Dernières notes
Loïc Boyer
Je suis l’auteur de textes courts qui furent publiés depuis mil neuf cent quatre-vingt-quinze dans des revues littéraires en France (Supérieur Inconnu, Supplément d’Ame, Nouvelle Donne, Le Bord de l’Eau, Pris de Peur, l’Art du Bref, Sol’Air, Gros Textes, Salmigondis, Verso, Décharge, Bulle, Filigranes, Diérèse, Martobre, Comme ça et Autrement, (Cahier d’) Ecritures, La Nef des Fous), en Belgique (Traversées, Ecrits Vains, L’Arbre à Plumes, Inédit Nouveau, Bleu d’Encre), au Canada (Les Saisons Littéraires) et en Italie (Les Cahiers du Ru).
Les courageuses Editions du Chardon ont publié en mil neuf cent quatre-vingt-dix-neuf Erotica, un recueil de vingt-huit de ces textes, illustré par Isabelle Pio et Antoine Lopez et préfacé par Sarane Alexandrian, toujours disponible auprès de moi.
Je suis également l’auteur d’une pièce de théâtre et de plusieurs romans ou récits à ce jour inédits.
Depuis le onze novembre deux mille six, je publie mon Journal via Internet, un temps sous-titré Persiflages, moquages et autres énervages mâtinés de complimentages et de contentages. Sa première partie est lisible chez Eklablog, la deuxième ici.
Je vis au centre de Rouen dans un ancien monastère où autrefois les Sœurs de la Miséricorde se vouaient à l’éducation des jeunes filles.
Les courageuses Editions du Chardon ont publié en mil neuf cent quatre-vingt-dix-neuf Erotica, un recueil de vingt-huit de ces textes, illustré par Isabelle Pio et Antoine Lopez et préfacé par Sarane Alexandrian, toujours disponible auprès de moi.
Je suis également l’auteur d’une pièce de théâtre et de plusieurs romans ou récits à ce jour inédits.
Depuis le onze novembre deux mille six, je publie mon Journal via Internet, un temps sous-titré Persiflages, moquages et autres énervages mâtinés de complimentages et de contentages. Sa première partie est lisible chez Eklablog, la deuxième ici.
Je vis au centre de Rouen dans un ancien monastère où autrefois les Sœurs de la Miséricorde se vouaient à l’éducation des jeunes filles.
10 mars 2018
Il drache à fond quand je sors du Péhemmu chinois du faubourg Saint-Antoine. Je fonce sous terre. La ligne Huit m’emmène jusqu’à Opéra d’où je rejoins au plus vite la brasserie Les Ducs où l’on m’accepte pour un café bien que ce soit encore l’heure du service de restaurant. J’y suis en bonne compagnie avec Giacomo Leopardi dont je relis les extraits du Zibaldone réunis sous le titre Philosophie pratique. Cette noirceur m’est remède à la mélancolie.
Vers quinze heures, j’entre au second Book-Off où ce mercredi les employés sont tous mâles. Finis les moments de rigolade de quand les filles étaient majoritaires. On y a renouvelé les rayonnages pendant mon absence.
Au bout d’une heure et demie, j’ai dans mon panier onze livres à un euro qui m’intéressent à des degrés divers : A l’instant de Luc et Christian Boltanski chez Melville Léo Scheer, Bloody Mary de Jean-Pierre Bouyxou aux Ateliers de Tayrac, Les Violettes sont des fleurs du désir d’Ana Clavel chez Métailié (que j’ai déjà), Ma petite poésie ne connaît pas la crise de Jean-Pierre Verheggen chez Gallimard, Les autodafés nazis de Didier Chauvet chez L’Harmattan, De Tunis à Kairouan de Guy de Maupassant aux Editions Ibn Charaf (avec des illustrations de Moncef Charfeddine), La Doulou d’Alphonse Daudet dans la jolie édition de Michel de Maule, L’art et l’artisanat de William Morris chez Rivages poche, Petit catéchisme à l’usage de la classe inférieure d’August Strindberg chez Babel/Actes Sud, Printemps français suivi de poèmes satiriques de Stig Dagerman chez Ludd et l’utile et récent Almanach des crimes et des catastrophes de Raymond Clément aux Editions du Panthéon (c'est-à-dire à compte d’auteur).
Je prends un dernier café A la Ville d’Argentan pas loin d’une quinquagénaire occupée à remplir la semaine de son agenda à l’aide de L'Officiel des spectacles dont elle tourne les pages en mouillant son doigt. Rien n’est moins érotique.
Quand il s’agit de revenir à Rouen avec le dix-sept heures quarante-huit, il n’est point là. Quinze minutes de retard sont annoncées, puis trente, puis on ne sait pas. Lorsque l’omnibus de dix-huit heures trente est affiché, la foule s’y précipite, parmi laquelle not’ bon Maire, Yvon Robert, ballotté comme bouchon. Ce train à deux étages est bientôt blindé. La bétaillère attendue se pointe enfin. J’y trouve une place assise. « Vous êtes bien dans le train pour Le Havre qui est enfin arrivé en gare de Paris Saint-Lazare », nous annonce ironiquement le chef de bord. Il n’y a pas que les usagers qui n’en peuvent plus. Une partie du trop-plein du dix-huit heures trente vient se déverser dans le nôtre à l’invitation de son chef de bord. Une femme s’inquiète de ne pas avoir vue sur sa valise. Elle croit que l’on voyage encore comme dans l’ancien monde. Nous partons avec quarante-huit minutes de retard. Tout va bien jusqu’à un arrêt inopiné. « Je vais essayer de savoir ce qui se passe car actuellement je n’en ai pas la moindre idée », annonce le chef de bord. Le train repart, on n’en saura pas plus. A l’arrivée à Rouen, cela fait cinquante-trois minutes de retard. Ceux qui avaient une correspondance pour Serqueux termineront leur voyage à l’aide de taxis payés par la Senecefe.
*
La vie des autres : sa fille s’est démis le pied en séparant les deux chiens qui se battaient dans la cour, elle est enceinte de quatre mois, son fils joue aux jeux vidéo toute la nuit, il empêche tout le monde de dormir, son mari vient de mourir. « Depuis le drame », dit-elle quand elle en parle. Ce qu’elle ne comprend pas : qu’un collègue de travail qui ne lui dit jamais bonjour soit venu à l’enterrement.
*
Au sept mars dans l’Almanach des crimes et des catastrophes, celui de mil huit cent quatre-vingt-six :
Arthur Belon, âgé de dix ans, y est jugé par la Cour d’Assises de la Martinique pour avoir passé une ficelle autour du cou de la petite Thérèse Famy, âgée de cinq ans, avant de la frapper mortellement à la tête avec une pierre. Son âge lui est circonstance atténuante, il est condamné à sept ans d’emprisonnement dans une maison de correction.
Vers quinze heures, j’entre au second Book-Off où ce mercredi les employés sont tous mâles. Finis les moments de rigolade de quand les filles étaient majoritaires. On y a renouvelé les rayonnages pendant mon absence.
