Le Journal de Michel Perdrial

Le Journal de Michel Perdrial




Loïc Boyer
Je suis l’auteur de textes courts qui furent publiés depuis mil neuf cent quatre-vingt-quinze dans des revues littéraires en France (Supérieur Inconnu, Supplément d’Ame, Nouvelle Donne, Le Bord de l’Eau, Pris de Peur, l’Art du Bref, Sol’Air, Gros Textes, Salmigondis, Verso, Décharge, Bulle, Filigranes, Diérèse, Martobre, Comme ça et Autrement, (Cahier d’) Ecritures, La Nef des Fous), en Belgique (Traversées, Ecrits Vains, L’Arbre à Plumes, Inédit Nouveau, Bleu d’Encre), au Canada (Les Saisons Littéraires) et en Italie (Les Cahiers du Ru).
Les courageuses Editions du Chardon ont publié en mil neuf cent quatre-vingt-dix-neuf Erotica, un recueil de vingt-huit de ces textes, illustré par Isabelle Pio et Antoine Lopez et préfacé par Sarane Alexandrian, toujours disponible auprès de moi.
Je suis également l’auteur d’une pièce de théâtre et de plusieurs romans ou récits à ce jour inédits.
Depuis le onze novembre deux mille six, je publie mon Journal via Internet, un temps sous-titré Persiflages, moquages et autres énervages mâtinés de complimentages et de contentages. Sa première partie est lisible chez Eklablog, la deuxième ici.
Je vis au centre de Rouen dans un ancien monastère où autrefois les Sœurs de la Miséricorde se vouaient à l’éducation des jeunes filles.







Rss

12 septembre 2024


Vers deux heures du matin le vent se remet à souffler à plein bruit contre ma fenêtre côté mer, un bruit qui me rappelle celui que fait un train de fret quand il traverse une gare, un train de fret qui n’aurait pas de fin. Quand même, je réussis à me rendormir. Je me réveille vers six heures quand passe la première balayeuse, dont le bruit dépasse celui du vent.
Après mon petit-déjeuner au Derby, je prends ce mercredi le bus Néva numéro Deux de huit heures cinquante-cinq en direction de Donville-les-Bains. J’en descends à l’arrêt Mairie. Tout près est Le Bistroquet où je retiens une table pour midi puis je vais voir l’église d’architecture contemporaine.
Il faut descendre assez longtemps dans le bourg pour atteindre le bord de mer. Une longue digue bordée de mignonnettes cabines de plage permet de marcher le long de la plage puis de revenir.
Je marche ensuite sur le sentier côtier qui va vers le Plat Gousset jusqu’au Cimetière Notre-Dame. Je m’assois sur un banc de pierre avec en face Chausey que je devine et à bâbord la Ville Haute. J’écris là le récit de ce début de journée tandis que le ciel qui laissait voir du bleu devient de plus en plus gris.
Direction Le Bistroquet où je bois un café à un euro quarante puis lis en attendant qu’il soit midi. Ce petit café est tenu par un jeune couple, elle prénommée Lolita, ce qui fait toujours bizarre. La clientèle de comptoir est  locale. L’un annonce que c’est son anniversaire. Personne ne le lui souhaite.
La salle de déjeuner est à l’arrière. Lui est en cuisine et elle fait le service. Au menu du jour à quinze euros quatre-vingt-dix : terrine forestière, jambon braisé sauce normande et moelleux au chocolat.
Il y a eu ici autrefois un buffet d’entrées mais c’est fini tout ça. Hormis la tranche de pâté, tout est mauvais. Le jambon est mince, sa sauce immonde, les frites sèches. Le pain est décongelé. Le service traîne. Je me passe donc de dessert et file régler une addition exagérée. Le Bistroquet de  Donville-les-Bains ne me reverra jamais.
J’attends le bus sur un banc devant la coquette Mairie. Arrivé à Granville, je monte boire le café et lire en terrasse à La Rafale, à peu près à l’abri du vent et au soleil durant ses brèves apparitions. A partir de quatorze heures dix, par la faute de l’immeuble du Tabac Presse Carterie trop haut d’un étage, le soleil disparaît définitivement.
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Propos de clientes du Bistroquet qui parlent par expérience : « Il vaut mieux avoir des gendres que des belles-filles. »
L’autre jour, au Tout Va Bien, une quinquagénaire disait à une plus jeune qu’elle qui voulait avoir un enfant : « Un garçon, c’est mieux. Les garçons, ils sont toujours gentils avec leur mère. »
 

