Le Journal de Michel Perdrial

Le Journal de Michel Perdrial




Loïc Boyer
Je suis l’auteur de textes courts qui furent publiés depuis mil neuf cent quatre-vingt-quinze dans des revues littéraires en France (Supérieur Inconnu, Supplément d’Ame, Nouvelle Donne, Le Bord de l’Eau, Pris de Peur, l’Art du Bref, Sol’Air, Gros Textes, Salmigondis, Verso, Décharge, Bulle, Filigranes, Diérèse, Martobre, Comme ça et Autrement, (Cahier d’) Ecritures, La Nef des Fous), en Belgique (Traversées, Ecrits Vains, L’Arbre à Plumes, Inédit Nouveau, Bleu d’Encre), au Canada (Les Saisons Littéraires) et en Italie (Les Cahiers du Ru).
Les courageuses Editions du Chardon ont publié en mil neuf cent quatre-vingt-dix-neuf Erotica, un recueil de vingt-huit de ces textes, illustré par Isabelle Pio et Antoine Lopez et préfacé par Sarane Alexandrian, toujours disponible auprès de moi.
Je suis également l’auteur d’une pièce de théâtre et de plusieurs romans ou récits à ce jour inédits.
Depuis le onze novembre deux mille six, je publie mon Journal via Internet, un temps sous-titré Persiflages, moquages et autres énervages mâtinés de complimentages et de contentages. Sa première partie est lisible chez Eklablog, la deuxième ici.
Je vis au centre de Rouen dans un ancien monastère où autrefois les Sœurs de la Miséricorde se vouaient à l’éducation des jeunes filles.







Rss

4 mai 2017


Il pleut lorsque j’arrive à Paris ce mercredi matin avec ma valise à roulettes. Je la tire jusqu’à la place des Augustins où la Jeanne fait la fière sur son cheval devant une palissade couverte de slogans anti F-Haine. C’est tout près de là que j’ai rendez-vous avec celle qui court toujours et partout. Elle arrive à la bourre et me confie la clé de son appartement. Je retourne à la gare Saint-Lazare pour prendre le métro Douze, en descends à Jules Joffrin et continue à pied jusqu’à mon logement provisoire.
Délesté, je rejoins le Book-Off de Saint-Antoine. On y entend un cédé de Cali qui lors de son dernier passage à Rouen est reparti avec un livre de ma bibliothèque. Je n’achète que deux petits livres afin de laisser de la place à ceux que je trouverai peut-être en fin de semaine dans les vide greniers. C’est au Péhemmu chinois d’à côté que je déjeune du confit de canard qui fait mon bonheur. N’y mangent que des solitaires, dont un que je croise dans tous les lieux où l’on vend des livres d’occasion. Petit sexagénaire barbu, de profil il ressemble à Popeye et mange ses tagliatelles d’une manière qui n’incite pas à faire sa connaissance.
Bien qu’il pleuvouille toujours, je rejoins Beaubourg à pied. Du sixième étage du Centre Pompidou, je fais une photo de Paris gris puis j’entre dans la vaste exposition des photos de Walker Evans. Leur taille varie du timbre-poste de collection à la feuille de papier A Cinq. Il faudrait se coller dessus pour les bien regarder, ce qui me soûle. En dix minutes j’ai parcouru le labyrinthe. Redescendu, je visite l’exposition consacrée au disagneur Ross Lovegrove, de bien beaux objets, dont la Twin’Z, un prototype de voiture électrique Renault.
Ayant rejoint le dix-huitième arrondissement, j’y lis un moment au café Dionis, rue Letort, un endroit sympathique dont la clientèle, mélangée et décontractée, est constituée d’habitué(e)s du quartier. Le café en salle est à un euro cinquante. Je n’en connais pas d’autre à ce prix à Paris.
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Une gardienne du Centre Pompidou à l’un de ses collègues à propos d’un autre :
-Je crois qu’il me fait la gueule.
-Ah bon, pourquoi ?
-Parce que je lui ai dit ce que je pensais de lui : qu’il était chiant.
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L’un des deux livres de Book-Off : Wasabi de l’Argentin Alan Pauls (Titres/Christian Bourgois), acheté parce que l’action au début se passe à Saint-Nazaire où j’ai prévu d’être à partir du quinze mai.
                                                             *
L’ami Georges qui reçoit dans son Hôtel de l’Europe moult artistes de passage à Rouen a pour habitude de leur demander avant leur venue ce qu’ils aimeraient trouver dans leur chambre. Cali lui ayant répondu : « Un livre de poésie », il appela à l’aide.
Je fus le premier à répondre et lui portais deux heures plus tard Le Guetteur mélancolique suivi de poèmes retrouvés de Guillaume Apollinaire (Poésie/Gallimard).
-Je te le rendrai après, me dit-il en m’offrant un café.
-Si Cali a envie de l’emporter, je le lui offre, lui répondis-je.
Ainsi fut-il.
 

