Dernières notes
Loïc Boyer
Je suis l’auteur de textes courts qui furent publiés depuis mil neuf cent quatre-vingt-quinze dans des revues littéraires en France (Supérieur Inconnu, Supplément d’Ame, Nouvelle Donne, Le Bord de l’Eau, Pris de Peur, l’Art du Bref, Sol’Air, Gros Textes, Salmigondis, Verso, Décharge, Bulle, Filigranes, Diérèse, Martobre, Comme ça et Autrement, (Cahier d’) Ecritures, La Nef des Fous), en Belgique (Traversées, Ecrits Vains, L’Arbre à Plumes, Inédit Nouveau, Bleu d’Encre), au Canada (Les Saisons Littéraires) et en Italie (Les Cahiers du Ru).
Les courageuses Editions du Chardon ont publié en mil neuf cent quatre-vingt-dix-neuf Erotica, un recueil de vingt-huit de ces textes, illustré par Isabelle Pio et Antoine Lopez et préfacé par Sarane Alexandrian, toujours disponible auprès de moi.
Je suis également l’auteur d’une pièce de théâtre et de plusieurs romans ou récits à ce jour inédits.
Depuis le onze novembre deux mille six, je publie mon Journal via Internet, un temps sous-titré Persiflages, moquages et autres énervages mâtinés de complimentages et de contentages. Sa première partie est lisible chez Eklablog, la deuxième ici.
Je vis au centre de Rouen dans un ancien monastère où autrefois les Sœurs de la Miséricorde se vouaient à l’éducation des jeunes filles.
Les courageuses Editions du Chardon ont publié en mil neuf cent quatre-vingt-dix-neuf Erotica, un recueil de vingt-huit de ces textes, illustré par Isabelle Pio et Antoine Lopez et préfacé par Sarane Alexandrian, toujours disponible auprès de moi.
Je suis également l’auteur d’une pièce de théâtre et de plusieurs romans ou récits à ce jour inédits.
Depuis le onze novembre deux mille six, je publie mon Journal via Internet, un temps sous-titré Persiflages, moquages et autres énervages mâtinés de complimentages et de contentages. Sa première partie est lisible chez Eklablog, la deuxième ici.
Je vis au centre de Rouen dans un ancien monastère où autrefois les Sœurs de la Miséricorde se vouaient à l’éducation des jeunes filles.
22 mai 2020
Quoi de plus approprié en ce jeudi d’Ascension que de faire celle de la Côte Sainte-Catherine. Ce pourquoi, vers sept heures du matin, je me dirige vers le faubourg Martainville.
Passé sous la voie rapide, je prends le sentier de grande randonnée qui démarre à proximité du cimetière du Mont-Gargan et, ne disposant pas des moyens du nommé Jésus, grimpe marche après marche l’escalier bucolique qui m’éloigne de la ville, m’arrêtant à chaque virage pour le photographier, ainsi que les animaux domestiques rencontrés à mi-hauteur broutant les herbes hautes.
Je suis fort étonné d’atteindre le sommet en à peine plus d’une demi-heure. Du belvédère où l’on peut aussi arriver par la route, les poubelles débordantes en témoignant, je contemple la ville et ses banlieues. Au centre, la Seine, son île Lacroix et ses ponts. A gauche, la rive ouvrière à usines Seveso où se font remarquer les immeubles à l’architecture plus élaborée du Grand-Quevilly. A droite, la rive bourgeoise avec pour monument emblématique la Cathédrale au gros pansement blanc. En fond sonore, le ronronnement de la circulation routière et ferroviaire mâtiné de zoizotements multiples.
Nul autre que moi ici, je redescends un peu pour aller m’asseoir sur l’unique banc de pierre où, par le passé, je fus près d’une sans la moindre distanciation physique.
Lorsque je me décide à rentrer, je fais un détour pour me rapprocher des moutons et des chèvres à clochette, songeant à la montagne avec un peu de mélancolie. Un bélier essaie de grimper une brebis mais celle-ci lui rappelle que lorsque c’est non, c’est non.
Un peu plus bas, j’aperçois qui monte une jolie fille à lunettes vêtue de noir à qui le chorte va particulièrement bien. Arrivé à sa hauteur, elle me montre son dos, occupée qu’elle est à faire une photo. Quand elle se retourne, s’apercevoir de ma présence ne l’effraie nullement. Nous nous saluons avec un sourire puis nous nous croisons en respectant les gestes barrières.
*
Cette vie au rabais ne présente pas d’intérêt, à part le fait d’être encore vivant. Quel film pourra-t-on faire qui se passera en deux mille vingt hormis une histoire d’amour entre une infirmière et un malade du Covid Dix-Neuf, tous deux porteurs d’un préservatif bucco-nasal ?
*
Qui n’a pas ses petits soucis de santé :
J’ai depuis ce matin un pincement à l’occiput et la tête lourde comme si je portais dedans un quintal de plomb. Gustave Flaubert à Louise Colet, le samedi vingt-six juin mil huit cent cinquante-deux.
Passé sous la voie rapide, je prends le sentier de grande randonnée qui démarre à proximité du cimetière du Mont-Gargan et, ne disposant pas des moyens du nommé Jésus, grimpe marche après marche l’escalier bucolique qui m’éloigne de la ville, m’arrêtant à chaque virage pour le photographier, ainsi que les animaux domestiques rencontrés à mi-hauteur broutant les herbes hautes.
Je suis fort étonné d’atteindre le sommet en à peine plus d’une demi-heure. Du belvédère où l’on peut aussi arriver par la route, les poubelles débordantes en témoignant, je contemple la ville et ses banlieues. Au centre, la Seine, son île Lacroix et ses ponts. A gauche, la rive ouvrière à usines Seveso où se font remarquer les immeubles à l’architecture plus élaborée du Grand-Quevilly. A droite, la rive bourgeoise avec pour monument emblématique la Cathédrale au gros pansement blanc. En fond sonore, le ronronnement de la circulation routière et ferroviaire mâtiné de zoizotements multiples.
Nul autre que moi ici, je redescends un peu pour aller m’asseoir sur l’unique banc de pierre où, par le passé, je fus près d’une sans la moindre distanciation physique.
Lorsque je me décide à rentrer, je fais un détour pour me rapprocher des moutons et des chèvres à clochette, songeant à la montagne avec un peu de mélancolie. Un bélier essaie de grimper une brebis mais celle-ci lui rappelle que lorsque c’est non, c’est non.
