Le Journal de Michel Perdrial

Le Journal de Michel Perdrial




Loïc Boyer
Je suis l’auteur de textes courts qui furent publiés depuis mil neuf cent quatre-vingt-quinze dans des revues littéraires en France (Supérieur Inconnu, Supplément d’Ame, Nouvelle Donne, Le Bord de l’Eau, Pris de Peur, l’Art du Bref, Sol’Air, Gros Textes, Salmigondis, Verso, Décharge, Bulle, Filigranes, Diérèse, Martobre, Comme ça et Autrement, (Cahier d’) Ecritures, La Nef des Fous), en Belgique (Traversées, Ecrits Vains, L’Arbre à Plumes, Inédit Nouveau, Bleu d’Encre), au Canada (Les Saisons Littéraires) et en Italie (Les Cahiers du Ru).
Les courageuses Editions du Chardon ont publié en mil neuf cent quatre-vingt-dix-neuf Erotica, un recueil de vingt-huit de ces textes, illustré par Isabelle Pio et Antoine Lopez et préfacé par Sarane Alexandrian, toujours disponible auprès de moi.
Je suis également l’auteur d’une pièce de théâtre et de plusieurs romans ou récits à ce jour inédits.
Depuis le onze novembre deux mille six, je publie mon Journal via Internet, un temps sous-titré Persiflages, moquages et autres énervages mâtinés de complimentages et de contentages. Sa première partie est lisible chez Eklablog, la deuxième ici.
Je vis au centre de Rouen dans un ancien monastère où autrefois les Sœurs de la Miséricorde se vouaient à l’éducation des jeunes filles.







Rss

19 février 2018


Avant de partir à la conquête du Sultanat d’Oman, les musicien(ne)s de l’Opéra de Rouen se préparent, jeudi soir, à La Conquête de l’Ouest, un concert pour lequel j’ai une place au dernier rang de la corbeille.
Ce rang n’a que deux fauteuils, situés près des portes, un du côté impair, un du côté pair (où je suis). Loin d’être défavorisé, j’ai l’avantage d’être surélevé, d’avoir vue sur l’ensemble de la salle, de n’avoir aucun voisin et de bénéficier de la proximité des trois charmantes ouvreuses, dont l’une fut mon élève quand elle avait cinq ans.
Devant moi s’installe un couple de retraités des plus calmes. Devant eux ce sont des lycéen(ne)s tout aussi tranquilles, dont certaines filles qui ont fait un bel effort de toilette. On ne s’habille plus pour aller à l’Opéra. Ces jouvencelles font heureuse exception  La soirée s’annonce paisible et riche d’intérêt.
A la baguette, c’est le jeune Jamie Phillips, déjà apprécié ici. Cela commence par Chaâbi du contemporain Tarik O’Regan, une très belle œuvre conforme à son titre et qui m’évoque aussi Philip Glass. Las, son écoute est troublée par un tousseur assis derrière le staff. Ce gêneur a la bonne idée de quitter la salle mais à ce moment arrive un groupe en retard qui s’installe dans deux loges avec le bruit inévitable qu’engendre ce genre d'opération.
Ce sont des handicapés mentaux (comme on disait autrefois) et leur assistance. L’un d’eux se met à gémir, mêlant au Chaâbi d’O’Regan une performance vocale non voulue par le compositeur.
Appalachian Spring d’Aaron Copland est dérangé par le cri répété d’un autre. Exprime-t-il sa joie ou sa douleur, c’est difficile à savoir, mais je plains celles et ceux qui sont assis juste devant lui en corbeille.
En sortant de la salle pour l’entracte, chacun(e) jette un regard en coin pour identifier l’origine des sons inopportuns. Nul(le) ne se hasarde à un commentaire. Ce ne serait pas correctement politique.
A la reprise, Jamie Phillips dit quelques mots en français afin d’évoquer George Butterworth, compositeur qui aurait pu, selon lui, devenir un des grands musiciens du vingtième siècle s’il n’était mort prématurément pendant la Bataille de la Somme. The Banks of Green Willow, l’une des trois seules œuvres de Butterworth, bien que courte, est troublée elle aussi par des psalmodies et des lamentations provenant des loges.
Pour finir, c’est la Symphonie numéro Cent Quatre en ré majeur dite de Londres de Joseph Haydn, son ultime mais pas la moindre, un peu moins perturbée par des sons intempestifs.
Le jeune maestro dynamique et les musicien(ne)s sont fort applaudis à l’issue de cette soirée qui fut tout sauf paisible.
                                                               *
L’après-midi, quand je suis allé retirer ma place à l’accueil de l’Opéra, le jeune homme à qui je demandais s’il y en avait une meilleure de disponible m’a proposé un fauteuil du balcon que j’ai refusé puis un autre en corbeille juste devant les loges J’aurais pu l’accepter mais son absence d’enthousiasme m’a alerté. J’ai gardé mon siège isolé. Et j’ai bien fait.
                                                               *
Jean Braunstein, son Vice-Président, n’a pas mis longtemps à répondre à la question que je me posais : « Les dix membres de l'association des publics de l'opéra de Rouen qui partent à Mascate le font entièrement à leur frais ! Pas de subvention de l'opéra de Rouen, pas d'invitation du sultan ! Et les participants au voyage paient aussi leur place à l'Opéra Royal de Mascate ! »
Il m’indique également qu’il ne s’agit pas que d’une opération de prestige : « Il me semble qu'il n'est pas scandaleux que l'Opéra de Rouen ait été choisi par la direction de celui de Mascate parmi tous les opéras possibles pour monter une coproduction inédite jusqu'alors : non pas la livraison d'un opéra clés en main, comme le ROHM le faisait jusqu'alors, mais une coproduction, élaborée en commun. L'opéra de Mascate y voit l'occasion de développer son propre savoir faire à l'aide de notre opéra. De ce fait, le déplacement à Mascate est financé par le Sultanat d'Oman. Ce type de coopération, où nous vendons notre savoir-faire en matière culturelle n'est pas à négliger aujourd'hui. »
 

