Le Journal de Michel Perdrial

Le Journal de Michel Perdrial




Loïc Boyer
Je suis l’auteur de textes courts qui furent publiés depuis mil neuf cent quatre-vingt-quinze dans des revues littéraires en France (Supérieur Inconnu, Supplément d’Ame, Nouvelle Donne, Le Bord de l’Eau, Pris de Peur, l’Art du Bref, Sol’Air, Gros Textes, Salmigondis, Verso, Décharge, Bulle, Filigranes, Diérèse, Martobre, Comme ça et Autrement, (Cahier d’) Ecritures, La Nef des Fous), en Belgique (Traversées, Ecrits Vains, L’Arbre à Plumes, Inédit Nouveau, Bleu d’Encre), au Canada (Les Saisons Littéraires) et en Italie (Les Cahiers du Ru).
Les courageuses Editions du Chardon ont publié en mil neuf cent quatre-vingt-dix-neuf Erotica, un recueil de vingt-huit de ces textes, illustré par Isabelle Pio et Antoine Lopez et préfacé par Sarane Alexandrian, toujours disponible auprès de moi.
Je suis également l’auteur d’une pièce de théâtre et de plusieurs romans ou récits à ce jour inédits.
Depuis le onze novembre deux mille six, je publie mon Journal via Internet, un temps sous-titré Persiflages, moquages et autres énervages mâtinés de complimentages et de contentages. Sa première partie est lisible chez Eklablog, la deuxième ici.
Je vis au centre de Rouen dans un ancien monastère où autrefois les Sœurs de la Miséricorde se vouaient à l’éducation des jeunes filles.







Rss

8 août 2021


Qu’ai-je retenu de ma lecture ferroviaire de La défeuillée d’Henri Thomas que publia Le temps qu’il fait en mil neuf cent quatre-vingt-quatorze, un an après sa mort, un carnet dont les notes furent écrites suite à la mort de sa femme Jacqueline en mil neuf cent soixante-cinq ?
Ceci :
Les trous de ciel clair au-dessus des rues étroites, rue Quincampoix, rue La Reynie, rue Saint-Martin, les filles dans l’escalier au fond des couloirs. Il vaut mieux roder là, comme un animal, muet, paniqué, que rejoindre une maitresse complaisante – mais mieux vaudrait encore tout autre chose, je sais.
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Le pauvre type qui est en moi s’est imposé hier après-midi. Rencontre d’une maigre fille près de la gare Montparnasse. Elle m’a coûté cher, c’est l’idiotie de ma vie. « Qui se répète » est inutile.
                                                                     *
Madame Boudemont est propriétaire des ruines de Mortemer, et c’est là qu’elle vit, quelque part dans une grande demeure aux nombreuses fenêtres toutes pareilles, sans rideau. On dirait que toute cette ancienne maison est déserte, abandonnée d’hier, où pas une vitre ne manque, si le vieux qui habite là aussi ne renseignait pas les visiteurs des RUINES (l’écriteau sur l’enclos du domaine).
Nous y sommes allés avec Georges Auclair, Louise Herlin qui conduisait. La route forestière tourne devant le monument à la Résistance, qui ne tardera pas à intriguer les promeneurs de la forêt de Lyons.
Après avoir quitté le vieux, sur la même pelouse où il était venu au-devant de nous, – nous sommes tombés d’accord que cet homme était fou – en proie, disait Georges Auclair en son langage de chercheur au CNRS, à un « délire excrémentiel ».
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L’individu, c’est l’enfer de la personne, qui s’y trouve le plus souvent perdue.
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Il ne suffit pas d’être honnête envers les gens pour qu’ils ne vous veuillent pas du mal, il faut penser comme eux.
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Il faut être seul pour savoir qu’on fait comme les autres. Seul signifie toujours : comme les autres, et pas content.
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Mortemer, un endroit que je ne voyais qu’à travers les grilles l’année des seventies où je vivais à Lyons-la-Forêt. L’entrée était payante. Les propriétaires s’efforçaient de rentabiliser les ruines avec un petit train promène-touristes, des soirées à fantômes, des salons du mariage, etc.
 