Un peu plus bas, j’aperçois qui monte une jolie fille à lunettes vêtue de noir à qui le chorte va particulièrement bien. Arrivé à sa hauteur, elle me montre son dos, occupée qu’elle est à faire une photo. Quand elle se retourne, s’apercevoir de ma présence ne l’effraie nullement. Nous nous saluons avec un sourire puis nous nous croisons en respectant les gestes barrières.
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Cette vie au rabais ne présente pas d’intérêt, à part le fait d’être encore vivant. Quel film pourra-t-on faire qui se passera en deux mille vingt hormis une histoire d’amour entre une infirmière et un malade du Covid Dix-Neuf, tous deux porteurs d’un préservatif bucco-nasal ?
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Qui n’a pas ses petits soucis de santé :
J’ai depuis ce matin un pincement à l’occiput et la tête lourde comme si je portais dedans un quintal de plomb. Gustave Flaubert à Louise Colet, le samedi vingt-six juin mil huit cent cinquante-deux.
21 mai 2020
Plus question de lire au soleil sur le banc, la chaleur est désormais estivale. C’est à l’ombre, sur une chaise de campigne achetée l’an dernier et pratiquement pas utilisée, que j’entame le tome deux des Lettres à sa maîtresse de Gustave Flaubert.
Dans la foulée (si je puis dire), je remplace plateau et tréteaux par ma vieille table de campigne fabriquée en Europe de l’Est au temps du communisme et qui en a vu beaucoup. Son avantage est d’être moins lourde. Cela me permet de ménager ma hernie débutante, laquelle je ne sens plus depuis plusieurs jours. De même, je ne sens plus la gêne dans mon oreille droite. Là, c’est peut-être dû au bain de bouche. On ne peut exclure qu’un médicament soit efficace.
Pas question que je mette le pied en ville l’après-midi en ce début de ouiquennede prolongé, vu la foule que j’y ai croisée ce matin. Que faisaient là toutes ces personnes, je me le demande car les magasins restent peu fréquentés. Le commerce en mode dégradé ne passionne par les foules, même lorsqu’il est favorisé par le réchauffement climatique.
La réouverture possible, si ce n’est probable, des cafés et restaurants, dont s’entretient par haut-parleur, au moment où j’écris ceci dans le jardin, avec un de ses anciens copains d’école hôtelière, un voisin qui travaille dans l’un, n’est même pas pour me réjouir. Ce sera avec contraintes, et toute contrainte me fait fuir
Tout à coup, la porte donnant sur la ruelle s’ouvre brutalement et le trentenaire qui apparaît la place en position de rester ouverte. Voyant mon air interrogateur, il me déclare « Je suis le syndic » sur le ton de « Je suis le maître ici ». Il ajoute qu’il attend un artisan.
-Je n’ai pas pris mon masque, annonce ce dernier quand il arrive.
-Moi non plus, lui dit l’autre, on va rester à distance.
Le problème est le suivant. Le tout-à-l’égout d’une partie de la copropriété passe sous la cour de nos voisins mormons de l’Eglise de Jésus-Christ des Saints des Derniers Jours et suite à une rupture de canalisation sur quatre mètres, cette cour s’est affaissée. De plus, une cave a été inondée.
L’artisan explique qu’il ne peut rien envisager tant qu’il n’a pas le plan du réseau. Il donne le nom d’une personne pouvant le faire, coût estimé entre mille et mille deux cents euros.
Les deux hommes s’en vont sans me dire au revoir. J’entends déjà le bruit du marteau-piqueur.
*
Nouveau message gouvernemental sur France Culture à six heures du matin : « Le virus est toujours là et neuf personnes sur dix mourant d’une infection à coronavirus ont plus de soixante-cinq ans. Alors soyez prudents. » Au cas où je n’y penserais pas dès mon lever.
*
Qui n’a pas ses petits soucis de santé :
Lever ; Dieu soit loué ! je me sens assez bien à présent, mais ne puis toujours pas aller à la selle normalement ; et alors que j’allais jouir de ma femme ce matin, je sentis une très vive douleur à l’extrémité de ma verge, quand elle se fit raide, comme si j’avais froissé quelque nerf ou une veine, et cela me fit très mal. Samuel Pepys, Journal, quinze octobre mil six cent soixante-trois.
Dans la foulée (si je puis dire), je remplace plateau et tréteaux par ma vieille table de campigne fabriquée en Europe de l’Est au temps du communisme et qui en a vu beaucoup. Son avantage est d’être moins lourde. Cela me permet de ménager ma hernie débutante, laquelle je ne sens plus depuis plusieurs jours. De même, je ne sens plus la gêne dans mon oreille droite. Là, c’est peut-être dû au bain de bouche. On ne peut exclure qu’un médicament soit efficace.
Pas question que je mette le pied en ville l’après-midi en ce début de ouiquennede prolongé, vu la foule que j’y ai croisée ce matin. Que faisaient là toutes ces personnes, je me le demande car les magasins restent peu fréquentés. Le commerce en mode dégradé ne passionne par les foules, même lorsqu’il est favorisé par le réchauffement climatique.
La réouverture possible, si ce n’est probable, des cafés et restaurants, dont s’entretient par haut-parleur, au moment où j’écris ceci dans le jardin, avec un de ses anciens copains d’école hôtelière, un voisin qui travaille dans l’un, n’est même pas pour me réjouir. Ce sera avec contraintes, et toute contrainte me fait fuir
Tout à coup, la porte donnant sur la ruelle s’ouvre brutalement et le trentenaire qui apparaît la place en position de rester ouverte. Voyant mon air interrogateur, il me déclare « Je suis le syndic » sur le ton de « Je suis le maître ici ». Il ajoute qu’il attend un artisan.
-Je n’ai pas pris mon masque, annonce ce dernier quand il arrive.
-Moi non plus, lui dit l’autre, on va rester à distance.
Le problème est le suivant. Le tout-à-l’égout d’une partie de la copropriété passe sous la cour de nos voisins mormons de l’Eglise de Jésus-Christ des Saints des Derniers Jours et suite à une rupture de canalisation sur quatre mètres, cette cour s’est affaissée. De plus, une cave a été inondée.
L’artisan explique qu’il ne peut rien envisager tant qu’il n’a pas le plan du réseau. Il donne le nom d’une personne pouvant le faire, coût estimé entre mille et mille deux cents euros.
Les deux hommes s’en vont sans me dire au revoir. J’entends déjà le bruit du marteau-piqueur.
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Nouveau message gouvernemental sur France Culture à six heures du matin : « Le virus est toujours là et neuf personnes sur dix mourant d’une infection à coronavirus ont plus de soixante-cinq ans. Alors soyez prudents. » Au cas où je n’y penserais pas dès mon lever.
