Le Journal de Michel Perdrial

Le Journal de Michel Perdrial




Loïc Boyer
Je suis l’auteur de textes courts qui furent publiés depuis mil neuf cent quatre-vingt-quinze dans des revues littéraires en France (Supérieur Inconnu, Supplément d’Ame, Nouvelle Donne, Le Bord de l’Eau, Pris de Peur, l’Art du Bref, Sol’Air, Gros Textes, Salmigondis, Verso, Décharge, Bulle, Filigranes, Diérèse, Martobre, Comme ça et Autrement, (Cahier d’) Ecritures, La Nef des Fous), en Belgique (Traversées, Ecrits Vains, L’Arbre à Plumes, Inédit Nouveau, Bleu d’Encre), au Canada (Les Saisons Littéraires) et en Italie (Les Cahiers du Ru).
Les courageuses Editions du Chardon ont publié en mil neuf cent quatre-vingt-dix-neuf Erotica, un recueil de vingt-huit de ces textes, illustré par Isabelle Pio et Antoine Lopez et préfacé par Sarane Alexandrian, toujours disponible auprès de moi.
Je suis également l’auteur d’une pièce de théâtre et de plusieurs romans ou récits à ce jour inédits.
Depuis le onze novembre deux mille six, je publie mon Journal via Internet, un temps sous-titré Persiflages, moquages et autres énervages mâtinés de complimentages et de contentages. Sa première partie est lisible chez Eklablog, la deuxième ici.
Je vis au centre de Rouen dans un ancien monastère où autrefois les Sœurs de la Miséricorde se vouaient à l’éducation des jeunes filles.







Rss

16 septembre 2024


Ce dimanche matin on dirait que Le Derby a ouvert spécialement pour moi. Jusqu’à ce qu’arrivent des commerçants de la rue qui viennent cancaner sur qui achète une case vide. Le boucher : « Du moment que ce soit pas un boucher. »
Le soleil semble assuré. C’est le moment de faire par beau temps le tour de la Ville Haute en passant par la Pointe du Roc. Je rejoins le Port et monte à cette Ville Haute par l’escalier des Noires Vaches sans en croiser une seule. Je prends alors le sentier du littoral dans le sens opposé à la fois précédente. Je suis assez vite devant la statue du hardi corsaire Georges-René Le Pelley de Pléville, dit le Pirate, sabre au clair, prêt à en découdre, le regard dirigé vers la mer. Arrivé au bout du Roc, je me chauffe un moment au soleil sur le banc en observant un pêcheur qui a l’air de se demander ce qu’il fait là. Sur la mer se succèdent des embarcations. C’est le jour où l’on sort son petit bateau à voiles ou à moteur direction Chausey.
Revenant côté nord, je prends la rue de l’Egout et m’assois en terrasse à La Rafale en espérant que le soleil montant atteindra assez vite ma table. Dans ce café de la convivialité, les serveurs et l’une des serveuses désormais me tutoient. La clientèle du dimanche est la même que celle du Son du Cor le même jour : des regroupements boboïsants aux conversations futiles ponctuées par des rires automatiques. Le passage d’une camionnette à haut-parleur excite les enfants : «  On se réserve le cirque à Granville aujourd’hui. Le spectacle est à seize heures, parking de Monsieur Bricolage. De la cavalerie, des clowns et des acrobates. Venez vous distraire et vous divertir. » Je passe un moment à m’interroger sur la différence entre se distraire et se divertir.
Je déjeune au Pirate qui propose son menu du jour même le dimanche : terrine de saumon, filet d’aiglefin, mousse au chocolat, en terrasse un peu ensoleillée, entre deux vieux couples ou du moins deux couples de vieux n’ayant absolument rien à se dire, ce qui est fort reposant.
Je suis de retour au même endroit vers quatorze heures trente pour un café lecture. C’est ainsi que j’arrive au bout du premier volume du Journal de Jean-Luc Lagarce. Plus vite que voulu à cause du temps médiocre des douze premiers jours de mon séjour granvillais et je n’ai pas le second. Heureusement, c’est un livre que l’on peut relire illico.
                                                                *
Ces couples qui passent avec un chien. Ils n’ont qu’un sujet de conversation : la bestiole. J’en conclus que s’il n’y avait pas cet animal, ils ne seraient plus ensemble.
                                                                *
Une plaie des dimanches, les troupeaux de motards.
 

