Dernières notes
Loïc Boyer
Je suis l’auteur de textes courts qui furent publiés depuis mil neuf cent quatre-vingt-quinze dans des revues littéraires en France (Supérieur Inconnu, Supplément d’Ame, Nouvelle Donne, Le Bord de l’Eau, Pris de Peur, l’Art du Bref, Sol’Air, Gros Textes, Salmigondis, Verso, Décharge, Bulle, Filigranes, Diérèse, Martobre, Comme ça et Autrement, (Cahier d’) Ecritures, La Nef des Fous), en Belgique (Traversées, Ecrits Vains, L’Arbre à Plumes, Inédit Nouveau, Bleu d’Encre), au Canada (Les Saisons Littéraires) et en Italie (Les Cahiers du Ru).
Les courageuses Editions du Chardon ont publié en mil neuf cent quatre-vingt-dix-neuf Erotica, un recueil de vingt-huit de ces textes, illustré par Isabelle Pio et Antoine Lopez et préfacé par Sarane Alexandrian, toujours disponible auprès de moi.
Je suis également l’auteur d’une pièce de théâtre et de plusieurs romans ou récits à ce jour inédits.
Depuis le onze novembre deux mille six, je publie mon Journal via Internet, un temps sous-titré Persiflages, moquages et autres énervages mâtinés de complimentages et de contentages. Sa première partie est lisible chez Eklablog, la deuxième ici.
Je vis au centre de Rouen dans un ancien monastère où autrefois les Sœurs de la Miséricorde se vouaient à l’éducation des jeunes filles.
Les courageuses Editions du Chardon ont publié en mil neuf cent quatre-vingt-dix-neuf Erotica, un recueil de vingt-huit de ces textes, illustré par Isabelle Pio et Antoine Lopez et préfacé par Sarane Alexandrian, toujours disponible auprès de moi.
Je suis également l’auteur d’une pièce de théâtre et de plusieurs romans ou récits à ce jour inédits.
Depuis le onze novembre deux mille six, je publie mon Journal via Internet, un temps sous-titré Persiflages, moquages et autres énervages mâtinés de complimentages et de contentages. Sa première partie est lisible chez Eklablog, la deuxième ici.
Je vis au centre de Rouen dans un ancien monastère où autrefois les Sœurs de la Miséricorde se vouaient à l’éducation des jeunes filles.
21 avril 2018
C’est grève chez les cheminots ce mercredi, le train de sept heures cinquante-six pour lequel j’ai un billet est supprimé, aussi je crains que le précédent soit blindé, hors il n’en est rien. Jamais je ne l’ai vu quitter Rouen avec si peu de passagers et, bien que cette bétaillère soit transformée en omnibus, les « arrêts de courte durée » à Oissel, Val-de-Reuil Gaillon/Aubevoye et Vernon/Giverny ne suffisent pas à le remplir. Le chef de bord est heureux d’annoncer que, malgré les étapes, nous arrivons à Paris avec seulement « un contretemps de trois minutes environ ».
Cela me donne le temps de musarder jusqu’à la Bastille avec le bus Vingt puis de lire Le Parisien au comptoir du Café du Faubourg, La carte de la météo est formelle : des soleils partout et des températures estivales au moins jusqu’à samedi.
Chez Book-Off une brigade de quatre Japonais ne parlant pas français renouvelle les rayonnages de romans à un euro avec une célérité toute nippone, puis c’est au tour des dévédés ;
-We have many many many dévédés, leur explique le responsable.
Peu de ces films à un euro semblent trouver preneur. Pour ma part, je n’en ai pas l’usage. Je déteste être assis passivement devant un écran. Je paie un euro pour Warhol, biographie signée Michel Nuridsany, publiée chez Flammarion.
Ce sont les vacances scolaires à Paris, ce qui entraîne la présence d’un seul marchand de livres au marché d’Aligre. Il a supprimé les étiquettes « 1 euro » de son stock inchangé. Je ne m’y attarde pas.
Je retourne vers la Bastille et m’assois sur l’un des bancs qui jouxtent la statue de Caron de Beaumarchais afin d’attendre celle avec qui j’ai rendez-vous à midi. Elle arrive munie d’un sac en papier contenant le pique-nique qu’elle m’a proposé de partager avec elle à l’Arsenal.
Nous sommes parmi les premiers à nous installer sur l’un des murets du port alors qu’accoste le Marcel Carné, lequel achève sa virée sur le canal Saint-Martin au son des chansons de Mistinguett.
Tandis que nous partageons wraps et croissants au jambon en parlant de nos vies respectives, moult pique-niqueuses et niqueurs s’installent jusqu’à ce qu’il n’y ait plus une place de libre. Certain(e)s s’assoient par terre au bord de l’eau. Cela nous rend nostalgiques de la balade qu’on faisait ici le premier janvier lorsqu’elle me tenait la main. Elle me donne le petit cadeau qu’elle a rapporté pour moi de Sicile, je n’ai jamais reçu la carte postale qu’elle m’a envoyée de là-bas. Je lui propose d’aller prendre le café dans un troquet avec terrasse près de son lieu de travail. La seule où il y a de la place est à l’ombre mais il y fait bon.
Quand elle doit aller travailler, je retourne au port de l’Arsenal lire les Mémoires inutiles de Carlo Gozzi qui méritent bien leur nom. Le Marcel Carné s’apprête à partir. Il est comble, sur le toit les familles, à l’intérieur les groupes de vieux. Un divorcé et ses deux moutards, arrivés les derniers, n’ont d’autre choix que de tenir compagnie aux ancêtres. Mistinguett recommence à chanter et les voici partis vers cette double supercherie qu’est l’Hôtel du Nord (seule la façade est conforme à celle d’autrefois et surtout le film a été tourné au studio de Billancourt).
Un bus Vingt-Neuf me conduit vers l’autre Book-Off où je paie un euro Zelda et Scott Fitzgerald (les années vingt jusqu’à la folie), la biographie signée de Kendall Taylor publiée chez Autrement.
Mon train de dix-sept heures quarante-huit est maintenu. C’est un Corail. J’y trouve un fauteuil mais d’autres voyagent assis par terre jusqu’à Rouen où il arrive à l’heure.
*
Ce mercredi matin, encore une fois Edwy Plenel sur un Vélib’ près du carrefour Ledru-Rollin/Faubourg Saint-Antoine. Pitoyable spectacle qu’il a donné avec son compère Bourdin face à Macron dimanche soir à la télé, deux roquets qui livrent leurs avis plutôt que de poser une question sensée. Bref : tombés dans le piège tendu.