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Qui n’a pas ses petits soucis de santé :
Lever ; Dieu soit loué ! je me sens assez bien à présent, mais ne puis toujours pas aller à la selle normalement ; et alors que j’allais jouir de ma femme ce matin, je sentis une très vive douleur à l’extrémité de ma verge, quand elle se fit raide, comme si j’avais froissé quelque nerf ou une veine, et cela me fit très mal. Samuel Pepys, Journal, quinze octobre mil six cent soixante-trois.
20 mai 2020
La côte du Cimetière Monumental n’usurpe pas son nom, ça monte et le vieux piéton que je suis doit s’asseoir par deux fois sur le muret afin de reprendre souffle. Les nuages n’ont pas encore tous disparu en ce début d’après-midi de mardi, ce qui me permet de ne pas trop suer. Je ne suis pas gêné par autrui, qui à part moi aurait l’idée d’aller du centre de Rouen à son principal cimetière à pied.
A l’entrée, je repère vaguement sur le plan les tombes des deux que je suis venu visiter : Flaubert et Duchamp. Dans l’allée, une vieille flèche guide vers le premier. Elle n’est pas assez précise pour que je le trouve. Heureusement, je ne suis pas complètement seul dans ce cimetière ; un jeune homme vêtu de noir y erre, à qui je m’adresse et qui m’y conduit.
-J’y suis déjà venu plusieurs fois, lui dis-je, mais je ne la retrouve jamais du premier coup malgré le plan et la flèche.
-On ne peut pas s’y fier, me répond-il, moi je me repère à la chapelle puis au menhir.
Effectivement, à gauche du bâtiment majestueux mais lugubre recevant des urnes de défunts, puis à droite de la tombe prétentieuse à menhir d’un peintre oublié, se trouve le caveau des Flaubert. Je remercie l’aimable jeune homme et photographie l’enclos barriéré.
Au centre, couchés l’un à côté de l’autre comme dans leur lit conjugal, le père et la mère, à droite la sœur, Gustave est dans le lit d’enfant à gauche. Sur sa pierre tombale, une ancienne couronne mortuaire s’est transformée en bouée de sauvetage. Personne ne vient là poser une fleur. « Amour Respect Regrets éternels », est-il gravé dans la pierre, c’est pour Achille Cléophas. « Ci-gît » la mère de Flaubert. « Ici repose » le père de Flaubert. « Ici repose » la sœur de Flaubert. « Ici repose le corps de Gustave Flaubert. ». Nuance.
J’aurais dû demander à l’autre visiteur de cimetière, l’emplacement de la tombe de Duchamp, me dis-je quand je me mets à sa recherche. Je me souviens qu’elle est en contrebas de celle de Flaubert et proche du mur d’enceinte. Coup de chance, en descendant à droite, je vois apparaître, devant le monument de l’érotique famille Trousse Pelletier, la vieille pancarte « Sépultures de la famille Duchamp ». Un petit chemin bucolique de trois mètres de longueur y mène.
Pas moins de dix-neuf personnes, confinées en famille pour toujours, se serrent en trois caveaux parallèles. Marcel se trouve avec frères et sœur dans celui de droite, sur lequel gagne la végétation et au pied duquel ont été posées des « œuvres d’art » que je me retiens d’aller mettre à la poubelle. Ce n’est pas lui qui prend le plus de place, ayant été incinéré avec ses clés oubliées dans sa poche. Le bien connu « D’ailleurs c’est toujours les autres qui meurent » est gravé dans la pierre au-dessus de son nom. Certains membres de la famille reposent ici « en attendant la résurrection ». En bordure d’allée, un peu au-dessus des sépultures des Duchamp se trouve celle de Joseph-Désiré Court dont le buste est couronné par la statue de la gloire, témoignage de la vanité des artistes de cette époque.
Globalement, ce Cimentière Monumental manque de charme, rien à voir avec le Père Lachaise. Pour ne rien arranger, par absence de bancs, on ne peut s’y asseoir. Mon intention d’y poursuivre la lecture des Lettres à sa maîtresse de Gustave Flaubert est rendue à néant. Après avoir uriné contre le mur d’enceinte, je redescends la côte, visant une Cathédrale encore embrumée.
*
En fait de cimetières, j’aime ceux qui sont dégradés, ravagés, en ruines, plein de ronces, avec des herbes hautes, et quelque vache échappée du clos voisin qui vient brouter là tranquillement. écrivait Gustave Flaubert, en voyage à Londres, à Louise Colet le dimanche vingt-huit septembre mil huit cent cinquante et un.
On n’en est pas encore là à Rouen malgré l’abandon du traitement au glyphosate.
*
Michel Piccoli est mort lui aussi, à quatre-vingt-quatorze ans, en son Château de la Cour à Saint-Philbert-sur-Risle, un acteur qui eut le mérite de mettre sa notoriété au service de films que la moralité du vingt et unième siècle ne permettrait plus.
Il habitait déjà son château quand je vivais pas très loin au Bec-Hellouin début des années quatre-vingt. A cette époque, un projet d’autoroute devait la faire passer à proximité de sa propriété. Il téléphona à son ami Président, le Mythe Errant, et la nuisance fut déplacée de quelques kilomètres. Les nouveaux concernés manifestèrent avec des pancartes « Non au tracé Piccoli », en vain.
Je ne raconte pas ça pour le condamner. A sa place, j’aurais fait la même chose.
A l’entrée, je repère vaguement sur le plan les tombes des deux que je suis venu visiter : Flaubert et Duchamp. Dans l’allée, une vieille flèche guide vers le premier. Elle n’est pas assez précise pour que je le trouve. Heureusement, je ne suis pas complètement seul dans ce cimetière ; un jeune homme vêtu de noir y erre, à qui je m’adresse et qui m’y conduit.
-J’y suis déjà venu plusieurs fois, lui dis-je, mais je ne la retrouve jamais du premier coup malgré le plan et la flèche.
-On ne peut pas s’y fier, me répond-il, moi je me repère à la chapelle puis au menhir.
Effectivement, à gauche du bâtiment majestueux mais lugubre recevant des urnes de défunts, puis à droite de la tombe prétentieuse à menhir d’un peintre oublié, se trouve le caveau des Flaubert. Je remercie l’aimable jeune homme et photographie l’enclos barriéré.
Au centre, couchés l’un à côté de l’autre comme dans leur lit conjugal, le père et la mère, à droite la sœur, Gustave est dans le lit d’enfant à gauche. Sur sa pierre tombale, une ancienne couronne mortuaire s’est transformée en bouée de sauvetage. Personne ne vient là poser une fleur. « Amour Respect Regrets éternels », est-il gravé dans la pierre, c’est pour Achille Cléophas. « Ci-gît » la mère de Flaubert. « Ici repose » le père de Flaubert. « Ici repose » la sœur de Flaubert. « Ici repose le corps de Gustave Flaubert. ». Nuance.
