Le Journal de Michel Perdrial

Le Journal de Michel Perdrial




Loïc Boyer
Je suis l’auteur de textes courts qui furent publiés depuis mil neuf cent quatre-vingt-quinze dans des revues littéraires en France (Supérieur Inconnu, Supplément d’Ame, Nouvelle Donne, Le Bord de l’Eau, Pris de Peur, l’Art du Bref, Sol’Air, Gros Textes, Salmigondis, Verso, Décharge, Bulle, Filigranes, Diérèse, Martobre, Comme ça et Autrement, (Cahier d’) Ecritures, La Nef des Fous), en Belgique (Traversées, Ecrits Vains, L’Arbre à Plumes, Inédit Nouveau, Bleu d’Encre), au Canada (Les Saisons Littéraires) et en Italie (Les Cahiers du Ru).
Les courageuses Editions du Chardon ont publié en mil neuf cent quatre-vingt-dix-neuf Erotica, un recueil de vingt-huit de ces textes, illustré par Isabelle Pio et Antoine Lopez et préfacé par Sarane Alexandrian, toujours disponible auprès de moi.
Je suis également l’auteur d’une pièce de théâtre et de plusieurs romans ou récits à ce jour inédits.
Depuis le onze novembre deux mille six, je publie mon Journal via Internet, un temps sous-titré Persiflages, moquages et autres énervages mâtinés de complimentages et de contentages. Sa première partie est lisible chez Eklablog, la deuxième ici.
Je vis au centre de Rouen dans un ancien monastère où autrefois les Sœurs de la Miséricorde se vouaient à l’éducation des jeunes filles.







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Cette fois, je suis dans la chambre qui aurait dû être la mienne dès la veille, l’une des plus négligées de l’Hôtel de Bretagne, deux panneaux de douche sur trois, plus de rideau à la porte-fenêtre, pas de sèche-cheveux, et dont les toilettes sont à l’autre bout du couloir, mais elle n’est qu’à quarante-quatre euros (soixante en saison) et dispose d’un balcon comme ses voisines moins démunies et moins déglinguées du quatrième étage.
Je ne peux mettre le pied sur ce balcon au réveil car ce dimanche il pleut dru. Au point que j’attends onze heures pour sortir. Je fais un dernier tour du côté du port où, à la faveur d’une éclaircie, je grimpe jusqu’au belvédère installé sur le toit de la base de sous-marins. On y a vue sur l’ensemble du bassin portuaire et sur le fameux pont de Saint-Nazaire, l’occasion d’une dernière série de photos.
Pour déjeuner, je retourne au Dolmen, après être passé devant celui, authentique et entouré d’immeubles, qui donne son nom au restaurant de Marie-Jo. Elle y est seule quand j’arrive mais à peine suis-je installé que se présentent des habitués de l’autre jour. Je choisis la salade tiède de fruits de mer, la tranche de gigot grillée avec purée, fromages, salade, tarte aux pommes de la maison et vin merlot. Chez mes voisins et voisines, on se demande si Alfred viendra. D’autres viennent, également connus ici. Sur un mur, entre deux portraits de Johnny Halliday, est inscrite la devise du Dolmen : « On y mange bien/On s’en souvient/On y revient ». Nous sommes huit à avoir de la mémoire. C’est beaucoup pour l’hôtesse. Handicapée par sa lourde boiterie, elle fait seule la cuisine et le service en salle. Je fais preuve de patience entre deux plats. Grâce à la conversation de mon voisinage, je m’instruis, apprenant par exemple que la patate nouvelle vient de Noirmoutier.
Finalement Alfred débarque mais, contrairement aux autres, il ne salue pas l’ensemble de la salle. Ça m’aurait plu d’avoir le bonjour d’Alfred.
Cette arrivée ranime celui en face de qui il s’assoit :
-Vous le connaissiez, celui qu’est mort dans not’coin ? demande-t-il à cet Alfred qui lui répond qu’il ne connaît que les gens de sa rue.
-On ne devrait pas mélanger les touristes et les gens comme nous, les retraités, déclare hors de propos la femme du couple déjà là jeudi.
Elle et lui ont à se plaindre de résidents secondaires. Une fille qui fêtait ses dix-huit ans en faisant autant de bruit que pour un mariage. Il y a un laisser-aller généralisé.
Bien que Marie-Jo coure partout (si je puis dire), le repas s’éternise. Il est presque quatorze heures à la pendule Johnny Hallyday quand je termine mon café.
Dès que j’ai passé la porte, ces messieurs-dames et la courageuse restauratrice doivent en dire long sur mon compte.
La pluie a cessé mais il fait gris et lourd, de quoi donner envie d’aller passer un bon moment au bord de la mer à lire les lettres de François Truffaut. Ce que je fais après être repassé par ma chambre et y avoir trouvé celle qui les remet en ordre. Personne d’autre à cette heure, clients dehors, hôteliers en pause.
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Les balcons du quatrième étage de l’Hôtel de Bretagne sont séparés les uns des autres par des murets facilement franchissables, de quoi permettre une visite nocturne sans passer par le couloir.
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Au petit-déjeuner, des motards habillés façon Hells Angels. Ils ne peuvent boire le café sans sucre.
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Il y a des filles, rien que leur façon de se moucher, ce serait tout de suite non (la question ne se pose pas mais…).
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Femmes du bord de mer en pantalon blanc. Est-ce ce vêtement qui leur donne l’air vulgaire ou bien est-ce parce qu’elles sont vulgaires qu’elles l’ont choisi ? Quelques-unes le portent bien.
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Marie-Jo à ses habitués de sexe masculin quand elle dépose un plat sur leur table : « Tiens, mignon ! »

