Dernières notes
Loïc Boyer
Je suis l’auteur de textes courts qui furent publiés depuis mil neuf cent quatre-vingt-quinze dans des revues littéraires en France (Supérieur Inconnu, Supplément d’Ame, Nouvelle Donne, Le Bord de l’Eau, Pris de Peur, l’Art du Bref, Sol’Air, Gros Textes, Salmigondis, Verso, Décharge, Bulle, Filigranes, Diérèse, Martobre, Comme ça et Autrement, (Cahier d’) Ecritures, La Nef des Fous), en Belgique (Traversées, Ecrits Vains, L’Arbre à Plumes, Inédit Nouveau, Bleu d’Encre), au Canada (Les Saisons Littéraires) et en Italie (Les Cahiers du Ru).
Les courageuses Editions du Chardon ont publié en mil neuf cent quatre-vingt-dix-neuf Erotica, un recueil de vingt-huit de ces textes, illustré par Isabelle Pio et Antoine Lopez et préfacé par Sarane Alexandrian, toujours disponible auprès de moi.
Je suis également l’auteur d’une pièce de théâtre et de plusieurs romans ou récits à ce jour inédits.
Depuis le onze novembre deux mille six, je publie mon Journal via Internet, un temps sous-titré Persiflages, moquages et autres énervages mâtinés de complimentages et de contentages. Sa première partie est lisible chez Eklablog, la deuxième ici.
Je vis au centre de Rouen dans un ancien monastère où autrefois les Sœurs de la Miséricorde se vouaient à l’éducation des jeunes filles.
Les courageuses Editions du Chardon ont publié en mil neuf cent quatre-vingt-dix-neuf Erotica, un recueil de vingt-huit de ces textes, illustré par Isabelle Pio et Antoine Lopez et préfacé par Sarane Alexandrian, toujours disponible auprès de moi.
Je suis également l’auteur d’une pièce de théâtre et de plusieurs romans ou récits à ce jour inédits.
Depuis le onze novembre deux mille six, je publie mon Journal via Internet, un temps sous-titré Persiflages, moquages et autres énervages mâtinés de complimentages et de contentages. Sa première partie est lisible chez Eklablog, la deuxième ici.
Je vis au centre de Rouen dans un ancien monastère où autrefois les Sœurs de la Miséricorde se vouaient à l’éducation des jeunes filles.
28 septembre 2018
Où lire en prenant un café à Rouen en hiver ? Faute d’un estaminet à la hauteur de mes rêves, je me contente le lundi du Bovary et les autres jours du Grand Saint Marc. La clientèle du premier est bourgeoise et ne me donne rien à écrire dans mon carnet Muji. Celle du second est populaire et propice à la prise de notes. Ainsi :
Une famille à moutard :
-Pour Noël, on l’a emmené à Oualdisné.
A la table voisine, à propos d’un descendant absent :
-Quel âge il a maintenant ce morpion ?
-Dix-sept.
Un ancêtre, félicité par celle qui l’embrasse pour sa barbe moins raide qu’avant :
-Y a pas que le poil qu’est moins raide.
Une femme au serveur :
-Vous avez connu mon frère, il est venu faire un stage chez vous, un p’tit gros.
Un trentenaire montrant à un couple ami la photo de la femme rencontrée via Internet avec qui il a un deuxième rendez-vous ici même ce soir :
-Elle est plus moche en photo qu’en vrai.
*
Changement de propriétaire au Sushi Tokyo de la rue Verte. Plus de sashimi dans le menu à volonté. Impossible de ne pas se dire « C’était mieux avant » (ce que je n’aime pas faire).
Une famille à moutard :
-Pour Noël, on l’a emmené à Oualdisné.
A la table voisine, à propos d’un descendant absent :
-Quel âge il a maintenant ce morpion ?
-Dix-sept.
Un ancêtre, félicité par celle qui l’embrasse pour sa barbe moins raide qu’avant :
-Y a pas que le poil qu’est moins raide.
Une femme au serveur :
-Vous avez connu mon frère, il est venu faire un stage chez vous, un p’tit gros.
