Dernières notes
Loïc Boyer
Je suis l’auteur de textes courts qui furent publiés depuis mil neuf cent quatre-vingt-quinze dans des revues littéraires en France (Supérieur Inconnu, Supplément d’Ame, Nouvelle Donne, Le Bord de l’Eau, Pris de Peur, l’Art du Bref, Sol’Air, Gros Textes, Salmigondis, Verso, Décharge, Bulle, Filigranes, Diérèse, Martobre, Comme ça et Autrement, (Cahier d’) Ecritures, La Nef des Fous), en Belgique (Traversées, Ecrits Vains, L’Arbre à Plumes, Inédit Nouveau, Bleu d’Encre), au Canada (Les Saisons Littéraires) et en Italie (Les Cahiers du Ru).
Les courageuses Editions du Chardon ont publié en mil neuf cent quatre-vingt-dix-neuf Erotica, un recueil de vingt-huit de ces textes, illustré par Isabelle Pio et Antoine Lopez et préfacé par Sarane Alexandrian, toujours disponible auprès de moi.
Je suis également l’auteur d’une pièce de théâtre et de plusieurs romans ou récits à ce jour inédits.
Depuis le onze novembre deux mille six, je publie mon Journal via Internet, un temps sous-titré Persiflages, moquages et autres énervages mâtinés de complimentages et de contentages. Sa première partie est lisible chez Eklablog, la deuxième ici.
Je vis au centre de Rouen dans un ancien monastère où autrefois les Sœurs de la Miséricorde se vouaient à l’éducation des jeunes filles.
Les courageuses Editions du Chardon ont publié en mil neuf cent quatre-vingt-dix-neuf Erotica, un recueil de vingt-huit de ces textes, illustré par Isabelle Pio et Antoine Lopez et préfacé par Sarane Alexandrian, toujours disponible auprès de moi.
Je suis également l’auteur d’une pièce de théâtre et de plusieurs romans ou récits à ce jour inédits.
Depuis le onze novembre deux mille six, je publie mon Journal via Internet, un temps sous-titré Persiflages, moquages et autres énervages mâtinés de complimentages et de contentages. Sa première partie est lisible chez Eklablog, la deuxième ici.
Je vis au centre de Rouen dans un ancien monastère où autrefois les Sœurs de la Miséricorde se vouaient à l’éducation des jeunes filles.
22 juin 2020
Je suis à lire les Lettres d’Oscar Wilde ce vendredi en début d’après-midi en terrasse du Son du Cor quand un son de cloche m’alerte. Le petit train électrique de la ville de Rouen s’approche. Arrivé à ma hauteur il s’arrête. Son conducteur ouvre la vitre. Nous nous saluons chaleureusement.
-Alors ça y est c’est reparti ? lui demandé-je
-A partir de lundi, me répond-il.
Nous célébrons l’évènement d’un pouce levé, un dernier salut et le voilà reparti.
Entre lui et moi, ça avait pourtant mal commencé, une rencontre rue Saint-Romain alors qu’il conduisait le train précédent, celui à gasoil. Ce nouveau chauffeur ne cessait d’actionner la cloche.
-C’est bon on vous entend, lui avais-je dit, il faut vous calmer avec la clochette.
-Ça amuse les enfants, m’avait-il répondu.
-Si vous voulez amuser les enfants, il faut aller conduire un petit train chez Disney, avais-je répliqué un peu méchamment.
Je ne me souviens pas du mot qu’il m’adressa en retour mais c’était une insulte.
Le lendemain, alors que je traversais en diagonale le parvis de la Cathédrale, je le vis descendre de son train à l’arrêt et se diriger droit sur moi.
Ce n’était pas pour me faire un sort, mais pour s’excuser. J’en fis autant et depuis nous sommes les meilleurs amis du monde. Pas une fois nous nous croisons sans que j’aie droit à un petit coup de cloche.
*
Faut-il l’écrire ou pas ? Cet homme a la peau noire. Le préciser est désagréable car s’il avait la peau blanche je ne le ferais pas, mais si je ne le dis pas, qui lira imaginera un homme à la peau blanche.
-Alors ça y est c’est reparti ? lui demandé-je
-A partir de lundi, me répond-il.
Nous célébrons l’évènement d’un pouce levé, un dernier salut et le voilà reparti.
Entre lui et moi, ça avait pourtant mal commencé, une rencontre rue Saint-Romain alors qu’il conduisait le train précédent, celui à gasoil. Ce nouveau chauffeur ne cessait d’actionner la cloche.
-C’est bon on vous entend, lui avais-je dit, il faut vous calmer avec la clochette.
-Ça amuse les enfants, m’avait-il répondu.
-Si vous voulez amuser les enfants, il faut aller conduire un petit train chez Disney, avais-je répliqué un peu méchamment.
Je ne me souviens pas du mot qu’il m’adressa en retour mais c’était une insulte.
Le lendemain, alors que je traversais en diagonale le parvis de la Cathédrale, je le vis descendre de son train à l’arrêt et se diriger droit sur moi.
Ce n’était pas pour me faire un sort, mais pour s’excuser. J’en fis autant et depuis nous sommes les meilleurs amis du monde. Pas une fois nous nous croisons sans que j’aie droit à un petit coup de cloche.
*
Faut-il l’écrire ou pas ? Cet homme a la peau noire. Le préciser est désagréable car s’il avait la peau blanche je ne le ferais pas, mais si je ne le dis pas, qui lira imaginera un homme à la peau blanche.
20 juin 2020
Une femme m’a précédé un peu avant neuf heures devant la porte encore fermée des opticiens mutualistes de la rue de la Champmeslé. Une opticienne arrivant à bicyclette nous propose d’attendre à l’intérieur, masqués tous les deux. Cette dame a rendez-vous à neuf heures. Je découvre qu’il en fallait un, rapport au coronavirus. J’indique à l’opticien qui me le confirme que c’est juste pour changer les verres, que je n’ai pas envie d’une nouvelle monture. Il va voir si on peut me prendre quand même.
-Venez avec moi, me dit-il quand il réapparait, je vais m’occuper de vous.
Tandis que son ordinateur démarre lentement, je lui demande si c’est normal que l’antireflet de mes verres ait été détruit par le soleil en seulement deux ans.
Il est surpris car ce sont des Essilor.
C’est pourtant la deuxième fois que ça m’arrive, lui dis-je. Ne serait-ce pas de l’obsolescence programmée ? Il ne se prononce pas, entre un tas de renseignements dans son ordinateur puis me propose trois devis en commençant par le « reste à charge zéro», avec quand même des Essilor, que ma mutuelle est obligée de rembourser totalement, puis un plus cher avec aussi des Essilor et pas mal de reste à charge, enfin un intermédiaire avec des verres d’une autre marque mais bien quand même. L’avantage des deux derniers, c’est une plus grande largeur de vision sans avoir à tourner la tête.