*
Les filles, les premières à prendre la mesure du temps estival, chortes et minijupes vite sortis des placards.
*
Le contretemps, ce retard de rien du tout.
Cela me donne le temps de musarder jusqu’à la Bastille avec le bus Vingt puis de lire Le Parisien au comptoir du Café du Faubourg, La carte de la météo est formelle : des soleils partout et des températures estivales au moins jusqu’à samedi.
Chez Book-Off une brigade de quatre Japonais ne parlant pas français renouvelle les rayonnages de romans à un euro avec une célérité toute nippone, puis c’est au tour des dévédés ;
-We have many many many dévédés, leur explique le responsable.
Peu de ces films à un euro semblent trouver preneur. Pour ma part, je n’en ai pas l’usage. Je déteste être assis passivement devant un écran. Je paie un euro pour Warhol, biographie signée Michel Nuridsany, publiée chez Flammarion.
Ce sont les vacances scolaires à Paris, ce qui entraîne la présence d’un seul marchand de livres au marché d’Aligre. Il a supprimé les étiquettes « 1 euro » de son stock inchangé. Je ne m’y attarde pas.
Je retourne vers la Bastille et m’assois sur l’un des bancs qui jouxtent la statue de Caron de Beaumarchais afin d’attendre celle avec qui j’ai rendez-vous à midi. Elle arrive munie d’un sac en papier contenant le pique-nique qu’elle m’a proposé de partager avec elle à l’Arsenal.
Nous sommes parmi les premiers à nous installer sur l’un des murets du port alors qu’accoste le Marcel Carné, lequel achève sa virée sur le canal Saint-Martin au son des chansons de Mistinguett.
Tandis que nous partageons wraps et croissants au jambon en parlant de nos vies respectives, moult pique-niqueuses et niqueurs s’installent jusqu’à ce qu’il n’y ait plus une place de libre. Certain(e)s s’assoient par terre au bord de l’eau. Cela nous rend nostalgiques de la balade qu’on faisait ici le premier janvier lorsqu’elle me tenait la main. Elle me donne le petit cadeau qu’elle a rapporté pour moi de Sicile, je n’ai jamais reçu la carte postale qu’elle m’a envoyée de là-bas. Je lui propose d’aller prendre le café dans un troquet avec terrasse près de son lieu de travail. La seule où il y a de la place est à l’ombre mais il y fait bon.
Quand elle doit aller travailler, je retourne au port de l’Arsenal lire les Mémoires inutiles de Carlo Gozzi qui méritent bien leur nom. Le Marcel Carné s’apprête à partir. Il est comble, sur le toit les familles, à l’intérieur les groupes de vieux. Un divorcé et ses deux moutards, arrivés les derniers, n’ont d’autre choix que de tenir compagnie aux ancêtres. Mistinguett recommence à chanter et les voici partis vers cette double supercherie qu’est l’Hôtel du Nord (seule la façade est conforme à celle d’autrefois et surtout le film a été tourné au studio de Billancourt).
Un bus Vingt-Neuf me conduit vers l’autre Book-Off où je paie un euro Zelda et Scott Fitzgerald (les années vingt jusqu’à la folie), la biographie signée de Kendall Taylor publiée chez Autrement.
Mon train de dix-sept heures quarante-huit est maintenu. C’est un Corail. J’y trouve un fauteuil mais d’autres voyagent assis par terre jusqu’à Rouen où il arrive à l’heure.
*
Ce mercredi matin, encore une fois Edwy Plenel sur un Vélib’ près du carrefour Ledru-Rollin/Faubourg Saint-Antoine. Pitoyable spectacle qu’il a donné avec son compère Bourdin face à Macron dimanche soir à la télé, deux roquets qui livrent leurs avis plutôt que de poser une question sensée. Bref : tombés dans le piège tendu.
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Les filles, les premières à prendre la mesure du temps estival, chortes et minijupes vite sortis des placards.
*
Le contretemps, ce retard de rien du tout.
19 avril 2018
Plusieurs fois que j’envisage d’aller prendre l’air de la mer à Dieppe et que je renonce par la faute du mauvais temps. Ce lundi je me lance, bien que le ciel soit à moitié nuageux.
Prendre un train pour cette ville, c’est voyager avec la ponctualité d’autrefois dans du matériel confortable. Le mien part de la voie huit à neuf heures quatorze et va son chemin sans encombre. Nous sommes deux dans la voiture où je commence la lecture des Mémoires inutiles de Carlo Gozzi. L’autre est au téléphone avec la Police, il veut savoir où récupérer le portable de son fils qui est en prison. Il a reçu « une ordonnance de fin de restitution » mais il ne sait pas s’il doit aller le chercher au Tribunal ou chez eux. La conversation tourne court :
-Y se foutent de ma gueule, y me raccrochent à la gueule, s’emporte le paternel qui envisage de leur mettre douze balles dans le cul.
Je ne juge pas utile de lui faire remarquer qu’on dit « aux fins de restitution ». A l’arrivée il jette son billet dans la poubelle en maudissant le contrôleur qui n’est pas passé.
Dieppe est comme un lundi. Je prends un café au Tout Va Bien où l’on déplore que ce matin on ne vende que de la tartine beurrée et pas un croissant.
Je vais faire un tour dans le quartier du Pollet et y suis momentanément bloqué par le pont tournant qui a pivoté pour donner passage à un cargo qui rentre au port, puis à midi je déjeune au restaurant L’Espérance près d’un couple de sexagénaires dont je n’envie pas l’homme.
-De l’eau, dit-elle à la serveuse, moi du vin j’en bois pas et lui il a pas le droit, je surveille.
Elle a une paire de lunettes autour du cou et une autre sur le nez, Lui n’a qu’une béquille. Au cours du repas elle sort un petit sac en plastique dans lequel ils mettent les miettes de pain pour les oiseaux, puis carrément les tranches de ce même pain, dont elle a réclamé un supplément. Leur conversation se résume à un « On est lundi aujourd’hui ? » jusqu’à ce qu’elle se mette à l’houspiller pour tous les papiers qu’elle a dû remplir pour lui.
