Dernières notes
Loïc Boyer
Je suis l’auteur de textes courts qui furent publiés depuis mil neuf cent quatre-vingt-quinze dans des revues littéraires en France (Supérieur Inconnu, Supplément d’Ame, Nouvelle Donne, Le Bord de l’Eau, Pris de Peur, l’Art du Bref, Sol’Air, Gros Textes, Salmigondis, Verso, Décharge, Bulle, Filigranes, Diérèse, Martobre, Comme ça et Autrement, (Cahier d’) Ecritures, La Nef des Fous), en Belgique (Traversées, Ecrits Vains, L’Arbre à Plumes, Inédit Nouveau, Bleu d’Encre), au Canada (Les Saisons Littéraires) et en Italie (Les Cahiers du Ru).
Les courageuses Editions du Chardon ont publié en mil neuf cent quatre-vingt-dix-neuf Erotica, un recueil de vingt-huit de ces textes, illustré par Isabelle Pio et Antoine Lopez et préfacé par Sarane Alexandrian, toujours disponible auprès de moi.
Je suis également l’auteur d’une pièce de théâtre et de plusieurs romans ou récits à ce jour inédits.
Depuis le onze novembre deux mille six, je publie mon Journal via Internet, un temps sous-titré Persiflages, moquages et autres énervages mâtinés de complimentages et de contentages. Sa première partie est lisible chez Eklablog, la deuxième ici.
Je vis au centre de Rouen dans un ancien monastère où autrefois les Sœurs de la Miséricorde se vouaient à l’éducation des jeunes filles.
Les courageuses Editions du Chardon ont publié en mil neuf cent quatre-vingt-dix-neuf Erotica, un recueil de vingt-huit de ces textes, illustré par Isabelle Pio et Antoine Lopez et préfacé par Sarane Alexandrian, toujours disponible auprès de moi.
Je suis également l’auteur d’une pièce de théâtre et de plusieurs romans ou récits à ce jour inédits.
Depuis le onze novembre deux mille six, je publie mon Journal via Internet, un temps sous-titré Persiflages, moquages et autres énervages mâtinés de complimentages et de contentages. Sa première partie est lisible chez Eklablog, la deuxième ici.
Je vis au centre de Rouen dans un ancien monastère où autrefois les Sœurs de la Miséricorde se vouaient à l’éducation des jeunes filles.
6 juin 2019
En arrivant place d’Aligre ce mercredi matin, je constate que les marchands ont pris au sérieux la pluie annoncée par la météo. La plupart ne sont pas là. Elle non plus, mais le ciel nuageux ne laisse pas planer le doute sur son arrivée. Ce pourquoi, je ne suis pas allé en expédition aux environs. Paris a cet avantage qu’on peut s’y déplacer à l’abri sous la terre.
A dix heures, je suis chez Book-Off, ce qui ne manque pas d’ajouter de nouveaux livres à placer sur la pile de ceux que je ne pourrai rapporter à Rouen. Ce d’autant qu’il devrait pleuvoir aussi le jour de mon retour et que j’aurai besoin d’une main pour le parapluie.
A onze heures, la pluie s’étant déclenchée, je prends le métro pour aller rue Chapon. La Galerie Semiose y montre des œuvres du défunt collectif bordelais Présence Panchounette sous le titre Les nains aussi ont commencé petits. Je connais ce groupe de plasticiens post situationnistes par certains de leurs aphorismes lus dans un recueil rangé je ne sais où dans mon domicile rouennais. Je découvre leurs relectures narquoises des créations de leurs contemporains, artistes établis d’avant-garde. Beaucoup sont des « œuvres lumineuses », c’est-à-dire des installations incluant un système d’éclairage électrique (appliques, guirlandes de Noël, flash d’appareil photo, etc.). C’est sympathique sans être vraiment remarquable.
A midi, après un nouveau coup de métro, j’arrive sous le parapluie au Royal Bourse Opéra et m’installe à ma table préférée. Une nouvelle serveuse s’occupe de moi, au charmant accent hispanique. « Un pichette de vingt-cinq ? », me demande-t-elle quand je commande du vin, ce qui me fait penser à Henri et à cette autre serveuse qui avait fait tant d’effort pour me parler en français à Bilbao. Je m’offre un menu complet à seize euros : tomate farcie thon macédoine, sauté de veau aux olives et citrons confits avec pennes et tarte amandine aux poires. Mon voisin, après avoir attendu un autre homme pendant un long moment, commence à manger seul. Quand celui-ci arrive, son seul souci est de chercher comment désinstaller Skype de son téléphone.
A treize heures, il pleut encore quand j’entre au second Book-Off, près duquel, devant et à l’intérieur du Petit Colbert, malgré le temps déplaisant, Bernard Stora tourne à grands coups de projecteurs, une ou des scènes de Villa Caprice qui a du beau monde à son générique : Niels Arestrup, Patrick Bruel, Laurent Stocker, Irène Jacob, Michel Bouquet, invisibles à cet instant. Parmi les quatre livres à un euro que je trouve : Ma petite poésie ne connaît pas la crise de Jean-Pierre Verheggem, dont les titres sont habituellement meilleurs.
A quinze heures, il pleut toujours quand j’arrive Chez Dionis où je remplace la terrasse par l’intérieur et le diabolo menthe par un café. En écoutant Fip, j’y poursuis la lecture de Nicolas Bouvier (L’œil qui écrit) de François Laut. Extrait d’une lettre de Bouvier : J’ai fait une conférence à Berne dans une sorte de Rotary féminin à une collection de tourtes éblouies. C’était le « jour des maris » et toutes ces femmes fortement musclées et couperosées, respirant le désir bourgeois réprimé, avaient amené leurs époux, noirs et minuscules grillons grignotant dans les assurances, les tracteurs, les contrats militaires et totalement soumis à cette lourde et tardive verdeur féminine.
*
L’acte de naissance de Présence Panchounette, qui ne portait pas encore ce nom, est un graffiti sur un mur bordelais en novembre mil neuf cent soixante-huit où l'on pouvait lire : « Tout est comme avant ».
Sa mort se fit par dissolution en mil neuf cent quatre-vingt-dix après avoir connu quelques succès : « Réussir est notre échec. »
*
« Panchounette vient de « choune » : organe sexuel féminin. Chounette, adjectif employé dans le sud pour désigner tout ce qui est branlant, fragile, imparfait, s’applique principalement aux objets mais aussi aux individus, aux comportements. », apprends-je par Ouiquipédia.
*
Et pour jeudi, de la pluie ou non ?
Il est plus facile de prévoir ce que sera l'art dans dix ans que s'il pleuvra demain. (Présence Panchounette)
A dix heures, je suis chez Book-Off, ce qui ne manque pas d’ajouter de nouveaux livres à placer sur la pile de ceux que je ne pourrai rapporter à Rouen. Ce d’autant qu’il devrait pleuvoir aussi le jour de mon retour et que j’aurai besoin d’une main pour le parapluie.
A onze heures, la pluie s’étant déclenchée, je prends le métro pour aller rue Chapon. La Galerie Semiose y montre des œuvres du défunt collectif bordelais Présence Panchounette sous le titre Les nains aussi ont commencé petits. Je connais ce groupe de plasticiens post situationnistes par certains de leurs aphorismes lus dans un recueil rangé je ne sais où dans mon domicile rouennais. Je découvre leurs relectures narquoises des créations de leurs contemporains, artistes établis d’avant-garde. Beaucoup sont des « œuvres lumineuses », c’est-à-dire des installations incluant un système d’éclairage électrique (appliques, guirlandes de Noël, flash d’appareil photo, etc.). C’est sympathique sans être vraiment remarquable.
A midi, après un nouveau coup de métro, j’arrive sous le parapluie au Royal Bourse Opéra et m’installe à ma table préférée. Une nouvelle serveuse s’occupe de moi, au charmant accent hispanique. « Un pichette de vingt-cinq ? », me demande-t-elle quand je commande du vin, ce qui me fait penser à Henri et à cette autre serveuse qui avait fait tant d’effort pour me parler en français à Bilbao. Je m’offre un menu complet à seize euros : tomate farcie thon macédoine, sauté de veau aux olives et citrons confits avec pennes et tarte amandine aux poires. Mon voisin, après avoir attendu un autre homme pendant un long moment, commence à manger seul. Quand celui-ci arrive, son seul souci est de chercher comment désinstaller Skype de son téléphone.
A treize heures, il pleut encore quand j’entre au second Book-Off, près duquel, devant et à l’intérieur du Petit Colbert, malgré le temps déplaisant, Bernard Stora tourne à grands coups de projecteurs, une ou des scènes de Villa Caprice qui a du beau monde à son générique : Niels Arestrup, Patrick Bruel, Laurent Stocker, Irène Jacob, Michel Bouquet, invisibles à cet instant. Parmi les quatre livres à un euro que je trouve : Ma petite poésie ne connaît pas la crise de Jean-Pierre Verheggem, dont les titres sont habituellement meilleurs.