-C’est utile pour conduire, lui dis-je.
-Oui voilà, me répond-il plein d’espoir.
-Je ne conduis plus, lui dis-je, je vais me contenter du reste à charge zéro.
Il ne montre pas trop sa déception. Si l’antireflet ne doit pas durer plus de deux ans, inutile que je fasse des frais, ne lui dis-je pas.
Il entre encore un tas de renseignements dans l'ordinateur et m’annonce qu’il ne faut pas compter les avoir avant huit dix jours.
Moi qui comptais récupérer ces lunettes avant de partir en escapade. Il écrit « urgent » sur mon dossier et je lui donne mon adresse mail pour être prévenu dès que ce sera prêt. Si ça traîne trop, je viendrai les chercher à mon retour. Je ne peux lui dire quel jour car, comme Malbrough, ne sais quand reviendrai.
Il est dix heures moins le quart quand il en a fini avec moi et peut prendre en charge une qui avait rendez-vous à neuf heures et demie.
*
Le masque ôté, porteur d’anciennes lunettes aux verres intacts, je rentre à la maison, croisant en chemin les soldats de l’opération Sentinelle, certains à lunettes et tous débarrassés de leur masque qu’ils n’auront pas supporté longtemps.
-Venez avec moi, me dit-il quand il réapparait, je vais m’occuper de vous.
Tandis que son ordinateur démarre lentement, je lui demande si c’est normal que l’antireflet de mes verres ait été détruit par le soleil en seulement deux ans.
Il est surpris car ce sont des Essilor.
C’est pourtant la deuxième fois que ça m’arrive, lui dis-je. Ne serait-ce pas de l’obsolescence programmée ? Il ne se prononce pas, entre un tas de renseignements dans son ordinateur puis me propose trois devis en commençant par le « reste à charge zéro», avec quand même des Essilor, que ma mutuelle est obligée de rembourser totalement, puis un plus cher avec aussi des Essilor et pas mal de reste à charge, enfin un intermédiaire avec des verres d’une autre marque mais bien quand même. L’avantage des deux derniers, c’est une plus grande largeur de vision sans avoir à tourner la tête.
-C’est utile pour conduire, lui dis-je.
-Oui voilà, me répond-il plein d’espoir.
-Je ne conduis plus, lui dis-je, je vais me contenter du reste à charge zéro.
Il ne montre pas trop sa déception. Si l’antireflet ne doit pas durer plus de deux ans, inutile que je fasse des frais, ne lui dis-je pas.
Il entre encore un tas de renseignements dans l'ordinateur et m’annonce qu’il ne faut pas compter les avoir avant huit dix jours.
Moi qui comptais récupérer ces lunettes avant de partir en escapade. Il écrit « urgent » sur mon dossier et je lui donne mon adresse mail pour être prévenu dès que ce sera prêt. Si ça traîne trop, je viendrai les chercher à mon retour. Je ne peux lui dire quel jour car, comme Malbrough, ne sais quand reviendrai.
Il est dix heures moins le quart quand il en a fini avec moi et peut prendre en charge une qui avait rendez-vous à neuf heures et demie.
*
Le masque ôté, porteur d’anciennes lunettes aux verres intacts, je rentre à la maison, croisant en chemin les soldats de l’opération Sentinelle, certains à lunettes et tous débarrassés de leur masque qu’ils n’auront pas supporté longtemps.
19 juin 2020
Ce mercredi dix-sept juin, je rejoins à pied la Clinique Mathilde et y arrive peu avant treize heures quarante-cinq, l’heure de mon rendez-vous chez l’ophtalmologue. J’enfile le masque obligatoire. Un homme en tenue de pompier filtre les arrivées. N’entrent là que celles et ceux qui y sont attendus. Le lavage des mains au gel hydro alcoolique est exigé.
-Y nous font chier avec ces trucs-là, ronchonne une vieille.
-Restez polie madame, lui répond le vigile, on est mercredi, il peut y avoir des enfants.
Il vit encore dans le monde d’avant-guerre, quand les moutards allaient à l’école.
Plutôt que d’être à plusieurs dans un ascenseur, je monte seul par l’escalier et arrive au deuxième étage singulièrement essoufflé.
La secrétaire m’apprend que c’est une remplaçante qui me recevra. Après une courte attente, je suis appelé par l’associée subalterne dénommée orthoptiste. Elle est chargée des examens préalables, une tâche répétitive qui m’ennuierait prodigieusement si j’avais à l’effectuer. Elle ne me dit pas un mot. Il faut que je l’interroge pour connaître ma tension oculaire. Autour de quinze pour chaque œil, ce qui est dans la normalité.
La remplaçante n’est pas une débutante. Elle me confirme la bonne tension oculaire, pour le maintien de laquelle je mets une goutte de médicament soir et matin. C’est rassurant, me dit-elle. Elle m’indique que ma forte myopie complique la lecture des examens du glaucome. Et il en manque, que n’a pas transmis mon ancienne ophtalmo de ville. Il faudra les faire dans six mois. Elle ne me parle pas d’opération, n’évoque même pas le début de cataracte. Je ne peux m’empêcher de penser que c’est parce qu’elle n’a point d’intérêt financier dans cette entreprise qu’est la Clinique Mathilde.
Mes verres de lunettes ayant été abîmés par le soleil, je lui demande de m’en prescrire de nouveaux. Sitôt sorti, j’ôte le masque.
*
Cette infirmière parisienne de cinquante-cinq ans qui se fait violemment arrêter après avoir fait des doigts d’honneur aux Policiers et leur avoir lancé des pierres, montre qu’il ne faut plus participer aux manifestations depuis que celles-ci sont confisquées par l’Armée Noire, l’effet de foule risquant de vous entraîner à des actes d’une totale stupidité.
*
Philippe Torreton, comédien : « Pourquoi on peut s'asseoir côte à côte dans un train et pas au théâtre : expliquez-moi. »
Je t’explique Philippe, dans un train on n’a qu’un seul proche voisin, au théâtre deux, d’où un risque doublé d’être assis à côté d’un malade. D’autre part, si ton voisin de train tousse, tu peux changer de place ou même choisir de voyager debout, au théâtre non.
-Y nous font chier avec ces trucs-là, ronchonne une vieille.
-Restez polie madame, lui répond le vigile, on est mercredi, il peut y avoir des enfants.
Il vit encore dans le monde d’avant-guerre, quand les moutards allaient à l’école.
Plutôt que d’être à plusieurs dans un ascenseur, je monte seul par l’escalier et arrive au deuxième étage singulièrement essoufflé.
