande de payer immédiatement les consommations. « Je me demande où sont passés les joueurs d’échecs qu’on voyait ici avant », dit un autre consommateur. Il aurait pu ajouter et les joueurs de boules. Il manque aussi la bonne humeur que répandait l’ancienne serveuse prénommée Laura. J’aimais particulièrement son rire.
*
Rue Saint-Nicolas, la brocante Jacotte et Javotte ayant migré plus loin, s’est installé dans ses anciens locaux, Bazardeluxe, magasin de déco qui se donne bien du mal pour faire entrer le chaland « Ici, il fait frais », est-il écrit sur sa porte. Le pronostic vital est engagé.
*
Ce jeudi matin, avec derrière lui la Cathédrale, un couple se filme en chantant à tue-tête Quand on n’a que l’amour. Leurs amis vont aimer.
*
Encore une chanteuse des années soixante-dix qui meure, Anne Vanderlove, à soixante-seize ans, d’un cancer du pancréas. Sa voix en énervait certains mais je l’aimais bien. La voix de femme sur La mort d’Orion de Gérard Manset, c’est elle. Pour cinquième mari elle avait choisi un truand en prison avec qui elle correspondait. A sa sortie, il la convainquit de participer au braquage d’un Crédit Agricole à Laon. Arrêtée en flagrant délit, elle fut condamnée à un an de prison avec sursis pour complicité d’attaque à main armée. Elle retourna à la chansonnette avec pour seule arme sa guitare.
Johnny and Rose sont trois, deux filles et un garçon. Celui-ci ne m’est pas inconnu. Je l’ai souvent côtoyé à la terrasse de ce troquet entre midi et deux, quand il y venait avec sa copine et son caniche. Je l’ai aussi pratiqué au Cent Six (salle de musiques zactuelles) où il sert au bar. Je l’ai vu également dans un train Paris Rouen jouant à cache-cache avec les contrôleurs (il y a prescription, c’était il y a longtemps). C’est la première fois que je vois les deux filles en tenue rose, l’une est à la batterie sommaire, l’autre au mini synthétiseur. Toutes deux chantent, en anglais ou en français, et lui aussi qui joue de la guitare.
-On est un peu de l’Angleterre, dit-il, mais on vit ici.
C’est de la pop sucrée qui ne nécessite pas de bouchons d’oreilles. Au Son du Cor, où on n’aime pas la musique forte qui fait fuir le client, on doit être content. Quant à moi, cela me plaît suffisamment pour que je reste jusqu’à la fin de la première session, pendant laquelle est interprétée une reprise d'Elli et Jacno Le téléphone.
En deuxième partie de soirée, c’est la grosse artillerie locale place Saint-Marc: Steeple Remove, Tahiti 80 et Christine, mais je préfère être dans mon lit avec Le monde d’hier de Stefan Zweig.
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Le midi de ce jeudi au Son du Cor, où le nombre de sièges à percher les oies a encore augmenté, j’ai affaire à un nouveau serveur qui comme il est maintenant d’usage en ce lieu exige un euro cinquante à peine mon café posé sur la table. Près de moi, un homme offre un verre à trois touristes qu’il loge (deux ont roulé toute la nuit dans un bus Munich Paris où il n’y avait que huit voyageurs). « La confiance règne à Rouen », dit-il à ce serveur quand il lui demande de payer immédiatement les consommations. « Je me demande où sont passés les joueurs d’échecs qu’on voyait ici avant », dit un autre consommateur. Il aurait pu ajouter et les joueurs de boules. Il manque aussi la bonne humeur que répandait l’ancienne serveuse prénommée Laura. J’aimais particulièrement son rire.
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Rue Saint-Nicolas, la brocante Jacotte et Javotte ayant migré plus loin, s’est installé dans ses anciens locaux, Bazardeluxe, magasin de déco qui se donne bien du mal pour faire entrer le chaland « Ici, il fait frais », est-il écrit sur sa porte. Le pronostic vital est engagé.
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Ce jeudi matin, avec derrière lui la Cathédrale, un couple se filme en chantant à tue-tête Quand on n’a que l’amour. Leurs amis vont aimer.
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Encore une chanteuse des années soixante-dix qui meure, Anne Vanderlove, à soixante-seize ans, d’un cancer du pancréas. Sa voix en énervait certains mais je l’aimais bien. La voix de femme sur La mort d’Orion de Gérard Manset, c’est elle. Pour cinquième mari elle avait choisi un truand en prison avec qui elle correspondait. A sa sortie, il la convainquit de participer au braquage d’un Crédit Agricole à Laon. Arrêtée en flagrant délit, elle fut condamnée à un an de prison avec sursis pour complicité d’attaque à main armée. Elle retourna à la chansonnette avec pour seule arme sa guitare.
5 juillet 2019
Le guichet « Renseignements » est le dernier à droite, au fond du hall désert, face au buffet. L’employé me regarde venir de très loin, je le regarde aussi en m’approchant, si bien que lorsque que m’arrête à son guichet, nous nous connaissons.
-A quelle heure ai-je un train pour le front ?
-Je suis désolé mon vieux, mais les Chemins de fer ne desservent plus le front. En temps de paix, l’exploitation n’en est pas rentable.
Ainsi commence Reportages pas vraiment ratés de Gébé (Le Dilettante) que j’emporte avec moi pour ce mercredi à Paris, une lecture de train qui m’enchante. Devant moi une jeune femme étudie le poil à coups de surligneur orange. Je soupçonne une apprentie esthéticienne.
Entre Saint Lazare et Quatre Septembre, tous les feux sont verts pour le piéton porteur de sac de livres que je suis. Un peu après dix heures, ils me sont échangés contre treize euros trente chez Book-Off où je découvre que l’on solde les romans. Ceux qui étaient à trois ou cinq euros sont maintenant à un. L’intérêt pour moi, c’est que dans ces romans se cachent bien d’autres ouvrages. Ainsi ce Photographie et surréalisme d’Alain Fleig orné d’un envoi de l’auteur « Pour André Rouillé, afin que nul n’en ignore. Amicalement », un ouvrage publié chez Ides et Calendes, un des rares éditeurs dont les livres sont encore à couper. Aucune page ne l’a été, son destinataire n’a pas eu envie de le lire.
Profitant de l’aubaine, je sors de là avec dix-sept livres pour le prix d’un. En attendant midi, je poursuis la lecture de Gébé sur un banc à l’ombre, derrière la sortie de métro. Lorsqu’il lui arrive de se souvenir et de réfléchir, il met un carbone et me donne un double… Passent deux jeunes prêtres en soutane, dont l’un porteur d’un grand sac Muji.
Je déjeune au Royal Bourse Opéra où je suis déçu de ne pas retrouver la charmante serveuse espagnole ou latino. Un garçon la remplace à l’accent indéfinissable, prénommé Amok (ses parents ne connaissaient sans doute pas la nouvelle de Stefan Zweig). Je choisis le tartare de bœuf et les profiteroles. Avec le quart de côtes-du-rhône, cela fait vingt-deux euros.
Le métro Huit m’emmène jusqu’à l’Arsenal. Du soleil, un petit vent frais, des bateaux en manœuvre dans le port, je pourrais me croire à Dieppe, si ce n’était la présence de souris de bonne taille courant un peu partout. « Oh my God ! » s’exclame une jeune anglo-saxonne avant de fuir. D’autres filles leur jettent des regards enamourés tandis que les garçons sont indifférents. L’une, avant de partir, leur offre les reliefs de son repas. Je vois bien que si elle pouvait, elle les emmènerait chez elle. Personnellement, je n’aime pas trop ces bestioles et surveille mon sac tout en lisant Gébé : Pas en ligne droite ! Surtout ne pas marcher en ligne droite. En ligne droite, on est sûr d’arriver quelque part. A un bistrauberge, par exemple. On s’assoit sans méfiance en pensant « c’est la pause », « un demi-panaché », et c’est l’impasse, le butoir, la fin de l’aventure.
