Le Journal de Michel Perdrial

Le Journal de Michel Perdrial




Loïc Boyer
Je suis l’auteur de textes courts qui furent publiés depuis mil neuf cent quatre-vingt-quinze dans des revues littéraires en France (Supérieur Inconnu, Supplément d’Ame, Nouvelle Donne, Le Bord de l’Eau, Pris de Peur, l’Art du Bref, Sol’Air, Gros Textes, Salmigondis, Verso, Décharge, Bulle, Filigranes, Diérèse, Martobre, Comme ça et Autrement, (Cahier d’) Ecritures, La Nef des Fous), en Belgique (Traversées, Ecrits Vains, L’Arbre à Plumes, Inédit Nouveau, Bleu d’Encre), au Canada (Les Saisons Littéraires) et en Italie (Les Cahiers du Ru).
Les courageuses Editions du Chardon ont publié en mil neuf cent quatre-vingt-dix-neuf Erotica, un recueil de vingt-huit de ces textes, illustré par Isabelle Pio et Antoine Lopez et préfacé par Sarane Alexandrian, toujours disponible auprès de moi.
Je suis également l’auteur d’une pièce de théâtre et de plusieurs romans ou récits à ce jour inédits.
Depuis le onze novembre deux mille six, je publie mon Journal via Internet, un temps sous-titré Persiflages, moquages et autres énervages mâtinés de complimentages et de contentages. Sa première partie est lisible chez Eklablog, la deuxième ici.
Je vis au centre de Rouen dans un ancien monastère où autrefois les Sœurs de la Miséricorde se vouaient à l’éducation des jeunes filles.







Rss

3 décembre 2019


« L’année dernière, y avait les Gilets Jaunes, cette année avec les grèves, tout ça, ça risque de recommencer, moi j’aime pas les fêtes de Noël, alors ça me dérange pas, quand j’étais jeune oui. », explique en son jargon une cliente du Café de la Ville. Elle n’est pas la seule à être tourmentée par la perspective du cinq décembre et de sa grève en forme de mur (comme disent les journalistes).
« C’est pour les Parisiens que ça va être le plus dur », énonce un qui sera jeudi comme tous les jours un casque sur les oreilles en terrasse, dispensé qu’il est de travail pour faiblesse générale. Un autre, au cerveau ramolli, en a après le « ramassis de gauchisses ». « Tout ça, ça va finir par une guerre civile, commente un agent immobilier, j’ai toujours pensé que Macron ne finirait pas son mandat. »
Si j’étais encore en activité, sûr que je serais en grève le cinq, et les jours suivants si ça se poursuit. Comme je l’ai été pendant plusieurs semaines en quatre-vingt-quinze. Cette réforme des retraites est une catastrophe pour les enseignants. Leur pension ne sera plus calculée sur les six derniers mois d’activité. Ils vont perdre plusieurs centaines d’euros chaque mois. D’aucuns au gouvernement disent qu’ils vont être préventivement augmentés en conséquence. Mille euros mensuels de plus pour chaque enseignant, ai-je entendu. Je suis curieux de savoir où on trouverait l’argent.
                                                                 *
Certes, c’est triste que treize militaires soient morts dans un accident au Mali, mais de là à ce que le patron du Café de la Ville s’installe devant la télé pour suivre la cérémonie des Invalides en mettant le son aussi fort que s’il était dans son salon.
« Passe-moi la calculette et un crayon », ordonne-t-il à un serveur. Il fait ses comptes en même temps. « C’est important pour la cohésion de la Nation »,  dit la télévision.
                                                                  *
Tout bien senti, je préfère l’odeur d’hydrocarbure de Lubrizol à l’odeur de vin chaud du Marché de Noël.
 

