Le Journal de Michel Perdrial

Le Journal de Michel Perdrial




Loïc Boyer
Je suis l’auteur de textes courts qui furent publiés depuis mil neuf cent quatre-vingt-quinze dans des revues littéraires en France (Supérieur Inconnu, Supplément d’Ame, Nouvelle Donne, Le Bord de l’Eau, Pris de Peur, l’Art du Bref, Sol’Air, Gros Textes, Salmigondis, Verso, Décharge, Bulle, Filigranes, Diérèse, Martobre, Comme ça et Autrement, (Cahier d’) Ecritures, La Nef des Fous), en Belgique (Traversées, Ecrits Vains, L’Arbre à Plumes, Inédit Nouveau, Bleu d’Encre), au Canada (Les Saisons Littéraires) et en Italie (Les Cahiers du Ru).
Les courageuses Editions du Chardon ont publié en mil neuf cent quatre-vingt-dix-neuf Erotica, un recueil de vingt-huit de ces textes, illustré par Isabelle Pio et Antoine Lopez et préfacé par Sarane Alexandrian, toujours disponible auprès de moi.
Je suis également l’auteur d’une pièce de théâtre et de plusieurs romans ou récits à ce jour inédits.
Depuis le onze novembre deux mille six, je publie mon Journal via Internet, un temps sous-titré Persiflages, moquages et autres énervages mâtinés de complimentages et de contentages. Sa première partie est lisible chez Eklablog, la deuxième ici.
Je vis au centre de Rouen dans un ancien monastère où autrefois les Sœurs de la Miséricorde se vouaient à l’éducation des jeunes filles.







Rss

30 septembre 2024


Un lever du soleil bien rose ce dimanche matin et un vent froid pour me cueillir quand je mets le pied dehors. Voici venir le jour d’un dernier tour de Roc. Je le fais dans le sens des aiguilles d’une montre en passant par les ports. Arrivé au bout, je vérifie qu’où l’on soit il y a toujours un pêcheur en action à l’extrémité d’une pointe. C’est un intrépide mais il faut aussi un certain courage pour marcher soumis à tous les vents comme je le fais. J’arrive à La Rafale pour l’ouverture.
Au bout d’une heure, je reprends mon tour, direction mon logis temporaire, par le bien beau chemin du littoral, entre les remparts et la mer, descendant une dernière fois l’escalier du Casino.
Encore un déjeuner au Pirate, encore un menu du jour, encore, une terrine de Saint-Jacques en entrée, mais un bon filet d’aiglefin en plat du jour et une mousse au chocolat honorable qui m’est apportée par un tout jeune apprenti qui semble fait pour le métier. « Les commandes, c’est moi », lui dit le serveur en titre alors qu’il s’apprête à prendre celle de mes voisins, un petit homme à petit chapeau et une femme blonde à ongles pailletés ne sachant quoi se dire à part qu’il faut qu’ils achètent une porte.
                                                               *
La Rafale, dialogue entre une femme et un homme.
Elle : Hier soir, on a bien mangé avec Virginia et sa fille.
Lui : Je les connais ?
Elle : Bah, ton ex-femme et sa fille, tu les connais, non ?
Lui : Je pensais pas à elles. Je savais pas qu’elles étaient là.
                                                               *
C’en est fini de septembre. Un mois de moins avant l’opération de la cataracte. Si elle a lieu à la date prévue car j’ai toujours le problème des paupières qui démangent. Le collyre du médecin n’y a rien fait. Je n’ai pas tenté d’en consulter un à Granville. Une pharmacienne m’a vendu, cher, une pommade qui devait me guérir et n’en a rien fait.
                                                               *
Démonstration est faite : se tenir les pouces à la suisse pour qu’il fasse beau en septembre, ça ne marche pas.
                                                               *
Un mois à Granville et ses alentours, que je connais maintenant parfaitement, à lire et relire dans des cafés de tous les genres, sans que personne ne me demande quoi.
                                                               *
Jean-Luc Lagarce, Journal :
Vendredi 6 avril 1990, Berlin-Ouest.
Tout n’allait pas très fort et je sentais confusément que ce voyage était une totale bêtise, une sorte de fuite, une manière de suicide, littéraire et social – « tout abandonner et vivre très loin » – mais que rien ne résoudrait rien.
Lundi, 9 avril 1990, Berlin.
J’ai en deux ou trois jours un peu trouvé mes marques, un ou deux cafés, et je ne suis pas obligé de sortir mon plan à tous les carrefours.
Samedi 26 mai 1990, Berlin.
Selon la plaisanterie de François (toujours, encore), on m’installe à New York sans carte et sans boussole et huit jours plus tard la marchande de journaux du coin de la rue m’interpelle par un « comme tous les jours, M. Jean-Luc ? » J’ai des circuits et des habitudes.

