Dernières notes
Loïc Boyer
Je suis l’auteur de textes courts qui furent publiés depuis mil neuf cent quatre-vingt-quinze dans des revues littéraires en France (Supérieur Inconnu, Supplément d’Ame, Nouvelle Donne, Le Bord de l’Eau, Pris de Peur, l’Art du Bref, Sol’Air, Gros Textes, Salmigondis, Verso, Décharge, Bulle, Filigranes, Diérèse, Martobre, Comme ça et Autrement, (Cahier d’) Ecritures, La Nef des Fous), en Belgique (Traversées, Ecrits Vains, L’Arbre à Plumes, Inédit Nouveau, Bleu d’Encre), au Canada (Les Saisons Littéraires) et en Italie (Les Cahiers du Ru).
Les courageuses Editions du Chardon ont publié en mil neuf cent quatre-vingt-dix-neuf Erotica, un recueil de vingt-huit de ces textes, illustré par Isabelle Pio et Antoine Lopez et préfacé par Sarane Alexandrian, toujours disponible auprès de moi.
Je suis également l’auteur d’une pièce de théâtre et de plusieurs romans ou récits à ce jour inédits.
Depuis le onze novembre deux mille six, je publie mon Journal via Internet, un temps sous-titré Persiflages, moquages et autres énervages mâtinés de complimentages et de contentages. Sa première partie est lisible chez Eklablog, la deuxième ici.
Je vis au centre de Rouen dans un ancien monastère où autrefois les Sœurs de la Miséricorde se vouaient à l’éducation des jeunes filles.
Les courageuses Editions du Chardon ont publié en mil neuf cent quatre-vingt-dix-neuf Erotica, un recueil de vingt-huit de ces textes, illustré par Isabelle Pio et Antoine Lopez et préfacé par Sarane Alexandrian, toujours disponible auprès de moi.
Je suis également l’auteur d’une pièce de théâtre et de plusieurs romans ou récits à ce jour inédits.
Depuis le onze novembre deux mille six, je publie mon Journal via Internet, un temps sous-titré Persiflages, moquages et autres énervages mâtinés de complimentages et de contentages. Sa première partie est lisible chez Eklablog, la deuxième ici.
Je vis au centre de Rouen dans un ancien monastère où autrefois les Sœurs de la Miséricorde se vouaient à l’éducation des jeunes filles.
8 novembre 2019
Pourquoi donc, certaines semaines, la Senecefe refuse-t-elle les billets au meilleur prix pour le sept heures cinquante-neuf qui n’est jamais complet et les autorise-t-elle pour le sept heures vingt-huit dans lequel s’entassent celles et ceux qui vont travailler dans la capitale ? C’est encore le cas ce mercredi. D’où ma présence dans la bétaillère du labeur, alors que j’aurais préféré l’autre, et je ne suis sans doute pas le seul. En conséquence, certains navetteurs commencent leur journée assis dans les marches pendant une heure et quart. Pas un bruit ne se fait entendre chez les assis dans la voiture où je suis. J’y lis Air de la solitude et autres écrits de Gustave Roud (Poésie/Gallimard) dont le lyrisme paysan me laisse de marbre.
A l’arrivée, je grimpe dans un bus Vingt-Neuf qui part une minute plus tard. Cela me permet de faire le tour du marché d’Aligre avant qu’il soit dix heures. Un serveur a rejoint la nouvelle équipe du Café du Faubourg, auprès de qui je ne m’attarde pas. Chez Book-Off, le personnel se réjouit du calme et je déplore de ne trouver qu’un livre à un euro à mettre dans mon sac : Chants orphiques de Dino Campana (Allia).
Voulant rejoindre le Quartier Latin je prends par erreur un bus Soixante-Seize. De plus, il est en service partiel, ne va pas plus loin que la Bastille. Je me récupère en montant dans le Quatre-Vingt-Sept qui arrive derrière. Je découvre ainsi qu’il fait partie de ceux dont le trajet a été modifié. Finie la rue des Ecoles, il suit les quais. J’en descends à celui de Montebello. Rien n’a changé du côté de la Cathédrale éventrée.
Il est midi quand j’entre au restaurant devenu franco-chinois La Cochonnaille où l’on écoute Radio Nostalgie. Le menu à douze euros est inchangé et j’ai toujours droit à un petit pot de rillettes en attendant l’entrée. Une serveuse arrive essoufflée, problème de bus après un rendez-vous avec un professeur de médecine dans le service duquel elle doit faire un stage. On y traite les cancers gastronomiques.
-Euh, la gastronomie, c’est ici, lui dit la patronne.
-Comment on dit alors ? Il est spécialisé dans celui du pancréas.
Une arrivée de clients met fin à cette conversation, des collègues de travail dont une Colombienne végétarienne. Leurs échanges sur le mode de la plaisanterie perpétuelle ne me font pas regretter d’être seul.
Ce n’est pas la nostalgie qui me ramène boulevard Saint-Michel, même s’il est sûr que j’aimerais y croiser encore Aguigui Mouna et les Hare Krishna. J’entre au Gibert Bleu, qui lui n’a pas changé depuis la première fois où j’y mis le pied, au début des années soixante-dix. J’y trouve pour onze euros dix le Journal particulier (1936) de Paul Léautaud (Mercure de France).
C’est avec le bus Vingt-Sept qui frôle toujours la Pyramide du Louvre que je rejoins l’autre Book-Off. M’y attendaient plus de livres à un euro que je ne l’espérais, dont Irène Némirovsky, biographie de Jonathan Weiss (Le Félin), Jules, recueil des nouvelles d’Henri-Pierre Roché (L’Herne), le numéro sept des Cahiers d’études Léo Ferré consacré à Marseille (Le Petit Véhicule) et la Correspondance de Roger Caillois et Victoria Ocampo (Stock).
*
Innovation bienvenue chez Gibert Jaune à l’étage Littérature : un rayon Correspondances et Journaux Intimes, dans lequel je reviendrai fouiller.
*
Le terminus du bus Vingt-Neuf : Porte de Montempoivre. Ce qui fait rêver mais doit décevoir.
*
Conversation de commerçants en ligne à la Ville d’Argentan :
-On est sur le concept d’une boutique qui évolue en fonction du vote des internautes.
-Nous, on joue sur la rupture prochaine, plus que deux de disponibles, c’est malin.
*
Le poète vaudois Gustave Roud est mort il y a un quart de siècle, à soixante-dix-neuf ans. Sa mort n’a pas fait plus de bruit que sa vie. écrit Philippe Jaccottet en ouverture de sa préface à Air de la solitude et autres écrits. De ce poète, ceci, quand même : Je suis moi par habitude, comme une salle d’auberge vide qui se souvient de ses hôtes absents, comme un carrefour abandonné.
