Dernières notes
Loïc Boyer
Je suis l’auteur de textes courts qui furent publiés depuis mil neuf cent quatre-vingt-quinze dans des revues littéraires en France (Supérieur Inconnu, Supplément d’Ame, Nouvelle Donne, Le Bord de l’Eau, Pris de Peur, l’Art du Bref, Sol’Air, Gros Textes, Salmigondis, Verso, Décharge, Bulle, Filigranes, Diérèse, Martobre, Comme ça et Autrement, (Cahier d’) Ecritures, La Nef des Fous), en Belgique (Traversées, Ecrits Vains, L’Arbre à Plumes, Inédit Nouveau, Bleu d’Encre), au Canada (Les Saisons Littéraires) et en Italie (Les Cahiers du Ru).
Les courageuses Editions du Chardon ont publié en mil neuf cent quatre-vingt-dix-neuf Erotica, un recueil de vingt-huit de ces textes, illustré par Isabelle Pio et Antoine Lopez et préfacé par Sarane Alexandrian, toujours disponible auprès de moi.
Je suis également l’auteur d’une pièce de théâtre et de plusieurs romans ou récits à ce jour inédits.
Depuis le onze novembre deux mille six, je publie mon Journal via Internet, un temps sous-titré Persiflages, moquages et autres énervages mâtinés de complimentages et de contentages. Sa première partie est lisible chez Eklablog, la deuxième ici.
Je vis au centre de Rouen dans un ancien monastère où autrefois les Sœurs de la Miséricorde se vouaient à l’éducation des jeunes filles.
Les courageuses Editions du Chardon ont publié en mil neuf cent quatre-vingt-dix-neuf Erotica, un recueil de vingt-huit de ces textes, illustré par Isabelle Pio et Antoine Lopez et préfacé par Sarane Alexandrian, toujours disponible auprès de moi.
Je suis également l’auteur d’une pièce de théâtre et de plusieurs romans ou récits à ce jour inédits.
Depuis le onze novembre deux mille six, je publie mon Journal via Internet, un temps sous-titré Persiflages, moquages et autres énervages mâtinés de complimentages et de contentages. Sa première partie est lisible chez Eklablog, la deuxième ici.
Je vis au centre de Rouen dans un ancien monastère où autrefois les Sœurs de la Miséricorde se vouaient à l’éducation des jeunes filles.
5 mars 2015
Mercredi matin quatre mars, je quitte Rouen direction Neufchâtel-en-Bray puis Eu où j’arrive après une route sinueuse et pentue (le Pays de Bray est ras, il attend que le printemps lui fasse l’herbe verte et le fromage en forme de cœur). Peu de temps après, je franchis la frontière et entre en Picardie.
Mers-les-Bains m’accueille fraîchement. Le ciel est bleu mais ça souffle fort. Le trouve une chambre à cinquante-cinq euros à l’Hôtel Le Parisien tenu par un aimable jeune couple, plus exactement dans l’annexe, de l’autre côté de la rue. La vue est sur les jardins des maisons avoisinantes. A deux pas se trouve la maison où naquit Eugène Dabit, l’auteur d’Hôtel du Nord. Une boulangerie en occupe le rez-de-chaussée, spécialiste du gâteau battu. Quelques autochtones y achètent leur pain puis rentrent à la maison, saluant rapidement leurs connaissances :
-Vous avec déjà fait vot’tour ?
-Bah oui, on traîne pas avec ce vent-là.
Mers est connue pour ses maisons à balcons colorés dans certaines menacent ruine et d’autres sont à vendre, la plupart fermées, témoignage de temps meilleurs. J’en fais moult photos puis déjeune au Bistrot Saint-André en bord de mer, près d’un homme d’affaire français et deux de ses homologues chinois, leur conversation se tient en anglais. Amandes farcies et raviolis d’écrevisses et d’asperges, avec une demi-bouteille de muscadet et un café, cela fait trente euros.
Le vent souffle toujours fort et le ciel est encore plus bleu quand j’en sors. Comme aucune fille du bord de mer ne m’invite à tâter du côté de son cœur, je décide de repasser la frontière, à pied cette fois, afin de faire un tour au Tréport. Les pêcheurs du coin n’apprécient pas le projet d’éoliennes au large et le signalent en lettres capitales sur leurs camionnettes : « Eoliennes = Escroquerie écologique » « Eoliennes en mer = Mort de la vie sociale maritime ». Je ne juge pas indispensable d’aller leur dire que je préfère ces éoliennes aux centrales nucléaires de Paluel et Penly.
Je trouve le chemin du funiculaire gratuit et autogéré qui monte en haut de la falaise d’où l’on découvre tout Le Tréport, et Mers-les-Bains aussi, avec la mer toujours recommencée, puis redescends par les marches de pierre jusqu’au centre-ville. J’y bois un café à prix parisien dans un estaminet désert où règne un silence de mort.
Sur le comptoir, ce proverbe local :
« Si le temps n’est pas net
Reste à la buvette »
*
La veille mardi, rencontre annuelle avec les ami(e)s de Stockholm en compagnie de l’homme au chapeau. Chez Guidoline, nous discutons de nos perceptions légèrement différentes du monde qui va mal tout en mangeant de crémeux gâteaux.
*
Fabrice Luchini, toute la semaine A voix nue à vingt heures sur France Culture. Trente-cinq ans de psychanalyse, mais quand il parle de son père et de sa mère, il les appelle encore papa et maman.
Mers-les-Bains m’accueille fraîchement. Le ciel est bleu mais ça souffle fort. Le trouve une chambre à cinquante-cinq euros à l’Hôtel Le Parisien tenu par un aimable jeune couple, plus exactement dans l’annexe, de l’autre côté de la rue. La vue est sur les jardins des maisons avoisinantes. A deux pas se trouve la maison où naquit Eugène Dabit, l’auteur d’Hôtel du Nord. Une boulangerie en occupe le rez-de-chaussée, spécialiste du gâteau battu. Quelques autochtones y achètent leur pain puis rentrent à la maison, saluant rapidement leurs connaissances :
-Vous avec déjà fait vot’tour ?
-Bah oui, on traîne pas avec ce vent-là.
Mers est connue pour ses maisons à balcons colorés dans certaines menacent ruine et d’autres sont à vendre, la plupart fermées, témoignage de temps meilleurs. J’en fais moult photos puis déjeune au Bistrot Saint-André en bord de mer, près d’un homme d’affaire français et deux de ses homologues chinois, leur conversation se tient en anglais. Amandes farcies et raviolis d’écrevisses et d’asperges, avec une demi-bouteille de muscadet et un café, cela fait trente euros.