J’aurais dû demander à l’autre visiteur de cimetière, l’emplacement de la tombe de Duchamp, me dis-je quand je me mets à sa recherche. Je me souviens qu’elle est en contrebas de celle de Flaubert et proche du mur d’enceinte. Coup de chance, en descendant à droite, je vois apparaître, devant le monument de l’érotique famille Trousse Pelletier, la vieille pancarte « Sépultures de la famille Duchamp ». Un petit chemin bucolique de trois mètres de longueur y mène.
Pas moins de dix-neuf personnes, confinées en famille pour toujours, se serrent en trois caveaux parallèles. Marcel se trouve avec frères et sœur dans celui de droite, sur lequel gagne la végétation et au pied duquel ont été posées des « œuvres d’art » que je me retiens d’aller mettre à la poubelle. Ce n’est pas lui qui prend le plus de place, ayant été incinéré avec ses clés oubliées dans sa poche. Le bien connu « D’ailleurs c’est toujours les autres qui meurent » est gravé dans la pierre au-dessus de son nom. Certains membres de la famille reposent ici « en attendant la résurrection ». En bordure d’allée, un peu au-dessus des sépultures des Duchamp se trouve celle de Joseph-Désiré Court dont le buste est couronné par la statue de la gloire, témoignage de la vanité des artistes de cette époque.
Globalement, ce Cimentière Monumental manque de charme, rien à voir avec le Père Lachaise. Pour ne rien arranger, par absence de bancs, on ne peut s’y asseoir. Mon intention d’y poursuivre la lecture des Lettres à sa maîtresse de Gustave Flaubert est rendue à néant. Après avoir uriné contre le mur d’enceinte, je redescends la côte, visant une Cathédrale encore embrumée.
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En fait de cimetières, j’aime ceux qui sont dégradés, ravagés, en ruines, plein de ronces, avec des herbes hautes, et quelque vache échappée du clos voisin qui vient brouter là tranquillement. écrivait Gustave Flaubert, en voyage à Londres, à Louise Colet le dimanche vingt-huit septembre mil huit cent cinquante et un.
On n’en est pas encore là à Rouen malgré l’abandon du traitement au glyphosate.
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Michel Piccoli est mort lui aussi, à quatre-vingt-quatorze ans, en son Château de la Cour à Saint-Philbert-sur-Risle, un acteur qui eut le mérite de mettre sa notoriété au service de films que la moralité du vingt et unième siècle ne permettrait plus.
Il habitait déjà son château quand je vivais pas très loin au Bec-Hellouin début des années quatre-vingt. A cette époque, un projet d’autoroute devait la faire passer à proximité de sa propriété. Il téléphona à son ami Président, le Mythe Errant, et la nuisance fut déplacée de quelques kilomètres. Les nouveaux concernés manifestèrent avec des pancartes « Non au tracé Piccoli », en vain.
Je ne raconte pas ça pour le condamner. A sa place, j’aurais fait la même chose.
19 mai 2020
Soudain, le trente et un mai mil six cent soixante-neuf, Samuel Pepys décide d’arrêter son Journal commencé le premier janvier mil six cent soixante car sa vision diminue énormément. Ses yeux lui font mal, il craint de devenir aveugle s’il continue à les fatiguer en écrivant. Brutalement, je perds cet ami dont j'aime particulièrement les faiblesses, les lâchetés et les mauvaises pensées. Comme l’écrivit Robert-Louis Stevenson, Il semble que Pepys n’ait eu d’autre désir que de se montrer respectable et qu’il ait tenu un journal pour montrer qu’il ne l’était justement pas.
Ce qui est très dommage, c’est qu’il arrête son activité de diariste peu de temps avant de partir en voyage en Hollande, en Flandre et en France avec son épouse. Ce voyage, dont on ne saura donc rien, sera fatal à Elisabeth, qu’il ne nomme jamais autrement que « ma femme » dans ses écrits. Fille d’Alexandre le Marchant de Saint-Michel, huguenot sans fortune exilé en Angleterre, elle avait quatorze ans quand elle épousa Samuel Pepys, lui-même âgé de vingt-deux ans. Dès leur retour à Londres, elle mourra d’une fièvre maligne alors qu’elle n’avait que vingt-neuf ans. Lui vivra jusqu’au vingt-six mai mil sept cent trois, sans avoir perdu la vue.
A peine refermé ce deuxième tome du Journal de Samuel Pepys (Bouquins/Laffont), j’ouvre le premier tome d’une correspondance en trois volumes intitulée Lettres à sa maitresse (La Part Commune). Il s’agit des lettres que Gustave Flaubert écrivit à Louise Colet. Changements de pays, de siècle, d’univers, et un premier constat : en amour Gustave est un balourd.
*
Après cela, je fais un crochet par Paul Verlaine et Arthur Rimbaud chantés par Léo Ferré. D’efficaces musiques mettent en valeur des textes poétiques pour certains fort érotiques :
L'une avait quinze ans, l'autre en avait seize / Toutes deux dormaient dans la même chambre / C'était par un soir très lourd de septembre / Frêles, des yeux bleus, des rougeurs de fraise (Paul Verlaine Pensionnaires)
Un soir, tu me sacras poète / Blond laideron / Descends ici, que je te fouette / En mon giron (Arthur Rimbaud Mes petites amoureuses)
Elles assoient l'enfant devant une croisée / Grande ouverte où l'air bleu baigne un fouillis de fleurs / Et dans ses lourds cheveux où tombe la rosée / Promènent leurs doigts fins, terribles et charmeurs (Arthur Rimbaud Les chercheuses de poux)
*
Retrouvailles avec Pepys dans l’après-midi, pour le tapotage des notes prises lors de la lecture du premier tome de son Journal :
Vingt-sept août mil six cent soixante-trois : Lever, après avoir échangé avec ma femme maints propos agréables, et quelques-uns qui me fâchent, car je vois qu’elle est persuadée que tout ce que je fais est par calcul, et que le fait de laisser la maison dans un tel état de saleté, et tout ce que je fais d’autre dans la maison, n’ont d’autre but que de lui fournir de quoi s’occuper pour l’empêcher de sortir et de se distraire. Cela, bien que je sois fâché qu’elle s’en soit aperçue, est fort exact pour une large part.