A l’arrivée, je grimpe dans un bus Vingt-Neuf qui part une minute plus tard. Cela me permet de faire le tour du marché d’Aligre avant qu’il soit dix heures. Un serveur a rejoint la nouvelle équipe du Café du Faubourg, auprès de qui je ne m’attarde pas. Chez Book-Off, le personnel se réjouit du calme et je déplore de ne trouver qu’un livre à un euro à mettre dans mon sac : Chants orphiques de Dino Campana (Allia).
Voulant rejoindre le Quartier Latin je prends par erreur un bus Soixante-Seize. De plus, il est en service partiel, ne va pas plus loin que la Bastille. Je me récupère en montant dans le Quatre-Vingt-Sept qui arrive derrière. Je découvre ainsi qu’il fait partie de ceux dont le trajet a été modifié. Finie la rue des Ecoles, il suit les quais. J’en descends à celui de Montebello. Rien n’a changé du côté de la Cathédrale éventrée.
Il est midi quand j’entre au restaurant devenu franco-chinois La Cochonnaille où l’on écoute Radio Nostalgie. Le menu à douze euros est inchangé et j’ai toujours droit à un petit pot de rillettes en attendant l’entrée. Une serveuse arrive essoufflée, problème de bus après un rendez-vous avec un professeur de médecine dans le service duquel elle doit faire un stage. On y traite les cancers gastronomiques.
-Euh, la gastronomie, c’est ici, lui dit la patronne.
-Comment on dit alors ? Il est spécialisé dans celui du pancréas.
Une arrivée de clients met fin à cette conversation, des collègues de travail dont une Colombienne végétarienne. Leurs échanges sur le mode de la plaisanterie perpétuelle ne me font pas regretter d’être seul.
Ce n’est pas la nostalgie qui me ramène boulevard Saint-Michel, même s’il est sûr que j’aimerais y croiser encore Aguigui Mouna et les Hare Krishna. J’entre au Gibert Bleu, qui lui n’a pas changé depuis la première fois où j’y mis le pied, au début des années soixante-dix. J’y trouve pour onze euros dix le Journal particulier (1936) de Paul Léautaud (Mercure de France).
C’est avec le bus Vingt-Sept qui frôle toujours la Pyramide du Louvre que je rejoins l’autre Book-Off. M’y attendaient plus de livres à un euro que je ne l’espérais, dont Irène Némirovsky, biographie de Jonathan Weiss (Le Félin), Jules, recueil des nouvelles d’Henri-Pierre Roché (L’Herne), le numéro sept des Cahiers d’études Léo Ferré consacré à Marseille (Le Petit Véhicule) et la Correspondance de Roger Caillois et Victoria Ocampo (Stock).
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Innovation bienvenue chez Gibert Jaune à l’étage Littérature : un rayon Correspondances et Journaux Intimes, dans lequel je reviendrai fouiller.
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Le terminus du bus Vingt-Neuf : Porte de Montempoivre. Ce qui fait rêver mais doit décevoir.
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Conversation de commerçants en ligne à la Ville d’Argentan :
-On est sur le concept d’une boutique qui évolue en fonction du vote des internautes.
-Nous, on joue sur la rupture prochaine, plus que deux de disponibles, c’est malin.
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Le poète vaudois Gustave Roud est mort il y a un quart de siècle, à soixante-dix-neuf ans. Sa mort n’a pas fait plus de bruit que sa vie. écrit Philippe Jaccottet en ouverture de sa préface à Air de la solitude et autres écrits. De ce poète, ceci, quand même : Je suis moi par habitude, comme une salle d’auberge vide qui se souvient de ses hôtes absents, comme un carrefour abandonné.
2 novembre 2019
« Les services de l’État ont agi avec compétence, avec beaucoup de sang froid, beaucoup de professionnalisme », déclare Emmanuel Macron, Président de la République, Centriste de Droite, devant l’Hôtel de Ville de Rouen. « De là où je suis, je n’ai pas vu de défaillance, au contraire ». A ses côtés sont Yvon Robert, Maire et Chef de Métropole, Socialiste, et un peu en retrait Damien Adam, Député, Centriste de Droite, Sébastien Lecornu Ministre, ancien Maire de Vernon, ancien Droitiste, et le Préfet avec sa belle casquette.
De là où je suis, devant ma télé, le regardant s’exprimer à deux cents mètres de chez moi ce mercredi soir, je ne trouve pas que ce qu’il dit corresponde à l’évènement tel que je l’ai vécu. J’ai eu l’impression de services impréparés et débordés. Heureusement que les pompiers furent à la hauteur, malgré l’absence d’équipement approprié et l’eau qui manquait dans les tuyaux.
Ceux qui ont eu très chaud, voisins immédiats de Lubrizol et gens du voyage (comme au dit), dont l’aire d’accueil est coincée entre l’usine et le cimetière, n’auront pas l’occasion de lui décrire les faits de là où ils sont, car notre Président est maintenant rue de l’Hôpital. Il discute avec de la jeunesse qui boit des coups en terrasse comme tous les soirs. Devant les reproches qui se répètent, il finit par admettre qu’il y a peut-être eu des insuffisances, que cela permettra de s’améliorer. Une jeune femme soudain l’invective, à qui il reproche de faire son show, mais que fait-il lui ? Quelques « Macron démission » se font entendre. Pour mettre qui à sa place ? Les seuls qui répondent à cette question disent Le Pen ou Mélenchon. Que l’avenir nous en préserve !
L’idée de l’encasquetté pour la prochaine : supprimer la sirène d’alerte et prévenir la population individuellement par message envoyé à tous les mobiles. Macron approuve. Tout ce beau monde (Macron, Robert, Adam, Lecornu et Préfet) semble se dire « De toute façon ça n’arrivera plus », comme avant le vingt-six septembre il était sûr que cela n’arriverait jamais. Il ne leur vient pas à l’idée que la sirène, ça permet de réveiller les concernés la nuit, ce que ne fera jamais le bip d’un message électronique.
« Je vous l’avais promis, je suis venu », répète Macron. Ses interlocuteurs lui répondent invariablement qu’il aurait dû le faire avant. Il promet un évènement en deux mille vingt pour redorer le blason de la ville, une rencontre avec un de ses homologues. Monsieur est trop bon.
Le lendemain matin, on apprend que cette venue qualifiée de visite surprise, n’était qu’une étape sur la route d’Honfleur où le « couple présidentiel » allait se détendre à l'occasion du ouiquennede prolongé de la Toussaint. Que n’aurait-on pas dit s’il était passé sur l’autoroute à dix kilomètres de Rouen sans s’y arrêter. Obligé, s’est-il dit.
*
La foudre ne tombe jamais deux fois au même endroit, dit-on. En cas de démenti de cet adage, n’entendant pas la sirène malgré mon hyperacousie et n’ayant pas de téléphone portatif, la probabilité que j’en sois averti avant les premières infos de France Culture est mince.
De là où je suis, devant ma télé, le regardant s’exprimer à deux cents mètres de chez moi ce mercredi soir, je ne trouve pas que ce qu’il dit corresponde à l’évènement tel que je l’ai vécu. J’ai eu l’impression de services impréparés et débordés. Heureusement que les pompiers furent à la hauteur, malgré l’absence d’équipement approprié et l’eau qui manquait dans les tuyaux.
