Le Journal de Michel Perdrial

Le Journal de Michel Perdrial




Loïc Boyer
Je suis l’auteur de textes courts qui furent publiés depuis mil neuf cent quatre-vingt-quinze dans des revues littéraires en France (Supérieur Inconnu, Supplément d’Ame, Nouvelle Donne, Le Bord de l’Eau, Pris de Peur, l’Art du Bref, Sol’Air, Gros Textes, Salmigondis, Verso, Décharge, Bulle, Filigranes, Diérèse, Martobre, Comme ça et Autrement, (Cahier d’) Ecritures, La Nef des Fous), en Belgique (Traversées, Ecrits Vains, L’Arbre à Plumes, Inédit Nouveau, Bleu d’Encre), au Canada (Les Saisons Littéraires) et en Italie (Les Cahiers du Ru).
Les courageuses Editions du Chardon ont publié en mil neuf cent quatre-vingt-dix-neuf Erotica, un recueil de vingt-huit de ces textes, illustré par Isabelle Pio et Antoine Lopez et préfacé par Sarane Alexandrian, toujours disponible auprès de moi.
Je suis également l’auteur d’une pièce de théâtre et de plusieurs romans ou récits à ce jour inédits.
Depuis le onze novembre deux mille six, je publie mon Journal via Internet, un temps sous-titré Persiflages, moquages et autres énervages mâtinés de complimentages et de contentages. Sa première partie est lisible chez Eklablog, la deuxième ici.
Je vis au centre de Rouen dans un ancien monastère où autrefois les Sœurs de la Miséricorde se vouaient à l’éducation des jeunes filles.







Rss

22 septembre 2024


Pas d’orage hier, il est maintenant attendu ce samedi à quatorze heures selon la Météo Marine. Ce qui me laisse le temps d’utiliser le dernier aller et retour de ma carte Nomad.
Je demande au chauffeur de m’arrêter à Beausoleil, commune de Saint-Pair. Un très bel endroit où le Thar, petit fleuve que j’ai eu tort l’autre jour de voir dans le centre du bourg, se  jette mollement dans la Manche.
De là, je rejoins la Promenade goudronnée qui longe la plage de Kairon, laquelle plage est invisible pour cause de haute mer. Après le poste de sauvetage, je m’offre une pause sur un banc, le soleil dans le dos, à bâbord Carolles et son Pignon Butor qui marque le début des falaises, à tribord Granville, son église Saint-Paul, ses Ports et sa Haute Ville. Sur la mer quelques petits voiliers.
Il s’agit ensuite de marcher sur cette Promenade jusqu’à Jullouville, puis la frontière passée, de continuer jusqu’à ce qui sert de centre à ce bourg. C’est ma plus longue marche de ce séjour. Je suis content d’arriver.
Il est onze heures quand je m’assois à une table ensoleillée de la terrasse d’un bar tabac jeux un peu caché nommé Au Gré Du Vent qui occupe le rez-de-chaussée d’une villa. Des quinquagénaires de mobil-homes sont à la table voisine. L’une est en pétard contre son chien qui vient de lui péter ses lunettes. « Tu vas faire un tour chez l’éducateur canin ». Un ventripotent porte un ticheurte Les Wampas. Elles et eux boivent des bières et dépensent un tas d’argent dans les jeux à perdre. Mon café allongé ne me coûte qu’un euro trente.
« Non, je ne suis pas en couple avec Pauline, hier j’en ai niqué une autre. » Ainsi s’exprime un des serveurs du Bambou, une pizzeria dont je suis le seul client à midi, ce qui laisse le temps au personnel de discuter. J’ai commandé une napolitaine avec supplément chorizo à quatorze euros. J’ai du mal à la terminer. Quand je pars, d’autres clients arrivent, ce sont les parents d’un des serveurs, peut-être de celui qui s’est qualifié de polyglotte, heu … polygame.
Direction le bord de mer où, sur un banc, j’observe les intrépides qui se baignent, tandis que du côté du Pignon Butor, ça devient gris.
Je rentre avec le treize heures vingt-deux et ai le temps d’un café verre d’eau lecture au Pirate avant les premières gouttes. En guise d’orage, une petite pluie passagère.
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Un gars du coin sur la Promenade : « Je suis un locaux, moi, j’habite ici. »
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Une collégienne parlant à sa copine de sa première permission de sortie : « Le but, ça va être de rentrer après mon grand frère. »
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Ne pas rester sur le côté. Ne serait-ce que noircir ce cahier, tout le temps, tous les jours. Bagarrer avec moi-même, seulement avec moi. (Jean-Luc Lagarce Journal trois septembre mil neuf cent quatre-vingt-huit)
 