 

28 mai 2017


La chambre qui m’a été attribuée au détriment d’un autre est au quatrième étage de l’Hôtel de Bretagne. Elle bénéficie d’un balcon qui donne sur l’avenue de la République, laquelle aboutit logiquement à l’Hôtel de Ville de Saint-Nazaire. Celui-ci est visible en tournant la tête à droite. Dans la même direction, au loin, je vois un petit bout de mer. Ce balcon dispose d’une table ronde métallique et de deux chaises en plastique. C’est l’endroit parfait pour écrire le soir à la fraiche.
La nuit de vendredi à samedi est calme mais vers sa fin tombe la pluie. Elle cesse heureusement au lever. Sous un ciel très gris, je rejoins la gare pour y prendre à neuf heures le Téheuherre qui va au Croisic. J’en descends au Pouliguen, juste après La Baule, et suis les flèches qui indiquent le port.
S’il est un port niché, c’est bien celui du Pouliguen. Il s’enfonce loin dans la côte. On y trouve surtout des bateaux de plaisance mais aussi quelques-uns appartenant à des pêcheurs. Le long des quais, ce sont surtout des restaurants.
Je fais le tour de ce vaste port et arrive à la plage de Nau d’où l’on voit celle de La Baule. On peut alors, par un sentier côtier, rejoindre Batz-sur-Mer mais dès l’attaque il faudrait rejoindre la route pour contourner une propriété privée et cela me décourage.
Je rebrousse et entre à l’intérieur du Pouliguen. J’en photographie l’église dont l’orgue est derrière l’autel. Entre celle-ci et la halle qui abrite le marché du matin vers lequel converge une population à cabas, se trouve un hôtel charmant : Le Mondès. J’y bois un café en terrasse et y lit Truffaut, cependant que les nuages noircissent et que la température chute. La crêpière d’en face, qui sort ses tables, en est démoralisée :
-J’ai même pas voulu regarder la météo.
Les arrivés du jour à qui on avait promis un ouiquennede estival sont dépités. « Je t’assure qu’hier, il faisait trente degrés », leur disent ceux qui y étaient.
Vers onze heures trente, je réserve une table donnant sur le port au Café Jules « popote de la mer », quai Jules-Sandeau. L’endroit, moderne, me plaît, sa proposition de menu à dix-sept euros quatre-vingt-dix aussi, les serveurs ont l’air sympathiques. Je refais un tour sur le port, tandis que le soleil essaie de poindre.
Il est à peu près là quand je m’installe et commande d’emblée un pot de chardonnay qui m’est livré avec des toasts et un petit pot de terrine de poisson. La terrasse et l’intérieur sont bientôt emplis d’affamés, dont une grande famille malgache. La question qui refroidit certains arrivants est : « Vous avez réservé ? ».
Après de bonnes rillettes de poisson en profiteroles, je déguste une excellente tranche de rôti de port confit accompagnée de pommes de terre grenaille. Le dessert est à mon goût aussi : un carpaccio d’ananas.
Le café, je le prends à la terrasse du Mondès dont je suis le seul client, y lisant tranquillement Truffaut qui dans une longue lettre règle son compte à Godard.
A Saint-Nazaire, au retour, il fait lourd. L’avenue de la République est quasiment déserte, pourtant officiellement la plus commerçante de la ville. Elle périclite au point que la municipalité rachète certaines boutiques dans l’espoir d’y installer de nouvelles activités : « Ici prochainement, un nouveau commerce ».
                                                           *
Au Pouliguen, sur la page de Nau, le resto bar Be Beach. Un peu plus loin, sur le port, un intrus parmi les restaurants : une librairie, qui ne dit même pas son nom.
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Il n’y a plus guère qu’au Pouliguen que l’on prononce le nom de Jules Sandeau (à qui George Sand doit le sien). Il y vécut un peu et y situa l’action de son roman La Roche aux mouettes.

