Dernières notes
Loïc Boyer
Je suis l’auteur de textes courts qui furent publiés depuis mil neuf cent quatre-vingt-quinze dans des revues littéraires en France (Supérieur Inconnu, Supplément d’Ame, Nouvelle Donne, Le Bord de l’Eau, Pris de Peur, l’Art du Bref, Sol’Air, Gros Textes, Salmigondis, Verso, Décharge, Bulle, Filigranes, Diérèse, Martobre, Comme ça et Autrement, (Cahier d’) Ecritures, La Nef des Fous), en Belgique (Traversées, Ecrits Vains, L’Arbre à Plumes, Inédit Nouveau, Bleu d’Encre), au Canada (Les Saisons Littéraires) et en Italie (Les Cahiers du Ru).
Les courageuses Editions du Chardon ont publié en mil neuf cent quatre-vingt-dix-neuf Erotica, un recueil de vingt-huit de ces textes, illustré par Isabelle Pio et Antoine Lopez et préfacé par Sarane Alexandrian, toujours disponible auprès de moi.
Je suis également l’auteur d’une pièce de théâtre et de plusieurs romans ou récits à ce jour inédits.
Depuis le onze novembre deux mille six, je publie mon Journal via Internet, un temps sous-titré Persiflages, moquages et autres énervages mâtinés de complimentages et de contentages. Sa première partie est lisible chez Eklablog, la deuxième ici.
Je vis au centre de Rouen dans un ancien monastère où autrefois les Sœurs de la Miséricorde se vouaient à l’éducation des jeunes filles.
Les courageuses Editions du Chardon ont publié en mil neuf cent quatre-vingt-dix-neuf Erotica, un recueil de vingt-huit de ces textes, illustré par Isabelle Pio et Antoine Lopez et préfacé par Sarane Alexandrian, toujours disponible auprès de moi.
Je suis également l’auteur d’une pièce de théâtre et de plusieurs romans ou récits à ce jour inédits.
Depuis le onze novembre deux mille six, je publie mon Journal via Internet, un temps sous-titré Persiflages, moquages et autres énervages mâtinés de complimentages et de contentages. Sa première partie est lisible chez Eklablog, la deuxième ici.
Je vis au centre de Rouen dans un ancien monastère où autrefois les Sœurs de la Miséricorde se vouaient à l’éducation des jeunes filles.
13 décembre 2014
Ce vendredi, je sors du sommeil avec un mal de tête qui me mène chez le pharmacien où j’apprends que l’aspirine et le paracétamol ce n’est pas la même chose, la première étant un anti-inflammatoire.
Je fais rapidement le tour des brocanteurs et bouquinistes confinés par la pluie sous les hallettes qui bordent la place Saint-Marc puis entre au Vascœuil. La clientèle y est nombreuse et entièrement masculine à cheveux grisonnants, des déçus par le temps qui les empêchent de chiner (comme ils disent). J’ai rendez-vous ici avec celui à qui je destine Anquetil tout seul. Nous devisons un moment devant un café puis je rentre à la maison gober un cachet.
Trois jours au moins qu’il tombe une pluie de changement climatique. Je l’affronte en début d’après-midi, chargé de mon ordinateur. Pas moyen de passer un moment à l’Ubi, l’endroit accueille un marché des créateurs et des artisans, une sorte de marché de Noël plus présentable que celui du parvis de la Cathédrale, mais tout aussi déprimant. Je me dirige donc vers le Guidoline Café. Quand j’y arrive, bien qu’il vienne d’ouvrir, toutes les tables sont déjà occupées, sans doute par les bicyclistes du lieu.
Plus qu’à traverser la moitié du centre-ville sous la pluie battante et à trouver place au Socrate où l’on ne sert heureusement pas de ciguë. J’y côtoie trois vigiles qui complotent pour se venger d’une boîte de nuit.
Traverser novembre avec facilité ne pouvait que se payer en décembre.
*
Autre information pharmaceutique : un générique est parfois plus cher qu’un médicament de marque.
*
Je me demande pourquoi pendant toute mon enfance on soignait le mal de tête à l’aspirine.
*
Il semble que cet hiver tout le monde doive porter un manteau ou un blouson en plastique constitué de chambres à air cousues entre elles, c’est du moins de quoi ça a l’air.
Je fais rapidement le tour des brocanteurs et bouquinistes confinés par la pluie sous les hallettes qui bordent la place Saint-Marc puis entre au Vascœuil. La clientèle y est nombreuse et entièrement masculine à cheveux grisonnants, des déçus par le temps qui les empêchent de chiner (comme ils disent). J’ai rendez-vous ici avec celui à qui je destine Anquetil tout seul. Nous devisons un moment devant un café puis je rentre à la maison gober un cachet.
Trois jours au moins qu’il tombe une pluie de changement climatique. Je l’affronte en début d’après-midi, chargé de mon ordinateur. Pas moyen de passer un moment à l’Ubi, l’endroit accueille un marché des créateurs et des artisans, une sorte de marché de Noël plus présentable que celui du parvis de la Cathédrale, mais tout aussi déprimant. Je me dirige donc vers le Guidoline Café. Quand j’y arrive, bien qu’il vienne d’ouvrir, toutes les tables sont déjà occupées, sans doute par les bicyclistes du lieu.
Plus qu’à traverser la moitié du centre-ville sous la pluie battante et à trouver place au Socrate où l’on ne sert heureusement pas de ciguë. J’y côtoie trois vigiles qui complotent pour se venger d’une boîte de nuit.
Traverser novembre avec facilité ne pouvait que se payer en décembre.
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Autre information pharmaceutique : un générique est parfois plus cher qu’un médicament de marque.
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Je me demande pourquoi pendant toute mon enfance on soignait le mal de tête à l’aspirine.
*
Il semble que cet hiver tout le monde doive porter un manteau ou un blouson en plastique constitué de chambres à air cousues entre elles, c’est du moins de quoi ça a l’air.
12 décembre 2014
Ned Rorem, compositeur américain dont j’ai découvert l’existence grâce à un livre à un euro de chez Book-Off, est passé par la France dans sa jeunesse. Venu pour quelques mois, il y resta plusieurs années dans les parages de Marie Laure de Noailles qui l’emmenait dans ses bagages quand elle voyageait. Son Journal parisien (1951-1955), remarqué aux Etats-Unis, n’a été publié en France qu’en deux mille trois aux Editions du Rocher. Il y relate sa vie de plaiboille homosexuel et alcoolique. « Je vous reconnaîtrai comment ? » lui demandait-on. « Je suis beau. », répondait-il.