21 septembre 2024


Il semblerait que l’été soit bientôt fini. L’orage est annoncé pour ce vendredi soir, la pluie pour les jours suivants. Avant cela, je retourne à Jullouville avec le car Nomad Trois Cent Huit dont je descends à Office de Tourisme. La mer est haute lorsque je m’engage sur la Promenade en direction de la falaise que l’on voit loin là-bas, celle de Carroles.
Au bout de la plage de Jullouville commence celle de Carolles. Plus de Promenade goudronnée mais un chemin de sable sur lequel (ou dans lequel) je n’aime pas marcher. Il se transforme ensuite, devant de coquettes villas, en chemin herbeux privé empruntable par le public. Juste avant la falaise sont amassées les cabines de plage de Carolles Plage. Seules celles du premier rang ont la vue sur mer. Là commence une série d’escaliers qui permet d’atteindre le sommet de la falaise. Un panneau indique la Cabane Vauban à deux mille deux cents mètres. Je monte un peu pour faire une photo de la plage de Carolles vue de là-haut puis je rebrousse.
De retour au bourg, je trouve à côté de l’Hôtel des Pins une table ensoleillée en terrasse chez Garence « bar à manger resto à boire ». J’y bois un allongé verre d’eau et garde la boutique à la demande du patron pendant qu’il va voir sa femme je ne sais où. A Bailar Calypso chante Elli Medeiros. Maman a tort chante Mylène Farmer. « On ferme à la fin de du mois, me dit le patron à son retour, ici ce n’est qu’une plage, après septembre il n’y a plus que des mouettes. » Deux euros dix, ce café allongé, mais il ne me laisse pas chercher la pièce de dix centimes.
Pour déjeuner, c’est au Breiz Bar, une gargote sur la route à voitures mais au soleil. Je commande un Breiz Burger, au jambon cru et au camembert. Avec les frites maison, j’en ai pour treize euros trente. Autrefois passait ici la voie ferrée. L’Office de Tourisme à côté est dans l’ancienne Gare.
Le dessert, un financier à la framboise, je l’achète un euro quarante à la boulangerie et le mange devant la mer sous les caméras de surveillance. La pendule est là pour me rappeler que le car du retour passe à treize heures vingt-deux.
                                                                  *
Au Café de la Gare de Granville, on s’inquiète : « Le Covid, il revient à fond de balle. »
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Jullouville, dit aussi Jullouville-les-Pins, est une création d’Armand Jullou.
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On m’a à nouveau coupé le téléphone. Bon. Ces gars-là sont sans pitié et l’histoire jugera. (Jean-Luc Lagarce Journal jeudi vingt-six novembre mil neuf cent quatre-vingt-sept)
 