11 septembre 2024


Le vent ayant changé de direction, je peux dormir correctement dans mon studio Air Bibi. A mon lever, il fait gris comme à l’habitude. La pluie est encore annoncée. En bonus, un froid de début d’hiver est promis pour les jours à venir.
Ce mardi matin, j’attends au Derby l’ouverture à neuf heures du Jardin Christian Dior. Le moment venu, au bout de la Promenade du Plat Gousset, je prends un sévère escalier et m’apparaît, au centre de ce jardin public, l’élégante maison qui fut celle du petit Christian et qui abrite maintenant le Musée Dior (ce Musée ouvre plus tard et je n’ai pas envie de le visiter). Je découvre ensuite, n’étant jamais monté jusqu’ici, la pergola, le labyrinthe, la roseraie, etc. Comme je suis seul en ce lieu, je peux m’amuser comme je veux avec les carillons tubulaires (ça doit avoir un nom). Une photo de Christian quand il était enfant est présente dans l’une des allées (un peu tête à claques) et, prés d’une mosaïque circulaire, un buste du même (au temps de sa splendeur couturière). Au moment où j’ai fait le tour arrivent une maîtresse et ses élèves, ainsi qu’une brouillasse.
Je redescends. La piscine d’eau de mer qui était attaquée par les vagues de la marée montante à l’aller est désormais invisible. Seuls dépassent encore, plus pour longtemps, les plots d’où l’on plonge (ça doit avoir un nom).
Je rejoins Le Grand Café pour un petit café verre d’eau et lire le Journal de Lagarce. En mil neuf cent quatre-vingt-huit, celui-ci apprend qu’il est séropositif : Ça va être parfait comme lecture ce journal. Vous devriez résilier votre abonnement avant qu’il ne soit trop tard.
Au Tout Va Bien s’abritent des marins qui disparaissent à midi quand arrivent les déjeuneurs dont je fais partie. Pour moi c’est terrine normande et rôti de veau farci.
Le café encore une fois au Pirate, apporté par la jolie serveuse au petit défaut de dentition (c’est ce qui fait son charme). Un couple au moment de payer s’épanche auprès de la caissière : « On est du Maine-et-Loire. On est en caravane. On va repartir demain parce qu’avec ce temps… »
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La bande-son du Grand Café ce mardi matin, de Buena Vista Social Club à Oxygène avec un détour par Anarchy in the UK.
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Ouest France, un journal trop grand pour être lu dans un café.
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Des touristes qui ne doutent de rien : « Mais oui, j’te l’dis : y a un train direct de Granville au Mont-Saint-Michel. »
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La villa Les Rhumbs, qui doit son nom au terme de marine désignant les trente-deux divisions de la rose des vents, fut achetée par les parents de Christian Dior en mil neuf cent six. Le futur couturier y vécut jusqu’à ses cinq ans : la maison de mon enfance... j'en garde le souvenir le plus tendre et le plus émerveillé. Que dis-je ? Ma vie, mon style, doivent presque tout à sa situation et à son architecture. 
 