La secrétaire m’apprend que c’est une remplaçante qui me recevra. Après une courte attente, je suis appelé par l’associée subalterne dénommée orthoptiste. Elle est chargée des examens préalables, une tâche répétitive qui m’ennuierait prodigieusement si j’avais à l’effectuer. Elle ne me dit pas un mot. Il faut que je l’interroge pour connaître ma tension oculaire. Autour de quinze pour chaque œil, ce qui est dans la normalité.
La remplaçante n’est pas une débutante. Elle me confirme la bonne tension oculaire, pour le maintien de laquelle je mets une goutte de médicament soir et matin. C’est rassurant, me dit-elle. Elle m’indique que ma forte myopie complique la lecture des examens du glaucome. Et il en manque, que n’a pas transmis mon ancienne ophtalmo de ville. Il faudra les faire dans six mois. Elle ne me parle pas d’opération, n’évoque même pas le début de cataracte. Je ne peux m’empêcher de penser que c’est parce qu’elle n’a point d’intérêt financier dans cette entreprise qu’est la Clinique Mathilde.
Mes verres de lunettes ayant été abîmés par le soleil, je lui demande de m’en prescrire de nouveaux. Sitôt sorti, j’ôte le masque.
*
Cette infirmière parisienne de cinquante-cinq ans qui se fait violemment arrêter après avoir fait des doigts d’honneur aux Policiers et leur avoir lancé des pierres, montre qu’il ne faut plus participer aux manifestations depuis que celles-ci sont confisquées par l’Armée Noire, l’effet de foule risquant de vous entraîner à des actes d’une totale stupidité.
*
Philippe Torreton, comédien : « Pourquoi on peut s'asseoir côte à côte dans un train et pas au théâtre : expliquez-moi. »
Je t’explique Philippe, dans un train on n’a qu’un seul proche voisin, au théâtre deux, d’où un risque doublé d’être assis à côté d’un malade. D’autre part, si ton voisin de train tousse, tu peux changer de place ou même choisir de voyager debout, au théâtre non.
17 juin 2020
Un plaisir de trouver l’abbé Mugnier sous la plume de Paul Morand dans son Journal d’un attaché d’ambassade (Gallimard) :
Dix février mil neuf cent dix-sept : Déjeuné chez Hélène avec l’abbé Mugnier, Hector de Béarn et Jean Cocteau. On parle de Victor Hugo. (…)
L’abbé cite cette phrase de Coulanghéon : « Victor Hugo fait le tonnerre, le canon, le bon Dieu et l’idiot. » (…)
L’abbé raconte qu’il alla porter l’extrême-onction, au milieu de la nuit, à Montparnasse, appelé d’urgence, à deux heures du matin, auprès d’une femme atteinte d’une péritonite foudroyante. Maison éclairée bizarrement ; dans un salon, il est reçu par une dame très digne, en robe de soie. Elle le conduit vers la chambre de la mourante ; sur le passage du Saint-Sacrement, toutes les pensionnaires sorties de leur chambre en chemise se mettent à genoux. C’était un bordel.
Neuf mars mil neuf cent dix-sept : « Après vous, monsieur le Ministre, fait à Berthelot, fort civilement, à un déjeuner, le chanoine Mugnier. – Après vous, répond Berthelot. Nous faisons toujours passer l’Eglise devant, pour mieux la frapper dans le dos. »
Vingt-quatre avril mil neuf cent dix-sept : Je dis à l’abbé Mugnier :
« M. l’abbé, je veux vous faire déjeuner avec l’actrice Gina Palerme. – C’est cela, mon cher enfant, vous faites bien ; répond l’abbé, j’en ai assez des dérèglements de la rive gauche. »
Cinq juin mil neuf cent dix-sept : Dîner, hier soir, chez Hélène. La princesse Eugène Murat, Pierre de Polignac, Proust, Cocteau, l’abbé Mugnier, Zouboff.
(…) L’abbé, le toupet dressé comme la fumée hors de l’encensoir, tire de derrière sa soutane une édition populaire des Fleurs du Mal. Grand succès. Il sourit : « Désormais, avec la préface de Paul Bourget, il faudra dire : Les Fleurs du Bien. »
Six juillet mil neuf cent dix-sept : Dîner fort agréable au Ritz, donné par Hélène. L’abbé Mugnier, Walter Berry, Mme de Béarn, les Rehbinder, Proust, Pierre de Polignac. (…) Les dames demandent en riant, à l’abbé Mugnier, de les accompagner demain aux Folies-Bergères : « Non, répond-il, demain, je confesse ; ce sont mes Folies-Brebis. »
Dix-sept juillet mil neuf cent dix-sept : Déjeuné ce matin chez Marie Scheikevitch : Hélène, Mme de Durfort, Mme de Pange, M. Briand, Léon Bérard, Pierre de Polignac, Metman, l’abbé Mugnier, Chaumeix, Recouly. (…)
Au mot de Combourg, l’abbé se déclenche. Il parle aussitôt de la jeunesse de Chateaubriand, à l’ombre de la vieille tour de l’an mille. « Comme il est moderne ! Tout ce qu’il écrit se réalise ! Je vous assure (…) notre 1917 se trouve en entier dans les Mémoires d’Outre-Tombe.
-Mais tout ce qu’on dit arrive, l’abbé, réplique Briand, c’est ce qui sauve les politiciens. »
*
Ce mercredi après-midi, rendez-vous arraché de haute lutte avec l’ophtalmologue de la Clinique Mathilde, puis un autre rendez-vous, sur lequel je resterai discret, qui peut-être me tiendra pendant quelques jours loin d’un ordinateur.
Dix février mil neuf cent dix-sept : Déjeuné chez Hélène avec l’abbé Mugnier, Hector de Béarn et Jean Cocteau. On parle de Victor Hugo. (…)
L’abbé cite cette phrase de Coulanghéon : « Victor Hugo fait le tonnerre, le canon, le bon Dieu et l’idiot. » (…)
L’abbé raconte qu’il alla porter l’extrême-onction, au milieu de la nuit, à Montparnasse, appelé d’urgence, à deux heures du matin, auprès d’une femme atteinte d’une péritonite foudroyante. Maison éclairée bizarrement ; dans un salon, il est reçu par une dame très digne, en robe de soie. Elle le conduit vers la chambre de la mourante ; sur le passage du Saint-Sacrement, toutes les pensionnaires sorties de leur chambre en chemise se mettent à genoux. C’était un bordel.
Neuf mars mil neuf cent dix-sept : « Après vous, monsieur le Ministre, fait à Berthelot, fort civilement, à un déjeuner, le chanoine Mugnier. – Après vous, répond Berthelot. Nous faisons toujours passer l’Eglise devant, pour mieux la frapper dans le dos. »
Vingt-quatre avril mil neuf cent dix-sept : Je dis à l’abbé Mugnier :
« M. l’abbé, je veux vous faire déjeuner avec l’actrice Gina Palerme. – C’est cela, mon cher enfant, vous faites bien ; répond l’abbé, j’en ai assez des dérèglements de la rive gauche. »
Cinq juin mil neuf cent dix-sept : Dîner, hier soir, chez Hélène. La princesse Eugène Murat, Pierre de Polignac, Proust, Cocteau, l’abbé Mugnier, Zouboff.