3 mai 2017


Encore une nuit du deux au trois mai, la vingt-deuxième depuis celle pendant laquelle mon frère Jacques est mort à La Rochelle.
L’an dernier, Christian Degoutte, qui chronique les parutions pour la revue Verso dans sa rubrique En salade dont l’épigraphe est due à Claude Seyve : « Voyons voir ce que dit cet imbécile de Degoutte », m’a invité à lui envoyer les plaquettes de poésie de ce frère disparu (comme on dit improprement)
Il en a rendu compte dans le numéro cent soixante-cinq :
« Il y a une lucarne qui donne sur la situation / elle est belle / la lucarne / pas la situation / non la situation n’est pas belle, si ce n’est le cadavre à cadre à bras / le cadavre à pneus / hormis ça, parlons des Murissades / le crocodile va peut-être être tué / tout dépend du directeur… » : Jacques Perdrial, in TOUS LES CHATS QUI SONT BLANCS…à l’enseigne de L’ECCHYMOSE. Michel Perdrial m’a envoyé quatre plaquettes de son frère décédé ; plaquettes publiées par L’ECCHYMOSE ou PLAISIR DES ARAIGNEES entre 1977 et 1986. Chaque plaquette se donne pour un joyeux fatras de poèmes absurdes, d’aphorismes fantaisistes, de bouts de refrains idiots, de jeux d’à-peu-près, de collages surréalistes, d’échappées mélancoliques ou lyriques. Sous les multiples influences de Prévert, Queneau, Desnos et surtout Vian. Une poésie bien représentative d’une part de ce qui se publiait dans ces années-là. Ce qui ressort de ces plaquettes, c’est un sentiment de liberté et un refus affiché du sérieux, du pesant. Des trucs étonnants dans nos temps de rétrécissement «des libertés» où tout est grave : « l’aube se change en pâte dentaire / le gel opère / un arbre acerbe / cris de douleur / la pluie rince / un bistouri / hilare /tandis que passent Robert Desnos / et sa chaussette bègue ». Déjà des curiosités littéraires que Michel Perdrial envoie gratos si on lui écrit poliment.
Suivait mon adresse mail. Ni Christian ni moi-même n’avons été surpris de constater qu’aucune demande ne m’a été faite.
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Cette année, la mauvaise nuit est heureusement suivie d’une escapade de quelques jours à Paris. Je passerai mes nuits, à son invitation, dans l’appartement de celle qui ira fêter son anniversaire à l’étranger.
 