Avec les travaux qui n’en finissent pas place de la Bastille, je ne risque pas de marcher en ligne droite jusqu’au second Book-Off. Avant d’y entrer, je prends un café au comptoir du Faubourg. « Vous avez pris des couleurs, me dit sa pétulante serveuse, vous étiez en vacances ? »
Soldes sur le roman également au second Book-Off. Elles me sont moins favorables. Les rayonnages concernés ont déjà été beaucoup explorés. Je reprends le métro Huit à Ledru-Rollin. Il est surchauffé. Devant moi, une demoiselle aux joues rouges agite son éventail avec peu de succès. Après un changement pour la Trois à Opéra, j’arrive à Saint-Lazare et bénéficie d’un train Corail ponctuel et climatisé pour rentrer en lisant Gébé Une deux-chevaux n’est pas une soucoupe volante mais, une fois posée, quelle différence ?
Lourdement chargé, je regagne mon logis à pied, assistant place des Carmes à un accrochage entre deux bicyclistes, un trentenaire qui double une sexagénaire par la droite au moment où elle tourne à droite. Sans la présence d’une barrière où elle peut se rattraper, elle aurait chuté. Elle crie. « Je suis désolé », lui répond le goujat. On sait qu’il suffit que je sois quelque part pour qu’il s’y passe quelque chose, écrit Gébé.
*
Elle entre au Bistrot d’Edmond pour boire un café au comptoir (un euro vingt) et demande si elle pourra le payer sans contact. « Pas à moins de dix euros, lui répond-on, il y a un distributeur de billets pas loin ». « J’ai oublié mon code », explique-t-elle. La voici obligée de commander un petit-déjeuner en salle.
*
Dans le métro, sur le ticheurte d’une nymphette : « Je fais semblant d’être normale ».
*
Gébé dans Reportages pas vraiment ratés : Quoi qu’on fasse, l’après-midi n’est jamais que la lente agonie du matin. Un propos avec lequel je suis entièrement d’accord.
-A quelle heure ai-je un train pour le front ?
-Je suis désolé mon vieux, mais les Chemins de fer ne desservent plus le front. En temps de paix, l’exploitation n’en est pas rentable.
Ainsi commence Reportages pas vraiment ratés de Gébé (Le Dilettante) que j’emporte avec moi pour ce mercredi à Paris, une lecture de train qui m’enchante. Devant moi une jeune femme étudie le poil à coups de surligneur orange. Je soupçonne une apprentie esthéticienne.
Entre Saint Lazare et Quatre Septembre, tous les feux sont verts pour le piéton porteur de sac de livres que je suis. Un peu après dix heures, ils me sont échangés contre treize euros trente chez Book-Off où je découvre que l’on solde les romans. Ceux qui étaient à trois ou cinq euros sont maintenant à un. L’intérêt pour moi, c’est que dans ces romans se cachent bien d’autres ouvrages. Ainsi ce Photographie et surréalisme d’Alain Fleig orné d’un envoi de l’auteur « Pour André Rouillé, afin que nul n’en ignore. Amicalement », un ouvrage publié chez Ides et Calendes, un des rares éditeurs dont les livres sont encore à couper. Aucune page ne l’a été, son destinataire n’a pas eu envie de le lire.
Profitant de l’aubaine, je sors de là avec dix-sept livres pour le prix d’un. En attendant midi, je poursuis la lecture de Gébé sur un banc à l’ombre, derrière la sortie de métro. Lorsqu’il lui arrive de se souvenir et de réfléchir, il met un carbone et me donne un double… Passent deux jeunes prêtres en soutane, dont l’un porteur d’un grand sac Muji.
Je déjeune au Royal Bourse Opéra où je suis déçu de ne pas retrouver la charmante serveuse espagnole ou latino. Un garçon la remplace à l’accent indéfinissable, prénommé Amok (ses parents ne connaissaient sans doute pas la nouvelle de Stefan Zweig). Je choisis le tartare de bœuf et les profiteroles. Avec le quart de côtes-du-rhône, cela fait vingt-deux euros.
Le métro Huit m’emmène jusqu’à l’Arsenal. Du soleil, un petit vent frais, des bateaux en manœuvre dans le port, je pourrais me croire à Dieppe, si ce n’était la présence de souris de bonne taille courant un peu partout. « Oh my God ! » s’exclame une jeune anglo-saxonne avant de fuir. D’autres filles leur jettent des regards enamourés tandis que les garçons sont indifférents. L’une, avant de partir, leur offre les reliefs de son repas. Je vois bien que si elle pouvait, elle les emmènerait chez elle. Personnellement, je n’aime pas trop ces bestioles et surveille mon sac tout en lisant Gébé : Pas en ligne droite ! Surtout ne pas marcher en ligne droite. En ligne droite, on est sûr d’arriver quelque part. A un bistrauberge, par exemple. On s’assoit sans méfiance en pensant « c’est la pause », « un demi-panaché », et c’est l’impasse, le butoir, la fin de l’aventure.
Avec les travaux qui n’en finissent pas place de la Bastille, je ne risque pas de marcher en ligne droite jusqu’au second Book-Off. Avant d’y entrer, je prends un café au comptoir du Faubourg. « Vous avez pris des couleurs, me dit sa pétulante serveuse, vous étiez en vacances ? »
Soldes sur le roman également au second Book-Off. Elles me sont moins favorables. Les rayonnages concernés ont déjà été beaucoup explorés. Je reprends le métro Huit à Ledru-Rollin. Il est surchauffé. Devant moi, une demoiselle aux joues rouges agite son éventail avec peu de succès. Après un changement pour la Trois à Opéra, j’arrive à Saint-Lazare et bénéficie d’un train Corail ponctuel et climatisé pour rentrer en lisant Gébé Une deux-chevaux n’est pas une soucoupe volante mais, une fois posée, quelle différence ?
Lourdement chargé, je regagne mon logis à pied, assistant place des Carmes à un accrochage entre deux bicyclistes, un trentenaire qui double une sexagénaire par la droite au moment où elle tourne à droite. Sans la présence d’une barrière où elle peut se rattraper, elle aurait chuté. Elle crie. « Je suis désolé », lui répond le goujat. On sait qu’il suffit que je sois quelque part pour qu’il s’y passe quelque chose, écrit Gébé.
*
Elle entre au Bistrot d’Edmond pour boire un café au comptoir (un euro vingt) et demande si elle pourra le payer sans contact. « Pas à moins de dix euros, lui répond-on, il y a un distributeur de billets pas loin ». « J’ai oublié mon code », explique-t-elle. La voici obligée de commander un petit-déjeuner en salle.
*
Dans le métro, sur le ticheurte d’une nymphette : « Je fais semblant d’être normale ».
*
Gébé dans Reportages pas vraiment ratés : Quoi qu’on fasse, l’après-midi n’est jamais que la lente agonie du matin. Un propos avec lequel je suis entièrement d’accord.
4 juillet 2019
Ce dimanche après-midi, d’un coup de métro jusqu’à l’arrêt Hôtel de Ville de Sotteville-lès-Rouen, je renoue avec le Festival VivaCité qui cette année fête ses trente ans. C’est pour y voir et ouïr Grand Ensemble de Pierre Sauvageot, une composition pour barre d’immeuble et orchestre symphonique déjà jouée en divers endroits, dont à Paris place d’Aligre.
En attendant qu’il en soit l’heure, je fais un tour dans le bois de la Garenne où se tiennent une partie des spectacles de plein air qui sont l’objet de ce festival. Je croise là beaucoup de têtes connues et une mère désespérée qui déclare à ses enfants en bas âge : « On n’a pas vu un seul spectacle, ou c’est pas pour les enfants, ou il y a trop de monde, alors moi je ne sais plus quoi faire. »
Moi non plus je ne sais quoi faire car les artistes près desquels je m’arrête ne me retiennent pas alors je vais m’asseoir sur un banc en retrait pour écrire sur mon petit carnet Muji reluqué par un vigile qui semble tenir cette activité pour suspecte.