20 septembre 2024


A nouveau le bus Deux en direction de Saint-Pair, lequel passe par Saint-Nicolas, autrefois commune, aujourd’hui quartier de Granville doté d’une belle église que je ne vois que par la vitre. Nous passons ensuite devant l’Hôpital Jacques-Monod puis descendons vers la mer. Je le quitte à l’arrêt Plage Saint-Nicolas. Sur ma droite, j’aperçois le Château de la Crête. Sur ma gauche, c’est Saint-Pair.
La mer commence à descendre, me dit un pêcheur qui soulève sa ligne pour que je puisse passer dessous afin de marcher sur le sable mouillé jusqu’à cette station balnéaire. A l’entrée du bourg, un petit détour est nécessaire pour passer un bout de rivière. Arrivé au Casino, je monte vers le centre.
C’est le marché sur la place mais il n’y a personne à la terrasse ensoleillée de L’Encre Marine, jusqu’à ce que je m’y assoie face a l’église dont le clocher pointu en pierre se détache sur le ciel bleu. Il affiche neuf heures cinquante.
L’ombre me rattrape. Je ne m’attarde pas. Le bus de dix heures quatorze me ramène à Granville. Quand il passe devant l’église Saint-Nicolas, ce sont les obsèques d’un qui devait être important ; il y a des uniformes parmi les présents.
Descendu à Plat Gousset, je passe par la rue et la place des Corsaires aux hautes et belles façades pour rejoindre le Au Tout Va Bien. Dans ce troquet de pêcheurs, l’inquiétude du jour, ce sont les gros travaux qui vont avoir lieu au centre-ville. Le Carnaval ne pourra pas y passer. L’organisation, ça va être « un vrai casse-tête chinois ». Granville est le type même de la ville restée au vingtième siècle. Ça ne va pas durer.
Je déjeune du menu proposé : salade de gésiers, rôti de bœuf, tarte aux fruits rouges. Et puis en haut à La Rafale pour me dorer au soleil avec Lagarce. Les touristes qui arrivent sur cette place ne savent souvent pas par où continuer. Ils hésitent puis beaucoup se déversent dans la rue de l’Egout.
Je fais comme ces derniers, l’ombre venue, et rentre par le chemin de ronde d’où j’admire les couleurs de la grande marée basse, une succession de nuances de beige et de nuances de bleu. Loin, très loin sont les pêcheurs à pied.
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Je ne raconte pas mes rêves. Ceux des autres m’ennuient. D’où ce choix. Et de rares exceptions. Ainsi la nuit dernière, je me retrouve à Rouen ayant quitté Granville, précisément dans une ville qui est censée être Rouen mais qui ne lui ressemble pas du tout, et je découvre que je suis rentré trop tôt, sans bagages, sans papiers, sans argent, dans cette ville où je ne connais personne. S’ensuit une série de péripéties angoissantes pour trouver de l’argent afin de retourner à Granville. Immense soulagement en me réveillant.
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Jean-Luc Lagarce, Journal, mardi sept juillet mil neuf cent quatre-vingt-sept :
Cinéma (à la télévision) : La Vie de famille de Jacques Doillon, avec l’inusable Sami Frey (toujours parfait), une gamine super, Juliet Berto et Juliette Binoche, débutante excellente.
Pas mal, pas mal. (Et Doillon pas hystérique, ça mérite d’être signalé.)
Un  film dont on reparle en ce moment, notamment la gamine super.
 

19 septembre 2024


Beau temps encore ce mercredi, j’utilise ma carte Nomad, dix voyages de proximité pour quinze euros, au maximum de sa capacité kilométrique en allant à Champeaux, juste après Carolles. Deux kilomètres plus loin, c’est Saint-Jean-de-Thomas. Il faut pour y aller une carte à vingt-cinq euros. Ce sont les petits calculs d’Hervé Morin, Duc de Normandie, chef des transports Nomad.
« A cause des travaux à Carolles, je vous déposerai au niveau d’un restaurant », me dit le chauffeur du Trois Cent Huit. « Et pour le retour ? » « Vous en faites pas, je vous expliquerai, faut bien que je serve à quelque chose. » Avec moi dans le car au départ de Granville, un vieux couple qui va au Mont (des touristes) et une femme qui va à Géant Casino devenu Intermarché (une travailleuse).
Champeaux est le pays des falaises. C’est aussi celui des chevaux, me dis-je en descendant du car devant le restaurant Chez Coco. « Au retour, c’est là-bas, devant le restaurant Le Marquis de Tombelaine », m’explique l’aimable chauffeur. Je vais voir les chevaux, des pur-sang qui s’éloignent et un percheron qui m’ignore. Nous sommes à un kilomètre du centre du bourg.
Je marche sur la grand-route, me demandant où donc est le chemin côtier de randonnée. J’arrive à une petite route pentue à quinze pour cent. Elle me mène pile à la Cabane Vauban. Car Champeaux à la sienne, semi-enterrée, plus rudimentaire que celle de Carolles et non signalée. Le sentier est là mais en le parcourant on ne peut pas voir la mer car la végétation la cache. De plus, il m’apparaît dangereux pour un vieux. J’y renonce. Je me pose sur le banc en bois qui jouxte la Cabane et je sors Lagarce
Je reste là de dix à onze heures. Peu de passage devant moi : un grand-père avec son petit-fils ou sa petite-fille sur le dos suivi de sa fille, devant les deux chiens (plutôt sympathiques), un coureur qui me dit bonjour (c’est rare), une fille seule et souriante (je l’aurais acceptée au bout de mon banc), un couple de sexagénaires (ils se tiennent à la corde) et quelques papillons. Pendant ce temps, la mer descend.
A ma gauche est la plage de Saint-Jean-de-Thomas. Ce n’est pas loin. Je pourrais y aller mais il faudrait ensuite remonter et il y a déjà suffisamment d’effort à faire pour retrouver le restaurant Chez Coco. C’est ouvert. On y propose un menu du jour à quinze euros avec buffet d’entrées et quart de vin inclus. Chez le Marquis, c’est plus cher : moules frites à dix-sept euros, plat du jour à vingt et un. En attendant midi, je prends un café à l’extérieur avec vue sur le carrefour et au loin les chevaux et la mer.
« Vous êtes le premier », me dit la serveuse. « C’est souvent le cas », lui réponds-je. Comme plat je choisis la langue sauce piquante gratin de courgettes et comme dessert une crème caramel beurre salé. Tout cela est correct. « On voit la mer, observe ma voisine de derrière, c’est peu de chose de voir la mer mais c’est beaucoup. » J’ai le temps de  boire un café à l’extérieur à une table maintenant au soleil avant d’aller devant chez le Marquis attendre le car de treize heures onze.
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Une cliente du Café de la Gare pendant mon petit-déjeuner : « L’avantage que tu sois dans une impasse, c’est qu’il n’y a pas de passage. »
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Vivre seul. Entendons par là, ne rien donner. Rester imperméable (tenter de le rester). (Jean-Luc Lagarce Journal jeudi vingt et un août mil neuf cent quatre-vingt-six)
 

