Le Journal de Michel Perdrial

Le Journal de Michel Perdrial




Loïc Boyer
Je suis l’auteur de textes courts qui furent publiés depuis mil neuf cent quatre-vingt-quinze dans des revues littéraires en France (Supérieur Inconnu, Supplément d’Ame, Nouvelle Donne, Le Bord de l’Eau, Pris de Peur, l’Art du Bref, Sol’Air, Gros Textes, Salmigondis, Verso, Décharge, Bulle, Filigranes, Diérèse, Martobre, Comme ça et Autrement, (Cahier d’) Ecritures, La Nef des Fous), en Belgique (Traversées, Ecrits Vains, L’Arbre à Plumes, Inédit Nouveau, Bleu d’Encre), au Canada (Les Saisons Littéraires) et en Italie (Les Cahiers du Ru).
Les courageuses Editions du Chardon ont publié en mil neuf cent quatre-vingt-dix-neuf Erotica, un recueil de vingt-huit de ces textes, illustré par Isabelle Pio et Antoine Lopez et préfacé par Sarane Alexandrian, toujours disponible auprès de moi.
Je suis également l’auteur d’une pièce de théâtre et de plusieurs romans ou récits à ce jour inédits.
Depuis le onze novembre deux mille six, je publie mon Journal via Internet, un temps sous-titré Persiflages, moquages et autres énervages mâtinés de complimentages et de contentages. Sa première partie est lisible chez Eklablog, la deuxième ici.
Je vis au centre de Rouen dans un ancien monastère où autrefois les Sœurs de la Miséricorde se vouaient à l’éducation des jeunes filles.







Rss

31 mai 2018


« Vous êtes en embuscade ? », demandé-je aux deux abonnés de ma connaissance que je trouve derrière les vigiles à l’entrée de l’Opéra ce mardi soir. « Pas du tout, nous sortons », me répond l’un tandis que l’autre me dit que j’aurais dû venir à la présentation des nouvelles formules d’abonnement organisée par Loïc Lachenal à dix-huit heures. J’y aurais vu quelques beaux spécimens de la bourgeoisie bourgeoisante en action, du genre « Tout le monde me connaît à Rouen ». Je me suis abstenu. Je verrai ce qu’il en est jeudi soir lors de la présentation officielle de la saison Dix-Huit/Dix-Neuf.
Chacun attend l’ouverture des portes de la salle pour le concert du jour, cent pour cent baroque. Beaucoup regrettent la disparition des formules actuelles d’abonnement. Certains possesseurs de fauteuils nominatifs (formule Pass’Opéra à quatre cent quatre-vingt-dix euros par an) pensaient que c’était une concession perpétuelle. Du côté des Entrée Plus (tout voir pour vingt-sept euros par mois), certains prévoient des bides futurs, par exemple lors « des soirées Pécou ». Une spectatrice inconnue me félicite pour mon bronzage montpelliérain.
Ce concert de musique de chambre débute avec le Concerto pour basson en la mineur d’Antonio Vivaldi qui permet d’apprécier le jeu de la bassoniste Elfie Bonnardel, puis c’est encore Vivaldi avec le Concerto pour cordes en sol mineur. Suit le Concerto pour hautbois d’amour de Georg Philipp Telemann, mené par l’hautboïste Fabrice Rousson. Des lumières rallumées dans la salle créent un moment de flottement. Quelques-un(e)s croient à l’entracte et sortent, dont mon voisin gratteur de gorge (il ne reviendra plus). Les musicien(ne)s réapparaissent pour la Sonnerie de Sainte Geneviève du Mont de Paris de Marin Marais, avec au violon le talentueux Hervé Walczak-Le Sauder.
Après l’entracte la violoniste Elena Chesneau prend le micro afin de présenter le Concerto pour violoncelle en sol mineur de Georg Matthias Monn et dédier son interprétation à la mémoire de Jacqueline du Pré qui l’enregistra plusieurs fois et dont c’est le trentième anniversaire de la « disparition ». Au violoncelle ce soir, c’est Anaël Rousseau. Tel un virtuose invité, il nous gratifie en bonus d’une pièce de Haendel. Pour finir, c’est le Concerto pour hautbois basson cordes en si bémol majeur d’Antonin Reichenauer qui permet d’apprécier le duo Elfie Bonnardel Fabrice Rousson.
Il fait jour à la sortie et il est vingt-deux heures.
                                                       *
Se prénommer Elfie est déjà une performance.
 