2 décembre 2019


Plus qu’un samedi pour en avoir fini avec novembre, ce mois qui de tous m’est le plus pénible ; aucune pluie n’étant annoncée, je décide d’aller le passer à Dieppe.
Le neuf heures douze m’y emmène, feuilles rousses, gelée blanche, il patine un peu dans la semoule. A l’arrivée le temps en bon, le ciel est bleu, comme le chantait Isabelle Pierre en mil neuf cent soixante et onze, une chansonnette qui dans sa version modernisée fait partie de la plaie liste de grève contre la réduction du personnel de France Culture. Je commence à la savoir par cœur. Quant à avoir deux amies qui seraient aussi mes amoureuses…
Je me chauffe au soleil à travers les vitres dans un fauteuil profond du Tout Va Bien. J'y commence la lecture de Shakespeare n’a jamais fait ça de Charles Bukoswki, ouvrage agrémenté de quatre-vingts photos de Michael Montfort. L’écrivain y narre son voyage de mil neuf cent soixante-dix-huit en France et en Allemagne.
Mon voisinage est local et typique des jours de marché. Des dames se parlent de table à table pendant que leurs maris sont captivés par Les Informations Dieppoises : « Mon bichon frisé, je l’ai payé cinq cents euros » « Ça doit mieux se vendre en ce moment, les gens pour Noël, y prennent un chien. ». Elles se quittent sur un : « C’est du beau soleil, on est mieux qu’avec la pluie ».
Celui-ci ne dure pas. Le ciel est gris quand j’entre à midi au restaurant L’Espérance rendu triste par sa plus qu’usée décoration de Noël. Je commets l’erreur de choisir la galette au bœuf qui n’est autre qu’une crêpe aux fines lamelles de viande desséchée. La clientèle est habituelle. « Bonjour monsieur », me dit la moitié mâle du couple qui s’installe à ma gauche. Je fais semblant de ne pas entendre.
Je ressors déçu, fais le tour du port, longe la plage où quelques stoïques sont assis puis vais me réfugier au Brazza, passant la première moitié de l’après-midi en bonne compagnie, celle d’un alcoolique qui a hâte de retourner chez lui, à Los Angeles. Quand l’ayant terminé, je referme mon livre, il est temps de retourner à la gare.
Une évidence en arrivant à Rouen : plus personne n’a peur de Lubrizol, même pas les Cauchois et les Eurois. Ils sont là par dizaines de milliers, errant dans le plus grand centre commerçant de Normandie, une lueur d’avidité dans le regard. Il en est même pour faire la queue (comme disent certains) dans la rue devant l’entrée de Paul Marius.
                                                               *
Dieppe n’investit guère dans Noël, un peu de décorations dans les rues, un sapin métallique en forme de cône au milieu d’un rond-point, dans lequel il y a quelques jours une voiture s’est encastrée, le conducteur alcoolisé prenant la fuite.
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Une Dieppoise à sa voisine de café : « Vous avez un accent, vous êtes d’où ? » « Du Loiret ». L’accent local de la curieuse n’est pas moins remarquable.
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Hache et Aime s’est alarmé pour rien, la manifestation rouennaise pour le climat n’a attiré qu’une soixantaine de participant(e)s, bien trop peu pour que s’y nichent les membres locaux de l’Armée Noire.
 