18 septembre 2024


Ce mardi, la mer est haute et mouvementée, que je vois par ma fenêtre à mon lever. Le vent souffle sans que cela se traduise par une poussée sur celle-ci, il est dirigé vers ailleurs. Si les bus Néva ont l’avantage d’être gratuits, ils sont assez rares. Celui qui va vers Saint-Pair passe en bas de mon studio Air Bibi à sept heures quarante-six, trop tôt pour moi, puis à huit heures quarante et une, j’ai largement le temps de petit-déjeuner avant de le prendre.
J’en descends à l’arrêt Lycées, qui dessert le Lycée Hôtelier et le Lycée Julliot de la Morandière, et m’emploie à trouver le sentier du littoral qui passe en dessous. Il est neuf heures, m’apprend la sonnerie emplie de zénitude qui appelle des élèves invisibles en cours.
Je marche d’abord vers les ports de Granville mais de ce côté on ne peut aller loin sans devoir contourner de belles demeures par la route. La pointe de la Roche Gautier, je ne l’aurai vue que de loin. En revanche vers Saint-Pair le sentier est attrayant et sportif, agrémenté de multiples escaliers rustiques et d’arbres chus sous lesquels il faut passer. Je suis au-dessus de la plage d’Hacqueville, longue de quatre cents mètres. C’est marée haute, cette plage de rochers et de sable est à peine visible. Ensuite, la mer se retirera sur un kilomètre et demi. Je finis par atteindre la pointe où se montre un peu là le Château de la Crête « réceptions et séminaires ».
Au-delà, le sentier devient routier. Je reviens sur mes pas et me pose sur un muret, au-dessus de la plage et sous le Lycée, en attendant le bus de dix heures vingt-cinq pour Granville Centre. A l’arrivée, direction Au Tout Va Bien. Des pêcheurs y ont des discussions de pêcheurs : praires, coquilles, amandes, bulots et séjours à la Gendarmerie quand on dépasse de trente  kilos. Au menu du jour : terrine de thon, saucisse purée et tarte au citron meringuée. « Y a encore du monde à traîner », constate un pêcheur. « Bah, y fait beau, c’est les retraités qui se promènent », lui répond un autre.
Il en est même un qui monte à la Haute Ville, son repas terminé, pour un café relecture en terrasse à La Rafale à la table qui garde le soleil le plus longtemps. Il y a une drôle d’odeur. D’égout peut-être, la rue de ce nom est à côté. « Ça doit être la marée qui remonte », dit la serveuse.
Pourtant elle doit descendre si j’en juge par les hommes à épuisette que je vois passer vers la pêche à pied. C’est le début des grandes marées.
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Eviter de devenir le célibataire trentenaire meilleur ami de la famille. (Jean-Luc Lagarce Journal mercredi vingt-six mars mil neuf cent quatre-vingt-six)
 