30 mai 2018


Parmi mes lectures de deux mille dix-huit : La Filiale de l’enfer (Ecrits de l’émigration) de Joseph Roth, publié au Seuil, le recueil de vingt-six textes parus entre juillet mil neuf cent trente-trois et mai mil neuf cent mai trente-neuf dans des journaux destinés aux émigrés germanophones vivant en France.
Joseph Roth, particulièrement lucide, s’exila à Paris dès que Hitler fut nommé chancelier du Reich. Déjà en juin mil neuf cent trente-deux, il déclarait à un ami : « Il est temps de partir. Ils brûleront nos livres et c’est nous qui serons visés. Quiconque répond au nom de Wassermann, Döblin ou Roth ne doit plus tarder. Il nous faut partir afin que seuls nos livres soient la proie des flammes. »
De cette lecture, je retiens ceci :
Le plus grand ennemi de la littérature, c’est la vie officielle : les pays, comme le Mexique, où l’on ne vit que sur les places publiques n’ont guère d’artistes ou de penseurs.
En Allemagne, quand les aveugles de pure souche se sont mis à affirmer qu’ils ne supportaient plus la vue des Juifs, leurs compagnons d’infortune, il ne manquait plus qu’un mouvement de protestation des bergers allemands, décidés à ne plus servir de guides aux aveugles juifs – à part cela, on ne pouvait plus s’attendre à rien.
Un roi qui embrasse un voleur de grand chemin sur les deux joues satisfait toujours aux lois du climat de son époque, où le bandit illustre la grandeur de la nation. Les électeurs ont toujours exactement la même grandeur et la même petitesse, la même noblesse et la même bassesse que leurs élus. Quand on assassine un officier à Vladivostok, on lynche des Noirs à Cincinnati, et des chemises noires, bleues, vertes ou grises surgissent dans tous les pays, avec ce que l’on pourrait appeler un synchronisme international…
Il faudrait être un fou perdu dans les nuages pour ne pas voir que Luther, en trahissant les paysans, les princes et les Juifs, aura préfiguré le sous-lieutenant prussien et protestant dont la politique a trahi l’Eglise et le monde entier. Sans Luther et le protestantisme, il faut croire que Hegel et Marx n’auraient pu voir le jour en Allemagne. Et le protestant se retrouve même, déguisé en païen, dans les refus « dionysiaques » de Nietzsche.
Les hommes de notre temps ont d’ailleurs un moyen, parmi tant d’autres, de se soustraire à la vérité : quand un homme ivre dit vrai, ceux qui sont aussi saouls que lui espèrent qu’il est simplement en train de délirer.
                                                                        *
L’exil forcé fut difficile à vivre pour Joseph Roth. Alcoolique, il mourut à Paris le vingt-sept mai mil neuf cent trente-neuf à l’âge de quarante-quatre ans.
 