10 septembre 2024


La nuit est difficile car un vent fort, que je ne sais pas s’il faut qualifier de tempête, s’est mis à souffler le soir venu. Le bruit que cela fait m’empêche de dormir et je crains que les rafales dans ma fenêtre qui a vue sur mer ne la fassent exploser. Je tente de me rassurer en songeant qu’elle a sûrement connu pire. Pourtant, au milieu de la nuit, elle s’ouvre brutalement. Je parviens heureusement à la refermer, et à dormir un peu.
Au matin cela souffle toujours fort. Le temps dégagé annoncé par la météo est remplacé par un ciel gris porteur de pluies. Cela m’amène à changer mon plan, Carolles et sa Cabane Vauban. Ce n’est encore pas un jour à marcher sur la côte.
Mon pain au chocolat acheté chez Robert la Flûte Gana, je redescends la rue Couraye et trouve ouvert le bar-tabac La Civette où le café allongé est à un euro cinquante. Trois petites tables en terrasse, une à l’intérieur où je me suis assis et trois tabourets de bar, mais il y a une salle en haut, me dit la patronne qui est à la fois bavarde et curieuse. Qu’est-ce que je viens faire à Granville ? « On est ouvert tous les jours de l’année, même le jour de Noël », me dit-elle puis elle tente de me faire commander un autre allongé. « Foire de Lessay un dimanche sous la pluie », c’est l’affichette d’Ouest France qui a le sens de l’observation.
Il pleut à nouveau. Je décide de retourner avec le bus Deux à Saint-Pair où il y aura au moins un café pour m’abriter.
Il pleut encore plus à l’arrivée, direction L’Encre Marine pour un allongé suivi d’une lecture. Depuis mon arrivée dans la Manche, rapport au temps qu’il fait, je lis bien plus que je ne voudrais. J’ai dépassé la moitié du premier volume du Journal de Jean-Luc Lagarce et je n’ai pas emporté le second pour raison de poids.
De retour à Granville, la pluie ayant vaguement cessé mais pas le vent fort, je vais voir la mer, cette fois déchaînée contre la Promenade du Plat Gousset. Je tente d’en faire quelques photos significatives puis je vais voir ce que Le Pirate propose à midi. Hélas, c’est le même menu depuis trois jours.
Je vais donc au Cabestan, sur le Port de Pêche, mais avant que j’aie passé commande, arrive un groupe de dix jeunes adultes avec dans des poussettes quatre exemplaires déjà énervés de Génération Cinquante. Ils ont table à côté de la mienne. Je demande à la serveuse si je peux en avoir une autre. Elles sont toutes réservées. « J’aimerais déjeuner en paix, lui dis-je, aussi je vais aller ailleurs. » Cet ailleurs n’est pas loin et s’appelle La Bisquine. Je m’y contente d’une pizza napolitaine à treize euros trente.
Le Pirate, j’y retourne vers quatorze heures quinze pour un café lecture à l’intérieur. L’auvent de la terrasse protège de la pluie lorsqu’elle est verticale, pas quand elle est oblique poussée par le vent
Vers seize heures, un brin de soleil me pousse sur la Promenade du Plat Gousset. J’assiste à l’enlèvement de la première cabine de plage par un engin qui la pose sur une plate-forme tirée par un camion. Cette fois, la saison est vraiment terminée.
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Un homme à sa femme : « T’as vu, y en a qui se baignent là-bas dans le lac. » (le lac = la piscine d’eau de mer)
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Cette façon qu’elles et eux ont de se battre pour payer les deux cafés pris ensemble dans un bar, comme s’il s’agissait de faire un immense cadeau à l’autre, alors qu’est en jeu une somme dérisoire.
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De Paul-Jean Toulet, que lit Jean-Luc Lagarce en mars mil neuf cent quatre-vingt-huit : Dans la vie, parfois, il faut savoir manquer un train.
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Lagarce, quand une amie de lycée lui annonce sa séparation d’avec celui avec qui elle était depuis la seconde : En bon Verseau elle fait une plaisanterie détachée. Mais je suis bien placé pour savoir que les plaisanteries détachées des Verseaux ne sont pas toujours pleines d’humour. Je confirme, l’étant également.
Dommage qu’il n’ait pas lu le Journal littéraire de Léautaud, il aurait appris qu’on ne commence pas une phrase par « mais », mot inutile alourdissant le propos.
 