16 février 2018


Le train de sept heures cinquante-neuf pour Paris est encore supprimé ce mercredi et il n’est pas le seul. Cette fois, c’est en conséquence de nombreuses voitures abîmées par l’épisode neigeux (vitres cassées, etc.). C’est du moins l’explication officielle. Pas question que je me fasse rembourser. Je prends le précédent, la bétaillère à étage qui part une demi-heure plus tôt, mais comme pour la même raison, elle est transformée en omnibus, je n’arrive au Café du Faubourg que dix minutes plus tôt.
Après avoir bookoffié sans grand succès, je me risque au marché d’Aligre malgré le froid et n’y trouve rien, pas davantage chez Emmaüs. Dépité, je rejoins l’avenue Parmentier à pied afin de déjeuner au Palais de Pékin.
Il est tôt. Où se mettre à l’abri du vent glacé ? Je me garde bien de retourner dans certaine bouquinerie infâme mais entre dans l’église Saint-Ambroise. Elle est aussi vaste que peu remarquable. Quelques miséreux y ont trouvé refuge dont l’un a carrément installé une chaise au-dessus d’une bouche de chaleur. Il s’y tient prostré « Mon Dieu, pourquoi m’as-tu abandonné ? » La Police est espérée, non pour expulser ces malheureux, mais pour prier à l’invitation du Clergé « Policier, viens parler de ton métier avec des collègues à la lumière de l’Evangile ».
Aucun couple d’amoureux n’a choisi le Palais de Pékin pour la Saint-Valentin. La femme et l’homme présents n’en sont pas, comme me l’apprend son propos à lui :
-Guillaume Dustan, j’ai tout lu pendant ma dépression. C’est un de mes amants qui me l’a fait découvrir.
Deux vieilles amies commandent une Tsingtao. Cette bière ne m’est plus inconnue depuis qu’une élégante Chinoise m’a expliqué qu’elle est fabriquée à Qingdao, sa ville natale. Elle vient de la rejoindre afin d’y fêter, avec sa nombreuse famille, le Nouvel An, lequel a lieu cette année, et pour la troisième fois depuis ma naissance, le jour de mon anniversaire (on trouve à Qingdao une Cathédrale Saint-Michel).
Après avoir terminé d’énormes moules un peu coriaces, je remonte la rue du Chemin-Vert jusqu’à la Petite Rockette. Je n’y vois aucun livre intéressant. Le seul que je feuillette est un journal autoédité qui bénéficie d’une inscription manuscrite de l’auteure : « A mon docteur, afin qu’il me connaisse mieux ».
D’un coup de métro, je rejoins le second Book-Off où je trouve quand même cinq livres à acheter. Il fait toujours aussi froid quand j’en ressors. Près de la station de métro Quatre-Septembre, un semi clochard est en grande conversation téléphonique avec je ne sais qui. Johnny, Laetitia, Laura, David, la famille dont il parle n’est pas la sienne et plus déshérité que les deux derniers il est.
                                                    *
Comment presque rater son voyage de retour :
S’installer comme d’habitude, avant que le tableau d’affichage ne l’autorise, dans la bétaillère du quai Dix-Neuf. Découvrir au dernier moment qu’elle ne va qu’à Oissel. Chercher l’autre bétaillère. La trouver quai Vingt-Trois. Y grimper deux minutes avant le départ. Comme elle est, elle aussi, transformée en omnibus et donc blindée, n’y avoir pour s’asseoir que l’emplacement des bagages. Etre transporté comme un colis jusqu’à Vernon. Là, trouver enfin une vraie place assise.
                                                   *
Seul livre inattendu rapporté de Paris ce mercredi : Dessins de François Caradec (Les Ateliers du Tayrac). Je ne le savais pas dessinateur. Son talent dans ce domaine est relatif.
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Trouvé dans un autre livre : un petit recueil de pensées et maximes d’Oscar Wilde qui était offert aux voyageurs de l’Eurostar en mil neuf cent quatre-vingt-seize. Extrait d’actualité en ce jour de froide Saint-Valentin : Personne n’est parfait : même moi, je suis particulièrement sensible aux courants d’air.
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« Et ne me parlez pas de l’église Saint-Ambroise. Quand je la croise, j’ai honte pour Dieu. » (Pierre Desproges, dont ce sera le trentième anniversaire de la mort le dix-huit avril)
 