 

27 mai 2017


Rien qu’à voir la tête de la patronne de l’Hôtel de Bretagne quand je débarque avec ma valise ce vendredi matin, je sais qu’il y a un problème. Effectivement, elle ne m’attendait que demain. Elle prétend que je me suis trompé dans ma date d’arrivée lors de la réservation. Toutes les chambres sont prises et en plus l’ordinateur est bloqué. Je suis certain de moi, l’erreur vient d’elle. Je la lui reproche. Vous vous rendez compte que je ne vais rien pouvoir trouver d’autre à Saint-Nazaire et que je vais devoir rentrer chez moi dès aujourd’hui alors que j’ai déjà un billet de train non modifiable pour mardi prochain. Les clients en salle de petit-déjeuner tendent l’oreille. Elle m’accuse de l’agresser. Je lui dis que je vais rester jusqu’à ce qu’elle ait trouvé une solution. Elle va chercher son mari, qui d’un clic débloque l’ordinateur. Il constate que ma réservation n’est pas seulement décalée d’un jour pour l’arrivée mais aussi pour le départ. C’est évidemment sa femme qui s’est trompée en saisissant les dates. Il ne le dit pas, mais je vois bien qu’il le pense. Il trouve la solution : me mettre pour cette nuit dans une chambre réservée par quelqu’un d’autre.
Cette chambre est à cinquante-neuf euros. Je lui demande s’il peut faire un geste (comme on dit dans le métier). Il refuse, car il n’a fait que déplacer le problème. Il va devoir annoncer ce soir à un autre qui aurait payé ce prix que la chambre n’est pas libre. Je demande à régler tout de suite et à avoir la facture afin de partir l’esprit tranquille.
A dix heures, je monte dans le minibus pour Paimboeuf, commune du bord de la Loire qui eut son heure de prospérité comme avant-port de Nantes jusqu’à ce que la Loire soit désenvasée. Je descends devant la Mairie, sise au milieu de petites maisons colorées construites parallèlement au fleuve. Celui-ci est large et paisible. J’en remonte le cours par le chemin qui le longe jusqu’au Jardin étoilé de l’artiste japonais Kinya Maruyama, une évocation, par de grandes structures en bois dans lesquelles on peut grimper, de la Fête de Tanabata (histoire d’amour entre deux étoiles), des quatre divinités du taoïsme et du conte Train de nuit dans la voie lactée de Kenji Miyazawa. Ce jardin est lamentablement contigu à un parquigne de campigne-cars.
Pour déjeuner, il faut aller à l’autre bout de Paimbœuf. Je reviens sur mes pas à l’ombre, par la rue intérieure. L’Estuaire est un restaurant-bibliothèque situé à l’entrée du parc de la ville. On peut y emprunter des livres et surtout y manger sous des pins aussi odorants que ceux du sud. Dans le menu à dix-sept euros, je choisis les poivrons marinés, la zarzuela et la « tuerie au chocolat », avec un demi-pichet de sauvignon. Des cyclistes en maillot et à lunettes de soleil occupent une table de sept. Pour le reste, ce sont des duos, couples ou non. Près de moi sont deux collègues de travail (Elle : « La Pologne, c’est en Europe ? » Lui : « Oui, mais y a un bout de Russie dedans »).
Après le café, je poursuis ma lecture des lettres de Truffaut au bord de la Loire sous un pin. Il y fait bon grâce à un petit vent coulis. En face, c’est la raffinerie de Donge, je ne serais pas contre une petite explosion pour pimenter mon après-midi, mais on ne peut pas tout avoir.
                                                                *
Je suis le seul des convives du restaurant L’Estuaire à savoir ce qu’est une zarzuela. Souvenir d’un repas en terrasse au bord de la mer à Collioure avec l’une qui me tenait la main. Souvenir aussi de la nymphette aux seins nus sur la plage.
 