2 mai 2017


Le soir du premier tour, après l’annonce de la présence de la fille Le Pen au deuxième tour de la Présidentielle, je n’ai eu aucun mal à rassurer l’une pour qui cette nouvelle pouvait être encore plus inquiétante que pour d’autres quand elle m’a téléphoné. Mathématiquement, elle n’a aucune chance d’être élue, lui ai-je dit.
Une semaine plus tard, je ne suis pas aussi catégorique.
Macron, dont une partie du programme est si fâcheuse, est tellement mauvais dans sa campagne d’entre deux tours, allant de propos creux en propos creux, et l’autre de moins en moins seule, comme en témoigne l’immonde ralliement de Dupont-Aignan, le F-Haine et De Boue La France main dans la main, qu’il y a de quoi être soucieux, d’autant que les ni Le Pen ni Macron sont nombreux, parmi lesquels, à titre personnel, le Petit Père du Peuple.
Celui-ci, que certains accusent d’être ambigu, ne l’est absolument pas, comme en témoigne sa déclaration télévisée de dimanche soir : «Mes amis sont partagés en trois groupes : ceux qui se préparent à voter Macron -je respecte leur trajectoire-, ceux qui veulent s'abstenir -je les respecte-, ceux qui veulent voter blanc».
Il est donc clair qu’il votera blanc. Ce que j’ai songé à faire moi aussi, ou plutôt à m’abstenir, tout comme j’y aurais songé en cas de duels Mélenchon/Le Pen ou Fillon/Le Pen.
Finalement, ne voulant pas me défausser sur la bonne volonté d’autres qui n’en ont pas plus envie que moi et pour ne pas avoir à me reprocher de ne rien avoir fait contre en cas de victoire de l’extrême droite, je reviendrai de Paris, où je vais passer quelques jours, suffisamment tôt ce dimanche après-midi pour y glisser dans l’urne un bulletin Macron.
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S’il en est qui doivent se dévouer pour voter Macron dimanche, ce sont les Droitistes de Droite et du Centre qui ont voté Fillon lors de leur Primaire, un candidat qui devait les mener à la perte (bien sûr, ils ignoraient ses tripotages d’argent public et sa propension à se faire acheter avec des cadeaux coûteux mais ils le savaient thatchérien, poutinien et catho réactionnaire), alors que s’ils avaient choisi Juppé, leur candidat serait au deuxième tour et le gagnerait aisément.
Ils n’ont pas voulu du Juppé parce qu’il y avait du Bayrou à l’intérieur, ils auront le Macron avec du Bayrou à l’intérieur (et pas que ça).
                                                           *
Mélenchon, avec une pudeur de gazelle, fait silence sur le quatrième groupe de ses amis, ceux qui voteront Le Pen au deuxième tour. Les horoscopes les donnent maintenant à dix-huit pour cent, presque un Insoumis sur cinq.
II espère désormais gagner les Législatives et imposer une cohabitation à Macron. Cela promet une nouvelle déclaration de dépité à l’issue du deuxième tour de ces élections.
 

1er mai 2017


Sa proximité est l’unique raison qui me pousse à sortir de chez moi ce dimanche aux aurores pour faire le tour du vide grenier rouennais organisé par un particulier dans ce quartier qui n’en est pas un, entre la Cathédrale et la place Lelieur.
Cette fois encore, on peut le résumer au titre de la chanson d’Hubert-Félix Thiéfaine : Quand la banlieue descendra sur la ville mais celle-ci n’est là que pour étaler sa misère sur le bitume. Au moment où je rentre par le travers du parvis de la Cathédrale dont le pavage vient d’être restauré, j’entends derrière moi le bruit d’une sévère dispute entre deux vendeurs.
Au marché du Clos Saint-Marc, côté brocanteurs et bouquinistes, on compte surtout les absents. Je suis donc plus tôt que d’habitude dans un des cafés qui le jouxtent. S’y trouvent de jeunes paumés du petit matin, venus en voiture, complètement imbibés, à qui l’on sert quand même de la bière.
Il m'est un peu compliqué de me concentrer pour lire le Journal d’un voyage en France de Renaud Camus (Hachette/Pol), un livre datant de mil neuf cent quatre-vingt-un, lequel a donc été écrit par son auteur avant qu’il tourne monomaniaque. C’est une sorte de guide des petits hôtels, des châteaux de second choix et des lieux de drague homosexuelle.
A côté de moi, quatre filles se repassent en boucle les scènes de jalousie de leur nuit en boîte devant un garçon qui a l’air d’avoir reçu une enclume sur le crâne. Quand il va aux toilettes, l’une des filles s’étonne de son mutisme. Une autre lui répond « C’est rien là, tu verrais comme il est con quand il a pas bu ». Après avoir dit plusieurs fois « On va y aller », elles et lui finissent par le faire.
Le calme ne dure pas longtemps car arrivent une dizaine de soûlauds dont un porteur d’écharpe de foute. C’est le héros du jour. Il fête ses soixante ans, bien bourré. Je range mon livre, décidé à ne jamais revenir dans cette brasserie où le dimanche matin tous les poivrots sont les bienvenus.
La liste des cafés rouennais que je ne fréquente plus pour des raisons diverses s’allonge. Plus jamais je ne mets le pied à L’Echiquier, au Marégraphe, au Bar des Fleurs, au Socrate, au Guillaume, à L’Espiguette.
A propos de ce dernier, je savais qu’il tenait son nom d’une plage proche de Montpellier. Il est question de cette plage dans le livre de Renaud Camus. Il la décrit comme le plus grand lieu de rendez-vous homosexuel d’Europe.
                                                         *
Rue Verte à Rouen,  parole de prof :
-Elle vient dans ma classe, elle parle, elle parle, alors forcément le bruit ça monte. Et là, elle me regarde et elle me dit : « Dis donc, elle est bruyante ta classe ». Alors que dans la sienne, c’est un bordel, mais un bordel !
 

