Dernières notes
Loïc Boyer
Je suis l’auteur de textes courts qui furent publiés depuis mil neuf cent quatre-vingt-quinze dans des revues littéraires en France (Supérieur Inconnu, Supplément d’Ame, Nouvelle Donne, Le Bord de l’Eau, Pris de Peur, l’Art du Bref, Sol’Air, Gros Textes, Salmigondis, Verso, Décharge, Bulle, Filigranes, Diérèse, Martobre, Comme ça et Autrement, (Cahier d’) Ecritures, La Nef des Fous), en Belgique (Traversées, Ecrits Vains, L’Arbre à Plumes, Inédit Nouveau, Bleu d’Encre), au Canada (Les Saisons Littéraires) et en Italie (Les Cahiers du Ru).
Les courageuses Editions du Chardon ont publié en mil neuf cent quatre-vingt-dix-neuf Erotica, un recueil de vingt-huit de ces textes, illustré par Isabelle Pio et Antoine Lopez et préfacé par Sarane Alexandrian, toujours disponible auprès de moi.
Je suis également l’auteur d’une pièce de théâtre et de plusieurs romans ou récits à ce jour inédits.
Depuis le onze novembre deux mille six, je publie mon Journal via Internet, un temps sous-titré Persiflages, moquages et autres énervages mâtinés de complimentages et de contentages. Sa première partie est lisible chez Eklablog, la deuxième ici.
Je vis au centre de Rouen dans un ancien monastère où autrefois les Sœurs de la Miséricorde se vouaient à l’éducation des jeunes filles.
Les courageuses Editions du Chardon ont publié en mil neuf cent quatre-vingt-dix-neuf Erotica, un recueil de vingt-huit de ces textes, illustré par Isabelle Pio et Antoine Lopez et préfacé par Sarane Alexandrian, toujours disponible auprès de moi.
Je suis également l’auteur d’une pièce de théâtre et de plusieurs romans ou récits à ce jour inédits.
Depuis le onze novembre deux mille six, je publie mon Journal via Internet, un temps sous-titré Persiflages, moquages et autres énervages mâtinés de complimentages et de contentages. Sa première partie est lisible chez Eklablog, la deuxième ici.
Je vis au centre de Rouen dans un ancien monastère où autrefois les Sœurs de la Miséricorde se vouaient à l’éducation des jeunes filles.
21 octobre 2019
Ce jeudi soir, sous le parapluie, je rejoins l’Opéra de Rouen où, grâce à la générosité de celui qui est indisponible, j’ai place au fauteuil Bé Cinq pour le concert d’Alexandre Tharaud titré Versailles, une très bonne place donnant sur le clavier du piano qui trône sur le plateau. « C’est une soirée avec un seul instrumentiste », remarque un homme particulièrement perspicace amené là par sa femme.
Les chaises au-dessus de la fosse restent inoccupées un bon moment avant que deux premières femmes s’y installent. Nous ne sommes plus au temps des abonnés Entrée Plus où elles étaient l’objet d’une lutte sans merci à l’ouverture des portes de la salle.
Comme je ne me retourne pas, je ne sais pas si c’est occupé jusqu’au deuxième balcon. Par chance la place de premier rang devant la mienne reste libre. Cela me donne une vision parfaite. A son entrée en scène, le talentueux pianiste reçoit un micro des mains de sa tourneuse de pages.
Il n’est pas d’usage qu’un musicien s’adresse aux spectateurs avant ou après le concert, nous dit-il, toujours svelte et barbe de deux jours, maïs il veut nous parler des compositions qu’il va nous faire entendre. Toutes ont été écrites pour le clavecin au temps des Louis, le Quatorzième, le Quinzième, le Seizième, mais elles sonnent si bien pour cette grosse bête noire qui est son instrument. Il nous explique en quoi Rameau est l’ancêtre de Debussy et Couperin celui de Ravel puis nous dit deux mots des musiciens moins connus au programme ce soir : Pancrace Royer, Claude Balbastre et Jacques Dulphy, ce dernier né à Rouen où il fut organiste.
Cela fait, il s’assoit en déboutonnant sa veste et se lance dans la Marche pour la cérémonie des Turcs de Jean-Baptiste Lully, arrangée par ses soins, puis enchaîne avec plusieurs pièces de François Couperin. La montée en puissance est constante et point compromise par deux interruptions avec reboutonnage de veste destinées à libérer l’énergie du public sous forme d’applaudissements et à lui permettre de se dégourdir les jambes le temps d’un aller et retour dans la coulisse. Si la partition est toujours présente, dont les pages sont tournées par son aide ou par lui-même, il est visible qu’il n’en a guère besoin. Son regard est souvent dirigé vers des hauteurs inspirantes.
Fort applaudi, Alexandre Tharaud nous offre deux bonus et un bis. Si j’avais de moi-même pris une place pour un spectacle de la saison Dix-Neuf Vingt de l’Opéra de Rouen, j’aurais choisi celui-là. C’est dire que je ne peux qu’être content.
*
C’est durant mon séjour à Collioure que j’ai appris la mort à l’âge de quatre-vingt-huit ans d’André Junement qui fréquenta l’Opéra de Rouen pendant quatre-vingts ans. En mars deux mille dix-huit, j’avais eu le plaisir d’assister au concert qui fut donné en son honneur par des musicien(ne)s de cette institution dans la maison de retraite proche de la gare où il avait dû trouver refuge.
Je savais qu’il avait été disquaire, mais n’ai appris qu’à cette triste occasion que sa boutique était Record Shop, rue Ganterie, un lieu que je fréquentais épisodiquement dans les années soixante-dix. Il était (sans doute) mon plus vieux lecteur.
Les chaises au-dessus de la fosse restent inoccupées un bon moment avant que deux premières femmes s’y installent. Nous ne sommes plus au temps des abonnés Entrée Plus où elles étaient l’objet d’une lutte sans merci à l’ouverture des portes de la salle.
Comme je ne me retourne pas, je ne sais pas si c’est occupé jusqu’au deuxième balcon. Par chance la place de premier rang devant la mienne reste libre. Cela me donne une vision parfaite. A son entrée en scène, le talentueux pianiste reçoit un micro des mains de sa tourneuse de pages.