A quinze heures, il pleut toujours quand j’arrive Chez Dionis où je remplace la terrasse par l’intérieur et le diabolo menthe par un café. En écoutant Fip, j’y poursuis la lecture de Nicolas Bouvier (L’œil qui écrit) de François Laut. Extrait d’une lettre de Bouvier : J’ai fait une conférence à Berne dans une sorte de Rotary féminin à une collection de tourtes éblouies. C’était le « jour des maris » et toutes ces femmes fortement musclées et couperosées, respirant le désir bourgeois réprimé, avaient amené leurs époux, noirs et minuscules grillons grignotant dans les assurances, les tracteurs, les contrats militaires et totalement soumis à cette lourde et tardive verdeur féminine.
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L’acte de naissance de Présence Panchounette, qui ne portait pas encore ce nom, est un graffiti sur un mur bordelais en novembre mil neuf cent soixante-huit où l'on pouvait lire : « Tout est comme avant ».
Sa mort se fit par dissolution en mil neuf cent quatre-vingt-dix après avoir connu quelques succès : « Réussir est notre échec. »
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« Panchounette vient de « choune » : organe sexuel féminin. Chounette, adjectif employé dans le sud pour désigner tout ce qui est branlant, fragile, imparfait, s’applique principalement aux objets mais aussi aux individus, aux comportements. », apprends-je par Ouiquipédia.
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Et pour jeudi, de la pluie ou non ?
Il est plus facile de prévoir ce que sera l'art dans dix ans que s'il pleuvra demain. (Présence Panchounette)
5 juin 2019
Soit par Issy, soit par Ivry. Cette fois, j’y suis. Et sur place, aucun risque de confondre les deux villes. Je peux d’emblée affirmer qu’Ivry-sur-Seine n’est pas en voie de gentrification. Bien qu’y habitent (ou y ont habité) Ernest Pignon-Ernest et Combas, mais je ne sais pas où. Alors c’est à un autre habitant connu, le seul de cette espèce à résider au nouveau cimetière, que je vais rendre visite.
Il me faut pour cela grimper une côte (Ivry est pentue). A l’arrivée, je demande à la loge où. L’un des employés s’offre à m’accompagner. Il faut prendre l’allée tout de suite à gauche après l’entrée puis la première à droite entre les divisions quatre et cinq. La tombe d’Allain Leprest est là. Un escargot m’a précédé. Il se balade sur cette pierre moche comme rarement j’en ai vu. Je ne félicite pas l’auteur de cette sculpture aux ailes déployées, ni celui qui a eu l’idée de peindre tout ça en rose sale. L’intérieur est empli de fleurs artificielles décolorées. Le nom et les dates de naissance et de suicide de l’artiste sont sur une sorte d’étiquette. Une vague photo complète l’ensemble. Je dépose mon petit caillou blanc et fais une photo qui intéressera sans doute l’une de ma connaissance qui aime beaucoup ses chansons. Ce n’est pas mon cas mais il en est certaines qui me plaisent, dont Bilou. Il y est question du bar du Saint-Amand et du clocher de Saint-Maclou.
Redescendu j’explore la ville un peu au hasard, attiré par tel ou tel aspect de son architecture désordonnée. C’est jour du marché et c’est surtout jour de fête pour certains car le ramadan est terminé. De nombreux habitants, adultes et enfants qui ne vont pas à l’école, ont mis leur plus belle tenue pour l’Aïd el-Frit.
Je passe sous la ligne de chemin de fer au niveau de la gare, près de laquelle une ancienne Gendarmerie Nationale est squattée par des miséreux, ce qui lui donne un aspect stupéfiant, et vais jusqu’à la place Gambetta dont la période de prospérité est passée, comme en témoigne l’état de l’hôtel du même nom, puis je rebrousse.
De retour à la station de métro Mairie d’Ivry, je remonte l’avenue Maurice-Thorez pour atteindre le Petit-Ivry dont Le Routard dit grand bien mais j’en suis déçu, d’autant qu’aucun restaurant n’invite à y entrer.
Je retourne vers la Mairie. C’est par là que je déjeune à la terrasse de Chez Nono pour quinze euros, d’une quiche tomate mozzarella, d’un sauté de veau aux olives pommes vapeur et d’un tiramisu fraise framboise, le tout fort correct. Le quart de vin rouge est à quatre euros cinquante.
Mes voisins sont des trentenaires sans tenue d’apparat occupés à boire des cafés.
-Je fais pas le ramadan, dit l’un, mais je ne mange pas de porc. Ce n’est pas la barbe qui fait le prophète.
Un autre à tous :
-Alors, ça va être le grand repas familial ?
Un premier :
-Non, je vais passer voir ma mère au cimetière.
Un deuxième :
-Déjà je suis sorti de chez moi parce qu’il y a trop de bruit.
Quand je paie, le patron me demande s’il peut m’offrir quelque chose. Je prends donc un café au comptoir dont je le remercie, avant de rentrer dans le Dix-Huitième où en fin d’après-midi l’orage et ses grêlons se chargent de l’animation.
*
Près de la place de l’Insurrection, une imposante sculpture brutaliste due à Jean Clareboudt, énorme pierre posée sur quatre poutres métalliques peintes en rouge : Oblique Haute.
*
Au Petit-Ivry se trouve le sentier de la Liberté, ainsi nommé par les locaux après qu’il eut permis à Jules Bonnot de fuir les policiers venus l’arrêter (il sera abattu quatre jours plus tard à Choisy). C’est rue Ordener, près de mon logement temporaire, que Bonnot et sa bande innovèrent en fuyant en auto après l’attaque d’une succursale de la Société Générale. Jules Bonnot c’était pas n’importe qui, écrivit en chanson Boris Vian.
*
Sur une camionnette à Ivry : « St-Once, traiteur moderne par tradition ».
Il me faut pour cela grimper une côte (Ivry est pentue). A l’arrivée, je demande à la loge où. L’un des employés s’offre à m’accompagner. Il faut prendre l’allée tout de suite à gauche après l’entrée puis la première à droite entre les divisions quatre et cinq. La tombe d’Allain Leprest est là. Un escargot m’a précédé. Il se balade sur cette pierre moche comme rarement j’en ai vu. Je ne félicite pas l’auteur de cette sculpture aux ailes déployées, ni celui qui a eu l’idée de peindre tout ça en rose sale. L’intérieur est empli de fleurs artificielles décolorées. Le nom et les dates de naissance et de suicide de l’artiste sont sur une sorte d’étiquette. Une vague photo complète l’ensemble. Je dépose mon petit caillou blanc et fais une photo qui intéressera sans doute l’une de ma connaissance qui aime beaucoup ses chansons. Ce n’est pas mon cas mais il en est certaines qui me plaisent, dont Bilou. Il y est question du bar du Saint-Amand et du clocher de Saint-Maclou.
Redescendu j’explore la ville un peu au hasard, attiré par tel ou tel aspect de son architecture désordonnée. C’est jour du marché et c’est surtout jour de fête pour certains car le ramadan est terminé. De nombreux habitants, adultes et enfants qui ne vont pas à l’école, ont mis leur plus belle tenue pour l’Aïd el-Frit.
Je passe sous la ligne de chemin de fer au niveau de la gare, près de laquelle une ancienne Gendarmerie Nationale est squattée par des miséreux, ce qui lui donne un aspect stupéfiant, et vais jusqu’à la place Gambetta dont la période de prospérité est passée, comme en témoigne l’état de l’hôtel du même nom, puis je rebrousse.
De retour à la station de métro Mairie d’Ivry, je remonte l’avenue Maurice-Thorez pour atteindre le Petit-Ivry dont Le Routard dit grand bien mais j’en suis déçu, d’autant qu’aucun restaurant n’invite à y entrer.
Je retourne vers la Mairie. C’est par là que je déjeune à la terrasse de Chez Nono pour quinze euros, d’une quiche tomate mozzarella, d’un sauté de veau aux olives pommes vapeur et d’un tiramisu fraise framboise, le tout fort correct. Le quart de vin rouge est à quatre euros cinquante.
Mes voisins sont des trentenaires sans tenue d’apparat occupés à boire des cafés.
-Je fais pas le ramadan, dit l’un, mais je ne mange pas de porc. Ce n’est pas la barbe qui fait le prophète.
Un autre à tous :
-Alors, ça va être le grand repas familial ?
Un premier :
-Non, je vais passer voir ma mère au cimetière.
Un deuxième :
-Déjà je suis sorti de chez moi parce qu’il y a trop de bruit.
Quand je paie, le patron me demande s’il peut m’offrir quelque chose. Je prends donc un café au comptoir dont je le remercie, avant de rentrer dans le Dix-Huitième où en fin d’après-midi l’orage et ses grêlons se chargent de l’animation.