(…) L’abbé, le toupet dressé comme la fumée hors de l’encensoir, tire de derrière sa soutane une édition populaire des Fleurs du Mal. Grand succès. Il sourit : « Désormais, avec la préface de Paul Bourget, il faudra dire : Les Fleurs du Bien. »
Six juillet mil neuf cent dix-sept : Dîner fort agréable au Ritz, donné par Hélène. L’abbé Mugnier, Walter Berry, Mme de Béarn, les Rehbinder, Proust, Pierre de Polignac. (…) Les dames demandent en riant, à l’abbé Mugnier, de les accompagner demain aux Folies-Bergères : « Non, répond-il, demain, je confesse ; ce sont mes Folies-Brebis. »
Dix-sept juillet mil neuf cent dix-sept : Déjeuné ce matin chez Marie Scheikevitch : Hélène, Mme de Durfort, Mme de Pange, M. Briand, Léon Bérard, Pierre de Polignac, Metman, l’abbé Mugnier, Chaumeix, Recouly. (…)
Au mot de Combourg, l’abbé se déclenche. Il parle aussitôt de la jeunesse de Chateaubriand, à l’ombre de la vieille tour de l’an mille. « Comme il est moderne ! Tout ce qu’il écrit se réalise ! Je vous assure (…) notre 1917 se trouve en entier dans les Mémoires d’Outre-Tombe.
-Mais tout ce qu’on dit arrive, l’abbé, réplique Briand, c’est ce qui sauve les politiciens. »
*
Ce mercredi après-midi, rendez-vous arraché de haute lutte avec l’ophtalmologue de la Clinique Mathilde, puis un autre rendez-vous, sur lequel je resterai discret, qui peut-être me tiendra pendant quelques jours loin d’un ordinateur.
16 juin 2020
Paul Morand eut l’avantage de connaître Marcel Proust avant que celui-ci ne soit connu. Ce qu’il en dit dans son Journal d’un attaché d’ambassade (Gallimard) a retenu mon attention :
Six octobre mil neuf cent seize : Proust s’attend à être appelé ; si c’est de jour, ce qui est vraisemblable, il ne pourra se rendre à la visite, puisqu’il dort ; il craint donc d’être porté déserteur. Il demande à Lucien Daudet si son frère Léon pourrait lui obtenir, par faveur spéciale, une visite médicale à minuit.
Seize décembre mil neuf cent seize : Céleste vient nous ouvrir. Curieuse personnalité que Céleste qui copie à la main tous les romans de Proust, donne son avis, lit les livres envoyés, etc., yeux baissés, voix étudiée, très sainte nitouche. (…)
Après attente, nous sommes introduits dans la chambre à coucher. Proust, roulé dans sa pelisse, en jaquette avec des souliers à empeignes de daim gris, une canne, des gants gris perle trop étroits, comme dans les tableaux de Manet, qui lui font des mains en bois ; figure fine et douce, mangée aux tempes par les cheveux noirs, le menton lourd enfoncé dans son col, les pommettes saillantes, oreilles tourmentées, l’air plus malade que jamais, jaune, le dos voûté, le thorax rentré. Une bouteille de champagne et deux coupes, sur un guéridon qui semble venir en ligne droite de chez Haas.
Premier février mil neuf cent dix-sept : Passé hier soir chez Marcel Proust. Silencieuse, digne, tout en noir, avec son sourire ineffable, Céleste m’ouvre. J’aperçois la pelisse d’Antoine Bibesco dans l’antichambre. Proust est dans son lit. Chambre glaciale, feu mort, affaissé dans ses cendres au creux d’une cheminée néo-régence. Une lampe près du lit, à l’abat-jour brûlé. Des piles croulantes de livres ; tout son roman en cahiers. Les murs recouverts de plaques de liège, le plafond aussi, barré de lames de bois. Odeurs de fumigations refroidies. Proust couché dans des draps fripés, très pâle, avec une barbe de deux jours, mains exsangues, teint terreux, cheveux embroussaillés, couvert de plusieurs gilets de chasse en laine tricotées, mités, ou brûlés.
Six mars mil neuf cent dix-sept : Avant-hier, dîné chez Larue, avec Hélène et Marcel Proust. Proust plus blanc que dans son lit, le teint d’un légume de cave, les yeux brillants, d’un orient admirable, mange d’abord une tarte, puis avale du café, et finit par une salade russe, sans quitter ses gants de suède gris. (…)
« Voulez-vous de la musique, du Franck ? dit Proust à Hélène. Je vais appeler le quatuor Poulet. » Il est dix heures et demie ; tout est éteint chez Larue (mais les garçons respectent la table de Proust) ; Proust part, seul, grelottant, réveiller les Poulet. Il est convenu que le concert aura lieu chez Hélène, au Ritz, parce que Céleste profite de ce que M. Marcel est sorti pour faire sa chambre. (C’est-à-dire à minuit ; elle secoue les tapis à minuit, la complaisance des voisins étant achetée.)
Trois avril mil neuf cent dix-sept : Dîné au Ritz, invité par Marcel Proust. Je lui dis que je compte quitter Paris. « Je suis plus triste de la pensée que je vais vous oublier que de votre départ », me dit Proust.
Vingt-sept mai mil neuf cent dix-sept : Hier soir, Céleste me téléphone : « M. Marcel Proust dînera volontiers avec M. Morand ce soir : que M. Morand invite qui il veut, si ça l’ennuie de dîner avec M. Marcel Proust, mais comme M. Marcel Proust n’est pas rasé, M. Marcel Proust prie M. Morand de ne pas lui faire de « surprises de dames ». »
Trois juin mil neuf cent dix-sept : Passé ensuite voir Proust. Il me parle d’un duel qu’il a eu avec Jean Lorrain, jadis. Il essaie de me lire une lettre confuse de J.-E. Blanche où celui-ci le prend à témoin de la conduite d’Helleu qui a vendu « pour des sommes énormes » deux Cézanne que J.-E. Blanche lui avait cédés en échange d’un Helleu. Proust est si fatigué qu’il est obligé de s’arrêter de lire.
Vingt-six juin mil neuf cent dix-sept : Petit dîner au Ritz, avec Hélène et Proust.
Prout décrit la personnalité étonnante du vieux Lubersac, avare, méchant, qui battait ses cochers, refusait les réparations locatives et ne payait jamais les honoraires du Dr Proust. (…)
Céleste dit des vers de Léger que « ce sont plutôt des devinettes que des vers ». Proust rit aux éclats de cette formule, en montrant ses superbes dents.