15 février 2018


Un « opéra pour tous » est proposé mardi soir à l’Opéra de Rouen, L’Ebloui de Michel Musseau, sur un livret de Joël Jouanneau. Pour tous, pourquoi pas pour moi, me dis-je, bien je me méfie des spectacles « tout public », c'est-à-dire pour enfants.
La lecture du livret programme confirme mes appréhensions. L’Ebloui narre un « parcours initiatique ». Celui qui est ébloui a pour nom Horn. Il sera « confronté aux injustices du monde avant de finalement trouver la paix ».
Deux chanteuses et un chanteur de la compagnie Le Carrosse d’Or sont sur scène en compagnie de deux musiciens et d’une musicienne de l’ensemble Ars Nova. Je n’ai rien à redire de leur prestation, mais cela ne suffit pas à faire de cet opéra pour tous un spectacle qui m’intéresse. Il ne m’éblouit ni musicalement, ni théâtralement.
« C’est quand que c’est fini ? » demande le moutard assis derrière avec son père. Celui-ci réussit à le retenir un certain temps puis capitule, ce qui nous vaut un beau claquement de porte.
Cinq minutes plus tard, la représentation s’achève abruptement, au point que le public hésite à applaudir. Quand il le fait, cela ressemble au minimum syndical. Les seuls à manifester leur enthousiasme sont les gars de la régie au fond de la salle.
Au moins, suis-je de retour chez moi avant vingt et une heures.
                                                          *
Dans le même temps, cent treize artistes et vingt-quatre employés administratifs et techniques de l’Opéra de Rouen s’apprêtent à décoller pour le Sultanat d’Oman afin de donner Norma, et accessoirement Pierre et le loup, à l’Opéra Royal de Mascate. Les décors de Norma sont déjà partis par bateau du Havre puis seront acheminés par camion dans le désert.
Cette opération de prestige est due à Frédéric Roels, ancien Directeur, par ailleurs metteur en scène de cette Norma. Le Sultan Qabus est mélomane, il paie une partie des frais engagés.
Dix membres de l’association Publics de l’Opéra de Rouen sont également du voyage. Invités par le Sultan ? Invités par l’Opéra de Rouen ? Voyageant à leurs frais ? No lo sé.
                                                          *
Toute histoire visant à parler du monde et qui se termine bien est un mensonge.
 

14 février 2018


Attachant personnage qu’Edouard Levé dont les séries de photos Angoisse, Pornographie, Amérique et autres sont bien pour me plaire.
Il en est de même de son Autoportrait, écrit dans sa trente-neuvième année, publié en deux mille cinq chez P.O.L., que j’ai lu dans sa réédition posthume de deux mille treize au format poche, un bloc de texte autobiographique que pour les besoins de la prise de notes je suis obligé de scinder afin d’en tirer ce qui résonne le plus en moi  :
Je n’ai pas honte de ma famille, mais je ne l’invite pas à mes vernissages.
Mon père m’a surpris en train de faire l’amour avec une femme, lorsqu’il a toqué à la porte, j’ai dit mécaniquement : « Entrez », son visage s’est illuminé, il a aussitôt fermé la porte, lorsque l’amie a tenté de repartir discrètement, il s’est précipité vers elle et lui a dit : « Revenez quand vous voudrez, mademoiselle. »
Je fais des photographies parce que je n’ai pas vraiment envie de changer les choses.
J’écris peut-être ce livre pour ne plus avoir à parler.
A un dîner, une amie m’a embrassé, s’est déshabillée, et tout a basculé pour la moitié des convives, parmi lesquelles figuraient trois de mes anciennes amantes.