29 avril 2017


Un peu d’animation au jardin de la copropriété en ce début de semaine, celle qui se présente comme la représentante du syndic quand ça l’arrange, et dit qu’elle ne l’est pas dans d’autres circonstances, s’en prend à une nouvelle voisine à chien qui a laissé sur la pelouse ce qu’on appelle en terme choisi une déjection. Une troisième voisine assiste sans y prendre part à cet esclandre, sa valise à la main ; elle rentre de voyage, sans Aboyus.
Le ton monte vite. L’accusée et l’accusatrice parlent en même temps et se le reprochent mutuellement. A l’issue, la nouvelle voisine se dirige vers son appartement puis se retourne vers l’ancienne :
-Et une bonne soirée ! lui lance-t-elle.
Cette copropriétaire ne défend le règlement que lorsque ses ami(e)s ne sont pas en cause. Jamais elle n’a eu un mot contre le gueulage incessant d’Aboyus ni contre les merdes de Moka répandues partout sur la pelouse et non ramassées par le jeune couple dont il était l’enfant de substitution (désormais dans un charmant village où la fille Le Pen vient de faire trente-cinq pour cent des voix au premier tour de la Présidentielle).
Ses indignations sont à géométrie variable. Dans le cas présent, soit c’est la tête du chien qui ne lui revient pas, soit c’est celle de la maîtresse de l’animal.
                                                                    *
Cela me fait songer que je n’ai pas de nouvelles de la plainte que j’ai déposée contre la femme extérieure à la copropriété qui m’a insulté l’été dernier avec l’accord tacite de cette voisine dont elle était l’invitée. J’irai me renseigner en septembre au greffe du Tribunal.
 

28 avril 2017


Quel froid ce jeudi soir à l’heure où je rejoins l’Opéra de Rouen où est donné un opéra de chambre : Quartett de Luca Francesconi. Le compositeur anglais est également l’auteur du livret. Celui-ci est inspiré du Quartett de Heiner Mûller, lui-même inspiré des Liaisons dangereuses de Pierre Choderlos de Laclos. La première a eu lieu il y a exactement six ans à la Scala de Milan. Cette reprise est une coproduction du Royal Opera House Covent Garden, de l’Opéra de Rouen Normandie et du London Sinfonietta. La foule n’est pas au rendez-vous. Tous les sandouiches et parts de couiches du bar ne seront pas vendus.
A vingt heures, les parties orchestre et corbeille de la salle laissent voir des sièges rouges inoccupés. Dans les étages, seule la moitié inférieure du premier balcon est garnie (partiellement) de spectateurs et spectatrices.
Le vicomte de Valmont et la marquise de Merteuil sont des rescapés. Sales et dépenaillés, ils se meuvent dans un décor d’après catastrophe : lambeaux de rideau, sacs poubelles, morceau d’échafaudage. En quoi, Luca Francesconi et le metteur en scène John Fulljames sont fidèles à Heiner Müller qui place en partie l’action de sa pièce dans un bunker d'après la Troisième Guerre Mondiale.
Francesconi est tout aussi fidèle aux changements de sexe des personnages du Quartett du dramaturge allemand : Merteuil se mettant à jouer Valmont, Valmont jouant Madame de Tourvel puis Merteuil jouant Cécile de Volanges.
Des images quasi abstraites sont projetées sur les lambeaux de rideau. Quelques passages chantés enregistrés font état des pensées des personnages. Divers moyens techniques permettent d’amplifier certains sons.
J’aime assez la musique de Luca Francesconi et trouve du talent à Robin Adams (Valmont) et encore plus au parfaitement féminin Adrian Angelico (Merteuil). Cependant, cet opéra de chambre qui ne dure qu’une heure vingt me semble un peu long.
A l’issue, les applaudissements sont mesurés, que se partagent, sur scène, les deux interprètes et le maestro Patrick Davin ainsi que, dans la fosse, les musicien(ne)s de l’Orchestre de l’Opéra. Ils ne durent pas suffisamment longtemps pour que le geste du chef appelant les deux chanteurs à revenir une troisième fois puisse être suivi d’effet.
 