Il n’est pas d’usage qu’un musicien s’adresse aux spectateurs avant ou après le concert, nous dit-il, toujours svelte et barbe de deux jours, maïs il veut nous parler des compositions qu’il va nous faire entendre. Toutes ont été écrites pour le clavecin au temps des Louis, le Quatorzième, le Quinzième, le Seizième, mais elles sonnent si bien pour cette grosse bête noire qui est son instrument. Il nous explique en quoi Rameau est l’ancêtre de Debussy et Couperin celui de Ravel puis nous dit deux mots des musiciens moins connus au programme ce soir : Pancrace Royer, Claude Balbastre et Jacques Dulphy, ce dernier né à Rouen où il fut organiste.
Cela fait, il s’assoit en déboutonnant sa veste et se lance dans la Marche pour la cérémonie des Turcs de Jean-Baptiste Lully, arrangée par ses soins, puis enchaîne avec plusieurs pièces de François Couperin. La montée en puissance est constante et point compromise par deux interruptions avec reboutonnage de veste destinées à libérer l’énergie du public sous forme d’applaudissements et à lui permettre de se dégourdir les jambes le temps d’un aller et retour dans la coulisse. Si la partition est toujours présente, dont les pages sont tournées par son aide ou par lui-même, il est visible qu’il n’en a guère besoin. Son regard est souvent dirigé vers des hauteurs inspirantes.
Fort applaudi, Alexandre Tharaud nous offre deux bonus et un bis. Si j’avais de moi-même pris une place pour un spectacle de la saison Dix-Neuf Vingt de l’Opéra de Rouen, j’aurais choisi celui-là. C’est dire que je ne peux qu’être content.
*
C’est durant mon séjour à Collioure que j’ai appris la mort à l’âge de quatre-vingt-huit ans d’André Junement qui fréquenta l’Opéra de Rouen pendant quatre-vingts ans. En mars deux mille dix-huit, j’avais eu le plaisir d’assister au concert qui fut donné en son honneur par des musicien(ne)s de cette institution dans la maison de retraite proche de la gare où il avait dû trouver refuge.
Je savais qu’il avait été disquaire, mais n’ai appris qu’à cette triste occasion que sa boutique était Record Shop, rue Ganterie, un lieu que je fréquentais épisodiquement dans les années soixante-dix. Il était (sans doute) mon plus vieux lecteur.
19 octobre 2019
Déjà une fois ça avait failli être la dernière. Alors que d’habitude ce bouquiniste repreneur des Mondes Magiques était présent avant l’heure d’ouverture, même s’il n’ouvrait qu’à l’heure précise indiquée sur sa porte, ce lundi-là il n’y avait pas de lumière à l’intérieur. A dix heures, toujours personne. Patient comme je suis, j’avais attendu jusqu’à dix heures cinq puis étais reparti avec mon sac de livres à vendre.
Le lundi suivant je lui avais demandé pourquoi il n’avait pas ouvert ce jour-là. Il me répondit qu’il était arrivé à dix heures. « Je vous ai vu d’ailleurs, vous repartiez. », ajouta-t-il. Non seulement, prétendant être arrivé à l’heure il était de mauvaise foi, mais en plus ce sympathique personnage n’avait rien fait pour me rattraper.
Délesté d’un ou deux des livres que je lui proposais, ceux dont ne veut pas son concurrent (et ancien ami) du Rêve de l’Escalier qui achète deux fois plus cher, j’étais reparti en me demandant si j’y retournerais. Et puis, avec un nouveau sac de livres à vendre, j’y fus le lundi suivant, et les autres.
Instruit par l’expérience, je n’arrivais désormais qu’à dix heures cinq. Ce qui ne m’empêcha pas de l’attendre, au moins deux fois, jusqu’à dix heures et quart, la faute au métro, me dit-il la première fois, ne pouvant plus faire semblant d’être à l’heure et sans s’excuser. Puis, ouvrant sa boutique et la refermant immédiatement derrière lui, il m’avait laissé sur le trottoir pour faire je ne sais quoi à l’intérieur, pour ensuite me rouvrir la porte et ne m’acheter qu’un ou deux livres sur les dix proposés.
Ce jeudi matin, toute sa boutique est à moitié prix et une affichette annonce que les achats sont suspendus jusqu’au quatre novembre.
-Vous auriez pu prévenir sur Facebook, lui dis-je.
-Effectivement, me répond-il.
Je lui demande s’il peut quand même voir mes livres. Les voir oui mais pas en acheter, il faudra revenir le quatre novembre.
-Comment vouliez-vous que je sache que vous n’achetez pas de livres en ce moment puisque vous ne prévenez pas sur Facebook ? Vous m’avez fait traverser la ville pour rien.
-Je ne suis pas obligé d’acheter des livres, monsieur Perdrial, me répond-il d’un ton rogue.
-Et moi je ne suis pas obligé de venir chez vous.
Et basta.
*
L’ancien gérant du Rêve de l’Escalier m’a dit un jour que tous les bouquinistes étaient des caractériels. Celui-là en est un de première bourre.
*
Il exagérait. Elise et Robin, les anciens gérants de ces Mondes Magiques étaient aimables et chaleureux.
*
Un bouquiniste qui n’achète pas de livres, c’est un marchand de primeurs qui n’achète pas de fruits et légumes. Le problème de celui des Mondes Magiques, apparemment, c’est d’arriver à en vendre. Mettre pour une semaine sa boutique à moitié prix n’arrangera pas ses affaires. Ce n’est pas parce qu’on divise le prix d’un livre par deux qu’on le rend intéressant. Depuis qu’il a repris l’affaire, je n’en ai trouvé chez lui que deux ou trois à acheter.
*
Viendra le jour où, comme disait Pierre Desproges, je reprendrai deux fois des moules.
Le lundi suivant je lui avais demandé pourquoi il n’avait pas ouvert ce jour-là. Il me répondit qu’il était arrivé à dix heures. « Je vous ai vu d’ailleurs, vous repartiez. », ajouta-t-il. Non seulement, prétendant être arrivé à l’heure il était de mauvaise foi, mais en plus ce sympathique personnage n’avait rien fait pour me rattraper.
Délesté d’un ou deux des livres que je lui proposais, ceux dont ne veut pas son concurrent (et ancien ami) du Rêve de l’Escalier qui achète deux fois plus cher, j’étais reparti en me demandant si j’y retournerais. Et puis, avec un nouveau sac de livres à vendre, j’y fus le lundi suivant, et les autres.