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Près de la place de l’Insurrection, une imposante sculpture brutaliste due à Jean Clareboudt, énorme pierre posée sur quatre poutres métalliques peintes en rouge : Oblique Haute.
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Au Petit-Ivry se trouve le sentier de la Liberté, ainsi nommé par les locaux après qu’il eut permis à Jules Bonnot de fuir les policiers venus l’arrêter (il sera abattu quatre jours plus tard à Choisy). C’est rue Ordener, près de mon logement temporaire, que Bonnot et sa bande innovèrent en fuyant en auto après l’attaque d’une succursale de la Société Générale. Jules Bonnot c’était pas n’importe qui, écrivit en chanson Boris Vian.
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Sur une camionnette à Ivry : « St-Once, traiteur moderne par tradition ».
4 juin 2019
Ce lundi matin c’est au sortir du métro que je comprends que je ne suis pas vraiment réveillé. « Mais qu’est-ce que je fais Issy ? » puis-je me dire. Je voulais voir Ivry. La sortie Mairie d’Issy s’est substituée dans mon esprit vaseux à Mairie d’Ivry. Cessez de rire, charmante Elvire.
Je n’ai plus qu’à partir à la découverte d’Issy-les-Moulineaux où je ne pensais pas venir pendant mon séjour. Ce que je fais sans sortir mon parapluie, bien qu’il pleuvouille, en empruntant la rue du Général-Leclerc. J’y découvre, sans pouvoir y entrer, le Séminaire Saint-Sulpice dans lequel Ernest Renan fit ses études puis une pittoresque fontaine réverbère puis l’ancienne Manufacture des Tabacs où sont maintenant un restaurant à chef renommé et des logements pas donnés. J’arrive à l’Hôpital Corentin-Celton qui possède poulailler et bergerie pour amuser les petits. A sa proximité il y a une église et un parc empli de roses et doté d’une sculpture représentant un homme assis sur un banc. M’approchant, je lis qu’il s’agit d’« Antun Gustav Matoš, 1873-1914, écrivain et poète croate par Ivan Kožarić ». Une citation cucul dudit littérateur est également inscrite : Devenir un homme est plus beau que devenir un roi.
Par la rue Minard, je monte (car Issy est pentue) jusqu'au parc Jean-Paul Deux puis passe devant l’Hôpital Suisse et sa Maison Suisse de Retraite. Face à ces institutions helvétiques se trouve un bâtiment en déconstruction. Un panneau indique qui s’agît d’une opération clérico-municipalo-capitalistique. En partenariat avec la Compagnie des prêtres de Saint-Sulpice, la ville d’Issy-les-Moulineaux réalise un hôtel cinq étoiles « avec restaurant gastronomique, potager et terrasse conviviale » dont la société Accor sera gestionnaire. Ce projet permettra de rénover le patrimoine historique et de préserver le jardin qui sera recomposé et replanté. A proximité se trouve la coquette église Saint-Etienne.
Redescendu près de la Mairie par l’avenue Jean-Jaurès, je prends un café à deux euros cinquante à la terrasse abritée du Comptoir d’Issy.
Face à moi, un homme se vante au téléphone :
-Tu sais où je suis demain ? A Arles. J’ai pris un hôtel à Fontvieille. C’est à côté.
A ma droite, deux jeunes gens parlent en langue moderne
-Si ça marche pas, tu fais un reverse.
-T’as le droit de demander des confirmations de l’infra.
-T’es obligé de faire des compromis avec les autres types d’exploite.
A ma gauche, une femme rejoint son compagnon qui l’attendait en lisant Le Figaro :
-Il m’a dit que je n’avais pas besoin de thérapie cognitive ou comportementale. Juste continuer l’Atarax. C’est un psychiatre quand même ! J’ai payé quarante-sept euros pour trois quarts d’heure. Il est du secteur un. Ce qui est bien, c’est qu’il m’a confortée dans ce que je pensais. Il m’a dit que pour bien vieillir, le contact est très important. Faut pas rester seul. Là-dessus il a raison.
Je plains cet homme et n’envie pas les précédents.
Vers midi, je remonte l’avenue Jean-Jaurès. Face à l’église Saint-Etienne, rue de l’Abbé-Grégoire, est un restaurant toujours nommé A la Ville de Saint-Flour mais il n’y aurait que Brice Hortefeux pour prendre ceux qui le tiennent aujourd’hui pour des Auvergnats. On y est aimable et accueillant. Les piliers de comptoir bénéficient des documentaires d’Arte pour s’instruire en buvant. Mon menu comprend un demi avocat, une bavette frites maison et une salade d’orange au miel. Avec le quart de vin rouge, j’en ai pour vingt et un euros soixante-dix.
Je n’ai qu’à reprendre la ligne Douze presque jusqu’au bout pour rentrer, pas mécontent de ma découverte inattendue d’Issy.
*
Antun Gustav Matoš a vécu quelques années à Paris, apprends-je à mon retour. Sa statue devait y être installée mais il y a eu embrouille, d’où sa présence dans la roseraie d’Issy. Aucun de ses livres n’est traduit en français, semble-t-il.
Je n’ai plus qu’à partir à la découverte d’Issy-les-Moulineaux où je ne pensais pas venir pendant mon séjour. Ce que je fais sans sortir mon parapluie, bien qu’il pleuvouille, en empruntant la rue du Général-Leclerc. J’y découvre, sans pouvoir y entrer, le Séminaire Saint-Sulpice dans lequel Ernest Renan fit ses études puis une pittoresque fontaine réverbère puis l’ancienne Manufacture des Tabacs où sont maintenant un restaurant à chef renommé et des logements pas donnés. J’arrive à l’Hôpital Corentin-Celton qui possède poulailler et bergerie pour amuser les petits. A sa proximité il y a une église et un parc empli de roses et doté d’une sculpture représentant un homme assis sur un banc. M’approchant, je lis qu’il s’agit d’« Antun Gustav Matoš, 1873-1914, écrivain et poète croate par Ivan Kožarić ». Une citation cucul dudit littérateur est également inscrite : Devenir un homme est plus beau que devenir un roi.
Par la rue Minard, je monte (car Issy est pentue) jusqu'au parc Jean-Paul Deux puis passe devant l’Hôpital Suisse et sa Maison Suisse de Retraite. Face à ces institutions helvétiques se trouve un bâtiment en déconstruction. Un panneau indique qui s’agît d’une opération clérico-municipalo-capitalistique. En partenariat avec la Compagnie des prêtres de Saint-Sulpice, la ville d’Issy-les-Moulineaux réalise un hôtel cinq étoiles « avec restaurant gastronomique, potager et terrasse conviviale » dont la société Accor sera gestionnaire. Ce projet permettra de rénover le patrimoine historique et de préserver le jardin qui sera recomposé et replanté. A proximité se trouve la coquette église Saint-Etienne.
Redescendu près de la Mairie par l’avenue Jean-Jaurès, je prends un café à deux euros cinquante à la terrasse abritée du Comptoir d’Issy.
Face à moi, un homme se vante au téléphone :
-Tu sais où je suis demain ? A Arles. J’ai pris un hôtel à Fontvieille. C’est à côté.
A ma droite, deux jeunes gens parlent en langue moderne
-Si ça marche pas, tu fais un reverse.
-T’as le droit de demander des confirmations de l’infra.
-T’es obligé de faire des compromis avec les autres types d’exploite.
A ma gauche, une femme rejoint son compagnon qui l’attendait en lisant Le Figaro :
-Il m’a dit que je n’avais pas besoin de thérapie cognitive ou comportementale. Juste continuer l’Atarax. C’est un psychiatre quand même ! J’ai payé quarante-sept euros pour trois quarts d’heure. Il est du secteur un. Ce qui est bien, c’est qu’il m’a confortée dans ce que je pensais. Il m’a dit que pour bien vieillir, le contact est très important. Faut pas rester seul. Là-dessus il a raison.
Je plains cet homme et n’envie pas les précédents.
Vers midi, je remonte l’avenue Jean-Jaurès. Face à l’église Saint-Etienne, rue de l’Abbé-Grégoire, est un restaurant toujours nommé A la Ville de Saint-Flour mais il n’y aurait que Brice Hortefeux pour prendre ceux qui le tiennent aujourd’hui pour des Auvergnats. On y est aimable et accueillant. Les piliers de comptoir bénéficient des documentaires d’Arte pour s’instruire en buvant. Mon menu comprend un demi avocat, une bavette frites maison et une salade d’orange au miel. Avec le quart de vin rouge, j’en ai pour vingt et un euros soixante-dix.
Je n’ai qu’à reprendre la ligne Douze presque jusqu’au bout pour rentrer, pas mécontent de ma découverte inattendue d’Issy.