J’ai couché avec une quinzaine de prostituées de diverses origines : française, indienne, africaine, roumaine, arabe, italienne, albanaise.
Adolescent, le nazisme me paraissait appartenir à un autre temps, mais plus je vieillis, plus ce temps me semble proche.
Je crois que les touristes ne regardent pas leurs photos de voyage, et s’ils les regardent, je crois qu’ils n’en pensent rien.
J’écris moins bien assis à une table ronde, où mes coudes reposent dans le vide, qu’à une table rectangulaire, sur laquelle ils prennent appui. (Je me souviens que Marguerite Duras a écrit la même chose et que je l’ai noté en son temps)
Mon frère et moi, nous sommes comme le jour et la nuit, je suis peut-être la nuit.
Je crois plus en la littérature, même mineure, que dans le cinéma, même majeur.
Lorsque nous jouions au voyou et à la bourgeoise, ma cousine passait devant la balançoire sur laquelle j’étais assis, à l’écart de la maison familiale, je l’interpellais d’un air mauvais, elle ne répondait pas mais faisait semblant d’être affolée, elle commençait à courir, je la rattrapais et la conduisais de force dans la petite cabane, je fermais le verrou, je tirais les rideaux, elle essayait vaguement de s’enfuir, je la déshabillais, et simulais l’acte sexuel pendant qu’elle poussait des cris dont je n’ai jamais compris s’ils mimaient l’horreur ou le plaisir, j’ai oublié comment nous finissions.
Bien que j’aie publié chez lui deux livres, mon éditeur continue de me présenter comme un artiste, si j’étais comptable, en plus d’être écrivain, je me demande s’il me présenterait comme un comptable.
Dans mes périodes de dépression, je visualise l’enterrement consécutif à mon suicide, il y a beaucoup d’amis, de tristesse et de beauté, l’évènement est si émouvant que j’ai envie de le vivre, donc de vivre.
J’ai perdu tout contact avec des amis qui m’étaient chers, sans savoir pourquoi, je crois qu’eux non plus ne savent pas pourquoi.
J’ai un fantasme avec les étudiantes en école d’art.
Je n’aime pas qu’on me rende visite à l’improviste.
Lorsque quelqu'un me parle de ses « énergies », je pressens un arrêt prochain de la conversation.
J’ai appris à dessiner en copiant des photos pornographiques.
Mes souvenirs, bons ou mauvais, sont tristes comme des choses mortes.
                                                         *
Autoportrait débute par Adolescent, je croyais que La Vie mode d’emploi m’aiderait à vivre, et Suicide mode d’emploi à mourir. et s’achève par Je ne pourrai dire qu’une fois sans mentir : « Je meurs. » Le plus beau jour de ma vie est peut-être passé.
                                                        *
Lorsque Paul Otchakovsky-Laurens est mort à Marie-Galante le deux janvier dernier dans un accident de voiture, France Culture a rediffusé son A voix nue.
Il y racontait comment après avoir reçu le manuscrit de Suicide, le texte dans lequel Edouard Levé raconte celui d’un ami à lui, il avait voulu le joindre au téléphone et qu’il était trop tard.
                                                       *
Edouard Levé s’est suicidé le quinze octobre deux mille sept à Paris. Il avait quarante-deux ans.
                                                       *
Le passage le plus rude d’Autoportrait :
Enfant, ma mère me surnommait parfois Edouard le bâton, parce que je passais mes journées à la campagne avec un morceau de bois, plus tard, lorsque je suis devenu turbulent, elle m’a appelé le Bâton merdeux, puis, plus simplement, la Merde.
 