Souvent le spectacle de la rue m’intéresse davantage que le spectacle de rue. D’autres préfèrent celui de la nature et s’arrêtent longuement pour observer la mare Un homme vient me voir : « Bonjour monsieur, excusez-moi de vous déranger, je suis à la rue, est-ce que vous auriez un euro ou deux à dépanner ? » Les deux erreurs à ne pas commettre : lui dire qu’ici on est tous à la rue, lui demander le titre de son spectacle.
Vers quatorze heures trente, je rejoins l’immeuble Gascogne situé dans l’espace Marcel Lods (du nom de son architecte). C’est une belle barre marquée d’une succession de bandes bleues, blanches et rouges, mais pas couleur drapeau. Face au bâtiment sont installés des tapis sur la pelouse, une première ligne de transats orange où je trouve place et en arrière plusieurs autres lignes de transats verts. A différents balcons (accueillis par des habitants) ainsi qu’au pied de l’immeuble, des musiciens de l’Opéra de Rouen accordent leurs instruments, protégés par des parasols blancs. Peu à peu le public s’installe à sa guise et confortablement. J’ai près de moi un homme qui renifle ; pour un peu je me croirais dans la salle de l’Opéra. Heureusement il cesse dès que le spectacle est annoncé et décrit comme une collaboration entre les artistes et des habitants de l’immeuble Gascogne.
Grand Ensemble est une œuvre de musique amplifiée, une conversation entre la musique qui court sur les murs et les sons de l’habitat collectif : sonnettes, aboiements, pleurs de bébés, sonneries de téléphone, bonjours en toutes langues, musiques diverses débordant des appartements. Parfois la composition musicale les intègre. Parfois elle lutte contre. S’ajoutent à cela quelques interventions orales donnant une brève histoire du lieu et la parole à quelques résidants, tout en évitant l’écueil pédagogique et l’écueil sociologique. Un brin d’humour parsème le tout, les musiciens étant munis de jouets à couiner pour calmer le bébé, d’éventails pour se rafraîchir et, pour ceux situés tout en haut, de partitions à jeter, vers lesquelles ne se précipitent pas que des enfants. De temps à autre, des habitants n’ayant pas offert leur balcon y apparaissent. Torse nu ou foulard sur la tête, ils regardent ce qui se passe en bas de chez eux. Pendant ce temps, la vie continue dans l’allée qui longe le bâtiment, J’apprécie particulièrement le passage d’un livreur bicycliste de chez Uber et celui de deux pré-branlotins faisant une roue arrière avec leurs vélos.
Cette vie mode d’emploi sonore est fort applaudie et je repars de là content.
En attendant qu’il en soit l’heure, je fais un tour dans le bois de la Garenne où se tiennent une partie des spectacles de plein air qui sont l’objet de ce festival. Je croise là beaucoup de têtes connues et une mère désespérée qui déclare à ses enfants en bas âge : « On n’a pas vu un seul spectacle, ou c’est pas pour les enfants, ou il y a trop de monde, alors moi je ne sais plus quoi faire. »
Moi non plus je ne sais quoi faire car les artistes près desquels je m’arrête ne me retiennent pas alors je vais m’asseoir sur un banc en retrait pour écrire sur mon petit carnet Muji reluqué par un vigile qui semble tenir cette activité pour suspecte.
Souvent le spectacle de la rue m’intéresse davantage que le spectacle de rue. D’autres préfèrent celui de la nature et s’arrêtent longuement pour observer la mare Un homme vient me voir : « Bonjour monsieur, excusez-moi de vous déranger, je suis à la rue, est-ce que vous auriez un euro ou deux à dépanner ? » Les deux erreurs à ne pas commettre : lui dire qu’ici on est tous à la rue, lui demander le titre de son spectacle.
Vers quatorze heures trente, je rejoins l’immeuble Gascogne situé dans l’espace Marcel Lods (du nom de son architecte). C’est une belle barre marquée d’une succession de bandes bleues, blanches et rouges, mais pas couleur drapeau. Face au bâtiment sont installés des tapis sur la pelouse, une première ligne de transats orange où je trouve place et en arrière plusieurs autres lignes de transats verts. A différents balcons (accueillis par des habitants) ainsi qu’au pied de l’immeuble, des musiciens de l’Opéra de Rouen accordent leurs instruments, protégés par des parasols blancs. Peu à peu le public s’installe à sa guise et confortablement. J’ai près de moi un homme qui renifle ; pour un peu je me croirais dans la salle de l’Opéra. Heureusement il cesse dès que le spectacle est annoncé et décrit comme une collaboration entre les artistes et des habitants de l’immeuble Gascogne.
Grand Ensemble est une œuvre de musique amplifiée, une conversation entre la musique qui court sur les murs et les sons de l’habitat collectif : sonnettes, aboiements, pleurs de bébés, sonneries de téléphone, bonjours en toutes langues, musiques diverses débordant des appartements. Parfois la composition musicale les intègre. Parfois elle lutte contre. S’ajoutent à cela quelques interventions orales donnant une brève histoire du lieu et la parole à quelques résidants, tout en évitant l’écueil pédagogique et l’écueil sociologique. Un brin d’humour parsème le tout, les musiciens étant munis de jouets à couiner pour calmer le bébé, d’éventails pour se rafraîchir et, pour ceux situés tout en haut, de partitions à jeter, vers lesquelles ne se précipitent pas que des enfants. De temps à autre, des habitants n’ayant pas offert leur balcon y apparaissent. Torse nu ou foulard sur la tête, ils regardent ce qui se passe en bas de chez eux. Pendant ce temps, la vie continue dans l’allée qui longe le bâtiment, J’apprécie particulièrement le passage d’un livreur bicycliste de chez Uber et celui de deux pré-branlotins faisant une roue arrière avec leurs vélos.
Cette vie mode d’emploi sonore est fort applaudie et je repars de là content.