26 mai 2017


Ce Jeudi de l’Ascension avant-dernier petit-déjeuner, toujours le même mais bon et copieux, sur le balcon, tout en haut de la tour de dix étages d’où l’on voit la pointe Saint-Gildas et parfois, selon la lumière, l’île de Noirmoutier. Mon hôte m’explique pourquoi il a été méfiant quand je l’ai contacté. C’est parce que je l’ai fait directement, sans passer par un site de réservation. Il a trouvé ça louche.
En ce jour férié, je ne me risque pas à attendre longuement un transport en commun, c’est à pied, par le bord de mer, que je rejoins le port de Saint-Nazaire et précisément l’endroit appelé le Petit Maroc où se tient un vide grenier, moitié sous la halle, moitié à côté. Grâce au ciel (bleu), je n’y trouve aucun livre susceptible d’alourdir ma valise au retour.
J’entreprends ensuite de voir du port ce que je n’ai pas encore vu. Il est quasiment désert en ce jour chômé. Pas par tous car certaines usines sont bruyantes. Beaucoup de grilles qui devraient être fermées ne le sont pas, ce qui me permet d’entrer pour faire des photos là où c’est interdit à toute personne étrangère au service, et même dans un endroit sous régime Vigipirate avec surveillance vidéo. Nul vigile ne me tombe dessus et j’y trouve, arrivés là avec leur voiture, des pêcheurs à la ligne. Que de beaux portiques, de grues élégantes (l’une est originaire du Havre) et de bateaux qui font rêver (l’un nommé Michel). Une sorte de plateforme sur roues dont j’ignore l’usage est siglée Chacqueneau mais hélas Elli n’est pas dans les parages. Je vois passer quelques cyclistes. Un homme fait le chemin dans l’autre sens. Il me confirme que je peux revenir par l’autre côté, où je le croise à nouveau, longtemps après, quand j’en ai presque fini. Une femme touriste accompagnée de son mari me demande avec un accent belge si on peut « aller chez les gros bateaux ». Je lui réponds par l’affirmative. Un panneau m’indiquant la gare, je tourne à droite et arrive à un restaurant miraculeusement ouvert : Le Dolmen, boulevard de la Libération. Combien ai-je fait de kilomètres ? Beaucoup, et je suis encore loin de tout.
Je commande à la patronne du Dolmen un diabolo menthe à boire à l’une des deux tables de trottoir. Un grand ou un petit ? me demande celle que les habitués au bar appellent Marie-Jo. Un grand. Il ne me coûte qu’un euro soixante. En semaine, cette gentille dame qui boîte bas propose un menu à dix euros. Ce jour, il est à quatorze. Je trouve place en salle, laquelle est décorée de portraits de Johnny. Malgré la chaleur, je choisis la douzaine d’escargots et le magret de canard sauce poivre avec frites maison car j’ai besoin de reprendre des forces. Une chopine de merlot, une carafe d’eau, et me voilà paré. Le magret est bon et vraiment copieux. Quatre habitués du repas du dimanche et des jours fériés sont arrivés : un couple, une femme seule, un homme seul.
-Merci maman, dit ce dernier à Marie-Jo lorsqu’elle le sert.
-Le gars est plus vieux que sa mère, commente la femme en couple.
-C’est le progrès, conclut son mari.
Le menu inclut le plateau de fromage avec salade. Pour finir, je commande une pêche melba suivie d’un café. La conversation des habitué(e)s semble avoir été écrite par Madame Michu :
-On est six frères et sœurs et on se voit jamais, qu’aux enterrements.
-C’est souvent comme ça, malheureusement.
Je remercie la gentille et courageuse dame qui va être opérée de la hanche et lui paie vingt euros quatre-vingts. Elle m’indique comment rejoindre le front de mer au plus court. Cela fait quand même un kilomètre.
Là, je me mets à l’ombre sur un banc pour longtemps, à lire la Correspondance de Truffaut.
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Au vide grenier de Saint Nazaire, plusieurs stands ne vendent que le « hand spinner », une sorte de toupie à trois hélices. Ce jeu est à la mode (comme on disait autrefois).
-Pendant qu’il joue à ça, il est pas devant la console, se réjouit une mère.
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Rien à reprocher à mon hôte qui comme je restais longtemps m’a fait un prix, cinquante euros la nuit au lieu de cinquante-cinq (petit-déjeuner inclus), hormis ses ronflements, qu’il ignore, et sa propension à écouter la télé plus fort que nécessaire. Il a fait des efforts, parfois. Allant même, un soir, jusqu’à mettre des écouteurs. Oui, mais il regardait un film comique et s’esclaffait régulièrement.
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Du temps que je regardais des films à la télévision, jamais je ne riais ainsi. Il faut sans doute être extraverti.
 