13 février 2018


Averti qu’un rouenno-centré spécialiste du petit patrimoine local (à chacun sa marotte) s’était emparé de l’un de mes textes, dans lequel j’évoquais mes frictions avec les guides touristiques qui envahissent la ruelle dès que le printemps revient, je vais voir ce qu’il en est.
Effectivement, ce texte, qualifié d’« amusant » « relevé sur un compte personnel Facebook », est reproduit intégralement en conclusion du différend obscur qui oppose cet indélicat à l’Office de Tourisme de la ville, et cela sans même que mon nom soit cité.
Je proteste :
-Ce que vous appelez un amusant relevé sur un compte personnel Facebook est un extrait de mon Journal dont vous vous servez pour vos règlements de compte sans m'en avoir demandé l'autorisation, je vous demande donc de l'ôter de votre texte.
-Sans aucun problème pour moi mais je suis déçu de ce manque de coopération. Vraiment dommage dans cette ville qui décidément ne sait que défendre des prés carrés illusoires.
-Utiliser un texte d'autrui sans lui demander s'il est d'accord, sans citer le nom de l'auteur, mais en précisant © D… C…, c'est une curieuse pratique de la coopération.
-Voilà, la suppression vient d’être effectuée. C’est bien triste...
-D'agir de cette façon, oui c'est bien triste.
                                                        *
Au temps où Willy me faisait le contestable honneur de signer mes romans, il lui arrivait parfois d’insérer dans mes textes quelques mots destinés à satisfaire ses rancunes personnelles. C’est ce qu’il appelait collaborer. (Colette, lettre à Lucien Solvay, Hôtel Métropole de Bruxelles, février mil neuf cent neuf)
                                                        *
« Scandale sexuel à Haïti : Londres menace de couper les vivres à Oxfam », titre Le Parisien ce dimanche :
 «La Commission caritative a indiqué avoir reçu un rapport d’Oxfam en août 2011. Ce rapport mentionnait des «comportements sexuels inappropriés, des faits d’intimidation, de harcèlement et d’intimidation du personnel». Mais il n’évoquait pas des «abus portant sur des bénéficiaires» de l’ONG ni de «potentiels crimes sexuels impliquant des mineurs».»
«Selon une enquête du Times publiée vendredi, des groupes de jeunes prostituées étaient invitées dans des maisons et des hôtels payés par Oxfam. Une source citée par le quotidien dit avoir vu une vidéo d’une orgie avec des prostituées portant des T-shirts d’Oxfam.»
 