3 juillet 2019
Numéro atypique que le deux cent quatre-vingt-six de La Nouvelle Revue Française paru au quatrième trimestre de mil neuf cent soixante-seize, tout entier consacré à la correspondance d’auteur(e)s de la maison Gallimard. De ma lecture des cent dix-huit lettres inédites, j’ai retenu ceci :
Je suis obsédé par la fuite des jours ; je sens la mort de l’année dès le plein été et même en juillet, sans attendre le mois d’août. André Suarès à sa sœur, Paris, deux octobre mil neuf cent vingt-trois
Je suis un homme très pauvre, presque septuagénaire et incapable de courses multiples. (…)
Il ne me coûte rien de vous dire que vos 50 F ont été reçus hier soir comme une bénédiction. Je suis gueux et je mourrai gueux, n’ayant jamais voulu prostituer ma pensée. On accorde que je suis un grand écrivain, quelques-uns même vont jusqu’à me supposer du génie. Mais les journaux ne parlent pas de mes livres, parce que cela pourrait les faire vendre et qu’il est nécessaire à l’équilibre des mufles que je périsse de misère. Léon Bloy à Monsieur le Baron Albert Lumbroso, Bourg-la-Reine, treize février mil neuf cent quatorze
Une haine invétérée de l’Amérique s’est emparée de moi récemment. Les livres ne se vendent pas : ils sont alignés comme des cadavres. Les Américains ne lisent pas de livres ; ils lisent le Saturday Evening Post et les enseignes lumineuses. (…)
Peut-être, quand viendra l’été et que j’aurai tout mon temps à moi – et quand je serai libéré de ces gens inqualifiables, de ces rues affreuses et de ces hôtels lugubres –, je pourrai faire quelque chose. (…)
Il n’y a qu’écrire qui me protège de l’Amérique. Je souhaite qu’un raz-de-marée emporte tout le pays et ses centaines de millions d’habitants. Je sais à présent ce que veut dire l’expression « un parfait Européen ». John Cowper Powys à Llewelyn Powys, Hôtel Claypool, Indianapolis, vingt janvier mil neuf cent dix-sept
Ainsi ces jours-ci j’ai été dans ce mauvais état de santé physique et morale, atteint d’amnésie spéciale. Il ne me reste plus rien de ma vie de poète. Pierre Reverdy à Jean Paulhan, mil neuf cent dix-huit
Ces gens pour qui tout est si simple ou plutôt si facile qu’ils n’ont qu’à prendre la plume pour accoucher de bêtises plates dont ils seront immanquablement contents… parce que c’est de la littérature. Pauvres gens. On devrait créer à leur intention une administration littéraire où chacun d’eux occuperait un pupitre. Du même au même la même année
Je vous dirai qu’à diverses époques dont j’aime mieux que vous ne parliez pas, j’ai bénéficié ainsi qu’une grande indulgence qui aurait dû, sans la contrariété de ma santé et peut-être aussi de ma paresse extrême, m’encourager au travail. (…)
Si de vos amis comme vous semblez le dire ont écrit sur moi, remerciez-les de ma part. L’impolitesse de mon silence vient de ce que je n’avais pas su. J’aurais su, que je n’eusse peut-être pas pu, tant mon était de santé est désastreux. (…)
Mais venir ainsi à vous comme vous me l’avez demandé avec un flot de références, comme un valet de pied qui se présente et montre ses certificats, je ne peux vous dire combien cela serait pénible, si ce n’était très adouci par le plaisir de faire connaissance avec vous. Marcel Proust au baron Albert Lumbroso, quinze mai mil neuf cent vingt
Il faut n’écrire à ses amis que des choses sans importance, car on risque, à écrire et à résumer les choses qui valent d’être dites, de les défigurer et, si on les note avec un soin suffisant, de vivre de travers. André Malraux à Marcel Arland, Pnom-Penh, le sept janvier mil neuf cent vingt-quatre
Ce qu’il y a de plus bas en nous, seul, attend quelque chose de la vie, quelque sens que vous donnez au mot attendre. Les meilleurs moments n’attendent rien. (…)
Nous commençons à comprendre que la valeur d’un homme ne s’évalue guère à l’aide de règles, et que la vulgarité de Flaubert n’empêche en rien son raffinement. Le même au même, date et lieu inconnus
Je t’ai dit que j’étais réfugié à Quimper contre toutes les haines, les médisances, les trahisons, les abandons, les vols matériels et spirituels d’une époque plus maligne que moi. Max Jacob à Jean Denoël, Quimper, le vingt et un novembre mil neuf cent trente-cinq
Renan raconte qu’un Anglais lui avait dit qu’il avait perdu la foi parce que l’Exode classe le lièvre parmi les animaux ruminants. Paul Claudel à Jacques Borel, Château de Brangues, le sept mai mil neuf cent quarante-trois
Le malheur des hommes, c’est la charité, cette sale habitude de pardonner… Je me suis raidi à temps… Et j’entends mal finir – en voyou – socialement parlant… Michel de Ghelderode à Alain Bosquet, Bruxelles en Brabant, le quatorze octobre mil neuf cent cinquante-neuf
Oui, la mort de Brice (Parain) m’a causé chagrin. Je l’ai apprise par les journaux, sa femme – qui connaissait notre amitié – n’ayant pas daigné me prévenir. J’aurais aussi voulu le voir – avant. Dans sa dernière lettre, qui date de février, il se félicitait d’avoir changé de place chez Gallimard et de pouvoir observer le progrès des bourgeons sur les arbres. Georges Perros à Marcel Arland, mil neuf cent soixante-neuf
Je suis obsédé par la fuite des jours ; je sens la mort de l’année dès le plein été et même en juillet, sans attendre le mois d’août. André Suarès à sa sœur, Paris, deux octobre mil neuf cent vingt-trois
Je suis un homme très pauvre, presque septuagénaire et incapable de courses multiples. (…)
Il ne me coûte rien de vous dire que vos 50 F ont été reçus hier soir comme une bénédiction. Je suis gueux et je mourrai gueux, n’ayant jamais voulu prostituer ma pensée. On accorde que je suis un grand écrivain, quelques-uns même vont jusqu’à me supposer du génie. Mais les journaux ne parlent pas de mes livres, parce que cela pourrait les faire vendre et qu’il est nécessaire à l’équilibre des mufles que je périsse de misère. Léon Bloy à Monsieur le Baron Albert Lumbroso, Bourg-la-Reine, treize février mil neuf cent quatorze
Une haine invétérée de l’Amérique s’est emparée de moi récemment. Les livres ne se vendent pas : ils sont alignés comme des cadavres. Les Américains ne lisent pas de livres ; ils lisent le Saturday Evening Post et les enseignes lumineuses. (…)
Peut-être, quand viendra l’été et que j’aurai tout mon temps à moi – et quand je serai libéré de ces gens inqualifiables, de ces rues affreuses et de ces hôtels lugubres –, je pourrai faire quelque chose. (…)
Il n’y a qu’écrire qui me protège de l’Amérique. Je souhaite qu’un raz-de-marée emporte tout le pays et ses centaines de millions d’habitants. Je sais à présent ce que veut dire l’expression « un parfait Européen ». John Cowper Powys à Llewelyn Powys, Hôtel Claypool, Indianapolis, vingt janvier mil neuf cent dix-sept
Ainsi ces jours-ci j’ai été dans ce mauvais état de santé physique et morale, atteint d’amnésie spéciale. Il ne me reste plus rien de ma vie de poète. Pierre Reverdy à Jean Paulhan, mil neuf cent dix-huit
Ces gens pour qui tout est si simple ou plutôt si facile qu’ils n’ont qu’à prendre la plume pour accoucher de bêtises plates dont ils seront immanquablement contents… parce que c’est de la littérature. Pauvres gens. On devrait créer à leur intention une administration littéraire où chacun d’eux occuperait un pupitre. Du même au même la même année
Je vous dirai qu’à diverses époques dont j’aime mieux que vous ne parliez pas, j’ai bénéficié ainsi qu’une grande indulgence qui aurait dû, sans la contrariété de ma santé et peut-être aussi de ma paresse extrême, m’encourager au travail. (…)
Si de vos amis comme vous semblez le dire ont écrit sur moi, remerciez-les de ma part. L’impolitesse de mon silence vient de ce que je n’avais pas su. J’aurais su, que je n’eusse peut-être pas pu, tant mon était de santé est désastreux. (…)
Mais venir ainsi à vous comme vous me l’avez demandé avec un flot de références, comme un valet de pied qui se présente et montre ses certificats, je ne peux vous dire combien cela serait pénible, si ce n’était très adouci par le plaisir de faire connaissance avec vous. Marcel Proust au baron Albert Lumbroso, quinze mai mil neuf cent vingt
Il faut n’écrire à ses amis que des choses sans importance, car on risque, à écrire et à résumer les choses qui valent d’être dites, de les défigurer et, si on les note avec un soin suffisant, de vivre de travers. André Malraux à Marcel Arland, Pnom-Penh, le sept janvier mil neuf cent vingt-quatre
Ce qu’il y a de plus bas en nous, seul, attend quelque chose de la vie, quelque sens que vous donnez au mot attendre. Les meilleurs moments n’attendent rien. (…)
Nous commençons à comprendre que la valeur d’un homme ne s’évalue guère à l’aide de règles, et que la vulgarité de Flaubert n’empêche en rien son raffinement. Le même au même, date et lieu inconnus
Je t’ai dit que j’étais réfugié à Quimper contre toutes les haines, les médisances, les trahisons, les abandons, les vols matériels et spirituels d’une époque plus maligne que moi. Max Jacob à Jean Denoël, Quimper, le vingt et un novembre mil neuf cent trente-cinq
Renan raconte qu’un Anglais lui avait dit qu’il avait perdu la foi parce que l’Exode classe le lièvre parmi les animaux ruminants. Paul Claudel à Jacques Borel, Château de Brangues, le sept mai mil neuf cent quarante-trois
Le malheur des hommes, c’est la charité, cette sale habitude de pardonner… Je me suis raidi à temps… Et j’entends mal finir – en voyou – socialement parlant… Michel de Ghelderode à Alain Bosquet, Bruxelles en Brabant, le quatorze octobre mil neuf cent cinquante-neuf
Oui, la mort de Brice (Parain) m’a causé chagrin. Je l’ai apprise par les journaux, sa femme – qui connaissait notre amitié – n’ayant pas daigné me prévenir. J’aurais aussi voulu le voir – avant. Dans sa dernière lettre, qui date de février, il se félicitait d’avoir changé de place chez Gallimard et de pouvoir observer le progrès des bourgeons sur les arbres. Georges Perros à Marcel Arland, mil neuf cent soixante-neuf
2 juillet 2019
Le chant du merle se fait entendre ce samedi en lieu et place du bruit de la soufflerie des ouvriers de la Cathédrale. Trente-six degrés sont annoncés à Rouen et quand même trente et un à Dieppe. Comptant sur le vent venu de la mer pour rafraîchir l’atmosphère, je prends pour la quatrième fois un billet pour le neuf heures douze. Celui-ci se remplit complètement quand arrive le train de Paris.