9 septembre 2024


Alerte orange pluie inondation de Météo France pour la Manche à partir de samedi soir. Dans les faits, cela se traduit par de fortes précipitations à partir de quatre heures du matin. Pas de quoi cependant inonder le bas de Granville.
La pluie se calme lorsque vers huit heures je pars à la recherche d’une boulangerie ouverte le dimanche. Il y en a deux rue Couraye, l’artère principale de la ville qui monte à la Gare. J’achète mon pain au chocolat (un euro vingt) à la première rencontrée, Robert la Flûte Gana, puis continue à monter jusqu’à atteindre le Café de la Gare, le seul du quartier ouvert à cette heure. Une clientèle d’habitué(e)s est déjà là. L’une porte sur la tête un plastique translucide comme en mettait ma mère quand elle allait faire ses courses à bicyclette sous la pluie. « On va perdre le tourisme en Normandie si ça continue comme ça » s’inquiète un autre. « Moi je suis de gauche, dit un troisième, mais si j’avais été patron, j’aurais été un enculé. » L’allongé est à un euro quarante.
Ce n’est pas un endroit où lire Lagarce. Je redescends vers neuf heures pour ce faire, malgré Nostalgie, au Derby où la clientèle est quand même un peu moins pénible. Certains ne posent qu’une fesse sur les tabourets du bar. Ils parlent pluie. Ça va se dégager un peu et puis à deux heures avec la marée, ça va revenir.
Ça se dégage un peu en effet. Je saisis l’occasion pour aller marcher sur la Promenade du Plat Gousset. C’est marée haute. La mer est énervée. Elle cogne contre la Promenade et à certains endroits passe par-dessus le muret. Dans la boîte à livres, je trouve Hexagoneries de Roland Bacri, publié chez Seghers en mil neuf cent soixante-seize, avec un dessin de couverture de Kerleroux.
A midi j’entre au Pirate et y commande un burgueur Corsaire (avec fromage de Savoie, jambon fumé, oignons confits, tomate, salade et sauce moutarde) à quatorze euros quatre-vingt-dix. De nombreuses tables sont réservées par la clientèle du dimanche, moitié bourgeoisie locale, moitié tourisme de passage. Ambiance feutrée, musique piano jazzy. Faute de goût, le Coca servi en canette. Premier couple de voisins, elle : « Après, ce que je te propose, c’est de remonter tout doucement. » Second couple de voisins, elle : « Ce soir, on peut manger le melon. » La vie des autres est passionnante.
Dès douze heures trente, il pleut à fond. Je me mets au sec sous l’auvent de la terrasse pour prendre un café et lire Lagarce. Ce faisant, j’assiste au spectacle d’une population arrivant trempée, certaine d’être à bon port et refusée parce que c’est complet.
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Jean-Luc Lagarce, Journal :
Dimanche 2 février 1986
Strasbourg 12h30
Débat public, ici, sur le thème culturel « Quelle écriture contemporaine, pour quel Monde contemporain ? » (sic !) Avec les inévitables intellectuels barbus, anciens dramaturges du TNS, l’auteur qui écrit, mais que personne ne lit et l’acteur-metteur-en-scène-animateur grisonnant, défenseur de la décentralisation.
(…)
Avec dans le public – « Y a-t-il des questions ? » – l’inévitable grosse fille laide qui parle au nom du « peuple » (sic !)  et qui pense que Molière lui, est un auteur populaire, à la différence de ces pièces avec des hommes qui tiennent un verre de whisky… (re-sic !)
A part ça, la ville de Strasbourg dans le froid épouvantable, c’est douloureux et triste. Cela m’émeut et avec ma grippe méprisable, le visage blanc, je songe à fuir vers l’Allemagne…
 