Florilège tiré de mes notes d’il y a plusieurs semaines :
Oscar Dominguez soutient qu‘il a vu trois soucoupes volantes, ce qui, bien entendu, est impossible, puisque non seulement il est myope (…), surréaliste et alcoolique, mais qu’il ne pratique aucune religion
Je suis toujours touché par cet ennui généreux chez les vieux, qui, au plus profond d’eux-mêmes, sont contents que ce ne soit pas eux que l’on enterre.
On passe devant le cimetière –qui est blanc et décoratif, mais qui sent mauvais (parce que les musulmans sont enterrés debout et que, la nuit, les hyènes viennent ronger leurs crânes)…
Balthus travaille à une huile absolument terrifiante, énorme, large de près de quatre mètres et montant jusqu’au plafond. Elle représente deux filles bizarres : l’une, poupée morte et nue dans une lumière artificielle, étendue sur un divan, attendant l’amour ; l’autre, petite sœur idiote et remuante, en tricot vert, ouvrant le rideau et exposant sa rivale à la lumière réelle du soleil. Il y a aussi un vase et un chat. (…) pauvre grand Balthus : si juif et si apitoyé sur son sort ; si riche, si pauvre.
Ainsi fut mon jeudi, sans parler de choses aussi importantes que d’arpenter les rues.
Stephen est certainement mieux à Paris qu’en Angleterre (comme tous les Anglais qui sont loin de leur femme), mais aussi déprimant, puisqu’il aimerait sauver le monde, ce à quoi, en principe, j’essaie de ne pas penser.
Une souris vient de mourir dans mon piano. Je crois qu’elle est entrée là pour mettre bas ; mais au lieu de cela, elle a été tuée par les coups de marteaux.
Je vois des films, parle sans fin, ratiocine, lis Jünger, écris des lettres, m’en fais pour l’argent, mange bien, vois beaucoup Philippe Erlanger, soirées ardentes ou mornes à Saint-Tropez, longues conversations avec Denise, non seulement à propos de la mort et de l’actualité des miracles, mais aussi sur les femmes qui copulent avec des chiens et qui, se retrouvant coincées, n'ont d’autre issue que celle, humiliante, d’appeler le médecin, etc.
Seul à Rome à présent, et seul avec moi-même. Qui fera la lessive et qui apportera le petit-déjeuner au lit ? Je n’ai jamais été autonome et je ne pense pas que l’être soit forcément une vertu.
Pas pu dormir cette nuit à cause des gloussements stridents de Marie Laure et d’Oscar qui batifolaient sur le gazon, soûls, replets, plus très jeunes et complètement nus.
Conversation entre Gordon Sager et Jane Bowles entendue il y a des années. Gordon : « J’ai tout contre moi : je suis juif, poète, communiste, homosexuel et alcoolique. » Jane : « Ça, c’est rien ! Je suis juive, poète, communiste, homosexuelle, alcoolique et handicapée ! »
La pire surprise fut de découvrir que les adultes avaient toutes les faiblesses des enfants et aucune de leurs forces.
John Ashbery dit : « Quand on a été heureux à Paris, on ne peut plus l’être ailleurs –même à Paris. »
*
Cité par Ned Rorem dans son Journal parisien : Il se pourrait que la vérité fût triste. (Ernest Renan).
*
Et aussi :
Belles journées, souris du temps,
Vous rongez peu à peu ma vie,
Dieu ! Je vais avoir vingt-huit ans
Et mal vécus à mon avis. (Guillaume Apollinaire, La Souris)
Florilège tiré de mes notes d’il y a plusieurs semaines :
Oscar Dominguez soutient qu‘il a vu trois soucoupes volantes, ce qui, bien entendu, est impossible, puisque non seulement il est myope (…), surréaliste et alcoolique, mais qu’il ne pratique aucune religion
Je suis toujours touché par cet ennui généreux chez les vieux, qui, au plus profond d’eux-mêmes, sont contents que ce ne soit pas eux que l’on enterre.
On passe devant le cimetière –qui est blanc et décoratif, mais qui sent mauvais (parce que les musulmans sont enterrés debout et que, la nuit, les hyènes viennent ronger leurs crânes)…
Balthus travaille à une huile absolument terrifiante, énorme, large de près de quatre mètres et montant jusqu’au plafond. Elle représente deux filles bizarres : l’une, poupée morte et nue dans une lumière artificielle, étendue sur un divan, attendant l’amour ; l’autre, petite sœur idiote et remuante, en tricot vert, ouvrant le rideau et exposant sa rivale à la lumière réelle du soleil. Il y a aussi un vase et un chat. (…) pauvre grand Balthus : si juif et si apitoyé sur son sort ; si riche, si pauvre.
Ainsi fut mon jeudi, sans parler de choses aussi importantes que d’arpenter les rues.
Stephen est certainement mieux à Paris qu’en Angleterre (comme tous les Anglais qui sont loin de leur femme), mais aussi déprimant, puisqu’il aimerait sauver le monde, ce à quoi, en principe, j’essaie de ne pas penser.
Une souris vient de mourir dans mon piano. Je crois qu’elle est entrée là pour mettre bas ; mais au lieu de cela, elle a été tuée par les coups de marteaux.
Je vois des films, parle sans fin, ratiocine, lis Jünger, écris des lettres, m’en fais pour l’argent, mange bien, vois beaucoup Philippe Erlanger, soirées ardentes ou mornes à Saint-Tropez, longues conversations avec Denise, non seulement à propos de la mort et de l’actualité des miracles, mais aussi sur les femmes qui copulent avec des chiens et qui, se retrouvant coincées, n'ont d’autre issue que celle, humiliante, d’appeler le médecin, etc.
Seul à Rome à présent, et seul avec moi-même. Qui fera la lessive et qui apportera le petit-déjeuner au lit ? Je n’ai jamais été autonome et je ne pense pas que l’être soit forcément une vertu.
Pas pu dormir cette nuit à cause des gloussements stridents de Marie Laure et d’Oscar qui batifolaient sur le gazon, soûls, replets, plus très jeunes et complètement nus.