Cinq juillet mil neuf cent dix-sept : Céleste dit à Proust, parlant des velléités d’indépendance que son mari, le chauffeur, manifestait aux premiers temps de son mariage :
« A ce moment-là, monsieur, il avait une garçonnière dans le cœur. »
Douze août mil neuf cent dix-sept : Il y a eu des drames en mon absence, Cocteau avait convoqué Proust pour 9h à une lecture du Cap de Bonne Espérance, chez Valentine Gross. Proust vint à minuit accompagné de W. Berry et de Scheike. Cocteau furieux les mit dehors. D’où lettres, visites, crises. Proust reprochant à Cocteau d’être sous des apparences de jeune poète un vieux beau du genre de Montesquiou.
Cinq septembre mil neuf cent dix-sept : Passé hier soir voir Proust. Il déclare qu’il ne veut pas faire paraître les quatre volumes qu’il a prêts. Que les cahiers sont illisibles, que personne ne pourra les déchiffrer, et qu’il n’a pas la force de les écrire à nouveau.
Vingt-six septembre mil neuf cent dix-sept : Proust est sorti l’après-midi. Il a été déjeuner au Ritz, ce qui ne lui était pas arrivé depuis dix ans. Il a envoyé chercher une voiture par Céleste qui n’avait jamais vu le jour et qui, aveuglée par le soleil, s’est perdue !
Céleste lit Les Nourritures terrestres de Gide. Elle lit ces énumérations : rivières, lacs, étangs… et dit : « J’en ferais bien autant.
-Non », répond Proust.
Seize novembre mil neuf cent dix-sept : Dîner hier soir avec W. Berry et Hélène et Proust au Crillon. Proust apporte au Crillon ses épreuves collées sur de grandes feuilles de papier par les soins de la dactylo de Gallimard et, les jours où Céleste le chasse du bd Hausmann pour pouvoir faire la chambre, corrige dans un petit réduit de comptable au Crillon qu’on lui laisse occuper la nuit : il est mieux qu’au Ritz où, dit-il, il se croit obligé à trop de politesses vis-à-vis d’Olivier et il peut, moyennant quelques centaines de francs, avoir du café assez avant dans la nuit.
« Il faut que je vous lise une page dans A l’ombre des jeunes filles en fleurs qui a trait à un diplomate vieille école », me dit-il. Et il sort ses épreuves de dessous le comptoir du veilleur de nuit et lit à haute voix dans le hall, sous la lanterne, tandis que les conversations nasales d’Américains en kaki, et ivres, le choc des malles des arrivants couvrent sa voix et que la porte à cylindres nous jette de terribles courants d’air dans les jambes.
Six octobre mil neuf cent seize : Proust s’attend à être appelé ; si c’est de jour, ce qui est vraisemblable, il ne pourra se rendre à la visite, puisqu’il dort ; il craint donc d’être porté déserteur. Il demande à Lucien Daudet si son frère Léon pourrait lui obtenir, par faveur spéciale, une visite médicale à minuit.
Seize décembre mil neuf cent seize : Céleste vient nous ouvrir. Curieuse personnalité que Céleste qui copie à la main tous les romans de Proust, donne son avis, lit les livres envoyés, etc., yeux baissés, voix étudiée, très sainte nitouche. (…)
Après attente, nous sommes introduits dans la chambre à coucher. Proust, roulé dans sa pelisse, en jaquette avec des souliers à empeignes de daim gris, une canne, des gants gris perle trop étroits, comme dans les tableaux de Manet, qui lui font des mains en bois ; figure fine et douce, mangée aux tempes par les cheveux noirs, le menton lourd enfoncé dans son col, les pommettes saillantes, oreilles tourmentées, l’air plus malade que jamais, jaune, le dos voûté, le thorax rentré. Une bouteille de champagne et deux coupes, sur un guéridon qui semble venir en ligne droite de chez Haas.
Premier février mil neuf cent dix-sept : Passé hier soir chez Marcel Proust. Silencieuse, digne, tout en noir, avec son sourire ineffable, Céleste m’ouvre. J’aperçois la pelisse d’Antoine Bibesco dans l’antichambre. Proust est dans son lit. Chambre glaciale, feu mort, affaissé dans ses cendres au creux d’une cheminée néo-régence. Une lampe près du lit, à l’abat-jour brûlé. Des piles croulantes de livres ; tout son roman en cahiers. Les murs recouverts de plaques de liège, le plafond aussi, barré de lames de bois. Odeurs de fumigations refroidies. Proust couché dans des draps fripés, très pâle, avec une barbe de deux jours, mains exsangues, teint terreux, cheveux embroussaillés, couvert de plusieurs gilets de chasse en laine tricotées, mités, ou brûlés.
Six mars mil neuf cent dix-sept : Avant-hier, dîné chez Larue, avec Hélène et Marcel Proust. Proust plus blanc que dans son lit, le teint d’un légume de cave, les yeux brillants, d’un orient admirable, mange d’abord une tarte, puis avale du café, et finit par une salade russe, sans quitter ses gants de suède gris. (…)
« Voulez-vous de la musique, du Franck ? dit Proust à Hélène. Je vais appeler le quatuor Poulet. » Il est dix heures et demie ; tout est éteint chez Larue (mais les garçons respectent la table de Proust) ; Proust part, seul, grelottant, réveiller les Poulet. Il est convenu que le concert aura lieu chez Hélène, au Ritz, parce que Céleste profite de ce que M. Marcel est sorti pour faire sa chambre. (C’est-à-dire à minuit ; elle secoue les tapis à minuit, la complaisance des voisins étant achetée.)
Trois avril mil neuf cent dix-sept : Dîné au Ritz, invité par Marcel Proust. Je lui dis que je compte quitter Paris. « Je suis plus triste de la pensée que je vais vous oublier que de votre départ », me dit Proust.
Vingt-sept mai mil neuf cent dix-sept : Hier soir, Céleste me téléphone : « M. Marcel Proust dînera volontiers avec M. Morand ce soir : que M. Morand invite qui il veut, si ça l’ennuie de dîner avec M. Marcel Proust, mais comme M. Marcel Proust n’est pas rasé, M. Marcel Proust prie M. Morand de ne pas lui faire de « surprises de dames ». »
Trois juin mil neuf cent dix-sept : Passé ensuite voir Proust. Il me parle d’un duel qu’il a eu avec Jean Lorrain, jadis. Il essaie de me lire une lettre confuse de J.-E. Blanche où celui-ci le prend à témoin de la conduite d’Helleu qui a vendu « pour des sommes énormes » deux Cézanne que J.-E. Blanche lui avait cédés en échange d’un Helleu. Proust est si fatigué qu’il est obligé de s’arrêter de lire.