8 septembre 2024


Musique à fond vendredi soir au moment de ranger et fermer la boutique chez le kebabier d’en bas, le voisin du glacier de bord de mer. Il est plus de vingt-trois heures. Faut attendre que ça se passe. Chez Déniz, ça s’appelle. Il est là depuis longtemps. Je me souviens qu’un jour où j’étais ici, bien accompagné, c’était le premier de l’an, il nous a sauvés. Tous les restaurants de Granville étaient fermés ce soir-là.
Ce samedi matin à huit heures, il y a un monde fou au Derby, des gens de tous les âges. Je demande pourquoi. « C’est le marché, me dit le serveur, au bout de la rue, au Marché Couvert. »
Je vais donc voir. C’est un vieux et relativement beau bâtiment où les commerces de bouche sont répartis sur deux niveaux, chaque niveau ayant une sortie sur une rue grâce à la pente. Dans les rues avoisinantes et sur la place du Pirate (déjà ouvert) sont d’autres commerçants ambulants.
Je monte ensuite à la Ville Haute par la rue principale, point trop pentue, et rejoins le littoral. Une suite d’escaliers de pierre permet de descendre à une toute petite plage. Un jeune homme nage. Je m’assois sur un muret.
A dix heures, je compte remonter et par la rue de l’Egout rejoindre la terrasse de La Rafale. Une averse inattendue m’oblige à abandonner ce projet. Je redescends de l’autre côté par la rampe du Monte-à-Regret pour aller m’abriter dans la salle du Tout Va Bien. « Toute la journée on vous nourrit » est-il écrit sur la terrasse. Ce n’est vrai qu’en saison. Je commande un allongé.
Au comptoir, on parle prochaines grandes marées et ouverture de la chasse. L’un vient d’être grand-père. L’enfant s’appelle Oscar. Il a eu un chien qui s’appelait comme ça. S’ensuivent quelques plaisanteries.
Quand je reste le seul client présent, la patronne et son cuisinier discutent des plats de l’hiver qui va arriver. Pour les touristes, en entrée, pourquoi pas des accras, on en vend des tout prêts chez Sysco, y a qu’à les mettre au four. Pour nos habitués, les pêcheurs, ce qu’ils veulent quand ils débarquent des bateaux, c’est de la viande, du bourguignon, des trucs comme ça. « Ça va être long aujourd’hui », dit le cuisinier. « Demain on ferme, lui dit la patronne, avec le temps qu’ils annoncent, et puis c’est la Foire de Lessay. »
Je reviens au TéVéBé à midi pour déjeuner d’une moule frites à quatorze euros cinquante après avoir réussi à m’envoyer ma dictée de début de texte du jour. « On va ravoir de l’eau », dit-on au comptoir. « Ils sont tous à Lessay, c’est la plus grosse foire de France », ne cesse de répéter Céline la patronne.
Ils n’y sont pas tous puisque arrive un groupe de douze avec trois poussettes, des jeunes qui sont dans des mobil-homes et qui souhaitent boire quelque chose. Je les ai pour voisins le temps de terminer mes toutes petites moules. Heureusement, les mères savent endiguer l’énergie de leurs descendants. Les pères boivent des pintes. Il est question des comptes, comment qu’on va partager les frais.
Il pleut vraiment quand je ressors mais c’est sous un soleil réapparu que je m’installe à la terrasse abritée du Pirate pour un café verre d’eau lecture. Près de moi, un couple organise son futur mariage. « On apprécie les traditions mais on a un côté artiste ». « Jaquette ou trois pièces ? » Le vendredi premier mai mil neuf cent quatre-vingt-sept, à Besançon où il fait un temps magnifique, Jean-Luc Lagarce dans son Journal écrit : Déjeuner seul, terrasse. Vie bourgeoise délicate et solitaire. S’ennuyer ferme. Pour ma part, jamais je ne m’ennuie avec moi-même.
En fin d’après-midi, je fais une balade de vieux sur la Promenade du Plat Gousset, sous un demi-soleil, avant que ne se concrétise ou non l’alerte orange pluie inondation claironnée par Météo France. La saison n’est pas tout à fait terminée. Quelques cabines de plage sont ouvertes. Leurs locataires sont installés devant, dans des transats, souvent un livre à la main. Ils ne voient pas la mer, cachée par le muret, simplement qui passe et il en passe. Au-dessus de la Ville Haute un nuage noir attend son heure.
                                                                           *
L’Abbé Pierre et ses turpitudes. Pour agir ainsi pendant des décennies, il faut qu’il ait été sûr d’une chose : Dieu n’existe pas.
 

