Plusieurs fois que j’envisage d’aller prendre l’air de la mer à Dieppe et que je renonce par la faute du mauvais temps. Ce lundi je me lance, bien que le ciel soit à moitié nuageux.
Prendre un train pour cette ville, c’est voyager avec la ponctualité d’autrefois dans du matériel confortable. Le mien part de la voie huit à neuf heures quatorze et va son chemin sans encombre. Nous sommes deux dans la voiture où je commence la lecture des Mémoires inutiles de Carlo Gozzi. L’autre est au téléphone avec la Police, il veut savoir où récupérer le portable de son fils qui est en prison. Il a reçu « une ordonnance de fin de restitution » mais il ne sait pas s’il doit aller le chercher au Tribunal ou chez eux. La conversation tourne court :
-Y se foutent de ma gueule, y me raccrochent à la gueule, s’emporte le paternel qui envisage de leur mettre douze balles dans le cul.
Je ne juge pas utile de lui faire remarquer qu’on dit « aux fins de restitution ». A l’arrivée il jette son billet dans la poubelle en maudissant le contrôleur qui n’est pas passé.
Dieppe est comme un lundi. Je prends un café au Tout Va Bien où l’on déplore que ce matin on ne vende que de la tartine beurrée et pas un croissant.
Je vais faire un tour dans le quartier du Pollet et y suis momentanément bloqué par le pont tournant qui a pivoté pour donner passage à un cargo qui rentre au port, puis à midi je déjeune au restaurant L’Espérance près d’un couple de sexagénaires dont je n’envie pas l’homme.
-De l’eau, dit-elle à la serveuse, moi du vin j’en bois pas et lui il a pas le droit, je surveille.
Elle a une paire de lunettes autour du cou et une autre sur le nez, Lui n’a qu’une béquille. Au cours du repas elle sort un petit sac en plastique dans lequel ils mettent les miettes de pain pour les oiseaux, puis carrément les tranches de ce même pain, dont elle a réclamé un supplément. Leur conversation se résume à un « On est lundi aujourd’hui ? » jusqu’à ce qu’elle se mette à l’houspiller pour tous les papiers qu’elle a dû remplir pour lui.
-Ah non, je mange pas de ça, s’écrie-t-elle quand la serveuse lui apporte l’andouillette qui m’était destinée. Elle mange une salade sur laquelle elle répand quantité de poivre. Lui mange ses moules marinières à l’eau.
En dessert je commande un clafoutis aux pommes.
-Surtout, ne l’apportez pas à madame, dis-je à la serveuse.
-Je prendrai bien un café, dit l’homme à sa moitié.
-On n’a pas le temps, faut rentrer faire le linge.
L’Espérance oui mais avec modération, me dis-je en sortant. Une fois sur deux, j’en suis content, une fois sur deux, mécontent.
Le pont-levis bleu est levé. Deux chalutiers sortent du port, le Gros Loulou immatriculé à Trouville et le Fer de Lance qui ne dit pas d’où il est. En revanche, il se plaint par une affichette fixée sur sa cabine de la « dictature éolienne ».
Il est temps d’aller voir la vaste mer. Elle est calme et sa plage de cailloux déserte. Les deux bateaux de pêche ne sont bientôt plus que points à l’horizon.
Je remonte la rue principale. En ce jour où beaucoup de magasins sont fermés, on voit bien leur aspect démodé. Il faudrait se ressaisir, Dieppe est une ville qui perd des habitants. Profitant d’un soleil capricieux, je m’installe à l’une des deux tables de trottoir du Brazza où le café est au même pris que sur le port : un euro soixante.
Le train de seize heures part à seize heures, bien rempli, entre autres de randonneurs et de bicyclistes. Le contrôleur ne passe pas davantage qu’à aller, un effet secondaire de la grève sûrement.
*
L’un des serveurs du Tout Va Bien à un autre :
-Mercredi, tu es là où pas ?
-Non, mercredi je travaille pas.