Le vent souffle toujours fort et le ciel est encore plus bleu quand j’en sors. Comme aucune fille du bord de mer ne m’invite à tâter du côté de son cœur, je décide de repasser la frontière, à pied cette fois, afin de faire un tour au Tréport. Les pêcheurs du coin n’apprécient pas le projet d’éoliennes au large et le signalent en lettres capitales sur leurs camionnettes : « Eoliennes = Escroquerie écologique » « Eoliennes en mer = Mort de la vie sociale maritime ». Je ne juge pas indispensable d’aller leur dire que je préfère ces éoliennes aux centrales nucléaires de Paluel et Penly.
Je trouve le chemin du funiculaire gratuit et autogéré qui monte en haut de la falaise d’où l’on découvre tout Le Tréport, et Mers-les-Bains aussi, avec la mer toujours recommencée, puis redescends par les marches de pierre jusqu’au centre-ville. J’y bois un café à prix parisien dans un estaminet désert où règne un silence de mort.
Sur le comptoir, ce proverbe local :
« Si le temps n’est pas net
Reste à la buvette »
*
La veille mardi, rencontre annuelle avec les ami(e)s de Stockholm en compagnie de l’homme au chapeau. Chez Guidoline, nous discutons de nos perceptions légèrement différentes du monde qui va mal tout en mangeant de crémeux gâteaux.
*
Fabrice Luchini, toute la semaine A voix nue à vingt heures sur France Culture. Trente-cinq ans de psychanalyse, mais quand il parle de son père et de sa mère, il les appelle encore papa et maman.
4 mars 2015
Ultimes extraits à mon goût du Journal de Jules Renard (Bouquins Laffont) :
On ne demande de mes nouvelles que pour avoir le droit de me raconter tous ses malheurs. (dix-huit août mil neuf cent cinq)
Famille. La recevoir du bout des lèvres, du bout des doigts, et enfin, du bout du pied. (trois septembre mil neuf cent cinq)
Nouvelle démentie et rementie. (dix-huit novembre mil neuf cent cinq)
Instituteurs. Ils disent encore « M. l’Inspecteur » comme ils diraient « Sire » ou « l’Empereur ». (quinze juin mil neuf cent six)
Nietzsche. Ce que j’en pense ? C’est qu’il y a bien des lettres inutiles dans son nom. (sept juillet mil neuf cent six)
On ne sait pas comment ils feraient pour élever leurs enfants si la mort ne les aidait pas. (dix-neuf février mil neuf cent sept)
Les épreuves que Dieu lui envoie. On dirait qu’elle parle d’un photographe. (six juillet mil neuf cent sept)
A considérer les appétits bourgeois, je me sens capable de me passer de tout. (trois août mil neuf cent sept)
L’auto, l’ennui vertigineux.
Ils vous demandent tout de suite combien de chevaux. Disons 1 500 et n’en parlons plus. (vingt-neuf aout mil neuf cent sept)
L’ouvrier a l’air de vivre, si on le compare au paysan mort. (vingt-trois août mil neuf cent huit)
N’écoutant que son courage, qui ne lui disait rien, il se garda bien d’intervenir. (dix-huit octobre mil neuf cent huit)
Galeries Durand-Ruel. Les Nymphéas, série de paysages d’eau par Claude Monet.
Je ne trouve rien à dire. Evidemment, c’est joli, mais je ne peux pourtant pas dire : « C’est joli, surtout dans des cadres ovales. » (onze mai mil neuf cent neuf)
Tous les chênes sont historiques, mais quelques-uns ne s’en vantent pas. (vingt-deux janvier mil neuf cent dix)
*
Une bien connue vacherie pour l’un de ses collègues :
Mallarmé, intraduisible, même en français. (premier mars mil huit cent quatre-vingt-dix-huit)
Celle-ci me plaît bien aussi, qui règle son compte à Claudel :
Il a le poil rare et regarde en dessous. Son âme a mauvais estomac. Il revient à son horreur des juifs, qu’il ne peut voir ni sentir. (treize février mil neuf cent)
*
Enfin pour me consoler de souffrir du même mal, cette constatation renouvelée :
C’est désespérant : tout lire, et ne rien retenir ! Car on ne retient rien. On a beau faire effort : tout échappe. (vingt-huit août mil huit cent quatre-vingt-neuf)
Doué d’une heureuse mémoire qui me permet d’oublier instantanément n’importe quelle lecture. (vingt-trois janvier mil neuf cent neuf)
On ne demande de mes nouvelles que pour avoir le droit de me raconter tous ses malheurs. (dix-huit août mil neuf cent cinq)
Famille. La recevoir du bout des lèvres, du bout des doigts, et enfin, du bout du pied. (trois septembre mil neuf cent cinq)
Nouvelle démentie et rementie. (dix-huit novembre mil neuf cent cinq)
Instituteurs. Ils disent encore « M. l’Inspecteur » comme ils diraient « Sire » ou « l’Empereur ». (quinze juin mil neuf cent six)
Nietzsche. Ce que j’en pense ? C’est qu’il y a bien des lettres inutiles dans son nom. (sept juillet mil neuf cent six)
On ne sait pas comment ils feraient pour élever leurs enfants si la mort ne les aidait pas. (dix-neuf février mil neuf cent sept)
Les épreuves que Dieu lui envoie. On dirait qu’elle parle d’un photographe. (six juillet mil neuf cent sept)
A considérer les appétits bourgeois, je me sens capable de me passer de tout. (trois août mil neuf cent sept)
L’auto, l’ennui vertigineux.
Ils vous demandent tout de suite combien de chevaux. Disons 1 500 et n’en parlons plus. (vingt-neuf aout mil neuf cent sept)
L’ouvrier a l’air de vivre, si on le compare au paysan mort. (vingt-trois août mil neuf cent huit)
N’écoutant que son courage, qui ne lui disait rien, il se garda bien d’intervenir. (dix-huit octobre mil neuf cent huit)
Galeries Durand-Ruel. Les Nymphéas, série de paysages d’eau par Claude Monet.