-Ah non, je mange pas de ça, s’écrie-t-elle quand la serveuse lui apporte l’andouillette qui m’était destinée. Elle mange une salade sur laquelle elle répand quantité de poivre. Lui mange ses moules marinières à l’eau.
En dessert je commande un clafoutis aux pommes.
-Surtout, ne l’apportez pas à madame, dis-je à la serveuse.
-Je prendrai bien un café, dit l’homme à sa moitié.
-On n’a pas le temps, faut rentrer faire le linge.
L’Espérance oui mais avec modération, me dis-je en sortant. Une fois sur deux, j’en suis content, une fois sur deux, mécontent.
Le pont-levis bleu est levé. Deux chalutiers sortent du port, le Gros Loulou immatriculé à Trouville et le Fer de Lance qui ne dit pas d’où il est. En revanche, il se plaint par une affichette fixée sur sa cabine de la « dictature éolienne ».
Il est temps d’aller voir la vaste mer. Elle est calme et sa plage de cailloux déserte. Les deux bateaux de pêche ne sont bientôt plus que points à l’horizon.
Je remonte la rue principale. En ce jour où beaucoup de magasins sont fermés, on voit bien leur aspect démodé. Il faudrait se ressaisir, Dieppe est une ville qui perd des habitants. Profitant d’un soleil capricieux, je m’installe à l’une des deux tables de trottoir du Brazza où le café est au même pris que sur le port : un euro soixante.
Le train de seize heures part à seize heures, bien rempli, entre autres de randonneurs et de bicyclistes. Le contrôleur ne passe pas davantage qu’à aller, un effet secondaire de la grève sûrement.
*
L’un des serveurs du Tout Va Bien à un autre :
-Mercredi, tu es là où pas ?
-Non, mercredi je travaille pas.
-Bah, comment on fait pour te donner les fleurs ?
-Les fleurs ?
-Mercredi, c’est la Saint Parfait.
Prendre un train pour cette ville, c’est voyager avec la ponctualité d’autrefois dans du matériel confortable. Le mien part de la voie huit à neuf heures quatorze et va son chemin sans encombre. Nous sommes deux dans la voiture où je commence la lecture des Mémoires inutiles de Carlo Gozzi. L’autre est au téléphone avec la Police, il veut savoir où récupérer le portable de son fils qui est en prison. Il a reçu « une ordonnance de fin de restitution » mais il ne sait pas s’il doit aller le chercher au Tribunal ou chez eux. La conversation tourne court :
-Y se foutent de ma gueule, y me raccrochent à la gueule, s’emporte le paternel qui envisage de leur mettre douze balles dans le cul.
Je ne juge pas utile de lui faire remarquer qu’on dit « aux fins de restitution ». A l’arrivée il jette son billet dans la poubelle en maudissant le contrôleur qui n’est pas passé.
Dieppe est comme un lundi. Je prends un café au Tout Va Bien où l’on déplore que ce matin on ne vende que de la tartine beurrée et pas un croissant.
Je vais faire un tour dans le quartier du Pollet et y suis momentanément bloqué par le pont tournant qui a pivoté pour donner passage à un cargo qui rentre au port, puis à midi je déjeune au restaurant L’Espérance près d’un couple de sexagénaires dont je n’envie pas l’homme.
-De l’eau, dit-elle à la serveuse, moi du vin j’en bois pas et lui il a pas le droit, je surveille.
Elle a une paire de lunettes autour du cou et une autre sur le nez, Lui n’a qu’une béquille. Au cours du repas elle sort un petit sac en plastique dans lequel ils mettent les miettes de pain pour les oiseaux, puis carrément les tranches de ce même pain, dont elle a réclamé un supplément. Leur conversation se résume à un « On est lundi aujourd’hui ? » jusqu’à ce qu’elle se mette à l’houspiller pour tous les papiers qu’elle a dû remplir pour lui.
-Ah non, je mange pas de ça, s’écrie-t-elle quand la serveuse lui apporte l’andouillette qui m’était destinée. Elle mange une salade sur laquelle elle répand quantité de poivre. Lui mange ses moules marinières à l’eau.
En dessert je commande un clafoutis aux pommes.
-Surtout, ne l’apportez pas à madame, dis-je à la serveuse.
-Je prendrai bien un café, dit l’homme à sa moitié.
-On n’a pas le temps, faut rentrer faire le linge.
L’Espérance oui mais avec modération, me dis-je en sortant. Une fois sur deux, j’en suis content, une fois sur deux, mécontent.
Le pont-levis bleu est levé. Deux chalutiers sortent du port, le Gros Loulou immatriculé à Trouville et le Fer de Lance qui ne dit pas d’où il est. En revanche, il se plaint par une affichette fixée sur sa cabine de la « dictature éolienne ».
Il est temps d’aller voir la vaste mer. Elle est calme et sa plage de cailloux déserte. Les deux bateaux de pêche ne sont bientôt plus que points à l’horizon.
Je remonte la rue principale. En ce jour où beaucoup de magasins sont fermés, on voit bien leur aspect démodé. Il faudrait se ressaisir, Dieppe est une ville qui perd des habitants. Profitant d’un soleil capricieux, je m’installe à l’une des deux tables de trottoir du Brazza où le café est au même pris que sur le port : un euro soixante.
Le train de seize heures part à seize heures, bien rempli, entre autres de randonneurs et de bicyclistes. Le contrôleur ne passe pas davantage qu’à aller, un effet secondaire de la grève sûrement.
*
L’un des serveurs du Tout Va Bien à un autre :
-Mercredi, tu es là où pas ?
-Non, mercredi je travaille pas.
-Bah, comment on fait pour te donner les fleurs ?
-Les fleurs ?
-Mercredi, c’est la Saint Parfait.
18 avril 2018
J’ai place en deuxième rangée de corbeille, ce dimanche après-midi, pour l’oratorio de Johann Sebastian Bach Passion selon Saint Jean. Sur scène, dans la pénombre, les instruments et les pupitres sont dominés par une grande croix blanche. La première ligne du livret programme me fait bouillir intérieurement : « Qu’est-ce que la vérité religieuse ? » Pire qu’un oxymore.
Deux heures quinze sans entracte, soupire-t-on derrière moi. Eh oui, ce n’est pas un abrégé du Bach. On y a même ajouté en ouverture There is no love that doesn’t pierce the hands and feet, le prologue d’And You Must Suffer d’Annelies Van Parys et entre les deux parties l’Apocalypse arabe de Samir Odeh-Tamimi.