17 septembre 2024


Ce nouveau lundi est gris, ce qui m’amène à ne pas m’éloigner. Je marche jusqu’à la pointe bétonnée au bout de laquelle se trouve l’embarcadère pour Chausey. On y trouve l’Hôtel Ibis et plusieurs restaurants qui ont vue sur le Port de Hérel où sont amarrés les bateaux de plaisance.
Je continue au-delà de ce port, contournant les bâtiments des professionnels de la batellerie, et arrive à une petite plage qui semble ne pas avoir de nom. Impossible de poursuivre le long de la côte.
Je rentre au port et rejoins la digue qui protège les bateaux de plaisance, une longue digue sur laquelle je suis le seul à m’aventurer, d’où l’on voit d’un côté la Haute Ville et son église Notre-Dame et de l’autre le quartier haut dominé par l’imposante église Saint-Paul.
Une effrayante file d’attente est présente devant le bateau pour Chausey qui ne part que dans une demi-heure. Il faut obligatoirement être là quarante-cinq minutes avant. Cette contrainte, cette foule et le prix d’un aller et retour (trente-trois euros cinquante) ne m’incitent guère à faire le projet d’y aller (ou plutôt d’y retourner).
Je reviens sur mes pas et m’installe au bord du port de plaisance à la terrasse du bar restaurant Le Hérel où le café coûte deux euros. C’est l’annexe de l’Hôtel Ibis. Un lieu paisible jusqu’à ce que des pompiers plongeurs de retour d’exercice s’installent à ma droite. Ils parlent d’un repas de stage qui leur a coûté mille deux cents euros à dix. « Et le bain de minuit, tu t’en souviens ? » « Même la gonzesse, elle s’est foutue à poil. » « Oui, j’ai la photo. »  Ils disent ensuite du mal d’un absent, un véritable boulet : « Il arrive et il balance le sac, y avait le drone dedans. »
A midi, je déjeune une nouvelle fois au Pirate : terrine de Saint-Jacques, blanquette de veau et crème brûlée, puis je m’installe en terrasse pour relire Lagarce. Un Point Rouen (ou presque) dans son Journal :
Dimanche 26 juin 1988
Hier, la ferme près de Rouen (Elbeuf) chez mon frère et Marie. Mes parents y sont pour quelques jours. Gâtisme généralisé autour du neveu.
Ma mère au meilleur de son état de mère.
Je suis vache. Je n’avais plus un sou. Elle m’a donné mon billet de train pour rentrer le soir. A 31 ans c’est un peu humiliant. C’est gentil de sa part mais le discours qui va avec cette générosité m’encourageait à me pendre.
                                                                          *
Dans le Port de Hérel on pouvait voir aussi Le Marité qui autrefois pendant un temps fut rouennais. Jusqu’en mars dernier, il servait de promène-touristes. A l’occasion d’un arrêt technique, on a découvert que sa coque subissait une attaque de champignons. Il est désormais à sec à Port-en-Bessin.
 

16 septembre 2024


Ce dimanche matin on dirait que Le Derby a ouvert spécialement pour moi. Jusqu’à ce qu’arrivent des commerçants de la rue qui viennent cancaner sur qui achète une case vide. Le boucher : « Du moment que ce soit pas un boucher. »
Le soleil semble assuré. C’est le moment de faire par beau temps le tour de la Ville Haute en passant par la Pointe du Roc. Je rejoins le Port et monte à cette Ville Haute par l’escalier des Noires Vaches sans en croiser une seule. Je prends alors le sentier du littoral dans le sens opposé à la fois précédente. Je suis assez vite devant la statue du hardi corsaire Georges-René Le Pelley de Pléville, dit le Pirate, sabre au clair, prêt à en découdre, le regard dirigé vers la mer. Arrivé au bout du Roc, je me chauffe un moment au soleil sur le banc en observant un pêcheur qui a l’air de se demander ce qu’il fait là. Sur la mer se succèdent des embarcations. C’est le jour où l’on sort son petit bateau à voiles ou à moteur direction Chausey.
Revenant côté nord, je prends la rue de l’Egout et m’assois en terrasse à La Rafale en espérant que le soleil montant atteindra assez vite ma table. Dans ce café de la convivialité, les serveurs et l’une des serveuses désormais me tutoient. La clientèle du dimanche est la même que celle du Son du Cor le même jour : des regroupements boboïsants aux conversations futiles ponctuées par des rires automatiques. Le passage d’une camionnette à haut-parleur excite les enfants : «  On se réserve le cirque à Granville aujourd’hui. Le spectacle est à seize heures, parking de Monsieur Bricolage. De la cavalerie, des clowns et des acrobates. Venez vous distraire et vous divertir. » Je passe un moment à m’interroger sur la différence entre se distraire et se divertir.
Je déjeune au Pirate qui propose son menu du jour même le dimanche : terrine de saumon, filet d’aiglefin, mousse au chocolat, en terrasse un peu ensoleillée, entre deux vieux couples ou du moins deux couples de vieux n’ayant absolument rien à se dire, ce qui est fort reposant.
Je suis de retour au même endroit vers quatorze heures trente pour un café lecture. C’est ainsi que j’arrive au bout du premier volume du Journal de Jean-Luc Lagarce. Plus vite que voulu à cause du temps médiocre des douze premiers jours de mon séjour granvillais et je n’ai pas le second. Heureusement, c’est un livre que l’on peut relire illico.
                                                                *
Ces couples qui passent avec un chien. Ils n’ont qu’un sujet de conversation : la bestiole. J’en conclus que s’il n’y avait pas cet animal, ils ne seraient plus ensemble.
                                                                *
Une plaie des dimanches, les troupeaux de motards.
 