30 novembre 2019


J’ignore jusqu’au nom de Dorothy Iannone quand je découvre qu’une exposition lui est consacrée au Centre Pompidou où je m’abrite de la pluie en ce début de mercredi après-midi. A son entrée, un panneau met en garde contre la présence d’œuvres sexuellement explicites pouvant heurter la sensibilité de certains visiteurs notamment des plus jeunes, ce qui est plutôt bon signe. Dorothy Iannone, toujours de l’audace ! tel est son titre.
On peut voir ici un ensemble d’œuvres datant de mil neuf cent soixante-trois à nos jours, notamment les soixante-neuf dessins retraçant The Story of Bern et l’imposant retable intitulé Follow Me.
« Influencés par l’expressionnisme abstrait, ses débuts artistiques manifestent une grande maîtrise plastique, mais c’est en s’écartant de l’abstraction qu’elle ouvre sa voie personnelle, liquidant la matière picturale au profit du récit et de son expression graphique. Textes, figures et ornementation exubérante se bousculent jusqu’à la saturation. », commente le Centre Pompidou. Le résultat est à mon goût.
A mon retour à Rouen je m’informe sur cette plasticienne née à Boston en mil neuf cent trente-trois et vivant à Berlin. Son premier coup d’éclat fut d’engager, en mil neuf cent soixante, un procès contre le gouvernement américain qui interdisait encore le roman d’Henry Miller Tropique du Cancer, paru en France en mil neuf cent trente-quatre, dont elle s’était fait confisquer un exemplaire par la douane de New York. Elle le gagna, contribuant ainsi à la légalisation et à l'importation de l'œuvre de l'écrivain.
Depuis mil neuf cent soixante-six, Dorothy Iannone montre systématiquement les organes génitaux de ses personnages, qu’ils soient nus ou habillés. Ainsi fit-elle pour le Président Johnson et Robert et Jackie Kennedy, en pleine guerre du Viêt Nam, dans sa série de figurines intitulée People.
En mil neuf cent soixante-sept, son exposition personnelle à Stuttgart fut intégralement confisquée par la Police qui réunit un tribunal de critiques et d’historiens d’art. Ces derniers nièrent le caractère pornographique de ses œuvres en se référant à divers exemples artistiques extra-européens, notamment d’Inde où Dorothy Iannone avait fait plusieurs voyages.
Deux ans plus tard, invitée à participer à une exposition de groupe à la Kunsthalle de Berne en mil neuf cent soixante-neuf, elle sera confrontée aux mêmes problèmes, cette fois à cause des autres participants et du maître des lieux, Harald Szeemann, qui lui demandèrent de couvrir ces sexes omniprésents dont la vue les incommodait, ce que raconte The Story of Bern.
Le travail de Dorothy Iannone est autobiographique, sa rencontre avec le peintre Dether Roth, à la fois muse et amant, constitue le point fort de sa vie personnelle et un motif inlassablement repris dans son œuvre au style saturé, touffu, parfois naïf, mais aussi mystique et érotique, explique à peu près en ces termes le commissaire de l’audacieuse exposition du Centre Pompidou.
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Foule en ville, ce vendredi après-midi, la faute à la pitoyable opération commerciale Black Friday. Pendant que les chalands cherchent quoi acheter en ayant l’impression de faire des économies, des jeunes gens s’affairent à occulter avec des panneaux de bois toutes les vitrines de Hache et Aime, près duquel se tient le Marché de Noël, Je m’adresse à l’un, lui demandant pourquoi.
-Apparemment, il va y avoir une manifestation demain, me dit-il.
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« Black Friday, cinquante pour cent de remise sur Le Postillon de Longjumeau », message de l’Opéra de Rouen qui n’était jamais tombé aussi bas.
 