Ceux qui ont eu très chaud, voisins immédiats de Lubrizol et gens du voyage (comme au dit), dont l’aire d’accueil est coincée entre l’usine et le cimetière, n’auront pas l’occasion de lui décrire les faits de là où ils sont, car notre Président est maintenant rue de l’Hôpital. Il discute avec de la jeunesse qui boit des coups en terrasse comme tous les soirs. Devant les reproches qui se répètent, il finit par admettre qu’il y a peut-être eu des insuffisances, que cela permettra de s’améliorer. Une jeune femme soudain l’invective, à qui il reproche de faire son show, mais que fait-il lui ? Quelques « Macron démission » se font entendre. Pour mettre qui à sa place ? Les seuls qui répondent à cette question disent Le Pen ou Mélenchon. Que l’avenir nous en préserve !
L’idée de l’encasquetté pour la prochaine : supprimer la sirène d’alerte et prévenir la population individuellement par message envoyé à tous les mobiles. Macron approuve. Tout ce beau monde (Macron, Robert, Adam, Lecornu et Préfet) semble se dire « De toute façon ça n’arrivera plus », comme avant le vingt-six septembre il était sûr que cela n’arriverait jamais. Il ne leur vient pas à l’idée que la sirène, ça permet de réveiller les concernés la nuit, ce que ne fera jamais le bip d’un message électronique.
« Je vous l’avais promis, je suis venu », répète Macron. Ses interlocuteurs lui répondent invariablement qu’il aurait dû le faire avant. Il promet un évènement en deux mille vingt pour redorer le blason de la ville, une rencontre avec un de ses homologues. Monsieur est trop bon.
Le lendemain matin, on apprend que cette venue qualifiée de visite surprise, n’était qu’une étape sur la route d’Honfleur où le « couple présidentiel » allait se détendre à l'occasion du ouiquennede prolongé de la Toussaint. Que n’aurait-on pas dit s’il était passé sur l’autoroute à dix kilomètres de Rouen sans s’y arrêter. Obligé, s’est-il dit.
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La foudre ne tombe jamais deux fois au même endroit, dit-on. En cas de démenti de cet adage, n’entendant pas la sirène malgré mon hyperacousie et n’ayant pas de téléphone portatif, la probabilité que j’en sois averti avant les premières infos de France Culture est mince.
1er novembre 2019
Pour des raisons tarifaires, je dois renoncer à mon habituel Corail ce mercredi et être au borduquet une demi-heure plus tôt. J’y attends la bétaillère de sept heures vingt-huit, le train des navetteurs (comme s’appellent celles et ceux qui travaillent chaque jour dans la capitale et n’ont pas encore renoncé à habiter Rouen). Face à moi, un double panneau publicitaire vante les huîtres (pour les riches) et les moules (pour les pauvres). Ces affiches du Comité National de Conchyliculture ont pour illustration des fêtards à bonnet qui boivent de l’eau.
Il y a suffisamment de places pour tout le monde dans le train à étage. Devant moi, un malvoyant lit en gros caractères sur sa tablette. Un silence imprévu s’installa, plombé par des révélations morbides.
Pour perdre mon avance, je monte dans le bus Vingt-Neuf. Après s’être faufilé dans le Marais, il me dépose à la Bastille. Il me faut ensuite vaincre les travaux de la rue du Faubourg Saint-Antoine.
Le personnel du Café du Faubourg est désormais cent pour cent féminin, nouvelle gérante, nouvelle serveuse. Je demande à cette dernière ce que sont devenus les anciens. « Mathieu a pris une affaire à Saint-Maur », me répond-elle. Je ne saurai pas ce que sont devenus son serveur et sa serveuse exubérante qui s’était calmée au fil du temps. La collection de billets de banque du monde entier qui ornait le mur derrière le comptoir a disparu. « Il a dû les emporter », me dit cette jolie brune qui ignorait leur existence.
Chez Book-Off le calme règne. Jusqu’à ce qu’un jeune homme fasse une entrée remarquée : « Bonjour, c’est la désinsectisation. Pour les blattes. » Tant que ce n’est pas pour les punaises de lit. Une employée l’emmène dans le local du personnel à l’étage. Quelques livres à un euro trouvent place dans mon panier, dont Paul Léautaud de Martine Sagaert dans l’édition de poche Millésimes du Castor Astral, une nouvelle version de l’essai, déjà en ma possession, qu’elle avait publié en mil neuf cent quatre-vingt-huit à La Manufacture dans la collection « Qui êtes-vous ? », malheureusement polluée par une préface de Philippe Delerm. Martine Sagaert analyse avec une acuité très pertinente les fêlures léautaldiennes, écrit-il, un adjectif lui aurait valu les sarcasmes du concerné.
J’ajoute, chez Emmaüs, « Je veux regarder par le trou de la serrure », un minuscule ouvrage, publié chez Mille et Une Nuits, dans lequel Jean-Paul Morel recense les vilenies dites ou écrites par Edgar Degas.
Midi venu, je déjeune au Paris, boulevard Richard-Lenoir, à une petite table donnant sur le spectacle de la rue, déco à l’ancienne, musique parisienne à contrebasse, personnel du monde, menu complet à quatorze euros cinquante : soupe à je ne sais plus quoi, tartare de bœuf frites salade, tiramisu au café, quart de vin du mois (un pinot noir) à six euros cinquante.
Le métro Huit me permet de rejoindre l’autre Book-Off où il y a foule. Malgré la gêne occasionnée, j’y déniche à un euro l’édition en grand format, chez Christian Bourgois, de Lettres de Gertrud Kolmar, avec une photo d’icelle en couverture (j’en avais déjà l’édition de poche Titres). Une quinquagénaire demande un livre sur les ateliers d’écriture.
-Au rayon Loisirs, peut-être, lui dit la vendeuse.
La dame ne fait pas de commentaire, mais son air vexé en dit long sur ce qu’elle pense.
Pour rentrer j’ai place dans le seize heures dix-huit qui s’arrête à Mantes-la-Jolie, Vernon Giverny, Gaillon Aubevoye, Val-de-Reuil et Oissel. Il me permet d’arriver à Rouen à peu près au même moment qu’Emmanuel Macron, venu quant à lui en voiture officielle, sans proposer le covoiturage.
*
Si j’étais dictateur, j’interdirai les librairies à qui n’y entre que pour occuper le temps entre midi et deux.
*
Si j’étais dictateur, j’interdirai aussi à Philippe Delerm d’écrire des préfaces.
Il y a suffisamment de places pour tout le monde dans le train à étage. Devant moi, un malvoyant lit en gros caractères sur sa tablette. Un silence imprévu s’installa, plombé par des révélations morbides.