Conversation entre Gordon Sager et Jane Bowles entendue il y a des années. Gordon : « J’ai tout contre moi : je suis juif, poète, communiste, homosexuel et alcoolique. » Jane : « Ça, c’est rien ! Je suis juive, poète, communiste, homosexuelle, alcoolique et handicapée ! »
La pire surprise fut de découvrir que les adultes avaient toutes les faiblesses des enfants et aucune de leurs forces.
John Ashbery dit : « Quand on a été heureux à Paris, on ne peut plus l’être ailleurs –même à Paris. »
*
Cité par Ned Rorem dans son Journal parisien : Il se pourrait que la vérité fût triste. (Ernest Renan).
*
Et aussi :
Belles journées, souris du temps,
Vous rongez peu à peu ma vie,
Dieu ! Je vais avoir vingt-huit ans
Et mal vécus à mon avis. (Guillaume Apollinaire, La Souris)
11 décembre 2014
Ce mercredi avant de prendre le train de huit heures sept pour Paris, j’entends au Journal de France Culture qu’une manifestation d’avocats doit avoir lieu entre la Bastille et l’Opéra. Il s’agit de protester contre une loi du Ministre Macron, mais comme ce dernier n’a pas l’air de savoir ce qu’il veut, le représentant des avocats ne peut plus dire précisément l’objet du mécontentent.
-Dans ce cas, pourquoi ne pas annuler la manifestation ? demande le journaliste.
-On n’arrête pas comme ça des milliers d’avocats venus de toute la France.
De la Bastille à l’Opéra, c’est aussi mon parcours. Cependant, je ne trouve pas trace d’eux lorsque après le Book-Off de Ledru-Rollin, le bus Quatre-Vingt-Six m’emmène au Quartier Latin. Je le quitte à Cluny en même temps qu’un sale môme qui tape sur la tête d’une passagère avant de descendre et qu’une nymphette peinant à mettre sur ses épaules un violoncelle aussi grand qu’elle.
Après un traditionnel déjeuner rue de la Harpe à l’Oie Qui Fume, je vais à pied jusqu’au Centre Pompidou pour y boire un café de la cafetière à La Mezzanine. La ruée espérée pour Koons n’est pas au rendez-vous. Aucune annonce n’est nécessaire pour indiquer la durée de l’attente. Il va bientôt falloir engager une chorale pour dire à Jeff qu’il n’est pas tout seul.
Sorti de là, je tente le bus Vingt-Et-Un, mais celui-ci, comme d’autres, n’arrive pas. « Manifestation », indique l’affichage. Je me rabats sur le métro. Autour de l’Opéra seuls les piétons passent. La situation est la même à ma sortie du Book-Off de Quatre-Septembre. Les milliers d’avocats sont accompagnés de notaires, d’huissiers et de greffiers. La nuit va tomber. C’est l’heure, annonce la sono, pour la province de rejoindre les bus et de rentrer chez elle. Je croise le «Barreau d’Angers en colère » dans sa tenue de travail, marchant d’un bon pas derrière la banderole. Un autre groupe suit de près un porteur de drapeau tricolore à la façon des touristes qui craignent de perdre leur guide. Dans le caniveau gît un drapeau de Heffo. Les Céhéresses sont pépères dans leurs camions rue Auber, papotant ou jouant à des jeux vidéo. Autour c’est un foutoir de première, bus et voitures bloqués claque-sonnant à tout va. Ce désordre s’étend jusqu’à la gare Saint-Lazare.
Dans le train du retour, je lis en diagonale Anquetil tout seul de Paul Fournel (Le Seuil) que je destine à l’un que je connais (s’il en veut), encore un livre bénéficiant d’un envoi de l’auteur à l’une qui n’aura pas souhaité le garder : « Pour Christine, ce portrait du grand JACQUES par le petit paul. Et la bise cycliste de Paul. ».
*
Parmi les autres livres boucofiés : La vie à en mourir (Lettres de fusillés 1941-1944) (Taillandier), Le Club des suicidaires de Stevenson (Arthaud), Le Crépuscule des pensées de Cioran (Biblio Essais), Discours sur le Fils-de-Pute d’Alberto Pimenta (L’insomniaque). Lorsque je tape le titre de ce dernier sur PriceMinister m’est suggéré comme lien commercial : « Des femmes cherchent des hommes pour des rencontres ».
*
Dans le train de l’aller quatre femmes quinquagénaires montées à Val-de-Reuil et n’y habitant sûrement pas :
-J’ai essayé de lire Modiano mais c’est spécial.
-Spécial comment ?
-On sait pas très bien où il veut en venir.
-Mais il a eu des prix, il me semble ?
-Oui, le Nobel.
-Ils ont des prix mais c’est pas des gens comme nous qui les choisissent.
*
« Avocat ? Notaire ? Charcutier ? », plaisanterie coutumière de frère Jacques, qui travaillait aux renseignements de France Télécom, quand on lui demandait le numéro de Maître Untel.
-Dans ce cas, pourquoi ne pas annuler la manifestation ? demande le journaliste.
-On n’arrête pas comme ça des milliers d’avocats venus de toute la France.
De la Bastille à l’Opéra, c’est aussi mon parcours. Cependant, je ne trouve pas trace d’eux lorsque après le Book-Off de Ledru-Rollin, le bus Quatre-Vingt-Six m’emmène au Quartier Latin. Je le quitte à Cluny en même temps qu’un sale môme qui tape sur la tête d’une passagère avant de descendre et qu’une nymphette peinant à mettre sur ses épaules un violoncelle aussi grand qu’elle.
Après un traditionnel déjeuner rue de la Harpe à l’Oie Qui Fume, je vais à pied jusqu’au Centre Pompidou pour y boire un café de la cafetière à La Mezzanine. La ruée espérée pour Koons n’est pas au rendez-vous. Aucune annonce n’est nécessaire pour indiquer la durée de l’attente. Il va bientôt falloir engager une chorale pour dire à Jeff qu’il n’est pas tout seul.