29 novembre 2019


Globalement, j’ai de la chance le mercredi à Paris, il fait souvent beau ou du moins pas mauvais. Cette fois, pour le dernier de novembre deux mille dix-neuf, la météo est catégorique, je ne couperai pas à la pluie.
Je suis déjà bien content d’y échapper sur le trajet entre mon logement et la gare de Rouen. Pendant que le sept heures cinquante-neuf se traîne jusqu’à la capitale, je termine la lecture de Rappelle-toi Barbara de Sophie Delassein (Dix/Dix-Huit).
Il ne pleut pas encore lorsque je sors de terre au milieu des travaux à Ledru-Rollin. Après un café vite bu au Faubourg, je suis le premier à entrer chez Book-Off. Parmi les livres à un euro, j’en débusque à mettre dans mon panier aux rayons Chanson : Trenet illustré par Dupuy-Berberian et Nougaro illustré par Ricardo Mosner (les deux chez Albin Michel), Art : Le Perche « A l’aube du troisième millénaire » de Vincent Malone (leroidelaprod), Cinéma : Hollywood Babylone de Kenneth Anger (Tristram) et Littérature : Shakespeare n’a jamais fait ça de Charles Bukowski (13e Note Editions) ainsi que Gisella de Jean-Pierre Verheggem (Anatolia/ Editions du Rocher).
Lorsque j’en sors, l’averse sévit. Je trouve abri sous l’auvent du Faubourg le temps de réfléchir à la suite, avec pour spectacle les pratiquant(e)s de la salle de gymnastique située au-dessus du Ma Queue Donald (comme dirait Brigitte Fontaine). A ma gauche, un jeune homme dont le dynamisme ne fait aucun doute s’entretient au téléphone avec un semblable. Il lui suggère de copier la signalétique de Parashop pour vendre des produits anti âge. Un panneau publicitaire vante la Haute-Marne. On y respire. Elle vous inspire. L’image est celle d’une jeune femme qui regarde la campagne par la porte-fenêtre d’une maison de vacances. Elle semble sur le point de s’ennuyer autant que moi lorsque j’y suis allé. Je décide de jouer la sécurité en passant une partie de l’après-midi chez Pompidou. Je rejoins donc Beaubourg en métro et entre à midi moins cinq chez New New.
Il y fait trop chaud. Les vitres embuées empêchent de voir l’extérieur. Cela n’arrange pas mon début de rhume. Les deux femmes les plus proches de moi parlent des collègues, spécialement de l’une qui a demandé sa mutation : « Elle a dû apprendre à côtoyer des gens qui gagnent deux plus qu’elle et qui ne fichent rien ». Cela vise le Rectorat de la Réunion.
Il mouille toujours autant quand je remets le pied dehors et à considérer la file d’attente du vestiaire, nombreux sont ceux qui ont Pompidou comme plan pluie. C’est en ascenseur que je monte au niveau Art Moderne. J’y vois d’abord l’exposition Dorothy Iannone, toujours de l’audace ! puis parcours les salles de la collection permanente. Depuis un certain temps, on n’y trouve aucun Balthus. Je m’en inquiète auprès d’un homme chargé du renseignement. Effectivement, me dit-il en consultant son ordinateur, ils sont en rotation c’est-à-dire en réserve. Autrefois, m’explique-t-il, les salles changeaient peu, presque pas assez, maintenant c’est le contraire, ça bouge presque trop. Nous-mêmes, on n’est pas informé des changements. J’espère que Balthus va revenir, qu’il n’est pas victime de l’air du temps.
Sorti de ce lieu, lui aussi surchauffé, j’évite la pluie en descendant sous terre à Rambuteau où je glisse dans la fente le dernier ticket de métro parisien de ma vie. J’en ressors à Quatre Septembre, un café chez Edmond, et j’entre au second Book-Off où pour un euro je deviens propriétaire de Quand nous dansions sur la table de René Nicolas Ehni (Christian Bourgois), un écrivain que je lisais dans les années Soixante-Dix lorsqu’il n’avait qu’un seul prénom.
Maintenant, si l’on veut continuer à acheter des carnets de dix tickets de métro parisien, il faut payer deux euros de plus. L’un de ces petits rectangles cartonnés met dix ans à disparaître. Ici comme ailleurs, on veut sauver la planète. Pour ce faire, Île de France mobilités met en vente des cartes « navigo easy » rechargeables à l’ancien tarif. C’est un employé revêche à longs cheveux filasse qui m’en procure une, faisant de moi un homme moderne et vertueux.
                                                                             *
Le Perche à l'aube du troisième millénaire « Un chef-d’œuvre de l'iconographie contemporaine découpé à la main par Vincent Malone dans un hebdomadaire vicinal » (Jean-Baptiste Harang dans Libération en décembre deux mille trois).
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La petite histoire de Brigitte Fontaine, entendue lors d’un de ses concerts au Théâtre Charles Dullin de Grand-Quevilly :
-Je vais arrêter la chanson pour ouvrir un restaurant, je l’appellerai Mes Couilles Mickey.
(…)
-Bah oui, y en a un qui marche drôlement bien, il s’appelle Ma Queue Donald.
 