15 septembre 2024


Même car Nomad ce samedi matin dont je descends à Jullouville, entre Saint-Pair et Carolles, à l’arrêt Office de Tourisme. Une longue balade le long de la plage sur la Promenade François Guimbaud bordée de villas plus ou moins remarquables. Ici on met les canots et les petits voiliers à l’eau avec l’aide de tracteurs et on se fait traîner en sulky par des chevaux le long de la mer. Les cabines de plage en sont vraiment, posées sur le sable en contrebas de la Promenade, pas récentes, murs en fibrociment et toits ondulés.
C’est à Jullouville qu’Eric Rohmer tourna Pauline à la plage. Il a droit à une petite plaque commémorative entre deux poubelles. Cela me fait songer à celle qui porte le prénom de l’héroïne du film et que j’appelle la plus rohmérienne des Rouennaises. Laquelle semble m’avoir rayé de ses petits papiers sans que je sache pourquoi. Elle était pourtant heureuse de boire un café ou un verre de Tariquet avec moi. Notamment au Son du Cor où nous avions fait connaissance un jour où elle offrait ses jambes au soleil. Nous avions de bonnes conversations. Elle me disait toujours à très bientôt, même si on se voyait peu souvent. Et puis plus rien alors qu’elle sait où me trouver et à quelle heure. Elle n’a pas répondu au message que je lui ai envoyé il y a bien longtemps. Je n’ai pas récidivé, ce n’est pas dans mes mœurs.
J’écris cela à La Paillote, un café restaurant de plage qui porte bien son nom, après avoir bu un café à un euro soixante que m’a apporté un patron fort aimable, ce qui n’est pas souvent le cas dans ce genre d’endroit. J’y lis ensuite le Journal de Lagarce, non sorti de mon sac hier. A une autre table, quatre profs débutantes en congé parlent de leurs élèves. Comme elles s’en vont, je m’attarde à cette seule terrasse avec vue directe sur la mer que j’ai trouvée depuis mon arrivée. De nombreux pièges à guêpes signalent leur potentielle présence mais celles-ci, comme les familles, ne sont pas encore levées.
De retour dans la rue principale, je réserve une table en terrasse à l’Hôtel des Pins qui propose en plat du jour un chili con carne à treize euros cinquante, puis je vais attendre midi sur le seul banc déjà au soleil de la Promenade, sous une pendule et des caméras de surveillance. Je regarde qui passe, dont un Umberto, c’est un chien, des quantités d’autres font de même, dont j’ignore le prénom. C’est toujours pareil, quand deux couples d’amis se promènent ensemble, les hommes marchent devant (parlant par exemple d’œnologie) et les femmes suivent (parlant par exemple de relaxation). Un moutard : « Il est où le Mont-Saint-Michel ? » Son père : « Caché derrière » (l’obstacle : les falaises de Carolles). Un couple de vieux lit la longue liste des animations de juillet août (on n’anime les lieux que lorsqu’ils sont déjà animés par la foule).
Une terrasse paisible que celle de l’Hôtel des Pins, au soleil, avec peu de clientèle et une seule guêpe. « Depuis 1883 », est-il écrit sur les vitres. Je me contente du chili con carne, le reste étant cher. Le dessert, je me le procure à la boulangerie Romain Marie « Maison fondée en 1948 », une tartelette aux abricots à deux euros cinquante. Je la mange face à l’immensité bleue.
                                                                *
Le patron de La Paillote résumant la saison : « Juillet rien. Août trop. »
                                                                *
La phrase du jour : « Là, c’est vraiment le temps de septembre. »
 