12 février 2018


Ce vendredi matin Rouen connaît son épisode neigeux (comme disent les journalistes de la météo) mais à peine ai-je fait par ma fenêtre une photo du lampadaire et du jardin d’en face blanchis que ça commence à fondre et le soir c’est sur un pavé mouillé que je marche jusqu’à l’Opéra de Rouen. Sidi Larbi Cherkaoui et sa Compagnie Eastman y donnent Fractus V.
-C’est un opéra ? demande à sa femme l’homme à cheveux blancs qui s’assoit deux sièges à ma gauche au troisième rang du premier balcon.
Le nombre d’hommes amenés là par leur femme et par la nécessité de fréquenter cet endroit quand on fait partie de la bourgeoisie bourgeoisante est conséquent. Celui-là apprend qu’il va voir de la danse.
D’autres, bien plus jeunes, sont présents sans l’avoir décidé eux-mêmes ; ce sont les lycéens conduits là par leurs professeurs mais, contrairement à l’homme à cheveux blancs, cette jeunesse est heureuse d’être là.
Fractus V, chorégraphie de Sidi Larbi Cherkaoui, est interprétée par lui-même et quatre danseurs de sa Compagnie Eastman : Dimitri Jourde, Johnny Lloyd, Fabian Thomé Duten et Patrick « TwoFace » Williams. Ils viennent des univers du cirque, du lindy hop, du flamenco et du hip hop. L’amalgame a pris, c’est une heure et quart de plaisir, une succession de très belles séquences sur une musique d’ailleurs (jouée et chantée en direct par quatre musiciens africains et asiatiques) et des textes dits (traduits en français en fond de scène) de Noam Chomsky sur la manipulation des masses et d’Alan Watts sur la difficulté à mettre son cerveau en veilleuse.
Une déferlante d’applaudissement conclut la soirée. L’homme à cheveux blancs ne semble pas regretter d’avoir été traîné là par son épouse.
                                                        *
Sidi Larbi Cherkaoui, interrogé par Vinciane Laumonier dans le livret programme :
« -Qu’est ce qui vous a amené à la danse ?
-La télévision ! J’étais fasciné par les artistes tels que Michael Jackson ou Kate Bush qui chantaient et dansaient en même temps. »
Plus loin :
« Que mon père ait été dur avec moi n’a pas été évident mais m’a aidé, perdre des êtres chers étant enfant, être marocain et belge, être homosexuel, toutes les circonstances sont des leçons. »
                                                       *
Les quatre musiciens sont Shogo Yoshii (tambours et chants japonais), le joueur de sarod Soumik Datta, le jazzman coréen Woojae Park et le chanteur congolais Kaspy N’dia. Ils débutent et bouclent Fractus V par des polyphonies corses.
                                                       *
Lindy hop kesako ? Je me renseigne de retour à la maison. Il s’agit tout simplement de ce bon vieux jitterbug.
                                                       *
Deux mille dix-huit étant l’année du cinquantième anniversaire de la mort à Neuilly-sur-Seine de Marcel Duchamp et Marcel Duchamp étant forcément rouennais une opération métropolitaine baptisée Duchamp dans sa ville est organisée localement, avec notamment une exposition ABCDuchamp au Musée des Beaux-Arts l’été prochain.
Dans l’attente, une expo nommée Indigènes est vernie ce vendredi soir à la Bibliothèque Simone de Beauvoir. Elle est consacrée non seulement à Marcel Duchamp mais aussi à feu son thuriféraire rouennais Patrice Quéréel et est organisée par les orphelins de ce dernier, du moins une partie de ceux-ci car après la mort de leur héros les héritiers se sont divisés en deux groupes hostiles l’un à l’autre, chacun s’estimant détenteur d’un morceau de la Vraie Salopette (rose).
                                                       *
Que c'est triste un train qui siffle dans le soir… Il est midi moins cinq ce samedi, le carillon de la Cathédrale de Rouen joue Richard Anthony.
 