7 août 2021


Durant ce repas de trottoir, quelques grosses gouttes affolent les passant(e)s. Mon café bu, je longe les façades jusqu’au Book-Off voisin. Le personnel, partiellement renouvelé, est comme ailleurs barricadé derrière une cloison translucide. Je peux néanmoins donner mon sac à garder.
Ce mercredi, c’est la première fois que je porte longuement un masque à l’intérieur. C’est difficilement supportable. Cela diminue fortement ma capacité d’attention. Que ce soit pour cette raison ou parce qu’il n’y a aucun livre pour moi, je récupère mon sac à dos sans avoir dépensé un euro.
J’emprunte la ligne Huit du métro jusqu’à la station Opéra d’où je rejoins pédestrement le Bistrot d’Edmond. Plus question d’y boire un café à un euro vingt au comptoir. Après avoir utilisé les toilettes, j’en repars avec un café à un euro trente dans un godet en carton. Je le bois malgré quelques gouttes sur l’un des bancs de la placette envahie par les terrasses étendues. Mobilier disparate, vieux parasols publicitaires remis en service, ces extensions de terrasses donnent à la ville un aspect négligé.
Du troisième Book-Off, je repars sans rien. Le métro Trois me ramène à Saint-Lazare. Mon envie de boire un dernier café A La Ville d’Argentan est déçue. L’endroit est fermé, sans doute en vacances, bien qu’aucune date de réouverture ne figure sur la porte. Je me rabats, faute de mieux, sur la terrasse du 99 Café, à l’angle du passage du Havre, et découvre qu’ici le café est à trois euros (pourquoi se gêner).
Le train du retour, celui de seize heures trente-huit, n’est pas le nouveau matériel prévu mais un ancien qui affole les voyageurs inhabituels. J’ai beau leur dire que ce n’est pas la peine de chercher les places réservées, ils ne le croient que lorsque le chef de bord l’annonce au micro.
Avec ce trajet de retour en une heure vingt-quatre, j’ai plus que le temps nécessaire pour achever la lecture de La défeuillée d’Henri Thomas.
                                                                                *
Jamais avant-guerre je ne suis revenu de Paris si peu chargé.
                                                                                *
Jamais non plus mon aller-retour ne m’avait coûté aussi cher. Fini ou presque les billets à sept euros. J’ai dû payer onze euros cinquante l’aller et onze euros quatre-vingt-dix le retour. La faute à la nouvelle Carte Avantage qui remplace l’ancienne destinée aux vieux et aux vieilles. Dès que l’on met en exergue le mot avantage, c’est qu’il y en a moins qu’avant.
 

6 août 2021


Descendant le boulevard Saint-Michel en direction de la Seine, je passe sans y prendre garde devant l’endroit où se tenait le Boulinier historique, disparu depuis mon dernier passage. Je ne sais donc pas par quoi il a été remplacé. En revanche, arrivé à la fontaine, je fais face à l’autre catastrophe culturelle. Gibert Jeune a été transformé moitié en café, Le Départ Saint-Michel (nom ridicule), moitié en énième Séphora.
Arrivé sur l’autre rive, je traverse le square Saint-Jacques en diagonale et arrive à l’ancien Gai Rossignol devenu le troisième Book-Off. Une librairie d’occasion qui remplace une librairie d’occasion, voilà le monde tel qu’il doit être. Depuis mon dernier passage l’endroit a changé. Le sous-sol a été entièrement refait. L’odeur de vieux bouquin a disparu, remplacée par celle du neuf.
Dans ce sous-sol est installée la littérature (au sens large). Il y fait chaud. J’ai du mal à me concentrer sur le dos de chaque livre. Le masque n’arrange rien. Au bout du bout, je n’ai trouvé qu’un livre à un euro qui puisse me plaire, et encore je n’en suis pas sûr : le second tome de Lettres de Prosper Mérimée à Madame de Montijo publié au Mercure de France dans la collection Le Temps Retrouvé. Je l’achète, me doutant que je ne trouverai jamais le premier tome.
Débarrassé du masque, je poursuis rue Saint-Martin, découvrant près de l’église Saint-Merri Debout (Le Roi des Trous), une installation monumentale de Khaled Dawwa. Je photographie le dictateur ventru amolli dans son fauteuil puis frôle le Centre Pompidou dont je vois pour la première fois la nouvelle chenille. Quand l’emprunterai-je ? Peut-être jamais.
Me fiant à ma mémoire, je me dirige vers la Bastille. Là aussi les travaux sont terminés. Il est désormais possible de traverser la place pour rejoindre la rue du Faubourg-Saint-Antoine, un raccourci bienvenu qui fait passer au pied de la Colonne de Juillet.
Comme si je l’avais fait exprès, j’arrive au Péhemmu chinois à midi pile. Je me garde bien d’y entrer, m’asseyant à l’une des tables de trottoir. La gentille serveuse est toujours là, désolée que je n’aie pu venir depuis mars deux mille vingt. Elle me demande ce que je veux manger.
-Comme d’habitude.
-Filet de hareng pommes à l’huile, confit de canard pommes sautées salade et un quart de rouge, c’est bien ça ?
 