Pour perdre mon avance, je monte dans le bus Vingt-Neuf. Après s’être faufilé dans le Marais, il me dépose à la Bastille. Il me faut ensuite vaincre les travaux de la rue du Faubourg Saint-Antoine.
Le personnel du Café du Faubourg est désormais cent pour cent féminin, nouvelle gérante, nouvelle serveuse. Je demande à cette dernière ce que sont devenus les anciens. « Mathieu a pris une affaire à Saint-Maur », me répond-elle. Je ne saurai pas ce que sont devenus son serveur et sa serveuse exubérante qui s’était calmée au fil du temps. La collection de billets de banque du monde entier qui ornait le mur derrière le comptoir a disparu. « Il a dû les emporter », me dit cette jolie brune qui ignorait leur existence.
Chez Book-Off le calme règne. Jusqu’à ce qu’un jeune homme fasse une entrée remarquée : « Bonjour, c’est la désinsectisation. Pour les blattes. » Tant que ce n’est pas pour les punaises de lit. Une employée l’emmène dans le local du personnel à l’étage. Quelques livres à un euro trouvent place dans mon panier, dont Paul Léautaud de Martine Sagaert dans l’édition de poche Millésimes du Castor Astral, une nouvelle version de l’essai, déjà en ma possession, qu’elle avait publié en mil neuf cent quatre-vingt-huit à La Manufacture dans la collection « Qui êtes-vous ? », malheureusement polluée par une préface de Philippe Delerm. Martine Sagaert analyse avec une acuité très pertinente les fêlures léautaldiennes, écrit-il, un adjectif lui aurait valu les sarcasmes du concerné.
J’ajoute, chez Emmaüs, « Je veux regarder par le trou de la serrure », un minuscule ouvrage, publié chez Mille et Une Nuits, dans lequel Jean-Paul Morel recense les vilenies dites ou écrites par Edgar Degas.
Midi venu, je déjeune au Paris, boulevard Richard-Lenoir, à une petite table donnant sur le spectacle de la rue, déco à l’ancienne, musique parisienne à contrebasse, personnel du monde, menu complet à quatorze euros cinquante : soupe à je ne sais plus quoi, tartare de bœuf frites salade, tiramisu au café, quart de vin du mois (un pinot noir) à six euros cinquante.
Le métro Huit me permet de rejoindre l’autre Book-Off où il y a foule. Malgré la gêne occasionnée, j’y déniche à un euro l’édition en grand format, chez Christian Bourgois, de Lettres de Gertrud Kolmar, avec une photo d’icelle en couverture (j’en avais déjà l’édition de poche Titres). Une quinquagénaire demande un livre sur les ateliers d’écriture.
-Au rayon Loisirs, peut-être, lui dit la vendeuse.
La dame ne fait pas de commentaire, mais son air vexé en dit long sur ce qu’elle pense.
Pour rentrer j’ai place dans le seize heures dix-huit qui s’arrête à Mantes-la-Jolie, Vernon Giverny, Gaillon Aubevoye, Val-de-Reuil et Oissel. Il me permet d’arriver à Rouen à peu près au même moment qu’Emmanuel Macron, venu quant à lui en voiture officielle, sans proposer le covoiturage.
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Si j’étais dictateur, j’interdirai les librairies à qui n’y entre que pour occuper le temps entre midi et deux.
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Si j’étais dictateur, j’interdirai aussi à Philippe Delerm d’écrire des préfaces.
29 octobre 2019
Ce lundi les ami(e)s de Stockholm sont de passage dans leur ancienne ville et c’est encore une fois à La Tonne dans le quartier de la Croix de Pierre que nous avons rendez-vous à onze heures et demie.
Un peu en avance, je les attends près de la table pour quatre que j’ai retenue vendredi dernier. Ils arrivent remarquablement à l’heure et nous devisons autour d’un café en attendait la dame au chignon. Cette fois l’homme au chapeau n’est pas de la partie, retenu par ses obligations professionnelles.
Lorsque nous formons quatuor, nous nous installons à la table ronde et chacun(e) passe commande selon ses habitudes et ses goûts alimentaires. Pour ma part, c’est langue de bœuf accompagnée des excellentes frites de la maison.
Notre conversation roule un moment sur l’affaire Lubrizol. Je ne sais si c’est l’effet des vacances mais l’endroit est bien calme (comme on dit dans le commerce). Deux ou trois hommes boivent au comptoir, nul autre que nous n’y mange. La serveuse que j’appréciais n’est pas là. Le patron est au four et au moulin.
Quand arrive l’heure à laquelle la dame au chignon doit partir et l’amie de Stockholm se rendre à un rendez-vous, nous allons, l’ami de Stockholm et moi-même, au Musée des Beaux-Arts. Nous y faisons le tour de la collection permanente augmentée des œuvres prêtées par la Fondation Pinault. Un gardien nous fait découvrir les inscriptions cachées par Monet dans son tableau Rue Saint-Denis, fête du 30 juin 1878.
Tout comme moi, l’ami de Stockholm apprécie les expositions temporaires consacrées aux dessins d’Alain Cuny et aux photos d’Anne Wiazemsky. Il en fait quelques photos à montrer à celle qui nous rejoint vers seize heures dans la rue du Canuet. Il est temps pour eux de rejoindre le département de l’Eure et les obligations familiales.
Nous nous séparons au coin de la rue de la République en évoquant l’état de mes yeux et la vieillesse qui en est la cause. « De toute façon, c’est bientôt la fin pour moi », leur dis-je. Comme tous ceux qui ne sont pas encore concernés par de tels soucis, ils me répondent « Mais non, mais non ».
La date de la prochaine rencontre n’est pas encore connue.
Un peu en avance, je les attends près de la table pour quatre que j’ai retenue vendredi dernier. Ils arrivent remarquablement à l’heure et nous devisons autour d’un café en attendait la dame au chignon. Cette fois l’homme au chapeau n’est pas de la partie, retenu par ses obligations professionnelles.
Lorsque nous formons quatuor, nous nous installons à la table ronde et chacun(e) passe commande selon ses habitudes et ses goûts alimentaires. Pour ma part, c’est langue de bœuf accompagnée des excellentes frites de la maison.
Notre conversation roule un moment sur l’affaire Lubrizol. Je ne sais si c’est l’effet des vacances mais l’endroit est bien calme (comme on dit dans le commerce). Deux ou trois hommes boivent au comptoir, nul autre que nous n’y mange. La serveuse que j’appréciais n’est pas là. Le patron est au four et au moulin.
Quand arrive l’heure à laquelle la dame au chignon doit partir et l’amie de Stockholm se rendre à un rendez-vous, nous allons, l’ami de Stockholm et moi-même, au Musée des Beaux-Arts. Nous y faisons le tour de la collection permanente augmentée des œuvres prêtées par la Fondation Pinault. Un gardien nous fait découvrir les inscriptions cachées par Monet dans son tableau Rue Saint-Denis, fête du 30 juin 1878.