A la descente, je constate que la ville n’échappe plus à la grosse chaleur. Le vent qui souffle ce matin a changé de direction, il est aussi épais que celui de Rouen, même sur la plage. Je trouve refuge à la terrasse de La Potinière, à l’ombre d’un arbre. J’y bois un café verre d’eau en reprenant ma lecture des lettres de jeunesse d’Eugène Delacroix.
En raison de sa proximité avec le marché, l’endroit est pris d’assaut. Je crains de devoir libérer ma table de quatre places assez rapidement quand arrivent mes sauveurs : une femme anglaise à béquille, son mari et leur fille adolescente. Je leur offre l’asile. Protégé par deux Stella et un Coca, je peux lire jusqu’à ce qu’il soit l’heure de rejoindre L’Espérance où j’ai réservé une table.
Après avoir souhaité une bonne journée à mes colocataires, je traverse une partie du marché. A cette heure, les laitues arrivées fraîches sont quasiment cuites.
L’Espérance, qui propose son menu à dix euros quatre-vingt-dix-neuf même ce jour, est également pris d’assaut. J’ai la chance d’être installé là où souffle un léger courant d’air venu de la deuxième salle. Buffet d’entrées, andouillette avec les excellentes frites de la maison et fromage blanc au coulis de fruits rouges, tel est mon choix. A la table la plus proche sont deux couples de sexagénaires dont seul l’un des hommes parle. Il se demande pourquoi l’un de leurs amis ne leur fait plus signe. « Je sais qu’il a une gonzesse dans l’Orne », donne-t-il comme explication possible. Les deux efficaces serveuses et leur jolie patronne ont fort à faire. En cuisine ce doit être dur.
La chaleur a encore augmenté quand je rejoins le Mieux où je bénéficie d’un des rares parasols pour boire mon café collé contre la barrière qui empêche certaine clientèle de tomber dans le port. Au bout d’un moment arrive un groupe dont les membres luttent pour être à l’ombre. Ce sont des plongeurs remontés à la surface qui viennent ici boire et « inscrire les paramètres » : durée, profondeur, animaux vus : une méduse, des lieux jaunes, un tourteau. Il y a ceux qui ont vu le homard et ceux qui ont vu ceux qui l’ont vu en train de le voir. Quand chacun(e) a terminé de remplir sa fiche, ces bruyant(e)s trinquent « aux premières bulles ». Il ne s’agit pas de celles de leurs bières ou diabolos menthe. C’est ainsi qu’ils nomment la première descente des nouveaux. Le chef du groupe demande alors les feuilles de tou(te)s pour les tamponner, ce qui donne l’occasion à certaines de rire bêtement. Le trop chaud soleil que subit la moitié heureusement les fait fuir. Je commande un diabolo menthe qui m’arrive bien frais et de vingt-cinq centilitres. Les deux tenanciers de cet estaminet ont un point commun : leur gentillesse. Ils pratiquent des prix on ne peut plus bas : trois euros cinquante pour le café et le grand diabolo. La vue sur la ville et l’activité du port est offerte.
Le samedi, le train de seize heures est à seize heures neuf. Il me reconduit dans une ville encore plus étouffante que les jours précédents. Cela m’amène à renoncer au spectacle des apprenti(e)s comédien(ne)s du Conservatoire donné à dix-huit heures au Théâtre des Deux Rives et pour lequel j’avais réservé une place. Je sais combien la chaleur humaine est redoutable dans les salles de spectacle. La supporter plus de trois heures est au-dessus de mes forces. Le fait que cette année l’auteur retenu soit Shakespeare, pour qui j’ai peu de goût, me donne moins de regret.
*
La question du jour à Dieppe :
-Y a du monde au marché ?
*
La patronne de L’Espérance en réponse à une famille se renseignant sur la localisation de leur location de vacances :
-Vous êtes juste au pied de la centrale nucléaire, pour vous situer.
*
Deux fois que je vois à Dieppe des vélos anglais dans lesquels l’épouse est allongée peinarde devant son mari qui pédale. A comparer avec ces tandems à la française où la femme, souvent plus petite que lui et forcement derrière lui, n’a pour paysage que le dos du mari : parfois même, celui-ci porte un sac à dos qui réduit encore l’espace vital de sa moitié.
A la descente, je constate que la ville n’échappe plus à la grosse chaleur. Le vent qui souffle ce matin a changé de direction, il est aussi épais que celui de Rouen, même sur la plage. Je trouve refuge à la terrasse de La Potinière, à l’ombre d’un arbre. J’y bois un café verre d’eau en reprenant ma lecture des lettres de jeunesse d’Eugène Delacroix.
En raison de sa proximité avec le marché, l’endroit est pris d’assaut. Je crains de devoir libérer ma table de quatre places assez rapidement quand arrivent mes sauveurs : une femme anglaise à béquille, son mari et leur fille adolescente. Je leur offre l’asile. Protégé par deux Stella et un Coca, je peux lire jusqu’à ce qu’il soit l’heure de rejoindre L’Espérance où j’ai réservé une table.
Après avoir souhaité une bonne journée à mes colocataires, je traverse une partie du marché. A cette heure, les laitues arrivées fraîches sont quasiment cuites.
L’Espérance, qui propose son menu à dix euros quatre-vingt-dix-neuf même ce jour, est également pris d’assaut. J’ai la chance d’être installé là où souffle un léger courant d’air venu de la deuxième salle. Buffet d’entrées, andouillette avec les excellentes frites de la maison et fromage blanc au coulis de fruits rouges, tel est mon choix. A la table la plus proche sont deux couples de sexagénaires dont seul l’un des hommes parle. Il se demande pourquoi l’un de leurs amis ne leur fait plus signe. « Je sais qu’il a une gonzesse dans l’Orne », donne-t-il comme explication possible. Les deux efficaces serveuses et leur jolie patronne ont fort à faire. En cuisine ce doit être dur.