14 septembre 2024


Plus de fort vent nocturne, il faut se réhabituer au silence, lequel n’est pas forcément propice au sommeil. Le ciel est clair à mon lever. C’est enfin le jour pour aller à Carolles.
Je remonte la rue Couraye, achète un pain au chocolat chez Robert la Flûte Gana et arrive pour l’ouverture, à sept heures trente, au Café de la Gare. Des habitués, qu’on pourrait qualifier de permanents, aident le patron à installer tables et chaises puis se chamaillent méchamment, tout en s’offrant des cafés. Deux filles détonnent, élégamment vêtues et un peu snobs, qui veulent un thé en terrasse.  « Des gonzesses qui viennent de Paris », suppute l’intérieur d’un ton méprisant.
Le car Nomad Trois Cent Huit part à huit heures trente-cinq de la Gare de Granville et va jusqu’au Mont-Saint-Michel, un lieu où je ne veux pas retourner. J’achète une carte dix voyages de proximité à quinze euros au chauffeur qui m’apprend que les arrêts ne seront pas annoncés. Il me déposera à Carolles, à la Mairie, au lieu de la Salle des Fêtes, pour cause de travaux. Une dizaine de voyageurs me tiennent compagnie, dont les deux « Parisiennes » qui vont au Mont-Saint-Michel.
Après Saint-Pair et Jullouville, le car s’enfonce dans une campagne de maisons en pierre et de croisements difficiles avec les voitures. Comme prévu, le chauffeur m’arrête à la Mairie de Carolles. Je me dirige vers la belle église de pierre, en fais une photo, vais un peu plus bas réserver une table au Logis Hôtel Auberge de Carolles, emprunte la rue principale et demande à une autochtone comment aller à la Cabane Vauban.
Il y a davantage de route à parcourir que je pensais avant d’arriver à un chemin qui mène promptement à cette Cabane Vauban. Elle est bien là, semblable à elle-même. Je me souviens de l’émotion de qui m’accompagnait en découvrant au loin le Mont-Saint-Michel et Tombelaine. Je me souviens aussi d’un coït champêtre sous le soleil exactement.
Je marche un peu sur le chemin de randonnée, direction Jullouville, puis reviens sur mes pas, rattrapé par un groupe de marcheuses et marcheurs à bâtons, un homme en tête, une dizaine de femmes papotant bruyamment derrière et enfin cinq hommes se taisant. Revenu à la Cabane Vauban, je m’assois sur le banc d’où l’on voit le Mont et écris ce qui précède.
De retour au bourg, ayant omis de demander au chauffeur de l’aller si l’arrêt du car de retour est aussi devant la Mairie, je vais me renseigner à l’intérieur de celle-ci. Une aimable fonctionnaire territoriale me rassure, c’est bien là.
On commence à servir à douze heures quinze à l’Auberge de Carolles. Le menu du jour se compose d’une terrine de campagne, d’un pluma de porc frites maison sauce camembert, d’une tarte fine aux pommes et d’un café. C’est la première journée de beau temps depuis le début du mois.  Je choisis de déjeuner en terrasse. Celle-ci est campagnarde à souhait. Un autre client seulement, loin de moi, mais ma tranquillité est mise à mal par quelques guêpes. Le plat et le dessert sont fort bons, dix-huit euros le tout.
Pour rentrer, je réussis à attraper le treize heures seize car il est un peu en retard. Pas loin de moi, un jeune homme au téléphone parle d’un ami à lui : « Il couche avec Sarah et il se marie avec Lucie. » De la Gare, je rejoins le Plat Gousset avec un bus Deux.
C’est l’heure d’aller se montrer sur la Promenade. Un le fait dans les airs, suspendu à un parapente. Ayant décollé près du cimetière marin, il remonte le Plat Gousset jusqu’à la Ville Haute et revient à son point de départ.
                                                                  *
Sur le chemin douanier de Carolles, la reproduction d’un tableau représentant la Cabane Vauban peinte par Louis Valtat, né à Dieppe.
                                                                  *
Sur le clocher de l’église de Carolles, une plaque « Horloge donnée en 1901 par Gaston Fabien Arnaud-Jeanti ». C’est gentil.
                                                                  *
Si j’avais su qu’il fallait marcher autant entre le bourg de Carolles et sa Cabane Vauban, j’aurais renoncé. Il vaut mieux parfois ne pas savoir. (maxime du jour)
 