27 avril 2017


Un groupe scolaire en vadrouille, des inquiets à valise qui ne prennent le train qu’une fois par an, et puis celles et ceux qui font régulièrement le trajet Rouen Paris se partagent le train de sept heures cinquante-neuf ce mercredi où une succession d’averses est promise.
Je pousse la porte du Café du Faubourg à dix heures moins dix et suis devant le Book-Off du faubourg Saint-Antoine quand son rideau se lève. J’y trouve quelques livres et, avant que les premières gouttes tombent, deux supplémentaires au marché d’Aligre.
A midi trente, je déjeune chez Pizza Momo, rue Saint-Antoine, un lieu qui vaut mieux que son nom, d’une fermière (lardons, pommes de terre, crème fraîche) accompagnée d’un quart de vin rouge (formule à quatorze euros cinquante). Près de moi sont deux filles de treize ans pour lesquelles manger au restaurant sans les parents n’est pas une nouveauté, une jolie brune prénommée Esther et une jolie blonde à appareil dentaire.
-Ouah, s’exclame cette dernière en consultant je ne sais quelle application sur son smartphone, je suis devenue la meilleure amie de Louna.
Je n’ai qu’à traverser la rue pour rejoindre le Rivolux où j’ai rendez-vous avec celle qui m’a fait très peur lundi matin. J’y arrive en même temps qu’elle.
-Je m’attendais à pire, lui dis-je en découvrant ce qui ressemble à un coquard de femme battue.
Ce dimanche, vers minuit, elle a eu un accident avec son vélo et n’en garde aucune mémoire. Elle se souvient seulement avoir repris conscience dans un fourgon de la Police puis avoir été transportée aux urgences de Lariboisière par les pompiers, sa tête ayant heurté un poteau ou autre chose. Des urgences qu’elle a quittées, lassée d’attendre au milieu des drogués, sans avoir été examinée. D’où grosse angoisse le lendemain, quand elle a fait un nouveau malaise. L'imagerie par résonance magnétique a finalement montré qu’il n’y avait qu’un traumatisme crânien. A-t-elle chutée seule ou bien a-t-elle été renversée par une voiture ? L’état du vélo peut faire pencher vers la seconde hypothèse.
Tandis que tombe l’averse, nous prenons une boisson chaude accompagnée de kouignettes qu’elle s’est procurée chez le meilleur ouvrier de France d’à côté. Cela nous rappelle avec nostalgie les kouign-amanns partagés en Bretagne.
Rassuré sur son état de santé, je la regarde aller vers son travail puis prends un bus Vingt dont je descends à Choiseul. Au Royal Bourse Opéra, une télévision muette montre Macron au milieu des ouvriers de Whirlpool à Amiens sur fond de feu de pneus (ce matin, avant de partir, j’entendais sur France Culture une ouvrière déclarer : « C’est pas la peine qu’y vienne, on vote tous pour Marine »).
Sorti de là je rejoins le Book-Off de Quatre-Septembre. A l’étage, une femme veut que je lui dise lequel des deux cédés de Barbara Streisand qu’elle a en main est le meilleur.
-Je ne peux pas vous répondre.
-C’est une chanteuse américaine.
-Oui, je sais mais je ne connais pas bien ses chansons.
Je ne lui dis pas que je la surnomme Barbara Stressante.
Redescendu, je croise au coin d’un rayonnage un Rouennais de ma connaissance qui n’est pas surpris de me trouver là.
-Ah, tu prends un panier, constate-t-il.
Celui-ci est peu chargé à l’issue de ma recherche d’ouvrages intéressants.
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Une affichette sur le local du Parti Socialiste de la rue François-Miron : « Fermé pour cause d’agression ». Doit-on suspecter l’un de ces Mélenchonnistes qui accusent Hamon d’avoir fait perdre leur candidat ?
Leur mode de pensée les empêche de comprendre que la plupart des électeurs de Hamon, s’il s’était retiré, n’auraient pas voté Mélenchon. Personnellement, j’aurais été abstentionniste.
                                                           *
Sur les murs, les affiches de premier tour sont grises. Mélenchon y fait la gueule et Hamon semble chercher un endroit où se cacher.
                                                           *
Dans une ruelle du Village Saint-Paul, une photo de la fille Le Pen accompagnée du slogan « Marine pour les Droits des Femmes ». Question qu’elle devrait se poser : Si mon père avait eu un garçon, avant ou après moi, qui serait le candidat du F-Haine ?
 