Instruit par l’expérience, je n’arrivais désormais qu’à dix heures cinq. Ce qui ne m’empêcha pas de l’attendre, au moins deux fois, jusqu’à dix heures et quart, la faute au métro, me dit-il la première fois, ne pouvant plus faire semblant d’être à l’heure et sans s’excuser. Puis, ouvrant sa boutique et la refermant immédiatement derrière lui, il m’avait laissé sur le trottoir pour faire je ne sais quoi à l’intérieur, pour ensuite me rouvrir la porte et ne m’acheter qu’un ou deux livres sur les dix proposés.
Ce jeudi matin, toute sa boutique est à moitié prix et une affichette annonce que les achats sont suspendus jusqu’au quatre novembre.
-Vous auriez pu prévenir sur Facebook, lui dis-je.
-Effectivement, me répond-il.
Je lui demande s’il peut quand même voir mes livres. Les voir oui mais pas en acheter, il faudra revenir le quatre novembre.
-Comment vouliez-vous que je sache que vous n’achetez pas de livres en ce moment puisque vous ne prévenez pas sur Facebook ? Vous m’avez fait traverser la ville pour rien.
-Je ne suis pas obligé d’acheter des livres, monsieur Perdrial, me répond-il d’un ton rogue.
-Et moi je ne suis pas obligé de venir chez vous.
Et basta.
*
L’ancien gérant du Rêve de l’Escalier m’a dit un jour que tous les bouquinistes étaient des caractériels. Celui-là en est un de première bourre.
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Il exagérait. Elise et Robin, les anciens gérants de ces Mondes Magiques étaient aimables et chaleureux.
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Un bouquiniste qui n’achète pas de livres, c’est un marchand de primeurs qui n’achète pas de fruits et légumes. Le problème de celui des Mondes Magiques, apparemment, c’est d’arriver à en vendre. Mettre pour une semaine sa boutique à moitié prix n’arrangera pas ses affaires. Ce n’est pas parce qu’on divise le prix d’un livre par deux qu’on le rend intéressant. Depuis qu’il a repris l’affaire, je n’en ai trouvé chez lui que deux ou trois à acheter.
*
Viendra le jour où, comme disait Pierre Desproges, je reprendrai deux fois des moules.
18 octobre 2019
Apprendre que la bibliothèque de l’Alcazar à Marseille est fermée parce qu’envahie par les punaises de lit et que celles-ci sont arrivées par des livres empruntés puis rapportés dans lesquels leurs mères avaient pondu me fait flipper mais pas au point de ne plus acheter de livres au Book-Off de Ledru-Rollin ce mercredi matin. Quand même, je vais être inquiet maintenant à chaque fois que je rapporterai des livres d’occasion à la maison, traumatisé que je suis par ma rencontre avec ces bestioles dans un hôtel de Ciboure. Jusqu’ici, je ne me méfiais que des tissus, refusant de faire entrer chez moi des vêtements ou de l’ameublement d’occasion. Je quitte la boutique avec peu.
A midi moins le quart, le bruit du marteau-piqueur des travaux de la rue du Faubourg Saint-Antoine ayant cessé, je trouve place au Péhemmu chinois pour déjeuner de mon plat habituel. Près de moi sont deux employés de l’atelier de couture qui mangent toujours ensemble, le quinquagénaire chinois et la vingtenaire brune. Elle lui raconte qu’elle vient d’hériter de son oncle avec le frère de celui-ci et que si lui a été taxé à quarante-cinq pour cent, elle, l’a été à soixante pour cent. « J’en ai pleuré chez le notaire », lui dit-elle. « Bah alors, mon p’tit chou, lui a-t-il dit, faut signer là ». Elle est furieuse car dans les caisses de l’Etat, « y a déjà beaucoup beaucoup beaucoup ». Il ne lui vient pas à l’esprit que feu son oncle aurait pu tout dépenser avant de mourir.
Sitôt payé, je vais au milieu des travaux jusqu’à la Bastille et m’installe à la terrasse du Week-End, autre Péhemmu chinois, où je suis bientôt rejoint par celle qui travaille à côté. Cette fois, je peux lui donner les deux tomes des Misérables achetés pour elle au Quai des Livres rouennais, sans punaises de lit j’espère. Nous avons beaucoup à nous dire mais pas assez de temps, requise qu’elle est par le labeur.
Lorsque nous nous séparons, je rejoins le second Book-Off. Je m’y sens moins bien qu’au premier depuis l’omniprésence d’un employé à l’accent du Sud. Son incessant verbiage m’épuise. Il était discret à ses débuts dans la boutique. Peu à peu, il a pris le pouvoir sur l’équipe. J’achète très peu.
A Saint-Lazare, je monte à l’avance dans le seize heures quarante-huit déjà là au quai Dix-Neuf. Il n’est pas complet lorsqu’approche le moment de son départ mais alors il perd toute son énergie. Le chef de bord annonce que le mécano s’occupe du problème. Pendant ce temps, des voyageurs pour Rouen le quittent afin de s’installer dans un train omnibus qu’ils espèrent voir partir et arriver avant. Puis ils reviennent, ce train étant supprimé. On annonce notre départ. Il ne se fait pas. « Vous avez compris que nous vivons une situation compliquée », déclare le chef de bord.
Il revient vers nous (comme ils disent) pour nous demander de quitter le train et d’aller dans celui de la voie Vingt-Sept, ce qui nécessite de passer les barrières à Pécresse. A peine installés dans ce nouveau train, on nous annonce qu’il ne partira pas, qu’il faut en descendre. Pendant ce temps, la voix de la Senefece lance des appels désespérés en direction de responsables appelés à se rendre je ne sais où « de toute urgence ».
C’est un beau merdier. On apprend que des contrôleurs, suite à plusieurs agressions, ont fait usage de leur droit de retrait ou « dépôt de sac » (comme ils disent). Finalement, le train de la voie Vingt-Sept est affiché partant. L’équivalent du contenu de deux trains s’y engouffre. Je fais partie des privilégiés qui vont voyager assis.
Le chef de bord nous a suivis d’un train à l’autre, « Je m’appelle Alexandre et j’ai la joie de voyager avec vous ». Il déplore « une désorganisation totale au niveau de la circulation des trains ». « Ce ne sont pas des conditions acceptables », conclut-il.
Etre dans un train annoncé partant ne signifie pas qu’il parte aussitôt. Les ordres et les contrordres se succèdent. « Mesdames et messieurs, je ne sais plus quoi vous dire », se désespère Alexandre.
Lorsqu’enfin nous quittons la gare, c’est avec une heure de retard. Heureusement, j’avais avec moi le Journal de Gouverneur Morris.