Un trentenaire montrant à un couple ami la photo de la femme rencontrée via Internet avec qui il a un deuxième rendez-vous ici même ce soir :
-Elle est plus moche en photo qu’en vrai.
*
Changement de propriétaire au Sushi Tokyo de la rue Verte. Plus de sashimi dans le menu à volonté. Impossible de ne pas se dire « C’était mieux avant » (ce que je n’aime pas faire).
27 décembre 2017
Lu dans le train lors de mon dernier retour de Paris, Lettres à sa mère (1906-1918) de Jean Cocteau (Le petit Mercure/Mercure de France) m’apprend (ou me rappelle si je l’avais oublié) que celui-ci a fait la guerre (dans les fusiliers marins au service de secours de la Croix-Rouge).
« Ma chérie » appelle-t-il sa génitrice dans ses missives, d’où j’ai tiré ceci :
Grimpades aux cimes des montagnes. On trouve la dernière neige sous quoi le printemps s’efforce. (Leysin, dix-sept mars mil neuf cent quatorze)
Me voilà en pleine guerre. C’est très beau. On se réveille au canon. Dunes, paysages balnéaires, ciel bleu avec shrapnells autour des aéroplanes. Boches et Français s’entreratent. Malaise d’être neuf parmi de vieilles coutumes. (Secteur cent trente et un, vingt et un ou vingt-deux décembre mil neuf cent quatorze)
La porte s’ouvre. On nous annonce un mort, un caporal parti le matin et qui devait m’offrir des bagues. Pauvre être. Il repose dans la première cave. On le fouille, on ne trouve sur lui que quarante bagues et une photo de Lady Dorothy, jeune Anglaise qui se déguise en zouave et visite les lignes… (vingt-cinq décembre mil neuf cent quatorze)
Rien de neuf à Duna Park. Un capitaine à qui (le canon tonnait) je disais : « C’est apocalyptique » me répond « Non. C’est du côté de Dixmude. » Aimes-tu ? (trente mai mil neuf cent seize)
Cette trêve ne vaut rien à nos hommes qui s’émancipent avec des camoufleuses aux mains vertes. (dix juillet mil neuf cent seize)
Le New York Herald fait la guerre à Hachette, type de la maison ignoble, ruinant les efforts de la librairie avec cynisme. Si on supprime les messageries Hachette, c’est une victoire. (Paris, onze juillet mil neuf cent dix-huit)
Il y a quatre jours place Saint-Philippe du Roule, j’étais avec Laffitte lorsqu’il se produit une espèce d’émeute, gens sur les seuils et cochers debout. C’était Maurice Rostand à pied, lisant un journal (sic). (idem)
Le genre serein, en beauté, geste noble, notre voisin que je surnomme Solness est un échantillon parfait. Il peint des ruines pendant que sa femme joue Arabesques sur la harpe… (Le Piquey, vingt et un août mil neuf cent dix-huit)
« Ma chérie » appelle-t-il sa génitrice dans ses missives, d’où j’ai tiré ceci :
Grimpades aux cimes des montagnes. On trouve la dernière neige sous quoi le printemps s’efforce. (Leysin, dix-sept mars mil neuf cent quatorze)
Me voilà en pleine guerre. C’est très beau. On se réveille au canon. Dunes, paysages balnéaires, ciel bleu avec shrapnells autour des aéroplanes. Boches et Français s’entreratent. Malaise d’être neuf parmi de vieilles coutumes. (Secteur cent trente et un, vingt et un ou vingt-deux décembre mil neuf cent quatorze)
La porte s’ouvre. On nous annonce un mort, un caporal parti le matin et qui devait m’offrir des bagues. Pauvre être. Il repose dans la première cave. On le fouille, on ne trouve sur lui que quarante bagues et une photo de Lady Dorothy, jeune Anglaise qui se déguise en zouave et visite les lignes… (vingt-cinq décembre mil neuf cent quatorze)