Tout comme moi, l’ami de Stockholm apprécie les expositions temporaires consacrées aux dessins d’Alain Cuny et aux photos d’Anne Wiazemsky. Il en fait quelques photos à montrer à celle qui nous rejoint vers seize heures dans la rue du Canuet. Il est temps pour eux de rejoindre le département de l’Eure et les obligations familiales.
Nous nous séparons au coin de la rue de la République en évoquant l’état de mes yeux et la vieillesse qui en est la cause. « De toute façon, c’est bientôt la fin pour moi », leur dis-je. Comme tous ceux qui ne sont pas encore concernés par de tels soucis, ils me répondent « Mais non, mais non ».
La date de la prochaine rencontre n’est pas encore connue.
28 octobre 2019
Une journée à aller à Dieppe, me dis-je en apprenant que ce samedi sera beau et qu’ensuite ce serait pluie et froid. Oui mais non car j’ai un rendez-vous au milieu de la journée. Il s’agit de remettre en mains propres à son acheteur un livre que je lui ai vendu. Impossible de repousser d’une journée, il s’arrêtera à Rouen parti de Bruxelles et allant en Bretagne. Cela m’apprendra à m’adonner aux turpitudes du petit commerce.
Afin de sentir quand même le soleil d’automne sur ma peau, je vais vers midi et demi prendre un café en terrasse au Sacre. Celle-ci est désormais munie de trois grands parasols bleus qui remplacent le miteux que les gérants n’avaient même plus le courage d’installer l’été dernier les jours de soleil accablant. Là ils sont ouverts, mettant une grande partie des tables à l’ombre alors que c’est une journée où tout le monde a envie de ne pas y être. L’explication est commerciale. Sur ces trois parasols est inscrit le nom d’une marque de bière. Je trouve néanmoins une table au soleil pour lire la suite des Lettres de guerre d’Heinrich Böll.
En partant, je ne juge pas utile de dire à celui à qui je paie que les parasols publicitaires sont interdits par la Mairie. Il le saura bien assez tôt.
-Comment vous reconnaîtrai je? m’a écrit mon acheteur.
-Je serai habillé en noir et j'aurai à la main un sac en plastique blanc avec le livre à l'intérieur.
-Presque le début d'un roman policier... amusant en tout cas !
Avec dix minutes d’avance, je rejoins le cinéma Omnia. L’homme est déjà là. Je lui remets son achat en échange du code.
-Donc vous continuez vers la Bretagne, lui dis-je.
-Vers le paradis, me répond-il.
C’est à l’intérieur du Faute de Mieux, dont je déteste la terrasse, que je prends en note ce que j’ai retenu de ma relecture déjà lointaine de Jours tranquilles à Clichy. Il y règne l’habituelle ambiance vide de sens qui me permet d’être efficace.
En revenant à la maison, je croise rue de la Rép la manifestation post Lubrizol. Les participants ne sont que quelques centaines. Cela s’explique par la confiscation de l’évènement par l’extrême gauche. On y entend les slogans du Hennepéha et des chants de Gilets Jaunes, deux bonnes raisons de la fuir.
Quelques images en sont montrées par la télévision d’info continue. L’envoyé spécial interroge une femme qui se présente comme une habitante lambda, en qui je reconnais une militante du Hennepéha, ce champion de l’entrisme. A cette occasion, j’apprends son prénom: Marie-Hélène. Ça lui va bien.
*
Un peu plus tard, que vois-je ? Ce voisin, pressé le matin, costume cravate, d’aller s’occuper de la bonne marche du monde, pressé le soir, tenue de sport, de rejoindre un gymnase, cette fois rentrant de je ne sais où avec un peute, complétement ivre, traversant le jardin en titubant et criant merde au chien qui aboie au bas de sa cage d’escalier.
*
Dans la nuit, l’heure passe de l’été à l’hiver. Au matin, les informations de France Culture évoquent la manifestation de Rouen. La journaliste donne à entendre les revendications d’une habitante pas contente, Marie-Hélène. Sur cette radio aussi on appelle maintenant les interviouvés par leur prénom.
Afin de sentir quand même le soleil d’automne sur ma peau, je vais vers midi et demi prendre un café en terrasse au Sacre. Celle-ci est désormais munie de trois grands parasols bleus qui remplacent le miteux que les gérants n’avaient même plus le courage d’installer l’été dernier les jours de soleil accablant. Là ils sont ouverts, mettant une grande partie des tables à l’ombre alors que c’est une journée où tout le monde a envie de ne pas y être. L’explication est commerciale. Sur ces trois parasols est inscrit le nom d’une marque de bière. Je trouve néanmoins une table au soleil pour lire la suite des Lettres de guerre d’Heinrich Böll.
En partant, je ne juge pas utile de dire à celui à qui je paie que les parasols publicitaires sont interdits par la Mairie. Il le saura bien assez tôt.
-Comment vous reconnaîtrai je? m’a écrit mon acheteur.
-Je serai habillé en noir et j'aurai à la main un sac en plastique blanc avec le livre à l'intérieur.
-Presque le début d'un roman policier... amusant en tout cas !
Avec dix minutes d’avance, je rejoins le cinéma Omnia. L’homme est déjà là. Je lui remets son achat en échange du code.
-Donc vous continuez vers la Bretagne, lui dis-je.
-Vers le paradis, me répond-il.
C’est à l’intérieur du Faute de Mieux, dont je déteste la terrasse, que je prends en note ce que j’ai retenu de ma relecture déjà lointaine de Jours tranquilles à Clichy. Il y règne l’habituelle ambiance vide de sens qui me permet d’être efficace.
En revenant à la maison, je croise rue de la Rép la manifestation post Lubrizol. Les participants ne sont que quelques centaines. Cela s’explique par la confiscation de l’évènement par l’extrême gauche. On y entend les slogans du Hennepéha et des chants de Gilets Jaunes, deux bonnes raisons de la fuir.
Quelques images en sont montrées par la télévision d’info continue. L’envoyé spécial interroge une femme qui se présente comme une habitante lambda, en qui je reconnais une militante du Hennepéha, ce champion de l’entrisme. A cette occasion, j’apprends son prénom: Marie-Hélène. Ça lui va bien.
*
Un peu plus tard, que vois-je ? Ce voisin, pressé le matin, costume cravate, d’aller s’occuper de la bonne marche du monde, pressé le soir, tenue de sport, de rejoindre un gymnase, cette fois rentrant de je ne sais où avec un peute, complétement ivre, traversant le jardin en titubant et criant merde au chien qui aboie au bas de sa cage d’escalier.
*
Dans la nuit, l’heure passe de l’été à l’hiver. Au matin, les informations de France Culture évoquent la manifestation de Rouen. La journaliste donne à entendre les revendications d’une habitante pas contente, Marie-Hélène. Sur cette radio aussi on appelle maintenant les interviouvés par leur prénom.