13 septembre 2023


Du vent bruyant qui cesse brusquement vers quatre heures du matin. Du frais quand je traverse la rue pour acheter un pain au chocolat à la Boulangerie du Casino. Au Derby, je suis seul avec Bruno, qui n’est pas le patron comme je l’avais cru le lendemain de mon arrivée, mais un serveur content de partir en vacances dès demain. J’y parcours La Manche Libre, épais hebdomadaire comme on n’en fait plus guère.
Ce jeudi matin, je décide d’explorer les allées du Cimetière Notre-Dame. Pour ce faire, je rejoins la Promenade du Plat Gousset et prends l’escalier de compétition en béton qui permet d’atteindre le sentier du littoral.
Je le suis en direction de Donville-les-Bains. Assez vite, ce sentier est fermé pour cause d’éboulement. Il faut traverser le Jardin Christian Dior, lequel ouvre dans dix minutes. Je les passe assis sur un muret à regarder la mer. Le jardin traversé, j’en sors par une petite porte latérale que l’employée municipale qui les ouvre toutes à l’heure pile m’a indiquée. Cette porte donne directement dans le cimetière qui domine la mer.
Des pancartes indiquent les célébrités enterrées, lesquelles sont (ou étaient) surtout connues localement : marins, armateurs, industriels, militaires, un peintre académique élève de Gérôme (Maurice Orange), un avocat né d’une femme mystérieuse rencontrée par son père au Cap de Bonne Espérance. Le seul mort du cimetière de Granville que j’ai envie de visiter est Richard Anacréon. Je trouve tout en bas sa banale pierre tombale aux fleurs artificielles décolorées.
Un sentier de randonnée qui traverse un cimetière, ça lui donne de la vie. Par la petite porte du bas, je retrouve face à la mer mon banc de pierre d’hier. Je m’y fais chauffer le dos par un soleil intermittent
Retour chez les vivants à l’intérieur du Au Tout Va Bien, Céline au téléphone : « Non non, c’est bon, je suis un commerce, j’ai besoin d’un Internet qui marche, si c’est pour qu’ils m’envoient des branquignols, la fibre vous pouvez vous la garder. » Salade de pommes de terre et poulet au curry constituent mon déjeuner du jour. A l’issue, le patron récupère ma table pour l’adjoindre à deux autres. Dix du Crédit à Bricoles vont bientôt arriver.
Une drachette accompagne ma montée vers La Rafale, due à un foutu nuage noir vite passé. Je m’installe à la table de la terrasse qui garde le soleil le plus longtemps. Mon café bu, j’y poursuis la lecture du Journal de Jean-Luc Lagarce gêné par le voisinage de gens du cru parlant de sortie en mer et de jardin partagé. Heureusement, elles et eux partent travailler à quatorze heures mais peu après une autre drachette me chasse.
Par le chemin de ronde, je vais m’abriter au Pirate où l’on affirme que ça ne va pas durer, à quinze heures retour du soleil. C’est la météo marine qu’il faut regarder. Il en est ainsi.
                                                                          *
Je passe toujours plus de temps dans les cimetières qu’à la plage.
                                                                          *
Une scène du film d'Yves Robert Nous irons tous au paradis avec Jean Rochefort, Claude Brasseur, Victor Lanoux et Guy Bedos a été tournée dans le cimetière marin de Granville.
                                                                          *
Les Mystères de Granville. Disparition de la boîte à livres du Plat Gousset. Enlevée avec son contenu comme une vulgaire cabine de plage ?
 