5 août 2021


Rue de la Jeanne, alors que je monte vers la Gare de Rouen ce mercredi aux aurores, je croise une jolie coureuse en bikini. Cela console des prudes d’Olympie qui veulent faire du sport en chorte comme les garçons afin d’éviter, ainsi que le disait la veille, dans le restaurant japonais où je déjeunais près d’un groupe de vingtenaires, la fille la plus bavarde, que « les mecs matent leur cul » (les garçons présents se sont tus).
J’ai une réservation voiture Treize dans le train Nomad pour Paris qui se présente à sept heures dix. Monté dans la voiture Douze, je m’y installe, jusqu’à ce qu’un autre voyageur m’apprenne que je suis en première. Apercevant Alex, notre chef de bord, je lui demande où est écrit dans quelle classe on est dans ces nouveaux trains. « A l’extérieur sur les voitures », me répond-il. Il me donne un moyen de différencier premières et secondes. Ces dernières ont des appuie-têtes clairs. Je trouve une place isolée et voyage confortablement jusqu’à la capitale en lisant La défeuillée d’Henri Thomas aux éditions Le temps qu’il fait.
C’est la première fois depuis mars deux mille vingt que je me rends à Paris un mercredi, avec pour priorité d’aller chez Gibert Joseph, car de confinements en déconfinements j’ai épuisé mes piles de livres à lire.
Dans ce but, je monte à l’arrivée dans le bus Vingt Et Un qui passe par le Quartier Latin et suis heureux de revoir moult endroits qui m’étaient familiers. Certains sont rendus différents par l’extension des terrasses et des pistes cyclables. Je descends à l’arrêt Ecoles, boulevard Saint-Michel.
Il est neuf heures et demie quand je m’installe au soleil à la terrasse, agrandie jusqu’aux jets d’eau, du café Les Patios d’où l’on a vue sur la Sorbonne, la librairie Vrin et la statue d’Auguste Comte. Le noir breuvage est à deux euros cinquante.
A dix heures, une employée de la librairie Gibert Joseph, spécialement affectée à cette tâche, envoie une giclée de gel hydroalcoolique sur mes mains puis je monte au premier étage, celui de la littérature.
J’ai avec moi une liste d’ouvrages que j’espère trouver d’occasion. Mon espoir est vite déçu. Les occasions sont rares. Même en neuf, les rayons sont bien moins fournis qu’avant-guerre. Ainsi, seulement trois ou quatre Henri Calet différents, alors qu’il y en avait une douzaine auparavant.
Quand même, je ne ressors pas bredouille de chez Gibert Joseph. J’ai un livre de ma liste dans mon sac à dos, Correspondance de Violette Leduc (Gallimard), payé quinze euros dix au lieu de vingt-sept euros quarante.  
                                                               *
A la terrasse du café Les Patios, un trentenaire (Libé, Canard) et sa fille de cinq ans (livre pour enfants). Une image courante autrefois, rare (même dans ce quartier) au navrant vingt et unième siècle.
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Génération Vertu, l’Enfer leur est promis, celui engendré par le changement climatique.
 

3 août 2021


Je n’ai guère l’occasion de lire au jardin depuis mon retour de Lorraine. Le temps en est la cause, fraîcheur et intempéries. C’est de nature à faire franchement pousser la pelouse non tondue et une espèce de plante envahissante à fleur minuscule qui remplit totalement la vasque de l’entrée.
Sous le porche s’épanouit désormais Gros Frigo. Je ne sais qui l’a apporté là, près des poubelles. Une affichette avec une référence chiffrée le désigne destiné à la déchetterie. Penser que le service chargé de récolter les encombrants viendrait le chercher à l’intérieur d’une propriété privée, c’était faire preuve de beaucoup d’optimisme.
Autre arrivant : Chat Poilu. Il a rejoint Chat Noir et Chat Bicolore à la faveur d’un déménagement par translation d’un appartement du rez-de-chaussée à un autre, celui où vivaient auparavant Abrutus et Aboyus. C’est dire qu’au bruit succède le silence.
 