7 septembre 2024


Ce vendredi la pluie ne devrait pas être présente, aussi après avoir petit-déjeuné au Derby, je monte dans le bus gratuit Néva numéro Deux, direction Saint-Pair-sur-Mer. J’en descends à l’arrêt Centre Bourg, non loin de l’église pointue. Un passage au Crédit à Bricoles où je côtoie des gens du cru à accent prononcé puis je descends vers la mer en longeant le Casino. Il y a peu à faire : une courte promenade dite du Coucher de Soleil.
Le soleil fait une timide apparition quand je remonte au bourg. Je m’assois à la terrasse de L’Encre Marine qui en bénéficie. Le serveur me renseigne sur où manger à Saint-Pair. C’est réduit : le Casino, une crêperie, un restaurant gastronomique et le poissonnier Philippe qui fait quelques plats. Ce café diffuse de la musique propice à la lecture. Elle va de la bande originale d’In the Mood for Love à Nat King Cole chantant en espagnol.
Le soleil disparaît. Il fait presque froid. Cela m’amène à retourner à Granville où dans le Port des pêcheurs bricolent sur leurs bateaux à défaut de prendre la mer. Au Cabestan où je choisis de déjeuner en terrasse, la patronne m’apporte en guise de carte une tablette. « Je ne sais pas me servir de ça », lui dis-je. « Oh, c’est comme un portable. » « Je n’en ai pas. » Elle me la laisse quand même. La formule du jour est affichée prés de la porte d’entrée : cake au chorizo et roussette sauce cajun, quinze euros cinquante. Je demande à la jeune serveuse, qui prend ma commande à l’ancienne avec papier et crayon, ce qu’est une roussette.  « Un petit requin. » Diantre ! Un couple à chien est à ma gauche. Elle, quand il aboie : « Avant tu disais rien. On va plus t’emmener au restaurant ».
Mon repas fini, je décide de rejoindre La Rafale par la rampe de Monte-à-Regret. Ça se fait facilement. Fini le temps où j’étais asphyxié à la moindre grimpée.
La terrasse de La Rafale est agréable, sans voitures à proximité. Le soleil est revenu. La clientèle en majorité bobo baba : « Se poser un peu avec Séb, partir en voyaaage … » « On a deux concerts à faire et le contrôle technique de la voituuure. » « Un chien ça dure dix ans, des enfants c’est toute ta vie » (une qui hésite). Une habituée arrive avec son coussin, les chaises métalliques ça fait mal au cul. Une jeune femme vient emprunter le briquet de mon voisin qui lit une bande dessinée. « Ah oui, les bédés ça passe mieux, lui dit-elle, parce que les bouquins, pff … » (me regardant).
Au fil de ma lecture, tiens Lagarce lit Amours de Léautaud, le ciel redevient gris et la température fraichît. Je lève le camp, un passage dans l’armoire et, par le sentier du littoral et l’escalier de compétition, je rentre à mon Air Bibi où je dicte mon texte du jour, oui mais cette fois, impossible de le recevoir dans ma boîte mail.
                                                                         *
Un nom et une date en page de garde de mon exemplaire du Journal de Jean-Luc Lagarce : « Joël Ochoa 6 mars 2008 ».
Via Internet, j’apprends qu’un Joël Ochoa est mort en mai dernier. Cela pourrait expliquer que j’aie trouvé ce livre d’occasion chez Gibert en juillet. Il avait soixante-treize ans. Mon âge. C’est aussi l’âge de celui qui est devenu Premier Ministre de Macron avec l’autorisation du Rassemblement National.
 