29 mai 2018


Ce dimanche après-midi, les vigiles de service à l’entrée de l’Opéra de Rouen, qui explorent attentivement le fond des sacs des dames avec une lampe de poche, me laisse passer veste sur le bras sans m’arrêter, alors que dans une de ses grandes poches j’ai logé un parapluie en prévision de l’orage, et que ce pourrait être aussi bien une arme à feu, ou un couteau comme celui dont Médée se sert pour tuer ses enfants.
La Médée de Luigi Cherubini est chantée en français, le livret étant dû à François-Benoît Hoffmann. Les passages parlés ont été réécrits en prose par le metteur en scène Jean-Yves Ruf qui trouvait les alexandrins d’origine « très chantournés ». Le décor est sobre et ingénieux, étuves escamotables et panneaux pivotant. Le chœur est celui d’accentus/Opéra de Rouen Normandie, composé d’intermittents (une sorte d’accentus à bas coût). Les deux premiers actes se laissent voir et entendre.
« Tout est vraiment très bien », déclare pendant l’entracte une spectatrice au nouveau maître des lieux qui n’est pour rien dans le choix de cet opéra, il a été fait par son prédécesseur: Plus loin, on est d’un autre avis. Un spectateur juge sévèrement certains solistes. Un autre trouve que la musique de Cherubini « c’est vraiment très plan plan ».
Au troisième acte, après une longue ouverture emplie de musique inquiétante, les atermoiements de Médée jouant avec les flammes et avec son couteau et la présence des deux enfants interprétant avec peu de naturel le rôle des futures victimes tirent le spectacle vers le mélo. Après le crime, perpétré dans les coulisses, Médée revient sur scène les mains, les bras et le visage couverts de sang. Cette fin grand-guignolesque fait pouffer un de mes voisins et moi-même intérieurement.
Il n’empêche que les applaudissements sont conséquents et les saluts nombreux menés énergiquement par le chef Hervé Niquet qui a mis son plus beau manteau pour diriger dans la fosse où on ne le voyait pas.
Mon parapluie était inutile, l’orage n’est pas là quand je quitte l’Opéra. C’était mon dernier opéra d’abonné Entrée Plus.
                                                                  *
Programmer la Médée de Luigi Cherubini le jour de la Fête des Mères, ça c’est bien pour me plaire.
Le temps où la maison offrait des fleurs à la diva à l’issue de la représentation est depuis longtemps révolu. Dommage. J’aurais vu avec plaisir les deux enfants du spectacle offrir un bouquet à l’interprète de Médée : « Bonne fête maman ! »
 

28 mai 2018


De la pluie au réveil et jusqu’à l’heure du petit-déjeuner, ce dernier toujours aussi bon, et la conversation avec les hôtes intéressante car ce sont gens cultivés, un peu plus âgés que moi.
Il ne tombe que quelques gouttes quand je tire ma valise vers la gare Saint-Roch en regardant attentivement cette ville qui m’a plu, où je ne reviendrai plus.
J’attends qu’il soit l’heure de mon train, confortablement assis sous la voûte de cette belle gare tout en longueur. Au piano s’installe un jeune homme qui voyage avec une guitare. Parmi les airs qu’il joue : une interprétation jazzy de L’Internationale.
Le Tégévé de dix heures vingt-quatre pour Paris n’est pas complet. Dans la voiture où je suis l’animation est assurée par cinq joueuses et un joueur de tennis de La Grande-Motte, lui beau ténébreux affichant sur son vêtement « It’s not tennis It’s life », elles lianes blondes ou brunes en tenue de sport. J’entends que cette équipe va à Rouen. La capitaine est dans la trentaine. Elle a loué une voiture à l’arrivée afin de rejoindre une location à trois kilomètres. Elle et lui se chargent de l’éducation de la benjamine à appareil dentaire qui pouffe sans cesse : « Tu es dans un train, tout le monde n’a pas envie de t’entendre ». Il s’ensuit une discussion sur l’évolution liée à l’âge. « Ce n’est pas que tu changes, c’est que tu vois les choses différemment », déclare la capitaine.
C’est la première fois que je ne suis pas contrôlé dans un Tégévé. Le contrôleur est pourtant passé, déclarant à une voyageuse qui se plaignait d’avoir froid dans la rame : « Attendez un peu, à Paris il fait vingt-neuf ».
Effectivement une chaleur lourde se fait sentir à l’arrivée. J’y perds de vue l’équipe de tennis de La Grande-Motte qui doit courir pour prendre son train à Saint-Lazare. Le mien n’est qu’à seize heures dix-huit, ce qui me donne le temps de lire A la Ville d’Argentan. Un vieux rockeur à cheveux tressés en natte, lunettes noires et bretelles tombées demande une petite cuillère pour manger les bretzels servis avec sa bière.
Je suis de ceux qui ont une place assise dans le Corail pour Rouen. Il est dix-huit heures trente quand je retrouve le pavé rouennais sous une épaisse chaleur.
                                                             *
Mes hôtes de Montpellier, se vouvoyant.
Au départ, j’ai pensé qu’au lieu d’un couple, il s’agissait d’un duo (comme il en est un parmi les abonnés de l’Opéra de Rouen).
Jusqu’au matin où, lui absent, elle l’a évoqué en disant « Mon mari ».
Vouvoiement d’autant plus étonnant qu’elle et lui étaient enseignants dans le public, où le tutoiement est automatique.
 