28 novembre 2019


Cela fait un moment que j’ai relu Jours tranquilles à Clichy, notant sur mon carnet Muji quelques passages remarquables de ce livre de souvenirs écrit par Henry Miller aux Etats-Unis bien après les faits :
A mon avis, ce charme insidieux de Montmartre est largement dû aux trafics sexuels qui s’y étalent au grand jour. La sexualité, surtout lorsqu’elle est commercialisée, n’a rien de romantique ; mais elle crée une atmosphère, puissante et nostalgique, beaucoup plus exaltante et séduisante que les illuminations tapageuses de Broadway.
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D’un côté de la place Clichy se trouve le café Wepler qui fut longtemps mon repaire préféré. Je m’y suis assis, à l’intérieur ou sur la terrasse, par tous les temps. Je le connaissais comme un livre. Les visages des serveurs, des directeurs, des caissières, des putains, des habitués, même ceux des dames des lavabos sont gravés dans ma mémoire comme les illustrations d’un livre que le lirais tous les jours.
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- (…) Figure-toi que j’ai ramené une fille ici – une gosse abandonnée. Elle peut pas avoir plus de quatorze ans. Je viens de la baiser. Tu m’as entendu ? J’espère que je ne l’ai pas foutue en cloque. Elle est vierge.
-Tu veux dire qu’elle l’était ? rétorquai-je.
                                                                     *
… mais il ne s’agissait pas d’optimisme, seulement de la conviction que, même si le monde creusait fébrilement sa propre tombe, nous avions le temps de jouir de la vie, d’être joyeux, insouciants, de travailler ou de ne pas travailler.
                                                                     *
Colette, la pauvre petite sans abri, devint bientôt à la fois Cendrillon, concubine et cuisinière. Il nous fallut tout lui apprendre, y compris l’art de se brosser les dents.
                                                                    *
Le simple fait de regarder Nys manger me ravissait. Elle prenait plaisir à chaque bouchée, qu’elle choisissait avec grand soin. (…) Je regrettais même parfois de ne pas être une femme, comme elle, dont les biens terrestres se réduisaient à un con fabuleux. Quelle merveille que de faire travailler son con et d’utiliser son cerveau pour le plaisir !
                                                                    *
Je dis adieu à Colette comme à une petite orpheline que nous aurions recueillie avant de la rendre – Dieu soit loué ! – à ses chers parents. Je leur demandai s’ils avaient retrouvé sa montre. Non, mais ils comptaient sur nous pour cela. C’était un souvenir, expliquèrent-ils. (…)
-Joey, je crois que tu m’as sauvé la vie. (…) A propos, elle a quinze ans, et ce n’est pas la première fois qu’elle part de chez elle. En tout cas, il m’a assuré que j’en prendrais pour dix ans, si jamais il me traînait devant les tribunaux. Il m’a demandé si je le savais. Je lui ai répondu que oui. Il est resté sur le cul en constatant que je n’essayais même pas de me défendre. Mais ce qui l’a encore plus terrassé, c’est de découvrir que nous étions écrivains. Les Français ont un immense respect pour les écrivains, tu le sais. Un écrivain n’est jamais un criminel ordinaire. (…)
-Et la mère, qu’est-ce qu’elle a dit ?
-La mère ! Est-ce-que tu l’as bien regardée ? Non seulement elle était belle, mais elle était divine. (…) Dommage que je n’aie pas dragué la mère plutôt que la fille. A propos, ça fera une bonne fin pour mon livre, non ?
                                                                   *
Cet épisode était à peine terminé quand les Anglaises entrèrent en scène, puis l’épicière qui mourait d’envie d’apprendre l’anglais, enfin Jeanne, et entre-temps la fille du vestiaire, sans oublier une godiche de l’impasse située juste derrière le Wepler… (…)
Puis arriva la somnambule au revolver, qui nous tint sur des charbons ardents pendant quelques jours.
                                                                   *
C’est incroyable ce qu’on faire en public dans un bar français. (…) Adrienne m’entraîna vers la piste, la braguette grande ouverte, et, se collant contre moi, elle dirigea vers le centre où tout le monde était serré comme des sardines dans leur boîte. Nous pouvions à peine remuer, tant la masse des couples était compacte. Sa main replongea vers ma braguette, en sortit ma queue, qu’elle mit en batterie contre son con. C’était affolant. Pour rendre la chose encore plus affolante, l’une de ses petites amies coincée près de nous me saisit impudemment l’outil. Je ne pus me retenir davantage : je lui giclai dans la main.
                                                                   *
Enfin cet aphorisme qui donne à penser :
Le livre de comptes de l’existence ne connaît pas les avoirs gelés.
 

26 novembre 2019


En ce mois de novembre pluvieux, la première moitié de l’après-midi, je la passe au Faute de Mieux ou au Café des Chiens ou au Café de la Ville (les noms ont été changés, comme écrivent les journalistes de faits divers).
Dans mon voisinage, il est parfois question de « parc naturologique » où l’on aime se ressourcer ou d’ »écriture incursive » à laquelle on ne comprend rien. On évoque des épisodes de sa petite vie : « C’est quelqu’un que j’ai connu autrefois dans mes sorties nocturnes. J’ai eu moi aussi ma grande époque. », « C’étaient des gosses qui mettaient des pétards dans les boîtes à lettres. Moi, j’appelle ça des délinquants. », « Oui elle est de la bourgeoisie, mais aussi de la campagne quand même. », « Ah mais moi je m’amuse pas avec ta sœur, je m’amuse pas avec elle, elle a été qu’une fois chez moi. » On raconte des anecdotes, dont certaines trop belles pour être vraies : « Une fois, quand je travaillais à la Fnac, y avait un étudiant qui devait acheter Le Rouge et le Noir et il me dit : « Par contre, je vais prendre que Le Rouge parce que j’ai pas beaucoup d’argent. » On dit aussi du mal d’un qui aime les livres : « Chez lui, c’est même plus une maison, c’est une librairie » (avec un immense mépris dans la voix).
Quand la nuit s’apprête à tomber, je suis capable de rentrer chez moi.
                                                              *
Une prof, rue Saint-Romain :
-Vous voyez là-bas, c’est l’Historial Jeanne d’Arc. A votre avis, on peut y voir quoi ?
Un élève, prudent :
-Un tas de choses.
Moi-même, in petto :
Un tas de choses, peut-être, mais pas de tas de cendres.
 