Rien de neuf à Duna Park. Un capitaine à qui (le canon tonnait) je disais : « C’est apocalyptique » me répond « Non. C’est du côté de Dixmude. » Aimes-tu ? (trente mai mil neuf cent seize)
Cette trêve ne vaut rien à nos hommes qui s’émancipent avec des camoufleuses aux mains vertes. (dix juillet mil neuf cent seize)
Le New York Herald fait la guerre à Hachette, type de la maison ignoble, ruinant les efforts de la librairie avec cynisme. Si on supprime les messageries Hachette, c’est une victoire. (Paris, onze juillet mil neuf cent dix-huit)
Il y a quatre jours place Saint-Philippe du Roule, j’étais avec Laffitte lorsqu’il se produit une espèce d’émeute, gens sur les seuils et cochers debout. C’était Maurice Rostand à pied, lisant un journal (sic). (idem)
Le genre serein, en beauté, geste noble, notre voisin que je surnomme Solness est un échantillon parfait. Il peint des ruines pendant que sa femme joue Arabesques sur la harpe… (Le Piquey, vingt et un août mil neuf cent dix-huit)
26 décembre 2017
Lu dans le train lors de mon dernier aller à Paris, Ainsi soit-il ou Les jeux sont faits d’André Gide (L’Imaginaire/Gallimard) est le dernier écrit de l’écrivain avant sa mort, un texte écrit contre la mort qui venait, au fil de la plume, sans souci de cohérence ni de profondeur (il y raconte même les histoires drôles dont il se souvient).
Quelques extraits :
J’ai dû me rendre à l’évidence : je suis de naturel avare (je dois tenir cela de mes ancêtres normands) et avec cela je me reconnais généreux.
Je reste extrêmement friand des « bons mots » et des anecdotes ; n’en déplaise à certains qui veulent voir dans ce goût avoué une marque de l’incurable frivolité de mon esprit.
Rien de plus attendu, de plus conséquent, que les propos des personnages de Balzac : ils disent, le plus souvent, exactement ce que l’on sait d’avance qu’ils doivent dire.
Ce ne pouvait être qu’à Rouen, à la suite des grands dîners qui réunissaient, rue de Crosne, chez les Henry Bordeaux, un certain nombre des membres de la famille. On laissait les enfants, c’est-à-dire nous, quitter la table aussitôt après le dessert, tandis que les grandes personnes s’attardaient dans la salle à manger. Nous gagnions donc alors le salon tous les quatre et, à grand effort de mémoire, tâchions de retracer les étapes successives de la conversation. (…) « Non ; la tante Lucile n’a commencé à se plaindre de la grève des ouvriers du Houlme que plus tard, après que l’oncle Henry avait fait observer que les grèves sont aussi préjudiciables aux ouvriers qu’aux patrons. »
Entre minuit et 2 heures du matin, ma femme, à Cuverville, est alertée par la sonnerie du téléphone. De deux ans plus âgée que moi, souffrant d’une grave maladie de cœur, elle doit descendre un étage pour entendre un représentant du Journal de Rouen lui demander quelques détails sur mon suicide.
Le dernier feuillet d’Ainsi soit-il ou Les jeux sont faits est daté du treize février mil neuf cent cinquante et un. André Gide mourut le dix-neuf février. Entre ces deux dates, je naissais.
Quelques extraits :
J’ai dû me rendre à l’évidence : je suis de naturel avare (je dois tenir cela de mes ancêtres normands) et avec cela je me reconnais généreux.
Je reste extrêmement friand des « bons mots » et des anecdotes ; n’en déplaise à certains qui veulent voir dans ce goût avoué une marque de l’incurable frivolité de mon esprit.
Rien de plus attendu, de plus conséquent, que les propos des personnages de Balzac : ils disent, le plus souvent, exactement ce que l’on sait d’avance qu’ils doivent dire.