Au bout d’une heure et demie, j’ai dans mon panier onze livres à un euro qui m’intéressent à des degrés divers : A l’instant de Luc et Christian Boltanski chez Melville Léo Scheer, Bloody Mary de Jean-Pierre Bouyxou aux Ateliers de Tayrac, Les Violettes sont des fleurs du désir d’Ana Clavel chez Métailié (que j’ai déjà), Ma petite poésie ne connaît pas la crise de Jean-Pierre Verheggen chez Gallimard, Les autodafés nazis de Didier Chauvet chez L’Harmattan, De Tunis à Kairouan de Guy de Maupassant aux Editions Ibn Charaf (avec des illustrations de Moncef Charfeddine), La Doulou d’Alphonse Daudet dans la jolie édition de Michel de Maule, L’art et l’artisanat de William Morris chez Rivages poche, Petit catéchisme à l’usage de la classe inférieure d’August Strindberg chez Babel/Actes Sud, Printemps français suivi de poèmes satiriques de Stig Dagerman chez Ludd et l’utile et récent Almanach des crimes et des catastrophes de Raymond Clément aux Editions du Panthéon (c'est-à-dire à compte d’auteur).
Je prends un dernier café A la Ville d’Argentan pas loin d’une quinquagénaire occupée à remplir la semaine de son agenda à l’aide de L'Officiel des spectacles dont elle tourne les pages en mouillant son doigt. Rien n’est moins érotique.
Quand il s’agit de revenir à Rouen avec le dix-sept heures quarante-huit, il n’est point là. Quinze minutes de retard sont annoncées, puis trente, puis on ne sait pas. Lorsque l’omnibus de dix-huit heures trente est affiché, la foule s’y précipite, parmi laquelle not’ bon Maire, Yvon Robert, ballotté comme bouchon. Ce train à deux étages est bientôt blindé. La bétaillère attendue se pointe enfin. J’y trouve une place assise. « Vous êtes bien dans le train pour Le Havre qui est enfin arrivé en gare de Paris Saint-Lazare », nous annonce ironiquement le chef de bord. Il n’y a pas que les usagers qui n’en peuvent plus. Une partie du trop-plein du dix-huit heures trente vient se déverser dans le nôtre à l’invitation de son chef de bord. Une femme s’inquiète de ne pas avoir vue sur sa valise. Elle croit que l’on voyage encore comme dans l’ancien monde. Nous partons avec quarante-huit minutes de retard. Tout va bien jusqu’à un arrêt inopiné. « Je vais essayer de savoir ce qui se passe car actuellement je n’en ai pas la moindre idée », annonce le chef de bord. Le train repart, on n’en saura pas plus. A l’arrivée à Rouen, cela fait cinquante-trois minutes de retard. Ceux qui avaient une correspondance pour Serqueux termineront leur voyage à l’aide de taxis payés par la Senecefe.
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La vie des autres : sa fille s’est démis le pied en séparant les deux chiens qui se battaient dans la cour, elle est enceinte de quatre mois, son fils joue aux jeux vidéo toute la nuit, il empêche tout le monde de dormir, son mari vient de mourir. « Depuis le drame », dit-elle quand elle en parle. Ce qu’elle ne comprend pas : qu’un collègue de travail qui ne lui dit jamais bonjour soit venu à l’enterrement.
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Au sept mars dans l’Almanach des crimes et des catastrophes, celui de mil huit cent quatre-vingt-six :
Arthur Belon, âgé de dix ans, y est jugé par la Cour d’Assises de la Martinique pour avoir passé une ficelle autour du cou de la petite Thérèse Famy, âgée de cinq ans, avant de la frapper mortellement à la tête avec une pierre. Son âge lui est circonstance atténuante, il est condamné à sept ans d’emprisonnement dans une maison de correction.
9 mars 2018
Après avoir déclaré forfait la semaine dernière pour cause de froidure sibérienne, je suis à la gare de Rouen ce mercredi matin où le train pour Paris de sept heures cinquante-neuf est désormais le train de sept heures cinquante-six afin de lui donner plus de chance d’arriver à la même heure qu’avant. Certes, quand il se présente ce n’est pas le modèle pour lequel j’avais une place réservée, certes il est aussi plus court, mais au moins y ai-je une place assise.
A son premier passage, j’arrête le contrôleur. J’ai composté par distraction mon billet de retour. Il s’ensuit de nombreuses écritures sur les deux billets et un cachet officiel. Cela pour rien, aucun contrôle n’a lieu et j’arrive à l’heure dans la capitale où le temps est à la pluie.
Plus de serveuse exubérante au Café du Faubourg, je ne peux demander à son collègue ce qu’elle est devenue car il raconte à un habitué ses vacances en Dordogne où l’on se croirait encore dans le temps. Mon café bu, j’explore le Book-Off d’à côté. On y a renouvelé les rayonnages pendant mon absence.
Au bout d’une heure et demie, j’ai dans mon panier dix livres à un euro qui m’intéressent à des degrés divers : Sur l’épaule d’un ange d’Alexandre Romanès chez Gallimard, le numéro dix du Préau des collines consacré à L’atelier de Jean-Paul Michel (poète que je ne connais pas), Sous les feuilles de Christian Degoutte (poète que je connais sans connaître) publié chez p.i.sage intérieur, Willy Colette et moi de Sylvain Bonmariage dans sa réédition d’Anagramme Editions, Pensées éparses d’un rabat-joie d’Abel Castel chez Max Milo, La Reine Berthe de Charles-Albert Cingria chez l’Age d’Homme, Rouge Soutine d’Olivier Renault dans la collection de poche La Petite Vermillon, Mémoires d’Hortense et de Marie Mancini au Temps Retrouvé du Mercure de France, Ecrits d’un tueur de bergers de Joseph Vacher chez A Rebours (inquiétant petit livre noir) et 5 bis d’Aude Turpault chez Florent Massot (ce cinq bis est celui de la rue de Verneuil où quand elle avait treize ans elle alla sonner avec une copine, cinq ans avant la mort de son illustre habitant).
Inutile avec ce qui tombe d’aller au marché d’Aligre, je passe néanmoins chez Emmaüs pour pas grand-chose puis me réfugie dès midi moins le quart au Péhemmu chinois Le Rallye où je m’offre un hareng pommes à l’huile avant le coutumier confit de canard pommes sautées salade, une formule à dix-huit euros cinquante, vin et café inclus.
A ma gauche déjeunent quatre femmes, des collègues qui débinent leur supérieure. « L’autre jour j’étais à la ponceuse, elle vient me déranger pour les tickets restaurant », dit l’une. « T’en as une belle veste », lui dit une autre. « Deux cents euros ». « Ça se fait plaisir », commente une troisième. Je préfère quand même ça à quatre hommes qui auraient parlé du match de foute perdu hier soir contre Madrid. Elles commandent des salades pour la ligne mais mangent toute la bannette de pain avec qu’elles arrivent.