Vingt-quatre septembre mil six cent soixante-trois : L’après-midi, ayant dit à ma femme que je me rendais à Deptford, j’allai en barque au palais de Westminster ; j’y trouvai Mrs Lane, l’emmenai à Lambeth au même endroit que naguère, et là fis ce que je voulais avec elle, sauf le principal, à quoi elle ne voulut pas consentir, Dieu soit loué ! et pourtant, j’en fus si près, j’étais si excité que j’éjaculai. Mais, avec l’aide de Dieu, je ne recommencerai jamais tant que je vivrai.
*
Deux mails appréciables reçus ces derniers jours, de lecteurs récents de mes écritures qui me proposent de découvrir les leurs : Michel Courty pour Léautaud.com, où j’apprends que Véronique Valcault était de la Seine-Inférieure, et quelqu’un qui veut rester discret sur son identité, pour parisdiaries1990s.com/version-française. « Il est souvent question du journal de Pepys que je lisais tout au long de la décennie 1990 », m’écrit-il. Deux découvertes qu’il me faudra du temps pour explorer.
*
Une nouvelle qui m’attriste ce jour : l’historique bouquinerie Boulinier du vingt boulevard Saint-Michel, aux livres de trottoir à vingt centimes, dirigée par la même famille depuis mil neuf cent trente-huit, fermera définitivement ses portes le trente juin prochain par la faute d’un propriétaire devenu trop gourmand en matière de loyer.
Un lieu dont le sous-sol m’a souvent vu passer et où je ne pourrai pas retourner avant sa fin, vu les circonstances. Restent les succursales, mais ce n’est pas pareil.
Ce qui est très dommage, c’est qu’il arrête son activité de diariste peu de temps avant de partir en voyage en Hollande, en Flandre et en France avec son épouse. Ce voyage, dont on ne saura donc rien, sera fatal à Elisabeth, qu’il ne nomme jamais autrement que « ma femme » dans ses écrits. Fille d’Alexandre le Marchant de Saint-Michel, huguenot sans fortune exilé en Angleterre, elle avait quatorze ans quand elle épousa Samuel Pepys, lui-même âgé de vingt-deux ans. Dès leur retour à Londres, elle mourra d’une fièvre maligne alors qu’elle n’avait que vingt-neuf ans. Lui vivra jusqu’au vingt-six mai mil sept cent trois, sans avoir perdu la vue.
A peine refermé ce deuxième tome du Journal de Samuel Pepys (Bouquins/Laffont), j’ouvre le premier tome d’une correspondance en trois volumes intitulée Lettres à sa maitresse (La Part Commune). Il s’agit des lettres que Gustave Flaubert écrivit à Louise Colet. Changements de pays, de siècle, d’univers, et un premier constat : en amour Gustave est un balourd.
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Après cela, je fais un crochet par Paul Verlaine et Arthur Rimbaud chantés par Léo Ferré. D’efficaces musiques mettent en valeur des textes poétiques pour certains fort érotiques :
L'une avait quinze ans, l'autre en avait seize / Toutes deux dormaient dans la même chambre / C'était par un soir très lourd de septembre / Frêles, des yeux bleus, des rougeurs de fraise (Paul Verlaine Pensionnaires)
Un soir, tu me sacras poète / Blond laideron / Descends ici, que je te fouette / En mon giron (Arthur Rimbaud Mes petites amoureuses)
Elles assoient l'enfant devant une croisée / Grande ouverte où l'air bleu baigne un fouillis de fleurs / Et dans ses lourds cheveux où tombe la rosée / Promènent leurs doigts fins, terribles et charmeurs (Arthur Rimbaud Les chercheuses de poux)
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Retrouvailles avec Pepys dans l’après-midi, pour le tapotage des notes prises lors de la lecture du premier tome de son Journal :
Vingt-sept août mil six cent soixante-trois : Lever, après avoir échangé avec ma femme maints propos agréables, et quelques-uns qui me fâchent, car je vois qu’elle est persuadée que tout ce que je fais est par calcul, et que le fait de laisser la maison dans un tel état de saleté, et tout ce que je fais d’autre dans la maison, n’ont d’autre but que de lui fournir de quoi s’occuper pour l’empêcher de sortir et de se distraire. Cela, bien que je sois fâché qu’elle s’en soit aperçue, est fort exact pour une large part.
Vingt-quatre septembre mil six cent soixante-trois : L’après-midi, ayant dit à ma femme que je me rendais à Deptford, j’allai en barque au palais de Westminster ; j’y trouvai Mrs Lane, l’emmenai à Lambeth au même endroit que naguère, et là fis ce que je voulais avec elle, sauf le principal, à quoi elle ne voulut pas consentir, Dieu soit loué ! et pourtant, j’en fus si près, j’étais si excité que j’éjaculai. Mais, avec l’aide de Dieu, je ne recommencerai jamais tant que je vivrai.
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Deux mails appréciables reçus ces derniers jours, de lecteurs récents de mes écritures qui me proposent de découvrir les leurs : Michel Courty pour Léautaud.com, où j’apprends que Véronique Valcault était de la Seine-Inférieure, et quelqu’un qui veut rester discret sur son identité, pour parisdiaries1990s.com/version-française. « Il est souvent question du journal de Pepys que je lisais tout au long de la décennie 1990 », m’écrit-il. Deux découvertes qu’il me faudra du temps pour explorer.
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Une nouvelle qui m’attriste ce jour : l’historique bouquinerie Boulinier du vingt boulevard Saint-Michel, aux livres de trottoir à vingt centimes, dirigée par la même famille depuis mil neuf cent trente-huit, fermera définitivement ses portes le trente juin prochain par la faute d’un propriétaire devenu trop gourmand en matière de loyer.
Un lieu dont le sous-sol m’a souvent vu passer et où je ne pourrai pas retourner avant sa fin, vu les circonstances. Restent les succursales, mais ce n’est pas pareil.
18 mai 2020
Dernière balade faite avant le confinement, je la reprends ce dimanche dans l’autre sens, traversant la Seine par le pont Corneille pour atteindre le quai bas de la rive gauche, direction le pont Flaubert.
Tous les sacs poubelles en plastique translucide sont emplis à ras bord de cannettes, preuve que la fièvre du samedi soir a repris (la veille chez U Express, et sans doute partout ailleurs, le rayon des bières avait l’air dévasté). Il est remarquable que pas une de ces cannettes ou tout autre déchet n’aient été laissés au bord de l’eau ni à côté des poubelles.
Il est un peu plus de sept heures, mais je croise quand même quelques êtres humains qui marchent ou courent. Parmi les bateaux amarrés, je retiens Illusion, immatriculé à Bruges, et Vascœuil, transportant des ferrailles rouillées.