26 mai 2018


Un excellent creume-beule ce vendredi matin au petit-déjeuner, mes hôtes sont curieux de savoir ce que j’ai pensé de La Grande-Motte. Lui surtout aurait eu envie que je sois enthousiasmé. Il veut me prêter deux livres sur la création du lieu. Je le déçois encore en refusant. Il me montre une photo de l’espace nu sur lequel ont été édifiés les bâtiments de Jean Balladur. Je m’abstiens de lui faire remarquer qu’il en est ainsi pour toutes les villes nouvelles : avant rien, après une cité.
Pour ma dernière journée ici, je ne quitte pas la ville. Je commence par faire une halte en forme de pèlerinage à ma terrasse préférée, celle de La Coquille, où je serais fourré tous les jours si j’habitais cette ville, puis je me balade au hasard dans les petites rues labyrinthiques de l’Ecusson, avec l’assurance de me perdre.
Avant midi, je demande à un policier municipal de m’indiquer l’église Saint-Roch, près de laquelle se trouve le Restaurant Agricole où je veux déjeuner une seconde fois.
-Bonjour jeune homme, me dit l’une des serveuses, la petite table habituelle ?
Voilà comme j’aime qu’on me parle. J’opte pour l’artichaut farci au chèvre suivi de la pièce du boucher sauce vigneronne accompagnés d’un quart de vin rouge. Tout cela est bien bon mais me fait moins d’effet que la première fois.
Je rejoins la place de la Comédie. En son extrémité et à l’entrée du jardin du Champ de Mars sont installés les chapiteaux blancs sous lesquels libraires et éditeurs exposent leurs livres pour la trente-troisième Comédie du Livre qui va durer trois jours sur le thème Littérature néerlandaise et flamande. Sont invités pour des rencontres et des signatures des auteurs de ces contrées ainsi que l’éditrice Sabine Wespieser. Les librairies de la ville (Sauramps et Gibert Joseph) exposent les ouvrages en relation avec le sujet et d’autres. Des éditeurs régionaux sont également présents. Il fait chaud sous les tentes au plancher mouvant. Ce sont les régionaux qui attirent le plus de monde. Certains de leurs auteurs, présents derrière une pile de livres, vivent un grand moment d’espoir, mais je vois peu d’achats où que ce soit.
Les auteurs flamands et néerlandais invités (dont je ne connais aucun) écrivent des romans, tout comme Sabine Wespieser en publie, et je n’ai plus le goût d’en lire (sauf exception). Je ne m’attarde donc pas et vais poursuivre la lecture du Journal de Matthieu Galey sur un banc ombragé du jardin où pique-niquent moult scolaires, dont certains venus à vélo.
Dans l’après-midi, je vais m’asseoir une dernière fois à la terrasse du Café Riche où ces saletés de pigeons s’abattent sur les tables dès que leurs occupants s’en vont. L’un d’eux chope même une olive dans la coupelle d’un étranger interloqué. Avec mon café verre d’eau, je ne crains rien, je peux me concentrer sur ma lecture et le va-et-vient montpelliérain.
Regarder qui passe place de la Comédie pourrait être une activité de plein temps. Aujourd’hui, mention spéciale pour deux filles à la peau noire promenant des pancartes « Jésus est le sauveur ».
                                                                *
En dix jours, je n’aurai lu que la moitié des mille vingt-quatre pages du Journal de Matthieu Galey.
Et à cette moitié, page cinq cent huit, l’auteur est de passage à Montpellier, le huit novembre mil neuf cent soixante-dix-sept :
Les palais, les rues, parfois, y sont beaux comme à Naples. Un air de printemps aujourd’hui. Et un monsieur, dans une de ces cours, qui voulait absolument « voir quelque chose »… dans mon pantalon. Il a tout de même convenu que l’endroit n’était pas idéal, et m’a donné à la place quelques renseignements historiques. C’était un érudit.
 

