Je connais Jean Zay depuis l’âge de trois ans pour la raison que l’école maternelle lovérienne où je fus élève portait (porte toujours) son nom. Ce n’est qu’arrivé au lycée (ou peut-être au collège) que j’ai appris qu’il fut le plus jeune Ministre de l’Education Nationale au temps du Front Populaire et quel fut son sort.
Alors qu’il cherchait à gagner l’Afrique du Nord après la Débâcle pour y poursuivre le combat Jean Zay fut arrêté et mis à l’isolement à la prison de Riom (Puy-de-Dôme) où il tint son journal. Il y relate sa vie quotidienne en captivité en se remémorant son action de Député puis de Ministre (il fut notamment le créateur du Centre National de la Recherche Scientifique et des Centres Régionaux des Oeuvres Universitaires et Scolaires).
Cet épais journal, dont j’avais déjà lu des extraits, est publié sous le titre de Souvenirs et solitude en édition de poche par Belin (éditeur indépendant depuis mil sept cent soixante-dix-sept).
Quelques extraits :
Ce n’est pas la première fois dans notre histoire que les militaires ont perdu une guerre par leur impéritie et leur manque d’imagination. Mais c’est la première fois sans doute qu’en sanction du désastre ils s’emparent du pouvoir. (dix-sept janvier mil neuf cent quarante et un)
La prison nous apprend que nous pouvons nous passer du monde –féconde révélation– et que, plus facilement encore, le monde peut se passer de nous. (vingt-sept janvier mil neuf cent quarante et un)
On n’écrit plus : « Un mari jaloux tue sa femme d’un coup de revolver », mais : « D’où viens-tu ? Elle ne répond pas… il l’abat. » Soit. Mais on n’écrit pas davantage : « Mort de M. X…, le savant biologiste, inventeur de plusieurs sérums. » On écrit : « X… est mort ; il fit son service militaire dans les dragons et jouait mal au bridge », ce qui est déjà plus fâcheux. (treize avril mil neuf cent quarante et un)
En 1939, le spectacle qu’on contemplait dans la cour des palais officiels, par les hautes fenêtres, était celui des abris souterrains dont on poussait l’achèvement et qui furent terminés juste à temps pour ne pas servir. (premier janvier mil neuf cent quarante-trois)
Troisième printemps de captivité. Pour la troisième fois, j’ai bêché les quelques mètres carrés de ma cour, dont un peu de verdure et une grande puissance d’illusion feront bientôt pour la distraction de mes yeux « mon jardin ». (quinze mars mil neuf cent quarante-trois)
Je pense à cet article de Roland Dorgelès que je lus dans un hebdomadaire pendant l’hiver 39-40, sur le front de Lorraine, et où l’écrivain, célébrant l’invincibilité de la ligne Maginot, s’écriait, figé au garde-à-vous devant la mémoire de son auteur : « Merci, sergent !... » (dix-sept mars mil neuf cent quarante-trois)
Les hommes que nous étions avant 1940 gardaient enfouis très loin en eux-mêmes leurs sentiments essentiels, comme ces poissons énormes des grandes profondeurs, invisibles de la surface et dont on ne soupçonne pas l’existence. La tempête a semé l’agitation dans les eaux les plus calmes ; elle a fait remonter au grand jour tout ce qui dormait dans les ténèbres : chacun exhibe sa faune sous-marine. (vingt-deux avril mil neuf cent quarante-trois)
Les carnets de Jean Zay, que sa femme sortait discrètement dans la voiture d’enfant lorsqu’elle venait le voir avec leurs deux filles en bas âge, s’arrêtent à la date du sept octobre mil neuf cent quarante-trois. Après cette date, le régime auquel il est soumis ne cesse de s’aggraver. Le vingt juin mil neuf cent quarante-quatre, des miliciens porteurs d’un ordre de transfert viennent le chercher dans sa prison de Riom. L’un deux l’assassine d’un tir de mitraillette au Puits du Diable dans les bois de Cusset (Allier). Il avait trente-neuf ans.
*
Dans les carnets de Jean Zay ceci aussi concernant Charles Maurras dont il fut question de commémorer cette année le cent cinquantième anniversaire de la naissance :
Huit ans plus tard, devenu député, j’habitais au 46 de la rue de Verneuil. Au 60, trois ou quatre agents arpentaient en permanence le trottoir pour protéger ou surveiller le domicile de Charles Maurras. Au moment du 6 février, la préfecture de police dépêcha d’autres anges gardiens devant ma porte et devant celle, toute voisine également, de mon collègue Pomaret, si bien que le petit tronçon de la rue de Verneuil, entre la rue du Bac et la rue de Poitiers, grouillait d’uniformes. Il ne se passa jamais rien. Je me trouvais souvent, en même temps que le directeur de l’Action française, chez un petit coiffeur du quartier. Le coiffeur était socialiste. Tout en accommodant la barbe de son client monarchiste, il profitait de sa surdité pour tenir à mi-voix des propos railleurs et parfois scabreux : « Hein ! si je te coupais le cou avec mon rasoir, quel débarras pour la société ! » -« Oui, oui », faisait Maurras de la tête, croyant que le figaro l’entretenait de ses cheveux ou de la température. (seize juillet mil neuf cent quarante-trois)
Alors qu’il cherchait à gagner l’Afrique du Nord après la Débâcle pour y poursuivre le combat Jean Zay fut arrêté et mis à l’isolement à la prison de Riom (Puy-de-Dôme) où il tint son journal. Il y relate sa vie quotidienne en captivité en se remémorant son action de Député puis de Ministre (il fut notamment le créateur du Centre National de la Recherche Scientifique et des Centres Régionaux des Oeuvres Universitaires et Scolaires).