La chaleur a encore augmenté quand je rejoins le Mieux où je bénéficie d’un des rares parasols pour boire mon café collé contre la barrière qui empêche certaine clientèle de tomber dans le port. Au bout d’un moment arrive un groupe dont les membres luttent pour être à l’ombre. Ce sont des plongeurs remontés à la surface qui viennent ici boire et « inscrire les paramètres » : durée, profondeur, animaux vus : une méduse, des lieux jaunes, un tourteau. Il y a ceux qui ont vu le homard et ceux qui ont vu ceux qui l’ont vu en train de le voir. Quand chacun(e) a terminé de remplir sa fiche, ces bruyant(e)s trinquent « aux premières bulles ». Il ne s’agit pas de celles de leurs bières ou diabolos menthe. C’est ainsi qu’ils nomment la première descente des nouveaux. Le chef du groupe demande alors les feuilles de tou(te)s pour les tamponner, ce qui donne l’occasion à certaines de rire bêtement. Le trop chaud soleil que subit la moitié heureusement les fait fuir. Je commande un diabolo menthe qui m’arrive bien frais et de vingt-cinq centilitres. Les deux tenanciers de cet estaminet ont un point commun : leur gentillesse. Ils pratiquent des prix on ne peut plus bas : trois euros cinquante pour le café et le grand diabolo. La vue sur la ville et l’activité du port est offerte.
Le samedi, le train de seize heures est à seize heures neuf. Il me reconduit dans une ville encore plus étouffante que les jours précédents. Cela m’amène à renoncer au spectacle des apprenti(e)s comédien(ne)s du Conservatoire donné à dix-huit heures au Théâtre des Deux Rives et pour lequel j’avais réservé une place. Je sais combien la chaleur humaine est redoutable dans les salles de spectacle. La supporter plus de trois heures est au-dessus de mes forces. Le fait que cette année l’auteur retenu soit Shakespeare, pour qui j’ai peu de goût, me donne moins de regret.
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La question du jour à Dieppe :
-Y a du monde au marché ?
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La patronne de L’Espérance en réponse à une famille se renseignant sur la localisation de leur location de vacances :
-Vous êtes juste au pied de la centrale nucléaire, pour vous situer.
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Deux fois que je vois à Dieppe des vélos anglais dans lesquels l’épouse est allongée peinarde devant son mari qui pédale. A comparer avec ces tandems à la française où la femme, souvent plus petite que lui et forcement derrière lui, n’a pour paysage que le dos du mari : parfois même, celui-ci porte un sac à dos qui réduit encore l’espace vital de sa moitié.
1er juillet 2019
Ce vendredi, alors que j’ai eu droit au bruit d’un déménagement d’étudiant à deux heures du matin, c’est à sept heures vingt que les ouvriers de la Cathédrale mettent la soufflerie en marche. Vingt-quatre degrés sont annoncés à Dieppe. Je décide d’y retourner par le neuf heures douze, qui ce jour ne donne pas droit au tarif pour les vieux. D’autres, munis d’énormes bagages pour la plupart, attendent le Tégévé pour Marseille qui a vingt minutes de retard et les mènera en zone rouge canicule.
Après un paisible voyage face à une blonde klimtienne, je m’assois à ma table habituelle au Tévébé et y poursuis la lecture de Lettres intimes d’Eugène Delacroix tandis qu’au comptoir des commerçants du quai ne disent pas du bien de la solitaire du Figaro « Oh nous, ça nous amène rien. ». A ma gauche sont deux vieilles copines qui boivent des issetis (comme elles disent). L’une est plongée dans Les Informations Dieppoises : « J’ai lu les morts, c’est déjà ça. » L’autre fait les comptes : « C’est ma semaine de payer Ici Paris ». Puis elles évoquent les parents d’un enfant qui a du mal à trouver une place à l’école et qui ne veulent pas voir pourquoi : « Ils sont docteurs tous les deux et ils comprennent pas qu’il y a un vice de forme ».
C’est au Juquin que je déjeune, à l’une des tables de quai, avec vue sur le voilier Le Français. Le menu est à quinze euros. J’accompagne mon duo de bulots crevettes d’un verre de chardonnay à trois euros et ma pièce de boucher sauce camembert d’un quart de saumur à cinq euros. Celle-ci m’arrive à point alors que je l’avais demandée bleue, mais je ne suis pas d’humeur à faire des histoires. Pendant ce temps, la minibus électrique qui fait navette gratuite tourne presque toujours à vide. Un couple de quadragénaires s’installe à ma gauche tandis que je termine mon dessert, un parfait aux fruits rouges. « Tu soignes ton complexe en tyrannisant les autres », lui dit-elle. Voilà une conversation dont j’aurais aimé connaître la suite.
Les toilettes sont à l’étage. Par la lucarne, j’ai belle vue sur le pont Colbert et à sa gauche le Mieux Ici Qu’En Face. Manque la tyrolienne me permettant d’y arriver après avoir survolé le port. Je le contourne donc, ce qui fait une trotte.
Il y a une place pour moi à la terrasse du Mieux « Bar Internet Tabac ». Tandis que me parviennent des airs de cornemuse venus du quai d’en face, j’y poursuis ma lecture et y trouve une lettre évoquant Dieppe, écrite par Eugène Delacroix à Souillac chez son beau-frère le vingt octobre mil huit cent vingt (un jour de pluie) à destination de Félix Guillemardet : J’apprécie d’autant mieux par ma propre expérience ce que vous avez eu à souffrir d’ennuis et de regrets dans votre petite excursion de Dieppe. La mer par un temps gris et pluvieux manque de presque tous ses charmes.
Deux bicyclistes anglais descendus du ferry, à peine en France, s’arrêtent au bistrot. Ils saluent de plus courageux qui virent à droite sur le pont. A une autre table s’installent une femme et son compagnon. Elle hèle un barbu qui vient lui dire bonjour.
-Ça va mon Gégé ! lui dit-elle. J’ai appris la nouvelle par le père. Alors t’es marié ? Tu vas faire des bébés maintenant.
Encore une fois la moitié du train de seize heures est réservée pour l’école d’Auffay. Je dois subir la proximité de quatre membres d’un Centre Médico-Psycho-Pédagogique revenant de réunion dont deux sont debout dans le couloir, un prétentieux qui a la tête de l’emploi et une qui ayant couru transpire et s’évente avec l’un de ses dossiers. Dès que les scolaires sont descendus, je change de voiture pour être seul avec moi-même.
*
Au Pollet, deux vieilles et un vieux qui marchent les mains dans le dos. Il faudrait le talent de Pierre Le Gall dont me ravissent les images qu’il fit des habitant(e)s du quartier dans les années soixante-dix, pour en faire une photo.
Après un paisible voyage face à une blonde klimtienne, je m’assois à ma table habituelle au Tévébé et y poursuis la lecture de Lettres intimes d’Eugène Delacroix tandis qu’au comptoir des commerçants du quai ne disent pas du bien de la solitaire du Figaro « Oh nous, ça nous amène rien. ». A ma gauche sont deux vieilles copines qui boivent des issetis (comme elles disent). L’une est plongée dans Les Informations Dieppoises : « J’ai lu les morts, c’est déjà ça. » L’autre fait les comptes : « C’est ma semaine de payer Ici Paris ». Puis elles évoquent les parents d’un enfant qui a du mal à trouver une place à l’école et qui ne veulent pas voir pourquoi : « Ils sont docteurs tous les deux et ils comprennent pas qu’il y a un vice de forme ».
C’est au Juquin que je déjeune, à l’une des tables de quai, avec vue sur le voilier Le Français. Le menu est à quinze euros. J’accompagne mon duo de bulots crevettes d’un verre de chardonnay à trois euros et ma pièce de boucher sauce camembert d’un quart de saumur à cinq euros. Celle-ci m’arrive à point alors que je l’avais demandée bleue, mais je ne suis pas d’humeur à faire des histoires. Pendant ce temps, la minibus électrique qui fait navette gratuite tourne presque toujours à vide. Un couple de quadragénaires s’installe à ma gauche tandis que je termine mon dessert, un parfait aux fruits rouges. « Tu soignes ton complexe en tyrannisant les autres », lui dit-elle. Voilà une conversation dont j’aurais aimé connaître la suite.