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Antun Gustav Matoš a vécu quelques années à Paris, apprends-je à mon retour. Sa statue devait y être installée mais il y a eu embrouille, d’où sa présence dans la roseraie d’Issy. Aucun de ses livres n’est traduit en français, semble-t-il.
3 juin 2019
Si Boulogne-Billancourt est bien desservie par le métro, depuis Jules-Joffrin ce n’est pas simple d’y aller. Le changement se fait à Saint-Lazare, d’où il faut souterrainement rejoindre Saint-Augustin, c’est déjà un bon bout de chemin. A quoi j’ajoute une autre marche depuis la sortie Marcel-Sembat sur une grande partie du boulevard de la République pour arriver avenue Pierre Grenier. M’amène là le vide grenier annuel.
De nombreux exposants, la plupart étant des particuliers, occupent la longueur de l’avenue et quelques rues adjacentes. Leur largeur permet aux éventuels acheteurs de circuler. Deux bémols : bien qu’il ne soit que huit heures et demie, il y a déjà foule (cent vingt mille habitants dans cette commune) et il fait déjà bien trop chaud (trente-deux degrés annoncés pour l’après-midi).
Je vois des livres ici et là mais très peu qui puissent m’intéresser. Les vendeurs se plaignent comme partout des « gens qui veulent tout pour rien ». Je dois en faire partie puisque le seul ouvrage que j’aie envie d’acheter m’est proposé à deux euros et que je l’obtiens à un. Il s’agit du Manuel de l’oreiller, un érotique japonais anonyme publié par Philippe Picquier.
A l’issue du long aller et retour, j’entre au cimetière pour en utiliser les toilettes, puis je juge impossible de faire un deuxième passage, mes pieds et ma patience n’y résisteraient pas. Je retourne à Marcel-Sembat, me demande si je vais ou non voir à quoi ressemble le centre de Boulogne-Billancourt, la Mairie et le Théâtre sont proches, et décide que non, direction Paris.
*
Il n’y a pas que les paumés du petit matin, il y a aussi les paumés du dimanche midi, qui comme moi déjeunent à la Trattoria di Sapri, rue Ordener, une banale pizzéria dont le personnel en salle est italien, mais pour ce qui est de la Sicilienne à onze euros cinquante (câpres, olives noires, anchois et une marée de sauce tomate) je ne dirai pas que c’est la meilleure pizza que j’aie jamais mangée.
Après les esseulés, un couple de quinquagénaires de bonne allure s’est installé en contre-bas à ma gauche. Elle lui reproche d’avoir eu une pulsion et de l’avoir assouvie avec une pute. Il lui dit qu’elle devrait mettre en pratique son désir de faire des massages. J’entends que cela leur permettrait de continuer les voyages. Puis leur conversation vire vers des aspects pratiques : un préservatif ou non pour la fellation.
Cette femme possède encore un certain charme. Je ne serai toutefois pas son premier client car je passe l’après-midi de ce dimanche à lire à l’ombre de la terrasse du Grand Café.
*
Un vide grenier avenue Pierre Grenier, bravo les Boulonnais.
*
Interdiction de stationner en face de la Trattoria di Sapri. Pour cause de tournage prochain d’un épisode de la série Engrenages. Un feuilleton dont je n’ai évidemment jamais entendu parler.
*
Michel Serres est mort. Ce n’est pas une nouvelle qui m’afflige. Je n’ai jamais lu un de ses livres mais je l’ai si souvent entendu sur France Culture. Je le mets dans la même catégorie qu’Albert Jacquard, Edgar Morin et Hubert Reeves, celle des vieux donneurs de leçons dont le discours consiste en banalités prononcées d’un air sentencieux.
De nombreux exposants, la plupart étant des particuliers, occupent la longueur de l’avenue et quelques rues adjacentes. Leur largeur permet aux éventuels acheteurs de circuler. Deux bémols : bien qu’il ne soit que huit heures et demie, il y a déjà foule (cent vingt mille habitants dans cette commune) et il fait déjà bien trop chaud (trente-deux degrés annoncés pour l’après-midi).
Je vois des livres ici et là mais très peu qui puissent m’intéresser. Les vendeurs se plaignent comme partout des « gens qui veulent tout pour rien ». Je dois en faire partie puisque le seul ouvrage que j’aie envie d’acheter m’est proposé à deux euros et que je l’obtiens à un. Il s’agit du Manuel de l’oreiller, un érotique japonais anonyme publié par Philippe Picquier.
A l’issue du long aller et retour, j’entre au cimetière pour en utiliser les toilettes, puis je juge impossible de faire un deuxième passage, mes pieds et ma patience n’y résisteraient pas. Je retourne à Marcel-Sembat, me demande si je vais ou non voir à quoi ressemble le centre de Boulogne-Billancourt, la Mairie et le Théâtre sont proches, et décide que non, direction Paris.
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Il n’y a pas que les paumés du petit matin, il y a aussi les paumés du dimanche midi, qui comme moi déjeunent à la Trattoria di Sapri, rue Ordener, une banale pizzéria dont le personnel en salle est italien, mais pour ce qui est de la Sicilienne à onze euros cinquante (câpres, olives noires, anchois et une marée de sauce tomate) je ne dirai pas que c’est la meilleure pizza que j’aie jamais mangée.
Après les esseulés, un couple de quinquagénaires de bonne allure s’est installé en contre-bas à ma gauche. Elle lui reproche d’avoir eu une pulsion et de l’avoir assouvie avec une pute. Il lui dit qu’elle devrait mettre en pratique son désir de faire des massages. J’entends que cela leur permettrait de continuer les voyages. Puis leur conversation vire vers des aspects pratiques : un préservatif ou non pour la fellation.
Cette femme possède encore un certain charme. Je ne serai toutefois pas son premier client car je passe l’après-midi de ce dimanche à lire à l’ombre de la terrasse du Grand Café.
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Un vide grenier avenue Pierre Grenier, bravo les Boulonnais.
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Interdiction de stationner en face de la Trattoria di Sapri. Pour cause de tournage prochain d’un épisode de la série Engrenages. Un feuilleton dont je n’ai évidemment jamais entendu parler.
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Michel Serres est mort. Ce n’est pas une nouvelle qui m’afflige. Je n’ai jamais lu un de ses livres mais je l’ai si souvent entendu sur France Culture. Je le mets dans la même catégorie qu’Albert Jacquard, Edgar Morin et Hubert Reeves, celle des vieux donneurs de leçons dont le discours consiste en banalités prononcées d’un air sentencieux.
2 juin 2019
Afin de pas être une nouvelle fois déçu par un vide grenier parisien, je choisis ce samedi matin de traverser la ville avec le métro Douze, de sortir à Convention puis d’aller à pied, avec l’aide de qui je croise, jusqu’à la partie du parc Georges Brassens où se tient chaque ouiquennede le marché du livre ancien et d’occasion. On trouve tous les types de livres sous l’ancienne halle aux chevaux des abattoirs de Vaugirard. Un marchand va jusqu’à proposer des petits soldats et deux sabres.
Les prix sont en général élevés. Cependant, la dernière fois que je suis venu, je suis reparti avec un livre à deux euros : L’Habitude d’être, la correspondance de Flannery O’Connor publiée chez Gallimard, et cette fois je ne dépense pas davantage pour Le Monde d’hier (Souvenirs d’un Européen) de Stefan Zweig dans l’édition grand format de chez Belfond, un récit que m’a donné envie de relire son adaptation partielle en feuilleton sur France Culture entendue avant mon départ.
Vingt-huit degrés sont annoncés pour cette après-midi, ce n’est pas un jour à s’épuiser. Je prends un café au Bon Coin qui jouxte le marché puis à midi déjeune au Bon Coin proche de mon logement provisoire. Je suis moins heureux dans mon choix que samedi dernier : les tranches de rôti de porc sont minces et affreusement sèches. Je me console avec la tarte à la rhubarbe, toujours excellente.
Je prends le café à la terrasse ombragée d’un Péhemmu arabo-chinois qui a dû avoir des jours meilleurs : Le Grand Café. J’y termine la lecture des Lettres d’Afrique à Madame de Sabran du Chevalier de Boufflers, puis je vais jusqu’à celle, tout aussi ombragée, de Chez Dionis où l’on ne me sert plus le diabolo menthe avec petite bouteille que l’on donne aux touristes (trois euros cinquante) mais celui confectionné avec de la limonade versée d’une grande bouteille que l’on donne aux habitués (deux euros cinquante). J’y commence la lecture de Nicolas Bouvier (L’œil qui écrit) de François Laut.
*
Dans le métro, des annonces de la conductrice pour prévenir que les stations Concorde et Assemblée Nationale ne seront pas desservies en raison des manifestations. En français seulement. Tête des touristes qui ne comprennent pas ce qui se passe.
Bientôt huit mois que les Jaunes empêchent les Parisiens et les visiteurs d’aller où ils le souhaitent le samedi.