Ce ne pouvait être qu’à Rouen, à la suite des grands dîners qui réunissaient, rue de Crosne, chez les Henry Bordeaux, un certain nombre des membres de la famille. On laissait les enfants, c’est-à-dire nous, quitter la table aussitôt après le dessert, tandis que les grandes personnes s’attardaient dans la salle à manger. Nous gagnions donc alors le salon tous les quatre et, à grand effort de mémoire, tâchions de retracer les étapes successives de la conversation. (…) « Non ; la tante Lucile n’a commencé à se plaindre de la grève des ouvriers du Houlme que plus tard, après que l’oncle Henry avait fait observer que les grèves sont aussi préjudiciables aux ouvriers qu’aux patrons. »
Entre minuit et 2 heures du matin, ma femme, à Cuverville, est alertée par la sonnerie du téléphone. De deux ans plus âgée que moi, souffrant d’une grave maladie de cœur, elle doit descendre un étage pour entendre un représentant du Journal de Rouen lui demander quelques détails sur mon suicide.
Le dernier feuillet d’Ainsi soit-il ou Les jeux sont faits est daté du treize février mil neuf cent cinquante et un. André Gide mourut le dix-neuf février. Entre ces deux dates, je naissais.
23 décembre 2017
Noël approche... ça me met hors de moi! Alors quoi? Dépenser des centaines de francs pour fêter la naissance d'un petit Con masochiste qui s'est laissé épingler bêtement sur une croix parce qu'il n'a jamais eu le courage de dire Merde à sa mère? A d'autres! Je ne marche pas. écrivait Grisélidis Réal à Jean-Luc Hennig le cinq décembre mil neuf cent quatre-vingt-sept.
Mil neuf cent quatre-vingt-sept, l’année de naissance de celle qui m’a appelé ce vendredi pour m’annoncer que son opération s’était bien passée et me proposer un repas de fête d’entre les deux fêtes, mercredi prochain.
-D'où tirez-vous votre plaisir aujourd'hui ? demande Le Parisien à Anémone, laquelle a mon âge et arrête sa carrière d’actrice à la fin du mois.
-En ce moment, je suis assez déprimée... On s'est fait traiter de tous les noms quand on était écolos de la première heure, quand on disait qu'il fallait se bouger. Aujourd'hui, quand je dis que c'est trop tard, on ne me croit toujours pas. C'est une souffrance assez intense.
-Il est vraiment trop tard ? insiste le journaliste.
-Oui, et ça fait longtemps. Ça va aller de pire en pire, il n'y a plus d'eau, les sols crèvent, on va sûrement avoir des épidémies, des famines, une guerre nucléaire…
Je pense comme elle, mais je n’arrive pas à savoir si c’est par lucidité ou un effet de la vieillesse, laquelle peut inciter à penser que le monde va disparaître avec soi.
*
Ce samedi matin, un trentenaire néo barbu au téléphone près du Palais de Justice :
-C’est vrai qu’elle porte plus de montre. C’est vrai que maintenant avec le téléphone… C’est vrai qu’un bracelet lui ferait peut-être plus plaisir. Après il faut voir quel budget vous voulez y mettre. Après elle en porte déjà plusieurs. Après il ne faudrait pas se tromper sur ce qui lui plaît.
Mil neuf cent quatre-vingt-sept, l’année de naissance de celle qui m’a appelé ce vendredi pour m’annoncer que son opération s’était bien passée et me proposer un repas de fête d’entre les deux fêtes, mercredi prochain.
-D'où tirez-vous votre plaisir aujourd'hui ? demande Le Parisien à Anémone, laquelle a mon âge et arrête sa carrière d’actrice à la fin du mois.
-En ce moment, je suis assez déprimée... On s'est fait traiter de tous les noms quand on était écolos de la première heure, quand on disait qu'il fallait se bouger. Aujourd'hui, quand je dis que c'est trop tard, on ne me croit toujours pas. C'est une souffrance assez intense.
-Il est vraiment trop tard ? insiste le journaliste.
-Oui, et ça fait longtemps. Ça va aller de pire en pire, il n'y a plus d'eau, les sols crèvent, on va sûrement avoir des épidémies, des famines, une guerre nucléaire…
Je pense comme elle, mais je n’arrive pas à savoir si c’est par lucidité ou un effet de la vieillesse, laquelle peut inciter à penser que le monde va disparaître avec soi.