25 mai 2017


Holidays, oh holidays, chante Michel Polnareff dans le minibus de neuf heures quinze que je prends encore ce mercredi, cette fois pour atteindre son terminus : Préfailles, l’endroit le plus à l’ouest du Pays de Retz. Avec les détours, cela fait une trotte d’une bonne quarantaine de kilomètres. Un jeune couple en tenue de plage l’occupe à lire le Recueil des Prières Miraculeuses dont des passages sont surlignés en jaune fluo. C’est elle qui tourne les pages, lui suit.
Après avoir passé Pornic, je suis seul avec le chauffeur. Je descends à l’ancienne gare de Préfailles, transformée en garderie pour enfançons.
Une autochtone à clavicule cassée m’indique de quel côté trouver la mer. Je passe devant les commerces du bourg et prends le chemin de la corniche qui mène à la pointe Saint-Gildas. Cette marche facile de deux kilomètres me donne à voir au loin l’île de Noirmoutier.
Il fait chaud et pas un poil d’ombre, j’arrive un peu cuit au bout de cette pointe pas bien pointue. On y trouve un sémaphore, une table d’orientation, un port de plaisance et une jetée dont l’extrémité est accaparée par des pêcheurs qui ne se foulent pas. Ils lancent un petit filet rond attaché à une corde et le remontent avec rien dedans. Comme il est presque midi, je vois arriver les glacières. Cette réunion masculine est l’occasion de boire un petit coup. En face, au loin, de l’autre côté de l’estuaire, c’est Saint-Nazaire. Je devine l’immeuble de dix étages où je vais encore passer deux nuits.
Les quelques restaurants du bout de la pointe ne sont pas sensationnels. Je choisis le Saint Gildas. La patronne m’explique que c’est le premier jour de travail du petit jeune homme qui l’accompagne et qu’elle va lui montrer comment prendre une commande en se servant de moi comme cobaye. Je souhaite bon courage à ce néophyte. Cela ralentit un service déjà peu nerveux car le patron patronne au bar et une petite jeune fille n’est là, semble-t-il, que pour plier des serviettes en papier. Vue sur le port certes, mais longue attente de plats sans attrait : une marinette de sardines sur salade verte et une brochette de volaille frites maison. Avec le demi-pichet de cidre sec, cela me coûte dix-huit euros.
Je ne traîne pas sur la pointe car des nuages peuvent faire penser à un futur orage. Longeant la mer dans l’autre sens et dans un air lourd, je n’y croise pas grand-monde. A l’arrivée dans le bourg, je m’assois en terrasse pour un café verre d’eau au restaurant L’Entre-Potes. A Préfailles on cultive le jeu de mots navrant, un autre restaurant se nomme Le Cata Marrant et le salon de coiffure Vent Contr’Hair.
Mon minibus de retour est celui de quinze heures vingt-cinq. Il file sur la deux fois deux voies puis perd son temps dans un détour et recommence l’opération autant de fois qu’il est nécessaire avant d’atteindre le pont de Saint-Nazaire où la circulation est dense. Bientôt commence celui de l’Ascension. L’affluence est attendue sur toute la Côte de Jade et ailleurs. C’est un avant-goût de ce que les commerçants appellent la saison. Je me demande comment va s’en sortir le petit jeune homme du Saint Gildas qui ne sait même pas ouvrir une bouteille de cidre.
Ce ralentissement à l’entrée de Saint-Nazaire met dans tous ses états une jeune baroudeuse trop vêtue qui veut assister au départ d’un bateau à énormes sphères jaunes qui doivent contenir du gaz, lequel est déjà entouré des remorqueurs, comme elle le fait remarquer à son compagnon du même style en plus discret. Sitôt le pont passé, elle saute du minibus pour attraper une correspondance pour le phare, lui suit.
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Éric Tabarly vécut à Préfailles, une avenue qui va vers la mer porte son nom. Irène Jacob vient s’y reposer dans une maison de famille. On y a vu aussi Paul Ricœur (je ne sais si Emmanuel Macron l’accompagnait).
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Sur la promenade vers la pointe Saint-Gildas, une jeune nounou (comme on dit) à l’un de ses amis à propos de la moutarde dont elle a la garde, présentement assise en poussette : « Elle a le caractère de merde de sa mère et le côté je veux tout faire quand j’en ai envie de son père. »
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Une branlotine au téléphone ce mercredi matin dans le bus U Trois qui me mène à la gare : « T’as pas le résultat de l’exercice numéro deux ? Anna l’a mis sur Snap mais je comprends rien. Tu l’as pas fait ? Bon tant pis, je le ferai pendant le cours de maths et je finirai à la récré. Ma mère, elle m’a dit qu’elle me changerait de collège si je me ressaisissais pas. » Elle descend à Saint-Louis.
« En référence au Projet Mennaisien et à notre projet d’établissement, le Lycée Collège Saint-Louis est donc pour les élèves « un lieu où ils peuvent s’instruire et développer le meilleur d’eux-mêmes ». (Le Directeur)
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Vivre à Sainte-Marie-la-Mer, impasse de la Douterie.
 