A midi moins le quart, le bruit du marteau-piqueur des travaux de la rue du Faubourg Saint-Antoine ayant cessé, je trouve place au Péhemmu chinois pour déjeuner de mon plat habituel. Près de moi sont deux employés de l’atelier de couture qui mangent toujours ensemble, le quinquagénaire chinois et la vingtenaire brune. Elle lui raconte qu’elle vient d’hériter de son oncle avec le frère de celui-ci et que si lui a été taxé à quarante-cinq pour cent, elle, l’a été à soixante pour cent. « J’en ai pleuré chez le notaire », lui dit-elle. « Bah alors, mon p’tit chou, lui a-t-il dit, faut signer là ». Elle est furieuse car dans les caisses de l’Etat, « y a déjà beaucoup beaucoup beaucoup ». Il ne lui vient pas à l’esprit que feu son oncle aurait pu tout dépenser avant de mourir.
Sitôt payé, je vais au milieu des travaux jusqu’à la Bastille et m’installe à la terrasse du Week-End, autre Péhemmu chinois, où je suis bientôt rejoint par celle qui travaille à côté. Cette fois, je peux lui donner les deux tomes des Misérables achetés pour elle au Quai des Livres rouennais, sans punaises de lit j’espère. Nous avons beaucoup à nous dire mais pas assez de temps, requise qu’elle est par le labeur.
Lorsque nous nous séparons, je rejoins le second Book-Off. Je m’y sens moins bien qu’au premier depuis l’omniprésence d’un employé à l’accent du Sud. Son incessant verbiage m’épuise. Il était discret à ses débuts dans la boutique. Peu à peu, il a pris le pouvoir sur l’équipe. J’achète très peu.
A Saint-Lazare, je monte à l’avance dans le seize heures quarante-huit déjà là au quai Dix-Neuf. Il n’est pas complet lorsqu’approche le moment de son départ mais alors il perd toute son énergie. Le chef de bord annonce que le mécano s’occupe du problème. Pendant ce temps, des voyageurs pour Rouen le quittent afin de s’installer dans un train omnibus qu’ils espèrent voir partir et arriver avant. Puis ils reviennent, ce train étant supprimé. On annonce notre départ. Il ne se fait pas. « Vous avez compris que nous vivons une situation compliquée », déclare le chef de bord.
Il revient vers nous (comme ils disent) pour nous demander de quitter le train et d’aller dans celui de la voie Vingt-Sept, ce qui nécessite de passer les barrières à Pécresse. A peine installés dans ce nouveau train, on nous annonce qu’il ne partira pas, qu’il faut en descendre. Pendant ce temps, la voix de la Senefece lance des appels désespérés en direction de responsables appelés à se rendre je ne sais où « de toute urgence ».
C’est un beau merdier. On apprend que des contrôleurs, suite à plusieurs agressions, ont fait usage de leur droit de retrait ou « dépôt de sac » (comme ils disent). Finalement, le train de la voie Vingt-Sept est affiché partant. L’équivalent du contenu de deux trains s’y engouffre. Je fais partie des privilégiés qui vont voyager assis.
Le chef de bord nous a suivis d’un train à l’autre, « Je m’appelle Alexandre et j’ai la joie de voyager avec vous ». Il déplore « une désorganisation totale au niveau de la circulation des trains ». « Ce ne sont pas des conditions acceptables », conclut-il.
Etre dans un train annoncé partant ne signifie pas qu’il parte aussitôt. Les ordres et les contrordres se succèdent. « Mesdames et messieurs, je ne sais plus quoi vous dire », se désespère Alexandre.
Lorsqu’enfin nous quittons la gare, c’est avec une heure de retard. Heureusement, j’avais avec moi le Journal de Gouverneur Morris.
17 octobre 2019
Epuisé par mon retour de Collioure, c’est à dix-huit heures que je me mets au lit lundi soir. Une nuit de douze heures me remet sur pied. Je reprends contact avec Rouen, retrouvant ses rues piétonnières encombrées de véhicules à moteur et ses dépôts d’ordures sauvages, dont l’un sous mes fenêtres, composé d’une couette et de cartes à jouer.
Il fait suffisamment doux pour que l’après-midi je puisse prendre au Café de la Gare, un café verre d’eau de trottoir, avec un peu de soleil entre deux nuages, J’y lis Lettres de guerre d’Heinrich Böll, tout en observant l’arrivée de fourgons de la Police devant la Direction Régionale de la Poste (il y a grève de cheminots).
Le soir venu, je rejoins la Chapelle Corneille. Un aimable spectateur indisponible m’a une nouvelle fois offert sa place. Au programme : trois des Concertos Brandebourgeois de Jean-Sébastien Bach par Kenneth Weiss et des musicien(ne)s de l’Orchestre de l’Opéra.
La salle est quasiment pleine mais par chance la place de premier rang devant la mienne reste libre. Bien que sur le côté, j’ai très bonne vue sur les musicien(ne)s.
C’est d’abord le quatrième puis le cinquième, qui fait la part belle au clavecin avec un solo aux accents contemporains, et enfin le deuxième dans lequel hautbois et trompette piccolo se font remarquer, chacun de ces concertos donnant l’occasion à chaque musicien(ne) de montrer son savoir-faire. Je passe un bon moment et ne suis pas le seul comme le montre l’ampleur des applaudissements. En remerciement nous est bissé le dernier mouvement du dernier joué.
Comment a-t-on pu avoir l’idée de faire de cette église une salle de spectacle ? C’est la question que je me pose en observant la difficulté qu’a le public à en sortir. Que se passerait-il en cas d’incendie ou autre évènement grave pendant un spectacle ? Je suppose que les autorités pensent que ça n’arrivera jamais.
*
Et comme toujours la question de ces hommes amenés là par leur femme :
-Et ça dure ?
-Une heure.
Soupir de soulagement.
Il fait suffisamment doux pour que l’après-midi je puisse prendre au Café de la Gare, un café verre d’eau de trottoir, avec un peu de soleil entre deux nuages, J’y lis Lettres de guerre d’Heinrich Böll, tout en observant l’arrivée de fourgons de la Police devant la Direction Régionale de la Poste (il y a grève de cheminots).
Le soir venu, je rejoins la Chapelle Corneille. Un aimable spectateur indisponible m’a une nouvelle fois offert sa place. Au programme : trois des Concertos Brandebourgeois de Jean-Sébastien Bach par Kenneth Weiss et des musicien(ne)s de l’Orchestre de l’Opéra.
La salle est quasiment pleine mais par chance la place de premier rang devant la mienne reste libre. Bien que sur le côté, j’ai très bonne vue sur les musicien(ne)s.