Passion selon Saint-Jean est un spectacle de la catégorie contes et légendes. J’en connais l’histoire, aussi puis-je me concentrer sur la musique jouée par le B’Rock Orchestra dirigé par Andreas Spering, sur le chant des solistes et du Cappella Amsterdam, sur la mise en espace de Pierre Audi, sur la mise en lumière de Peter Quasters et sur la projection des images de Wim Delvoye. A la fin, je peux dire que j’ai passé un bon dimanche après-midi.
*
Principale préoccupation de beaucoup des spectateurs de l’Opéra de Rouen : la durée du spectacle. Plus c’est court, plus ça leur va. Leur désir quand ils sortent (comme on dit) : rentrer chez eux le plus vite possible.
Deux heures quinze sans entracte, soupire-t-on derrière moi. Eh oui, ce n’est pas un abrégé du Bach. On y a même ajouté en ouverture There is no love that doesn’t pierce the hands and feet, le prologue d’And You Must Suffer d’Annelies Van Parys et entre les deux parties l’Apocalypse arabe de Samir Odeh-Tamimi.
Passion selon Saint-Jean est un spectacle de la catégorie contes et légendes. J’en connais l’histoire, aussi puis-je me concentrer sur la musique jouée par le B’Rock Orchestra dirigé par Andreas Spering, sur le chant des solistes et du Cappella Amsterdam, sur la mise en espace de Pierre Audi, sur la mise en lumière de Peter Quasters et sur la projection des images de Wim Delvoye. A la fin, je peux dire que j’ai passé un bon dimanche après-midi.
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Principale préoccupation de beaucoup des spectateurs de l’Opéra de Rouen : la durée du spectacle. Plus c’est court, plus ça leur va. Leur désir quand ils sortent (comme on dit) : rentrer chez eux le plus vite possible.
17 avril 2018
Encore un vide grenier d’hypercentre ce dimanche à Rouen, cette fois « dans les rues du Palais », comme dit l’organisateur, le Comité Massacre (du nom de la rue chère aux rockeurs locaux). Il faut comprendre : dans les rues voisines du Palais de Justice.
Cette année, les exposants sont essentiellement installés rue du Gros. Dans les autres, ils se tiennent éloignés les uns des autres. Le nombre annoncé, entre cinquante et cent, est atteint, mais la qualité est moindre que l’an dernier, aucun livre ne peut m’intéresser.
J’échange quelques mots avec un semi professionnel de ma connaissance. Il tente de me vendre un de ses romans (je n’en lis plus) puis un de ses livres sur Rouen (le sujet ne m’a jamais intéressé). Lui aussi est déçu par les vide greniers. Désormais, il achète en salle des ventes.
-Oui, lui dis-je, mais on ne peut acheter que des lots.
-C’est pourquoi je dois me débarrasser de tout ça, me dit il.
Au moins sera-t-il à l’abri s’il se met à pleuvoir, ayant choisi de s’installer sous l’arcade de la boutique de la Senecefe, rue aux Juifs.
*
Il avait été question de remplacer ce Palais de Justice par un autre à l’architecture fonctionnelle qui aurait été situé près de la prison Bonne Nouvelle, pour le côté pratique. Le projet a été abandonné faute d’argent.
A Paris c’est fait. Le Palais de Justice de l’île de la Cité a vécu. L’un des derniers procès s’y déroulant aura été celui des relaxés de Tarnac et de Rouen. Le nouveau, dû à Renzo Piano, trois parallélépipèdes vitrés posés l’un sur l’autre, que je vois chaque mercredi en allant et revenant de la capitale, est tout en hauteur, fonctionnel sûrement, mais laid, du moins de loin. Sa structure en béton avait pourtant de l’allure au temps de sa construction.
J’irai voir ça de plus près, ce nouveau Palais de Justice est situé dans le quartier des Batignolles. Pour s’y rendre en métro, c’est la ligne Treize, laquelle était déjà saturée avant son ouverture, comme le rappelle Libération dans un article où est cité l’humoriste Bun Hay Mean, alias «le Chinois marrant» :
-La ligne 13, c’est celle qui relie la Roumanie aux enfers. C’est même à cause d’elle que le 13 porte malheur.
Ce bâtiment coûtera quatre-vingt-six millions d’euros par an, en loyer versé à Bouygues, jusqu’en deux mille quarante-quatre, pris sur le budget du Ministère de la Justice, la faute à Sarkozy et à son partenariat public privé.
*
La gaffe.
Lui : « Ah, tu es drôlement bien sur cette photo ! »
Elle : « Ce n’est pas moi, c’est un modèle pour la coiffeuse. »
Cette année, les exposants sont essentiellement installés rue du Gros. Dans les autres, ils se tiennent éloignés les uns des autres. Le nombre annoncé, entre cinquante et cent, est atteint, mais la qualité est moindre que l’an dernier, aucun livre ne peut m’intéresser.
J’échange quelques mots avec un semi professionnel de ma connaissance. Il tente de me vendre un de ses romans (je n’en lis plus) puis un de ses livres sur Rouen (le sujet ne m’a jamais intéressé). Lui aussi est déçu par les vide greniers. Désormais, il achète en salle des ventes.
-Oui, lui dis-je, mais on ne peut acheter que des lots.
-C’est pourquoi je dois me débarrasser de tout ça, me dit il.
Au moins sera-t-il à l’abri s’il se met à pleuvoir, ayant choisi de s’installer sous l’arcade de la boutique de la Senecefe, rue aux Juifs.
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Il avait été question de remplacer ce Palais de Justice par un autre à l’architecture fonctionnelle qui aurait été situé près de la prison Bonne Nouvelle, pour le côté pratique. Le projet a été abandonné faute d’argent.
A Paris c’est fait. Le Palais de Justice de l’île de la Cité a vécu. L’un des derniers procès s’y déroulant aura été celui des relaxés de Tarnac et de Rouen. Le nouveau, dû à Renzo Piano, trois parallélépipèdes vitrés posés l’un sur l’autre, que je vois chaque mercredi en allant et revenant de la capitale, est tout en hauteur, fonctionnel sûrement, mais laid, du moins de loin. Sa structure en béton avait pourtant de l’allure au temps de sa construction.