Je ne trouve rien à dire. Evidemment, c’est joli, mais je ne peux pourtant pas dire : « C’est joli, surtout dans des cadres ovales. » (onze mai mil neuf cent neuf)
Tous les chênes sont historiques, mais quelques-uns ne s’en vantent pas. (vingt-deux janvier mil neuf cent dix)
*
Une bien connue vacherie pour l’un de ses collègues :
Mallarmé, intraduisible, même en français. (premier mars mil huit cent quatre-vingt-dix-huit)
Celle-ci me plaît bien aussi, qui règle son compte à Claudel :
Il a le poil rare et regarde en dessous. Son âme a mauvais estomac. Il revient à son horreur des juifs, qu’il ne peut voir ni sentir. (treize février mil neuf cent)
*
Enfin pour me consoler de souffrir du même mal, cette constatation renouvelée :
C’est désespérant : tout lire, et ne rien retenir ! Car on ne retient rien. On a beau faire effort : tout échappe. (vingt-huit août mil huit cent quatre-vingt-neuf)
Doué d’une heureuse mémoire qui me permet d’oublier instantanément n’importe quelle lecture. (vingt-trois janvier mil neuf cent neuf)
3 mars 2015
Quatrième livraison de mon meilleur du Journal de Jules Renard (Bouquins Laffont) relu l’été deux mille quatorze :
Jamais je ne demande de nouvelles des absents : je les suppose morts. (quatorze janvier mil neuf cent deux)
L’oiseau en cage ne sait pas qu’il ne sait pas voler. (quinze avril mil neuf cent deux)
Style. Quand « améthyste » arrive, « topaze » n’est pas loin derrière. (quinze avril mil neuf cent deux)
Aux innocents les mains pleines de sang. (dix-sept octobre mil neuf cent deux)
Il ne parle pas, mais on sait qu’il pense des bêtises. (dix-neuf janvier mil neuf cent trois)
Les jeunes filles n’ont pas le droit de tout lire, mais elles peuvent passer leur après-midi, au Jardin d’acclimatation, à regarder les singes. (vingt-six janvier mil neuf cent trois)
Beauté de la littérature. Je perds une vache. J’écris sa mort, et ça me rapporte de quoi acheter une autre vache. (vingt-six septembre mil neuf cent trois)
Je me suis arrangé avec le facteur : il me garantit une lettre par jour. (dix octobre mil neuf cent trois)
Quel admirable animal que le cochon ! Il ne lui manque que de savoir faire lui-même son boudin. (deux mars mil neuf cent quatre)
Jarry et sa carabine. Les balles tombent de l’autre côté du mur.
-Vous allez tuer mes enfants !
-Nous vous en ferons d’autres, madame. (dix-huit avril mil neuf cent quatre)
Qu’importe que le paysan ne paie plus d’impôts, s’il reste imbécile. (trente août mil neuf cent quatre)
Charité hypocrite qui donne dix sous pour avoir vingt francs de gratitude. (six mai mil neuf cent cinq)
Je ne me lie avec personne à cause de la certitude que j’ai que je devrai me brouiller avec tout le monde. (en juillet mil neuf cent cinq)
(À suivre, une dernière fois)
*
Un aspect franchement antipathique de la personnalité de Jules Renard : sa misogynie épaisse. Exemple :
Que de femmes ! Dire qu’elles pensent, que leur bonne répond : « Madame travaille » ! Elles sont presque toutes laides, et ne doivent pas sentir bon ! (trente et un mars mil neuf cent un)
*
Par ailleurs troublé par les toutes jeunes filles, comme une grande majorité des écrivains de ma connaissance :
Une veste rouge sur un gilet breton. Des yeux qui se baissent et se relèvent à chaque instant. Si peu petite fille que tout à coup on s’aperçoit qu’on lui parle comme à une femme. Une bouche rouge de femme, et bonne à cueillir, et un sourire d’enfant. Des cheveux frais. Une innocence qui ne peut pas durer. Des gestes qui gêneraient, et que l’amour règlera. (six janvier mil huit cent quatre-vingt-dix-huit)
Jamais je ne demande de nouvelles des absents : je les suppose morts. (quatorze janvier mil neuf cent deux)
L’oiseau en cage ne sait pas qu’il ne sait pas voler. (quinze avril mil neuf cent deux)
Style. Quand « améthyste » arrive, « topaze » n’est pas loin derrière. (quinze avril mil neuf cent deux)
Aux innocents les mains pleines de sang. (dix-sept octobre mil neuf cent deux)
Il ne parle pas, mais on sait qu’il pense des bêtises. (dix-neuf janvier mil neuf cent trois)
Les jeunes filles n’ont pas le droit de tout lire, mais elles peuvent passer leur après-midi, au Jardin d’acclimatation, à regarder les singes. (vingt-six janvier mil neuf cent trois)
Beauté de la littérature. Je perds une vache. J’écris sa mort, et ça me rapporte de quoi acheter une autre vache. (vingt-six septembre mil neuf cent trois)
Je me suis arrangé avec le facteur : il me garantit une lettre par jour. (dix octobre mil neuf cent trois)
Quel admirable animal que le cochon ! Il ne lui manque que de savoir faire lui-même son boudin. (deux mars mil neuf cent quatre)
Jarry et sa carabine. Les balles tombent de l’autre côté du mur.
-Vous allez tuer mes enfants !
-Nous vous en ferons d’autres, madame. (dix-huit avril mil neuf cent quatre)
Qu’importe que le paysan ne paie plus d’impôts, s’il reste imbécile. (trente août mil neuf cent quatre)
Charité hypocrite qui donne dix sous pour avoir vingt francs de gratitude. (six mai mil neuf cent cinq)
Je ne me lie avec personne à cause de la certitude que j’ai que je devrai me brouiller avec tout le monde. (en juillet mil neuf cent cinq)
(À suivre, une dernière fois)
*
Un aspect franchement antipathique de la personnalité de Jules Renard : sa misogynie épaisse. Exemple :
Que de femmes ! Dire qu’elles pensent, que leur bonne répond : « Madame travaille » ! Elles sont presque toutes laides, et ne doivent pas sentir bon ! (trente et un mars mil neuf cent un)
*
Par ailleurs troublé par les toutes jeunes filles, comme une grande majorité des écrivains de ma connaissance :
Une veste rouge sur un gilet breton. Des yeux qui se baissent et se relèvent à chaque instant. Si peu petite fille que tout à coup on s’aperçoit qu’on lui parle comme à une femme. Une bouche rouge de femme, et bonne à cueillir, et un sourire d’enfant. Des cheveux frais. Une innocence qui ne peut pas durer. Des gestes qui gêneraient, et que l’amour règlera. (six janvier mil huit cent quatre-vingt-dix-huit)
2 mars 2015
Retour à l’Ubi ce samedi en fin d’après-midi où la MAM Galerie invite au vernissage de l’exposition À très peu de distance, à peine reculé de Pierre Besson organisée dans le cadre de la dixième édition du Mois de l’Architecture Contemporaine en Normandie, lequel vernissage sera agrémenté, à partir de dix-neuf heures, d’une performance sonore de Raphaël Ilias Transfer_Function.