26 avril 2017


« Ce livre a été imprimé sur papier recyclé à 100% » est-il écrit en page de garde de Voyage dans les Pyrénées et en Corse de Gustave Flaubert publié aux Editions Albatros (dit la couverture bleue rigide), aux Editions Entente (dit la page de titre), en mil neuf cent quatre-vingt-trois, époque où l’on pouvait déjà être écolo.
Acheté au marché d’Aligre lors d’un de mes mercredis parisiens, cet ouvrage donne à lire le récit du voyage qu’offrirent ses parents au jeune Flaubert (dix-neuf ans) en récompense de l’obtention de son baccalauréat, voyage qu’il fit en jeune homme sage et bien dressé, accompagné, encadré plutôt, de deux représentants typiques de son milieu, un éminent chirurgien et un prêtre cultivé. raconte Michel del Castillo en préface, poursuivant ainsi :
C’est peu dire que Gustave part entravé : il va certes bouger, courir d’une ville à l’autre, découvrir des horizons neufs, mais il le fera dans un cadre si rigide, tellement marqué par la convention que les chances sont minces qu’il s’écarte des chemins balisés. (…)
La première surprise, quand on aborde ce récit, provient de la découverte que de ce carcan, le jeune Flaubert n’est que trop conscient, lui qui, déjà, s’étouffe dans sa vie. Plus étrange : loin de chercher à s’en libérer, il paraît s’y soumettre de bon gré, comme s’il avait la conviction que de maladroits efforts ne feraient que le ligoter davantage. (…)
Feignant de se résigner à l’échec, il accepte en ricanant la convention, bien décidé à la saper de l’intérieur. Son apparence bourgeoise, qui est aussi sa réalité sociale, son masque, tout comme cette culture qu’il abhorre avec la même fureur vengeresse, il sent que par ce biais seul – la dissolvante ironie de la  phrase – il réussira à les ruiner, à les anéantir.
Gustave Flaubert à dix-neuf ans avait déjà bien du talent. Pour en juger, ces quatre extraits notés lors de ma lecture
Honnête pays, paysages bourgeois, nature comme on l’entend dans la poésie descriptive ; c’est là la Loire, mince filet d’eau au milieu d’un grand lit plein de sable, avec des bateaux qui se traînent à la remorque la voile haute, étroite et à moitié enflée par le vent sans vigueur.
Il n’y fait, (à Bordeaux) selon moi, ni assez chaud ni assez froid ; il n’y a rien d’incisif et d’accentué : c’est un Rouen méridional, avec une Garonne aux eaux bourbeuses.
Comme il faut essentiellement s’instruire en voyage, je me suis laissé mener à la manufacture de porcelaine de M. Johnston, dans laquelle nous avons été pilotés par un petit homme rempli de suffisance, d’ailleurs extrêmement poli pour nous. Pendant deux heures nous avons marché au milieu des cruches, tasses, pots, plats et assiettes de différentes grandeurs et je m’ennuyais si bien que je n’étais point dans la mienne.
Je suis avant tout homme de loisir et de caprice, il me faut mes heures, j’ai mes calmes plats et mes tempêtes. je serais resté volontiers quinze jours à Fontarabie, et je n’aurais vu ni Pau, ni les eaux thermales, ni la fabrique de marbre à Bagnères-de-Bigorre, qui ne vaut pas l’ongle d’une statue cassée, ni bien d’autres belles choses qui sont dans le guide du voyageur. Est-ce ma faute si ce qu’on appelle l’intéressant m’ennuie et si le très curieux m’embête ?
                                                                        *
Du côté de Blois, évoquant Rabelais, Flaubert note : il y a fait sieste un certain jour peut-être qu’il était soulas. Rien à voir avec la beuverie, soulas renvoie à l’apaisement et à la détente, ai-je appris de différents dictionnaires.
Ce mot me fait penser à un auteur qui signait de ce nom des dessins satiriques paraissant dans Hara-Kiri, Libération et les revues de bédés des années soixante-dix. Très connu à cette époque, il a disparu de mon radar. Qu’est-il devenu ?
Résultat de ma recherche : né en mil neuf cent trente-deux, Philippe Soulas dessine encore, notamment pour Urtikan.net.
 

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