Sorti de là, je tente le bus Vingt-Et-Un, mais celui-ci, comme d’autres, n’arrive pas. « Manifestation », indique l’affichage. Je me rabats sur le métro. Autour de l’Opéra seuls les piétons passent. La situation est la même à ma sortie du Book-Off de Quatre-Septembre. Les milliers d’avocats sont accompagnés de notaires, d’huissiers et de greffiers. La nuit va tomber. C’est l’heure, annonce la sono, pour la province de rejoindre les bus et de rentrer chez elle. Je croise le «Barreau d’Angers en colère » dans sa tenue de travail, marchant d’un bon pas derrière la banderole. Un autre groupe suit de près un porteur de drapeau tricolore à la façon des touristes qui craignent de perdre leur guide. Dans le caniveau gît un drapeau de Heffo. Les Céhéresses sont pépères dans leurs camions rue Auber, papotant ou jouant à des jeux vidéo. Autour c’est un foutoir de première, bus et voitures bloqués claque-sonnant à tout va. Ce désordre s’étend jusqu’à la gare Saint-Lazare.
Dans le train du retour, je lis en diagonale Anquetil tout seul de Paul Fournel (Le Seuil) que je destine à l’un que je connais (s’il en veut), encore un livre bénéficiant d’un envoi de l’auteur à l’une qui n’aura pas souhaité le garder : « Pour Christine, ce portrait du grand JACQUES par le petit paul. Et la bise cycliste de Paul. ».
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Parmi les autres livres boucofiés : La vie à en mourir (Lettres de fusillés 1941-1944) (Taillandier), Le Club des suicidaires de Stevenson (Arthaud), Le Crépuscule des pensées de Cioran (Biblio Essais), Discours sur le Fils-de-Pute d’Alberto Pimenta (L’insomniaque). Lorsque je tape le titre de ce dernier sur PriceMinister m’est suggéré comme lien commercial : « Des femmes cherchent des hommes pour des rencontres ».
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Dans le train de l’aller quatre femmes quinquagénaires montées à Val-de-Reuil et n’y habitant sûrement pas :
-J’ai essayé de lire Modiano mais c’est spécial.
-Spécial comment ?
-On sait pas très bien où il veut en venir.
-Mais il a eu des prix, il me semble ?
-Oui, le Nobel.
-Ils ont des prix mais c’est pas des gens comme nous qui les choisissent.
*
« Avocat ? Notaire ? Charcutier ? », plaisanterie coutumière de frère Jacques, qui travaillait aux renseignements de France Télécom, quand on lui demandait le numéro de Maître Untel.
10 décembre 2014
Ouverture exceptionnelle de l’Ubi ce dimanche, j’y arrive à seize heures trente accueilli par le facétieux Jonathan Slimak, tête pensante de Jabran Productions, l’une des institutions culturelles locataires du lieu. Il fait temporairement office de barman. Je lui demande un café.
L’après-midi est annoncée en deux temps : projection de deux portraits du webdoc Music On The Road de Yoann Le Gruiec et Benoît Pergent, membres de Jabran Productions, puis concert d’un des musiciens filmés, le Navajo JJ Otero qui fête ses quarante-cinq ans en effectuant son premier voyage avec passeport, dix jours en France.
La projection a lieu dans la galerie MAM devant un public d’âge divers. Il s’agit pour ces jeunes gens de montrer les deux premières des vingt-sept rencontres qu’ils doivent faire dans neuf lieux hautement musicaux des Etats-Unis. Le premier film est consacré à Las Cafeteras, joyeux groupe de folk urbain latino contestataire de El Sereno (Los Angeles), le second à Saving Damsels, groupe de native soul rock d’Albuquerque dont le chanteur est JJ Otero. Celui-ci est dans la salle, personnage imposant, aux bras tatoués, à boucles d’oreille et à melon noir à plume. On le voit sur l’écran au volant d’une puissante voiture traçant la route dans le désert torride jusqu’à la réserve où vit pauvrement son père et évoquant la carte du pays navajo qu’on lui montrait à l’école religieuse, deux blocs séparés par une ligne jaune, d’un côté les christianisés qui iraient droit au paradis, de l’autre les fidèles à la religion des ancêtres destinés à l’enfer. A l’issue de la projection il prend la parole, se présente en langue navajo à la demande d’une spectatrice et se réjouit en anglais d’avoir découvert les musées parisiens et la choucroute.
Le concert suit dans le café de l’Ubi. JJ Otero prend sa guitare et s’installe sur une chaise. Il photographie le public puis présente son nouvel ami français Abdoulaye qui l’accompagnera de ses congas. La même spectatrice, un peu pesante, demande à ce qu’il résume chacune de ses chansons avant exécution afin qu’Abdoulaye traduise pour les non anglophones. Je sais donc qu’il chante son ancienne addiction à l’alcool, sa détestation des politiciens, prêtres et capitalistes, son goût pour les filles dans les bars, puis il se soustrait à cette exigence et ce n’est pas plus mal. J’aime cette musique de pays et la voix de JJ.
Au bout de pas mal de chansons, il demande un double café. Pas assez dormi, trop mangé, dit-il. Pendant cette pause, je prends un verre de vin blanc et échange quelques mots avec Abdoulaye Sambe qui a rencontré le chanteur navajo lors du premier des trois concerts parisiens que lui ont organisés les deux cinéastes, deux dans des centres pour sans abris et un dans un bar de la Bastille. Il l’a accompagné de ses congas lors des deux derniers et l’a suivi à Rouen.
Je m’assois pour le deuxième set. Une partie du public est rentrée à la maison. Dans celle qui reste certains amènent JJ Otero à s’arrêter au milieu de son premier morceau. Pas besoin de traduction pour comprendre qu’il est furieux contre ceux qui discutent pendant qu’il joue. L’un de ces irrespectueux lance un piteux : « I’m sorry, man ». JJ pousse un énorme soupir et reprend sa chanson puis répète à l’issue de celle-ci qu’il ne supporte pas cette attitude. Plus personne ne pipe et c’est à nouveau un très bon moment. Vers dix-neuf heures trente, il remercie les deux jeunes cinéastes rouennais qui se sont intéressés à lui et à sa musique, ce qui fait qu’il est ici ce soir. « Vous m’avez touché au cœur », leur dit-il submergé par les larmes. Ce colosse est un hyper sensible. Jonathan Slimak fait ce qu’il faut, lui apportant un mouchoir en papier et lui faisant un gros bisou sur la joue.
*
Bien content de voir un artiste se rebeller contre celles et ceux qui viennent au concert pour blablater avec leurs peutes.