C’est d’abord le quatrième puis le cinquième, qui fait la part belle au clavecin avec un solo aux accents contemporains, et enfin le deuxième dans lequel hautbois et trompette piccolo se font remarquer, chacun de ces concertos donnant l’occasion à chaque musicien(ne) de montrer son savoir-faire. Je passe un bon moment et ne suis pas le seul comme le montre l’ampleur des applaudissements. En remerciement nous est bissé le dernier mouvement du dernier joué.
Comment a-t-on pu avoir l’idée de faire de cette église une salle de spectacle ? C’est la question que je me pose en observant la difficulté qu’a le public à en sortir. Que se passerait-il en cas d’incendie ou autre évènement grave pendant un spectacle ? Je suppose que les autorités pensent que ça n’arrivera jamais.
*
Et comme toujours la question de ces hommes amenés là par leur femme :
-Et ça dure ?
-Une heure.
Soupir de soulagement.
15 octobre 2019
Le Cerbère Paris est l’un des rares trains de nuit qui circule encore en France, notamment le dimanche. Grâce à lui, j’ai gagné une journée à Collioure. Après avoir laissé les clés de mon studio sur la table, je l’attends en compagnie de trois autres sur le quai d’une gare fermée. J’ai l’expérience de cette forme de voyage, l’ayant utilisée pour aller à Venise avec mes amoureuses. Cependant, quand j’y grimpe à dix-neuf heures trente et une, et que je redécouvre le long couloir en forme de coursive bordé des cabines de six couchettes superposées à l’allure de cellules, je me dis que ce n’était sans doute pas une bonne idée de vouloir renouveler l’expérience. Je dispose d’une des deux couchettes du bas. M’effleure l’espoir que je n’aurai pas de compagnons de voyage, vite déçu par le contrôleur à qui je pose la question. « Le reste de la cabine montera à Toulouse », me dit-il après consultation de son écran.
J’ouvre la pochette-cadeau de la Senecefe : une petite bouteille d’eau, des bouchons d’oreille, un mouchoir en papier et une lingette, puis je fais mon lit et, comme il n’y a pas moyen de faire autre chose, je me couche. A Perpignan, le train s’emplit davantage. Parmi les nouveaux voyageurs : trois jeunes étrangers vite repérés par le contrôleur qui leur enjoint de quitter la cabine qu’ils veulent squatter et d’aller s’asseoir dans la première voiture qui est à sièges inclinables. « Je vous ferai des billets quand on sera à Toulouse », leur dit-il. Je pense qu’à l’arrivée dans la ville rose, des hommes à l’uniforme différent s’occuperont d’eux.
Je dors un peu avant l’arrivée dans cette ville. Ma porte s’ouvre énergiquement et entrent deux jeunes couples voyageant ensemble qui n’envisageaient pas qu’il puisse y avoir déjà quelqu'un dans leur chambre. Cette arrivée brutale est le seul reproche que je puisse leur faire. Une fois installés, ils ne font pas le moindre bruit et s’endorment rapidement.
Je ne peux pas dire que je ne dors pas mais je ne peux pas dire que je dors. Ce qui me gêne le plus, ce n’est pas la présence d’autrui, ni le peu de confort, c’est l’obscurité totale. Que ce soit chez moi ou en villégiature, la nuit je ne tire pas les rideaux d’au moins une fenêtre. Surtout quand le train est arrêté longuement, je me sens dans un caveau. Je n’attends qu’une chose : en sortir.
Vers quatre heures et demie, debout dans le couloir, je vois passer un contrôleur qui me dit qu’il n’y a aucune place de libre chez les inclinables. Il ne peut m’ouvrir une cabine vide, il n’y en a pas. Je retourne m’allonger dans le noir. Quand je remets le nez dans le couloir, nous passons la gare de Brétigny. Cela devient bon. Je regarde la pleine lune jusqu’à la gare d’Austerlitz où nous arrivons à l’heure prévue : six heures cinquante-deux. Je suis l’un des premiers à quitter la prison roulante, alors que d’autres, dont les deux jeunes couples, ne sont pas encore levés.
Cette gare que je ne connais pas est en travaux. Je suis les tireurs de valises. Ils m’emmènent au métro. Par les lignes Dix puis Douze, je rejoins Saint-Lazare. N’ayant pas pris de billet à l’avance par crainte d’un retard du train de nuit, je paie plus de quinze euros pour le Paris Rouen de sept heures cinquante dans lequel je monte aussitôt.
Ce train matinal est fréquenté par de jeunes Parisien(ne)s qui étudient en Normandie. Leurs valises montrent qu’elles et eux y passent la semaine. L’une lit Le Canard Enchaîné et je me dis qu’il est rare de voir des moins de cinquante ans avec ce journal, peut-être sont-ce ses parents que le lui ont passé.
A l’arrivée, un gros nuage noir bouche l’horizon. Une averse vient de tomber. Je tire ma valise et porte ma fatigue sur le parvis mouillé. Rouen est toujours jumelée avec Lubrizol mais cette dernière ne parfume plus la ville.
*
Le Cerbère Paris de nuit avait été supprimé. La région Occitanie l’a remis sur les rails au moins jusqu’en deux mille vingt. Il est très fréquenté mais ce n’est pas une raison pour le conserver. Ses voyageurs prendraient un train de jour plus rentable pour la Senecefe.
J’ouvre la pochette-cadeau de la Senecefe : une petite bouteille d’eau, des bouchons d’oreille, un mouchoir en papier et une lingette, puis je fais mon lit et, comme il n’y a pas moyen de faire autre chose, je me couche. A Perpignan, le train s’emplit davantage. Parmi les nouveaux voyageurs : trois jeunes étrangers vite repérés par le contrôleur qui leur enjoint de quitter la cabine qu’ils veulent squatter et d’aller s’asseoir dans la première voiture qui est à sièges inclinables. « Je vous ferai des billets quand on sera à Toulouse », leur dit-il. Je pense qu’à l’arrivée dans la ville rose, des hommes à l’uniforme différent s’occuperont d’eux.
Je dors un peu avant l’arrivée dans cette ville. Ma porte s’ouvre énergiquement et entrent deux jeunes couples voyageant ensemble qui n’envisageaient pas qu’il puisse y avoir déjà quelqu'un dans leur chambre. Cette arrivée brutale est le seul reproche que je puisse leur faire. Une fois installés, ils ne font pas le moindre bruit et s’endorment rapidement.