6 septembre 2024


Le vent et la pluie toute la nuit rendent celle-ci peu propice au sommeil. Le vent surtout qui se rue sur ma fenêtre côté mer, s’engouffrant dans l’espace entre Le Normandy et l’Hôtel des Bains lequel se vante sur son mur d être « ouvert toute l’année ».
Il pleut toujours quand je vais à la Boulangerie du Casino. Le Grand Café est presque prêt à huit heures vingt. Une femme termine de passer l’aspirateur. « Je voulais vous dire, des pains au chocolat, on en a ici », me dit l’un des serveurs. « J’aime bien passer à la boulangerie », lui réponds-je. « Oui, mais nous on les fait, alors en principe on n’accepte pas ceux achetés ailleurs, mais pour ce matin pas de souci. » Quand j’ai terminé, vu le mauvais temps, je reste un bon moment à lire le Journal de Lagarce et comme j’ai horreur qu’on me force la main, c’était mon dernier petit-déjeuner au Grand Café.
A dix heures trente, je me pointe avec mon smartphone chez Clinic Phone qui rouvre ce jour après des vacances. Devant moi deux gus, père et fils, chacun ayant crevé à l’arrière avec sa trottinette électrique. Quand c’est mon tour, l’aimable commerçant éteint puis rallume l’objet, ce que je ne sais pas faire. Il fait un essai de micro, ça marche. Peut-être un problème lié à la dernière mise à jour. « Je vous dois quelque chose ? » « Votre reconnaissance ». « Je n’oublie jamais les gens qui m’ont rendu service », lui dis-je.
Cet iPhone ne reste jamais dans ma poche ou mon sac à dos. Aussi je le rapporte à mon logis provisoire. Ce faisant, dans l’escalier étroit, je me rencontre pour la première fois avec l’occupante de l’Air Bibi d’à côté du mien. Nous ne pouvons nous croiser, de près, que sur l’un des paliers. Je ne l’imaginais pas ainsi, jeune et jolie.
Jeune et jolie est aussi la serveuse du Pirate qui m’apporte un café verre d’eau en terrasse avec vue sur les voitures. Un peu de Lagarce et je file jusqu’à Au Tout Va Bien, mon café emblématique, où je déjeune d’une quiche au thon et d’une andouillette avec frites à la petite table du coin, voisinant avec les gars du Port qui ne sont là que pour boire et discuter. L’Administration en prend pour son grade.
C’est le moment d’aller faire quelques photos de bateaux de pêche et de la Ville Haute vue d’en bas puis je m’assois sur un banc sous le ciel lourd et rouvre mon livre.
Quand la pluie menace à nouveau, je regagne le centre de la ville et trouve place au Grand Café pour boire un café et lire. C’est l’heure à laquelle les serveurs dirigent ceux qui veulent manger vers le kebab, là-bas, un peu plus loin. « Cette averse qu’on va se prendre », pronostique l’un d’eux. Effectivement. Plus qu’à la laisser passer.
                                                                          *
J’étais dans ma maison et j’attendais que la pluie cesse. (Variation sur un titre de Jean-Luc Lagarce)
 