25 novembre 2019


A l’occasion du quarantième anniversaire de la mort de Jacques Mesrine, abattu par la Police au volant de sa voiture à Paris place de Clignancourt, Paris Normandie se penche sur la jeunesse de celui qu’on appelait l’ennemi public numéro un.
Ses parents possédaient un manoir à Louviers, chaussée Decretot, où jeune homme il venait en visite dans les années cinquante, au début desquelles je suis né dans cette même ville, route de Pacy. La chaussée Decretot et la route de Pacy sont dans le prolongement l’une de l’autre et constituaient à cette époque la frontière entre la ville et la campagne.
Précisément, il y a un décrochement entre les deux rues, où trouvait place le maréchal-ferrant. Celui-ci s’occupait des gros chevaux qui travaillaient dans les champs. J’ai encore dans l’oreille le bruit de leurs sabots quand ils passaient devant la maison familiale pour aller se faire ferrer.
A cette époque, Jacques Mesrine était ami avec Bernard Lefebvre qui plus tard sera mon prof d’histoire géo de terminale au lycée pendant deux années consécutives, vu que j’ai commencé par rater mon bac, occupé que j’étais à dragouiller les filles au tennis-cleube et à jouer au tarot et au poker. Ce lien entre le gangster et le professeur m’est connu depuis l’année où La Dépêche de Louviers a interrogé le second (qui était devenu proviseur et adjoint dans la municipalité de gauche) à propos du premier.
Ai-je croisé le fils de bourgeois de la chaussée Decretot, je ne sais. Peut-être un été lorsque Grand-Mère Jeanne quittait sa petite maison de l’allée de la Paix à Bondy (pas encore dans le Neuf Trois) pour venir passer une semaine de vacances chez sa fille. Elle nous emmenait en promenade tous les après-midi. Certaines fois vers la chaussée Decretot, certaines fois vers Le Hamelet, certaines fois en grimpant la colline par un chemin rural jusqu’au hameau des Monts où Pierre Mendès France habitait, que nous n’avons jamais vu.
En l’absence de ses parents, Jacques Mesrine organisait des fêtes dans la belle cave voutée du manoir, auxquelles participaient Bernard Lefebvre et d’autres jeunes gens de Louviers. Puis il devint gangster.
Ce n’est pas quelqu’un pour qui j’ai de la sympathie. Je déteste la violence dans quelque domaine que ce soit, sauf s’il s’agit de se défendre.
Je suis plus indulgent pour les escrocs, ceux de haut vol, du genre François-Marie Banier ou Christophe Rocancourt. Depuis plusieurs mois, ce dernier n’habite plus au bout de ma ruelle, à l’angle de la rue Saint-Nicolas, au premier étage de la maison à la porte verte où il était assigné à résidence. Je ne l’ai jamais vu, mais j’ai souvent croisé sa jolie copine eurasienne.
D’autres malhonnêtes pour qui j’ai de l’indulgence : les Balkany. Je trouve sévère la condamnation du mari à sept ans de prison pour fraude fiscale et recel de celle-ci alors que l’Etat s’est remboursé en saisissant leurs propriétés. Dans le même temps, à Rouen, les deux frères gérants du Cuba Libre n’ont eu que trois ans pour avoir causé la mort de quatorze personnes, dont treize vingtenaires, lors de l’incendie de la cave dont ils avaient recouvert les murs et le plafond de matière inflammable et bloqué l’issue de secours.
Ce samedi après-midi, alors que j’écris ce texte au Faute de Mieux, les familles des victimes de cette fête d’anniversaire marchent sous la pluie entre la Mairie et le Cuba Libre derrière une banderole blanche où est écrit « un jugement injuste ».
                                                                     *
J’ai appris que Mesrine avait été tué, et sa compagne grièvement blessée, par la radio dans l’annexe spécialisée en fournitures scolaires de la librairie Van Moé. C’était l’année où je faisais l’instituteur au hameau des Taisnières à Lyons-la-Forêt. Je venais chercher ma commande. Je me souviens de la joie mauvaise des employés.
 