9 février 2018


Je connais Jean Zay depuis l’âge de trois ans pour la raison que l’école maternelle lovérienne où je fus élève portait (porte toujours) son nom. Ce n’est qu’arrivé au lycée (ou peut-être au collège) que j’ai appris qu’il fut le plus jeune Ministre de l’Education Nationale au temps du Front Populaire et quel fut son sort.
Alors qu’il cherchait à gagner l’Afrique du Nord après la Débâcle pour y poursuivre le combat Jean Zay fut arrêté et mis à l’isolement à la prison de Riom (Puy-de-Dôme) où il tint son journal. Il y relate sa vie quotidienne en captivité en se remémorant son action de Député puis de Ministre (il fut notamment le créateur du Centre National de la Recherche Scientifique et des Centres Régionaux des Oeuvres Universitaires et Scolaires).
Cet épais journal, dont j’avais déjà lu des extraits, est publié sous le titre de Souvenirs et solitude en édition de poche par Belin (éditeur indépendant depuis mil sept cent soixante-dix-sept).
Quelques extraits :
Ce n’est pas la première fois dans notre histoire que les militaires ont perdu une guerre par leur impéritie et leur manque d’imagination. Mais c’est la première fois sans doute qu’en sanction du désastre ils s’emparent du pouvoir. (dix-sept janvier mil neuf cent quarante et un)
La prison nous apprend que nous pouvons nous passer du monde –féconde révélation– et que, plus facilement encore, le monde peut se passer de nous. (vingt-sept janvier mil neuf cent quarante et un)
On n’écrit plus : « Un mari jaloux tue sa femme d’un coup de revolver », mais : « D’où viens-tu ? Elle ne répond pas… il l’abat. » Soit. Mais on n’écrit pas davantage : « Mort de M. X…, le savant biologiste, inventeur de plusieurs sérums. » On écrit : « X… est mort ; il fit son service militaire dans les dragons et jouait mal au bridge », ce qui est déjà plus fâcheux. (treize avril mil neuf cent quarante et un)
En 1939, le spectacle qu’on contemplait dans la cour des palais officiels, par les hautes fenêtres, était celui des abris souterrains dont on poussait l’achèvement et qui furent terminés juste à temps pour ne pas servir. (premier janvier mil neuf cent quarante-trois)
Troisième printemps de captivité. Pour la troisième fois, j’ai bêché les quelques mètres carrés de ma cour, dont un peu de verdure et une grande puissance d’illusion feront bientôt pour la distraction de mes yeux « mon jardin ». (quinze mars mil neuf cent quarante-trois)
Je pense à cet article de Roland Dorgelès que je lus dans un hebdomadaire pendant l’hiver 39-40, sur le front de Lorraine, et où l’écrivain, célébrant l’invincibilité de la ligne Maginot, s’écriait, figé au garde-à-vous devant la mémoire de son auteur : « Merci, sergent !... » (dix-sept mars mil neuf cent quarante-trois)
Les hommes que nous étions avant 1940 gardaient enfouis très loin en eux-mêmes leurs sentiments essentiels, comme ces poissons énormes des grandes profondeurs, invisibles de la surface et dont on ne soupçonne pas l’existence. La tempête a semé l’agitation dans les eaux les plus calmes ; elle a fait remonter au grand jour tout ce qui dormait dans les ténèbres : chacun exhibe sa faune sous-marine. (vingt-deux avril mil neuf cent quarante-trois)
Les carnets de Jean Zay, que sa femme sortait discrètement dans la voiture d’enfant lorsqu’elle venait le voir avec leurs deux filles en bas âge, s’arrêtent à la date du sept octobre mil neuf cent quarante-trois. Après cette date, le régime auquel il est soumis ne cesse de s’aggraver. Le vingt juin mil neuf cent quarante-quatre, des miliciens porteurs d’un ordre de transfert viennent le chercher dans sa prison de Riom. L’un deux l’assassine d’un tir de mitraillette au Puits du Diable dans les bois de Cusset (Allier). Il avait trente-neuf ans.
                                                         *
Dans les carnets de Jean Zay ceci aussi concernant Charles Maurras dont il fut question de commémorer cette année le cent cinquantième anniversaire de  la naissance :
Huit ans plus tard, devenu député, j’habitais au 46 de la  rue de Verneuil. Au 60, trois ou quatre agents arpentaient en permanence le trottoir pour protéger ou surveiller le domicile de Charles Maurras. Au moment du 6 février, la préfecture de police dépêcha d’autres anges gardiens devant ma porte et devant celle, toute voisine également, de mon collègue Pomaret, si bien que le petit tronçon de la rue de Verneuil, entre la rue du Bac et la rue de Poitiers, grouillait d’uniformes. Il ne se passa jamais rien. Je me trouvais souvent, en même temps que le directeur de l’Action française, chez un petit coiffeur du quartier. Le coiffeur était socialiste. Tout en accommodant la barbe de son client monarchiste, il profitait de sa surdité pour tenir à mi-voix des propos railleurs et parfois scabreux : « Hein ! si je te coupais le cou avec mon rasoir, quel débarras pour la société ! » -« Oui, oui », faisait Maurras de la tête, croyant que le figaro l’entretenait de ses cheveux ou de la température. (seize juillet mil neuf cent quarante-trois)
 