*
Au parc Georges Brassens, un client à un bouquiniste :
-Je l’avais trouvé à Rouen à un prix ridicule. Et je l’ai revendu à un prix ridicule.
*
Dans la rue des Morillons, une femme à son compagnon :
-On fait des courses ou pas ?
-On peut, on a un sac, lui répond-il.
(On a un sac, pourquoi ne pas le remplir.)
*
Au Bon Coin : un père casquette à l’envers, une mère cheveux archi tirés en queue de cheval et Génération Cinquante.
Le marmot s’agite. Le père lui fait goûter la moutarde. Il braille.
La femme à son mari, de telle façon que tout le restaurant entend :
-De la forte en plus ! T’es complétement débile !
*
Au Bon Coin : une femme à sa mère :
-Prends la banquette.
-Ah non, j’aime pas, j’suis trop petite.
*
Face au Bon Coin, un chantier au rez-de-chaussée. Les ouvriers vont chercher une assiette au « Traiteur turc et grec » puis mangent assis par terre.
*
Au Grand Café, un quinquagénaire à propos de la chaleur et de la pollution qui va suivre :
-Je préfère qui pleut, comme ça les particules, elles vont dans le caniveau.
Les prix sont en général élevés. Cependant, la dernière fois que je suis venu, je suis reparti avec un livre à deux euros : L’Habitude d’être, la correspondance de Flannery O’Connor publiée chez Gallimard, et cette fois je ne dépense pas davantage pour Le Monde d’hier (Souvenirs d’un Européen) de Stefan Zweig dans l’édition grand format de chez Belfond, un récit que m’a donné envie de relire son adaptation partielle en feuilleton sur France Culture entendue avant mon départ.
Vingt-huit degrés sont annoncés pour cette après-midi, ce n’est pas un jour à s’épuiser. Je prends un café au Bon Coin qui jouxte le marché puis à midi déjeune au Bon Coin proche de mon logement provisoire. Je suis moins heureux dans mon choix que samedi dernier : les tranches de rôti de porc sont minces et affreusement sèches. Je me console avec la tarte à la rhubarbe, toujours excellente.
Je prends le café à la terrasse ombragée d’un Péhemmu arabo-chinois qui a dû avoir des jours meilleurs : Le Grand Café. J’y termine la lecture des Lettres d’Afrique à Madame de Sabran du Chevalier de Boufflers, puis je vais jusqu’à celle, tout aussi ombragée, de Chez Dionis où l’on ne me sert plus le diabolo menthe avec petite bouteille que l’on donne aux touristes (trois euros cinquante) mais celui confectionné avec de la limonade versée d’une grande bouteille que l’on donne aux habitués (deux euros cinquante). J’y commence la lecture de Nicolas Bouvier (L’œil qui écrit) de François Laut.
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Dans le métro, des annonces de la conductrice pour prévenir que les stations Concorde et Assemblée Nationale ne seront pas desservies en raison des manifestations. En français seulement. Tête des touristes qui ne comprennent pas ce qui se passe.
Bientôt huit mois que les Jaunes empêchent les Parisiens et les visiteurs d’aller où ils le souhaitent le samedi.
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Au parc Georges Brassens, un client à un bouquiniste :
-Je l’avais trouvé à Rouen à un prix ridicule. Et je l’ai revendu à un prix ridicule.
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Dans la rue des Morillons, une femme à son compagnon :
-On fait des courses ou pas ?
-On peut, on a un sac, lui répond-il.
(On a un sac, pourquoi ne pas le remplir.)
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Au Bon Coin : un père casquette à l’envers, une mère cheveux archi tirés en queue de cheval et Génération Cinquante.
Le marmot s’agite. Le père lui fait goûter la moutarde. Il braille.
La femme à son mari, de telle façon que tout le restaurant entend :
-De la forte en plus ! T’es complétement débile !
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Au Bon Coin : une femme à sa mère :
-Prends la banquette.
-Ah non, j’aime pas, j’suis trop petite.
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Face au Bon Coin, un chantier au rez-de-chaussée. Les ouvriers vont chercher une assiette au « Traiteur turc et grec » puis mangent assis par terre.
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Au Grand Café, un quinquagénaire à propos de la chaleur et de la pollution qui va suivre :
-Je préfère qui pleut, comme ça les particules, elles vont dans le caniveau.
1er juin 2019
Les hommes à gilets orange qui gèrent les entrées et sorties des rames du métro Treize sont déjà à l’ouvrage ce vendredi matin quand j’y monte mais ce n’est pas encore l’heure de pointe et je suis assis jusqu’à la station Mairie de Clichy.
Quand j’en sors, une journée plutôt belle s’annonce. Le premier bâtiment que je vois n’est pas la Mairie mais la jolie petite église Saint-Médard datant du dix-septième siècle qui eut comme curé Vincent de Paul. A celle-ci a été adjointe au début du vingtième, de façon brutale et perpendiculaire, l’église Saint-Vincent-de-Paul, plus grande et moins belle, mais dotée d’un orgue sur lequel joua Camille Saint-Saëns. La Mairie, quant à elle, est assez banale.
Clichy-la-Garenne a l’avantage d’être plate. Elle bénéficie d’un plan dans Le Guide du Routard Ile-de-France. Je m’y reporte et trouve sans peine, au numéro quatre de la rue Anatole-France, le bel immeuble où, comme le rappelle une plaque, vécut, de mil neuf cent trente-deux à trente-quatre, Henry Miller « romancier américain ». Cette heureuse période de sa vie lui fit écrire à son retour aux Etats-Unis Jours tranquilles à Clichy, livre de souvenirs dont le nouvel ordre moral peut s’offusquer. La ville de Clichy a donné le nom d’Espace Henry Miller à l’un de ses équipements culturels.
Je découvre ensuite la façade art déco des entrepôts des Grands Magasins du Printemps, l’hôpital Beaujon dont j’admire les escaliers de secours métalliques, le pavillon Vendôme construit pour abriter les amours de Philippe de Vendôme avec Françoise Moreau (chanteuse célèbre de l’Académie royale de musique) et le parc Roger-Salengro.
C’est suffisant pour aller boire un café verre d’eau à la terrasse du charmant Café de l’Eglise. On se croirait sur une place de village. J’y étudie un peu l’histoire de la ville autrefois beaucoup plus étendue.
Le roi Dagobert s’y marie avec Gonatrude, l’une de ses trois femmes, que complètent des concubines. La cité subit les ravages des invasions normandes avant de redevenir chasse royale (d’où la garenne). Vincent de Paul est nommé curé. Plus tard, Juliette Récamier, femme de banquier, tient salon au château. Château dans lequel ont lieu les préparatifs du coup d’état de Napoléon. Au dix-neuvième siècle puis au vingtième, grosse période d’industrialisation, d’abord dans la blanchisserie (Louise Weber, dite La Goulue, dont j’ai vu la tombe il y a peu y travaille avant d’aller danser ailleurs). On y fait des bougies, de l’imprimerie, des câbles. Viennent ensuite les entreprises Bendix, Kleber-Colombes, Hotchkiss, Idéal-Standard, Monsavon et les chocolats Moreuil. Restent aujourd’hui L’Oréal et les stylos Bic.
Pour déjeuner je compte sur Le Bouquin Affamé, restaurant « jeune et branchouille » selon mon Routard de deux mille six, disposant de trois mille livres à emprunter. Las, en arrivant rue Dagobert, je découvre qu’il n’existe plus, remplacé par L’Argile « grill et lounge » (c’est à ce genre d’évènement que l’on vérifie que le monde va mal). Heureusement, au bout de cette même rue, face à l’école maternelle Jean-Jaurès aujourd’hui fermée, se trouve le restaurant Le Poète où je déguste en terrasse un bon et généreux couscous royal à seize euros cinquante. J’y suis seul un moment plus arrivent trois filles et trois garçons collègues de travail et une grand-mère à l’accent du midi qui garde un deux ans prénommé Armand tandis que ses parents font des travaux à la maison. Elle le contrôle par le chantage : bonbons, frites, parc.
Rentré à Paris, je bois un diabolo menthe à la terrasse de Chez Dionis près d’une femme qui fait signer des photos à leur auteur avant de les mettre en vente, un artiste dont j’ignore le nom. Il a une idée qui pourrait rapporter gros : en reproduire certaines sur des ticheurtes pour aller les vendre au carnaval de Notting Hill au mois d’août.
*
C’est à Clichy que le docteur Destouches exerçait son art, en dispensaire. Y ont habité (entre autres) Gustave Eiffel, Claude Debussy, Vincent Van Gogh, Jacques Brel, Jean-Roger Caussimon et celle qui me tenait la main au temps où je vivais à Val-de-Reuil. Elle y enseigne encore les mathématiques.
*
A l’entrée de tous les bâtiments communaux de Clichy, sur tous les panneaux d’affichage : la photo de son Maire, Droitiste, Les Républicains. Il aime montrer son museau.