*
Ligne Huit du métro, une femme avec un chien en laisse.
-Je croyais que c’était interdit, lui dis-je
-Heureusement que non, me répond-elle, comment je ferais sinon.
C’est autorisé depuis un an. Les plus gros doivent payer. Bizarre qu’on n’en voie pas davantage. Le précédent, c’était il y a plus d’un mois. Très chic, entre deux garçons qui se sont embrassés sur la bouche en se séparant à République. Ça aussi, c’est rare.
*
« Vous me suivez mesdames, vous me suivez. » Quel est donc cet homme qui parle ainsi dans l’allée voisine chez Book-Off. Je glisse une tête et comprends. C’est l’encadrant d’un groupe de femmes qu’on nommait mongoliennes. On doit dire autrement dans le langage normalisé. J’ignore quoi et ne veux pas le savoir. Elles le suivent dans la librairie, la faute à la pluie.
A son premier passage, j’arrête le contrôleur. J’ai composté par distraction mon billet de retour. Il s’ensuit de nombreuses écritures sur les deux billets et un cachet officiel. Cela pour rien, aucun contrôle n’a lieu et j’arrive à l’heure dans la capitale où le temps est à la pluie.
Plus de serveuse exubérante au Café du Faubourg, je ne peux demander à son collègue ce qu’elle est devenue car il raconte à un habitué ses vacances en Dordogne où l’on se croirait encore dans le temps. Mon café bu, j’explore le Book-Off d’à côté. On y a renouvelé les rayonnages pendant mon absence.
Au bout d’une heure et demie, j’ai dans mon panier dix livres à un euro qui m’intéressent à des degrés divers : Sur l’épaule d’un ange d’Alexandre Romanès chez Gallimard, le numéro dix du Préau des collines consacré à L’atelier de Jean-Paul Michel (poète que je ne connais pas), Sous les feuilles de Christian Degoutte (poète que je connais sans connaître) publié chez p.i.sage intérieur, Willy Colette et moi de Sylvain Bonmariage dans sa réédition d’Anagramme Editions, Pensées éparses d’un rabat-joie d’Abel Castel chez Max Milo, La Reine Berthe de Charles-Albert Cingria chez l’Age d’Homme, Rouge Soutine d’Olivier Renault dans la collection de poche La Petite Vermillon, Mémoires d’Hortense et de Marie Mancini au Temps Retrouvé du Mercure de France, Ecrits d’un tueur de bergers de Joseph Vacher chez A Rebours (inquiétant petit livre noir) et 5 bis d’Aude Turpault chez Florent Massot (ce cinq bis est celui de la rue de Verneuil où quand elle avait treize ans elle alla sonner avec une copine, cinq ans avant la mort de son illustre habitant).
Inutile avec ce qui tombe d’aller au marché d’Aligre, je passe néanmoins chez Emmaüs pour pas grand-chose puis me réfugie dès midi moins le quart au Péhemmu chinois Le Rallye où je m’offre un hareng pommes à l’huile avant le coutumier confit de canard pommes sautées salade, une formule à dix-huit euros cinquante, vin et café inclus.
A ma gauche déjeunent quatre femmes, des collègues qui débinent leur supérieure. « L’autre jour j’étais à la ponceuse, elle vient me déranger pour les tickets restaurant », dit l’une. « T’en as une belle veste », lui dit une autre. « Deux cents euros ». « Ça se fait plaisir », commente une troisième. Je préfère quand même ça à quatre hommes qui auraient parlé du match de foute perdu hier soir contre Madrid. Elles commandent des salades pour la ligne mais mangent toute la bannette de pain avec qu’elles arrivent.
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Ligne Huit du métro, une femme avec un chien en laisse.
-Je croyais que c’était interdit, lui dis-je
-Heureusement que non, me répond-elle, comment je ferais sinon.
C’est autorisé depuis un an. Les plus gros doivent payer. Bizarre qu’on n’en voie pas davantage. Le précédent, c’était il y a plus d’un mois. Très chic, entre deux garçons qui se sont embrassés sur la bouche en se séparant à République. Ça aussi, c’est rare.
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« Vous me suivez mesdames, vous me suivez. » Quel est donc cet homme qui parle ainsi dans l’allée voisine chez Book-Off. Je glisse une tête et comprends. C’est l’encadrant d’un groupe de femmes qu’on nommait mongoliennes. On doit dire autrement dans le langage normalisé. J’ignore quoi et ne veux pas le savoir. Elles le suivent dans la librairie, la faute à la pluie.
8 mars 2018
C’est peu de temps après avoir vu Alexandre Romanès et sa grande famille dans leur cirque de passage à Mont-Saint-Aignan, invités qu’ils étaient par le Centre Dramatique National de Rouen-Normandie, que j’ai acheté un euro chez Book-Off son livre Un peuple de promeneurs dans l’édition du Temps qu’il fait, datant de deux mille, avec une préface de sa première femme Lydie Dattas et une photo de lui-même en couverture, jeune et fier, digne fils du dompteur Firmin Bouglione.
Des notes éparses d’Alexandre Romanès (né la même année que moi), j’ai fait une moisson personnelle :
Je suis souvent dans la lune. Il m’arrive de quitter la pompe à essence ou le restaurant sans payer. Comment expliquer, quand on est gitan, que l’on n’a pas voulu voler ?
Mon arrière-grand-père avait trois femmes et un ours. « L’embêtant, disait-il, c’est l’ours. »
A côté du cirque, il y a le cimetière de Clichy. Le seul endroit tranquille du quartier. Je vais souvent m’y promener avec mes filles. Je lis sur une tombe : Monsieur X, chef de bureau. Quelle misère…
Doïna, onze enfants :
« Celui-là, hier, je lui ai mis une bonne volée, puis je me suis aperçue, mais c’était trop tard, que je m’étais trompée d’enfant. »
Moi qui étais si misogyne, je ne fais que des filles. Dieu m’a donné une bonne leçon que je méritais et il m’a fait un grand cadeau que je ne méritais pas.
Le père et le fils priaient, la mère et la fille volaient. C’était une famille très sympathique mais impossible à comprendre.
Les gens mal intentionnés profitent de la présence des Gitans près de chez eux pour faire un mauvais coup.
Du camp gitan de Nanterre, ce qu’on voyait le mieux, c’était la grande arche de la Défense. Avec toute la misère qu’il y avait, des enfants marchaient pieds nus l’hiver, au milieu des rats, pas d’eau ni d’électricité, pas toujours quelque chose à manger, et ce monument gigantesque éclairé la nuit par les projecteurs, et baptisé « l’Arche de la Solidarité ».
A force d’entrer et de sortir du camp de Nanterre gardé par des CRS, j’ai fini par sympathiser avec quelques-uns d’entre eux. C’est comme ça qu’un jour un jeune CRS m’a demandé si je pouvais le présenter à une jeune Gitane dont il était amoureux. Il était prêt à l’épouser si elle voulait de lui. Il passait ses journées assis en hauteur sur un tas d’ordures, dans l’espoir de l’apercevoir.