29 septembre 2024


Après l’animation de la nuit (vent et pluie), j’ai droit à l’animation du samedi matin (les commerçants du marché au bistrot). Je reste quand même au Derby jusqu’à ce que l’averse passe.
Elle finie, un peu de ciel bleu m’incite à faire un tour au Plat Gousset. C’est ainsi que j’assiste à la naissance d’un arc-en-ciel. D’abord se montrent les extrémités puis le demi-cercle complet se forme peu à peu au dessus de la mer. Enfin, un second arc, incomplet et peu visible, apparaît. Je fais quelques photos mais je n’ai pas assez de recul pour mettre les deux en entier dans l’une.
Un que je ne connais pas, mais nous sommes amis du réseau social Effe Bé, lors de mon arrivée à Granville, m’a écrit qu’il faudrait que je passe à la Bouquinerie Anatole. Je n’ai pas eu à chercher où car elle est en bas de mon logis provisoire, face au salon de thé sous l’auvent duquel je me suis abrité en attendant ma logeuse le jour de mon arrivée. De nombreuses fois, je suis passé devant la longue vitrine sans entrer. C’est le jour.
Le samedi, ça ouvre à dix heures trente. Je suis d’abord seul puis avec d’autres dans la boutique mi-ordonnée mi-désordonnée qui présente sur deux niveaux des livres de toutes les époques et de tous les genres. Beaucoup cherchent un acheteur depuis longtemps, semble-t-il, ainsi les œuvres d’Adolphe Thiers. Le bouquiniste qui ne s’appelle pas Anatole est on ne sait où. « Il est pas là Frédéric ? » me demande un nouvel arrivant. « Il est dans le coin mais plutôt dehors », lui réponds-je. L’homme aux cheveux blancs finit par revenir. Il est assailli par une femme qui veut un rendez-vous pour vendre les livres de son défunt père. « Papa était un gros lecteur. » Une autre arrive avec des livres de la Bibliothèque Rose. « Ça ne va pas m’intéresser, j’ai trop de livres en ce moment. » Elle lui demande ce qui l’intéresse. « Les livres que je n’ai pas et les livres qui se vendent, par exemple les vieux albums du Père Castor ». Il y a aussi ceux qui viennent pour bavarder et ceux qui entrent pour s’abriter. Ce bouquiniste semble ailleurs même quand il est là et avec les deux niveaux on pourrait aisément mettre un livre dans sa poche ou son sac. Peut-être qu’à Granville, on est plus honnête qu’à Rouen, où les bouquinistes de Rollon ont dû installer une caméra dans leur sous-sol après des disparitions. Je ressors sans rien, un seul livre aurait pu être pour moi, la Correspondance d’André Masson, publiée par La Manufacture, mais à quarante euros non, et je ne suis plus un voleur.
C’est sous une pluie copieuse que je rejoins Au Tout Va Bien. Il est temps pour moi de goûter aux huîtres de Chausey (direct producteur), les six en numéro trois pour dix euros. Je les fais suivre d’un fish and chips à quatorze euros, fort médiocre.
Médiocre, le temps ne l’est plus l’après-midi. Il fait soleil et doux sur la Promenade du Plat Gousset. Parfait pour le glacier Yver qui, les travaux finis, rouvre ce jour.
                                                                      *
Autre bouquinerie de Granville : Des Mots dans la Poche, rue Couraye. Si j’en parle, c’est en raison de la plaque sur le mur au-dessus de la vitrine. Elle indique que dans cette maison est né Maurice Denis peintre français. Un tableau de lui est exposé au MamRA. La peinture de Maurice Denis est de celles qui ne m’intéressent pas.