*
Première musique à se faire entendre dans le film consacré à Las Cafeteras, celle du glacier. Elle m’emplit de nostalgie, été deux mille douze, on the road avec elle : New York, Philadelphie, Pittsburgh, Colombus, Indianapolis, Chicago, Toronto, New York.
L’après-midi est annoncée en deux temps : projection de deux portraits du webdoc Music On The Road de Yoann Le Gruiec et Benoît Pergent, membres de Jabran Productions, puis concert d’un des musiciens filmés, le Navajo JJ Otero qui fête ses quarante-cinq ans en effectuant son premier voyage avec passeport, dix jours en France.
La projection a lieu dans la galerie MAM devant un public d’âge divers. Il s’agit pour ces jeunes gens de montrer les deux premières des vingt-sept rencontres qu’ils doivent faire dans neuf lieux hautement musicaux des Etats-Unis. Le premier film est consacré à Las Cafeteras, joyeux groupe de folk urbain latino contestataire de El Sereno (Los Angeles), le second à Saving Damsels, groupe de native soul rock d’Albuquerque dont le chanteur est JJ Otero. Celui-ci est dans la salle, personnage imposant, aux bras tatoués, à boucles d’oreille et à melon noir à plume. On le voit sur l’écran au volant d’une puissante voiture traçant la route dans le désert torride jusqu’à la réserve où vit pauvrement son père et évoquant la carte du pays navajo qu’on lui montrait à l’école religieuse, deux blocs séparés par une ligne jaune, d’un côté les christianisés qui iraient droit au paradis, de l’autre les fidèles à la religion des ancêtres destinés à l’enfer. A l’issue de la projection il prend la parole, se présente en langue navajo à la demande d’une spectatrice et se réjouit en anglais d’avoir découvert les musées parisiens et la choucroute.
Le concert suit dans le café de l’Ubi. JJ Otero prend sa guitare et s’installe sur une chaise. Il photographie le public puis présente son nouvel ami français Abdoulaye qui l’accompagnera de ses congas. La même spectatrice, un peu pesante, demande à ce qu’il résume chacune de ses chansons avant exécution afin qu’Abdoulaye traduise pour les non anglophones. Je sais donc qu’il chante son ancienne addiction à l’alcool, sa détestation des politiciens, prêtres et capitalistes, son goût pour les filles dans les bars, puis il se soustrait à cette exigence et ce n’est pas plus mal. J’aime cette musique de pays et la voix de JJ.
Au bout de pas mal de chansons, il demande un double café. Pas assez dormi, trop mangé, dit-il. Pendant cette pause, je prends un verre de vin blanc et échange quelques mots avec Abdoulaye Sambe qui a rencontré le chanteur navajo lors du premier des trois concerts parisiens que lui ont organisés les deux cinéastes, deux dans des centres pour sans abris et un dans un bar de la Bastille. Il l’a accompagné de ses congas lors des deux derniers et l’a suivi à Rouen.
Je m’assois pour le deuxième set. Une partie du public est rentrée à la maison. Dans celle qui reste certains amènent JJ Otero à s’arrêter au milieu de son premier morceau. Pas besoin de traduction pour comprendre qu’il est furieux contre ceux qui discutent pendant qu’il joue. L’un de ces irrespectueux lance un piteux : « I’m sorry, man ». JJ pousse un énorme soupir et reprend sa chanson puis répète à l’issue de celle-ci qu’il ne supporte pas cette attitude. Plus personne ne pipe et c’est à nouveau un très bon moment. Vers dix-neuf heures trente, il remercie les deux jeunes cinéastes rouennais qui se sont intéressés à lui et à sa musique, ce qui fait qu’il est ici ce soir. « Vous m’avez touché au cœur », leur dit-il submergé par les larmes. Ce colosse est un hyper sensible. Jonathan Slimak fait ce qu’il faut, lui apportant un mouchoir en papier et lui faisant un gros bisou sur la joue.
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Bien content de voir un artiste se rebeller contre celles et ceux qui viennent au concert pour blablater avec leurs peutes.
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Première musique à se faire entendre dans le film consacré à Las Cafeteras, celle du glacier. Elle m’emplit de nostalgie, été deux mille douze, on the road avec elle : New York, Philadelphie, Pittsburgh, Colombus, Indianapolis, Chicago, Toronto, New York.
9 décembre 2014
Longtemps que je ne m’étais pas assis à l’une de mes places préférées de l’auditorium du Conservatoire de Rouen afin d’y ouïr les musicien(ne)s de l’endroit, j’y suis ce samedi soir pour un concert qui annonce mêler musique de France et du Vietnam.
Claude Brendel, homme de la maison, explique au micro que cela se situe dans le cadre de l’année du Vietnam en France (après l’inverse) et que les Vietnamiens invités sont d’Ile-de-France et complétés de chanteurs de Choisy-le-Roi puis il dirige mollement l’Orchestre symphonique du Conservatoire pour la création mondiale de Philippe Chamouard intitulée Les rêves de l’ombre dont la longueur le dispute au manque de relief. Cela aurait aussi bien pu s’appeler L’ombre des rêves. Le compositeur monté sur scène est applaudi autant que sa musique, faiblement par moi.
Suivent la courte Villanelle pour cor et orchestre de Paul Dukas et Hanoi, ville aux traditions millénaires, chanson populaire vietnamienne de Doàn Bông. Arrivent alors sur la scène, deux sexagénaires gris souris du Lions Club, cette institution bourgeoise essentiellement composée de patrons et de cadres supérieurs cooptés qui font le bien avec l’argent des autres.
L’un fait une allocution à la gloire de son cleube. L’autre tire de sa poche un chèque de mil cinq cents euros pour aider à un voyage en Chine des musiciens d’ici. Il le tend à Claude Brendel qui le détourne vers l’une des jeunes musiciennes.
Cette obscénité me décide à filer à l’entracte (l’œuvre vietnamienne de deuxième partie, Le chant du garde-frontière de Tô Hài, étant un hymne nationaliste et communiste des années soixante, je ne perds pas grand-chose).
*
« Devenir membre d'un Lions club vous permet de faire du bénévolat à échelle locale ou mondiale. C'est une occasion de se faire des amis et d'établir des réseaux professionnels, de mener à bien des projets qui permettent d'améliorer la vie dans les communautés, le tout en s'amusant. » (Site officiel du Lions Club)
Sûr qu’ils s’amusaient bien les deux gus en gris souris. Depuis la salle, leurs amis du cleube filmaient la performance.