Jean-Marie : « Alexandre, ta fille Azra, tu devais l’attacher avec une corde à la caravane. Elle est trop terrible, elle va avoir un accident. Moi: « Impossible, elle mange la corde. »
L’image que j’ai des Tsiganes de Roumanie. Le père n’est pas là, la mère chante, et sa petite fille pleure sous la table.
Je demande à une vieille Gitane pourquoi elle ne parle jamais des camps de concentration où pourtant elle a été. Elle me répond : « Parce que j’ai honte. »
Mon cousin m’explique pendant vingt minutes qu’il va tout changer dans son cirque : les camions, les caravanes, les gradins, le chapiteau. Il commence à m’agacer. Je lui dis : « C’est très bien de changer les assiettes, mais est-ce que tu vas aussi changer la soupe ? »
Quand j’avais vingt ans, je regardais mon père comme un étranger. Maintenant, j’ai l’impression d’être lui.
Mon père :
« Quand les Allemands sont entrés en France en 39, on est tous passés dans la zone libre. Six mois plus tard, on repassait tous en zone occupée. » - « Pourquoi ? » - « Parce que la milice française était pire que les Allemands. »
Des notes éparses d’Alexandre Romanès (né la même année que moi), j’ai fait une moisson personnelle :
Je suis souvent dans la lune. Il m’arrive de quitter la pompe à essence ou le restaurant sans payer. Comment expliquer, quand on est gitan, que l’on n’a pas voulu voler ?
Mon arrière-grand-père avait trois femmes et un ours. « L’embêtant, disait-il, c’est l’ours. »
A côté du cirque, il y a le cimetière de Clichy. Le seul endroit tranquille du quartier. Je vais souvent m’y promener avec mes filles. Je lis sur une tombe : Monsieur X, chef de bureau. Quelle misère…
Doïna, onze enfants :
« Celui-là, hier, je lui ai mis une bonne volée, puis je me suis aperçue, mais c’était trop tard, que je m’étais trompée d’enfant. »
Moi qui étais si misogyne, je ne fais que des filles. Dieu m’a donné une bonne leçon que je méritais et il m’a fait un grand cadeau que je ne méritais pas.
Le père et le fils priaient, la mère et la fille volaient. C’était une famille très sympathique mais impossible à comprendre.
Les gens mal intentionnés profitent de la présence des Gitans près de chez eux pour faire un mauvais coup.
Du camp gitan de Nanterre, ce qu’on voyait le mieux, c’était la grande arche de la Défense. Avec toute la misère qu’il y avait, des enfants marchaient pieds nus l’hiver, au milieu des rats, pas d’eau ni d’électricité, pas toujours quelque chose à manger, et ce monument gigantesque éclairé la nuit par les projecteurs, et baptisé « l’Arche de la Solidarité ».
A force d’entrer et de sortir du camp de Nanterre gardé par des CRS, j’ai fini par sympathiser avec quelques-uns d’entre eux. C’est comme ça qu’un jour un jeune CRS m’a demandé si je pouvais le présenter à une jeune Gitane dont il était amoureux. Il était prêt à l’épouser si elle voulait de lui. Il passait ses journées assis en hauteur sur un tas d’ordures, dans l’espoir de l’apercevoir.
Jean-Marie : « Alexandre, ta fille Azra, tu devais l’attacher avec une corde à la caravane. Elle est trop terrible, elle va avoir un accident. Moi: « Impossible, elle mange la corde. »
L’image que j’ai des Tsiganes de Roumanie. Le père n’est pas là, la mère chante, et sa petite fille pleure sous la table.
Je demande à une vieille Gitane pourquoi elle ne parle jamais des camps de concentration où pourtant elle a été. Elle me répond : « Parce que j’ai honte. »
Mon cousin m’explique pendant vingt minutes qu’il va tout changer dans son cirque : les camions, les caravanes, les gradins, le chapiteau. Il commence à m’agacer. Je lui dis : « C’est très bien de changer les assiettes, mais est-ce que tu vas aussi changer la soupe ? »
Quand j’avais vingt ans, je regardais mon père comme un étranger. Maintenant, j’ai l’impression d’être lui.
Mon père :
« Quand les Allemands sont entrés en France en 39, on est tous passés dans la zone libre. Six mois plus tard, on repassait tous en zone occupée. » - « Pourquoi ? » - « Parce que la milice française était pire que les Allemands. »
7 mars 2018
Jour d’élagage au jardin ce mardi matin, l’arbre a droit à sa coupe d’avant printemps, bien rase. Sont requis une échelle, une tronçonneuse et deux hommes dont l’un est le beau-père de l’autre. Ce dernier fait une photo du mari de sa fille devant l’arbre avant l’ouvrage. Il paraît que cet élagage est nécessaire.
Echelle qui couine, moteur qui ronfle, les branches tombent l’une après l’autre. Les propriétaires résident(e)s sortent voir ça de plus près et y vont de leurs commentaires. L’arbre n’a pas que des ami(e)s parmi eux.
Je ne lui demande qu’une chose : qu’il me fasse de l’ombre l’été. J’espère que ça va vite repousser. En principe oui. Plus souvent un arbre est agressé, plus il fait de feuilles.
*
: « Che bordello ! », titre Il Tempo après les législatives italiennes qui donnent la majorité aux antieuropéens d’un bord et de l’autre. Il y a peu encore, le jeune Matteo Renzi était encensé, il n’a pas démérité, et le voici dégagé comme ils disent. Emmanuel Macron devrait s’en soucier.
*
Le mot « dégagisme » sur quoi repose l’idéologie de Mélenchon est passé dans le langage courant. Pire encore, « européiste » que n’employait que la fille Le Pen est désormais repris par les journalistes et autres pour designer les proeuropéens. Quand le vocabulaire des populistes est dans toutes les bouches…
*
Le Comité d’Organisation des Jeux Olympiques qui recrute le chef d'entreprise Geoffroy Roux de Bézieux, actuel numéro deux du Medef, à charge pour lui de faire entrer de l’argent patronal dans les caisses, quoi de moins surprenant.
Le même Cojo qui recrute Bernard Thibaut, ancien chef de la Cégété (après avoir été l’animateur de la grosse grève des cheminots en quatre-vingt-quinze), « pour désamorcer des conflits potentiels sur les chantiers des sites ou des grèves dans les transports, avant et pendant les Jeux Olympiques d'été de deux mille vingt quatre » (France Info dixit), quoi de plus lamentable pour le syndicalisme.
*
Puis elle ajouta, répondant sans doute à sa propre pensée : « La vie, voyez-vous, ça n’est jamais si bon ni si mauvais qu’on croit. » (Une vie). Je ne me souvenais pas que Madame Michu fût un personnage de Guy de Maupassant.
Echelle qui couine, moteur qui ronfle, les branches tombent l’une après l’autre. Les propriétaires résident(e)s sortent voir ça de plus près et y vont de leurs commentaires. L’arbre n’a pas que des ami(e)s parmi eux.