J’irai voir ça de plus près, ce nouveau Palais de Justice est situé dans le quartier des Batignolles. Pour s’y rendre en métro, c’est la ligne Treize, laquelle était déjà saturée avant son ouverture, comme le rappelle Libération dans un article où est cité l’humoriste Bun Hay Mean, alias «le Chinois marrant» :
-La ligne 13, c’est celle qui relie la Roumanie aux enfers. C’est même à cause d’elle que le 13 porte malheur.
Ce bâtiment coûtera quatre-vingt-six millions d’euros par an, en loyer versé à Bouygues, jusqu’en deux mille quarante-quatre, pris sur le budget du Ministère de la Justice, la faute à Sarkozy et à son partenariat public privé.
*
La gaffe.
Lui : « Ah, tu es drôlement bien sur cette photo ! »
Elle : « Ce n’est pas moi, c’est un modèle pour la coiffeuse. »
16 avril 2018
Jouer de la musique tandis que boivent, mangent et discutent ceux qui l’écoutent, c’est l’expérience à laquelle sont soumis des trios d’élèves du Conservatoire pour lesquels a été installée une scène sur la partie centrale des marches du foyer de l’Opéra de Rouen ce dimanche après-midi en avant-programme du concert Beethoven et Bizet.
Une femme assise à l’une des tables filme sa violoniste de fille avec son smartphone. Mon œil va de l’une à l’autre. Regarder celle qui admire celle qui joue, c’est voir la musicienne dans vingt-cinq ans.
Je n’attends pas qu’en ait terminé le deuxième trio pour aller m’asseoir au troisième rang du premier balcon et y étudier le programme tandis qu’on s’installe autour de moi. En cette fin de saison, il m’en coûte de plus en plus d’avoir des voisins. Ceux-là ne sont pourtant pas gênants.
Des caméras sont placées en différents points. Certaines se débrouillent seules, dont l’une qui va et vient horizontalement en fond de scène. D’autres sont dirigées ou portées par des cadreurs. Le concert est enregistré par la Compagnie Lyonnaise Cinéma et sera notamment diffusé sur La Chaîne Normande.
En apéritif, c’est Leonore, l’ouverture numéro un du Fidelio de Ludwig van Beethoven. David Reiland est à la direction musicale, chef d’orchestre de tendance expressionniste, dont l’ample gestuelle est un moyen de l’efficacité.
Il donne toute sa mesure avec le Concerto pour violon en ré majeur du même. Lorenzo Gatto est au violon, un stradivarius de mil six cent quatre-vingt-dix-huit dont il tire le meilleur. L’Orchestre n’est pas en reste, conduit d’une main de maître par le maestro dansant. Sa façon de jeter son corps en arrière puis de le lancer vers l’avant me plait particulièrement. Impossible pour moi d’entendre ce concerto sans y inclure en arrière-fond La Route du levant que Gérard Manset écrivit pour Anne Vanderlove en mil neuf cent soixante-dix.
Lorenzo Gatto est triomphalement applaudi, et rappelé avec insistance. Il nous offre un bonus qu’il a l’obligeance d’annoncer avant de le jouer : Carnaval de Venise de Paganini. Sa délectable interprétation lui vaut un nouveau rappel, ce qui nous vaut un presto de Jean Sébastien Bach. Nouvelle ovation, Lorenzo Gatto nous dit avoir l’épaule qui commence à fatiguer mais ajoute à notre plaisir une sarabande du même.
En dessert, après l’entracte, l’Orchestre, toujours magnifiquement conduit par le mouvant David Reiland, joue la Symphonie en ut majeur de Georges Bizet, qu’il composa à dix-sept ans et ne fut jouée que soixante ans après sa mort. Chaque mouvement est un régal. L’adagio permet à Jérôme Laborde de montrer ce qu’il sait faire avec son hautbois. Il est applaudi très fort. L’Orchestre a sa part. Et le maestro la sienne, qui ordinairement se partage entre la direction de l’Orchestre National de Lorraine et celle du Sinfonietta de Lausanne. Il serait prêt à nous donner un bis mais quand il consulte les musiciens du regard, ceux-ci lui font comprendre que non, Lorenzo Gatto nous a déjà mis en retard, la journée de travail est finie, c’est l’heure d’aller au lit.
*
Je ne sais plus à quel moment les musiciens de l’Opéra de Rouen ont été autorisés à jeter la cravate rouge qui les faisait ressembler aux gardiens de la Fondation Vuitton mais ce fut une heureuse initiative.
*
Au tour de certains des arbres situés derrière l’église Saint-Maclou de se faire tronçonner. Je le constate tristement ce jeudi en début d’après-midi quand je vais boire un café au Grand Saint Marc. Je fais quelques photos du massacre. Personne ne proteste ? s’étonne un ancien Rouennais de ma connaissance. Eh non ! A chaque fois, le voisinage se lamente, et c’est tout.
*
Première fois de l’année, ce samedi, que la température extérieure me permet d’ouvrir la fenêtre de ma chambre pour écouter le concert de carillon de onze heures trente. Dans le programme : Sur la route de Louviers.
Ville natale, cela fait un moment que je ne t’aie pas vue.
Une femme assise à l’une des tables filme sa violoniste de fille avec son smartphone. Mon œil va de l’une à l’autre. Regarder celle qui admire celle qui joue, c’est voir la musicienne dans vingt-cinq ans.
Je n’attends pas qu’en ait terminé le deuxième trio pour aller m’asseoir au troisième rang du premier balcon et y étudier le programme tandis qu’on s’installe autour de moi. En cette fin de saison, il m’en coûte de plus en plus d’avoir des voisins. Ceux-là ne sont pourtant pas gênants.
Des caméras sont placées en différents points. Certaines se débrouillent seules, dont l’une qui va et vient horizontalement en fond de scène. D’autres sont dirigées ou portées par des cadreurs. Le concert est enregistré par la Compagnie Lyonnaise Cinéma et sera notamment diffusé sur La Chaîne Normande.
En apéritif, c’est Leonore, l’ouverture numéro un du Fidelio de Ludwig van Beethoven. David Reiland est à la direction musicale, chef d’orchestre de tendance expressionniste, dont l’ample gestuelle est un moyen de l’efficacité.
Il donne toute sa mesure avec le Concerto pour violon en ré majeur du même. Lorenzo Gatto est au violon, un stradivarius de mil six cent quatre-vingt-dix-huit dont il tire le meilleur. L’Orchestre n’est pas en reste, conduit d’une main de maître par le maestro dansant. Sa façon de jeter son corps en arrière puis de le lancer vers l’avant me plait particulièrement. Impossible pour moi d’entendre ce concerto sans y inclure en arrière-fond La Route du levant que Gérard Manset écrivit pour Anne Vanderlove en mil neuf cent soixante-dix.