À très peu de distance, à peine reculé est un vers tiré de La Vue de Raymond Roussel, écrivain suffisamment riche pour se publier lui-même au début du vingtième siècle, l’insuccès le menant au suicide, et redécouvert lorsque j’étais jeune dans les années soixante-dix. J’ai acheté Impressions d’Afrique et Locus Solus à cette époque sans parvenir à en lire plus que quelques pages. Sans doute ne suis-je pas assez cérébral pour apprécier un tel auteur, et partant pour être totalement emballé par une telle exposition, bien que la démarche de l’artiste, jouant sur des modifications d’échelle d’éléments extraits d’objets de la vie quotidienne qu’il transforme en volumes architecturaux ou incruste dans des photos d’architecture, m’intéresse.
En attendant la performance, je commande un verre de vin blanc à l’aimable Laura et le bois en étudiant le programme du Mois de l’Architecture Contemporaine.
Tout à coup, conséquence possible du récent « Entrée libre » affiché sur la porte, déboulent trois échappé(e)s d’une maison de correction, la grande sœur et les deux petits frères. Il font le tour de l’expo et leur verdict est sans nuance : « Y a que des artistes là-d’dans, c’est pas pour nous ». Ils ressortent de la galerie, découvrent les gerbilles :
-Comment elles s’appellent ?
-Elles n’ont pas de nom, leur répond-on du bar.
Cet endroit est décidément décevant. Le trio quitte l’Ubi aussi bruyamment qu’il y est entré. La greffe du milieu populaire sur celui de l’art contemporain n’a pas pris.
Derrière moi, les trois artistes affalés dans les fauteuils se concertent. Faut-il rester pour la performance ?
-C’est de la musique contemporaine, ça risque d’être chiant, dit l’un
Les deux autres approuvent. Là non plus la greffe ne prend pas mais la sortie de ce trio est des plus discrètes.
Il y a peu de monde dans la galerie quand vient l’heure de Transfer_Function, beaucoup restent au bar et écoutent ça de loin, d’autres sont dans la rue à fumer. Cette musique d’ordinateur, de petits boutons et de grosses enceintes se laisse entendre. Le couple d’à côté de moi pense que ça aurait plu à Quentin, leur fils je suppose. Considérant qu’il faut toujours partir avant la fin, surtout si l’on ne connaît pas la durée de la prestation, je me dirige au bout d’un moment vers la sortie.
*
Café Le Clos Saint-Marc, dimanche matin, une jolie étudiante interroge un commerçant ambulant du marché sur le rôle des placiers, si tous sont égaux devant eux, si certains refusent de leur obéir (lui bien sûr), puis les questions portent sur les pratiques commerciales.
-Je vais vous confier un secret, lui dit-il. Quand une cliente vous dit : « Vous m’en mettrez un kilo. », on en met un kilo deux cents et on dit : « Un peu plus, je le laisse ? Obligatoirement, la cliente dit oui. Au bout de cinq, c’est comme si on avait servi une personne de plus. »
Le marchand se vante auprès de ses semblables venus prendre un café, s’il a été choisi pour cet entretien c’est parce qu’il est le meilleur du marché. Jaloux, les concurrents demandent à la demoiselle si elle est étudiante en psychiatrie.
À très peu de distance, à peine reculé est un vers tiré de La Vue de Raymond Roussel, écrivain suffisamment riche pour se publier lui-même au début du vingtième siècle, l’insuccès le menant au suicide, et redécouvert lorsque j’étais jeune dans les années soixante-dix. J’ai acheté Impressions d’Afrique et Locus Solus à cette époque sans parvenir à en lire plus que quelques pages. Sans doute ne suis-je pas assez cérébral pour apprécier un tel auteur, et partant pour être totalement emballé par une telle exposition, bien que la démarche de l’artiste, jouant sur des modifications d’échelle d’éléments extraits d’objets de la vie quotidienne qu’il transforme en volumes architecturaux ou incruste dans des photos d’architecture, m’intéresse.
En attendant la performance, je commande un verre de vin blanc à l’aimable Laura et le bois en étudiant le programme du Mois de l’Architecture Contemporaine.
Tout à coup, conséquence possible du récent « Entrée libre » affiché sur la porte, déboulent trois échappé(e)s d’une maison de correction, la grande sœur et les deux petits frères. Il font le tour de l’expo et leur verdict est sans nuance : « Y a que des artistes là-d’dans, c’est pas pour nous ». Ils ressortent de la galerie, découvrent les gerbilles :
-Comment elles s’appellent ?
-Elles n’ont pas de nom, leur répond-on du bar.
Cet endroit est décidément décevant. Le trio quitte l’Ubi aussi bruyamment qu’il y est entré. La greffe du milieu populaire sur celui de l’art contemporain n’a pas pris.
Derrière moi, les trois artistes affalés dans les fauteuils se concertent. Faut-il rester pour la performance ?
-C’est de la musique contemporaine, ça risque d’être chiant, dit l’un
Les deux autres approuvent. Là non plus la greffe ne prend pas mais la sortie de ce trio est des plus discrètes.
Il y a peu de monde dans la galerie quand vient l’heure de Transfer_Function, beaucoup restent au bar et écoutent ça de loin, d’autres sont dans la rue à fumer. Cette musique d’ordinateur, de petits boutons et de grosses enceintes se laisse entendre. Le couple d’à côté de moi pense que ça aurait plu à Quentin, leur fils je suppose. Considérant qu’il faut toujours partir avant la fin, surtout si l’on ne connaît pas la durée de la prestation, je me dirige au bout d’un moment vers la sortie.
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Café Le Clos Saint-Marc, dimanche matin, une jolie étudiante interroge un commerçant ambulant du marché sur le rôle des placiers, si tous sont égaux devant eux, si certains refusent de leur obéir (lui bien sûr), puis les questions portent sur les pratiques commerciales.
-Je vais vous confier un secret, lui dit-il. Quand une cliente vous dit : « Vous m’en mettrez un kilo. », on en met un kilo deux cents et on dit : « Un peu plus, je le laisse ? Obligatoirement, la cliente dit oui. Au bout de cinq, c’est comme si on avait servi une personne de plus. »
Le marchand se vante auprès de ses semblables venus prendre un café, s’il a été choisi pour cet entretien c’est parce qu’il est le meilleur du marché. Jaloux, les concurrents demandent à la demoiselle si elle est étudiante en psychiatrie.