Je ne lui demande qu’une chose : qu’il me fasse de l’ombre l’été. J’espère que ça va vite repousser. En principe oui. Plus souvent un arbre est agressé, plus il fait de feuilles.
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: « Che bordello ! », titre Il Tempo après les législatives italiennes qui donnent la majorité aux antieuropéens d’un bord et de l’autre. Il y a peu encore, le jeune Matteo Renzi était encensé, il n’a pas démérité, et le voici dégagé comme ils disent. Emmanuel Macron devrait s’en soucier.
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Le mot « dégagisme » sur quoi repose l’idéologie de Mélenchon est passé dans le langage courant. Pire encore, « européiste » que n’employait que la fille Le Pen est désormais repris par les journalistes et autres pour designer les proeuropéens. Quand le vocabulaire des populistes est dans toutes les bouches…
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Le Comité d’Organisation des Jeux Olympiques qui recrute le chef d'entreprise Geoffroy Roux de Bézieux, actuel numéro deux du Medef, à charge pour lui de faire entrer de l’argent patronal dans les caisses, quoi de moins surprenant.
Le même Cojo qui recrute Bernard Thibaut, ancien chef de la Cégété (après avoir été l’animateur de la grosse grève des cheminots en quatre-vingt-quinze), « pour désamorcer des conflits potentiels sur les chantiers des sites ou des grèves dans les transports, avant et pendant les Jeux Olympiques d'été de deux mille vingt quatre » (France Info dixit), quoi de plus lamentable pour le syndicalisme.
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Puis elle ajouta, répondant sans doute à sa propre pensée : « La vie, voyez-vous, ça n’est jamais si bon ni si mauvais qu’on croit. » (Une vie). Je ne me souvenais pas que Madame Michu fût un personnage de Guy de Maupassant.
6 mars 2018
Lecture de lit ces derniers temps : D’un Céline l’autre, une recension de témoignages de contemporains de l’écrivain parue chez Bouquins/Laffont en deux mille onze dans une édition établie et présentée par David Alliot, l’occasion pour moi de croiser des figures connues et d’en découvrir d’autres.
Dans les années trente, Charles Bonabel est un patient du docteur Destouches au dispensaire de Clichy. Il lui amène en consultation sa nièce Eliane, orpheline de dix ans dont il a la charge. Céline invite cette dernière à venir jouer avec sa fille Colette, qui a le même âge, dans leur appartement de la rue Lepic :
J’ai surtout été frappée par une alcôve dont un mur entier était couvert d’inscriptions. Elles partaient du traversin pour arriver jusqu’au plus haut où il était possible d’écrire en montant sur le lit. Il ne s’agissait pas d’inscriptions obscènes, seulement de signatures de femmes et de dates : « Lula, le 3 mai », des choses dans ce goût-là. Colette qui sautait sur le lit, m’a dit : « T’as vu tout ça, mon père il a couché avec toutes ces femmes. » Je savais ce que cela voulait dire. J’ai trouvé que cela faisait beaucoup. Mais j’étais bien plus choquée par le fait qu’une grande personne pût écrire sur les murs.
La petite Eliane est douée pour le dessin. Quand paraît Voyage au bout de la nuit, celui qui est devenu Céline lui propose d’illustrer son roman.
A l’époque on faisait très attention aux lectures des enfants, surtout des filles, et le Voyage était considéré comme scandaleux. Mais mon père adoptif avait des principes éducatifs extrêmement libéraux. (…) il pensait que les mauvais bouquins sont ceux où la dactylo rencontre un monsieur très riche et finit par l’épouser, parce qu’on arrive à croire que dans la vie les choses vont se passer de la sorte. On me donne donc le Voyage ; je trouve le volume bien épais, 623 pages, le chiffre m’est resté, je me dis que ça va être long. Mais je n’ai pas du tout été rebutée, j’étais au contraire ravie parce que l’écriture m’a paru simple, les gens parlaient comme dans la vie, on disait « Y flotte terrible » au lieu de « Il pleut terriblement ». Quant au contenu, une enfant de douze ans vivant à Clichy et allant en vacances à la campagne n’a pas grand-chose à apprendre.
Céline est fort satisfait du résultat :
« Oh ben dis donc, alors moi je vais te faire une préface et une belle couverture. »
Et Eliane Bonabel de conclure :
Plus tard, lorsqu’il sera question d’une édition illustrée du Voyage, Céline pensera à mes dessins. Mais il a renoncé car on n’aurait pas compris qu’il ait demandé à une fillette de douze ans de lire et d’illustrer son livre. Je crois que c’est ce soupçon possible de quelque chose de trouble qui l’a fait reculer.
Eliane Bonabel est âgée de soixante-dix-huit ans quand elle raconte son histoire d’enfant artiste à Emile Brami pour la préface du livre enfin fait avec ses dessins : Illustrations pour « Voyage au bout de la nuit ». Cet ouvrage a été publié en mil neuf cent quatre-vingt-dix-huit aux Editions de la Pince à linge sises à Bry-sur-Marne.
*
Chez Rakuten (anciennement Price Minister), on trouve un exemplaire d’Illustrations pour « Voyage au bout de la nuit » d’Eliane Bonabel proposé à quatre-vingts euros. Les originaux ont été vendus chez Arcurial en deux mille dix pour onze mille quatre cent soixante-seize euros. Des reproductions sont visibles gratuitement via Internet. De quoi constater que la jeune orpheline avait du talent.
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« Les adultes ont l'habitude d'illustrer les beaux livres pour l'enfance, voici la petite Bonabel qui se mêle (à douze ans) d'illustrer à son tour le livre (tout a fait estimé, raturé) des adultes. On remarque qu'elle y met bien de la malice et certaine fausse pudeur bien de son âge. L.-F. Céline. » (préface au dossier de dessins)
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Eliane Bonabel n’aura jamais coupé les ponts (comme on dit) avec l’écrivain, lui rendant visite avec son oncle dans sa prison danoise en mil neuf cent quarante-six, illustrant Ballets sans musique, sans personne, sans rien paru chez Gallimard en mil neuf cent cinquante-neuf et le revoyant à Meudon jusqu’à sa mort. Elle-même est morte en deux mille.
Dans les années trente, Charles Bonabel est un patient du docteur Destouches au dispensaire de Clichy. Il lui amène en consultation sa nièce Eliane, orpheline de dix ans dont il a la charge. Céline invite cette dernière à venir jouer avec sa fille Colette, qui a le même âge, dans leur appartement de la rue Lepic :
J’ai surtout été frappée par une alcôve dont un mur entier était couvert d’inscriptions. Elles partaient du traversin pour arriver jusqu’au plus haut où il était possible d’écrire en montant sur le lit. Il ne s’agissait pas d’inscriptions obscènes, seulement de signatures de femmes et de dates : « Lula, le 3 mai », des choses dans ce goût-là. Colette qui sautait sur le lit, m’a dit : « T’as vu tout ça, mon père il a couché avec toutes ces femmes. » Je savais ce que cela voulait dire. J’ai trouvé que cela faisait beaucoup. Mais j’étais bien plus choquée par le fait qu’une grande personne pût écrire sur les murs.