Lorenzo Gatto est triomphalement applaudi, et rappelé avec insistance. Il nous offre un bonus qu’il a l’obligeance d’annoncer avant de le jouer : Carnaval de Venise de Paganini. Sa délectable interprétation lui vaut un nouveau rappel, ce qui nous vaut un presto de Jean Sébastien Bach. Nouvelle ovation, Lorenzo Gatto nous dit avoir l’épaule qui commence à fatiguer mais ajoute à notre plaisir une sarabande du même.
En dessert, après l’entracte, l’Orchestre, toujours magnifiquement conduit par le mouvant David Reiland, joue la Symphonie en ut majeur de Georges Bizet, qu’il composa à dix-sept ans et ne fut jouée que soixante ans après sa mort. Chaque mouvement est un régal. L’adagio permet à Jérôme Laborde de montrer ce qu’il sait faire avec son hautbois. Il est applaudi très fort. L’Orchestre a sa part. Et le maestro la sienne, qui ordinairement se partage entre la direction de l’Orchestre National de Lorraine et celle du Sinfonietta de Lausanne. Il serait prêt à nous donner un bis mais quand il consulte les musiciens du regard, ceux-ci lui font comprendre que non, Lorenzo Gatto nous a déjà mis en retard, la journée de travail est finie, c’est l’heure d’aller au lit.
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Je ne sais plus à quel moment les musiciens de l’Opéra de Rouen ont été autorisés à jeter la cravate rouge qui les faisait ressembler aux gardiens de la Fondation Vuitton mais ce fut une heureuse initiative.
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Au tour de certains des arbres situés derrière l’église Saint-Maclou de se faire tronçonner. Je le constate tristement ce jeudi en début d’après-midi quand je vais boire un café au Grand Saint Marc. Je fais quelques photos du massacre. Personne ne proteste ? s’étonne un ancien Rouennais de ma connaissance. Eh non ! A chaque fois, le voisinage se lamente, et c’est tout.
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Première fois de l’année, ce samedi, que la température extérieure me permet d’ouvrir la fenêtre de ma chambre pour écouter le concert de carillon de onze heures trente. Dans le programme : Sur la route de Louviers.
Ville natale, cela fait un moment que je ne t’aie pas vue.
13 avril 2018
Ce mercredi midi, mon déjeuner au Palais de Pékin est sans histoire mais en remontant la rue du Chemin-Vert en direction de la Petite Rockette je me fais choper par la voiture à Mappy qui la descend au son d’une musique de kermesse. Protégé que j’étais par une camionnette stationnée, j’espère ne pas être trop visible sur les images.
Il est presque treize heures. Ce sont surtout des femmes qui attendent devant la recyclerie, venues pour le chiffon et le bibelot ; personne d’autre que moi pour le livre.
J’en ressors avec deux ouvrages de poésie publiés chez Gallimard, Ombre du Paradis de Vicente Alexandre et Axion Esti d’Odysseus Elytis, puis avec le métro Trois rejoins Quatre-Septembre. Au café brasserie des Ducs, j’achève la lecture d’Et devant moi, le monde, l’autobiographie de Joyce Maynard, qui narre en détail sa relation avec Jerry, c'est-à-dire Salinger, écrivain devenu mythique par sa volonté de se tenir loin des médias et de ses lecteurs.
Le portrait de l’homme qui a écrit, après avoir vu sa photo dans un magazine, à la jeune fille de dix-huit ans qu’elle était et l’a séduite, la convaincant de quitter ses études pour vivre recluse avec lui, ne se souciant ni de ses problèmes d’anorexie ni de ses problèmes sexuels, uniquement occupé à l’étude de l’homéopathie, à la confection de repas ascétiques et au visionnage de deux films par soirée, puis la congédiant brutalement, est édifiant. Bien qu’elle ne l’accable pas, l’image de l’auteur de L’Attrape-cœurs en prend un coup.
Après être passé au second Book-Off et y avoir trouvé à un euro Quand vous viendrez me voir aux Antipodes (Lettres à Pierre Boncenne) de Simon Leys (Editions Philippe Rey), je prends un autre café A la Ville d’Argentan. L’écran muet dans mon dos montre en boucle les assauts des Gendarmes Mobiles contre les courageux zadistes de Notre-Dame-des-Landes. Un habitué, gros beauf à moustache, juge qu’on devrait y envoyer la Légion, ça irait plus vite.
Qu’ont fait ces réfractaires à Macron, Philippe, Collomb et autres chantres de l’ordre libéral ? Il faut faire peur à ceux qui tentent de vivre autrement. Sûr que ce n’est pas moi qui irais m'installer dans ce bocage boueux et sans charme.
Le dix-sept heures quarante-huit est à quai quand j’arrive à Saint-Lazare. Ce n’est pas la bétaillère habituelle mais pire : un ancien Transilien à rangées de triples sièges se faisant face. La saleté de la voiture dans laquelle je monte est impressionnante.
-Quelle horreur, commente celui qui me suit. Et en plus il pue.
La cheffe de bord signale que les contrôleurs passeront annoter les billets de première classe pour la raison qu’il n’y en a pas.
-Nous vous souhaitons un bon voyage à bord de ce train Excellence 2020, ajoute-t-elle.
A l’arrivée à Rouen, ce sera vingt minutes de retard, la faute au train nous précédant.
*
Combien de fois ai-je entendu dire que l’Ecole devait se tenir hors de la politique. Ce jeudi midi, Macron est dans une classe de l’école de Berd’huis dans l’Orne (ce département que Morin, Duc de Normandie, a qualifié de trou du cul du monde), Il discute avec le vieux Pernaut aux cheveux teints. Ce copain des évêques serait plus à sa place dans l’église du village.
*
La bonne nouvelle de ce jeudi : la relaxe des « inculpé(e)s » de l’affaire dite de Tarnac.
Il est presque treize heures. Ce sont surtout des femmes qui attendent devant la recyclerie, venues pour le chiffon et le bibelot ; personne d’autre que moi pour le livre.