Claude Brendel, homme de la maison, explique au micro que cela se situe dans le cadre de l’année du Vietnam en France (après l’inverse) et que les Vietnamiens invités sont d’Ile-de-France et complétés de chanteurs de Choisy-le-Roi puis il dirige mollement l’Orchestre symphonique du Conservatoire pour la création mondiale de Philippe Chamouard intitulée Les rêves de l’ombre dont la longueur le dispute au manque de relief. Cela aurait aussi bien pu s’appeler L’ombre des rêves. Le compositeur monté sur scène est applaudi autant que sa musique, faiblement par moi.
Suivent la courte Villanelle pour cor et orchestre de Paul Dukas et Hanoi, ville aux traditions millénaires, chanson populaire vietnamienne de Doàn Bông. Arrivent alors sur la scène, deux sexagénaires gris souris du Lions Club, cette institution bourgeoise essentiellement composée de patrons et de cadres supérieurs cooptés qui font le bien avec l’argent des autres.
L’un fait une allocution à la gloire de son cleube. L’autre tire de sa poche un chèque de mil cinq cents euros pour aider à un voyage en Chine des musiciens d’ici. Il le tend à Claude Brendel qui le détourne vers l’une des jeunes musiciennes.
Cette obscénité me décide à filer à l’entracte (l’œuvre vietnamienne de deuxième partie, Le chant du garde-frontière de Tô Hài, étant un hymne nationaliste et communiste des années soixante, je ne perds pas grand-chose).
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« Devenir membre d'un Lions club vous permet de faire du bénévolat à échelle locale ou mondiale. C'est une occasion de se faire des amis et d'établir des réseaux professionnels, de mener à bien des projets qui permettent d'améliorer la vie dans les communautés, le tout en s'amusant. » (Site officiel du Lions Club)
Sûr qu’ils s’amusaient bien les deux gus en gris souris. Depuis la salle, leurs amis du cleube filmaient la performance.
8 décembre 2014
Samedi après-midi, c’est après un délicieux et copieux repas partagé à La Petite Auberge qu’avec celle venue de Paris pour me voir, je pousse pour la première fois la porte de la maison Guidoline, l’ «atelier de bicyclette qui permet d’apprendre librement les finesses de la mécanique », rue Molière. Des bicyclistes s’y activent en effet. L’un d’eux nous demande ce que l’on désire.
-Voir l’exposition David Liaudet.
Il nous indique une porte intérieure qui donne sur un café dont j’ignorais l’existence où nous accueille une jeune personne souriante. C’est sur l’un des murs de cet endroit chaleureux que sont montrées sept étapes de la longue besogne de l’artiste qui s’est donné pour mission de réaliser dans l’ordre alphabétique toutes les illustrations des mots définis dans le Dictionnaire Larousse illustré qui en sont dépourvus, un travail qui doit s’achever dans les années vingt.
Les panneaux que j’avais vus en mars deux mille huit à l’Institut Universitaire de Formation des Maîtres de Mont-Saint-Aignan étaient en noir et blanc. Ici, six sur sept sont en couleur. Je préfère les dessins de mots en noir et blanc. Parmi ceux-ci est l’extraordinaire illustrant extraordinaire.
Comme on se sent bien dans ce « café culturel », nous y prenons thé et café près d’un sapin de Noël dont l’étoile est un plateau de bicyclette, et même, l’endroit étant ouvert le mardi quand l’Ubi ne l’est pas, j’y prends carte d’adhérent afin qu’à l’avenir je puisse m’y réfugier de temps à autre avec mon ordinateur.
Avant qu’elle ne retourne à Paris, je lui montre le ridicule toboggan géant de la place de la Calende dont elle fait quelques photos. Pour rentrer à la maison, nous devons fendre la foule du marché de Noël, une épreuve dont nous nous serions bien passés.
Pendant un mois, entre dix heures et dix-neuf heures, l’hypercentre de Rouen est une Zaf (Zone à fuir).
*
Le vélo, mauvais souvenir du temps que j’étais au collège Ferdinand-Buisson à Louviers. Arriver pédalant avait valeur de double aveu : tu n’habites pas en centre-ville, tes parents n’ont pas les moyens de te conduire en voiture. Et quoi de plus chiant que devoir marcher à côté de son vélo pour raccompagner une fille jusqu’à chez elle après les cours.
Le pire, c’étaient les ennuis techniques : pneu crevé, dérailleur bloqué, frein cassé. Obligé, en rentrant, de m’arrêter chez Georget, rue Saint-Jean, réparateur de cycles moins glamour que Guidoline, et de m’y morfondre en attendant la fin de la remise en état.
Triple engueulade en arrivant à la maison : pourquoi arrives-tu si tard, qu’est-ce que tu as fait pour casser ton frein (ou bloquer ton dérailleur, ou crever ton pneu), et encore de l’argent dépensé par ta faute.
De quoi détester le vélo pour le reste de sa vie.
-Voir l’exposition David Liaudet.
Il nous indique une porte intérieure qui donne sur un café dont j’ignorais l’existence où nous accueille une jeune personne souriante. C’est sur l’un des murs de cet endroit chaleureux que sont montrées sept étapes de la longue besogne de l’artiste qui s’est donné pour mission de réaliser dans l’ordre alphabétique toutes les illustrations des mots définis dans le Dictionnaire Larousse illustré qui en sont dépourvus, un travail qui doit s’achever dans les années vingt.
Les panneaux que j’avais vus en mars deux mille huit à l’Institut Universitaire de Formation des Maîtres de Mont-Saint-Aignan étaient en noir et blanc. Ici, six sur sept sont en couleur. Je préfère les dessins de mots en noir et blanc. Parmi ceux-ci est l’extraordinaire illustrant extraordinaire.
Comme on se sent bien dans ce « café culturel », nous y prenons thé et café près d’un sapin de Noël dont l’étoile est un plateau de bicyclette, et même, l’endroit étant ouvert le mardi quand l’Ubi ne l’est pas, j’y prends carte d’adhérent afin qu’à l’avenir je puisse m’y réfugier de temps à autre avec mon ordinateur.