Je ne peux pas dire que je ne dors pas mais je ne peux pas dire que je dors. Ce qui me gêne le plus, ce n’est pas la présence d’autrui, ni le peu de confort, c’est l’obscurité totale. Que ce soit chez moi ou en villégiature, la nuit je ne tire pas les rideaux d’au moins une fenêtre. Surtout quand le train est arrêté longuement, je me sens dans un caveau. Je n’attends qu’une chose : en sortir.
Vers quatre heures et demie, debout dans le couloir, je vois passer un contrôleur qui me dit qu’il n’y a aucune place de libre chez les inclinables. Il ne peut m’ouvrir une cabine vide, il n’y en a pas. Je retourne m’allonger dans le noir. Quand je remets le nez dans le couloir, nous passons la gare de Brétigny. Cela devient bon. Je regarde la pleine lune jusqu’à la gare d’Austerlitz où nous arrivons à l’heure prévue : six heures cinquante-deux. Je suis l’un des premiers à quitter la prison roulante, alors que d’autres, dont les deux jeunes couples, ne sont pas encore levés.
Cette gare que je ne connais pas est en travaux. Je suis les tireurs de valises. Ils m’emmènent au métro. Par les lignes Dix puis Douze, je rejoins Saint-Lazare. N’ayant pas pris de billet à l’avance par crainte d’un retard du train de nuit, je paie plus de quinze euros pour le Paris Rouen de sept heures cinquante dans lequel je monte aussitôt.
Ce train matinal est fréquenté par de jeunes Parisien(ne)s qui étudient en Normandie. Leurs valises montrent qu’elles et eux y passent la semaine. L’une lit Le Canard Enchaîné et je me dis qu’il est rare de voir des moins de cinquante ans avec ce journal, peut-être sont-ce ses parents que le lui ont passé.
A l’arrivée, un gros nuage noir bouche l’horizon. Une averse vient de tomber. Je tire ma valise et porte ma fatigue sur le parvis mouillé. Rouen est toujours jumelée avec Lubrizol mais cette dernière ne parfume plus la ville.
*
Le Cerbère Paris de nuit avait été supprimé. La région Occitanie l’a remis sur les rails au moins jusqu’en deux mille vingt. Il est très fréquenté mais ce n’est pas une raison pour le conserver. Ses voyageurs prendraient un train de jour plus rentable pour la Senecefe.
14 octobre 2019
Bien que je me sois levé tôt, ce dimanche, pour faire une dernière série de photos du château et l’église de Collioure sous un autre angle, je me trouve à devoir compter avec un professionnel à téléobjectif dont le sujet est un couple d’amoureux, lui plutôt bien physiquement, elle moins. Il les prend de si loin qu’ils auraient dû communiquer par micro. Dès que le soleil pointe son rayon, j’en fais une autre des maisons du front de mer et de la principale rue intérieure, sources d’inspiration des Fauves. Au passage, je m’arrête devant la maison où vécut Matisse.
Puis, plein de courage, je m’élance à nouveau vers les hauteurs, cette fois dans la direction d’Argelès-sur-Mer. Je rencontre d’abord le Fort Miradou occupé par le Centre National d’Entraînement Commando, puis suivant le sentier du littoral, je rejoins le Fort Rond et le Fort Carré, qui étaient chargés de protéger le précédent et le Château Royal.
Je pourrais ensuite descendre jusqu’à la plage de l’Ouille mais il faudrait remonter. Je préfère redescendre en ville et boire un café verre d’eau au Café Sola. Las, j’en suis chassé assez vite par un match de rugby que viennent voir des locaux et des Anglo-Saxons.
Je vais poursuivre ma lecture du Journal de Gouverneur Morris au pied du château. Le temps est moins bon. Le vent s’est levé. Des vagues grignotent la promenade dans un bruit intense. A midi, le restaurant L’Arcade m’accueille pour mon dernier repas méditerranéen. Je choisis le menu à vingt et un euros quatre-vingt-dix : assiette de Collioure (anchois et boquerones), morue façon L’Arcade et coupe catalane.
-Allez, on envoie la morue, me dit la jeune serveuse lorsque j’ai terminé l’entrée. Elle commence à se dérider, mais n’entend pas la même chose que moi.
C’est à elle que je règle.
-Ça vous a plu ? Vous vous êtes régalé ? Sûrement, vous venez tous les jours.
-Je venais tous les jours, c était la dernière fois.
-Ah, une autre année alors.
-Peut-être, j’espère.
En bord de mer, le vent a encore augmenté. Je dois renoncer à un dernier café au Petit Café. Je lis encore un peu au pied du château, à l’abri relatif des bourrasques, assistant à une nouvelle séance de photographie, un homme et une femme mariés (il y a du vent dans les voiles) par une professionnelle qui se complique la vie en ayant son chien attaché autour de la taille.
-Avec les pigeons ? suggère-t-elle.
-Ah non non non non, s’indigne la mariée.
Il est l’heure de faire mon bagage dans le studio Air Bibi où sauf une nuit j’aurai parfaitement dormi, un lieu avec peu de charme intérieur et des défauts. Je ne peux en vouloir à la logeuse car je n’avais pas lu tout le descriptif. Il était précisé que la salle d’eau était sur le palier, qu’elle ne fournissait pas les serviettes de toilette et qu’il fallait faire le ménage avant de partir, chose dont j’ai horreur.
*
Les toilettes publiques à la turque rendent perplexes les Espagnoles.
*
Un autochtone : « C’est pas parce qu’il n'y a pas de marée que la mer elle est pas méchante. »
Puis, plein de courage, je m’élance à nouveau vers les hauteurs, cette fois dans la direction d’Argelès-sur-Mer. Je rencontre d’abord le Fort Miradou occupé par le Centre National d’Entraînement Commando, puis suivant le sentier du littoral, je rejoins le Fort Rond et le Fort Carré, qui étaient chargés de protéger le précédent et le Château Royal.
Je pourrais ensuite descendre jusqu’à la plage de l’Ouille mais il faudrait remonter. Je préfère redescendre en ville et boire un café verre d’eau au Café Sola. Las, j’en suis chassé assez vite par un match de rugby que viennent voir des locaux et des Anglo-Saxons.
Je vais poursuivre ma lecture du Journal de Gouverneur Morris au pied du château. Le temps est moins bon. Le vent s’est levé. Des vagues grignotent la promenade dans un bruit intense. A midi, le restaurant L’Arcade m’accueille pour mon dernier repas méditerranéen. Je choisis le menu à vingt et un euros quatre-vingt-dix : assiette de Collioure (anchois et boquerones), morue façon L’Arcade et coupe catalane.