Les toilettes sont à l’étage. Par la lucarne, j’ai belle vue sur le pont Colbert et à sa gauche le Mieux Ici Qu’En Face. Manque la tyrolienne me permettant d’y arriver après avoir survolé le port. Je le contourne donc, ce qui fait une trotte.
Il y a une place pour moi à la terrasse du Mieux « Bar Internet Tabac ». Tandis que me parviennent des airs de cornemuse venus du quai d’en face, j’y poursuis ma lecture et y trouve une lettre évoquant Dieppe, écrite par Eugène Delacroix à Souillac chez son beau-frère le vingt octobre mil huit cent vingt (un jour de pluie) à destination de Félix Guillemardet : J’apprécie d’autant mieux par ma propre expérience ce que vous avez eu à souffrir d’ennuis et de regrets dans votre petite excursion de Dieppe. La mer par un temps gris et pluvieux manque de presque tous ses charmes.
Deux bicyclistes anglais descendus du ferry, à peine en France, s’arrêtent au bistrot. Ils saluent de plus courageux qui virent à droite sur le pont. A une autre table s’installent une femme et son compagnon. Elle hèle un barbu qui vient lui dire bonjour.
-Ça va mon Gégé ! lui dit-elle. J’ai appris la nouvelle par le père. Alors t’es marié ? Tu vas faire des bébés maintenant.
Encore une fois la moitié du train de seize heures est réservée pour l’école d’Auffay. Je dois subir la proximité de quatre membres d’un Centre Médico-Psycho-Pédagogique revenant de réunion dont deux sont debout dans le couloir, un prétentieux qui a la tête de l’emploi et une qui ayant couru transpire et s’évente avec l’un de ses dossiers. Dès que les scolaires sont descendus, je change de voiture pour être seul avec moi-même.
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Au Pollet, deux vieilles et un vieux qui marchent les mains dans le dos. Il faudrait le talent de Pierre Le Gall dont me ravissent les images qu’il fit des habitant(e)s du quartier dans les années soixante-dix, pour en faire une photo.
30 juin 2019
Dès huit heures du matin, ce jeudi, le chantier de la flèche de la Cathédrale assourdit le quartier. Il s’agit pour les ouvriers d’éviter le pic de température. Rouen va encore chauffer fort. En revanche, vingt-trois degrés sont annoncés à Dieppe. Sans hésitation, je prends un nouveau billet pour le neuf heures douze.
Cette fois, j’y côtoie un vieux qui passe son temps au téléphone, il va à un conseil d’administration près de la gare mais ne sait pas où, et deux vieilles venues de Paris dont l’une ne cesse de tousser de façon affreuse et pour qui j’ai moins d’indulgence que pour la lycéenne moucheuse d’hier (je me demande pourquoi). « Inspire, expire, détends-toi », lui conseille sa copine malveillante.
J’arrive sous un beau soleil et dans le vent frais, L’Escale étant fermée, je vais de nouveau prendre un café au Tout Va Bien avec pour compagnon un livre qui m’intéresse : Lettres intimes d’Eugène Delacroix (L’Imaginaire / Gallimard), en fait des lettres de jeunesse à ses amis et à son frère général. Sur le quai, la foire commerciale liée à la course en solitaire du Figaro se poursuit.
-Ça doit être intéressant, ils sont toujours partis quelque part, déclare une vieille à son mari en parlant des compétiteurs.
Pour l’instant et jusqu’à dimanche, leurs bateaux restent garés dans le port.
A midi pile, je déjeune au restaurant L’Espérance, à l’écart des festivités. Le menu du jour et le quart de merlot y ont un prix étudié : dix euros quatre-vingt-dix-neuf et cinq euros zéro cinq. J’opte pour le buffet d’entrées, le saltimbocca accompagné de frites fraîches de la maison et l’assiette gourmande (une tarte aux pommes avec boule de glace). La clientèle est essentiellement âgée, d’ici et d’ailleurs. Un homme qui commande des moules demande à la serveuse si le vin blanc, c’est mieux avec le poisson. Un trio cherche où aller en vacances, évoquant différentes pistes hasardeuses :
-Quand même, on l’a pas vue depuis longtemps, en plus elle est gravement malade, lui demander de venir chez elle, c’est délicat.
Cette fois je peux prendre le café à la terrasse du Mieux Ici Qu’En Face dont c’est jour de réouverture. Il y fait merveilleusement bon. J’y côtoie quatre affranchis embiérés évoquant une de leurs connaissances féminines :
-Yvan, il l’a baisée. Il a baisé sa sœur aussi, le bâtard.
Au retour, je prends soin d’éviter la vieille tousseuse du matin. Soixante-dix-huit places, soit la moitié du train, sont réservées pour l’école d’Auffay. Il faut donc voyager serrés jusqu’au premier arrêt.
A Rouen, la chaleur éprouvante ne semble pas nuire à l’activité préférée des Rouennais(e)s et assimilé(e)s : faire les soldes.
*
Société de consommation, société de consolation, société de consumation
*
Il y a toujours un moment où les vieilles et les vieux dans les lieux publics évoquent leur digestion difficile.
*
Sur le ticheurte d’une fille de Rouen : « Délivrez-nous du mâle ». A qui s’adresse-elle ? Mystère.
Cette fois, j’y côtoie un vieux qui passe son temps au téléphone, il va à un conseil d’administration près de la gare mais ne sait pas où, et deux vieilles venues de Paris dont l’une ne cesse de tousser de façon affreuse et pour qui j’ai moins d’indulgence que pour la lycéenne moucheuse d’hier (je me demande pourquoi). « Inspire, expire, détends-toi », lui conseille sa copine malveillante.
J’arrive sous un beau soleil et dans le vent frais, L’Escale étant fermée, je vais de nouveau prendre un café au Tout Va Bien avec pour compagnon un livre qui m’intéresse : Lettres intimes d’Eugène Delacroix (L’Imaginaire / Gallimard), en fait des lettres de jeunesse à ses amis et à son frère général. Sur le quai, la foire commerciale liée à la course en solitaire du Figaro se poursuit.
-Ça doit être intéressant, ils sont toujours partis quelque part, déclare une vieille à son mari en parlant des compétiteurs.
Pour l’instant et jusqu’à dimanche, leurs bateaux restent garés dans le port.
A midi pile, je déjeune au restaurant L’Espérance, à l’écart des festivités. Le menu du jour et le quart de merlot y ont un prix étudié : dix euros quatre-vingt-dix-neuf et cinq euros zéro cinq. J’opte pour le buffet d’entrées, le saltimbocca accompagné de frites fraîches de la maison et l’assiette gourmande (une tarte aux pommes avec boule de glace). La clientèle est essentiellement âgée, d’ici et d’ailleurs. Un homme qui commande des moules demande à la serveuse si le vin blanc, c’est mieux avec le poisson. Un trio cherche où aller en vacances, évoquant différentes pistes hasardeuses :
-Quand même, on l’a pas vue depuis longtemps, en plus elle est gravement malade, lui demander de venir chez elle, c’est délicat.
Cette fois je peux prendre le café à la terrasse du Mieux Ici Qu’En Face dont c’est jour de réouverture. Il y fait merveilleusement bon. J’y côtoie quatre affranchis embiérés évoquant une de leurs connaissances féminines :
-Yvan, il l’a baisée. Il a baisé sa sœur aussi, le bâtard.
Au retour, je prends soin d’éviter la vieille tousseuse du matin. Soixante-dix-huit places, soit la moitié du train, sont réservées pour l’école d’Auffay. Il faut donc voyager serrés jusqu’au premier arrêt.
A Rouen, la chaleur éprouvante ne semble pas nuire à l’activité préférée des Rouennais(e)s et assimilé(e)s : faire les soldes.