12 septembre 2024


Vers deux heures du matin le vent se remet à souffler à plein bruit contre ma fenêtre côté mer, un bruit qui me rappelle celui que fait un train de fret quand il traverse une gare, un train de fret qui n’aurait pas de fin. Quand même, je réussis à me rendormir. Je me réveille vers six heures quand passe la première balayeuse, dont le bruit dépasse celui du vent.
Après mon petit-déjeuner au Derby, je prends ce mercredi le bus Néva numéro Deux de huit heures cinquante-cinq en direction de Donville-les-Bains. J’en descends à l’arrêt Mairie. Tout près est Le Bistroquet où je retiens une table pour midi puis je vais voir l’église d’architecture contemporaine.
Il faut descendre assez longtemps dans le bourg pour atteindre le bord de mer. Une longue digue bordée de mignonnettes cabines de plage permet de marcher le long de la plage puis de revenir.
Je marche ensuite sur le sentier côtier qui va vers le Plat Gousset jusqu’au Cimetière Notre-Dame. Je m’assois sur un banc de pierre avec en face Chausey que je devine et à bâbord la Ville Haute. J’écris là le récit de ce début de journée tandis que le ciel qui laissait voir du bleu devient de plus en plus gris.
Direction Le Bistroquet où je bois un café à un euro quarante puis lis en attendant qu’il soit midi. Ce petit café est tenu par un jeune couple, elle prénommée Lolita, ce qui fait toujours bizarre. La clientèle de comptoir est  locale. L’un annonce que c’est son anniversaire. Personne ne le lui souhaite.
La salle de déjeuner est à l’arrière. Lui est en cuisine et elle fait le service. Au menu du jour à quinze euros quatre-vingt-dix : terrine forestière, jambon braisé sauce normande et moelleux au chocolat.
Il y a eu ici autrefois un buffet d’entrées mais c’est fini tout ça. Hormis la tranche de pâté, tout est mauvais. Le jambon est mince, sa sauce immonde, les frites sèches. Le pain est décongelé. Le service traîne. Je me passe donc de dessert et file régler une addition exagérée. Le Bistroquet de  Donville-les-Bains ne me reverra jamais.
J’attends le bus sur un banc devant la coquette Mairie. Arrivé à Granville, je monte boire le café et lire en terrasse à La Rafale, à peu près à l’abri du vent et au soleil durant ses brèves apparitions. A partir de quatorze heures dix, par la faute de l’immeuble du Tabac Presse Carterie trop haut d’un étage, le soleil disparaît définitivement.
                                                                  *
Propos de clientes du Bistroquet qui parlent par expérience : « Il vaut mieux avoir des gendres que des belles-filles. »
L’autre jour, au Tout Va Bien, une quinquagénaire disait à une plus jeune qu’elle qui voulait avoir un enfant : « Un garçon, c’est mieux. Les garçons, ils sont toujours gentils avec leur mère. »
 

11 septembre 2024


Le vent ayant changé de direction, je peux dormir correctement dans mon studio Air Bibi. A mon lever, il fait gris comme à l’habitude. La pluie est encore annoncée. En bonus, un froid de début d’hiver est promis pour les jours à venir.
Ce mardi matin, j’attends au Derby l’ouverture à neuf heures du Jardin Christian Dior. Le moment venu, au bout de la Promenade du Plat Gousset, je prends un sévère escalier et m’apparaît, au centre de ce jardin public, l’élégante maison qui fut celle du petit Christian et qui abrite maintenant le Musée Dior (ce Musée ouvre plus tard et je n’ai pas envie de le visiter). Je découvre ensuite, n’étant jamais monté jusqu’ici, la pergola, le labyrinthe, la roseraie, etc. Comme je suis seul en ce lieu, je peux m’amuser comme je veux avec les carillons tubulaires (ça doit avoir un nom). Une photo de Christian quand il était enfant est présente dans l’une des allées (un peu tête à claques) et, prés d’une mosaïque circulaire, un buste du même (au temps de sa splendeur couturière). Au moment où j’ai fait le tour arrivent une maîtresse et ses élèves, ainsi qu’une brouillasse.
Je redescends. La piscine d’eau de mer qui était attaquée par les vagues de la marée montante à l’aller est désormais invisible. Seuls dépassent encore, plus pour longtemps, les plots d’où l’on plonge (ça doit avoir un nom).
Je rejoins Le Grand Café pour un petit café verre d’eau et lire le Journal de Lagarce. En mil neuf cent quatre-vingt-huit, celui-ci apprend qu’il est séropositif : Ça va être parfait comme lecture ce journal. Vous devriez résilier votre abonnement avant qu’il ne soit trop tard.
Au Tout Va Bien s’abritent des marins qui disparaissent à midi quand arrivent les déjeuneurs dont je fais partie. Pour moi c’est terrine normande et rôti de veau farci.
Le café encore une fois au Pirate, apporté par la jolie serveuse au petit défaut de dentition (c’est ce qui fait son charme). Un couple au moment de payer s’épanche auprès de la caissière : « On est du Maine-et-Loire. On est en caravane. On va repartir demain parce qu’avec ce temps… »
                                                                       *
La bande-son du Grand Café ce mardi matin, de Buena Vista Social Club à Oxygène avec un détour par Anarchy in the UK.
                                                                       *
Ouest France, un journal trop grand pour être lu dans un café.
                                                                       *
Des touristes qui ne doutent de rien : « Mais oui, j’te l’dis : y a un train direct de Granville au Mont-Saint-Michel. »
                                                                       *
La villa Les Rhumbs, qui doit son nom au terme de marine désignant les trente-deux divisions de la rose des vents, fut achetée par les parents de Christian Dior en mil neuf cent six. Le futur couturier y vécut jusqu’à ses cinq ans : la maison de mon enfance... j'en garde le souvenir le plus tendre et le plus émerveillé. Que dis-je ? Ma vie, mon style, doivent presque tout à sa situation et à son architecture. 
 