8 février 2018


Pas un flocon à Rouen ce mercredi mais à Paris la neige a fait son effet. Dès le lever j’apprends que mon train de sept heures cinquante-neuf est supprimé. Je pourrais prendre le précédent ou le suivant mais à l’arrivée ce serait compliqué. D’une part, les métros bondés car point de bus en circulation et des voitures et les deux roues laissés au garage. D’autre part, le risque encouru sur les trottoirs glissants. Je renonce, bien que passer une semaine à Rouen sans pouvoir aller respirer une journée dans la capitale soit une douleur.
                                                      *
Deux filles sortant du Collège Camille-Saint-Saëns, l’une à l’autre :
-On passe à la boulangerie, on se prend un goûter de malade et on se colle à la maison.
                                                      *
Etre connu, c’est se demander à chaque personne que l’on croise et qui vous regarde si on la connaît ou non et donc si on doit la saluer ou non.
Ainsi Michel Bussi au bout de la rue Saint-Romain l’autre semaine quand je l’aperçois et me dis « Tiens, Michel Bussi ».
Point de salut, je sais que c’est lui, c’est tout.
                                                      *
Ces filles dans la rue qui sans s’arrêter considèrent leur arrière dans les vitrines qui font miroir. « Ça va, j’ai encore un joli petit cul. »
                                                      *
Dans ma ruelle :
-Ça s’rait bien de faire un truc dans une p’tite rue comme ça, une chasse au trésor par exemple.
-Oh oui, j’ai déjà fait le labyrinthe dans un champ de maïs.
 

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