Après avoir longé le Cent Six, salle de musiques zarrêtées, puis le prétentieux siège de la Métropole, dont l’emballage ne réagit pas encore aux rayons du soleil, je grimpe sans m’arrêter le raide escalier qui permet d’atteindre le tablier du pont Flaubert. Ici, pendant le confinement, un candidat au suicide s’est jeté dans le fleuve sous les yeux d’un jeune pompier qui n’a pas hésité à plonger et l’a sauvé.
Descendu sur le quai bas de la rive droite, je constate qu’on y boit moins de bière qu’en face. Alors que je marche en direction de la Cathédrale, je suis rattrapé par un train de fret (ce qui me fait penser à mon vieux copain d’école que je n’imagine pas mettre le pied dehors sans porter un masque). Ici, sous l’un des ponts, pendant le confinement, un homme est mort, sans abri tué par d’autres pendant une de leurs disputes d’ivrognes.
Quelques-uns dorment encore le long des bâtiments portuaires reconvertis en bars du soir fermés jusqu’à nouvel ordre. L’un d’eux a choisi de s’allonger contre les studios de France Bleu, cette nuisance sonore qui émet à l’extérieur au mépris de la tranquillité publique.
*
Au programme du concert de carillon de la veille, outre des airs classiques bien connus que je ne sais pas reconnaître, j’ai pu entendre Les trois cloches, Le lion est mort ce soir et Le p’tit Quinquin.
Tous les sacs poubelles en plastique translucide sont emplis à ras bord de cannettes, preuve que la fièvre du samedi soir a repris (la veille chez U Express, et sans doute partout ailleurs, le rayon des bières avait l’air dévasté). Il est remarquable que pas une de ces cannettes ou tout autre déchet n’aient été laissés au bord de l’eau ni à côté des poubelles.
Il est un peu plus de sept heures, mais je croise quand même quelques êtres humains qui marchent ou courent. Parmi les bateaux amarrés, je retiens Illusion, immatriculé à Bruges, et Vascœuil, transportant des ferrailles rouillées.
Après avoir longé le Cent Six, salle de musiques zarrêtées, puis le prétentieux siège de la Métropole, dont l’emballage ne réagit pas encore aux rayons du soleil, je grimpe sans m’arrêter le raide escalier qui permet d’atteindre le tablier du pont Flaubert. Ici, pendant le confinement, un candidat au suicide s’est jeté dans le fleuve sous les yeux d’un jeune pompier qui n’a pas hésité à plonger et l’a sauvé.
Descendu sur le quai bas de la rive droite, je constate qu’on y boit moins de bière qu’en face. Alors que je marche en direction de la Cathédrale, je suis rattrapé par un train de fret (ce qui me fait penser à mon vieux copain d’école que je n’imagine pas mettre le pied dehors sans porter un masque). Ici, sous l’un des ponts, pendant le confinement, un homme est mort, sans abri tué par d’autres pendant une de leurs disputes d’ivrognes.
Quelques-uns dorment encore le long des bâtiments portuaires reconvertis en bars du soir fermés jusqu’à nouvel ordre. L’un d’eux a choisi de s’allonger contre les studios de France Bleu, cette nuisance sonore qui émet à l’extérieur au mépris de la tranquillité publique.
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Au programme du concert de carillon de la veille, outre des airs classiques bien connus que je ne sais pas reconnaître, j’ai pu entendre Les trois cloches, Le lion est mort ce soir et Le p’tit Quinquin.
16 mai 2020
Peu à peu, je me réhabitue à marcher dans des rues où je ne suis pas seul, la plupart piétonnières et de bonne largeur (j’ai condamné l’une des issues de ma ruelle, celle en forme d’étroit couloir sous maison où l’on risque de se trouver nez à nez avec un quidam, du moins après dix heures, avant elle reste déserte, ainsi ce vendredi vers sept heures trente-cinq quand je vais acheter du pain, constatant que pour la première fois, la patronne porte un masque).
Ceux qui marchent dans les rues rouennaises sont le plus souvent seuls ou à deux. Ils ne respirent pas la joie de vivre, qu’ils portent un masque ou non. Nous n’avons pas de mal à nous éviter. Le seul danger vient de qui a les yeux sur son écran et par conséquent divague. « Regarde devant toi », dis-je à une fille qui se rapproche dangereusement, rue de la Croix de Pierre. Elle s’écarte en me regardant comme si je lui avais fait une proposition inappropriée (comme on dit).
*
L’emploi du temps rigide que je suivais pour ne pas devenir dingue durant le confinement n’est plus de mise. Je continue néanmoins à réécouter ma cédéthèque francophone par ordre alphabétique, mais de façon sporadique. J’en suis donc pour longtemps dans Ferré (dans lequel j’espère ne pas m’enferrer), ce jour avec un cédé marqué « Document » qui regroupe des enregistrements n’ayant été commercialisés que sous forme de trente-trois tours vingt-cinq centimètres ou de quarante-cinq tours, entre soixante et un et soixante-douze, ainsi l’énorme Avec le temps.
Parmi ces chansons, des politiques dont les hardiesses d’hier semblent bien minces aujourd’hui. Certaines sont enregistrées en public, ponctuées d’applaudissements à chaque audace. On devine dans la salle les anarchistes à qui on ne la fait pas.
Ils sont vieux ou morts aujourd’hui et leurs idées de même. L’une des caractéristiques des anars, si j’en juge par ceux que je connais ou ai connu, c’est que leurs enfants ne le sont pas.
*
J’approche de la fin du Journal de Samuel Pepys. Sa femme le fait accompagner par un valet où qu’il aille, ce qui rend ses frasques impossibles. Du moins un moment. Quand la surveillance se relâche, sa nature reprend le dessus.
L’après-midi je poursuis à l’extérieur mon tapotage d’extraits du premier tome. J’en suis au vingt-neuf juin mil six cent soixante-trois :
… et engageai la conversation avec Mrs Lane (…) la persuadai d’un mot de sortir avec moi et de me retrouver à la deuxième taverne rhénane, où je lui offris un homard : puis je la chiffonne et lui passe la main partout en la persuadant qu’elle a la peau si belle et si blanche – et elle a en effet la cuisse et la jambe fort blanches, mais monstrueusement grasses. Quand je fus las, je cessai, et quelqu’un ayant assisté à une partie de notre badinage cria tout haut dans la rue : « Monsieur, pourquoi embrassez-vous tant cette dame ? » et jeta une pierre en direction de la fenêtre – j’en fus bien mécontent – mais je crois que l’on n’a pas pu me voir la chiffonner.