La petite Eliane est douée pour le dessin. Quand paraît Voyage au bout de la nuit, celui qui est devenu Céline lui propose d’illustrer son roman.
A l’époque on faisait très attention aux lectures des enfants, surtout des filles, et le Voyage était considéré comme scandaleux. Mais mon père adoptif avait des principes éducatifs extrêmement libéraux. (…) il pensait que les mauvais bouquins sont ceux où la dactylo rencontre un monsieur très riche et finit par l’épouser, parce qu’on arrive à croire que dans la vie les choses vont se passer de la sorte. On me donne donc le Voyage ; je trouve le volume bien épais, 623 pages, le chiffre m’est resté, je me dis que ça va être long. Mais je n’ai pas du tout été rebutée, j’étais au contraire ravie parce que l’écriture m’a paru simple, les gens parlaient comme dans la vie, on disait « Y flotte terrible » au lieu de « Il pleut terriblement ». Quant au contenu, une enfant de douze ans vivant à Clichy et allant en vacances à la campagne n’a pas grand-chose à apprendre.
Céline est fort satisfait du résultat :
« Oh ben dis donc, alors moi je vais te faire une préface et une belle couverture. »
Et Eliane Bonabel de conclure :
Plus tard, lorsqu’il sera question d’une édition illustrée du Voyage, Céline pensera à mes dessins. Mais il a renoncé car on n’aurait pas compris qu’il ait demandé à une fillette de douze ans de lire et d’illustrer son livre. Je crois que c’est ce soupçon possible de quelque chose de trouble qui l’a fait reculer.
Eliane Bonabel est âgée de soixante-dix-huit ans quand elle raconte son histoire d’enfant artiste à Emile Brami pour la préface du livre enfin fait avec ses dessins : Illustrations pour « Voyage au bout de la nuit ». Cet ouvrage a été publié en mil neuf cent quatre-vingt-dix-huit aux Editions de la Pince à linge sises à Bry-sur-Marne.
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Chez Rakuten (anciennement Price Minister), on trouve un exemplaire d’Illustrations pour « Voyage au bout de la nuit » d’Eliane Bonabel proposé à quatre-vingts euros. Les originaux ont été vendus chez Arcurial en deux mille dix pour onze mille quatre cent soixante-seize euros. Des reproductions sont visibles gratuitement via Internet. De quoi constater que la jeune orpheline avait du talent.
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« Les adultes ont l'habitude d'illustrer les beaux livres pour l'enfance, voici la petite Bonabel qui se mêle (à douze ans) d'illustrer à son tour le livre (tout a fait estimé, raturé) des adultes. On remarque qu'elle y met bien de la malice et certaine fausse pudeur bien de son âge. L.-F. Céline. » (préface au dossier de dessins)
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Eliane Bonabel n’aura jamais coupé les ponts (comme on dit) avec l’écrivain, lui rendant visite avec son oncle dans sa prison danoise en mil neuf cent quarante-six, illustrant Ballets sans musique, sans personne, sans rien paru chez Gallimard en mil neuf cent cinquante-neuf et le revoyant à Meudon jusqu’à sa mort. Elle-même est morte en deux mille.
5 mars 2018
Il pleut tellement ce dimanche qu’afin d’échapper à la morosité j’ôte enfin le plastique qui enveloppe le dévédé que m’ont offert pour Noël les ami(e)s de Stockholm suite à la discussion que nous avions eu lors de leur dernier passage à Rouen sur le cinéaste Paul Vecchiali dont le nom ne me disait plus grand-chose. Il s’agit de Change pas de main, son incursion dans le genre pornographique en mil neuf cent soixante-quinze. L’histoire est celle d’une femme politique que l’on veut faire chanter à l’aide de films pornos dans lesquels opère son fils. Elle engage une détective privée qui se charge de résoudre l’affaire avec son petit revolver. On y voit donc des scènes comme on n’est pas prêt d’en revoir dans le cinéma officiel. Ces enfilages sont un peu répétitifs, mais moins que le recours systématique au revolver de la détective. Celui-ci fait beaucoup de petits trous rouges parmi les protagonistes de cette histoire à laquelle il est impossible de croire. La fin est heureuse, la politicienne devient Ministre de l’Agriculture.
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Stigmatisé par plus de cent quarante mille pétitionnaires de réseaux sociaux, dont pas mal de féministes, On a chopé la puberté aurait fait la fortune des Editions Milan qui publient des ouvrages pour la jeunesse depuis mil neuf cent quatre-vingt-trois, s’il avait été acheté et lu par celles et ceux qui le condamnent.
Je ne l’ai pas lu non plus et j’aurais du mal à le faire. Il est épuisé et Milan « dans un souci d’apaisement » ne le rééditera pas. La censure l’a donc emporté sur la possibilité pour chacun(e) de se faire un avis.
Que reprochaient les indigné(e)s, qui n’en ont vu que des extraits sortis du contexte, à ce livre dont les trois auteures sont Séverine Clochard et Mélissa Conté Grimard pour les textes et Anne Guillard pour les dessins ? De sexualiser les enfants et d’encourager les stéréotypes sexistes. Sur Babelio, ce commentaire d’un certain Docteur Veggie : « Hommage à tous les arbres qui sont tombés au combat pour qu'une maison d'éditions en fasse une bouse monumentale. Les éditions Milan devraient être placées en liquidation judiciaire manu militari. »
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Invitée de On ne parle pas la bouche pleine !, l’émission d’Alain Kruger, ce dimanche midi sur France Culture, Anne-Laure de Pazzis, « jeune mère de famille », qui a « repris l'épicerie Alpilles Bio de Saint-Rémy-de-Provence ». Une demi-heure de propos de bonne sœur. A se croire encore à l’écoute des émissions religieuses de la matinée.
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Mange bio / Des produits locaux / Mais pas les animaux:/ Fais du vélo / Endors ta libido/ C’est bon pour le boulot.
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Stigmatisé par plus de cent quarante mille pétitionnaires de réseaux sociaux, dont pas mal de féministes, On a chopé la puberté aurait fait la fortune des Editions Milan qui publient des ouvrages pour la jeunesse depuis mil neuf cent quatre-vingt-trois, s’il avait été acheté et lu par celles et ceux qui le condamnent.
Je ne l’ai pas lu non plus et j’aurais du mal à le faire. Il est épuisé et Milan « dans un souci d’apaisement » ne le rééditera pas. La censure l’a donc emporté sur la possibilité pour chacun(e) de se faire un avis.