Vingt-six juin mil neuf cent dix-sept : Petit dîner au Ritz, avec Hélène et Proust.
Prout décrit la personnalité étonnante du vieux Lubersac, avare, méchant, qui battait ses cochers, refusait les réparations locatives et ne payait jamais les honoraires du Dr Proust. (…)
Céleste dit des vers de Léger que « ce sont plutôt des devinettes que des vers ». Proust rit aux éclats de cette formule, en montrant ses superbes dents.
Cinq juillet mil neuf cent dix-sept : Céleste dit à Proust, parlant des velléités d’indépendance que son mari, le chauffeur, manifestait aux premiers temps de son mariage :
« A ce moment-là, monsieur, il avait une garçonnière dans le cœur. »
Douze août mil neuf cent dix-sept : Il y a eu des drames en mon absence, Cocteau avait convoqué Proust pour 9h à une lecture du Cap de Bonne Espérance, chez Valentine Gross. Proust vint à minuit accompagné de W. Berry et de Scheike. Cocteau furieux les mit dehors. D’où lettres, visites, crises. Proust reprochant à Cocteau d’être sous des apparences de jeune poète un vieux beau du genre de Montesquiou.
Cinq septembre mil neuf cent dix-sept : Passé hier soir voir Proust. Il déclare qu’il ne veut pas faire paraître les quatre volumes qu’il a prêts. Que les cahiers sont illisibles, que personne ne pourra les déchiffrer, et qu’il n’a pas la force de les écrire à nouveau.
Vingt-six septembre mil neuf cent dix-sept : Proust est sorti l’après-midi. Il a été déjeuner au Ritz, ce qui ne lui était pas arrivé depuis dix ans. Il a envoyé chercher une voiture par Céleste qui n’avait jamais vu le jour et qui, aveuglée par le soleil, s’est perdue !
Céleste lit Les Nourritures terrestres de Gide. Elle lit ces énumérations : rivières, lacs, étangs… et dit : « J’en ferais bien autant.
-Non », répond Proust.
Seize novembre mil neuf cent dix-sept : Dîner hier soir avec W. Berry et Hélène et Proust au Crillon. Proust apporte au Crillon ses épreuves collées sur de grandes feuilles de papier par les soins de la dactylo de Gallimard et, les jours où Céleste le chasse du bd Hausmann pour pouvoir faire la chambre, corrige dans un petit réduit de comptable au Crillon qu’on lui laisse occuper la nuit : il est mieux qu’au Ritz où, dit-il, il se croit obligé à trop de politesses vis-à-vis d’Olivier et il peut, moyennant quelques centaines de francs, avoir du café assez avant dans la nuit.
« Il faut que je vous lise une page dans A l’ombre des jeunes filles en fleurs qui a trait à un diplomate vieille école », me dit-il. Et il sort ses épreuves de dessous le comptoir du veilleur de nuit et lit à haute voix dans le hall, sous la lanterne, tandis que les conversations nasales d’Américains en kaki, et ivres, le choc des malles des arrivants couvrent sa voix et que la porte à cylindres nous jette de terribles courants d’air dans les jambes.
15 juin 2020
Ce dimanche prévu plutôt beau, ou du moins sans pluie, pourquoi ne pas l’aller passer au Havre, me dis-je au réveil, oui mais, j’apprends qu’aucun train ne permet d’y arriver avant midi et que dans l’autre sens les deux de l’après-midi sont supprimés. La Senecefe, qui a déjà perdu quatre milliards, s’emploie à aggraver sa situation en m’empêchant encore une fois de voyager.
Me voici donc coincé à Rouen un dimanche.
L’après-midi, je renoue avec le Café de la Ville où les serveurs se dispensent de porter le masque. J’en suis le seul client d’intérieur et m’occupe à recenser les entrées Marcel Proust (et Céleste) et abbé Mugnier du Journal d’un attaché d’ambassade de Paul Morand publié en mil neuf cent quatre-vingt-seize par Gallimard.
Ce journal avait déjà été publié du vivant de Morand, en quarante-sept à La Table Ronde puis en soixante-trois chez Gallimard. De nombreuses coupures y avaient été faites par l’écrivain, explique la préface de cette dernière édition (anecdotes un peu désobligeantes sur des personnes encore vivantes, notations sur sa vie intime et sur Hélène Soutzo qui deviendrait sa femme dix ans plus tard).
Pour cette réédition, Gallimard aurait pu les réintégrer mais a choisi de ne pas le faire. On ne saurait demander à cette maison d’édition de faire preuve d’audace. Une récente affaire en a été la démonstration. Elle a augmenté dans ma bibliothèque le nombre de livres interdits à la vente. Faut-il que je me procure Autant en emporte le vent, pris dan la tourmente de l’actualité, avant qu’il ne connaisse le même sort ?
Dans ce débat du moment, il y a les Policiers qui affirment qu’il n’y a pas de racisme dans la Police et il y a ceux qui admettent qu’il y en a mais pas plus que dans la population générale. Pourtant, si la population générale votait comme la Police, c’est Le Pen qui serait au pouvoir.
Alors que là on a Macron qui le soir venu s’adresse aux déconfiné(e)s, une allocution télévisée dont cette fois je me dispense, rien ne me concernant directement.
*
Chez Morand, on croise aussi Erik Satie :
Sept octobre mil neuf cent seize : Satie entre, pareil à Socrate ; sa figure est faite de deux demi-lunes ; il gratte sa barbiche de bouc entre chaque mot.
Premier septembre mil neuf cent dix-sept : Je vais à Versailles. Erik Satie dans le train. Il espère être acquitté en appel (il a envoyé à un critique, élève de d’Indy, des cartes postales injurieuses et a attrapé huit jours de prison). M. Robert s’occupe de l’affaire.
*
Chez Morand, aussi ceci à la date du trente juin mil neuf cent dix-sept :
De Réjane, cette définition anglaise de l’adultère : The wrong man in the right place.
Me voici donc coincé à Rouen un dimanche.
L’après-midi, je renoue avec le Café de la Ville où les serveurs se dispensent de porter le masque. J’en suis le seul client d’intérieur et m’occupe à recenser les entrées Marcel Proust (et Céleste) et abbé Mugnier du Journal d’un attaché d’ambassade de Paul Morand publié en mil neuf cent quatre-vingt-seize par Gallimard.
Ce journal avait déjà été publié du vivant de Morand, en quarante-sept à La Table Ronde puis en soixante-trois chez Gallimard. De nombreuses coupures y avaient été faites par l’écrivain, explique la préface de cette dernière édition (anecdotes un peu désobligeantes sur des personnes encore vivantes, notations sur sa vie intime et sur Hélène Soutzo qui deviendrait sa femme dix ans plus tard).