*
Retour à la vie normale dans la copropriété. Plus de codétenus mais des voisins vaquant à leurs occupations. Certains ont repris le travail à l’extérieur. L’un attend encore et plante des tomates. Un étudiant est de retour. Les travaux menés par un ouvrier (et non pas par le nouveau propriétaire comme je le pensais) se poursuivent dans le studio du rez-de-chaussée qu’une jolie future étudiante vient visiter. Du premier étage, comme chaque jour, la conversation téléphonique descend dans le jardin « Je lisais hier dans un magazine, comme quoi, il paraît que, c’est très bon pour la poitrine. » Il n’est pas question du Covid Dix-Neuf, mais du non port de soutien-gorge.
Ceux qui marchent dans les rues rouennaises sont le plus souvent seuls ou à deux. Ils ne respirent pas la joie de vivre, qu’ils portent un masque ou non. Nous n’avons pas de mal à nous éviter. Le seul danger vient de qui a les yeux sur son écran et par conséquent divague. « Regarde devant toi », dis-je à une fille qui se rapproche dangereusement, rue de la Croix de Pierre. Elle s’écarte en me regardant comme si je lui avais fait une proposition inappropriée (comme on dit).
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L’emploi du temps rigide que je suivais pour ne pas devenir dingue durant le confinement n’est plus de mise. Je continue néanmoins à réécouter ma cédéthèque francophone par ordre alphabétique, mais de façon sporadique. J’en suis donc pour longtemps dans Ferré (dans lequel j’espère ne pas m’enferrer), ce jour avec un cédé marqué « Document » qui regroupe des enregistrements n’ayant été commercialisés que sous forme de trente-trois tours vingt-cinq centimètres ou de quarante-cinq tours, entre soixante et un et soixante-douze, ainsi l’énorme Avec le temps.
Parmi ces chansons, des politiques dont les hardiesses d’hier semblent bien minces aujourd’hui. Certaines sont enregistrées en public, ponctuées d’applaudissements à chaque audace. On devine dans la salle les anarchistes à qui on ne la fait pas.
Ils sont vieux ou morts aujourd’hui et leurs idées de même. L’une des caractéristiques des anars, si j’en juge par ceux que je connais ou ai connu, c’est que leurs enfants ne le sont pas.
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J’approche de la fin du Journal de Samuel Pepys. Sa femme le fait accompagner par un valet où qu’il aille, ce qui rend ses frasques impossibles. Du moins un moment. Quand la surveillance se relâche, sa nature reprend le dessus.
L’après-midi je poursuis à l’extérieur mon tapotage d’extraits du premier tome. J’en suis au vingt-neuf juin mil six cent soixante-trois :
… et engageai la conversation avec Mrs Lane (…) la persuadai d’un mot de sortir avec moi et de me retrouver à la deuxième taverne rhénane, où je lui offris un homard : puis je la chiffonne et lui passe la main partout en la persuadant qu’elle a la peau si belle et si blanche – et elle a en effet la cuisse et la jambe fort blanches, mais monstrueusement grasses. Quand je fus las, je cessai, et quelqu’un ayant assisté à une partie de notre badinage cria tout haut dans la rue : « Monsieur, pourquoi embrassez-vous tant cette dame ? » et jeta une pierre en direction de la fenêtre – j’en fus bien mécontent – mais je crois que l’on n’a pas pu me voir la chiffonner.
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Retour à la vie normale dans la copropriété. Plus de codétenus mais des voisins vaquant à leurs occupations. Certains ont repris le travail à l’extérieur. L’un attend encore et plante des tomates. Un étudiant est de retour. Les travaux menés par un ouvrier (et non pas par le nouveau propriétaire comme je le pensais) se poursuivent dans le studio du rez-de-chaussée qu’une jolie future étudiante vient visiter. Du premier étage, comme chaque jour, la conversation téléphonique descend dans le jardin « Je lisais hier dans un magazine, comme quoi, il paraît que, c’est très bon pour la poitrine. » Il n’est pas question du Covid Dix-Neuf, mais du non port de soutien-gorge.
15 mai 2020
Comme au temps de l’occupation nazie en France et soviétique en Europe de l’Est, il faut désormais faire la file, ce dont j’ai horreur. Heureusement, celle de la Poste de la rue de Jeanne avance assez rapidement et est gérée par un vigile sympathique.
D’autres files sont encore plus longues et laissées à l’inorganisation des présents. Ainsi celle qui attend l’ouverture tardive (onze heures) de Zara, rue des Carmes. Des présents qui sont des présentes, dont des agglutinées ignorant la distance de sécurité. Pour rien au monde, je me ne mettrai dans une file d’achat de vêtements.
Un achat qui ne m’aura pas obligé à attendre devant une porte, c’est celui du tome trois des Lettres à sa maîtresse de Gustave Flaubert (La Part Commune). Je le trouve dans ma boîte à lettres, envoyé par Momox, la pieuvre de Leipzig, après l’avoir commandé via Rakuten et payé avec mes Super Points.
Une enveloppe brune de la Ville de Rouen l’accompagne où je découvre le masque promis. Il a été envoyé glissé directement dans l’enveloppe, sans aucune protection, et donc touché par je ne sais qui. Il est en forme de bateau et en tissu du genre nylon de couleur mauve.
La dame patronnesse de Jacques Brel tricotait en laine couleur caca d’oie pour reconnaître ses pauvres. On va bientôt pouvoir reconnaître dans les rues de la ville les assistés d’Yvon Robert, le toujours Maire. Si toutefois, ils osent le mettre. Pour ma part, je m’en abstiendrai.
*
La peau de l’ours au sommaire de l’actualité du jour. Il s’agit du vaccin qui c’est sûr devrait bientôt arriver. Je me souviens que c’était la même chose au début du sida et presque quarante ans plus tard : nada.
*
Il en est aussi qui parlent du monde d’après comme si on y était depuis le déconfinement. Où ça ? On est toujours dans le monde du pendant. Jusqu’à quand ? Nul ne le sait.
*
Ainsi donc il ne faudrait pas dire le Covid Dix-Neuf mais la Covid Dix-Neuf au prétexte que cet acronyme est celui de l’anglais COronaVIrus Disease, que Disease se traduit par maladie et que maladie c’est féminin. C’est la Cadémie Française qui pense ça.
Dans ce cas, pourquoi ne pas traduire Covid en Macovi comme on traduisit Aids en Sida ?
D’autres files sont encore plus longues et laissées à l’inorganisation des présents. Ainsi celle qui attend l’ouverture tardive (onze heures) de Zara, rue des Carmes. Des présents qui sont des présentes, dont des agglutinées ignorant la distance de sécurité. Pour rien au monde, je me ne mettrai dans une file d’achat de vêtements.