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Société de consommation, société de consolation, société de consumation
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Il y a toujours un moment où les vieilles et les vieux dans les lieux publics évoquent leur digestion difficile.
*
Sur le ticheurte d’une fille de Rouen : « Délivrez-nous du mâle ». A qui s’adresse-elle ? Mystère.
28 juin 2019
La sagesse dont je suis parfois capable m’amène à renoncer à Paris ce mercredi, crainte d’y souffrir de la chaleur, crainte d’un train bloqué, tant pis pour mon billet ni échangeable ni remboursable. Trente-six degrés sont prévus dans la capitale, plus de trente à Rouen, vingt-quatre à Dieppe, me voici donc, muni d’un nouveau billet, dans le neuf heures douze climatisé qui mène à ce bord de mer, en compagnie de jolies filles court-vêtues et d’une part de moi-même qui me dit tu aurais quand même dû aller à Paris. Car comme l’écrivait Walt Whitman, cité en épigraphe du premier texte de Jaune bleu blanc de Valery Larbaud que j’ai emporté comme lecture : « Je suis un vrai Parisien ».
Sûr qu’il fait doux à Dieppe, il y fait même frais : dix-sept degrés vers dix heures et le ciel est tout gris. C’est à l’intérieur du Tout Va Bien, dont les membres du personnel me semblent nouveaux et portent des polos roses, que je bois un café. Sur le quai l’animation est inhabituelle. La cause en est l’arrivée de la course en solitaire du Figaro. Je retrouve là le marchand de kouign-amann de l’Armada ainsi que l’un de ses trois-mâts nommé Le Français. Le soleil point vers onze heures quand je vais saluer la mer. Il souffle un vent à faire décoller les cerfs-volants et il est servi bien frais.
A midi, je déjeune au Taj Mahal, dont la terrasse de bord de port est éloignée de l’agitation, d’une sorte de plateau repas accompagné d’un nan au fromage, d’un quart de rosé et de la voix de Nusrat Fateh Ali Khan, le tout pour quatorze euros cinquante.
Au moment où j’ai terminé entrent dans le port les voiliers de la course du Figaro. Il y en a un qui est arrivé le premier et les autres sont arrivés après. Sur un écran géant sont diffusées les intervious des compétiteurs. Leur propos et la façon de l’exprimer me rappellent ceux des coureurs cyclistes.
Le Mieux Ici Qu’En Face étant fermé, c’est à La Potinière, en terrasse et au doux soleil, que je demeure entre quatorze et quinze heures trente pour lire Larbaud dont les souvenirs de voyage insipides me déçoivent. Près de moi, quatre affranchis se demandent qui va ouvrir une boutique de disques d’occasion dans les locaux de l’ancienne agence immobilière Saint Rémi située en face. L’un est un chasseur de vinyles. Il raconte que certains se font engager comme bénévoles par la Croix Rouge pour mettre la main sur des cartons de vinyles.
-J’ai pensé à le faire, déclare-t-il, mais déjà la charité j’aime pas ça.
Dans le train du retour je côtoie trois lycéennes des plus mignonnes et un lycéen à casquette rouge que je prends d’abord pour un benêt avant de me raviser
-Comment s’appelle le jazzman que tu m’as conseillé hier ? lui demande ma préférée.
-Bill Evans.
Elle apprend par cœur des poèmes d’Omar Khayyām tandis que celle qui lui fait face, peut-être sa sœur, se contente de lire Robin Cook. La troisième est victime d’une allergie qui la fait moucher sans cesse et ce garçon dont je suis jaloux révise un cours de littérature.
A l’arrivée à Rouen la température me semble abominable, aggravée qu’elle est par un vent chaud et épais ; plus qu’à marcher à l’ombre jusqu’à la maison. Plus tard, j’apprends que ça s’est très mal passé en soirée pour les voyageurs de la ligne Paris Rouen Le Havre, bloqués puis débarqués aux Mureaux, renvoyés à Paris pour y prendre un second train non climatisé, cinq heures trente de retard et aucun plateau repas servi.
*
Avant mon départ pour Dieppe, je vais voir le récipient destiné à récupérer l’eau en fuite qu’a placé le plombier sous mon chauffe-eau. Pas une goutte ! L’affaire se complique.
*
Walt Whitman n’a jamais mis le pied à Paris mais a été fait citoyen français par la Convention, apprends-je à la lecture de Larbaud.
*
Le seul dédommagement de cette chaleur éprouvante : la façon dont s’habillent les filles.
Sûr qu’il fait doux à Dieppe, il y fait même frais : dix-sept degrés vers dix heures et le ciel est tout gris. C’est à l’intérieur du Tout Va Bien, dont les membres du personnel me semblent nouveaux et portent des polos roses, que je bois un café. Sur le quai l’animation est inhabituelle. La cause en est l’arrivée de la course en solitaire du Figaro. Je retrouve là le marchand de kouign-amann de l’Armada ainsi que l’un de ses trois-mâts nommé Le Français. Le soleil point vers onze heures quand je vais saluer la mer. Il souffle un vent à faire décoller les cerfs-volants et il est servi bien frais.
A midi, je déjeune au Taj Mahal, dont la terrasse de bord de port est éloignée de l’agitation, d’une sorte de plateau repas accompagné d’un nan au fromage, d’un quart de rosé et de la voix de Nusrat Fateh Ali Khan, le tout pour quatorze euros cinquante.
Au moment où j’ai terminé entrent dans le port les voiliers de la course du Figaro. Il y en a un qui est arrivé le premier et les autres sont arrivés après. Sur un écran géant sont diffusées les intervious des compétiteurs. Leur propos et la façon de l’exprimer me rappellent ceux des coureurs cyclistes.
Le Mieux Ici Qu’En Face étant fermé, c’est à La Potinière, en terrasse et au doux soleil, que je demeure entre quatorze et quinze heures trente pour lire Larbaud dont les souvenirs de voyage insipides me déçoivent. Près de moi, quatre affranchis se demandent qui va ouvrir une boutique de disques d’occasion dans les locaux de l’ancienne agence immobilière Saint Rémi située en face. L’un est un chasseur de vinyles. Il raconte que certains se font engager comme bénévoles par la Croix Rouge pour mettre la main sur des cartons de vinyles.
-J’ai pensé à le faire, déclare-t-il, mais déjà la charité j’aime pas ça.
Dans le train du retour je côtoie trois lycéennes des plus mignonnes et un lycéen à casquette rouge que je prends d’abord pour un benêt avant de me raviser
-Comment s’appelle le jazzman que tu m’as conseillé hier ? lui demande ma préférée.
-Bill Evans.
Elle apprend par cœur des poèmes d’Omar Khayyām tandis que celle qui lui fait face, peut-être sa sœur, se contente de lire Robin Cook. La troisième est victime d’une allergie qui la fait moucher sans cesse et ce garçon dont je suis jaloux révise un cours de littérature.
A l’arrivée à Rouen la température me semble abominable, aggravée qu’elle est par un vent chaud et épais ; plus qu’à marcher à l’ombre jusqu’à la maison. Plus tard, j’apprends que ça s’est très mal passé en soirée pour les voyageurs de la ligne Paris Rouen Le Havre, bloqués puis débarqués aux Mureaux, renvoyés à Paris pour y prendre un second train non climatisé, cinq heures trente de retard et aucun plateau repas servi.
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Avant mon départ pour Dieppe, je vais voir le récipient destiné à récupérer l’eau en fuite qu’a placé le plombier sous mon chauffe-eau. Pas une goutte ! L’affaire se complique.
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Walt Whitman n’a jamais mis le pied à Paris mais a été fait citoyen français par la Convention, apprends-je à la lecture de Larbaud.
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Le seul dédommagement de cette chaleur éprouvante : la façon dont s’habillent les filles.
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