1er mars 2015
C’est un bus Fast Numéro Deux qui me fait monter la côte jusqu’au Cimetière Monumental ce samedi matin en compagnie de deux autres qui ont la tête à y aller aussi, à la cérémonie d’incinération de Patrice Quéréel. Nous descendons à Flaubert et allons à pied jusqu’au crématorium, lequel est encore fermé.
A neuf heures précises, les portes s’ouvrent mais pas question d’entrer dans la salle de réception. Soit on attend dans un triste « salon de convivialité » soit c’est debout dans l’entrée. J’en profite pour mettre mon mot dans le registre de condoléances : « Salut Quéréel, tu m’as amusé souvent, énervé parfois, c’est dommage de savoir qu’on ne se rencontrera plus ».
Beaucoup de monde arrive dont Robert, Maire. Des têtes connues de moi sont là, j’en salue certaines, échange quelques mots avec Frank Dubois des Editions du Perroquet Bleu, rencontré au temps des Cafés Matin de Mister Crocodile. Il a publié plusieurs livres de Quéréel, entre autres Rouen érotique.
Après une longue attente, nous sommes enfin autorisés à pénétrer dans la salle où tout le monde ne peut s’asseoir, cependant que se fait entendre la première Gymnopédie d’Erik Satie. Le cercueil est côté jardin, le micro côté cour où s’exprime une employée des Pompes Funèbres qui semble touchée personnellement par le deuil. Elle appelle Monsieur le Maire qui bien qu’il arbore le badge « Mort de rire » nous fait un conventionnel discours. Place à la famille : Emmanuel (fils) interprète de la voix et la guitare une chanson qu’il a composée et Danièle (compagne) évoque le défunt d’une manière fine et poétique. Les amis et complices font suite, dont Olivier Beaudoin, vêtu d’un kilt du plus bel effet et muni d’une queue de billard à laquelle est accrochée une peluche caresseuse de cercueil. Il apporte le grain de folie qui manquait, secouant quelques cocotiers, dont celui de Robert, Maire, à qui il a fallu huit ans pour transformer l’esplanade Adolphe-Thiers en esplanade Marcel-Duchamp. Ce parcours du combattant Quéréel nous est rappelé en détail avec moult piques pour le premier édile. A chaque fois que la queue de billard fait cruellement mouche, je vois dans le cerveau de Robert clignoter un petit « Mdr ».
La lugubre employée des Pompes (il aurait fallu la saouler avant la cérémonie) invite à se lever. Chacun(e) va déposer sa poignée de pétales d’Rrose (Sélavy) sur le cercueil. Bien que la performance soit civile, un pasteur disant qu’il n’en est pas un mais a tout pour en être un, dit quelques vagues mots pieux. Le cercueil est alors caché par une porte coulissante.
Frank m’emmène jusqu’à l’Ubi où se déroule la suite. Le facétieux Jonathan Slimak vient me présenter ses condoléances. Je ne sais comment, nous en venons à parler de mon enterrement. Je lui dis qu’il y faudrait la dinguerie dont il est capable : « Tu devrais t’en charger. »
-C'est-à-dire ?
-T’occuper des préparatifs et être le maître de cérémonie.
Il est d’accord. Je lui dis que je le désignerai formellement dans mon testament.
Ma voisine de la maison d’en face, Adeline Gouarné, Présidente de la Page Blanche, de rose vêtue, se tient devant un portrait du défunt (dont je ne dirai rien si ce n’est qu’il a été peint par l’une de ces dames de la Page Blanche). Une vente aux enchères doit permettre de l’offrir à la veuve, idée que je trouve un peu saugrenue.
Ma voisine rose joue la commissaire-priseuse avec une énergie artificielle. Chacun peut mettre de la vraie monnaie dans une boîte ou participer de façon créative à l’enchère par une chanson, un texte, un poème, une anecdote. Cela rame un peu mais finit par prendre forme au point que je me décide à lire le texte que j’ai écrit pour mon Journal quand j’ai appris la mort de PQ. Comme je ne l’ai pas avec moi, je pars à la recherche d’un ordinateur portatif, mais dans ce haut lieu culturel tous ont les batteries à plat. Jonathan me sauve en me confiant son téléphone et je fais don de mon texte, dans lequel sont égratignées les bourgeoises de la Page Blanche.
Après une autre intervention, l’enchère est close. Adeline Gouarné laisse entendre qu’elle pourrait prendre le relais de l’irrévérence afin que l’esprit de Quéréél continue à secouer la ville. Elle a déjà le costume mais il est un peu grand pour elle, me dis-je. Elle invite l’assistance à une soirée en l’honneur du défunt à la Page Blanche en avril, « chez les bourgeoises, comme dit mon voisin, qui lui n’en est pas un, bien qu’habitant au centre ville ». Un repas au restaurant suivra mais on n’y mangera pas d’entrecôtes comme les aimait Quéréel, ce sera plutôt végétarien.
-J’ai déjà quelques idées pour ton enterrement, me glisse à l’oreille Jonathan, ce sera beaucoup plus drôle.
A neuf heures précises, les portes s’ouvrent mais pas question d’entrer dans la salle de réception. Soit on attend dans un triste « salon de convivialité » soit c’est debout dans l’entrée. J’en profite pour mettre mon mot dans le registre de condoléances : « Salut Quéréel, tu m’as amusé souvent, énervé parfois, c’est dommage de savoir qu’on ne se rencontrera plus ».
Beaucoup de monde arrive dont Robert, Maire. Des têtes connues de moi sont là, j’en salue certaines, échange quelques mots avec Frank Dubois des Editions du Perroquet Bleu, rencontré au temps des Cafés Matin de Mister Crocodile. Il a publié plusieurs livres de Quéréel, entre autres Rouen érotique.
Après une longue attente, nous sommes enfin autorisés à pénétrer dans la salle où tout le monde ne peut s’asseoir, cependant que se fait entendre la première Gymnopédie d’Erik Satie. Le cercueil est côté jardin, le micro côté cour où s’exprime une employée des Pompes Funèbres qui semble touchée personnellement par le deuil. Elle appelle Monsieur le Maire qui bien qu’il arbore le badge « Mort de rire » nous fait un conventionnel discours. Place à la famille : Emmanuel (fils) interprète de la voix et la guitare une chanson qu’il a composée et Danièle (compagne) évoque le défunt d’une manière fine et poétique. Les amis et complices font suite, dont Olivier Beaudoin, vêtu d’un kilt du plus bel effet et muni d’une queue de billard à laquelle est accrochée une peluche caresseuse de cercueil. Il apporte le grain de folie qui manquait, secouant quelques cocotiers, dont celui de Robert, Maire, à qui il a fallu huit ans pour transformer l’esplanade Adolphe-Thiers en esplanade Marcel-Duchamp. Ce parcours du combattant Quéréel nous est rappelé en détail avec moult piques pour le premier édile. A chaque fois que la queue de billard fait cruellement mouche, je vois dans le cerveau de Robert clignoter un petit « Mdr ».