Avant qu’elle ne retourne à Paris, je lui montre le ridicule toboggan géant de la place de la Calende dont elle fait quelques photos. Pour rentrer à la maison, nous devons fendre la foule du marché de Noël, une épreuve dont nous nous serions bien passés.
Pendant un mois, entre dix heures et dix-neuf heures, l’hypercentre de Rouen est une Zaf (Zone à fuir).
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Le vélo, mauvais souvenir du temps que j’étais au collège Ferdinand-Buisson à Louviers. Arriver pédalant avait valeur de double aveu : tu n’habites pas en centre-ville, tes parents n’ont pas les moyens de te conduire en voiture. Et quoi de plus chiant que devoir marcher à côté de son vélo pour raccompagner une fille jusqu’à chez elle après les cours.
Le pire, c’étaient les ennuis techniques : pneu crevé, dérailleur bloqué, frein cassé. Obligé, en rentrant, de m’arrêter chez Georget, rue Saint-Jean, réparateur de cycles moins glamour que Guidoline, et de m’y morfondre en attendant la fin de la remise en état.
Triple engueulade en arrivant à la maison : pourquoi arrives-tu si tard, qu’est-ce que tu as fait pour casser ton frein (ou bloquer ton dérailleur, ou crever ton pneu), et encore de l’argent dépensé par ta faute.
De quoi détester le vélo pour le reste de sa vie.
6 décembre 2014
Preuve que le nouvel emplacement de l’Esadhar (anciennement nommée Ecole des Beaux-Arts de Rouen) sur les lointaines hauteurs de la ville n’est pas une bonne chose, ses expositions ont lieu dans les Grandes Galeries de l’aître Saint-Maclou et même, ce vendredi après-midi, c’est en ce lieu central que David Liaudet et Nicolas Moulin donnent chacun leur conférence dans le cadre de l’opération culturelle et artistique Oui Futur.
Le nom du premier ne m’était pas inconnu mais ce n’est qu’après une piqûre de rappel de l’ami Loïc Boyer que je me suis souvenu avoir vu de lui certaines de ses illustrations pour mots en étant dépourvus dans le dictionnaire Larousse à l’Institut Universitaire de Formation des Maîtres (qui porte désormais un autre nom) lorsqu’on y organisait des expositions qui valaient le déplacement. D’autres de ces illustrations sont actuellement visibles chez Guidoline, haut lieu de la boboïtude rouennaise, que j’irai bientôt voir.
Deux gros radiateurs électriques d’appoint tentent de palier à l’absence de chauffage dans les Grandes Galeries. Une estrade pas du tout pratique fait face à une table à micros et ordinateurs derrière laquelle prennent place David Liaudet et Nicolas Moulin. Le public est essentiellement composé de profs et d’étudiant(e)s en art, certain(e)s debout, les autres mal assis(e)s. J’ai posé mes fesses sur l’une des rares chaises.
« Mon combat patrimonial est une performance artistique (enfin je crois) » annonce David Liaudet, ancien beauzarteux rouennais. Il ne parlera pas, dit-il, de ses dessins de dictionnaire, ni du livre de Cioran qu’il a recopié à la main, ni de son blog Architectures de Cartes Postales, ni de la Bulle six coques de Maneval qu’il a sauvé de la destruction, mais d’un livre de mil neuf cent soixante-douze, par lui acheté dans un vide grenier, Guide d’architecture contemporaine en France, qui est à l’origine de son intérêt pour l’architecture brutaliste.
Les questions qui se posent à propos de ce livre c’est quand comment pourquoi, déclare-t-il, et pour y répondre la meilleure façon est de téléphoner à son auteur. Ce qu’il fait illico avec l’aide d’un enseignant qui sait composer un numéro. Dominique Amouroux explique donc comment fut conçu ce qui était son travail de fin d’études. David Liaudet raconte ensuite son combat pour que soit inscrit à l’inventaire supplémentaire des monuments historiques le centre commercial de Sens dû à Claude Parent, il s’insurge contre Le Grand-Quevilly qui, il y a deux jours, a fait détruire l’église Sainte-Bernadette et termine en citant Cioran : Ne rien avoir accompli et mourir en surmené. Cet obsessionnel de première, mais qui n’en a pas l’air, a tout pour me plaire. Je l’aurais bien écouté plus longtemps.
Je suis moins intéressé par les propos de Nicolas Moulin, auteur entre autres de la série de photos retouchées Vider Paris, qui parle beaucoup et sans que l’on sache où il va ni quand ça va s’arrêter et comme j’ai trop froid, qu’il a tellement de photos dans son ordinateur et qu’il est bien capable de toutes les montrer, je m’en vais avant la fin.
*
Gogo dancing, jacuzzi, stripteaseuses, c’est le nouveau visage du Marégraphe, café où je ne donne plus ma clientèle (comme dirait Henri Calet).
*
Le magasin Tati de la rive gauche a disparu sans faire de bruit. Si quelqu’un(e) cherche mil neuf cent cinquante-deux mètres carrés à louer, c’est le moment.
Le nom du premier ne m’était pas inconnu mais ce n’est qu’après une piqûre de rappel de l’ami Loïc Boyer que je me suis souvenu avoir vu de lui certaines de ses illustrations pour mots en étant dépourvus dans le dictionnaire Larousse à l’Institut Universitaire de Formation des Maîtres (qui porte désormais un autre nom) lorsqu’on y organisait des expositions qui valaient le déplacement. D’autres de ces illustrations sont actuellement visibles chez Guidoline, haut lieu de la boboïtude rouennaise, que j’irai bientôt voir.
Deux gros radiateurs électriques d’appoint tentent de palier à l’absence de chauffage dans les Grandes Galeries. Une estrade pas du tout pratique fait face à une table à micros et ordinateurs derrière laquelle prennent place David Liaudet et Nicolas Moulin. Le public est essentiellement composé de profs et d’étudiant(e)s en art, certain(e)s debout, les autres mal assis(e)s. J’ai posé mes fesses sur l’une des rares chaises.
« Mon combat patrimonial est une performance artistique (enfin je crois) » annonce David Liaudet, ancien beauzarteux rouennais. Il ne parlera pas, dit-il, de ses dessins de dictionnaire, ni du livre de Cioran qu’il a recopié à la main, ni de son blog Architectures de Cartes Postales, ni de la Bulle six coques de Maneval qu’il a sauvé de la destruction, mais d’un livre de mil neuf cent soixante-douze, par lui acheté dans un vide grenier, Guide d’architecture contemporaine en France, qui est à l’origine de son intérêt pour l’architecture brutaliste.