*
Ce samedi matin, un trentenaire néo barbu au téléphone près du Palais de Justice :
-C’est vrai qu’elle porte plus de montre. C’est vrai que maintenant avec le téléphone… C’est vrai qu’un bracelet lui ferait peut-être plus plaisir. Après il faut voir quel budget vous voulez y mettre. Après elle en porte déjà plusieurs. Après il ne faudrait pas se tromper sur ce qui lui plaît.
22 décembre 2017
Il y a surtout des solitaires au Palais de Pékin ce mercredi midi. Fait exception un duo de très vieilles dont l’une ne cesse de flatter l’autre qui la regarde de haut : « Ecoute chérie, je vais te dire la vérité, j’ai quelque chose pour toi depuis six mois, mais je l’ai tellement bien rangé que je le retrouve plus. »
Noël est un drame pour certains. Que vont faire celles et ceux que je retrouve peu après devant le rideau encore baissé de la Petite Rockette (et qui y sont quotidiennement) alors que la ressourcerie va fermer pendant les fêtes. Ici les livres ne sont pas « au moins cher du moins cher sur Internet » mais à prix libre. Personnellement, je m’en tiens au tarif qui était en cours avant : un euro les grands formats, cinquante centimes les poches. Cette fois je ne dépense pas un sou, aucun livre ne m’appelle.
Il n’en est pas de même au second Book Off dont les employées ne portent pas de bonnet de Noël. Au rayon Littérature un titre ne m’aide pas à penser à autre chose : Traité de technique opératoire. Il ne s’agit pas d’une erreur de classement. Ce livre de P.N.A. Handschin, publié chez Argol, donne à lire une série de propositions plus ou moins absurdes.
Ainsi :
Ranger ces éléments du plus visqueux au plus gluant ?
La bêtise,
Le crapaud commun,
Le gâteau de riz à la crème de soja,
Le sperme.
Ou bien :
Un organe vital dont vous et moi nous passerions sans doute très bien s’il ne l’était pas :
Le cœur (d’autant plus qu’il est creux et en forme de poire par-dessus le marché)
Pas de quoi me faire oublier que le ciel est gris.
*
Le train de retour, dans lequel certains voyagent assis dans les marches, ne part qu’avec dix minutes de retard. Mes deux voisines sont des septuagénaires havraises à fourrure qui viennent de « faire la tournée des palaces » (chacun ses églises). Bristol, Plaza Athénée, Georges V, c’est ce dernier qui est le mieux.
Le voiturier leur a appelé un taxi puis leur a tenu la portière.
-Quand même j’ai des goûts simples, dit l’une, mais de temps en temps j’aime bien qu’on me tienne la portière.
Elles sont allées à Paris en première classe mais rentrent en seconde.
-Demain, dit l’autre, on va se reposer, on sera un peu fatiguées.
Noël est un drame pour certains. Que vont faire celles et ceux que je retrouve peu après devant le rideau encore baissé de la Petite Rockette (et qui y sont quotidiennement) alors que la ressourcerie va fermer pendant les fêtes. Ici les livres ne sont pas « au moins cher du moins cher sur Internet » mais à prix libre. Personnellement, je m’en tiens au tarif qui était en cours avant : un euro les grands formats, cinquante centimes les poches. Cette fois je ne dépense pas un sou, aucun livre ne m’appelle.
Il n’en est pas de même au second Book Off dont les employées ne portent pas de bonnet de Noël. Au rayon Littérature un titre ne m’aide pas à penser à autre chose : Traité de technique opératoire. Il ne s’agit pas d’une erreur de classement. Ce livre de P.N.A. Handschin, publié chez Argol, donne à lire une série de propositions plus ou moins absurdes.
Ainsi :
Ranger ces éléments du plus visqueux au plus gluant ?
La bêtise,
Le crapaud commun,
Le gâteau de riz à la crème de soja,
Le sperme.
Ou bien :
Un organe vital dont vous et moi nous passerions sans doute très bien s’il ne l’était pas :
Le cœur (d’autant plus qu’il est creux et en forme de poire par-dessus le marché)
Pas de quoi me faire oublier que le ciel est gris.