2 août 2021


Ce samedi en début d’après-midi, je termine la lecture du deuxième tome du Journal des Goncourt en terrasse au Son du Cor à une table protégée par l’auvent des pluies intermittentes.
A ma gauche, mais heureusement éloignées, d’anciennes copines d’études se retrouvent. Leur conversation, que je ne peux entendre, est ponctuée de rires qui sonnent faux.
A ma droite, deux filles dont l’une qui tient beaucoup à faire savoir que désormais elle vit à Paris. « Trois euros », leur dit le serveur apportant les cafés. « Un seul ou les deux ? lui répond-elle, c’est que je suis déjà plus habituée aux prix d’ici. » Elles sont rejointes par une autre et deux garçons qui ont acheté des croissants : un petit-déjeuner à treize heures, l’ultime transgression. Rien à tirer de leur conversation, une suite de propos décousus relatifs à leur vie de fêtard(e)s, assortis de rires copiés collés.
Il en était de même la veille au même endroit où deux habitués de la pause-déjeuner, des fonctionnaires territoriaux mangeant pizza et sandouiche, ne pouvaient parler de leur boulot qu’avec des rires pavloviens.
                                                                 *
En plus il fait mauvais. A propos de la tristesse de ce jour, je ne sais qui répétait ce moi du peintre Gervex : « Ah ! quel temps !... On sucerait un homme ! » écrivait Edmond de Goncourt le dimanche vingt-neuf novembre mil huit cent quatre-vingt-cinq.
                                                                 *
Ce dimanche, celle qui est à ma droite au Son du Cor parle sans rire à son téléphone. Elle organise le mariage de sa sœur. « Moi, je veux bien trouver un poème, mais sur quoi ? L’amour ? La famille ? Le bonheur ? ». Sur sa table, un livre publié chez Gallimard : Croire au merveilleux de l’Ono-dit-Biot.
 

30 juillet 2021


Les clés mises dans la boite à lettres de ma discrète logeuse, je quitte la rue Voltaire ce jeudi matin, passe à la boulangerie sans nom qui jouxte un Bazar de la Gare en déshérence depuis longtemps et y achète deux pains au chocolat que je vais manger en face avec un allongé à un euro cinquante à la sinistre terrasse d’un café qui ne mérite pas de nom mais a celui d’être ouvert.
Il me reste à passer le canal et me voici sous la pancarte « Navette » dans l’attente de celle qui emmène à la Gare Meuse Tégévé construite au milieu de nulle part. Derrière moi est la statue de Raymond Poincaré, né à Bar-le-Duc, « Il a bien mérité de la Patrie ». De dos il ressemble à Lénine.
A huit heures vingt-six, quand il démarre sous un ciel gris nous sommes huit dans le grand car qui va vers Verdun par la Voie Sacrée puis au bout d’une demi-heure tourne à gauche. Un bâtiment, dont l’architecture me fait un peu penser à celle de l’église Jeanne d’Arc de Rouen, est là au milieu des champs, dont un de tournesols.
Un Tégévé parti de Metz s’y arrête à neuf heures vingt comme prévu. J’y trouve ma place dans la derrière voiture. Il file ensuite sur Paris sans s’arrêter. Avant d’y arriver il ralentit longuement ce qui me permet de bien voir la Gare de Bondy, ville de ma famille maternelle. A l’arrivée Gare de l’Est, nous avons huit minutes de retard.
J’ai sans tarder les métros Sept et Trois et arrive Gare Saint-Lazare quinze minutes avant le départ de mon train pour Rouen. Quand il quitte Paris à onze heures douze, il si peu chargé que j’ai une voiture pour moi seul.
De la Gare de Rouen, je me laisse glisser jusqu’à chez moi sous le ciel gris. Il est treize heures quand j’en ressors pour acheter de quoi me nourrir chez le kebabier de la rue de la République dont les frites sont fraîches.
Ainsi en est-il fini de mon escapade de vingt-quatre jours en Lorraine. Un choix que je ne regrette pas. Epinal, Nancy et Bar-le-Duc sont villes à connaître, et forts belles.
                                                                   *
Il me reste cent cinquante pages à lire (relire) du deuxième volume du Journal des Goncourt dans lequel Edmond, le dimanche quatre mai mil huit cent quatre-vingt-quatre, à l’occasion de la mort de sa cousine Fanny Court en sa soixante-seizième année, se remémore un évènement ayant pour cadre Bar-le-Duc :
J’étais encore un enfant, mais un enfant où la pensée est déjà tout occupée du mystère des sexes et de l’inconnu de l’amour. Je passais quelques jours de vacances à Bar-le-Duc et ma cousine Fanny, assez nouvellement mariée, était une jolie et jeune femme. Le ménage me traitait sans conséquence, et à toute heure, qu’il fût couché ou non, j’entrais dans leur appartement. Un matin que j’allais demander au mari de m’attacher des hameçons à une ligne, j’entrais dans leur chambre à coucher sans frapper. Et j’entrais au moment où ma cousine, la tête renversée, les jambes relevées et écartées, le derrière soulevé sur un oreiller, était en position d’être enfourchée par son mari. Une bousculade des deux corps, dans laquelle le rose derrière de ma cousine disparut si vite sous les draps que j’aurais pu croire à une hallucination… Mais la vision cependant me resta. Et ce rose derrière sur un oreiller à grandes dents festonnées fut, jusqu’au jour où je connus Mme Charles, le doux et excitant spectacle que j’avais le soir, avant de m’endormir, sous mes paupières fermées.
 