J’en ressors avec deux ouvrages de poésie publiés chez Gallimard, Ombre du Paradis de Vicente Alexandre et Axion Esti d’Odysseus Elytis, puis avec le métro Trois rejoins Quatre-Septembre. Au café brasserie des Ducs, j’achève la lecture d’Et devant moi, le monde, l’autobiographie de Joyce Maynard, qui narre en détail sa relation avec Jerry, c'est-à-dire Salinger, écrivain devenu mythique par sa volonté de se tenir loin des médias et de ses lecteurs.
Le portrait de l’homme qui a écrit, après avoir vu sa photo dans un magazine, à la jeune fille de dix-huit ans qu’elle était et l’a séduite, la convaincant de quitter ses études pour vivre recluse avec lui, ne se souciant ni de ses problèmes d’anorexie ni de ses problèmes sexuels, uniquement occupé à l’étude de l’homéopathie, à la confection de repas ascétiques et au visionnage de deux films par soirée, puis la congédiant brutalement, est édifiant. Bien qu’elle ne l’accable pas, l’image de l’auteur de L’Attrape-cœurs en prend un coup.
Après être passé au second Book-Off et y avoir trouvé à un euro Quand vous viendrez me voir aux Antipodes (Lettres à Pierre Boncenne) de Simon Leys (Editions Philippe Rey), je prends un autre café A la Ville d’Argentan. L’écran muet dans mon dos montre en boucle les assauts des Gendarmes Mobiles contre les courageux zadistes de Notre-Dame-des-Landes. Un habitué, gros beauf à moustache, juge qu’on devrait y envoyer la Légion, ça irait plus vite.
Qu’ont fait ces réfractaires à Macron, Philippe, Collomb et autres chantres de l’ordre libéral ? Il faut faire peur à ceux qui tentent de vivre autrement. Sûr que ce n’est pas moi qui irais m'installer dans ce bocage boueux et sans charme.
Le dix-sept heures quarante-huit est à quai quand j’arrive à Saint-Lazare. Ce n’est pas la bétaillère habituelle mais pire : un ancien Transilien à rangées de triples sièges se faisant face. La saleté de la voiture dans laquelle je monte est impressionnante.
-Quelle horreur, commente celui qui me suit. Et en plus il pue.
La cheffe de bord signale que les contrôleurs passeront annoter les billets de première classe pour la raison qu’il n’y en a pas.
-Nous vous souhaitons un bon voyage à bord de ce train Excellence 2020, ajoute-t-elle.
A l’arrivée à Rouen, ce sera vingt minutes de retard, la faute au train nous précédant.
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Combien de fois ai-je entendu dire que l’Ecole devait se tenir hors de la politique. Ce jeudi midi, Macron est dans une classe de l’école de Berd’huis dans l’Orne (ce département que Morin, Duc de Normandie, a qualifié de trou du cul du monde), Il discute avec le vieux Pernaut aux cheveux teints. Ce copain des évêques serait plus à sa place dans l’église du village.
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La bonne nouvelle de ce jeudi : la relaxe des « inculpé(e)s » de l’affaire dite de Tarnac.
12 avril 2018
Les bûcherons ont bien travaillé sur le parvis de la gare de Rouen. Les arbres, côté taxis, qui protégeaient les voyageurs de la pluie, ou leur donnaient de l’ombre, sont désormais parfaitement rangés sous forme de rondins. Il s’agit pour la Métropole de requalifier la place (comme ils disent)
« Ce n'est pas une surprise, commente France Trois Normandie. Sur les maquettes du projet d'aménagement, ces arbres ne figuraient pas. Les espaces verts seront des « salons urbains ». Un concept très à la mode chez les architectes et les élus. La verdure est millimétrée. L'arbre grandeur nature, refuge des oiseaux, qui laisse tomber des feuilles, ombrage, rafraîchit lors des grosses chaleurs est devenu dérangeant. »
La surprise, c’est l’arrivée d’un train Corail en gare à sept heures cinquante-six. Depuis au moins deux mois, il était remplacé par moins bien. L’un des deux phares de la locomotive est en panne mais elle roule bien et ce n’est qu’avec cinq minutes de retard que j’arrive à Saint-Lazare.
De quoi être devant le Book-Off de Ledru-Rollin pour l’ouverture des portes. Il est rare que j’y trouve un livre à un euro achetable au rayon Erotisme, mais là oui : Anthologie du coït de Mathias et Jean-Jacques Pauvert (La Musardine).
Il fait beau. Le soleil me permet de m’attarder au marché d’Aligre mais j’en repars bredouille en direction de la rue du Chemin Vert.
*
Ligne Huit du métro, un trentenaire à l’homme aux cheveux blancs qui lorgne avidement sur sa place assise :
-Désolé monsieur, vous n’êtes pas encore assez vieux pour que je vous donne ma place.
*
Dans la ville que je délaisse le mercredi se déroule ce onze avril au Cent Six une réunion des élus de tous les bords : « Rouen, capitale européenne de la culture en 2028 ? » Le fantasme est dans la formule et la réalité dans le point d’interrogation.
Cette réunion aurait dû se tenir le premier avril.
« Ce n'est pas une surprise, commente France Trois Normandie. Sur les maquettes du projet d'aménagement, ces arbres ne figuraient pas. Les espaces verts seront des « salons urbains ». Un concept très à la mode chez les architectes et les élus. La verdure est millimétrée. L'arbre grandeur nature, refuge des oiseaux, qui laisse tomber des feuilles, ombrage, rafraîchit lors des grosses chaleurs est devenu dérangeant. »
La surprise, c’est l’arrivée d’un train Corail en gare à sept heures cinquante-six. Depuis au moins deux mois, il était remplacé par moins bien. L’un des deux phares de la locomotive est en panne mais elle roule bien et ce n’est qu’avec cinq minutes de retard que j’arrive à Saint-Lazare.
De quoi être devant le Book-Off de Ledru-Rollin pour l’ouverture des portes. Il est rare que j’y trouve un livre à un euro achetable au rayon Erotisme, mais là oui : Anthologie du coït de Mathias et Jean-Jacques Pauvert (La Musardine).
Il fait beau. Le soleil me permet de m’attarder au marché d’Aligre mais j’en repars bredouille en direction de la rue du Chemin Vert.
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Ligne Huit du métro, un trentenaire à l’homme aux cheveux blancs qui lorgne avidement sur sa place assise :
-Désolé monsieur, vous n’êtes pas encore assez vieux pour que je vous donne ma place.