10 septembre 2024


La nuit est difficile car un vent fort, que je ne sais pas s’il faut qualifier de tempête, s’est mis à souffler le soir venu. Le bruit que cela fait m’empêche de dormir et je crains que les rafales dans ma fenêtre qui a vue sur mer ne la fassent exploser. Je tente de me rassurer en songeant qu’elle a sûrement connu pire. Pourtant, au milieu de la nuit, elle s’ouvre brutalement. Je parviens heureusement à la refermer, et à dormir un peu.
Au matin cela souffle toujours fort. Le temps dégagé annoncé par la météo est remplacé par un ciel gris porteur de pluies. Cela m’amène à changer mon plan, Carolles et sa Cabane Vauban. Ce n’est encore pas un jour à marcher sur la côte.
Mon pain au chocolat acheté chez Robert la Flûte Gana, je redescends la rue Couraye et trouve ouvert le bar-tabac La Civette où le café allongé est à un euro cinquante. Trois petites tables en terrasse, une à l’intérieur où je me suis assis et trois tabourets de bar, mais il y a une salle en haut, me dit la patronne qui est à la fois bavarde et curieuse. Qu’est-ce que je viens faire à Granville ? « On est ouvert tous les jours de l’année, même le jour de Noël », me dit-elle puis elle tente de me faire commander un autre allongé. « Foire de Lessay un dimanche sous la pluie », c’est l’affichette d’Ouest France qui a le sens de l’observation.
Il pleut à nouveau. Je décide de retourner avec le bus Deux à Saint-Pair où il y aura au moins un café pour m’abriter.
Il pleut encore plus à l’arrivée, direction L’Encre Marine pour un allongé suivi d’une lecture. Depuis mon arrivée dans la Manche, rapport au temps qu’il fait, je lis bien plus que je ne voudrais. J’ai dépassé la moitié du premier volume du Journal de Jean-Luc Lagarce et je n’ai pas emporté le second pour raison de poids.
De retour à Granville, la pluie ayant vaguement cessé mais pas le vent fort, je vais voir la mer, cette fois déchaînée contre la Promenade du Plat Gousset. Je tente d’en faire quelques photos significatives puis je vais voir ce que Le Pirate propose à midi. Hélas, c’est le même menu depuis trois jours.
Je vais donc au Cabestan, sur le Port de Pêche, mais avant que j’aie passé commande, arrive un groupe de dix jeunes adultes avec dans des poussettes quatre exemplaires déjà énervés de Génération Cinquante. Ils ont table à côté de la mienne. Je demande à la serveuse si je peux en avoir une autre. Elles sont toutes réservées. « J’aimerais déjeuner en paix, lui dis-je, aussi je vais aller ailleurs. » Cet ailleurs n’est pas loin et s’appelle La Bisquine. Je m’y contente d’une pizza napolitaine à treize euros trente.
Le Pirate, j’y retourne vers quatorze heures quinze pour un café lecture à l’intérieur. L’auvent de la terrasse protège de la pluie lorsqu’elle est verticale, pas quand elle est oblique poussée par le vent
Vers seize heures, un brin de soleil me pousse sur la Promenade du Plat Gousset. J’assiste à l’enlèvement de la première cabine de plage par un engin qui la pose sur une plate-forme tirée par un camion. Cette fois, la saison est vraiment terminée.
                                                                     *
Un homme à sa femme : « T’as vu, y en a qui se baignent là-bas dans le lac. » (le lac = la piscine d’eau de mer)
                                                                     *
Cette façon qu’elles et eux ont de se battre pour payer les deux cafés pris ensemble dans un bar, comme s’il s’agissait de faire un immense cadeau à l’autre, alors qu’est en jeu une somme dérisoire.
                                                                     *
De Paul-Jean Toulet, que lit Jean-Luc Lagarce en mars mil neuf cent quatre-vingt-huit : Dans la vie, parfois, il faut savoir manquer un train.
                                                                     *
Lagarce, quand une amie de lycée lui annonce sa séparation d’avec celui avec qui elle était depuis la seconde : En bon Verseau elle fait une plaisanterie détachée. Mais je suis bien placé pour savoir que les plaisanteries détachées des Verseaux ne sont pas toujours pleines d’humour. Je confirme, l’étant également.
Dommage qu’il n’ait pas lu le Journal littéraire de Léautaud, il aurait appris qu’on ne commence pas une phrase par « mais », mot inutile alourdissant le propos.
 