22 novembre 2019


Le sept heures cinquante-neuf est inhabituellement fréquenté ce mercredi. Une jeune femme vient s’asseoir à la place que je pensais réservée à mon sac à dos et à mon sac de livres à vendre. Elle commence par se maquiller, que de crème, que de fond de teint, puis se couche sur la tablette et s’endort. Pendant ce temps, je lis Rappelle-toi Barbara de Sophie Delassein, une biographie publiée chez Dix/Dix-Huit par Jean-Claude Zylberstein à qui j’ai vendu un livre un jour.
J’apprends que celle que l’on appelait la chanteuse de minuit à ses débuts est née rue Brochant et a habité au temps de ses premiers succès rue Michel-Ange, deux rues qui me font songer à celles qui m’ont tenu la main. La première aimait beaucoup Barbara, je l’entends encore me chanter Dis quand reviendras-tu ?
Les feux piétons sont au vert entre la gare Saint-Lazare et l’Opéra. Après un café au Bistrot d’Edmond, j’entre chez Book-Off à dix heures. Malheureusement, c’est celui qui est devenu calife qui s’occupe des achats en ce début de matinée. Il me refuse certains livres que d’autres auraient accepté, inutile de discuter. Mon effort de portage est mal récompensé : quatre euros soixante. J’en dépense un dans Confessions d’un Juif de Leonid Grossman (Phébus).
Avec le métro Huit, je vais à Ledru-Rollin d’où je rejoins le marché d’Aligre pour y constater que les livres ne sont pas de sortie. C’est pourtant un jour de soleil, dont je profite en marchant jusqu’à chez Emmaüs où je ne trouve pas merveille.
Pour une raison inconnue, les employé(e)s de l’atelier de couture sont absent(e)s au Péhemmu chinois où la gentille serveuse explique à un branlotin qu’un stèque à cheval, ce n’est pas un stèque de cheval. J’ai près de moi un vieux couple qui joue.
-T’as gagné ?
-Penses-tu !
-Bon bah t’as joué.
-Je vais en reprendre un autre.
Ici, proclame l’affichage, on a gagné cinq cents euros en deux mille treize et mille euros en deux mille dix.
Mon confit de canard terminé et le café bu, j’entre au second Book-Off et y mets dans mon panier quelques livres de poche à un euro, puis je rejoins la Bastille sous le ciel bleu. J’y attends le bus Vingt-Neuf en considérant les travaux à moitié terminés.
Tandis que nous cheminons à travers le Marais, l’une des deux septuagénaires assises devant moi remarque qu’à bord il n’y a que des retraité(e)s.
-Si t’as pas le moral, lui dit son amie qui s’étonne de tout ce qu’elle voit par la vitre (« Encore un barbier ! »), tu prends le Vingt-Neuf jusqu’au bout et puis tu reviens et ça va mieux.
Le bout, c’est la gare Saint-Lazare.
Au lieu du Corail prévu, c’est un train à sièges colorés qui me ramène à Rouen. Il y fait froid, l’odeur des toilettes se répand dans la voiture qui est parfois tellement secouée que je crains le déraillement. J’y poursuis stoïquement la lecture de la bio de Barbara.
                                                               *
Parmi les clients du Péhemmu chinois : un bicycliste aux bas de pantalon scotchés autour des chevilles. A défaut d’être esthétique, c’est pratique.
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Une jeune femme près du square Trousseau : « De toute façon, c’est toujours la merde, les soirées de Nouvel An. »
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Téléphonage de train de retour (charge mentale) : « Y a du linge sale ? »
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Les deux Book-Off recrutent pour le premier décembre, en Cédédé et en Cédéhi. Je conseille la boutique de la rue du Faubourg Saint-Antoine.
 

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