-Bah, comment on fait pour te donner les fleurs ?
-Les fleurs ?
-Mercredi, c’est la Saint Parfait.
Prendre un train pour cette ville, c’est voyager avec la ponctualité d’autrefois dans du matériel confortable. Le mien part de la voie huit à neuf heures quatorze et va son chemin sans encombre. Nous sommes deux dans la voiture où je commence la lecture des Mémoires inutiles de Carlo Gozzi. L’autre est au téléphone avec la Police, il veut savoir où récupérer le portable de son fils qui est en prison. Il a reçu « une ordonnance de fin de restitution » mais il ne sait pas s’il doit aller le chercher au Tribunal ou chez eux. La conversation tourne court :
-Y se foutent de ma gueule, y me raccrochent à la gueule, s’emporte le paternel qui envisage de leur mettre douze balles dans le cul.
Je ne juge pas utile de lui faire remarquer qu’on dit « aux fins de restitution ». A l’arrivée il jette son billet dans la poubelle en maudissant le contrôleur qui n’est pas passé.
Dieppe est comme un lundi. Je prends un café au Tout Va Bien où l’on déplore que ce matin on ne vende que de la tartine beurrée et pas un croissant.
Je vais faire un tour dans le quartier du Pollet et y suis momentanément bloqué par le pont tournant qui a pivoté pour donner passage à un cargo qui rentre au port, puis à midi je déjeune au restaurant L’Espérance près d’un couple de sexagénaires dont je n’envie pas l’homme.
-De l’eau, dit-elle à la serveuse, moi du vin j’en bois pas et lui il a pas le droit, je surveille.
Elle a une paire de lunettes autour du cou et une autre sur le nez, Lui n’a qu’une béquille. Au cours du repas elle sort un petit sac en plastique dans lequel ils mettent les miettes de pain pour les oiseaux, puis carrément les tranches de ce même pain, dont elle a réclamé un supplément. Leur conversation se résume à un « On est lundi aujourd’hui ? » jusqu’à ce qu’elle se mette à l’houspiller pour tous les papiers qu’elle a dû remplir pour lui.
-Ah non, je mange pas de ça, s’écrie-t-elle quand la serveuse lui apporte l’andouillette qui m’était destinée. Elle mange une salade sur laquelle elle répand quantité de poivre. Lui mange ses moules marinières à l’eau.
En dessert je commande un clafoutis aux pommes.
-Surtout, ne l’apportez pas à madame, dis-je à la serveuse.
-Je prendrai bien un café, dit l’homme à sa moitié.
-On n’a pas le temps, faut rentrer faire le linge.
L’Espérance oui mais avec modération, me dis-je en sortant. Une fois sur deux, j’en suis content, une fois sur deux, mécontent.
Le pont-levis bleu est levé. Deux chalutiers sortent du port, le Gros Loulou immatriculé à Trouville et le Fer de Lance qui ne dit pas d’où il est. En revanche, il se plaint par une affichette fixée sur sa cabine de la « dictature éolienne ».
Il est temps d’aller voir la vaste mer. Elle est calme et sa plage de cailloux déserte. Les deux bateaux de pêche ne sont bientôt plus que points à l’horizon.
Je remonte la rue principale. En ce jour où beaucoup de magasins sont fermés, on voit bien leur aspect démodé. Il faudrait se ressaisir, Dieppe est une ville qui perd des habitants. Profitant d’un soleil capricieux, je m’installe à l’une des deux tables de trottoir du Brazza où le café est au même pris que sur le port : un euro soixante.
Le train de seize heures part à seize heures, bien rempli, entre autres de randonneurs et de bicyclistes. Le contrôleur ne passe pas davantage qu’à aller, un effet secondaire de la grève sûrement.
*
L’un des serveurs du Tout Va Bien à un autre :
-Mercredi, tu es là où pas ?
-Non, mercredi je travaille pas.
-Bah, comment on fait pour te donner les fleurs ?
-Les fleurs ?
-Mercredi, c’est la Saint Parfait.