*
C'était un pauv' gars / Qui s'appelait Armand / Y n'avait pas d'papa / Y n'avait pas d'maman.
Quand j’en sors, une journée plutôt belle s’annonce. Le premier bâtiment que je vois n’est pas la Mairie mais la jolie petite église Saint-Médard datant du dix-septième siècle qui eut comme curé Vincent de Paul. A celle-ci a été adjointe au début du vingtième, de façon brutale et perpendiculaire, l’église Saint-Vincent-de-Paul, plus grande et moins belle, mais dotée d’un orgue sur lequel joua Camille Saint-Saëns. La Mairie, quant à elle, est assez banale.
Clichy-la-Garenne a l’avantage d’être plate. Elle bénéficie d’un plan dans Le Guide du Routard Ile-de-France. Je m’y reporte et trouve sans peine, au numéro quatre de la rue Anatole-France, le bel immeuble où, comme le rappelle une plaque, vécut, de mil neuf cent trente-deux à trente-quatre, Henry Miller « romancier américain ». Cette heureuse période de sa vie lui fit écrire à son retour aux Etats-Unis Jours tranquilles à Clichy, livre de souvenirs dont le nouvel ordre moral peut s’offusquer. La ville de Clichy a donné le nom d’Espace Henry Miller à l’un de ses équipements culturels.
Je découvre ensuite la façade art déco des entrepôts des Grands Magasins du Printemps, l’hôpital Beaujon dont j’admire les escaliers de secours métalliques, le pavillon Vendôme construit pour abriter les amours de Philippe de Vendôme avec Françoise Moreau (chanteuse célèbre de l’Académie royale de musique) et le parc Roger-Salengro.
C’est suffisant pour aller boire un café verre d’eau à la terrasse du charmant Café de l’Eglise. On se croirait sur une place de village. J’y étudie un peu l’histoire de la ville autrefois beaucoup plus étendue.
Le roi Dagobert s’y marie avec Gonatrude, l’une de ses trois femmes, que complètent des concubines. La cité subit les ravages des invasions normandes avant de redevenir chasse royale (d’où la garenne). Vincent de Paul est nommé curé. Plus tard, Juliette Récamier, femme de banquier, tient salon au château. Château dans lequel ont lieu les préparatifs du coup d’état de Napoléon. Au dix-neuvième siècle puis au vingtième, grosse période d’industrialisation, d’abord dans la blanchisserie (Louise Weber, dite La Goulue, dont j’ai vu la tombe il y a peu y travaille avant d’aller danser ailleurs). On y fait des bougies, de l’imprimerie, des câbles. Viennent ensuite les entreprises Bendix, Kleber-Colombes, Hotchkiss, Idéal-Standard, Monsavon et les chocolats Moreuil. Restent aujourd’hui L’Oréal et les stylos Bic.
Pour déjeuner je compte sur Le Bouquin Affamé, restaurant « jeune et branchouille » selon mon Routard de deux mille six, disposant de trois mille livres à emprunter. Las, en arrivant rue Dagobert, je découvre qu’il n’existe plus, remplacé par L’Argile « grill et lounge » (c’est à ce genre d’évènement que l’on vérifie que le monde va mal). Heureusement, au bout de cette même rue, face à l’école maternelle Jean-Jaurès aujourd’hui fermée, se trouve le restaurant Le Poète où je déguste en terrasse un bon et généreux couscous royal à seize euros cinquante. J’y suis seul un moment plus arrivent trois filles et trois garçons collègues de travail et une grand-mère à l’accent du midi qui garde un deux ans prénommé Armand tandis que ses parents font des travaux à la maison. Elle le contrôle par le chantage : bonbons, frites, parc.
Rentré à Paris, je bois un diabolo menthe à la terrasse de Chez Dionis près d’une femme qui fait signer des photos à leur auteur avant de les mettre en vente, un artiste dont j’ignore le nom. Il a une idée qui pourrait rapporter gros : en reproduire certaines sur des ticheurtes pour aller les vendre au carnaval de Notting Hill au mois d’août.
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C’est à Clichy que le docteur Destouches exerçait son art, en dispensaire. Y ont habité (entre autres) Gustave Eiffel, Claude Debussy, Vincent Van Gogh, Jacques Brel, Jean-Roger Caussimon et celle qui me tenait la main au temps où je vivais à Val-de-Reuil. Elle y enseigne encore les mathématiques.
*
A l’entrée de tous les bâtiments communaux de Clichy, sur tous les panneaux d’affichage : la photo de son Maire, Droitiste, Les Républicains. Il aime montrer son museau.
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C'était un pauv' gars / Qui s'appelait Armand / Y n'avait pas d'papa / Y n'avait pas d'maman.
31 mai 2019
Guère de vide greniers à Paris en ce jeudi de l’Ascension, le seul possible est celui du boulevard Diderot que je rejoins en sortant du métro à Nation avec un petit pincement car c’est par là que j’arrivais quand je venais chercher celle qui me prête son appartement au temps où elle me tenait la main et était élève à l’Ecole Boulle.
Il pleuvine dans un premier temps puis cela tourne à l’averse, ce qui n’est pas favorable à la recherche de livres. La plupart des exposants de ce déballage sont des professionnels et encore une fois on y circule mal pour raison d’étroitesse des allées.
Aussi, c’est avec soulagement que je le quitte en tournant à droite dans la rue de Reuilly. En face de l’ancienne caserne du même nom, en pleine restructuration immobilière et où travaillent en ce jour férié des ouvriers parlant turc, j’avise une femme d’un âge certain qui observe le bâtiment à l’aide d’une lunette kaki posée sur trépied. Mû par mon insatiable curiosité, je lui demande quoi.
-Un nid de faucons, me répond-elle, vous voulez voir ?
Cela se passe dans un trou noir sous l’horloge. Je colle mon œil là où il faut et regarde là où il faut mais je ne vois que du noir dans un trou.
-Il faut s’habituer à l’obscurité, me dit-elle, et alors on voit l’œil de la femelle.
Il me manque la patience nécessaire. Je la remercie et une jeune femme tout aussi curieuse prend ma place.
Au bout de la rue, je tourne à gauche rue du Faubourg Saint Antoine ce qui, après un détour par le marché d’Aligre puis un café au comptoir du Café du Faubourg, me permet d’être cinq minutes avant l’ouverture devant chez Book-Off où l’on travaille aussi en ce jour férié.
Surtout ne pas m’alourdir, me dis-je. Ma résolution ne tient pas longtemps car si les livres à un euro que je trouve sont petits et donc légers, ils sont nombreux. Il s’agit d’abord d’une vingtaine de Petite Collection Allia dénichés un par un parmi les romans en poche où ils n’avaient rien à faire, des textes ayant pour auteurs : Pierre Arétin, Lord Byron, Giacomo Casanova, Bruno Corra, Astolphe de Custine, Samson Raphaelson, Alberto Savinio, Robert Louis Stevenson, Raoul Hausmann, Valery Larbaud, Ian Jack, Lorenzino de Médicis, Paillot de Montabert, Luigi Russolo, Hilary Spurling et Mike Davis. A quoi s’ajoutent, également rangés comme romans, le Journal intime de Novalis au Petit Mercure et deux Petite Vermillon : Essai sur la bêtise de Michel Adam et Bonnard, jardins secrets d’Olivier Renault.
Quoi de mieux pour déjeuner ensuite que le Péhemmu chinois qui n’augmente pas ses prix sous prétexte d’Ascension. Les habituels convives font le pont (comme on dit), remplacés à ma droite par un quadragénaire dont les cheveux et la barbe blanchissent déjà et ses deux vieux parents.
Parmi toutes les bonnes raisons de ne pas faire d’enfants il y a celle-ci, ce terrible face à face du petit devenu adulte avec ses géniteurs sur le déclin. Lui pense déjà à être ailleurs, au téléphone il interroge un ami, à qui il dit qu’il est avec papamaman, sur son envie d’exposition pour l’après-midi. Toutankhamon ou Daft Punk ? « Y a l’ampoule de la salle de bain qu’a claqué, lui dit son père, je l’ai changée. » « C’est dangereux, il fallait m’appeler, je l’aurais fait. » « Il monte sur l’escabeau et je le tiens », dit la mère. « Tu vas toujours chez Lideule ? » demande le fils. « As-tu pris tes cachetons ? » demande le fils. Les parents ne posent pas de questions.
Sorti de là, je vais par la ligne Huit jusqu’à Opéra puis explore le second Book-Off où heureusement je trouve peu. Je n’y ai jamais vu pareille affluence de vendeurs de dévédés, cédés, mangas, consoles et livres, par cartons entiers. A croire que tout ce monde s’est dit la même chose : il ne fait pas très beau, allons vendre ce qui nous encombre. Les jours fériés sont souvent difficiles à traverser.