24 mai 2017


Il est neuf heures et quart, ce mardi quand je monte dans le minibus pour Pornic par Saint-Brévin-les-Pins et Saint-Michel-Chef-Chef en compagnie de quelques autres. Le trajet suit le bord de mer à Saint-Michel-Chef-Chef qui pourrait aussi bien s’appeler Longue-Longue-Plage. «Femme conducteur d'autobus/Forte des halles, vendeuse aux puces/Qu'on a envie d'appeler Georges/Mais qu'on aime bien sans soutien-gorge.», chante Michel Sardou dans notre autobus conduit par une femme qui aime Radio Nostalgie.
Arrivé à dix heures à Pornic, je descends devant la Gare. A côté, c’est l’Office du Tourisme où j’entre illico pour me procurer un plan de la ville et surtout que l’on me rappelle l’adresse de Ker Miaou, la maison où Paul Léautaud venait en vacances chez son amante Madame Cayssac (qu’il surnommait le Fléau) et son mari défaillant (qu’il surnommait le Bailli).
Suivant les instructions, je grimpe la très pentue rue de la Source imaginant Léautaud faisant le même trajet encombré de ses bagages et des paniers de chats de sa maîtresse. La rue redescend ensuite vers la mer. Je tourne à droite, rue Jean-Courot. Au numéro quarante et un, à l’angle de la rue Rapine, Ker Miaou est écrit sur la barrière blanche. Je suis déjà venu ici avec celle qui me tenait la main, ne songeant pas alors que j’y reviendrais seul. Je fais une série de photos de la maison aux volets fermés et du jardin où rode un chat blanc un peu hirsute, très léautesque
La rue de la Source aboutit à la mer. A son extrémité se trouve l’Alliance Pornic qui fait hôtel, restaurant bio, thalasso et spa (Léautaud en thalasso, on n’y pense même pas). C’est là que débute le chemin qui permet de revenir vers le centre de Pornic par la corniche. Je ne m’en prive pas, admirant les côtes rocheuses parsemées de pêcheries, ces cabanes sur pilotis à filet carré suspendu, que je ne vois jamais être utilisées.
Lénine a passé un mois par ici avec femme et belle-mère en mil neuf cent dix, villa Les Roses, rue Mondésir, je n’ai pas la moindre envie de voir ça.
La ville est belle dans le soleil déjà chaud. Arrivé au vieux port, je passe de l’autre côté, où sont la plupart des restaurants et des commerces à touristes. A l’ombre d’un parasol chez Cœur et Crème, je commande un café.
-Voici, monsieur, deux euros, s’il vous plaît.
Le Guide du Routard deux mille douze, dans sa rubrique « Où manger », recommande le restaurant L’Estaminet, rue du Maréchal-Foch. Sur la porte, une affichette m’apprend que j’arrive trop tard : « Suite aux problèmes de santé de François, nous sommes contraints de cesser nos activités. »
Je me rabats sur le Café Restaurant du Port situé à l’extrémité de celui-ci avec vue jusqu’au château. L’endroit est plus classe que ne le donne à supposer son nom. Le verre de sauvignon que l’on m’y apporte ne fait pas forcément les douze centilitres annoncés. Les Saint-Jacques en salade n’ont rien à voir avec celles de Dieppe. Le filet de merlu baigne dans une sauce blanche. Il est accompagné d’une boule de riz toute sèche. Le pain est médiocre. Le serveur pourtant sous-employé (nous sommes deux dans la salle et deux autres mangent au soleil dehors) m’oblige à lui rappeler que j’attends une carafe d’eau. Le dessert est un sabayon aux fraises. J’évite le café. Ma carte bancaire est débitée de dix-huit euros quatre-vingt.
Je vais voir les rues et les maisons de la ville haute où se tient l’église Saint-Gilles et trouve, place du Marchix, la terrasse pour me plaire, celle du Balto dont le café est à un quarante. J’y lis les missives de Truffaut, refais un tour sur le port, puis reviens au Balto pour un diabolo menthe à deux cinquante avant de faire la route dans l’autre sens.
                                                               *
Pornic qui offrait jusqu’à la fin de la guerre, et deux ou trois ans encore ensuite, un endroit à peu près tranquille, est envahi maintenant et de plus en plus par plein de maisons nouvelles. Ker Miaou est entouré maintenant de toutes parts de voisins, une raison de plus pour ne pas m’attirer. Où aller, pour fuir tout ce bruit, tout est envahissement, tous ces baragoins, toute cette montée de vulgarité. (Paul Léautaud, Journal littéraire, vendredi sept juin mil neuf cent vingt-neuf)
 