29 juillet 2021


Ce mercredi pour mon dernier jour à Bar-le-Duc et en Lorraine, je monte les marches qui mènent à la Tour de l’Horloge et me voici à nouveau dans la Ville Haute aux magnifiques maisons Renaissance où j’ai encore à voir.
J’achète un pain au chocolat et un croissant à la Boulangerie des Ducs et ne les trouve pas mauvais quand je les mange en face au Café des Ducs, étrange endroit qui ouvre à six heures pour fermer à sept heures et demie et rouvrir à huit heures. J’ai dû attendre un peu, étant arrivé pendant la demi-heure du vide. L’allongé n’est qu’à un euro vingt. On y critique la boulangère qui ne fait pas assez de croissants mais jette des éclairs. Le temps est aux averses.
J’y échappe en sortant, me rendant un peu plus loin dans cette rue Ducs-de-Bar à une maison où il faut sonner pour que la porte s’ouvre sur un énorme pressoir à raisins installé dans une grange. Six mètres de haut, dix de long, dix tonnes de bois, le Grand Pressoir fonctionnait dans un village voisin jusqu’au phylloxera.
En ressortant, je bois un café à la terrasse du Bernanos qui vient d’ouvrir et y lis Edmond de Goncourt jusqu’à dix heures et demie quand ouvre l’église Saint-Etienne sous la responsabilité d’une employée de l’Office du Tourisme. A l’intérieur sont visibles deux œuvres majeures attribuées à Ligier Richier : Le Calvaire en bois polychrome avec son Bon Larron résigné et son Mauvais Larron tourmenté et surtout Le Transi que Simone de Beauvoir décrit ainsi dans Tout compte fait : Mi-écorché, mi-squelette, c’est un cadavre que l’esprit anime encore, c’est un homme vivant et déjà momifié. Il se dresse en tendant son cœur vers le ciel.
Entre deux averses, je me rends ensuite à flanc de coteau au collège Gilles-de-Trèves. La plus belle maison de ville qui soit en France selon Michel de Montaigne. On ne peut en voir que l’extérieur.
A midi, je me résous à déjeuner au Bernanos, faute d’autre choix avec terrasse. Pas de menu, que des plats basiques à la carte, les mêmes chaque jour. Le patron a toujours un verre de bière à la main. La patronne ne fait pas grand-chose. Cuisine au feu de bois et circuit court sont censés expliquer le prix de mon andouillette de Troyes et de son cornet de frites : dix-huit euros. Je ne commande pas de vin, ni de dessert. C’est pour me venger.
A quatorze heures, la porte de l’Espace Saint-Louis s’ouvre où est proposée pour le centenaire de sa naissance une exposition gratuite Ipousteguy. « Déjà je vais vous donner un livret », me dit celle qui m’accueille puis, façon médiatrice culturelle, elle m’assomme d’informations. Quand elle ajoute qu’elle va mettre en marche un commentaire audiovisuel, je craque :
-Non il n’en est pas question, déjà vous parlez beaucoup trop.
Vexée, elle va bouder sur une chaise avec son doudou, l’indispensable smartphone.
Les premières sculptures d’Ipousteguy m’intéressent assez. Certaines de ses femmes nues sont de fières contorsionnistes. Plus il avance en âge, plus il vire abstrait, ce qui ne me sied pas.
Je dis au revoir à la fille de la chaise puis pousse la porte et sort. Elle me court après :
-Monsieur, le livret il est à un euro si vous voulez le garder.
-Ça vous ne me l’aviez pas dit, lui fais-je remarquer en le lui rendant.
De retour à la Ville Basse, je prends un ultime café au Barisien. Près de moi est une fille qui boit une bière et hèle deux connaissances qui passent dans la rue. « Tout va bien, leur dit-elle, je travaille chez Carrefour et je vais bientôt lancer ma chaîne YouTube sur le make up. »
 

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