25 octobre 2019
Je ne saurai jamais pourquoi le restaurant portugais Chez Gomes est devenu Chez Antonio (même typographie mais le bleu a remplacé le rouge), me dis-je ce mercredi alors que le sept heures cinquante-neuf ralentit, comme d’habitude, avant de traverser la gare de Mantes-la-Jolie. C’est toujours le moment que je choisis pour aller aux toilettes.
Un peu plus tard, le chef de bord nous rappelle que les embouteillages, ce n’est pas seulement pour les voitures. Ce nouveau ralentissement suivi d’un arrêt inopiné à l’entrée de Saint-Lazare nous fait arriver avec une dizaine de minutes de retard.
Néanmoins, je réussis à rejoindre pédestrement, sous un ciel nuageux, un sac de livres à la main, le Book-Off de Quatre-Septembre avant son ouverture et suis le premier à y entrer. Je tire huit euros soixante de mon fardeau puis, bien que je cherche longuement de quoi me plaire, ne trouve pas le moindre livre à acheter.
Avec le métro Huit, je rejoins Ledru-Rollin, fais le tour du marché d’Aligre où les deux principaux marchands de livres n’ont rien de nouveau à me proposer.
Faute d’autre idée, j’entre au Petit Bougnat et y commande, dans la formule à quinze euros cinquante, saumon fumé et saucisse truffade. « C’est calme avec les vacances », dit la cuisinière à l’une qui téléphone pour connaître le menu de demain. Nous sommes trois convives à nous partager la salle, les deux autres étant de vieilles habituées solitaires. La serveuse neurasthénique n’a rien à leur dire, hormis « On est quand même mieux ici que dans le sud avec les inondations ». Le patron se morfond derrière son bar. Je crois n’avoir jamais mangé au restaurant dans une ambiance aussi sinistre. De plus, la nourriture n’est pas formidable et le quart de côtes-du-rhône à cinq euros vingt a un goût bizarre. Jamais plus, me dis-je en retrouvant l’avenue Ledru-Rollin.
Elle me mène directement à l’autre Book-Off où j’achète quatre livres à un euro, dont Madeleine Project de Clara Beaudoux (Editions du Sous-Sol), puis je remonte la rue du Faubourg Saint-Antoine jusqu’à chez Mona Lisait. Les livres qu’on y vend y sont depuis longtemps.
En attendant le train du retour, je termine le Journal de Gouverneur Morris à La Ville d’Argentan. Un homme bien mis, qui y a déjeuné tardivement, remettant son manteau dans le passage s’en prend au serveur qui lui a demandé pardon. « Ce n’est pas à moi de vous faire de la place, c’est à vous d’attendre que je sois prêt. C’était comme ça autrefois. Aujourd’hui, vous ne connaissez pas votre métier. » Enervé comme il est, il oublie son écharpe. Un peu plus tard, au fond de la salle, une jeune femme qui trouve que son compagnon alcoolisé ne se lève pas assez vite le fait tomber de sa chaise, l’insulte puis s’en va.
-Faut pas vous laisser faire comme ça, lui dit le serveur, faut lui faire la même chose.
-Je peux pas, c’est ma femme, répond-il.
Il se relève avec difficulté, rassemble ses affaires et sort en tanguant.
Cela ne ressemble pas à cet endroit, qui n’est pas le dernier des troquets. Je me demande ce qui se passe en ce moment dans la tête de bien des gens (comme d’aucuns les appellent). L’atmosphère est aussi sombre qu’électrique.
*
Nouveau retard au retour, celui-ci organisé par le chef de bord : « Il manque quelqu’un pour assurer la sécurité de la fermeture des portes ». On l’attend donc. Le seize heures quarante-huit part vingt minutes après l’heure prévue. Une conséquence de la guéguerre de fin de semaine entre le gouvernement et les cheminots ayant posé leur sac.
*
Des touristes de province dans le métro :
-Moi, je pourrais pas vivre à Paris.
-Oui, et puis c’est sale.
Ils devraient venir faire un tour à Rouen.
*
Le sol qui disparaît sous les voies ferrées, emporté par les eaux de l’épisode méditerranéen (comme disent les météorologistes). Plus de trains entre Perpignan et l’Espagne. Je vois d’ici le monde dans l’autocar à un euro de Collioure.
Un peu plus tard, le chef de bord nous rappelle que les embouteillages, ce n’est pas seulement pour les voitures. Ce nouveau ralentissement suivi d’un arrêt inopiné à l’entrée de Saint-Lazare nous fait arriver avec une dizaine de minutes de retard.
Néanmoins, je réussis à rejoindre pédestrement, sous un ciel nuageux, un sac de livres à la main, le Book-Off de Quatre-Septembre avant son ouverture et suis le premier à y entrer. Je tire huit euros soixante de mon fardeau puis, bien que je cherche longuement de quoi me plaire, ne trouve pas le moindre livre à acheter.
Avec le métro Huit, je rejoins Ledru-Rollin, fais le tour du marché d’Aligre où les deux principaux marchands de livres n’ont rien de nouveau à me proposer.
Faute d’autre idée, j’entre au Petit Bougnat et y commande, dans la formule à quinze euros cinquante, saumon fumé et saucisse truffade. « C’est calme avec les vacances », dit la cuisinière à l’une qui téléphone pour connaître le menu de demain. Nous sommes trois convives à nous partager la salle, les deux autres étant de vieilles habituées solitaires. La serveuse neurasthénique n’a rien à leur dire, hormis « On est quand même mieux ici que dans le sud avec les inondations ». Le patron se morfond derrière son bar. Je crois n’avoir jamais mangé au restaurant dans une ambiance aussi sinistre. De plus, la nourriture n’est pas formidable et le quart de côtes-du-rhône à cinq euros vingt a un goût bizarre. Jamais plus, me dis-je en retrouvant l’avenue Ledru-Rollin.
Elle me mène directement à l’autre Book-Off où j’achète quatre livres à un euro, dont Madeleine Project de Clara Beaudoux (Editions du Sous-Sol), puis je remonte la rue du Faubourg Saint-Antoine jusqu’à chez Mona Lisait. Les livres qu’on y vend y sont depuis longtemps.
En attendant le train du retour, je termine le Journal de Gouverneur Morris à La Ville d’Argentan. Un homme bien mis, qui y a déjeuné tardivement, remettant son manteau dans le passage s’en prend au serveur qui lui a demandé pardon. « Ce n’est pas à moi de vous faire de la place, c’est à vous d’attendre que je sois prêt. C’était comme ça autrefois. Aujourd’hui, vous ne connaissez pas votre métier. » Enervé comme il est, il oublie son écharpe. Un peu plus tard, au fond de la salle, une jeune femme qui trouve que son compagnon alcoolisé ne se lève pas assez vite le fait tomber de sa chaise, l’insulte puis s’en va.
-Faut pas vous laisser faire comme ça, lui dit le serveur, faut lui faire la même chose.
-Je peux pas, c’est ma femme, répond-il.
Il se relève avec difficulté, rassemble ses affaires et sort en tanguant.