La lugubre employée des Pompes (il aurait fallu la saouler avant la cérémonie) invite à se lever. Chacun(e) va déposer sa poignée de pétales d’Rrose (Sélavy) sur le cercueil. Bien que la performance soit civile, un pasteur disant qu’il n’en est pas un mais a tout pour en être un, dit quelques vagues mots pieux. Le cercueil est alors caché par une porte coulissante.
Frank m’emmène jusqu’à l’Ubi où se déroule la suite. Le facétieux Jonathan Slimak vient me présenter ses condoléances. Je ne sais comment, nous en venons à parler de mon enterrement. Je lui dis qu’il y faudrait la dinguerie dont il est capable : « Tu devrais t’en charger. »
-C'est-à-dire ?
-T’occuper des préparatifs et être le maître de cérémonie.
Il est d’accord. Je lui dis que je le désignerai formellement dans mon testament.
Ma voisine de la maison d’en face, Adeline Gouarné, Présidente de la Page Blanche, de rose vêtue, se tient devant un portrait du défunt (dont je ne dirai rien si ce n’est qu’il a été peint par l’une de ces dames de la Page Blanche). Une vente aux enchères doit permettre de l’offrir à la veuve, idée que je trouve un peu saugrenue.
Ma voisine rose joue la commissaire-priseuse avec une énergie artificielle. Chacun peut mettre de la vraie monnaie dans une boîte ou participer de façon créative à l’enchère par une chanson, un texte, un poème, une anecdote. Cela rame un peu mais finit par prendre forme au point que je me décide à lire le texte que j’ai écrit pour mon Journal quand j’ai appris la mort de PQ. Comme je ne l’ai pas avec moi, je pars à la recherche d’un ordinateur portatif, mais dans ce haut lieu culturel tous ont les batteries à plat. Jonathan me sauve en me confiant son téléphone et je fais don de mon texte, dans lequel sont égratignées les bourgeoises de la Page Blanche.
Après une autre intervention, l’enchère est close. Adeline Gouarné laisse entendre qu’elle pourrait prendre le relais de l’irrévérence afin que l’esprit de Quéréél continue à secouer la ville. Elle a déjà le costume mais il est un peu grand pour elle, me dis-je. Elle invite l’assistance à une soirée en l’honneur du défunt à la Page Blanche en avril, « chez les bourgeoises, comme dit mon voisin, qui lui n’en est pas un, bien qu’habitant au centre ville ». Un repas au restaurant suivra mais on n’y mangera pas d’entrecôtes comme les aimait Quéréel, ce sera plutôt végétarien.
-J’ai déjà quelques idées pour ton enterrement, me glisse à l’oreille Jonathan, ce sera beaucoup plus drôle.
28 février 2015
D’Allais à Allais, nouvelle sélection de l’esprit de Jules Renard tel qu’il rayonne dans son Journal (Bouquins Laffont), avec au milieu une petite vanne dudit en direction de Patrice Quéréel dont le corps refroidi est incinéré ce samedi vingt-huit février :
Allais en habit a l’air d’être son propre patron. (vingt-sept novembre mil huit cent quatre-vingt-dix-sept)
Ah ! Ah ! Qui est-ce qui, grâce à moi, va aller tout de suite à la postérité ? C’est ma petite femme. (vingt-neuf novembre mil huit cent quatre-vingt-dix-sept)
J’ai été élevé par une bibliothèque. (deux février mil huit cent quatre-vingt-dix-huit)
A propos de Willy refusant de signer la protestation de La Revue blanche :
-C’est la première fois, dit Veber, qu’il refuse de signer quelque chose qu’il n’a pas écrit. (dix-sept février mil huit cent quatre-vingt-dix-huit)
Dîner chez Bernard.
-Vous avez de la famille, monsieur Capus ?
-Oui, madame. J’ai une femme, si mes souvenirs sont exacts. (dix-huit mars mil huit cent quatre-vingt-dix-huit)
Une vie heureuse, teintée de désespoir, c’est la mienne. (premier octobre mil huit cent quatre-vingt-dix-huit)
Ceux qui ont le mieux parlé de la mort sont morts. (neuf août mil neuf cent)
Les gens qui se font incinérer s’imaginent que, réduits en cendres, ils échapperont à Dieu. (douze octobre mil neuf cent)
Sauf complications, il va mourir. (douze octobre mil neuf cent)
Moi aussi, je mets de l’argent de côté, mais pas du bon côté. (vingt et un février mil neuf cent un)
Toulouse-Lautrec était sur son lit, mourant, quand son père, un vieil original, vient le voir et se met à attraper des mouches. Lautrec dit : « Vieux con ! » et meurt. (quinze octobre mil neuf cent un)
Allais s’assied à une terrasse de café par une journée de tempête, et dit :
-Garçon, un verre de quinquina et moins de vent. (premier novembre mil neuf cent un)
(À suivre)
Allais en habit a l’air d’être son propre patron. (vingt-sept novembre mil huit cent quatre-vingt-dix-sept)
Ah ! Ah ! Qui est-ce qui, grâce à moi, va aller tout de suite à la postérité ? C’est ma petite femme. (vingt-neuf novembre mil huit cent quatre-vingt-dix-sept)
J’ai été élevé par une bibliothèque. (deux février mil huit cent quatre-vingt-dix-huit)
A propos de Willy refusant de signer la protestation de La Revue blanche :
-C’est la première fois, dit Veber, qu’il refuse de signer quelque chose qu’il n’a pas écrit. (dix-sept février mil huit cent quatre-vingt-dix-huit)
Dîner chez Bernard.
-Vous avez de la famille, monsieur Capus ?