-Allez, on envoie la morue, me dit la jeune serveuse lorsque j’ai terminé l’entrée. Elle commence à se dérider, mais n’entend pas la même chose que moi.
C’est à elle que je règle.
-Ça vous a plu ? Vous vous êtes régalé ? Sûrement, vous venez tous les jours.
-Je venais tous les jours, c était la dernière fois.
-Ah, une autre année alors.
-Peut-être, j’espère.
En bord de mer, le vent a encore augmenté. Je dois renoncer à un dernier café au Petit Café. Je lis encore un peu au pied du château, à l’abri relatif des bourrasques, assistant à une nouvelle séance de photographie, un homme et une femme mariés (il y a du vent dans les voiles) par une professionnelle qui se complique la vie en ayant son chien attaché autour de la taille.
-Avec les pigeons ? suggère-t-elle.
-Ah non non non non, s’indigne la mariée.
Il est l’heure de faire mon bagage dans le studio Air Bibi où sauf une nuit j’aurai parfaitement dormi, un lieu avec peu de charme intérieur et des défauts. Je ne peux en vouloir à la logeuse car je n’avais pas lu tout le descriptif. Il était précisé que la salle d’eau était sur le palier, qu’elle ne fournissait pas les serviettes de toilette et qu’il fallait faire le ménage avant de partir, chose dont j’ai horreur.
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Les toilettes publiques à la turque rendent perplexes les Espagnoles.
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Un autochtone : « C’est pas parce qu’il n'y a pas de marée que la mer elle est pas méchante. »
13 octobre 2019
Après une nuit de peu de sommeil, la conséquence d’une soirée organisée dans un bar proche de mon studio de location, la musique d’abord, puis les alcoolisés répandus à l’extérieur ne se décidant pas à rentrer chez eux, je monte ce samedi matin dans l’autocar à un euro de huit heures cinq pour Argelès-sur-Mer.
Les sommets des Albères sont dans les nuages quand je descends à Port-Argelès. Je fais partiellement le tour de ce port occupé surtout par des bateaux de plaisance puis prends le sentier du littoral jusqu’à la plage du Racou d’où l’on voit bien le Fort Saint-Elme. Après avoir fait demi-tour, je longe les constructions sans âme aux rez-de-chaussée occupés essentiellement par des bars et des restaurants dont les prix ne sont pas moins élevés qu’à Collioure puis j’atteins la plage, la longue plage au passé sombre qui ce matin est déserte. L’été, mais sans doute plus tard dans la journée, s’y presse la foule. Argelès-sur-Mer accueille en juillet août cinquante mille campeurs répartis en soixante lieux (la plus grosse offre d’Europe).
Bien que j’en aie eu initialement l’intention, je ne me vois pas rester là jusqu’à l’heure du déjeuner. Il est neuf heures dix. C’est exactement l’heure d’un car de retour. En espérant qu’il soit en retard, je marche jusqu’à son arrêt. Il l’est.
A neuf heures et demie, je suis de retour à Collioure. Je prends un café à un euro soixante-dix au Café Sola, près de la place où se tient le marché le mercredi et le dimanche et d’où démarre le petit train touristique qui emmène les retraités descendus de leurs cars faire un tour dans les vignes jusqu’au Fort Saint-Elme, puis je continue ma relecture du Journal de Gouverneur Morris au soleil revenu, assis sur le muret en pierres de la promenade du château royal, pas loin du duo guitare saxophone de plastique blanc (le porteur de ce dernier jouant parfois les pieds dans l’eau).
A midi, je déjeune une nouvelle fois en terrasse au restaurant L’Arcade, du menu à dix-sept euros quatre-vingt-dix : assiette ibérique, saucisse catalane frites (ces dernières décevantes et trop nombreuses), crème catalane, avec un demi pichet de vin rouge à huit euros.
Demain dimanche, ce sera ma dernière journée à Collioure, le trajet du retour s’effectuant par train de nuit jusqu’à Paris.
*
C’est quand même pratique une mer sans marée, on la retrouve toujours là où on l’avait laissée.
Les sommets des Albères sont dans les nuages quand je descends à Port-Argelès. Je fais partiellement le tour de ce port occupé surtout par des bateaux de plaisance puis prends le sentier du littoral jusqu’à la plage du Racou d’où l’on voit bien le Fort Saint-Elme. Après avoir fait demi-tour, je longe les constructions sans âme aux rez-de-chaussée occupés essentiellement par des bars et des restaurants dont les prix ne sont pas moins élevés qu’à Collioure puis j’atteins la plage, la longue plage au passé sombre qui ce matin est déserte. L’été, mais sans doute plus tard dans la journée, s’y presse la foule. Argelès-sur-Mer accueille en juillet août cinquante mille campeurs répartis en soixante lieux (la plus grosse offre d’Europe).
Bien que j’en aie eu initialement l’intention, je ne me vois pas rester là jusqu’à l’heure du déjeuner. Il est neuf heures dix. C’est exactement l’heure d’un car de retour. En espérant qu’il soit en retard, je marche jusqu’à son arrêt. Il l’est.
A neuf heures et demie, je suis de retour à Collioure. Je prends un café à un euro soixante-dix au Café Sola, près de la place où se tient le marché le mercredi et le dimanche et d’où démarre le petit train touristique qui emmène les retraités descendus de leurs cars faire un tour dans les vignes jusqu’au Fort Saint-Elme, puis je continue ma relecture du Journal de Gouverneur Morris au soleil revenu, assis sur le muret en pierres de la promenade du château royal, pas loin du duo guitare saxophone de plastique blanc (le porteur de ce dernier jouant parfois les pieds dans l’eau).
A midi, je déjeune une nouvelle fois en terrasse au restaurant L’Arcade, du menu à dix-sept euros quatre-vingt-dix : assiette ibérique, saucisse catalane frites (ces dernières décevantes et trop nombreuses), crème catalane, avec un demi pichet de vin rouge à huit euros.
Demain dimanche, ce sera ma dernière journée à Collioure, le trajet du retour s’effectuant par train de nuit jusqu’à Paris.
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C’est quand même pratique une mer sans marée, on la retrouve toujours là où on l’avait laissée.