9 septembre 2024


Alerte orange pluie inondation de Météo France pour la Manche à partir de samedi soir. Dans les faits, cela se traduit par de fortes précipitations à partir de quatre heures du matin. Pas de quoi cependant inonder le bas de Granville.
La pluie se calme lorsque vers huit heures je pars à la recherche d’une boulangerie ouverte le dimanche. Il y en a deux rue Couraye, l’artère principale de la ville qui monte à la Gare. J’achète mon pain au chocolat (un euro vingt) à la première rencontrée, Robert la Flûte Gana, puis continue à monter jusqu’à atteindre le Café de la Gare, le seul du quartier ouvert à cette heure. Une clientèle d’habitué(e)s est déjà là. L’une porte sur la tête un plastique translucide comme en mettait ma mère quand elle allait faire ses courses à bicyclette sous la pluie. « On va perdre le tourisme en Normandie si ça continue comme ça » s’inquiète un autre. « Moi je suis de gauche, dit un troisième, mais si j’avais été patron, j’aurais été un enculé. » L’allongé est à un euro quarante.
Ce n’est pas un endroit où lire Lagarce. Je redescends vers neuf heures pour ce faire, malgré Nostalgie, au Derby où la clientèle est quand même un peu moins pénible. Certains ne posent qu’une fesse sur les tabourets du bar. Ils parlent pluie. Ça va se dégager un peu et puis à deux heures avec la marée, ça va revenir.
Ça se dégage un peu en effet. Je saisis l’occasion pour aller marcher sur la Promenade du Plat Gousset. C’est marée haute. La mer est énervée. Elle cogne contre la Promenade et à certains endroits passe par-dessus le muret. Dans la boîte à livres, je trouve Hexagoneries de Roland Bacri, publié chez Seghers en mil neuf cent soixante-seize, avec un dessin de couverture de Kerleroux.
A midi j’entre au Pirate et y commande un burgueur Corsaire (avec fromage de Savoie, jambon fumé, oignons confits, tomate, salade et sauce moutarde) à quatorze euros quatre-vingt-dix. De nombreuses tables sont réservées par la clientèle du dimanche, moitié bourgeoisie locale, moitié tourisme de passage. Ambiance feutrée, musique piano jazzy. Faute de goût, le Coca servi en canette. Premier couple de voisins, elle : « Après, ce que je te propose, c’est de remonter tout doucement. » Second couple de voisins, elle : « Ce soir, on peut manger le melon. » La vie des autres est passionnante.
Dès douze heures trente, il pleut à fond. Je me mets au sec sous l’auvent de la terrasse pour prendre un café et lire Lagarce. Ce faisant, j’assiste au spectacle d’une population arrivant trempée, certaine d’être à bon port et refusée parce que c’est complet.
                                                                         *
Jean-Luc Lagarce, Journal :
Dimanche 2 février 1986
Strasbourg 12h30
Débat public, ici, sur le thème culturel « Quelle écriture contemporaine, pour quel Monde contemporain ? » (sic !) Avec les inévitables intellectuels barbus, anciens dramaturges du TNS, l’auteur qui écrit, mais que personne ne lit et l’acteur-metteur-en-scène-animateur grisonnant, défenseur de la décentralisation.
(…)
Avec dans le public – « Y a-t-il des questions ? » – l’inévitable grosse fille laide qui parle au nom du « peuple » (sic !)  et qui pense que Molière lui, est un auteur populaire, à la différence de ces pièces avec des hommes qui tiennent un verre de whisky… (re-sic !)
A part ça, la ville de Strasbourg dans le froid épouvantable, c’est douloureux et triste. Cela m’émeut et avec ma grippe méprisable, le visage blanc, je songe à fuir vers l’Allemagne…
 

1 2