23 mai 2017


Ce lundi matin j’attends face à la gare de Saint-Nazaire qu’il soit l’heure de l’autocar pour Guérande au Péhemmu Couleur Café. Sa perruche jaune pâle, son café à un euro affiché en gros sur les vitres, sa patronne et sa clientèle pittoresques, en font un endroit indiqué pour lire quelques lettres de Truffaut.
A dix heures cinq, je monte dans le car en compagnie de jeunes hommes qui font tous la tronche, des apprentis qui vont je ne sais où. Nous filons par une sorte d’autoroute, frôlons La Baule, traversons une de ces immondes zones commerciales qui jouxtent les villes, mais ne voyons pas les marais salants qui font la renommée de la cité médiévale.
Je descends près de la Médiathèque Samuel-Beckett et entre par la première porte aperçue dans la vieille ville cernée de remparts. Je constate alors que je l’ai échappé belle (comme on dit). Ce ouiquennede, c’était la Fête Médiévale.
Cela sent encore le cheval. Je croise quelques médiévaux attardés, des filles qui marchent pieds nus, des garçons aux cheveux longs pas lavés. Les employés municipaux rangent et nettoient. La pancarte « Enfants perdus » est encore en place. Près de la Collégiale Saint-Aubin et dans la rue principale s’agglutinent des groupes de touristes derrière un guide, certains sont venus de Dieppe, mais dès que je prends une rue adjacente, j’y suis seul.
Les commerçants s’interrogent mutuellement :
-Alors, ça a été ?
-Mieux dimanche que samedi.
C’est une façon d’évoquer le tiroir-caisse sans le nommer.
Je passe rue de la Juiverie où une plaque invite les passants à se souvenir : «En ce lieu a vécu au Moyen-Age une communauté juive qui a contribué à l’essor et au rayonnement de Guérande». Une note explicative précise qu’«En 1240, par l’ordonnance de Ploërmel, le duc Jean 1er le Roux bannit les Juifs de Bretagne».
Il fait vite chaud dans ces rues pavées. Je m’offre un café à l’ombre en terrasse et à un euro trente au Café de la Mairie. Près de là est un restaurant recommandé par Le Guide du Routard : La Potence, mais celle-ci ne fonctionne pas le lundi  Faute de mieux, j’opte à déjeuner pour le Café Restaurant du Centre qui a au moins l’avantage d’avoir une belle terrasse face à la Collégiale et de vastes et solides parasols qui permettent de manger à l’ombre. C’est assez vite complet.
Sur le menu, une photo montre les serveuses en minijupe, une tenue qui n’est pas celle de ce lundi et n’était pas non plus celle de ce ouiquennede car le chef serveur demande à l’une pourquoi elle n’a pas remis sa robe du Moyen-Age. Pour seize euros quatre-vingt-dix, j’ai droit à un duo de terrine aux salicornes des marais et bloc de foie gras (un voisinage assez étrange) et à un véritable jarret braisé au cidre (aussi énorme que sec). J’accompagne cela du demi-pichet de cidre brut à six euros cinquante.
Quittant la table alourdi, je choisis de fuir la chaleur de Guérande en regagnant au plus vite le bord de mer à Saint-Nazaire. Le car du retour est climatisé.
Face à l’immensité bleue, sur un banc, à l’ombre d’un arbre, je me replonge dans la Correspondance de François Truffaut jusqu’à ce qu’un oiseau lâche une chiure juste à ma droite. Que je sois en train de lire des lettres évoquant The Birds d’Hitchcock me donne à réfléchir. J’abandonne la place.
                                                                  *
Pas moyen d’entrer dans un Office du Tourisme sans y trouver tous les guichets accaparés pas des couples de retraités qui veulent qu’on leur explique tout en détail. Derrière je piaffe, ne voulant qu’un plan de la localité.
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« Puis-je savoir votre code postal ? » est la question à laquelle il me faut répondre avant de repartir avec ce plan qui parfois me sert.
 