25 mai 2018


Pour se trouver au départ du car Cent Six qui emmène à La Grande-Motte, il faut se rendre à Place de France et c’est loin. J’achète donc mon premier ticket de tramouais (un euro soixante) et vais prendre à l’arrêt Gare Saint-Roch celui avec des oiseaux blancs sur fond bleu qui va de Mosson à Odysseum (ligne Un).
Après être passé par Antigone puis avoir vu le nouvel Hôtel de Ville bleu nuit, je descends à l’avant-dernière station en compagnie de toute une jeunesse étudiante et d’une sexagénaire qui m’indique où attendre le car de neuf heures trente. Sept petites Anglaises allant à la plage sont du voyage.
Trente-trois minutes plus tard, je descends à l’arrêt Grande Pyramide. Elle ne l’est que par rapport aux autres. Toutes sont typiques dans leurs lignes de l’esthétique des années Soixante-Dix. Cet ensemble de bâtiments ne me plaît ni ne me déplaît. Je trouve son unité ennuyeuse. Le seul immeuble qui la rompt partiellement est hideux, c’est le prétentieux Hôtel Mercure. A tout prendre, je préfère l’architecture foutraque de Palavas.
Ces édifices font face au port dont je fais le tour. Il y a là de luxueux navires à moteur ou à voiles. Cette richesse alignée est plus vulgaire que les boutiques pour pauvres autour du port de Palavas-les-Flots.
Quand j’arrive à la plage, j’ai une pensée particulière pour celle qui avant de me rencontrer passait une partie de l’été avec sa famille dans cette ville nouvelle de bord de mer. Au moins était-elle en vacances, mais pas heureuse.
Moi-même, je n’ai qu’une envie : ne pas m’attarder ici. Je refais le chemin portuaire dans l’autre sens, croisant de plus en plus de vélos. Arrivé au bout du quai nord, je m’installe le temps d’un café à une terrasse garnie de pelouse synthétique où est diffusée une musique tout autant synthétique.
A midi moins cinq, je m’installe à celle d’à côté, au café restaurant Le Poséidon. J’y commande le plat du jour à onze euros, un filet de cabillaud aux lentilles et crème au lard, et  un quart de chardonnay à quatre euros cinquante, puis signale au serveur que je suis un peu pressé, ayant à prendre un car à une heure moins le quart.
-Juste le temps de le cuire, me dit-il.
C’est avec dix minutes d’avance que je suis à l’arrêt Grande Pyramide. J’achète au chauffeur un billet jumelé « car et tram » à deux euros soixante, mais quand je veux le valider dans le tramouais le rouge s’allume. Fraudeur malgré moi, je juge préférable de descendre à l’arrêt d’avant la gare.
Content de retrouver Montpellier, je prends le café au Green Café en face d’un ébouriffant mur peint en trompe-l’œil. La ville en possède plusieurs. Celui-là est mon préféré.
Plus tard, au Café Riche, c’est devant un diabolo menthe que j’observe la comédie.
                                                               *
Un homme à La Grande-Motte :
-Et demain matin, je m’en vais à La Baule.
Un masochiste sans doute.
                                                               *
Une femme au même endroit et au téléphone :
-Non, je suis pas chez moi. Oui, je suis en France, bien sûr. Je suis sur le bateau. Je suis en arrêt. Je me repose quoi.
                                                               *
Une autre au Green Café :
-Mon père, il s’est abêti. Avant, il était dans des associations, il s’intéressait à la politique. Mais depuis qu’il l’a rencontrée, comme elle est complètement abrutie…
                                                               *
Il y a encore des grands-mères qui se font appeler Mémé :
-Mémé, elle a dit quoi ? Attention, hein !
                                                               *
Un mur peint en trompe-l’œil ne rend rien en photo : il faut le voir pour le croire.
                                                               *
Une contre-allée destinée aux bicyclistes comme à Saint-Nazaire et le piéton peut vaguer tranquillement au bord de la mer. L'aurait dû y penser Jean Balladur.
 