Un achat qui ne m’aura pas obligé à attendre devant une porte, c’est celui du tome trois des Lettres à sa maîtresse de Gustave Flaubert (La Part Commune). Je le trouve dans ma boîte à lettres, envoyé par Momox, la pieuvre de Leipzig, après l’avoir commandé via Rakuten et payé avec mes Super Points.
Une enveloppe brune de la Ville de Rouen l’accompagne où je découvre le masque promis. Il a été envoyé glissé directement dans l’enveloppe, sans aucune protection, et donc touché par je ne sais qui. Il est en forme de bateau et en tissu du genre nylon de couleur mauve.
La dame patronnesse de Jacques Brel tricotait en laine couleur caca d’oie pour reconnaître ses pauvres. On va bientôt pouvoir reconnaître dans les rues de la ville les assistés d’Yvon Robert, le toujours Maire. Si toutefois, ils osent le mettre. Pour ma part, je m’en abstiendrai.
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La peau de l’ours au sommaire de l’actualité du jour. Il s’agit du vaccin qui c’est sûr devrait bientôt arriver. Je me souviens que c’était la même chose au début du sida et presque quarante ans plus tard : nada.
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Il en est aussi qui parlent du monde d’après comme si on y était depuis le déconfinement. Où ça ? On est toujours dans le monde du pendant. Jusqu’à quand ? Nul ne le sait.
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Ainsi donc il ne faudrait pas dire le Covid Dix-Neuf mais la Covid Dix-Neuf au prétexte que cet acronyme est celui de l’anglais COronaVIrus Disease, que Disease se traduit par maladie et que maladie c’est féminin. C’est la Cadémie Française qui pense ça.
Dans ce cas, pourquoi ne pas traduire Covid en Macovi comme on traduisit Aids en Sida ?
14 mai 2020
Midi sonne ce mercredi au clocher de l’église Saint-Hilaire au moment où, après avoir contourné la clinique du même nom, j’arrive sur le chemin qui suit le Robec pour ma première balade de plus d’une heure à plus d’un kilomètre.
C’est un endroit que je connais bien, pour l’avoir parcouru avec qui me tenait la main, avec d’autres aussi. En résumé la campagne en pleine ville, un frais ruisseau où nagent des canards, de la verdure autour, quelques bâtiments remarquables de la période industrielle, des maisons d’architecte, la voie ferrée du train que je ne peux plus prendre pour aller à Paris le mercredi, et sur le sentier bien trop de sportifs pédestres ou bicyclistes, dont je me méfie de la ventilation.
Je fais des photos tout du long jusqu’à arriver au four à pain près duquel est dressée une plaque commémorative où l’on peut lire : « Ce samedi 8 octobre 1870, Gambetta, parti en ballon la veille de Paris, investi pour se rendre à Tours, après atterrissage en dehors des lignes ennemies, passa par Rouen et s’arrêta en ce lieu. Reçu par les autorités et acclamé par la foule, il lança ce vibrant appel : « Montrons que si nous n’avons pas conclu un pacte avec la victoire, nous en avons conclu un avec la mort. »
Un banc ensoleillé entre deux nuages n’est pas loin. Il me permet de poursuivre la lecture du Journal de Samuel Pepys ailleurs que cloîtré au jardin. Le pauvre Pepys a des soucis en mil six cent soixante-six. Sa femme vient de le surprendre la main sous la jupe de sa jeune suivante alors qu’il lui touchait la chose (comme il dit, parfois en langue étrangère pour brouiller les pistes).
*
Même affluence de voitures garées dans la cour du Palais de Justice ce mercredi matin. L’hypothèse d’une réunion n’était sans doute pas la bonne. Peut-être que Juges et autres personnels ont abandonné les transports en commun (notamment le métro qui s’y arrête).
*
« Montrons que si nous n’avons pas conclu un pacte avec la victoire, nous en avons conclu un avec la mort. », c’est ce que chacun(e) pourrait dire en ce moment
*
Nés peu après la Guerre de Soixante-Dix, ils moururent à la suivante, âgés de vingt à trente ans.
Nés peu après la Guerre de Quatorze, ils moururent à la suivante, âgés de vingt à trente ans.
Nés peu après la guerre de Quarante, ils moururent à la suivante, âgés de soixante-cinq à soixante-quinze ans.
C’est un endroit que je connais bien, pour l’avoir parcouru avec qui me tenait la main, avec d’autres aussi. En résumé la campagne en pleine ville, un frais ruisseau où nagent des canards, de la verdure autour, quelques bâtiments remarquables de la période industrielle, des maisons d’architecte, la voie ferrée du train que je ne peux plus prendre pour aller à Paris le mercredi, et sur le sentier bien trop de sportifs pédestres ou bicyclistes, dont je me méfie de la ventilation.
Je fais des photos tout du long jusqu’à arriver au four à pain près duquel est dressée une plaque commémorative où l’on peut lire : « Ce samedi 8 octobre 1870, Gambetta, parti en ballon la veille de Paris, investi pour se rendre à Tours, après atterrissage en dehors des lignes ennemies, passa par Rouen et s’arrêta en ce lieu. Reçu par les autorités et acclamé par la foule, il lança ce vibrant appel : « Montrons que si nous n’avons pas conclu un pacte avec la victoire, nous en avons conclu un avec la mort. »
Un banc ensoleillé entre deux nuages n’est pas loin. Il me permet de poursuivre la lecture du Journal de Samuel Pepys ailleurs que cloîtré au jardin. Le pauvre Pepys a des soucis en mil six cent soixante-six. Sa femme vient de le surprendre la main sous la jupe de sa jeune suivante alors qu’il lui touchait la chose (comme il dit, parfois en langue étrangère pour brouiller les pistes).
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Même affluence de voitures garées dans la cour du Palais de Justice ce mercredi matin. L’hypothèse d’une réunion n’était sans doute pas la bonne. Peut-être que Juges et autres personnels ont abandonné les transports en commun (notamment le métro qui s’y arrête).
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« Montrons que si nous n’avons pas conclu un pacte avec la victoire, nous en avons conclu un avec la mort. », c’est ce que chacun(e) pourrait dire en ce moment
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Nés peu après la Guerre de Soixante-Dix, ils moururent à la suivante, âgés de vingt à trente ans.
Nés peu après la Guerre de Quatorze, ils moururent à la suivante, âgés de vingt à trente ans.
Nés peu après la guerre de Quarante, ils moururent à la suivante, âgés de soixante-cinq à soixante-quinze ans.
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