28 septembre 2024


Je monte une nouvelle fois l’escalier à rampe de béton imitation bois ce vendredi matin, avant le petit-déjeuner, car un de ma connaissance, spécialiste de l’hôtellerie, m’a envoyé la liste des hôtels d’autrefois de Granville, dans laquelle j’ai reconnu le mien. C’est à l’Hôtel Michelet que, bien accompagné, j’ai passé de belles nuits dans la rue pentue lui ayant donné son nom. Il était au numéro cinq. C’est bien là, je le constate, qu’est maintenant l’Hôtel Mercure Le Grand Large. En regardant mieux, je reconnais dans la partie ancienne le petit Hôtel Michelet et les quelques places où l’on pouvait garer prudemment sa voiture. Une extension a été construite donnant sur la rue adjacente. Dans cette partie nouvelle est l’entrée du Mercure.
Ce mystère résolu, je petit-déjeune au Derby puis, malgré le vent froid, pars à la découverte de ce qu’on appelle ici l’avant-port, qui sert de port à flot aux bateaux petits. Quelques chalutiers rentrent au Port de Pêche quand je passe. L’avant-port est à côté, sans eau à cette heure. Les bateaux gisent dans la vase au soleil. Le vent fort nuit malheureusement à ma balade. Après le chantier naval, je renonce à m’engager sur la digue.
Demi-tour. Je fais une photo de la Maison du Guet située près de l’église de la Haute Ville et qui date du début du vingtième siècle puis je vais me réchauffer avec un café au Tout Va Bien où on est sûr de trouver des pêcheurs qui se plaignent : « On n’a jamais vu ça ! ».  
Un lieu toujours là depuis mes passages bien accompagné, c’est dans la Haute Ville, la crêperie L’Echauguette, rue St-Jean. Si le personnel n’est plus le même, la carte n’a pas changé. On y trouve toujours les gratinées servies dans des terrines. J’opte pour la gratinée tartiflette à treize euros cinquante et la fais suivre d’un délice de pommes tatin au beurre salé à cinq euros trente fait avec la confiture artisanale « les délices de Camille à Bréal », (très peu de « pommes tatin », je le constate). Des couples ou des duos constituent la clientèle, dont deux femmes avec chiens ayant un projet de bar pour ces animaux (comme c’est original), lequel sera ouvert aussi à ceux qui n’en ont pas mais qui veulent en côtoyer (compte sur moi). Elles parlent de bizness plan. Les autres n’ont pas de conversation. C’est un lieu où on s’ennuie un peu.
Je vais boire le café juste à l’angle, à La Rafale, dedans, pour cause de pluie et de vent, à la petite table ronde de l’entrée. Le serveur, jamais vu, me vouvoie et m’appelle monsieur. Je relis là Lagarce puis rentre à mon studio Air Bibi où une nouvelle fois des rafales s’acharnent sur la fenêtre côté mer, une mer roulant des vagues moussues que je n’ai pas le courage d’aller voir de près.
                                                                 *
Au Tout Va Bien, il arrive que les pêcheurs parlent de jardinage, en l’occurrence d’un haricot, le nombril de bonne sœur. « Ça a sûrement un autre nom. » « Oh, ça c’est sûr. »
                                                                 *
Je suis une des rares personnes que Attoun doit vouvoyer… Il tutoie le théâtre français, Patrice (Chéreau), Jean-Pierre (Vincent) ou Jo (Lavaudant), et il reste dans le « Vous-Vieille-France » depuis une malheureuse tentative il y a quelques années (« Et si on se disait tu ? » me dit-il. « Si vous voulez… ») (Jean-Luc Lagarce Journal samedi vingt et un février mil neuf cent quatre-vingt-sept)