Les questions qui se posent à propos de ce livre c’est quand comment pourquoi, déclare-t-il, et pour y répondre la meilleure façon est de téléphoner à son auteur. Ce qu’il fait illico avec l’aide d’un enseignant qui sait composer un numéro. Dominique Amouroux explique donc comment fut conçu ce qui était son travail de fin d’études. David Liaudet raconte ensuite son combat pour que soit inscrit à l’inventaire supplémentaire des monuments historiques le centre commercial de Sens dû à Claude Parent, il s’insurge contre Le Grand-Quevilly qui, il y a deux jours, a fait détruire l’église Sainte-Bernadette et termine en citant Cioran : Ne rien avoir accompli et mourir en surmené. Cet obsessionnel de première, mais qui n’en a pas l’air, a tout pour me plaire. Je l’aurais bien écouté plus longtemps.
Je suis moins intéressé par les propos de Nicolas Moulin, auteur entre autres de la série de photos retouchées Vider Paris, qui parle beaucoup et sans que l’on sache où il va ni quand ça va s’arrêter et comme j’ai trop froid, qu’il a tellement de photos dans son ordinateur et qu’il est bien capable de toutes les montrer, je m’en vais avant la fin.
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Gogo dancing, jacuzzi, stripteaseuses, c’est le nouveau visage du Marégraphe, café où je ne donne plus ma clientèle (comme dirait Henri Calet).
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Le magasin Tati de la rive gauche a disparu sans faire de bruit. Si quelqu’un(e) cherche mil neuf cent cinquante-deux mètres carrés à louer, c’est le moment.
5 décembre 2014
Ce mercredi, entre les deux trains, je passe pas mal de temps au Book-Off de la Bastille et à celui de l’Opéra. Dans les deux, la place donnée aux livres à un euro est en expansion. Imparable est le théorème de Book-Off : « Que le prix d’origine d’un livre soit deux euros ou vingt-quatre, il finira à un euro sur nos étagères. »
Entre ces deux escales, je déjeune au Rallye, le Péhemmu chinois de la rue du Faubourg Saint-Antoine, de mon habituel confit de canard pommes rissolées salade et quart de vin rouge, près d’un homme à tête de prof. L’un des joueurs présents, jeune homme avec des origines, le reconnaît et vient le voir :
-On m’a donné l’autorisation d’être vétécé, lui apprend-il.
-L’essentiel, c’est que vous soyez content, lui répond celui qui travaille peut-être en préfecture.
Il est ensuite question d’un homme qui a hérité d’une licence de chauffeur de taxi et plutôt que de s’épuiser à conduire lui-même la loue à un employé clandestin pour cent vingt euros par jour.
La conclusion du duo est que le monde est de plus en plus corrompu.
Après le second Book-Off, je trouve comme souvent refuge Chez Léon où règne un calme inhabituel jusqu’à ce qu’arrive un jeune voisin qui annonce son récent cambriolage :
-Ils sont montés au sixième et ont cassé la porte du voisin qui a une chambre de bonne, puis ils sont redescendus chez nous au cinquième et ont forcé la porte qu’on avait seulement tirée, plus d’ordinateur, etc…
La conclusion du comptoir est que le monde est de moins en moins sûr.
*
Deux femmes dans le bus.
La plus jeune : « Je suis optimiste. »
L’autre : « Ne t’en fais pas, ça ne va pas durer. »
*
Parmi les livres rapportés : Le Portatif de Philippe Muray (Les Belles Lettres/Mille et Une Nuits), Journal atrabilaire de Jean Clair (Gallimard) et Rendez-vous sur ma langue de Marie-Laure Dagoit (al dante)
Dans le train surpeuplé du retour, je lis celui de cette dernière (que je ne croise plus en ville), sorte de pièce de théâtre ou de livret pour un opéra à venir, à trois personnages (Blanche-de-Neige, Bambie, Moi). On y croise des types et un chien entreprenant :
Sans doute il est arrivé à mes lecteurs
de traverser le grand salon où je me branle sans plus/
la main en forme d’anecdote.
Entre ces deux escales, je déjeune au Rallye, le Péhemmu chinois de la rue du Faubourg Saint-Antoine, de mon habituel confit de canard pommes rissolées salade et quart de vin rouge, près d’un homme à tête de prof. L’un des joueurs présents, jeune homme avec des origines, le reconnaît et vient le voir :
-On m’a donné l’autorisation d’être vétécé, lui apprend-il.
-L’essentiel, c’est que vous soyez content, lui répond celui qui travaille peut-être en préfecture.
Il est ensuite question d’un homme qui a hérité d’une licence de chauffeur de taxi et plutôt que de s’épuiser à conduire lui-même la loue à un employé clandestin pour cent vingt euros par jour.
La conclusion du duo est que le monde est de plus en plus corrompu.
Après le second Book-Off, je trouve comme souvent refuge Chez Léon où règne un calme inhabituel jusqu’à ce qu’arrive un jeune voisin qui annonce son récent cambriolage :
-Ils sont montés au sixième et ont cassé la porte du voisin qui a une chambre de bonne, puis ils sont redescendus chez nous au cinquième et ont forcé la porte qu’on avait seulement tirée, plus d’ordinateur, etc…
La conclusion du comptoir est que le monde est de moins en moins sûr.
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Deux femmes dans le bus.
La plus jeune : « Je suis optimiste. »
L’autre : « Ne t’en fais pas, ça ne va pas durer. »
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Parmi les livres rapportés : Le Portatif de Philippe Muray (Les Belles Lettres/Mille et Une Nuits), Journal atrabilaire de Jean Clair (Gallimard) et Rendez-vous sur ma langue de Marie-Laure Dagoit (al dante)
Dans le train surpeuplé du retour, je lis celui de cette dernière (que je ne croise plus en ville), sorte de pièce de théâtre ou de livret pour un opéra à venir, à trois personnages (Blanche-de-Neige, Bambie, Moi). On y croise des types et un chien entreprenant :
Sans doute il est arrivé à mes lecteurs
de traverser le grand salon où je me branle sans plus/
la main en forme d’anecdote.
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