Cela ne ressemble pas à cet endroit, qui n’est pas le dernier des troquets. Je me demande ce qui se passe en ce moment dans la tête de bien des gens (comme d’aucuns les appellent). L’atmosphère est aussi sombre qu’électrique.
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Nouveau retard au retour, celui-ci organisé par le chef de bord : « Il manque quelqu’un pour assurer la sécurité de la fermeture des portes ». On l’attend donc. Le seize heures quarante-huit part vingt minutes après l’heure prévue. Une conséquence de la guéguerre de fin de semaine entre le gouvernement et les cheminots ayant posé leur sac.
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Des touristes de province dans le métro :
-Moi, je pourrais pas vivre à Paris.
-Oui, et puis c’est sale.
Ils devraient venir faire un tour à Rouen.
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Le sol qui disparaît sous les voies ferrées, emporté par les eaux de l’épisode méditerranéen (comme disent les météorologistes). Plus de trains entre Perpignan et l’Espagne. Je vois d’ici le monde dans l’autocar à un euro de Collioure.
24 octobre 2019
Pas trop fringant, comme à chaque fois que j’entre dans un hôpital et qu’un coin de ma tête est occupé par l’idée qu’un jour ce sera pour n’en pas ressortir vivant, je fais le tour du bâtiment des consultations de la Clinique Mathilde ce lundi après-midi, afin d’en atteindre sur l’arrière l’entrée du service d’ophtalmologie.
Porté au deuxième étage par l’un des ascenseurs, je marche jusqu’au bout du couloir et me présente à la jeune secrétaire du médecin avec lequel j’ai rendez-vous. Mon habituelle ophtalmologue, qui exerce en ville, m’a dirigé vers lui au vu du résultat de mon dernier examen de champ visuel. Ce n’est évidemment pas bon signe.
Au moins l’endroit dispose-t-il d’une salle d’attente confortable à la décoration chaleureuse. Je pourrais presque me sentir ailleurs, n’était la présence d’autres mal voyants. Une jeune femme appelle mon nom, qui ne se présente pas. Elle me dit qu’elle est chargée des examens préalables, que le docteur me verra ensuite. Elle n’est pas la seule. Je passe ensuite dans une deuxième salle où une autre du même âge se charge d’autres examens. Ni l’une ni l’autre ne m’explique quoi que ce soit.
Enfin, après que je suis resté assis cinq minutes près de l’entrée de la troisième salle, un homme jeune me dit d’entrer, qui étrangement à un air de ressemblance avec l’un de ma connaissance que j’ai croisé sur le pont Corneille en venant ici. Il se présente, me fait asseoir face à plusieurs écrans où sont visibles les images me concernant. Cet homme de sciences m’explique qu’en plus du glaucome, je souffre d’un début de cataracte à l’œil droit. Il faudra opérer l’un et l’autre, en commençant par la deuxième. Que je revienne dans six mois.
-C’est efficace, l’opération du glaucome ? lui demandé-je.
-Oui, si on la fait au bon moment, me répond-il.
Comment peut-on être sûr que l’opération est nécessaire et non pas proposée pour assurer la rentabilité de l’entreprise médicale ? C’est la question que je ne lui pose pas.
Après avoir réglé mon dû à la secrétaire, je retraverse la Seine, soulagé d’avoir encore six mois de sursis, plus désolé que jamais d’être devenu vieux.
*
Qu’il est soûlant Emmanuel Macron, Président de la République, Centriste de Droite, avec ses « mamans » à tout bout de champ. La dernière à Mayotte: « les mamans qui s’occupent de l’éducation des enfants » (que font les papas ?). Il n’est pas le seul. En ce moment, chacun y va de sa maman. Ainsi Libération parlant des mamans voilées qui accompagnent les classes en sortie.
*
Imaginons un instant qu’une fraction des mâles catholiques décide qu’il convient que les femmes s’habillent comme Marie, mère de Jésus, longue robe et voile, que des femmes de cette religion, à l’invitation plus ou moins appuyée de leurs pères, maris et frères, s’y soumettent, puis déclarent qu’elles s’habillent ainsi de leur propre volonté. Imaginons que certaines se portent volontaires pour accompagner les sorties scolaires. Les enseignants les accepteraient-elles ? La Fédération des Conseils de Parents d’Elèves mettrait-elle la photo de l’une d’elle sur l’un de ses tracts ?
*
« Les courses en tête », numéro spécial du journal municipal Rouen Magazine, doublé d’une campagne d’affichage : « Rouen, le plus grand centre commerçant de Normandie ». La consommation comme remède aux inquiétudes consécutives à l’incendie de Lubrizol. C’est l’ordonnance d’Yvon Robert, Maire, Socialiste.
*
D’autres qui voudraient faire oublier la catastrophe industrielle et écologique du vingt-six septembre, ce sont les forains de la Saint-Romain. Il y a quelques années, la proximité des usines Seveso leur était un argument pour refuser de s’installer sur la presqu’île Saint-Gervais. Maintenant qu’ils y sont, ils déclarent que tout va bien.
Porté au deuxième étage par l’un des ascenseurs, je marche jusqu’au bout du couloir et me présente à la jeune secrétaire du médecin avec lequel j’ai rendez-vous. Mon habituelle ophtalmologue, qui exerce en ville, m’a dirigé vers lui au vu du résultat de mon dernier examen de champ visuel. Ce n’est évidemment pas bon signe.
Au moins l’endroit dispose-t-il d’une salle d’attente confortable à la décoration chaleureuse. Je pourrais presque me sentir ailleurs, n’était la présence d’autres mal voyants. Une jeune femme appelle mon nom, qui ne se présente pas. Elle me dit qu’elle est chargée des examens préalables, que le docteur me verra ensuite. Elle n’est pas la seule. Je passe ensuite dans une deuxième salle où une autre du même âge se charge d’autres examens. Ni l’une ni l’autre ne m’explique quoi que ce soit.
Enfin, après que je suis resté assis cinq minutes près de l’entrée de la troisième salle, un homme jeune me dit d’entrer, qui étrangement à un air de ressemblance avec l’un de ma connaissance que j’ai croisé sur le pont Corneille en venant ici. Il se présente, me fait asseoir face à plusieurs écrans où sont visibles les images me concernant. Cet homme de sciences m’explique qu’en plus du glaucome, je souffre d’un début de cataracte à l’œil droit. Il faudra opérer l’un et l’autre, en commençant par la deuxième. Que je revienne dans six mois.
-C’est efficace, l’opération du glaucome ? lui demandé-je.
-Oui, si on la fait au bon moment, me répond-il.
Comment peut-on être sûr que l’opération est nécessaire et non pas proposée pour assurer la rentabilité de l’entreprise médicale ? C’est la question que je ne lui pose pas.
Après avoir réglé mon dû à la secrétaire, je retraverse la Seine, soulagé d’avoir encore six mois de sursis, plus désolé que jamais d’être devenu vieux.