27 septembre 2024


Fin de congé ce jeudi pour celui qui conduit la balayeuse de six heures du matin. Impossible à ce moment-là de présumer du temps qu’il va faire. Le ciel est noir de nuit. Quand le jour finit par se lever, l’incertitude règne.
Du soleil d’entre nuages étant annoncé par la météo, je me risque à prendre un bus Néva direction Saint-Pair. S’y épanouissent dix-neuf élèves d’une classe élémentaire qui descendent peu après, comptés par leur enseignante. Ces bus gratuits sont étonnamment peu fréquentés. Toujours j’y suis assis.
Cette fois, je descends à l’arrêt Mairie Ecole d’où je rejoins le bord de mer. La marée est basse. Je peux marcher sur le sable mouillé jusqu’au petit bout de promenade du Casino. Saint-Pair a aussi sa piscine d’eau de mer. Première fois que je la vois. A mes passages précédents, elle était sous l’eau. Un de ma connaissance m’a appris que la Ville de Rouen a eu une colonie de vacances ici. Il y fut moniteur à la fin des années Quatre-Vingt. Le bâtiment, vendu, est devenu un immeuble d’habitation. Bien qu’il m’ait envoyé une photo, je ne l’ai pas retrouvé.
Comme il fait à peu près beau, je vais prendre un expresso verre d’eau au Bar Tabac La Poste dont la terrasse est plein soleil à cette heure. Soudain, une femme vient vers moi. « Alors, on n’est pas à Rouen ? » Devant mon étonnement, elle précise : « J’ai travaillé avec vous à Marie Duboccage. » Une Agente territoriale spécialisée des écoles maternelles (Atsem) que j’ai du mal à reconnaître. Elle est en vacances ici avec une amie et trouve que le monde est petit.
Je rentre à Granville avec le dix heures quarante-neuf et déjeune au Tout Va Bien : salade de boudin noir, blanquette de veau, crème poire au chocolat. Chez les pêcheurs, tout ne va pas bien, on a le vague à l’âme : « Y a plus rien, c’est plumé, archi plumé ». Plus de bulots, plus de homards. Il ne reste que les coquilles. Céline, la patronne, quand ils sont partis, ne se gêne pas pour dire que les coquilles, elles sont plus belles en face. En face, c’est-à-dire à Cancale, chez les Bretons.
Encouragé par le soleil, je monte à la Haute Ville afin de m’établir à la terrasse de La Rafale. Las, le vent souffle ce jour d’une direction qui la balaie. Peut-être tiens-je l’explication du nom de l’endroit. Je renonce et bois le café plus tard à l’intérieur du Pirate juste avant une première drache.
                                                                   *
Le problème ce jour à Saint-Pair : « Je voulais me garer sur la place du Marché mais comme y a le marché. »
 