Que reprochaient les indigné(e)s, qui n’en ont vu que des extraits sortis du contexte, à ce livre dont les trois auteures sont Séverine Clochard et Mélissa Conté Grimard pour les textes et Anne Guillard pour les dessins ? De sexualiser les enfants et d’encourager les stéréotypes sexistes. Sur Babelio, ce commentaire d’un certain Docteur Veggie : « Hommage à tous les arbres qui sont tombés au combat pour qu'une maison d'éditions en fasse une bouse monumentale. Les éditions Milan devraient être placées en liquidation judiciaire manu militari. »
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Invitée de On ne parle pas la bouche pleine !, l’émission d’Alain Kruger, ce dimanche midi sur France Culture, Anne-Laure de Pazzis, « jeune mère de famille », qui a « repris l'épicerie Alpilles Bio de Saint-Rémy-de-Provence ». Une demi-heure de propos de bonne sœur. A se croire encore à l’écoute des émissions religieuses de la matinée.
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Mange bio / Des produits locaux / Mais pas les animaux:/ Fais du vélo / Endors ta libido/ C’est bon pour le boulot.
2 mars 2018
Ça tombe un peu ce jeudi au réveil. Moins que l’autre fois. N’ai-je rien d’autre à en dire ? Je manque d’idées. Voyons voir le Dictionnaire des clichés littéraires d’Hervé Laroche (Arléa) :
neige : trois usages : 1) ensevelir la campagne (un village, une maison, etc.) ; 2) étouffer les bruits ; 3) crisser sous les pas. Combinatoire : (1) + (2) est recommandé (La neige qui avait enseveli la campagne étouffait le bruit des ses pas) ; (1) + (3) peut être tenté (La neige qui avait enseveli la campagne crissait sous leurs pieds chaussés de lourdes bottes) ; (2) + (3) est délicat. Voir aussi flocon.
flocons (de neige) : virevoltent (c’est leur manière de tomber). Préférer les gros.
Voilà. Plus qu’à attendre que cela fonde. Le plus vite possible. Je déteste ça.
En attendant, je vagabonde dans l’ouvrage d’Hervé Laroche à la recherche des entrées qui évoquent l’hiver.
bourrasque : si elle est de pluie ou de neige (ou de tout autre précipitation naturelle), ne pas hésiter à l’ennoblir par un article défini singulier : affronter la bourrasque.
brouillard : le faire épais. Le paysage, les arbres, la ville, les maisons, etc. s’y noient immanquablement, malgré la faible densité en eau de ce phénomène météorologique.
brume : noie aussi, comme le brouillard ; mais elle est moins envahissante. La présenter sous forme d’écharpes (qui n’a rien de réchauffant comme les cache-nez de la vie ordinaire).
écharpe : de brume, avant tout. Il est possible toutefois de nouer une écharpe autour de son cou (signe d’un caractère précautionneux, voire timoré).
emmitoufler : toujours préciser dans quoi (quelque chose de grand, d’épais…). Mot irrésistible (les deux m, les moufles, le petit i blotti au milieu).
nuage : utilisable par tout temps. Les nuages sont capables de tout : ils courent, s’accumulent, s’amoncellent, moutonnent, processionnent, s’effilochent, se déchirent, crèvent, s’abattent, etc. Se laissent charrier, chasser, disperser par le vent, percer par le soleil.
Allez, laissez-vous percer les nuages. Que vienne le printemps.
*
Ce n’est pas pour ce vendredi. Pluie sur la ville. Verglas sur les hauteurs. Alors : lecture : captivante, évidemment. Et prise de quelques notes : toujours griffonnées, ou jetées à la hâte sur le papier. Jamais le temps d’écrire proprement.
*
Serge Safran et Laure Leroy (cofondateurs des Editions Zulma), à qui Hervé Laroche avait dédicacé un exemplaire de ce Dictionnaire des clichés littéraires, ont jugé qu’ils n’en auraient pas l’usage, aussi ai-je pu l’acheter un euro chez Book-Off.
neige : trois usages : 1) ensevelir la campagne (un village, une maison, etc.) ; 2) étouffer les bruits ; 3) crisser sous les pas. Combinatoire : (1) + (2) est recommandé (La neige qui avait enseveli la campagne étouffait le bruit des ses pas) ; (1) + (3) peut être tenté (La neige qui avait enseveli la campagne crissait sous leurs pieds chaussés de lourdes bottes) ; (2) + (3) est délicat. Voir aussi flocon.
flocons (de neige) : virevoltent (c’est leur manière de tomber). Préférer les gros.
Voilà. Plus qu’à attendre que cela fonde. Le plus vite possible. Je déteste ça.
En attendant, je vagabonde dans l’ouvrage d’Hervé Laroche à la recherche des entrées qui évoquent l’hiver.
bourrasque : si elle est de pluie ou de neige (ou de tout autre précipitation naturelle), ne pas hésiter à l’ennoblir par un article défini singulier : affronter la bourrasque.
brouillard : le faire épais. Le paysage, les arbres, la ville, les maisons, etc. s’y noient immanquablement, malgré la faible densité en eau de ce phénomène météorologique.
brume : noie aussi, comme le brouillard ; mais elle est moins envahissante. La présenter sous forme d’écharpes (qui n’a rien de réchauffant comme les cache-nez de la vie ordinaire).
écharpe : de brume, avant tout. Il est possible toutefois de nouer une écharpe autour de son cou (signe d’un caractère précautionneux, voire timoré).
emmitoufler : toujours préciser dans quoi (quelque chose de grand, d’épais…). Mot irrésistible (les deux m, les moufles, le petit i blotti au milieu).
nuage : utilisable par tout temps. Les nuages sont capables de tout : ils courent, s’accumulent, s’amoncellent, moutonnent, processionnent, s’effilochent, se déchirent, crèvent, s’abattent, etc. Se laissent charrier, chasser, disperser par le vent, percer par le soleil.
Allez, laissez-vous percer les nuages. Que vienne le printemps.
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Ce n’est pas pour ce vendredi. Pluie sur la ville. Verglas sur les hauteurs. Alors : lecture : captivante, évidemment. Et prise de quelques notes : toujours griffonnées, ou jetées à la hâte sur le papier. Jamais le temps d’écrire proprement.
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Serge Safran et Laure Leroy (cofondateurs des Editions Zulma), à qui Hervé Laroche avait dédicacé un exemplaire de ce Dictionnaire des clichés littéraires, ont jugé qu’ils n’en auraient pas l’usage, aussi ai-je pu l’acheter un euro chez Book-Off.