Pour cette réédition, Gallimard aurait pu les réintégrer mais a choisi de ne pas le faire. On ne saurait demander à cette maison d’édition de faire preuve d’audace. Une récente affaire en a été la démonstration. Elle a augmenté dans ma bibliothèque le nombre de livres interdits à la vente. Faut-il que je me procure Autant en emporte le vent, pris dan la tourmente de l’actualité, avant qu’il ne connaisse le même sort ?
Dans ce débat du moment, il y a les Policiers qui affirment qu’il n’y a pas de racisme dans la Police et il y a ceux qui admettent qu’il y en a mais pas plus que dans la population générale. Pourtant, si la population générale votait comme la Police, c’est Le Pen qui serait au pouvoir.
Alors que là on a Macron qui le soir venu s’adresse aux déconfiné(e)s, une allocution télévisée dont cette fois je me dispense, rien ne me concernant directement.
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Chez Morand, on croise aussi Erik Satie :
Sept octobre mil neuf cent seize : Satie entre, pareil à Socrate ; sa figure est faite de deux demi-lunes ; il gratte sa barbiche de bouc entre chaque mot.
Premier septembre mil neuf cent dix-sept : Je vais à Versailles. Erik Satie dans le train. Il espère être acquitté en appel (il a envoyé à un critique, élève de d’Indy, des cartes postales injurieuses et a attrapé huit jours de prison). M. Robert s’occupe de l’affaire.
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Chez Morand, aussi ceci à la date du trente juin mil neuf cent dix-sept :
De Réjane, cette définition anglaise de l’adultère : The wrong man in the right place.
12 juin 2020
Ce jeudi, après une lecture paisible de midi à deux au Son du Cor des Lettres à Georges de Veza & Elias Canetti (Albin Michel), je change de quartier en me rendant dans une brasserie de l’hypercentre fréquentée en terrasse par une jeunesse oisive faute de pouvoir aller au lycée collège voisin où l’on étudie en petit comité pour des raisons de distanciation physique, une sélection absurde quand on voit comment s’agglutine cette jeunesse autour des tables, filles et garçons collés les uns aux autres et embrassant chaque arrivant(e).
Je ne les côtoie que le temps d’entrer. A l’intérieur, après le moment du déjeuner, il est facile de s’asseoir loin d’autrui car c’est toujours très calme. Encore plus aujourd’hui. Ne s’y trouve qu’un photographe de ma connaissance. Sa tâche consiste à présenter les burgueurs et les salades de la maison sous leur meilleur aspect. « Un travail alimentaire dans les deus sens du terme », me dit-il.
Je demande au personnel si je peux quand même m’installer sur le côté. Je le peux et, après commande d’un café verre d’eau, je sors moi aussi mon matériel. Ma tâche consiste à tapoter mes notes de lecture du Journal d’un attaché d’ambassade de Paul Morand (Gallimard).
Ainsi fais-je tandis que s’affaire l’homme à images. Dix-neuf avril mil neuf cent dix-sept : J’ai déjeuné avec une jeune personne rencontrée dans le métro. Elle s’est jetée, par peine d’amour, à quinze ans, dans le canal St-Martin. Elle raconte : « Un vieux qui me suivait a appelé les bateliers. » Puis très fière : « On m’a ramenée chez moi en ambulance. »
Nous échangeons quelques mots quand il en a fini. Paradoxalement, m’explique-il, la période est plutôt bonne pour lui car de nombreux restaurateurs se sont mis à la vente à emporter et ont besoin de photos valorisant leurs produits.
Lui parti, je reste longtemps seul client du dedans. Jusqu’à ce que le manque de place en terrasse y amène un grumeau de filles et de garçons qui passent un certain temps à compter leur argent pour savoir ce qu’ils peuvent commander.
Cela fait, une déception les attend. « On ne prend pas les petites pièces », leur annonce la serveuse. « Même pas les cinq centimes ? », essaie l’une en vain.
Je ne sais si cette pratique est légale mais je ne m’en mêle pas. Les cafés rouennais où je ne me sens pas malvenu ne sont pas légion.
*
Le Point Rouen chez Morand :
Vingt-deux février mil neuf cent dix-sept : L. de Fourcaud, maire d’une commune de Normandie des environs de Rouen, a six cents soldats anglais chez lui ; les mêmes depuis deux ans. Il y a trois enfants nés dans le village : un Canadien et deux Anglais. Quand l’on demande aux Françaises si elles sont satisfaites, elles répondent : « Ma foi, avec mon Anglais et mon allocation, ça va ! ». (…) Ils touchent comme privates, cinq francs par jour et les Canadiens sept francs. C’est une pluie d’or sur le pays ; les Anglais dépensent à Rouen deux cent mille francs par jour.
*
Un Point Le Havre aussi :
Vingt-sept janvier mil neuf cent dix-sept : Nous déjeunons au Havre, invités par Emile d’Erlanger. Il est chairman de la Société du tunnel sous la Manche. Le projet est chaque fois repoussé par le Comité anglais de défense impériale. (…)
Le Havre est mortel d’ennui. Les diplomates en crèvent. Higgins décrit le ministre du Brésil, isolé dans la ville « comme un cigare infumable ».
Après déjeuner, nous prenons une auto et allons à Sainte-Adresse. Le gouvernement belge vit sur cette grève de cailloux, en plein vent, dans des coins de cabanes en bois sans vitres, avec des lambeaux de drapeaux belges…
Je ne les côtoie que le temps d’entrer. A l’intérieur, après le moment du déjeuner, il est facile de s’asseoir loin d’autrui car c’est toujours très calme. Encore plus aujourd’hui. Ne s’y trouve qu’un photographe de ma connaissance. Sa tâche consiste à présenter les burgueurs et les salades de la maison sous leur meilleur aspect. « Un travail alimentaire dans les deus sens du terme », me dit-il.
Je demande au personnel si je peux quand même m’installer sur le côté. Je le peux et, après commande d’un café verre d’eau, je sors moi aussi mon matériel. Ma tâche consiste à tapoter mes notes de lecture du Journal d’un attaché d’ambassade de Paul Morand (Gallimard).
Ainsi fais-je tandis que s’affaire l’homme à images. Dix-neuf avril mil neuf cent dix-sept : J’ai déjeuné avec une jeune personne rencontrée dans le métro. Elle s’est jetée, par peine d’amour, à quinze ans, dans le canal St-Martin. Elle raconte : « Un vieux qui me suivait a appelé les bateliers. » Puis très fière : « On m’a ramenée chez moi en ambulance. »
Nous échangeons quelques mots quand il en a fini. Paradoxalement, m’explique-il, la période est plutôt bonne pour lui car de nombreux restaurateurs se sont mis à la vente à emporter et ont besoin de photos valorisant leurs produits.