12 octobre 2019
Ce vendredi, je retourne à Port-Vendres avec l’autocar à un euro de huit heures vingt. J’ai dans l’idée de marcher sur le sentier littoral jusqu’au cap Béar. Pour ce faire, je contourne l’immense zone de stockage de conteneurs du Port Fruitier International puis trouve les marques jaunes qui indiquent par où passer et suis enfin en bordure de mer. J’aperçois mon but. Il me semble loin mais accessible. Jusqu’à ce que, après un restaurant abandonné, le chemin se mette sérieusement à monter, bien trop pour moi. Aussi, comme je suis au niveau du phare de la Jetée, j’avance jusqu’à lui sur la digue où des pêcheurs pratiquent leur loisir près des panneaux l’interdisant. Une randonnée pyrénéenne qui se transforme en promenade au phare, c’est déjà pas mal. Certains, dans un livre, n’en ont pas fait autant.
De retour dans le port de pêche et de plaisance, je m’assois à la terrasse du restaurant Le Quai. Miraculeusement, le café n’y est qu’à un euro trente, mais le serveur au bout d’un quart d’heure me demande si je veux autre chose. Eh bien non, j’écris mes cartes postales.
Autrefois, j’en envoyais une dizaine. Depuis quelques années leur nombre est descendu à quatre, pour destinataires : mon frère, ma sœur et mes anciennes amoureuses. J’aurais pu en ajouter une cinquième pour l’ami de Stockholm qui m’en envoie de ses voyages, mais je n’ai pas son adresse avec moi.
Cela fait, je vais les affranchir à l’automate de la Poste pendant que la guichetière embobine une autochtone avec un nouveau service : la protection juridique. « Vous payez sept euros par mois et quand vous aurez un litige, d’héritage, de voisinage, etc. nos conseillers vous aideront gratuitement ». L’usagère n’est pas loin de se laisser avoir. Un réflexe de prudence la sauve. « Je vais réfléchir », dit-elle à la postière nouveau style.
Pour déjeuner, j’hésite entre plusieurs établissements voisins et choisis Le Chalut pour ses tables au soleil. Le menu est à seize euros : trio de marinade (anchois sardine hareng), cabillaud à la catalane, tarte aux figues maison, et le demi de vin blanc à six euros et quatre-vingts centimes. Ce restaurant est surtout fréquenté par des personnes qui veulent manger à l’intérieur ou à l’ombre. Un couple de quinquagénaires poussant un énorme fauteuil roulant, dans lequel se trouve une octogénaire en chaussons, s’installe pas loin de moi faute de pouvoir glisser l’engin ailleurs.
« Ces maisons de retraite, quel bizness de merde, fulmine la femme, deux mille trois cents euros pour te retrouver au bout de deux mois dans un fauteuil. Moi j’aimerais mieux crever avant. Tu t’es laissé aller, t’as pas fait ta gymnastique et maintenant tu peux plus marcher. Nous, on veut rien. Tout ce qui est dans la maison, c’est pour toi, c’est pour payer l’enterrement. Alors la prochaine fois, il faudra que tu nous signes un papier. »
La serveuse apporte le monaco que fils et belle-fille ont commandé pour elle. « C’est une sacrée fête aujourd’hui », dit-elle.
*
Je rentre à Collioure par le car de quatorze heures et me livre à mon activité habituelle en bord de plage pendant que sous mes yeux d’autres bronzent ou nagent. C’est une fin d’été sur le « pourtour méditerranéen » (comme disent les météorologistes).
*
Le pigeon parisien se jette sur les miettes à grands coups d’ailes et se fait chasser à coups de pied. Le pigeon catalan marche sous les tables sans se faire remarquer.
*
Les dépressifs du bord de mer, quand ils se croisent pendant leur errance journalière :
-Ça va ?
-Oui super, et toi ?
-Ça va.
De retour dans le port de pêche et de plaisance, je m’assois à la terrasse du restaurant Le Quai. Miraculeusement, le café n’y est qu’à un euro trente, mais le serveur au bout d’un quart d’heure me demande si je veux autre chose. Eh bien non, j’écris mes cartes postales.
Autrefois, j’en envoyais une dizaine. Depuis quelques années leur nombre est descendu à quatre, pour destinataires : mon frère, ma sœur et mes anciennes amoureuses. J’aurais pu en ajouter une cinquième pour l’ami de Stockholm qui m’en envoie de ses voyages, mais je n’ai pas son adresse avec moi.
Cela fait, je vais les affranchir à l’automate de la Poste pendant que la guichetière embobine une autochtone avec un nouveau service : la protection juridique. « Vous payez sept euros par mois et quand vous aurez un litige, d’héritage, de voisinage, etc. nos conseillers vous aideront gratuitement ». L’usagère n’est pas loin de se laisser avoir. Un réflexe de prudence la sauve. « Je vais réfléchir », dit-elle à la postière nouveau style.
Pour déjeuner, j’hésite entre plusieurs établissements voisins et choisis Le Chalut pour ses tables au soleil. Le menu est à seize euros : trio de marinade (anchois sardine hareng), cabillaud à la catalane, tarte aux figues maison, et le demi de vin blanc à six euros et quatre-vingts centimes. Ce restaurant est surtout fréquenté par des personnes qui veulent manger à l’intérieur ou à l’ombre. Un couple de quinquagénaires poussant un énorme fauteuil roulant, dans lequel se trouve une octogénaire en chaussons, s’installe pas loin de moi faute de pouvoir glisser l’engin ailleurs.
« Ces maisons de retraite, quel bizness de merde, fulmine la femme, deux mille trois cents euros pour te retrouver au bout de deux mois dans un fauteuil. Moi j’aimerais mieux crever avant. Tu t’es laissé aller, t’as pas fait ta gymnastique et maintenant tu peux plus marcher. Nous, on veut rien. Tout ce qui est dans la maison, c’est pour toi, c’est pour payer l’enterrement. Alors la prochaine fois, il faudra que tu nous signes un papier. »
La serveuse apporte le monaco que fils et belle-fille ont commandé pour elle. « C’est une sacrée fête aujourd’hui », dit-elle.
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Je rentre à Collioure par le car de quatorze heures et me livre à mon activité habituelle en bord de plage pendant que sous mes yeux d’autres bronzent ou nagent. C’est une fin d’été sur le « pourtour méditerranéen » (comme disent les météorologistes).
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Le pigeon parisien se jette sur les miettes à grands coups d’ailes et se fait chasser à coups de pied. Le pigeon catalan marche sous les tables sans se faire remarquer.
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Les dépressifs du bord de mer, quand ils se croisent pendant leur errance journalière :
-Ça va ?
-Oui super, et toi ?
-Ça va.
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