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Qu’il est soûlant Emmanuel Macron, Président de la République, Centriste de Droite, avec ses « mamans » à tout bout de champ. La dernière à Mayotte: « les mamans qui s’occupent de l’éducation des enfants » (que font les papas ?). Il n’est pas le seul. En ce moment, chacun y va de sa maman. Ainsi Libération parlant des mamans voilées qui accompagnent les classes en sortie.
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Imaginons un instant qu’une fraction des mâles catholiques décide qu’il convient que les femmes s’habillent comme Marie, mère de Jésus, longue robe et voile, que des femmes de cette religion, à l’invitation plus ou moins appuyée de leurs pères, maris et frères, s’y soumettent, puis déclarent qu’elles s’habillent ainsi de leur propre volonté. Imaginons que certaines se portent volontaires pour accompagner les sorties scolaires. Les enseignants les accepteraient-elles ? La Fédération des Conseils de Parents d’Elèves mettrait-elle la photo de l’une d’elle sur l’un de ses tracts ?
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« Les courses en tête », numéro spécial du journal municipal Rouen Magazine, doublé d’une campagne d’affichage : « Rouen, le plus grand centre commerçant de Normandie ». La consommation comme remède aux inquiétudes consécutives à l’incendie de Lubrizol. C’est l’ordonnance d’Yvon Robert, Maire, Socialiste.
*
D’autres qui voudraient faire oublier la catastrophe industrielle et écologique du vingt-six septembre, ce sont les forains de la Saint-Romain. Il y a quelques années, la proximité des usines Seveso leur était un argument pour refuser de s’installer sur la presqu’île Saint-Gervais. Maintenant qu’ils y sont, ils déclarent que tout va bien.
22 octobre 2019
Mon carton d’invitation au vernissage de l’exposition Arts et Cinéma (Les liaisons heureuses) du Musée des Beaux-Arts de Rouen, vernissage auquel je n’ai pas participé pour cause de concert d’Alexandre Tharaud, me donnant droit à une visite gratuite ce ouiquennede, je m’y pointe ce dimanche vers midi et demi.
Que les arts plastiques et la cinématographie aient suivi des chemins parallèles et même aient eu des rapports (plus ou moins protégés) l’un avec l’autre, ce n’est guère étonnant, et même comment pourrait-il en avoir été autrement, d’où cette exposition en sept espaces thématiques : Impressionnisme et films des frères Lumière, Cubisme et films de Charlie Chaplin, Expressionnisme et Métropolis, peinture soviétique et Dziga Vertov, abstraction et film de Marcel Duchamp, Surréalisme, Nouvelle Vague et affiches de Soixante-Huit.
Comme souvent, la plupart des visiteurs sont scotchés devant les images qui bougent. Je préfère regarder les immobiles, retenant particulièrement Grand Musicien tableau de Georges Ribemont-Dessaignes (dont je ne connaissais que les textes poétiques), La Prose du Transsibérien et la Petite Jehanne de France de Blaise Cendrars illustrée par Sonia Delaunay, Meurtre n°2 de Jacques Monory, Autoportrait d’Asta Nielsen (réalisée à l’aide de fragments de robes portées dans des films collés sur carton et peinture à l’huile) et l’affiche de Pauline à la plage de Benjamin Baltimore qui me fait penser à l’une que j’aimerais revoir.
En plus, dans l’une des salles du rez-de-chaussée en accès gratuit sont visibles des photos faites par la jeune Anne Wiazemsky, petite-fille de François Mauriac et alors amante de Jean-Luc Godard, ainsi que des photos prises par d’autres d’elle-même (comme elle était mignonne à dix-huit ans), cela à l’occasion du legs qu’elle a fait au Musée de Rouen d’un portrait de sa grand-mère Jeanne Mauriac par Jacques-Emile Blanche afin qu’il soit accroché à côté de celui de François, son mari, par le même.
Et dans une autre salle, à l’étage, sont visibles les remarquables affiches d’Alain Cuny pour Carmen, La Rue sans Joie et Gribiche ainsi que ses portraits de malades mentaux, faits en mil neuf cent trente-six à l’Hôpital Psychiatrique de Maison-Blanche où son amie Françoise Marette (future Dolto) l’avait fait entrer, des dessins qui montrent qu’Alain Cuny avait plus d’un talent (j’ai sa voix en tête). Ils sont agrémentés d’explications manuscrites telles que « débile hallucinée », « dégénéré épileptique », « imbécilité béate ». « Le visiteur d’aujourd’hui est invité à prendre du recul vis-à-vis de ces commentaires », met en garde le Musée, correctement politique.
Que les arts plastiques et la cinématographie aient suivi des chemins parallèles et même aient eu des rapports (plus ou moins protégés) l’un avec l’autre, ce n’est guère étonnant, et même comment pourrait-il en avoir été autrement, d’où cette exposition en sept espaces thématiques : Impressionnisme et films des frères Lumière, Cubisme et films de Charlie Chaplin, Expressionnisme et Métropolis, peinture soviétique et Dziga Vertov, abstraction et film de Marcel Duchamp, Surréalisme, Nouvelle Vague et affiches de Soixante-Huit.
Comme souvent, la plupart des visiteurs sont scotchés devant les images qui bougent. Je préfère regarder les immobiles, retenant particulièrement Grand Musicien tableau de Georges Ribemont-Dessaignes (dont je ne connaissais que les textes poétiques), La Prose du Transsibérien et la Petite Jehanne de France de Blaise Cendrars illustrée par Sonia Delaunay, Meurtre n°2 de Jacques Monory, Autoportrait d’Asta Nielsen (réalisée à l’aide de fragments de robes portées dans des films collés sur carton et peinture à l’huile) et l’affiche de Pauline à la plage de Benjamin Baltimore qui me fait penser à l’une que j’aimerais revoir.
En plus, dans l’une des salles du rez-de-chaussée en accès gratuit sont visibles des photos faites par la jeune Anne Wiazemsky, petite-fille de François Mauriac et alors amante de Jean-Luc Godard, ainsi que des photos prises par d’autres d’elle-même (comme elle était mignonne à dix-huit ans), cela à l’occasion du legs qu’elle a fait au Musée de Rouen d’un portrait de sa grand-mère Jeanne Mauriac par Jacques-Emile Blanche afin qu’il soit accroché à côté de celui de François, son mari, par le même.
Et dans une autre salle, à l’étage, sont visibles les remarquables affiches d’Alain Cuny pour Carmen, La Rue sans Joie et Gribiche ainsi que ses portraits de malades mentaux, faits en mil neuf cent trente-six à l’Hôpital Psychiatrique de Maison-Blanche où son amie Françoise Marette (future Dolto) l’avait fait entrer, des dessins qui montrent qu’Alain Cuny avait plus d’un talent (j’ai sa voix en tête). Ils sont agrémentés d’explications manuscrites telles que « débile hallucinée », « dégénéré épileptique », « imbécilité béate ». « Le visiteur d’aujourd’hui est invité à prendre du recul vis-à-vis de ces commentaires », met en garde le Musée, correctement politique.
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