Je rejoins Lorette avec mon sac trop lourd. Le métro Douze me reconduit à Jules Joffrin. Le ciel est noir quand je marche rue Ordener. Les deux premiers étages ça va encore. C’est le troisième qui est redoutable.
*
Sur l’ardoise du marchand de vin de la place d’Aligre : « Nul n’est censé ignorer la Loire ».
*
Toutankhamon ou Daft Punk ? Deux histoires de momies. Pour rien au monde, je n’irais voir ça.
Il pleuvine dans un premier temps puis cela tourne à l’averse, ce qui n’est pas favorable à la recherche de livres. La plupart des exposants de ce déballage sont des professionnels et encore une fois on y circule mal pour raison d’étroitesse des allées.
Aussi, c’est avec soulagement que je le quitte en tournant à droite dans la rue de Reuilly. En face de l’ancienne caserne du même nom, en pleine restructuration immobilière et où travaillent en ce jour férié des ouvriers parlant turc, j’avise une femme d’un âge certain qui observe le bâtiment à l’aide d’une lunette kaki posée sur trépied. Mû par mon insatiable curiosité, je lui demande quoi.
-Un nid de faucons, me répond-elle, vous voulez voir ?
Cela se passe dans un trou noir sous l’horloge. Je colle mon œil là où il faut et regarde là où il faut mais je ne vois que du noir dans un trou.
-Il faut s’habituer à l’obscurité, me dit-elle, et alors on voit l’œil de la femelle.
Il me manque la patience nécessaire. Je la remercie et une jeune femme tout aussi curieuse prend ma place.
Au bout de la rue, je tourne à gauche rue du Faubourg Saint Antoine ce qui, après un détour par le marché d’Aligre puis un café au comptoir du Café du Faubourg, me permet d’être cinq minutes avant l’ouverture devant chez Book-Off où l’on travaille aussi en ce jour férié.
Surtout ne pas m’alourdir, me dis-je. Ma résolution ne tient pas longtemps car si les livres à un euro que je trouve sont petits et donc légers, ils sont nombreux. Il s’agit d’abord d’une vingtaine de Petite Collection Allia dénichés un par un parmi les romans en poche où ils n’avaient rien à faire, des textes ayant pour auteurs : Pierre Arétin, Lord Byron, Giacomo Casanova, Bruno Corra, Astolphe de Custine, Samson Raphaelson, Alberto Savinio, Robert Louis Stevenson, Raoul Hausmann, Valery Larbaud, Ian Jack, Lorenzino de Médicis, Paillot de Montabert, Luigi Russolo, Hilary Spurling et Mike Davis. A quoi s’ajoutent, également rangés comme romans, le Journal intime de Novalis au Petit Mercure et deux Petite Vermillon : Essai sur la bêtise de Michel Adam et Bonnard, jardins secrets d’Olivier Renault.
Quoi de mieux pour déjeuner ensuite que le Péhemmu chinois qui n’augmente pas ses prix sous prétexte d’Ascension. Les habituels convives font le pont (comme on dit), remplacés à ma droite par un quadragénaire dont les cheveux et la barbe blanchissent déjà et ses deux vieux parents.
Parmi toutes les bonnes raisons de ne pas faire d’enfants il y a celle-ci, ce terrible face à face du petit devenu adulte avec ses géniteurs sur le déclin. Lui pense déjà à être ailleurs, au téléphone il interroge un ami, à qui il dit qu’il est avec papamaman, sur son envie d’exposition pour l’après-midi. Toutankhamon ou Daft Punk ? « Y a l’ampoule de la salle de bain qu’a claqué, lui dit son père, je l’ai changée. » « C’est dangereux, il fallait m’appeler, je l’aurais fait. » « Il monte sur l’escabeau et je le tiens », dit la mère. « Tu vas toujours chez Lideule ? » demande le fils. « As-tu pris tes cachetons ? » demande le fils. Les parents ne posent pas de questions.
Sorti de là, je vais par la ligne Huit jusqu’à Opéra puis explore le second Book-Off où heureusement je trouve peu. Je n’y ai jamais vu pareille affluence de vendeurs de dévédés, cédés, mangas, consoles et livres, par cartons entiers. A croire que tout ce monde s’est dit la même chose : il ne fait pas très beau, allons vendre ce qui nous encombre. Les jours fériés sont souvent difficiles à traverser.
Je rejoins Lorette avec mon sac trop lourd. Le métro Douze me reconduit à Jules Joffrin. Le ciel est noir quand je marche rue Ordener. Les deux premiers étages ça va encore. C’est le troisième qui est redoutable.
*
Sur l’ardoise du marchand de vin de la place d’Aligre : « Nul n’est censé ignorer la Loire ».
*
Toutankhamon ou Daft Punk ? Deux histoires de momies. Pour rien au monde, je n’irais voir ça.
30 mai 2019
Ce mercredi matin, je traverse à nouveau Paris en métro et sors de terre à la station Pont-de-Sèvres, puis je traverse la Seine par ledit pont dans une atmosphère très automobile avec vue sur l’île Seguin et sa Seine Musicale. Arrivé sur l’autre rive, je trouve l’escalier qui descend vers la ligne de tram Té Deux. C’est la première fois que je prends le tramouais parisien, et pour peu de temps car je descends deux stations plus loin à Meudon-sur-Seine.
Je tire alors le carnet Muji de ma poche dans lequel, grâce au site L’Atelier Ted et Eux, j’ai noté l’itinéraire pédestre pour me rendre à la maison de Céline puis sur sa tombe.
Le chemin de pierres montant vers la première est plus proche que je ne l’aurais cru. Entourée d’autres maisons identiques, au vingt-cinq ter de la route des Gardes, c’est la seule à être dans son jus (comme disent les brocanteurs), murs décatis et antiques rideaux dépareillés. Sur la vieille boîte à lettres : Destouches. La grille d’entrée, derrière laquelle se trouvaient autrefois les molosses chargés d’effrayer les visiteurs, est ouverte en grand. Je ne prends pas ça pour une invitation. Je fais quelques photos tandis que le voisin le plus proche sort sa voiture. Je ne sais si c’est lui qui a acheté la maison de l’écrivain tout en autorisant sa veuve Lucette, âgée de bientôt cent sept ans, à y rester. Elle avait besoin d’argent pour payer les trois personnes qui l’aident dans sa vie quotidienne. Justement, l’un des rideaux rouges décolorés de l’étage bouge et une jeune fille me fait un grand non avec la main. N’ayez crainte, mademoiselle.
Je redescends vers l’ancienne gare du Bas Meudon, devenue restaurant recommandé par Michelin, où se trouve l’arrêt du tram, passe sous un immeuble et grimpe par des chemins pas évidents, et munis de méchants escaliers, jusqu’au cimetière des Longs-Réages. Toujours suivant les indications de la « Balade célinienne à Meudon » de L’Atelier Ted et Eux, je trouve rapidement la pierre tombale sur laquelle figurent une croix discrète, un voilier et l’inscription : « Louis Ferdinand Céline docteur L.F. Destouches 1894-1961 Lucie Destouches née Almansor 1919-19 (les pompes funèbres rectifieront). Au pied de cette tombe, des plantes desséchées. Sur la pierre, dessinés par des visiteurs avec les cailloux de l’allée, une croix et un cœur. J’ajoute mon caillou à ce dernier.
Le conservateur du cimetière sort de chez lui alors qu’après avoir constaté que le Musée Rodin n’ouvre qu’en fin de semaine, j’étudie la suite sur un banc. Le Guide du Routard n’ayant pas mis le plan de Meudon, je lui demande où en trouver. « J’en ai peut-être encore un », me dit-il.
Grâce à lui, je vais pouvoir m’orienter dans cette ville compliquée et affreusement pentue. Je rejoins l’imposante avenue du Château et m’arrête devant la petite maison où Richard Wagner habita en mil huit cent quarante et un. Il y composa Le Vaisseau fantôme. J’ai une pensée pour les amis de Stockholm, farouches wagnériens, qui m’ont précédé dans cette ville pour la balade célinienne mais sont-ils passés aussi par cette maison, je ne m’en souviens pas. Un peu plus loin, j’entre dans le potager du Dauphin où se cache ce que Le Routard décrit de façon un peu enthousiaste comme « une admirable chapelle byzantine ». Près d’icelle est une statue blanche de femme exaltée que je ne peux identifier. Un jeune père, sollicité, ne peut m’aider. Au bout de l’avenue se trouve « la terrasse du fameux château dont il ne reste rien » (dixit le même Guide) d’où j’ai belle vue sur la capitale embrumée.
N’en pouvant plus de monter, je prends la rue qui descends vers l’Hôtel de Ville. Face à celui-ci, la Brasserie de la Mairie m’ouvre les bras. Je m’y installe pour un café lecture tandis qu’au comptoir on ne cause que de l’annexe de la Mairie qu’a cramé hier soir, là où y avait l’imprimerie et la communication.