-Oui, madame. J’ai une femme, si mes souvenirs sont exacts. (dix-huit mars mil huit cent quatre-vingt-dix-huit)
Une vie heureuse, teintée de désespoir, c’est la mienne. (premier octobre mil huit cent quatre-vingt-dix-huit)
Ceux qui ont le mieux parlé de la mort sont morts. (neuf août mil neuf cent)
Les gens qui se font incinérer s’imaginent que, réduits en cendres, ils échapperont à Dieu. (douze octobre mil neuf cent)
Sauf complications, il va mourir. (douze octobre mil neuf cent)
Moi aussi, je mets de l’argent de côté, mais pas du bon côté. (vingt et un février mil neuf cent un)
Toulouse-Lautrec était sur son lit, mourant, quand son père, un vieil original, vient le voir et se met à attraper des mouches. Lautrec dit : « Vieux con ! » et meurt. (quinze octobre mil neuf cent un)
Allais s’assied à une terrasse de café par une journée de tempête, et dit :
-Garçon, un verre de quinquina et moins de vent. (premier novembre mil neuf cent un)
(À suivre)
27 février 2015
Ce jeudi matin quand je me réveille Tewfik Hakem (Un nouveau jour est possible sur France Culture) a pour invité Claude Mollard, « expert culturel et consultant » du Panorama Asisi. L’inviteur n’est pas venu à Rouen voir de quoi il s’agit. Il ne sait pas de quoi il parle. Son invité, zélateur de Laurent le Fabuleux et de son œuvre, fait la promotion. L’équivalent à la radio de ce qu’on appelle dans la presse écrite un publi-reportage, mais là c’est gratuit.
L’après-midi, après avoir été rassuré par les résultats de l’analyse parisienne de mon urine et de celle rouennaise de mon sang qui ne révèlent rien d’anormal, j’apprends, à l’Ubi, qu’on peut être sexagénaire, se sentir soudain très fatigué, consulter, découvrir que l’on a un cancer généralisé et mourir trois mois plus tard alors qu’on n’avait pas été malade antérieurement, ce qui me donne bien à penser.
Le premier apéro vinyle de l’Ubi, qui se tient à partir de dix-neuf heures, pourrait être le bienvenu pour me changer les idées (comme on dit) mais il est surtout fréquenté par la jeunesse habituée du lieu et ses connaissances du même âge.
Les deux ou trois esseulés plus âgés ne savent quoi faire d’eux-mêmes. L’un se découvre le besoin d’inventorier les livres de la bibliothèque, un autre se prend d’une passion subite pour les gerbilles. Ils disparaissent rapidement.
Je persévère et observe, un verre de vin à la main. Les trois garçons qui se relaient aux platines semblent y prendre un plaisir inestimable. Je me demande pourquoi passer des disques en public est une occupation exclusivement masculine. La musique est bonne et de la meilleure qualité qui soit puisque venue de disques vinyles. Chacun sait que l’on n’a rien fait de mieux que ce plastique noir pour stocker les notes, comme l’inscrirait Flaubert dans son dictionnaire s’il vivait aujourd’hui.
A bâbord, chez Jabran Productions, où l’on ne compte pas ses heures, on est encore au bureau. A tribord, dans la MAM Galerie, on s’affaire au montage de la prochaine exposition. Il est toujours agréable de regarder ceux qui travaillent, mais cela finit pas lasser, aussi mon verre fini, je me casse.
*
Plaisanterie récurrente à l’Ubi, l’après-midi quand j’y suis : « Parlons moins fort sinon Michel va raconter ça dans son blog ». J’ai beau dire que lorsque je suis là, je suis ailleurs, régulièrement j’y ai droit. Il y a aussi les fois où l’on y baisse vraiment la voix. Méfiance, méfiance.
*
« De mon côté c'était bien, lecture de Bukowski avec du vin, comme il se doit. » m’écrit dans la nuit celle qui vit à Paris, et sans doute aurais-je dû suivre son exemple au lieu d’aller m’ennuyer à l’Ubi.
L’après-midi, après avoir été rassuré par les résultats de l’analyse parisienne de mon urine et de celle rouennaise de mon sang qui ne révèlent rien d’anormal, j’apprends, à l’Ubi, qu’on peut être sexagénaire, se sentir soudain très fatigué, consulter, découvrir que l’on a un cancer généralisé et mourir trois mois plus tard alors qu’on n’avait pas été malade antérieurement, ce qui me donne bien à penser.
Le premier apéro vinyle de l’Ubi, qui se tient à partir de dix-neuf heures, pourrait être le bienvenu pour me changer les idées (comme on dit) mais il est surtout fréquenté par la jeunesse habituée du lieu et ses connaissances du même âge.
Les deux ou trois esseulés plus âgés ne savent quoi faire d’eux-mêmes. L’un se découvre le besoin d’inventorier les livres de la bibliothèque, un autre se prend d’une passion subite pour les gerbilles. Ils disparaissent rapidement.
Je persévère et observe, un verre de vin à la main. Les trois garçons qui se relaient aux platines semblent y prendre un plaisir inestimable. Je me demande pourquoi passer des disques en public est une occupation exclusivement masculine. La musique est bonne et de la meilleure qualité qui soit puisque venue de disques vinyles. Chacun sait que l’on n’a rien fait de mieux que ce plastique noir pour stocker les notes, comme l’inscrirait Flaubert dans son dictionnaire s’il vivait aujourd’hui.
A bâbord, chez Jabran Productions, où l’on ne compte pas ses heures, on est encore au bureau. A tribord, dans la MAM Galerie, on s’affaire au montage de la prochaine exposition. Il est toujours agréable de regarder ceux qui travaillent, mais cela finit pas lasser, aussi mon verre fini, je me casse.
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Plaisanterie récurrente à l’Ubi, l’après-midi quand j’y suis : « Parlons moins fort sinon Michel va raconter ça dans son blog ». J’ai beau dire que lorsque je suis là, je suis ailleurs, régulièrement j’y ai droit. Il y a aussi les fois où l’on y baisse vraiment la voix. Méfiance, méfiance.
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« De mon côté c'était bien, lecture de Bukowski avec du vin, comme il se doit. » m’écrit dans la nuit celle qui vit à Paris, et sans doute aurais-je dû suivre son exemple au lieu d’aller m’ennuyer à l’Ubi.
26 février 2015
Ce mercredi à l’aurore, direction la gare, je joue le rôle de celui sur lequel tombe la pluie, ce dont peuvent se réjouir mes ami(e)s, en ai-je seulement ? Je m’arrête au Drugstore où j’achète le nouveau Charlie Hebdo, rouge, pas autant convoité que le vert précédent.
J’en lis une partie en attendant le huit heures sept pour Paris, m’arrêtant afin de donner les quarante centimes qui lui manquent pour prendre un café à la machine au Playboy Communiste, une sorte de micro mécénat artistique.