26 septembre 2024


J’ai visité le Musée d’art moderne Richard Anacréon, le MamRA, seul, il y a fort longtemps. Lorsque je suis revenu à Granville bien accompagné, je n’ai pas pu renouveler, l’ayant trouvé fermé à chaque fois. Là, ce n’est pas le cas. Je m’y présente ce mercredi à l’ouverture, après avoir grimpé l’escalier de la Haute Ville. Il est onze heures.
Une aimable jeune femme m’accueille à qui je paie cinq euros cinquante, plein tarif. Elle me signale les trois expositions, la permanente consacrée à Richard Anacréon, et les deux temporaires, l’une consacrée à la Grande Guerre et l’autre à la vie granvillaise. Je commence par la partie Anacréon, essentiellement des tableaux, et pas seulement ceux qu’il possédait, très peu de livres.
Ce n’était pas ainsi dans mon souvenir mais il est lointain. Quand même, je crois qu’Anacréon ne reconnaîtrait pas son univers, ni son projet. Ses livres doivent être dans les réserves. Je note le portrait d’Anacréon par Edmond Heuzé, un sage portrait de femme par Pascin et La maison de l’artiste à la Naze de Vlaminck. Dans l’expo Grande Guerre, on trouve quelques livres et correspondances, dont une lettre de Georges Duhamel à Paul Léautaud, qui dans son Journal littéraire se moque de ce va-t-en-guerre. Dans la partie Granville, quelques toiles montrent la Haute Ville autrefois et une salle niaise est consacrée au sport.
Toast de guacamole, cuisse de canard rôtie, crème de parmesan, pommes de terre et carottes et quatre quart citron fraise, c’est le menu du Grand Café où je déjeune à midi. A ma droite, quatre collègues et six smartphones sur leur table. A ma gauche, une plus vieille que moi et un livre qu’elle lit entre deux assiettes, chose que je suis incapable de faire.
                                                                                  *
Né dans la Haute Ville, Richard Anacréon quitta Granville à dix-sept ans pour tenter sa chance à Paris. Quelques années plus tard, il entra par hasard dans l’administration du Petit Parisien qu’il quitta pendant l’Occupation Il ouvrit alors une librairie qu’il nomma L’Originale, rue de Seine, et se spécialisa dans la vente d’ouvrages en édition originale. Sa boutique était fréquentée par Valéry, Colette, Jouhandeau, Fargue, Utrillo, Derain, Claudel, Carco, Léautaud, Cendrars, Reverdy, Mac Orlan, Genet, etc.
Dans les années Quatre-Vingt, Anacréon a fait don à sa ville natale de sa collection d’œuvres d’art (Derain, Van Dongen, Vlaminck, Utrillo, Laurencin, Signac, Friesz, Cross, Luce) et de ses livres en éditions rares, notamment ceux contenant des truffes. Car le malin libraire passa des dizaines d’années à obtenir, pour les glisser entre les pages, dessins, courriers, extraits de manuscrits relatifs au livre-réceptacle.
En contrepartie, Richard Anacréon demanda qu’un Musée portant son nom soit créé à la Haute Ville, le quartier de son enfance. Ce fut chose faite en mil neuf cent quatre-vingt-cinq. La totalité de sa collection rejoignit le Musée quand il mourut à l’âge de quatre-vingt-cinq ans en mil neuf cent quatre-vingt-douze.
Depuis, le MamRA continue d’enrichir ses collections, en vente aux enchères, par don ou de gré à gré, et des dépôts permettent de diversifier les collections.
                                                                                 *
Richard Anacréon, un personnage qui m’a été rendu familier par la lecture du Journal littéraire de Paul Léautaud, lequel fréquentait sa librairie, L’Originale, notamment pour y vendre, quand il manquait d’argent, certains des livres avec envoi qu’il avait reçus.
A cette époque où les libraires étaient aussi éditeurs, Léautaud a publié chez L’Originale Journal littéraire Fragment, illustré de quatre eaux-fortes d'André Dignimont, en mil neuf cent quarante-six, puis Souvenir de basoche, avec des eaux-fortes de G. Fournier, en mil neuf cent quarante-huit.
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Paul Léautaud, dans son Journal littéraire en mil neuf cent quarante-cinq :
Anacréon, le libraire de la rue de Seine, me téléphone ce soir. Il a été passé quelques jours dans sa famille, à Saint-Jean-le-Thomas. Il a rapporté pour moi un petit jambonneau, tout cuit, prêt à manger. Je ne peux pas le lui refuser. Il ne voudra pas, naturellement que je le paie. Les gens obligeants, serviables, sont assommants. Il y a longtemps que je juge cette manie comme une sorte de tare.
 