24 mai 2018


Montpellier étant infoutue d’avoir une gare routière, les cars desservant ses alentours démarrent d’un peu partout. Celui qui va à Palavas-les-Flots a pour point de départ un abribus adossé à la Médiathèque Federico Garcia Lorca que l’on peut rejoindre en tramouais.
Bien que ce soit assez loin, je fais le trajet à pied et arrive dix minutes avant l’heure du départ. Le prix du billet est modeste, un euro soixante. Le voyage ne dure que treize minutes. L’arrivée est près de la Salle Bleue, un peu avant les Arènes où cet été on pourra applaudir Patrick Sébastien et Anne Roumanoff. Le centre de la ville est visible de loin grâce à l’énorme phare qui lui sert d’étendard.
L’architecture de bord de mer de cette station de vacances populaire est conforme à ce que j’en savais : sans la moindre unité et globalement laide, mais avec quelques jolies surprises. L’endroit a d’autres attraits, notamment ses petits bateaux de pêche où l’on vend directement le poisson et ses petites rues typiques, ce mercredi occupées par la marché. Au bout de l’une d’elles, près de l’église, je découvre la terrasse qu’il me faut pour boire un café et lire le Journal de Matthieu Galey en écoutant les locaux, celle du Poisson Bleu.
Le restaurant à mon goût se trouve sur le port de plaisance, vue imprenable sur les bateaux immobiles. Il s’appelle Cap-Sud et propose un buffet de fruits de mer à volonté pour vingt-neuf euros quatre-vingt-dix. Mon choix se porte sur les huîtres, les bouquets, les bulots et la grosse bête avec des pinces que je ne sais jamais comment ouvrir. Heureusement, l’aimable serveuse s’approche :
-Si vous désirez qu’on vous l’ouvre en cuisine, c’est possible.
J’en suis fort aise.
A l’issue, je retourne prendre un café au Poisson Bleu et y lis jusqu’à ce que le ciel devienne noir. Nous sommes davantage à attendre le car du retour. Deux filles arrivent dont l’une demande à d’autres si c’est bien là le car pour Garcia Lorca.
-T’as demandé quoi ? lui dit sa copine, la gare de quoi ?
L’averse orageuse éclate durant le trajet jusqu’à Montpellier. A l’arrivée la pluie s’arrête. Pédestrement, je regagne mon logis.
De la fenêtre de la salle de bain, j’ai bonne vue sur la culture que fait un voisin d’une plante à usage récréatif : cinq pots en peu de guingois sur un toit de tuiles roses.
                                                             *
Palavas-les-Flots, ses attractions : la bouée tractée et le télésiège pour traverser le canal.
                                                             *
Un vendeur au marché:
-Et en plus regardez, je vous mens pas.
                                                             *
Une femme à une autre qui parle à une troisième :
-Viens me voir à moi.
                                                             *
Une femme enceinte :
-Bientôt, c’est ma baby shower.
-C’est quoi ça ?
-C’est nouveau, une fête où on offre des cadeaux au bébé avant qu’il soit né.
                                                             *
Deux vingtenaires devant Le Midi Libre :
-Ah mince, Montpellier, ils ont perdu au hand-ball.
-Et alors ? Tu t’intéresses au hand-ball toi maintenant ?
-Non, mais c’est Montpellier.
                                                              *
Montpellier, bien connue pour ses deux gares : la gare Saint-Roch et la gare Cialorca.
 