15 septembre 2024


Même car Nomad ce samedi matin dont je descends à Jullouville, entre Saint-Pair et Carolles, à l’arrêt Office de Tourisme. Une longue balade le long de la plage sur la Promenade François Guimbaud bordée de villas plus ou moins remarquables. Ici on met les canots et les petits voiliers à l’eau avec l’aide de tracteurs et on se fait traîner en sulky par des chevaux le long de la mer. Les cabines de plage en sont vraiment, posées sur le sable en contrebas de la Promenade, pas récentes, murs en fibrociment et toits ondulés.
C’est à Jullouville qu’Eric Rohmer tourna Pauline à la plage. Il a droit à une petite plaque commémorative entre deux poubelles. Cela me fait songer à celle qui porte le prénom de l’héroïne du film et que j’appelle la plus rohmérienne des Rouennaises. Laquelle semble m’avoir rayé de ses petits papiers sans que je sache pourquoi. Elle était pourtant heureuse de boire un café ou un verre de Tariquet avec moi. Notamment au Son du Cor où nous avions fait connaissance un jour où elle offrait ses jambes au soleil. Nous avions de bonnes conversations. Elle me disait toujours à très bientôt, même si on se voyait peu souvent. Et puis plus rien alors qu’elle sait où me trouver et à quelle heure. Elle n’a pas répondu au message que je lui ai envoyé il y a bien longtemps. Je n’ai pas récidivé, ce n’est pas dans mes mœurs.
J’écris cela à La Paillote, un café restaurant de plage qui porte bien son nom, après avoir bu un café à un euro soixante que m’a apporté un patron fort aimable, ce qui n’est pas souvent le cas dans ce genre d’endroit. J’y lis ensuite le Journal de Lagarce, non sorti de mon sac hier. A une autre table, quatre profs débutantes en congé parlent de leurs élèves. Comme elles s’en vont, je m’attarde à cette seule terrasse avec vue directe sur la mer que j’ai trouvée depuis mon arrivée. De nombreux pièges à guêpes signalent leur potentielle présence mais celles-ci, comme les familles, ne sont pas encore levées.
De retour dans la rue principale, je réserve une table en terrasse à l’Hôtel des Pins qui propose en plat du jour un chili con carne à treize euros cinquante, puis je vais attendre midi sur le seul banc déjà au soleil de la Promenade, sous une pendule et des caméras de surveillance. Je regarde qui passe, dont un Umberto, c’est un chien, des quantités d’autres font de même, dont j’ignore le prénom. C’est toujours pareil, quand deux couples d’amis se promènent ensemble, les hommes marchent devant (parlant par exemple d’œnologie) et les femmes suivent (parlant par exemple de relaxation). Un moutard : « Il est où le Mont-Saint-Michel ? » Son père : « Caché derrière » (l’obstacle : les falaises de Carolles). Un couple de vieux lit la longue liste des animations de juillet août (on n’anime les lieux que lorsqu’ils sont déjà animés par la foule).
Une terrasse paisible que celle de l’Hôtel des Pins, au soleil, avec peu de clientèle et une seule guêpe. « Depuis 1883 », est-il écrit sur les vitres. Je me contente du chili con carne, le reste étant cher. Le dessert, je me le procure à la boulangerie Romain Marie « Maison fondée en 1948 », une tartelette aux abricots à deux euros cinquante. Je la mange face à l’immensité bleue.
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Le patron de La Paillote résumant la saison : « Juillet rien. Août trop. »
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La phrase du jour : « Là, c’est vraiment le temps de septembre. »
 

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