25 septembre 2024


Quand je reviens à mon logis provisoire après mon petit-déjeuner au Derby ce mardi, j’interroge le ciel de ma fenêtre, va-t-il pleuvoir ou non ?
J’ai sous les yeux un escalier dont la rampe est en béton imitation bois. Il permet aux valides de rejoindre l’entrée principale du Normandy (les invalides ont un passage souterrain entre le glacier et le kebabier). J’ai souvent pris cet escalier pour descendre au Plat Gousset avec qui me tenait la main lors de précédents séjours car nous logions dans un hôtel situé un peu plus haut.
Un hôtel que je décide d’aller revoir. Je monte donc l’escalier puis la rue en pente, mais je ne le retrouve pas. Peut-être a-t-il été remplacé par l’Hôtel Mercure nommé Le Grand Large. Je me demande si ce n’était pas le nom de cet hôtel à l’ancienne où les petits-déjeuners se prenaient dans les angles de l’escalier. J’étais loin d’imaginer qu’un jour, devenu vieux, je regarderais d’une fenêtre en face l’escalier à la rampe en béton imitation bois. Cela me rend mélancolique.
C’est un jour à aller relire Lagarce au Grand Café puis à faire des courses chez Utile. A midi, je déjeune encore une fois au café restaurant Au Tout Va Bien : tartelette au canard, rosbif frites et tarte Tatin, puis le temps restant gris mais sans pluie, je monte jusqu’à la terrasse de La Rafale où je suis le seul client durant un bon moment.
La rue de l’Egout est fermée pour travaux. Cela déconcerte les touristes. Vers quinze heures, au moment où je pars, une quinzaine s’installent aux tables voisines. Ils n’ont pas de chance. C’est le moment où les ouvriers de la rue de l’Egout lancent le marteau-piqueur.
Je rejoins le haut des remparts et assiste aux élégantes allées et venues sur fond de nuages gris de quatre parapentistes qui semblent n’être là que pour moi. L’un que je prends en photo quand il passe au-dessus de ma tête allongé sous son aile me salue cordialement.
                                                                          *
Passant souvent devant la Mairie, j’ai fini par voir la banderole qui y est apposée : « Cécile Kohler, enseignante en lien avec le collège Malraux de Granville est otage en Iran, avec son compagnon Jacques depuis le 7 mai 2022. Ensemble pour leur libération ! »
Il fut un temps où les noms des otages français à l’étranger étaient connus de tout le pays. Désormais, on ne semble se soucier d’eux que là où ces personnes étaient connues avant leur séquestration.
                                                                          *
Un de ma connaissance me confirme que c’est bien une goélette que je voyais dimanche matin du chemin de ronde de la Haute Ville. Sa photo, publiée par mes soins sur le réseau social Effe.Bé, montre que ce voilier a au moins deux mats, ce qui est la définition de la goélette. Un autre de ma connaissance m’apprend qu’il s’agissait de la Granvillaise.
« La Granvillaise est une réplique de bisquine construite en 1990 à Granville. C'est un lougre de pêche à trois-mâts, à coque bois et voiles au tiers. », m’explique Ouikipédia.
Fort bien, et qu’est-ce qu’une bisquine et un lougre ?
« Les bisquines sont des bateaux de pêche originaires de La Manche et gréés en « bisquine ». »
« Un lougre est un ancien type de bateau utilisé sur les côtes de la Manche et en océan Atlantique. »
On est bien avancé avec ça.
 

24 septembre 2024


La plus calme des nuits, c’est celle du dimanche au lundi. De plus, depuis quelques jours, la balayeuse ne passe plus à six heures du matin réveiller la clientèle de l’Hôtel des Bains à ma gauche, ni les handicapés du Normandy à ma droite.
Ce Normandy était aussi un hôtel à l’origine. Plus tard, la Gestapo s’y établit, puis Eisenhower. Son usage actuel me donne à réfléchir. Ces corps que l’on déplace comme des colis. J’évite de regarder de ce côté-là. Au petit jour, de jeune employées arrivent d’un bon pas, un casque à musique sur les oreilles, retrouvant des mal-en-point, dont certains déjà sortis pour fumer. Peu d’entre elles doivent se dire, c’est peut-être moi dans cinquante ans.
Comme il ne pleut pas, je vais voir de près celle qui domine Granville, l’église Saint-Paul Un petit bout de la rue Couraye et à droite commence l’escalier Saint-Paul. Au bout duquel est l’église dont le parvis sert à garer les voitures. Cette église Saint-Paul est de style romano-byzantin, inspirée de l'éclectisme de la fin du dix-neuvième siècle. C’est un édifice désacralisé, cerné d’avertissements « Danger : chute de pierres » et même fermé pour raison d’insécurité. Du béton fait avec du sable de mer, ce n’est pas bon. La municipalité veut la restaurer pour en faire un tiers lieu et espère que Stéphane Bern y mettra de l’argent avec son loto. Un autochtone s’étonne que je la photographie par temps gris.
Le tour fait, je redescends au centre-ville et rejoins le Port du Hérel et le café du même nom pour un allongé verre d’eau lecture à l’intérieur avec vue sur les bateaux de plaisance et l’église Saint-Paul. Chez Lagarce, une quantité de « ceci dit » en fin de phrase. Il est trop tard pour lui apprendre qu’il ne faut pas, cela dit.
Ce lundi, pour déjeuner, je vais au Port de Pêche et entre au Cabestan. C’est le moment où les pêcheurs partent en mer. La patronne tente à nouveau de me faire consulter la carte sur une tablette. « C’est quand même plus intéressant de regarder les chalutiers qui sortent du port que cet écran », lui dis-je. La formule du jour est sur l’ardoise : roussette et tarte amandine.
Un peu de soleil quand je m’assois à la terrasse du Pirate pour le café puis un ciel bleu inespéré durant l’après-midi. De quoi faire un aller et retour sur la Promenade du Plat Gousset qui semble nue sans ses cabines de plage. A son entrée, Yver, le glacier qui a fêté ses trente ans l’an dernier, est plus que fermé. Des ouvriers cassent la baraque avant de la refaire.
                                                                         *
Idée idiote – je n’en manque pas – je suis candidat à la direction du théâtre de Vesoul. (Sklong !) (Jean-Luc Lagarce Journal lundi vingt-neuf mai mil neuf cent quatre-vingt-neuf)
 