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Le train de retour, dans lequel certains voyagent assis dans les marches, ne part qu’avec dix minutes de retard. Mes deux voisines sont des septuagénaires havraises à fourrure qui viennent de « faire la tournée des palaces » (chacun ses églises). Bristol, Plaza Athénée, Georges V, c’est ce dernier qui est le mieux.
Le voiturier leur a appelé un taxi puis leur a tenu la portière.
-Quand même j’ai des goûts simples, dit l’une, mais de temps en temps j’aime bien qu’on me tienne la portière.
Elles sont allées à Paris en première classe mais rentrent en seconde.
-Demain, dit l’autre, on va se reposer, on sera un peu fatiguées.
21 décembre 2017
Ce mercredi le contrôleur du sept heures cinquante-neuf est d’humeur facétieuse, qui me demande ma Carte Jeune. Il a ensuite affaire à un jeune contrevenant qui déclare être procureur de la république.
-Si vous êtes procureur de la république, pourquoi n’avez-vous qu’une carte de réserviste à me montrer ? lui demande-t-il.
-Je suis aussi réserviste.
-C’est comme moi, je suis avocat général et je suis aussi contrôleur.
Le silence revient dans la voiture et nous arrivons à l’heure à Paris, ce qui me met à dix heures moins dix au Café du Faubourg et pour l’ouverture chez Book-Off. Les employées y portent des bonnets de Noël mais je n’emporte que deux livres dans ma hotte.
Il fait gris, ce qui est en conformité avec mon ressenti (comme on dit) car c’est demain jeudi qu’est opérée celle avec qui j’avais rendez-vous il y a une semaine. Je n’ai pas le cœur à faire autre chose que de passer d’un lieu de vente de livres à un lieu de vente de livres, comme qui pourrait aller d’église en église.
Au marché d’Aligre, j’achète pour un euro Joyeux, fais ton fourbi, la réédition chez Finitude de l’ouvrage autobiographique de Julien Blanc paru la première fois en mil neuf cent quarante-sept (il y raconte son séjour dans les bataillons disciplinaires d’Afrique). Chez Emmaüs, je ne trouve rien.
Je rejoins pédestrement le carrefour Parmentier/Chemin Vert. Comme il est trop tôt pour déjeuner, je zone dans le quartier. C’est ainsi que je découvre rue d’Amboise la Bouquinerie d’Oxfam. Son rideau est baissé mais elle ouvre dans cinq minutes.
Celui qui le relève est davantage surpris de me voir là que l’inverse. Je savais que ce chantre de la société libérale était désormais employé par cette multinationale de la charité après avoir été vendeur dans une grande librairie rouennaise, là aussi dans le domaine subventionné.
Cette bouquinerie n’est pas de celle où les livres sont à un ou deux euros. Globalement, ils sont à cinquante pour cent du neuf. Il y a de bonnes choses, mais aucune qui m’incite à payer ce prix. Un client essaie d’obtenir un rabais.
-Impossible, ce n’est pas ma librairie, lui répond l’ancien Rouennais.
-On se met au moins cher du moins cher sur Internet, ajoute-t-il.
Je ne prends pas le risque de donner mon avis. Il est midi, l’heure d’aller au Palais de Pékin.
*
Nouveaux obstacles sur les trottoirs parisiens : les vélos verts en libre service abandonnés là par des bicyclistes peu civilisés.
*
Gare de Rouen une publicité Coca Cola « zéro sucres ». Pas de quoi aider les élèves à faire zéro faute en dictée.
-Si vous êtes procureur de la république, pourquoi n’avez-vous qu’une carte de réserviste à me montrer ? lui demande-t-il.
-Je suis aussi réserviste.
-C’est comme moi, je suis avocat général et je suis aussi contrôleur.
Le silence revient dans la voiture et nous arrivons à l’heure à Paris, ce qui me met à dix heures moins dix au Café du Faubourg et pour l’ouverture chez Book-Off. Les employées y portent des bonnets de Noël mais je n’emporte que deux livres dans ma hotte.