23 mai 2018


On dort bien sous les toits quand on n’a aucun voisinage et que la chambre ne donne pas sur la rue. A huit heures (plus tôt n’est pas possible), je descends d’un étage et tire la sonnette des propriétaires (sur la porte d’en face est écrit « attention animal dangereux »). L’appartement où ils vivent est plus luxueux que celui qu’ils me louent. Il est doté d’un mobilier disagne. La radio est branchée sur France Culture, mais mes hôtes l’arrêtent.
Le petit-déjeuner est soigné : pancakes croissant pain beurre confiture fromage jambon salade de fruits jus d’orange café. L’homme de la maison s’assoit au bout de la table tandis que la femme de la maison reste debout. L’un et l’autre entreprennent de m’énumérer tout ce que je dois visiter avant mon retour à Rouen. Comme toujours, plus on m’en propose, moins j’ai envie.
C’est l’heure de la rentrée au collège privé d’en face quand je sors avec l’intention d’aller voir la nouvelle Mairie. En chemin, j’entre dans un cimetière où soudain j’entends crier « Lève-toi ! ». Tournant la tête, je constate qu’on y tourne un film. En ressortant, j’apprends que mon passage a fait rater la scène.
Le quartier devenant moins attrayant, je me décourage et fais demi-tour au moment où déboule à grande vitesse un cortège de véhicules de Céhéresses. Place Zeus, au centre d’Antigone, a lieu le départ de la manifestation des fonctionnaires. Je ne songe pas une seconde à m’y joindre, préférant aller boire un café et lire Matthieu Galey à la terrasse du Café Riche.
A midi je déjeune (mal) au Café Marceau, pas loin de mon logis, que je regagne ensuite afin de faire une pause.
Quand je repars, le ciel est noir. Je m’installe néanmoins à la terrasse de la Coquille mais en suis chassé par un fort coup de vent. Réfugié à l’intérieur, je commande un second café et, bien que l’orage attendu soit finalement décevant, j’y reste à lire jusqu’à ce qu’il soit dix-huit heures.
La galerie (et atelier collectif) En Traits Libres n’est pas loin où c’est ce soir le vernissage de l’exposition des dessins de Willem Premières lignes organisée à l’occasion de la Comédie du Livre dont le thème est cette année Littératures néerlandaise et flamande. Il y a déjà pas mal de monde quand j’arrive. Je me faufile jusqu’à la salle du fond où sont accrochés soixante-neuf originaux, dont un certain nombre sont ceux du livre Macron, l’amour fou à paraître en juin deux mille dix-huit aux Requins Marteaux. Willem est là, voûté par l’âge, chemise bleue, veste et pantalon beiges, moustache et longs cheveux blancs.
-Tu veux que je t’apporte un verre ? lui demande l’une des organisatrices. Vin rouge, vin blanc ou bière ?
-Du vin blanc. La bière, ça fait pisser tout de suite.
Un caméraman lui demande pourquoi il préfère travailler avec des petits éditeurs. « On est plus libre, répond-il, les grands ont une politique éditoriale, c’est mieux avec les petites structures. »
-Sauf pour la diffusion et la vente, ajoute-t-il.
Je ressors pour prendre également un godet de vin blanc (deux euros) puis je fais quelques photos de l’unique survivant de la belle époque de Charlie Hebdo, soixante-dix-sept ans, pendant qu’une dame lui pose des questions qu’il a déjà dû entendre des centaines de fois.
Je ne reste pas davantage. J’ai déjà un livre dédicacé par lui-même « à Michel », que m’a offert l’amie Muriel quand elle était directrice de l’école maternelle où j’ai terminé ma carrière (comme disent certains). C’était en deux mille six, Sarko l’increvable, déjà publié aux Requins Marteaux.
 

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