22 mai 2017


Ce bon vieux train en provenance d’Orléans n’a que cinq minutes de retard ce dimanche matin quand il s’arrête à la gare de Saint-Nazaire. En y grimpant, je ne serais pas plus étonné que ça d’y découvrir une famille orléanaise de ma connaissance en tenue de plage venue passer la journée à la mer, mais non, c’est un adolescent boudeur et ses grands-parents qui occupent le carré central de la voiture dont je descends au premier arrêt : Pornichet.
Ici, il y a peu de temps était en vacances, avec ses trois enfants, l’une qui m’a tenu la main.
A la sortie de la gare, j’aperçois une terrasse attirante, celle du café La Terrasse « depuis mil neuf cent quatre ». Je me propose d’y revenir après être allé voir le front de mer. Il me déçoit totalement, ce n’est que la prolongation de La Baule. Comment est-il possible que j’aie oublié ça ? Le nom du lieu doit y être pour quelque chose, qui fait rêver à un port niché. Le port de plaisance se tient à l’avant de la plage avec arrogance. Près de lui est un port d’échouage. Il n’y a pas que des bateaux qui viennent s’échouer à Pornichet.
Heureusement, la ville possède de jolies rues intérieures dont l’une me permet de revenir à La Terrasse. La serveuse est désagréable, du genre à me demander au bout d’un quart d’heure si je veux autre chose.
Dans le petit bout de rue semi piétonnière proche, je trouve à déjeuner en terrasse au Bourlingueur dont le menu dominical est à quinze euros quatre-vingt-dix : carpaccio de bœuf à l’italienne, filet de lieu noir en croûte d’épices avec brochette de petits légumes, tarte Tatin. J’accompagne cela de sauvignon et mange seul, considérant celles et ceux qui sortent de la boulangerie voisine avec le pain et le gâteau du dimanche. Lorsque je bois le café s’installe un couple à deux moutards que je n’ai donc pas à supporter longtemps, le père au plus excité des deux : « Tu te calmes, les frites vont arriver, tu te calmes. »
J’ai le projet de rejoindre Saint-Marc-sur-Mer à pied. Il suffit de suivre la côte sur quatre ou cinq kilomètres. Assez vite, les moches immeubles sont remplacés par des villas plus ou moins regardables. Je passe devant la chapelle Sainte-Anne. Elle est miraculeusement ouverte. J’y entre. Au fond se tient un couple en prière. Une promenade en bois longe la plage pendant un certain temps. J’arrive à la Pointe du Bé où Julien Gracq venait en vacances dans une petite maison. S’y trouve le rococo Château des Tourelles devenu Centre de Thalassothérapie. Gracq en thalasso ? L’hypothèse est distrayante. A l’entrée de cet établissement  un panneau annonce une « Opération taille de guêpe » « Résultat silhouette garanti ». À un moment, plus de chemin, il faut passer par la plage. Marcher dans le sable au milieu des corps allongés a tôt fait de m’épuiser. Je récupère sur un banc dès que j’ai regagné la terre ferme. Quand je repars, je surplombe la petite plage naturiste de Chemoulin, coincée entre des rochers qui gênent la vue. Je fais une nouvelle pause près d’un radar militaire. Il fait beau et chaud. En ayant assez de monter et descendre, je termine par la route. Monsieur Hulot est là qui m’attendait.
L’idée m’est venue en chemin de continuer à pied par la côte jusqu’à mon gîte, je sais maintenant que j’en suis incapable. J’ai du mal à trouver par où passe le seul bus qui circule le dimanche à Saint-Nazaire en faisant une boucle dans la ville mais ai la chance de le voir arriver vite (c’est heureux car il ne passe que toutes les heures).
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Bourgeois du bord de mer avec leurs pantalons couleur saumon (comme les pages Economie du Figaro).
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Une femme sur la plage à ses enfants (une fille et un garçon entre huit et dix ans) : « Les hommes, ça te dit : J’te quitte, et ça s’en va. ». Le garçon proteste. « Ton père, c’est ce qu’il a fait. On s’est disputé, il m’a dit : J’te quitte, et il est parti. »
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Au matin, avant Pornichet, visite éclair du petit vide grenier installé au pied de l’immeuble dans la cour de l’Ecole Maternelle Jean-Zay. On y vend essentiellement des vêtements d'enfant et des jouets, comme on pouvait s'y attendre. C’est la première fois que je remets les pieds dans la cour d’une école maternelle depuis que j’ai quitté le métier.
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A Saint-Nazaire, avec le bus, passé par le Collège Anita-Conti, le Centre Boris-Vian où se niche le Conservatoire à Rayonnement Départemental (Musique) et la place des Quatzhorloges.
 

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