Il fait gris, ce qui est en conformité avec mon ressenti (comme on dit) car c’est demain jeudi qu’est opérée celle avec qui j’avais rendez-vous il y a une semaine. Je n’ai pas le cœur à faire autre chose que de passer d’un lieu de vente de livres à un lieu de vente de livres, comme qui pourrait aller d’église en église.
Au marché d’Aligre, j’achète pour un euro Joyeux, fais ton fourbi, la réédition chez Finitude de l’ouvrage autobiographique de Julien Blanc paru la première fois en mil neuf cent quarante-sept (il y raconte son séjour dans les bataillons disciplinaires d’Afrique). Chez Emmaüs, je ne trouve rien.
Je rejoins pédestrement le carrefour Parmentier/Chemin Vert. Comme il est trop tôt pour déjeuner, je zone dans le quartier. C’est ainsi que je découvre rue d’Amboise la Bouquinerie d’Oxfam. Son rideau est baissé mais elle ouvre dans cinq minutes.
Celui qui le relève est davantage surpris de me voir là que l’inverse. Je savais que ce chantre de la société libérale était désormais employé par cette multinationale de la charité après avoir été vendeur dans une grande librairie rouennaise, là aussi dans le domaine subventionné.
Cette bouquinerie n’est pas de celle où les livres sont à un ou deux euros. Globalement, ils sont à cinquante pour cent du neuf. Il y a de bonnes choses, mais aucune qui m’incite à payer ce prix. Un client essaie d’obtenir un rabais.
-Impossible, ce n’est pas ma librairie, lui répond l’ancien Rouennais.
-On se met au moins cher du moins cher sur Internet, ajoute-t-il.
Je ne prends pas le risque de donner mon avis. Il est midi, l’heure d’aller au Palais de Pékin.
*
Nouveaux obstacles sur les trottoirs parisiens : les vélos verts en libre service abandonnés là par des bicyclistes peu civilisés.
*
Gare de Rouen une publicité Coca Cola « zéro sucres ». Pas de quoi aider les élèves à faire zéro faute en dictée.
19 décembre 2017
Lecture ferroviaire de mercredi dernier Dissimulons ! de Noël Herpe publié chez Plein Jour dans la collection « les invraisemblables ». L’auteur y narre ses rencontres lorsqu’il était maître de conférence avec deux êtres encore plus mal vus socialement que lui : un prof caennais (Romaric) et un travesti lexovien (Guillaume/Gloria). Le récit est fade et les clichés convoqués. En témoigne cette description de Caen :
J’ai croisé Romaric il y a une dizaine d’années, dans cette université normande où le sort m’avait jeté à mon grand dam. Ce sort, je le maudissais toutes les semaines en reprenant le train pour Caen, en retrouvant ses cafés autour de la gare, où erraient des êtres sans emploi, ses gamines trop maquillées, ses rangées d’immeubles informes. Si le néant avait un visage, il ressemblerait à cette ville aux trois quarts dévastée par les bombardement et que l’urbanisme triste de l’après-guerre avait achevé de défigurer. Dans le tramway qui m’emmenait vers le campus, j’observais des gueules démolies par l’alcool, les goitres, la pauvreté. J’imaginais des mariages consanguins, toute une hérédité paysanne n’ayant pas changé depuis Maupassant.
Maupassant décrivant le Calvados ?
Ce livre ne mérite pas que je le garde. Je l’ai mis en vente. Peut-être Noël Herpe me l’achètera-t-il. Comme autrefois il m’a acheté son Journal en ruines, autre lecture décevante.
*
Un auteur qui achète ses propres livres ? Ce n’est pas la seule fois que ça m’est arrivé.
J’ai croisé Romaric il y a une dizaine d’années, dans cette université normande où le sort m’avait jeté à mon grand dam. Ce sort, je le maudissais toutes les semaines en reprenant le train pour Caen, en retrouvant ses cafés autour de la gare, où erraient des êtres sans emploi, ses gamines trop maquillées, ses rangées d’immeubles informes. Si le néant avait un visage, il ressemblerait à cette ville aux trois quarts dévastée par les bombardement et que l’urbanisme triste de l’après-guerre avait achevé de défigurer. Dans le tramway qui m’emmenait vers le campus, j’observais des gueules démolies par l’alcool, les goitres, la pauvreté. J’imaginais des mariages consanguins, toute une hérédité paysanne n’ayant pas changé depuis Maupassant.