Ne voyant pas d’autre solution, je déjeune sur place d’anchois marinés et de foie de veau au vinaigre balsamique avec un quart de côtes-du-rhône, ça fera dix-neuf euros cinquante. Des employé(e)s de la Mairie me tiennent compagnie et se perdent en conjectures, un court-circuit oui, mais où donc.
En poursuivant ma descente vers l’arrêt du Té Deux par le boulevard Anatole-France, je passe devant la maison de Marcel Dupré, musicien bien connu, né à Rouen. « Ici vécut de 1925 à 1971 le compositeur Marcel Dupré organiste de St-Sulpice ». Hélas, une haute porte métallique m’empêche de voir cette demeure. Par chance, son actuel propriétaire, un homme à cheveux blancs plus âgé que moi, en sort pour rentrer la poubelle. Je lui demande si je peux faire une photo avant qu’il ne referme.
-Entrez, me dit-il, vous venez pour mon concert ?
Ce concert est un double concert qui aura lieu les quinze et seize juin.
Je lui dis que je suis de Rouen (ah !) et provisoirement à Paris.
-Vous êtes organiste ? lui demandé-je.
-Non, pharmacien à la retraite.
Je prends plusieurs photos de la maison dont il vient de faire restaurer une fresque à l’identique.
-Vous voulez voir l’orgue ? Ne bougez pas, j’entre par là et je vous ouvre de l’autre côté.
Me voici dans la grande salle que fit ajouter Marcel Dupré à sa maison pour y installer un Cavaillé-Coll. Jamais encore je n’avais vu d’orgue ailleurs que dans une église. Je suis époustouflé.
Le maître des lieux m’autorise à photographier la salle et l’instrument. Il va même jusqu’à ôter la couverture qui protège le clavier.
-Tenez, je vous donne le programme de mon concert. Laissez quelques mots sur mon livre d’or, je vous attends dehors.
« Quelle chance d’avoir pu entrer dans cette maison grâce à l’amabilité et à la gentillesse de son propriétaire », écris-je. Celui-ci me raccompagne jusqu’à la barrière. Je sors presque aussi content que si Lucette avait dit à la jeune fille : « Faites donc signe à ce monsieur d’entrer, nous causerons un peu. »
*
Pour rentrer, j’allonge le trajet en tramouais Té Deux jusqu’à La Défense puis prends le métro Un d’où, assis dans la dernière voiture, je regarde s’éloigner la Grande Arche et ce qui tient lieu de gratte-ciels à Paris.
*
Je pose comme hypothèse que Meudon est un dérivé de « Monte donc ».
Je tire alors le carnet Muji de ma poche dans lequel, grâce au site L’Atelier Ted et Eux, j’ai noté l’itinéraire pédestre pour me rendre à la maison de Céline puis sur sa tombe.
Le chemin de pierres montant vers la première est plus proche que je ne l’aurais cru. Entourée d’autres maisons identiques, au vingt-cinq ter de la route des Gardes, c’est la seule à être dans son jus (comme disent les brocanteurs), murs décatis et antiques rideaux dépareillés. Sur la vieille boîte à lettres : Destouches. La grille d’entrée, derrière laquelle se trouvaient autrefois les molosses chargés d’effrayer les visiteurs, est ouverte en grand. Je ne prends pas ça pour une invitation. Je fais quelques photos tandis que le voisin le plus proche sort sa voiture. Je ne sais si c’est lui qui a acheté la maison de l’écrivain tout en autorisant sa veuve Lucette, âgée de bientôt cent sept ans, à y rester. Elle avait besoin d’argent pour payer les trois personnes qui l’aident dans sa vie quotidienne. Justement, l’un des rideaux rouges décolorés de l’étage bouge et une jeune fille me fait un grand non avec la main. N’ayez crainte, mademoiselle.
Je redescends vers l’ancienne gare du Bas Meudon, devenue restaurant recommandé par Michelin, où se trouve l’arrêt du tram, passe sous un immeuble et grimpe par des chemins pas évidents, et munis de méchants escaliers, jusqu’au cimetière des Longs-Réages. Toujours suivant les indications de la « Balade célinienne à Meudon » de L’Atelier Ted et Eux, je trouve rapidement la pierre tombale sur laquelle figurent une croix discrète, un voilier et l’inscription : « Louis Ferdinand Céline docteur L.F. Destouches 1894-1961 Lucie Destouches née Almansor 1919-19 (les pompes funèbres rectifieront). Au pied de cette tombe, des plantes desséchées. Sur la pierre, dessinés par des visiteurs avec les cailloux de l’allée, une croix et un cœur. J’ajoute mon caillou à ce dernier.
Le conservateur du cimetière sort de chez lui alors qu’après avoir constaté que le Musée Rodin n’ouvre qu’en fin de semaine, j’étudie la suite sur un banc. Le Guide du Routard n’ayant pas mis le plan de Meudon, je lui demande où en trouver. « J’en ai peut-être encore un », me dit-il.
Grâce à lui, je vais pouvoir m’orienter dans cette ville compliquée et affreusement pentue. Je rejoins l’imposante avenue du Château et m’arrête devant la petite maison où Richard Wagner habita en mil huit cent quarante et un. Il y composa Le Vaisseau fantôme. J’ai une pensée pour les amis de Stockholm, farouches wagnériens, qui m’ont précédé dans cette ville pour la balade célinienne mais sont-ils passés aussi par cette maison, je ne m’en souviens pas. Un peu plus loin, j’entre dans le potager du Dauphin où se cache ce que Le Routard décrit de façon un peu enthousiaste comme « une admirable chapelle byzantine ». Près d’icelle est une statue blanche de femme exaltée que je ne peux identifier. Un jeune père, sollicité, ne peut m’aider. Au bout de l’avenue se trouve « la terrasse du fameux château dont il ne reste rien » (dixit le même Guide) d’où j’ai belle vue sur la capitale embrumée.
N’en pouvant plus de monter, je prends la rue qui descends vers l’Hôtel de Ville. Face à celui-ci, la Brasserie de la Mairie m’ouvre les bras. Je m’y installe pour un café lecture tandis qu’au comptoir on ne cause que de l’annexe de la Mairie qu’a cramé hier soir, là où y avait l’imprimerie et la communication.
Ne voyant pas d’autre solution, je déjeune sur place d’anchois marinés et de foie de veau au vinaigre balsamique avec un quart de côtes-du-rhône, ça fera dix-neuf euros cinquante. Des employé(e)s de la Mairie me tiennent compagnie et se perdent en conjectures, un court-circuit oui, mais où donc.
En poursuivant ma descente vers l’arrêt du Té Deux par le boulevard Anatole-France, je passe devant la maison de Marcel Dupré, musicien bien connu, né à Rouen. « Ici vécut de 1925 à 1971 le compositeur Marcel Dupré organiste de St-Sulpice ». Hélas, une haute porte métallique m’empêche de voir cette demeure. Par chance, son actuel propriétaire, un homme à cheveux blancs plus âgé que moi, en sort pour rentrer la poubelle. Je lui demande si je peux faire une photo avant qu’il ne referme.
-Entrez, me dit-il, vous venez pour mon concert ?
Ce concert est un double concert qui aura lieu les quinze et seize juin.
Je lui dis que je suis de Rouen (ah !) et provisoirement à Paris.
-Vous êtes organiste ? lui demandé-je.
-Non, pharmacien à la retraite.
Je prends plusieurs photos de la maison dont il vient de faire restaurer une fresque à l’identique.
-Vous voulez voir l’orgue ? Ne bougez pas, j’entre par là et je vous ouvre de l’autre côté.
Me voici dans la grande salle que fit ajouter Marcel Dupré à sa maison pour y installer un Cavaillé-Coll. Jamais encore je n’avais vu d’orgue ailleurs que dans une église. Je suis époustouflé.
Le maître des lieux m’autorise à photographier la salle et l’instrument. Il va même jusqu’à ôter la couverture qui protège le clavier.
-Tenez, je vous donne le programme de mon concert. Laissez quelques mots sur mon livre d’or, je vous attends dehors.
« Quelle chance d’avoir pu entrer dans cette maison grâce à l’amabilité et à la gentillesse de son propriétaire », écris-je. Celui-ci me raccompagne jusqu’à la barrière. Je sors presque aussi content que si Lucette avait dit à la jeune fille : « Faites donc signe à ce monsieur d’entrer, nous causerons un peu. »
*
Pour rentrer, j’allonge le trajet en tramouais Té Deux jusqu’à La Défense puis prends le métro Un d’où, assis dans la dernière voiture, je regarde s’éloigner la Grande Arche et ce qui tient lieu de gratte-ciels à Paris.
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Je pose comme hypothèse que Meudon est un dérivé de « Monte donc ».
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