1er mars 2018
Parmi mes lectures : Lettres à ses pairs de Colette (de L’Académie Goncourt), un livre publié chez Flammarion en mil neuf cent soixante-quinze et qui a l’air bien plus vieux. J’en garde trois extraits :
On ne se froisse pas, généralement, quand un télégraphiste ou un camelot vous appellent putain à haute voix dans la rue. (A Francis Jammes, décembre mil neuf cent quatre)
Meg fatiguée, mauvaise mine, santé à surveiller. Quand une femme gagne de l’argent, a de jolies robes, un homme pour la b’zer, un autre pour la supplier de la b’zer, un troisième, gigolo superbe et épris, qui postule la même chose, – et que cette femme est triste et jaunâtre… voyez organes ! (A Francis Carco, septembre mil neuf cent vingt)
Je vais acheter le livre de Léautaud. Quand nous dînerons ensemble, – bientôt – je vous raconterai l’histoire d’une jeune fille bretonne éperdument et physiquement amoureuse de Léautaud. Elle venait sangloter chez moi, assise par terre, avec tant d’obstination que j’avais consenti à aller parler pour elle à Léautaud. Il a répondu à ma démarche avec une superbe de Prince charmant excédé. Et je n’ai plus regretté ma démarche. (A Edmond Jaloux, avril mil neuf cent vingt-six)
*
Une note infrapaginale, due à Claude Pichois ou à Roberte Forbin, précise : « cette jeune fille est désignée dans le Journal littéraire de Léautaud par A… ou sous le nom de la Bordelaise, alors qu’il s’agit bien d’une Bretonne. Cette jeune fille a écrit le récit de sa mésaventure sous le pseudonyme de Véronique Valcault (Le Monologue passionné, Julliard, 1961). Léautaud a consigné l’ambassade dont Colette s’est chargée le 16 juin 1925. »
*
J’y vais voir :
Léautaud (cinquante-trois ans en cette année mil neuf cent vingt-cinq) n’a pas le goût des jeunes filles. Celle-ci, âgée de vingt-trois ans, l’exaspère. Cependant:
Jeudi 7 Mai. –J’ai presque dép… A… ce soir à 7 heures. Je crois même pour de bon.
Dimanche 10 Mai. –Visite de A… à Fontenay. Pour échapper à l’ennui, je l’emmène dîner à Robinson. Elle m’entreprend ensuite pour que je rentre chez elle. Je me suis laissé faire. Sapristi ! elle n’est pas du tout dép… comme je le croyais. Rien à faire devant ses cris de souffrance.
*
La visite de Colette eut lieu au Mercure de France :
Mardi 16 Juin (…)
Je lui ai dit : « Rien à faire. Cette demoiselle est encore telle que l’ai connue. Rien à exiger. Qu’elle me laisse en paix. Ne vous laissez pas ennuyer. Coupez, n’est-ce pas, coupez vigoureusement. »
Elle m’a dit : « C’est entendu. Je dirai qu’il n’y a rien à faire. Quel homme ce Léautaud. Que vous êtes donc amusant. Nous aurions dû nous connaître mieux que nous ne l’avons fait. Cette pauvre petite. Elle dit pourtant qu’elle saurait vous rendre heureux. (…)
Je lui ai dit aussi : « Et puis, il y a aussi ceci. Aucune femme ne me fera déranger la tranquillité de ma maison. Ma bonne, mes bêtes, c’est tout. Ma bonne au rez-de-chaussée, moi au premier. Jamais je n’abîmerai cela. J’aurais attendu d’avoir 53 ans pour faire cette bêtise ? Jamais de la vie. » (…)
Je l’ai aidée à remettre son manteau. En descendant l’escalier, elle a convenu que A… est assommante, elle a même dit un mot, un mot plus vif : emm… Je l’ai accompagnée jusqu’à sa voiture.
*
Mardi 14 Juillet (…) A… venue sonner aujourd’hui. Fait répondre par ma bonne que j’étais sorti.
*
Le Monologue passionné de Véronique Valcault est introuvable.
On ne se froisse pas, généralement, quand un télégraphiste ou un camelot vous appellent putain à haute voix dans la rue. (A Francis Jammes, décembre mil neuf cent quatre)
Meg fatiguée, mauvaise mine, santé à surveiller. Quand une femme gagne de l’argent, a de jolies robes, un homme pour la b’zer, un autre pour la supplier de la b’zer, un troisième, gigolo superbe et épris, qui postule la même chose, – et que cette femme est triste et jaunâtre… voyez organes ! (A Francis Carco, septembre mil neuf cent vingt)
Je vais acheter le livre de Léautaud. Quand nous dînerons ensemble, – bientôt – je vous raconterai l’histoire d’une jeune fille bretonne éperdument et physiquement amoureuse de Léautaud. Elle venait sangloter chez moi, assise par terre, avec tant d’obstination que j’avais consenti à aller parler pour elle à Léautaud. Il a répondu à ma démarche avec une superbe de Prince charmant excédé. Et je n’ai plus regretté ma démarche. (A Edmond Jaloux, avril mil neuf cent vingt-six)
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Une note infrapaginale, due à Claude Pichois ou à Roberte Forbin, précise : « cette jeune fille est désignée dans le Journal littéraire de Léautaud par A… ou sous le nom de la Bordelaise, alors qu’il s’agit bien d’une Bretonne. Cette jeune fille a écrit le récit de sa mésaventure sous le pseudonyme de Véronique Valcault (Le Monologue passionné, Julliard, 1961). Léautaud a consigné l’ambassade dont Colette s’est chargée le 16 juin 1925. »
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J’y vais voir :
Léautaud (cinquante-trois ans en cette année mil neuf cent vingt-cinq) n’a pas le goût des jeunes filles. Celle-ci, âgée de vingt-trois ans, l’exaspère. Cependant:
Jeudi 7 Mai. –J’ai presque dép… A… ce soir à 7 heures. Je crois même pour de bon.
Dimanche 10 Mai. –Visite de A… à Fontenay. Pour échapper à l’ennui, je l’emmène dîner à Robinson. Elle m’entreprend ensuite pour que je rentre chez elle. Je me suis laissé faire. Sapristi ! elle n’est pas du tout dép… comme je le croyais. Rien à faire devant ses cris de souffrance.
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La visite de Colette eut lieu au Mercure de France :
Mardi 16 Juin (…)
Je lui ai dit : « Rien à faire. Cette demoiselle est encore telle que l’ai connue. Rien à exiger. Qu’elle me laisse en paix. Ne vous laissez pas ennuyer. Coupez, n’est-ce pas, coupez vigoureusement. »
Elle m’a dit : « C’est entendu. Je dirai qu’il n’y a rien à faire. Quel homme ce Léautaud. Que vous êtes donc amusant. Nous aurions dû nous connaître mieux que nous ne l’avons fait. Cette pauvre petite. Elle dit pourtant qu’elle saurait vous rendre heureux. (…)
Je lui ai dit aussi : « Et puis, il y a aussi ceci. Aucune femme ne me fera déranger la tranquillité de ma maison. Ma bonne, mes bêtes, c’est tout. Ma bonne au rez-de-chaussée, moi au premier. Jamais je n’abîmerai cela. J’aurais attendu d’avoir 53 ans pour faire cette bêtise ? Jamais de la vie. » (…)
Je l’ai aidée à remettre son manteau. En descendant l’escalier, elle a convenu que A… est assommante, elle a même dit un mot, un mot plus vif : emm… Je l’ai accompagnée jusqu’à sa voiture.
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Mardi 14 Juillet (…) A… venue sonner aujourd’hui. Fait répondre par ma bonne que j’étais sorti.
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Le Monologue passionné de Véronique Valcault est introuvable.
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