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Dans la ville que je délaisse le mercredi se déroule ce onze avril au Cent Six une réunion des élus de tous les bords : « Rouen, capitale européenne de la culture en 2028 ? » Le fantasme est dans la formule et la réalité dans le point d’interrogation.
Cette réunion aurait dû se tenir le premier avril.
11 avril 2018
Ce dimanche après-midi, j’ai une place centrée au cinquième rang du premier balcon de l’Opéra de Rouen pour L’Enlèvement au sérail de Wolfgang Amadeus Mozart, opéra singspiel (chanté parlé) dont je ne connais que l’ouverture. Le livret est dû à Johann Gottlieb Stephanie.
A la baguette, c’est le sympathique et chevronné Antony Hermus dont je peux apercevoir la tête et la gestuelle tout en ayant vue sur l’ensemble du plateau et le surtitrage en français. Emmanuelle Cordoliani, la metteuse en scène, a transporté l’action d’un palais turc du dix-huitième siècle à un cabaret de la Belle Epoque nommé Le Sérail. Constance et sa servante Blonde y sont retenues par Selim Bassa et son âme damnée Osmin. Leurs amoureux respectifs, Belmonte et Pedrillo, cherchent à les délivrer et y parviendront grâce à la magnanimité du geôlier.
« Trois heures vingt avec entracte, ça a intérêt à être bien », s’inquiétait l’un de mes voisins de derrière. Ça l’est. La musique, le décor, la mise en scène, le jeu et le chant, tout me va. Les solistes sont pour partie les lauréats deux mille dix-sept du Concours International de Chant de Clermont-Ferrand. Comme souvent, j’apprécie surtout les chanteuses, deux sopranos talentueuses : Katharine Dain qui interprète Constance et Pauline Texier qui interprète Blonde, perruque bleue et tenue sexy. Je ne dois pas être le seul que cette petite soubrette fasse rêver. Les dames du public n’ont pas à se plaindre avec Stéphane Mercoyrol qui tient le rôle parlé de Selim, voix mâle et sensuelle, physique à l’avenant. Le discret murmure approbateur qui suit l’enlèvement de sa chemise me donne à penser que plus d’une serait ravie d’être sa prisonnière.
Un peu d’humour, un peu de gravité, le recours ponctuel aux marionnettes, au mime et aux ombres chinoises, un propos féministe qui pourrait bien avoir été modernisé dans la partie parlée, cet Enlèvement au sérail assure un véritable triomphe aux chanteurs, comédiens et musiciens, ainsi qu’au maestro, et à Mozart.
*
La réplique de la fille aux cheveux bleus à la question : « Et Blonde, qui va l’emmener ? » : « On n’emmène pas Blonde. Elle s’en va toute seule. »
*
Et dans la bouche de Selim, de quoi cogiter un moment : « Puisque dans ce monde tout est néant, suppose que tu n’existes pas et sois libre. »
*
Quand on consulte Internet, on ne trouve rien sur Stéphane Mercoyrol, hormis qu’il a joué dans quelques films, dont La Vie d’Adèle. Et son adresse et numéro de téléphone à Paris (cela dit au cas où l’une).
*
Le correcteur automatique d’orthographe me dit « plus d’une seraient ». Je vérifie et suis conforté dans mon « plus d’une serait ». Quand même, c’est étrange ce plus d’un, c’est-à-dire au moins deux, suivi d’un verbe au singulier. Tout aussi étrange, moins de deux, c’est-à-dire un ou zéro, suivi d’un verbe au pluriel.
*
Plus d’un est venu et moins de deux sont partis, combien en reste-t-il ?
A la baguette, c’est le sympathique et chevronné Antony Hermus dont je peux apercevoir la tête et la gestuelle tout en ayant vue sur l’ensemble du plateau et le surtitrage en français. Emmanuelle Cordoliani, la metteuse en scène, a transporté l’action d’un palais turc du dix-huitième siècle à un cabaret de la Belle Epoque nommé Le Sérail. Constance et sa servante Blonde y sont retenues par Selim Bassa et son âme damnée Osmin. Leurs amoureux respectifs, Belmonte et Pedrillo, cherchent à les délivrer et y parviendront grâce à la magnanimité du geôlier.
« Trois heures vingt avec entracte, ça a intérêt à être bien », s’inquiétait l’un de mes voisins de derrière. Ça l’est. La musique, le décor, la mise en scène, le jeu et le chant, tout me va. Les solistes sont pour partie les lauréats deux mille dix-sept du Concours International de Chant de Clermont-Ferrand. Comme souvent, j’apprécie surtout les chanteuses, deux sopranos talentueuses : Katharine Dain qui interprète Constance et Pauline Texier qui interprète Blonde, perruque bleue et tenue sexy. Je ne dois pas être le seul que cette petite soubrette fasse rêver. Les dames du public n’ont pas à se plaindre avec Stéphane Mercoyrol qui tient le rôle parlé de Selim, voix mâle et sensuelle, physique à l’avenant. Le discret murmure approbateur qui suit l’enlèvement de sa chemise me donne à penser que plus d’une serait ravie d’être sa prisonnière.
Un peu d’humour, un peu de gravité, le recours ponctuel aux marionnettes, au mime et aux ombres chinoises, un propos féministe qui pourrait bien avoir été modernisé dans la partie parlée, cet Enlèvement au sérail assure un véritable triomphe aux chanteurs, comédiens et musiciens, ainsi qu’au maestro, et à Mozart.
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La réplique de la fille aux cheveux bleus à la question : « Et Blonde, qui va l’emmener ? » : « On n’emmène pas Blonde. Elle s’en va toute seule. »
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Et dans la bouche de Selim, de quoi cogiter un moment : « Puisque dans ce monde tout est néant, suppose que tu n’existes pas et sois libre. »
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Quand on consulte Internet, on ne trouve rien sur Stéphane Mercoyrol, hormis qu’il a joué dans quelques films, dont La Vie d’Adèle. Et son adresse et numéro de téléphone à Paris (cela dit au cas où l’une).
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Le correcteur automatique d’orthographe me dit « plus d’une seraient ». Je vérifie et suis conforté dans mon « plus d’une serait ». Quand même, c’est étrange ce plus d’un, c’est-à-dire au moins deux, suivi d’un verbe au singulier. Tout aussi étrange, moins de deux, c’est-à-dire un ou zéro, suivi d’un verbe au pluriel.
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Plus d’un est venu et moins de deux sont partis, combien en reste-t-il ?
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