23 septembre 2024


Un jeune couple est dans le studio Air Bibi d’à côté, pas de bruit jusqu’à ce samedi quand, un peu avant minuit, elle et lui rentrent avec un troisième à qui montrer comme c’est petit et pas haut, oui, mais la vue par la fenêtre, que l’on ouvre. Je vais leur dire qu’ils ne sont pas seuls. Excuses et départ du trio. Pendant cette nuit de fin de semaine, j’entends aussi la jeunesse saoule qui passe dans la rue et la pluie incessante sur la toiture. Je dors quand même, parfois. Le couple voisin ne revient que vers cinq heures du matin, sans autres bruits que les obligés, escalier et serrure.
Ce dimanche, il faut attendre huit heures pour qu’ouvre la Boulangerie Demé, rue Lecampion. Le Derby, dans cette même rue, est déjà en action. C’est le premier jour de l’automne. Le temps est meilleur qu’annoncé. Après mon petit-déjeuner, je parcours la Brocante, un évènement mensuel, cours Jonville. On y trouve une bonne vingtaine d’exposants, dont quelques vendeurs de livres et un bouquiniste installé prés du Pirate. Il vend peu cher mais rien pour moi.
Je monte ensuite à la Haute Ville avant que le chemin de ronde ne soit accaparé par les athlètes d’un triathlon. J’y photographie deux œuvres d’art mural et en mer un voilier ancien que je n’hésite pas à qualifier de goélette bien que je n’y connaisse rien.
A dix heures, je fais l’ouverture de La Rafale à la petite table ronde à droite en entrant. Personne ne peut s’asseoir à côté de moi dans un souci de convivialité. Je relis là Lagarce Jamais là où il faut. (…) Quelle image est-ce que je donne. écrit-il le samedi vingt-sept août mil neuf cent quatre-vingt-huit.
Aux tables de celles et ceux qui causent ensemble, on se demande si la Villa Bonheur, c’est la même chose que le Château Bonheur, rapport aux Journées du Patrimoine. Le genre de question qui finit par trouver une réponse : Non. On est d’autant plus content de l’apprendre que personne n’ira. Après, les voici lancés sur les lunettes et les mutuelles, autre discussion vaseuse. Pendant ce temps, les deux serveurs font les zozos derrière le comptoir et oublient de mettre la musique à fond, une bénédiction.
Quand je redescends, je croise des filles courant le triathlon en pleine montée de marches, certaines complètement asphyxiées.
A midi, je déjeune à l’intérieur du Pirate d’un menu du jour peu renouvelé : terrine de Saint-Jacques, filet de tacaud et mousse au chocolat puis je profite d’un soleil inattendu pour un café lecture en terrasse. Rien ne me tentait vraiment aux Journées Européennes du Patrimoine et Journées du Matrimoine de Granville et surtout, les réservations obligatoires, cela m’a découragé d’emblée.
 

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