5 septembre 2024


Je connais Granville. J’y suis déjà venu seul et aussi avec celles qui me donnaient la main. Pourtant, j’ai du mal à y circuler sans m’égarer. Ce n’est pas une ville lisible.
Quand même, ce mercredi main, mon pain au chocolat acheté en face de ma porte de sortie à la Boulangerie du Casino, je retrouve aisément Le Grand Café qui se définit lui-même comme la « brasserie emblématique de Granville ».
Las, il devrait être ouvert mais ne l’est pas. L’homme à l’intérieur sort pour me dire que c’est trop tôt, la mise en place n’est pas faite. « J’ai lu que vous ouvrez à huit heures. » « Oui c’est vrai mais là on n’est pas prêt, la saison est terminée ». « Bon, je vais retourner au Derby. » « C’est bien aussi », me dit-il. « Oui mais ils écoutent Nostalgie. » « C’est vrai, qu’est-ce que vous voulez prendre, un café ?  Allez-y, entrez. »
L’endroit est chic avec vaisselle au nom de la maison. On y entend aussi de la musique mais c’est une liste à jouer sans publicités. L’allongé est à un euro soixante-dix. Il est huit heures vingt quand tout est prêt et qu’arrive le deuxième client, un homme à mobilité réduite. Il n’en manque pas à Granville, rapport au voisin de droite de mon studio Air Bibi, Le Normandy « Médecine Physique et de Réadaptation », devant lequel se relaient taxis et ambulances.
Comme il ne pleut pas, je prends l’escalier de compétition qui permet d’accéder à la Ville Haute. J’y suis le chemin de ronde, lequel, après le phare, devient un vrai sentier de randonnée menant à la pointe du Roc qui évoque la côte bretonne.
Il pleuviote quand je reviens vers l’église située au centre de cette Ville Haute. J’y entre m’abriter en attendant qu’elle sonne dix heures. Un jeune père y promène son enfançon en landau.
La cloche ayant retenti, je rejoins La Rafale, le seul café d’en haut, lui aussi emblématique, connu notamment pour sa convivialité et ses soirées qui s’achèvent à deux heures du matin, et où je suis venu avec celles qui me tenaient la main. Il vient d’ouvrir, comme indiqué. Déjà des locaux y sont. J’entre dans l’armoire qui donne accès aux toilettes puis je m’installe à une table de la première salle pour un café à un euro quarante. J’entreprends de lire le Journal de Lagarce, ce qui n’est pas chose facile car là aussi il y a de la musique. De plus, les présents s’interpellent de table en table par-dessus ma tête. On parle enfants, insomnies, maladies. «  C’est pour ça qu’on sort, c’est pour parler, on n’est pas des sauvages », déclare l’une. Je ne sais si je dois me sentir viser. « Personne est comme on voudrait qui soit », ajoute une autre. Vers onze heures et demie, je me retrouve soudain seul. Malheureusement, la gérante augmente le volume de la musique, comblant le vide avec du bruit, ce qui me décide à partir.
Je descends sur le Port par la rampe de Monte-à-Regret puis retourne au Grand Café pour déjeuner de la formule à dix-huit euros : wrap thon concombre et pavé de saumon rôti riz à la provençal (sic) crème de poireaux (hier à The Tender Bar, la serveuse annonçait le pavé de saumon comme « la pêche du jour »).
Ce déjeuner terminé, je vais m’asseoir sur un muret au Plat Gousset où c’est la guerre entre les pique-niqueurs et les goélands et je retrouve Lagarce. Une lecture que je vais poursuivre au Derby car la pluie revient, se transformant bientôt en un déluge qui emplit de clientèle ce troquet non emblématique. Un bébé qui braille couvre le son de la radio.
                                                                            *
« La saison est terminée », un propos entendu plusieurs fois depuis mon arrivée, destiné à justifier un certain relâchement.
                                                                            *
Je me pose parfois quelques petites questions sur ma présence ici, le vide de mon existence, mais n’est-ce pas toujours ainsi que les choses se passent ?... (Jean-Luc Lagarce, Journal, jeudi treize décembre mil neuf cent quatre-vingt-quatre)
 

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