Cet épais journal, dont j’avais déjà lu des extraits, est publié sous le titre de Souvenirs et solitude en édition de poche par Belin (éditeur indépendant depuis mil sept cent soixante-dix-sept).
Quelques extraits :
Ce n’est pas la première fois dans notre histoire que les militaires ont perdu une guerre par leur impéritie et leur manque d’imagination. Mais c’est la première fois sans doute qu’en sanction du désastre ils s’emparent du pouvoir. (dix-sept janvier mil neuf cent quarante et un)
La prison nous apprend que nous pouvons nous passer du monde –féconde révélation– et que, plus facilement encore, le monde peut se passer de nous. (vingt-sept janvier mil neuf cent quarante et un)
On n’écrit plus : « Un mari jaloux tue sa femme d’un coup de revolver », mais : « D’où viens-tu ? Elle ne répond pas… il l’abat. » Soit. Mais on n’écrit pas davantage : « Mort de M. X…, le savant biologiste, inventeur de plusieurs sérums. » On écrit : « X… est mort ; il fit son service militaire dans les dragons et jouait mal au bridge », ce qui est déjà plus fâcheux. (treize avril mil neuf cent quarante et un)
En 1939, le spectacle qu’on contemplait dans la cour des palais officiels, par les hautes fenêtres, était celui des abris souterrains dont on poussait l’achèvement et qui furent terminés juste à temps pour ne pas servir. (premier janvier mil neuf cent quarante-trois)
Troisième printemps de captivité. Pour la troisième fois, j’ai bêché les quelques mètres carrés de ma cour, dont un peu de verdure et une grande puissance d’illusion feront bientôt pour la distraction de mes yeux « mon jardin ». (quinze mars mil neuf cent quarante-trois)
Je pense à cet article de Roland Dorgelès que je lus dans un hebdomadaire pendant l’hiver 39-40, sur le front de Lorraine, et où l’écrivain, célébrant l’invincibilité de la ligne Maginot, s’écriait, figé au garde-à-vous devant la mémoire de son auteur : « Merci, sergent !... » (dix-sept mars mil neuf cent quarante-trois)
Les hommes que nous étions avant 1940 gardaient enfouis très loin en eux-mêmes leurs sentiments essentiels, comme ces poissons énormes des grandes profondeurs, invisibles de la surface et dont on ne soupçonne pas l’existence. La tempête a semé l’agitation dans les eaux les plus calmes ; elle a fait remonter au grand jour tout ce qui dormait dans les ténèbres : chacun exhibe sa faune sous-marine. (vingt-deux avril mil neuf cent quarante-trois)
Les carnets de Jean Zay, que sa femme sortait discrètement dans la voiture d’enfant lorsqu’elle venait le voir avec leurs deux filles en bas âge, s’arrêtent à la date du sept octobre mil neuf cent quarante-trois. Après cette date, le régime auquel il est soumis ne cesse de s’aggraver. Le vingt juin mil neuf cent quarante-quatre, des miliciens porteurs d’un ordre de transfert viennent le chercher dans sa prison de Riom. L’un deux l’assassine d’un tir de mitraillette au Puits du Diable dans les bois de Cusset (Allier). Il avait trente-neuf ans.
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Dans les carnets de Jean Zay ceci aussi concernant Charles Maurras dont il fut question de commémorer cette année le cent cinquantième anniversaire de la naissance :
Huit ans plus tard, devenu député, j’habitais au 46 de la rue de Verneuil. Au 60, trois ou quatre agents arpentaient en permanence le trottoir pour protéger ou surveiller le domicile de Charles Maurras. Au moment du 6 février, la préfecture de police dépêcha d’autres anges gardiens devant ma porte et devant celle, toute voisine également, de mon collègue Pomaret, si bien que le petit tronçon de la rue de Verneuil, entre la rue du Bac et la rue de Poitiers, grouillait d’uniformes. Il ne se passa jamais rien. Je me trouvais souvent, en même temps que le directeur de l’Action française, chez un petit coiffeur du quartier. Le coiffeur était socialiste. Tout en accommodant la barbe de son client monarchiste, il profitait de sa surdité pour tenir à mi-voix des propos railleurs et parfois scabreux : « Hein ! si je te coupais le cou avec mon rasoir, quel débarras pour la société ! » -« Oui, oui », faisait Maurras de la tête, croyant que le figaro l’entretenait de ses cheveux ou de la température. (seize juillet mil neuf cent quarante-trois)