Lui parti, je reste longtemps seul client du dedans. Jusqu’à ce que le manque de place en terrasse y amène un grumeau de filles et de garçons qui passent un certain temps à compter leur argent pour savoir ce qu’ils peuvent commander.
Cela fait, une déception les attend. « On ne prend pas les petites pièces », leur annonce la serveuse. « Même pas les cinq centimes ? », essaie l’une en vain.
Je ne sais si cette pratique est légale mais je ne m’en mêle pas. Les cafés rouennais où je ne me sens pas malvenu ne sont pas légion.
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Le Point Rouen chez Morand :
Vingt-deux février mil neuf cent dix-sept : L. de Fourcaud, maire d’une commune de Normandie des environs de Rouen, a six cents soldats anglais chez lui ; les mêmes depuis deux ans. Il y a trois enfants nés dans le village : un Canadien et deux Anglais. Quand l’on demande aux Françaises si elles sont satisfaites, elles répondent : « Ma foi, avec mon Anglais et mon allocation, ça va ! ». (…) Ils touchent comme privates, cinq francs par jour et les Canadiens sept francs. C’est une pluie d’or sur le pays ; les Anglais dépensent à Rouen deux cent mille francs par jour.
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Un Point Le Havre aussi :
Vingt-sept janvier mil neuf cent dix-sept : Nous déjeunons au Havre, invités par Emile d’Erlanger. Il est chairman de la Société du tunnel sous la Manche. Le projet est chaque fois repoussé par le Comité anglais de défense impériale. (…)
Le Havre est mortel d’ennui. Les diplomates en crèvent. Higgins décrit le ministre du Brésil, isolé dans la ville « comme un cigare infumable ».
Après déjeuner, nous prenons une auto et allons à Sainte-Adresse. Le gouvernement belge vit sur cette grève de cailloux, en plein vent, dans des coins de cabanes en bois sans vitres, avec des lambeaux de drapeaux belges…
11 juin 2020
L’autre semaine au Son du Cor s’assoit pas loin de moi un comédien au faux air de Jean-Pierre Mocky. « J’attends une fille », dit-il à l’agréable serveuse quand elle lui demande ce qu’il veut boire.
Celle qui arrive un peu plus tard est une sexagénaire à chignon que je crois avoir aperçue en face de chez moi lors des lectures musicales de la galerie d’art La Page Blanche.
Elle a trop froid pour rester en terrasse. Ils vont donc à l’intérieur et je m’en réjouis car, à peine leur café bu, ces exhibitionnistes, livre en main, se mettent à répéter sans se soucier d’autrui.
Ce mercredi, le faux Mocky est encore là, en compagnie d’un de ses amis. Sans me méfier je m’installe à une table derrière eux et suis en train de tranquillement lire Lettres à Georges de Veza & Elias Canetti quand je vois arriver la fausse fille.
Cela a pour effet de chasser l’ami. Comme il fait doux, le fâcheux duo ne migre pas et je dois subir leur nouvelle répétition. Il s’agit d’une pièce de Labiche, cet auteur si apprécié par certains vieux.
-Allons faire un tour, lui dit-il
-Je te suis, répond-elle
Pas de quoi me réjouir, c’est signé Labiche.
La peste soit de ces gens de théâtre. Imagine-t-on un joueur de cornemuse venir faire ses gammes en terrasse ou un bricoleur y jouer du marteau ? L’égocentrisme et la prétention de ces sans-gênes m’exaspèrent. Je recule d’une table mais ne peux aller plus loin car La Buvette du Robec est en travaux. On y joue ponctuellement de la perceuse.
Il arrive enfin un moment où, leur représentation terminée, allons faire un tour, je te suis, Mocky et la fille partent ensemble, à mon grand contentement.
*
En fin d’après-midi, regardant Cé dans l’air sur France Cinq, une émission consacrée au coronavirus, j’entends un certain Martin Blachier, « épidémiologiste, spécialiste en santé publique » ayant des intérêts chez Public Health Expertise ( « Il est expert des problématiques d'accès et de prix en France. Il a accompagné l'accès des plus grandes innovations en France depuis 10 ans. Il travaille sur de nombreux projets de market access local en s'appuyant sur des outils médico-économiques "sur-mesure". »), par ailleurs Gérant de l'entreprise BLV GROUP (institut de beauté) et Directeur Général de l'entreprise DIGIMED, déclarer qu’en cas de reprise du Covid Dix-Neuf en France à l’automne, il faudra confiner les personnes vulnérables. Et donc les vieux. Encore un apprenti dictateur.
Celle qui arrive un peu plus tard est une sexagénaire à chignon que je crois avoir aperçue en face de chez moi lors des lectures musicales de la galerie d’art La Page Blanche.
Elle a trop froid pour rester en terrasse. Ils vont donc à l’intérieur et je m’en réjouis car, à peine leur café bu, ces exhibitionnistes, livre en main, se mettent à répéter sans se soucier d’autrui.
Ce mercredi, le faux Mocky est encore là, en compagnie d’un de ses amis. Sans me méfier je m’installe à une table derrière eux et suis en train de tranquillement lire Lettres à Georges de Veza & Elias Canetti quand je vois arriver la fausse fille.
Cela a pour effet de chasser l’ami. Comme il fait doux, le fâcheux duo ne migre pas et je dois subir leur nouvelle répétition. Il s’agit d’une pièce de Labiche, cet auteur si apprécié par certains vieux.
-Allons faire un tour, lui dit-il
-Je te suis, répond-elle
Pas de quoi me réjouir, c’est signé Labiche.
La peste soit de ces gens de théâtre. Imagine-t-on un joueur de cornemuse venir faire ses gammes en terrasse ou un bricoleur y jouer du marteau ? L’égocentrisme et la prétention de ces sans-gênes m’exaspèrent. Je recule d’une table mais ne peux aller plus loin car La Buvette du Robec est en travaux. On y joue ponctuellement de la perceuse.
Il arrive enfin un moment où, leur représentation terminée, allons faire un tour, je te suis, Mocky et la fille partent ensemble, à mon grand contentement.
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En fin d’après-midi, regardant Cé dans l’air sur France Cinq, une émission consacrée au coronavirus, j’entends un certain Martin Blachier, « épidémiologiste, spécialiste en santé publique » ayant des intérêts chez Public Health Expertise ( « Il est expert des problématiques d'accès et de prix en France. Il a accompagné l'accès des plus grandes innovations en France depuis 10 ans. Il travaille sur de nombreux projets de market access local en s'appuyant sur des outils médico-économiques "sur-mesure". »), par ailleurs Gérant de l'entreprise BLV GROUP (institut de beauté) et Directeur Général de l'entreprise DIGIMED, déclarer qu’en cas de reprise du Covid Dix-Neuf en France à l’automne, il faudra confiner les personnes vulnérables. Et donc les vieux. Encore un apprenti dictateur.
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