Le train part à l’heure et arrive à l’heure dans la capitale. Je file chez Book-Off à la Bastille puis déjeune dans le même quartier aux Mousquetaires d’un plat beauvoirien : un petit salé aux lentilles avec un quart de vin, tout en profitant de la conversation élevée des habitués avec les tenanciers de la maison :
-T’as quoi comme plat du jour ?
-Du poulet.
-T’as baisé une poule pour le faire ton poulet ? Et du sauté de porc, t’en as ?
-Non, je saute pas les porcs, je saute que les cochonnes.
Le café, je le prends au Rivolux où derrière le comptoir au lieu des néo barbus se tiennent deux charmantes serveuses. J’y lis Libération puis malgré la pluie marche jusqu’au Quartier Latin car il n’y a que chez Boulinier, me dis-je, que je puisse trouver en occasion un Guide du Routard de la Picardie.
Effectivement, à l’étage des cédés en recul, où prospèrent désormais les bédés, les vinyles et les guides de voyage, j’en trouve un de deux mille neuf/deux mille dix à trois euros, de quoi pérégriner prochainement sur la côte de la Somme avec des informations fraîchement périmées.
Le bus Vingt-Sept, passant par le Louvre où la Pyramide est maintenant concurrencée par un hideux parallélépipède rouge abritant une boutique du Musée, me mène au Book-Off de l’Opéra puis j’achève cette journée pluvieuse Chez Léon. André y fête son anniversaire, ou du moins il essaie, invitant deux dames à accepter un verre. L’une est pressée. L’autre ne peut pas car elle fait le carême.
Le train de dix-neuf heures trente est là. Il part à l’heure mais ça se gâte vite. Le contrôleur annonce un problème technique aux Mureaux. Nous passerons donc par Conflans-Sainte-Honorine. Le retard est de dix minutes. A l’arrivée à Rouen, il sera de trente-cinq. Les voyageurs pour Elbeuf n’auront pas leur correspondance et seront acheminés en taxi aux frais de la Senecefe.
Cela me donne le temps de lire Au tableau !, les souvenirs de lycée de Frigyes Karinthy (Editions Cambourakis), qui dans l’un de ses poèmes écrivait : Je ne peux le dire à personne, je le dis donc à tout le monde, ce qui vaut pour moi.
*
Le retour du vinyle, une prophétie auto réalisatrice.
*
Des blagues pas drôles (aussi nulles que celles de l’Almanach Vermot) dans le Charlie Hebdo rouge, comme celle-ci :
« 79% des Français pensent que DSK aurait fait un meilleur président que Hollande. Lui, il n’aurait pas fait voter la loi Macron, mais la loi maquereau. »
Il y a aussi du très bon, notamment le récit de Philippe Lançon (gravement blessé au visage) sur sa vie d’après.
Et quoi qu’il en soit, je continuerai à acheter ce journal et à le lire en hostilité à ceux qui ne le lisent qu’un seul livre.
*
Encore un exemple de soumission : le Mémorial de Caen renonce à inviter quarante-quatre dessinateurs du monde entier. Les cinquièmes rencontres du dessin de presse, prévues en avril, sont annulées. Les assassins ont gagné.
J’en lis une partie en attendant le huit heures sept pour Paris, m’arrêtant afin de donner les quarante centimes qui lui manquent pour prendre un café à la machine au Playboy Communiste, une sorte de micro mécénat artistique.
Le train part à l’heure et arrive à l’heure dans la capitale. Je file chez Book-Off à la Bastille puis déjeune dans le même quartier aux Mousquetaires d’un plat beauvoirien : un petit salé aux lentilles avec un quart de vin, tout en profitant de la conversation élevée des habitués avec les tenanciers de la maison :
-T’as quoi comme plat du jour ?
-Du poulet.
-T’as baisé une poule pour le faire ton poulet ? Et du sauté de porc, t’en as ?
-Non, je saute pas les porcs, je saute que les cochonnes.
Le café, je le prends au Rivolux où derrière le comptoir au lieu des néo barbus se tiennent deux charmantes serveuses. J’y lis Libération puis malgré la pluie marche jusqu’au Quartier Latin car il n’y a que chez Boulinier, me dis-je, que je puisse trouver en occasion un Guide du Routard de la Picardie.
Effectivement, à l’étage des cédés en recul, où prospèrent désormais les bédés, les vinyles et les guides de voyage, j’en trouve un de deux mille neuf/deux mille dix à trois euros, de quoi pérégriner prochainement sur la côte de la Somme avec des informations fraîchement périmées.
Le bus Vingt-Sept, passant par le Louvre où la Pyramide est maintenant concurrencée par un hideux parallélépipède rouge abritant une boutique du Musée, me mène au Book-Off de l’Opéra puis j’achève cette journée pluvieuse Chez Léon. André y fête son anniversaire, ou du moins il essaie, invitant deux dames à accepter un verre. L’une est pressée. L’autre ne peut pas car elle fait le carême.
Le train de dix-neuf heures trente est là. Il part à l’heure mais ça se gâte vite. Le contrôleur annonce un problème technique aux Mureaux. Nous passerons donc par Conflans-Sainte-Honorine. Le retard est de dix minutes. A l’arrivée à Rouen, il sera de trente-cinq. Les voyageurs pour Elbeuf n’auront pas leur correspondance et seront acheminés en taxi aux frais de la Senecefe.
Cela me donne le temps de lire Au tableau !, les souvenirs de lycée de Frigyes Karinthy (Editions Cambourakis), qui dans l’un de ses poèmes écrivait : Je ne peux le dire à personne, je le dis donc à tout le monde, ce qui vaut pour moi.
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Le retour du vinyle, une prophétie auto réalisatrice.
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Des blagues pas drôles (aussi nulles que celles de l’Almanach Vermot) dans le Charlie Hebdo rouge, comme celle-ci :
« 79% des Français pensent que DSK aurait fait un meilleur président que Hollande. Lui, il n’aurait pas fait voter la loi Macron, mais la loi maquereau. »
Il y a aussi du très bon, notamment le récit de Philippe Lançon (gravement blessé au visage) sur sa vie d’après.
Et quoi qu’il en soit, je continuerai à acheter ce journal et à le lire en hostilité à ceux qui ne le lisent qu’un seul livre.
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Encore un exemple de soumission : le Mémorial de Caen renonce à inviter quarante-quatre dessinateurs du monde entier. Les cinquièmes rencontres du dessin de presse, prévues en avril, sont annulées. Les assassins ont gagné.
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