Maupassant décrivant le Calvados ?
Ce livre ne mérite pas que je le garde. Je l’ai mis en vente. Peut-être Noël Herpe me l’achètera-t-il. Comme autrefois il m’a acheté son Journal en ruines, autre lecture décevante.
*
Un auteur qui achète ses propres livres ? Ce n’est pas la seule fois que ça m’est arrivé.
18 décembre 2017
Plus sinistre qu’un dimanche habituel à Rouen avec ses rues quasiment désertes parcourues par quelques familles en errance d’après déjeuner, c’est le dimanche d’avant ce qu’on appelle les fêtes où ces rues sont envahies par la grosse manifestation en faveur de la société de consommation dans laquelle on peut même croiser des révolutionnaires et autres anticapitalistes (tous ensemble ouais ouais pour aller de boutique en boutique).
Rares sont celles et ceux qui vivent selon leurs convictions. Nicolas Hulot, Ministre de la Transition écologique et solidaire, en est l’illustration avec sa collection personnelle de véhicules à moteur. Comme chacun(e), il sait se justifier et se déculpabiliser : un pour sa fille, un pour sa femme, un pour ses chevaux, un pour la Corse, un pour les vacances, etc. Et d’ailleurs, à quatre-vingt-quinze pour cent de son temps, il roule « en électrique » avec les voitures du Ministère (je comprends pourquoi il a fait marche arrière sur la sortie rapide du nucléaire).
Allez, on continue comme avant tout en disant qu’on change. Cela tiendra bien assez longtemps pour qu’on ne soit pas de celles et ceux qui en subiront les pires conséquences.
*
J’écoute France Culture en fin d’après-midi. C’est Rue des écoles, une émission qu’animait Louise Tourret, très au fait des questions d’éducation. Martin Quenehen a pris le relais, qui n’y connaît pas grand-chose. Il se livre à un bavardage assez creux avec ses invité(e)s. Ce jour il s’agit de professeur(e)s d’un lycée hôtelier et de leurs élèves à qui on a fait lire quatre des douze romans en compétition pour le prix Wepler. Ces élèves doivent s’en inspirer pour leurs recettes. L’une explique que dans un des livres, il est question d’une jeune fille victime du feu, alors elle a fait une crème brûlée.
Rares sont celles et ceux qui vivent selon leurs convictions. Nicolas Hulot, Ministre de la Transition écologique et solidaire, en est l’illustration avec sa collection personnelle de véhicules à moteur. Comme chacun(e), il sait se justifier et se déculpabiliser : un pour sa fille, un pour sa femme, un pour ses chevaux, un pour la Corse, un pour les vacances, etc. Et d’ailleurs, à quatre-vingt-quinze pour cent de son temps, il roule « en électrique » avec les voitures du Ministère (je comprends pourquoi il a fait marche arrière sur la sortie rapide du nucléaire).
Allez, on continue comme avant tout en disant qu’on change. Cela tiendra bien assez longtemps pour qu’on ne soit pas de celles et ceux qui en subiront les pires conséquences.
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J’écoute France Culture en fin d’après-midi. C’est Rue des écoles, une émission qu’animait Louise Tourret, très au fait des questions d’éducation. Martin Quenehen a pris le relais, qui n’y connaît pas grand-chose. Il se livre à un bavardage assez creux avec ses invité(e)s. Ce jour il s’agit de professeur(e)s d’un lycée hôtelier et de leurs élèves à qui on a fait lire quatre des douze romans en compétition pour le prix Wepler. Ces élèves doivent s’en inspirer pour leurs recettes. L’une explique que dans un des livres, il est question d’une jeune fille victime du feu, alors elle a fait une crème brûlée.
© 2014 Michel Perdrial - Design: Bureau l’Imprimante