Le Journal de Michel Perdrial
Le Journal de Michel Perdrial



Loïc Boyer
Je suis l’auteur de textes courts qui furent publiés depuis mil neuf cent quatre-vingt-quinze dans des revues littéraires en France (Supérieur Inconnu, Supplément d’Ame, Nouvelle Donne, Le Bord de l’Eau, Pris de Peur, l’Art du Bref, Sol’Air, Gros Textes, Salmigondis, Verso, Décharge, Bulle, Filigranes, Diérèse, Martobre, Comme ça et Autrement, (Cahier d’) Ecritures, La Nef des Fous), en Belgique (Traversées, Ecrits Vains, L’Arbre à Plumes, Inédit Nouveau, Bleu d’Encre), au Canada (Les Saisons Littéraires) et en Italie (Les Cahiers du Ru).
Les courageuses Editions du Chardon ont publié en mil neuf cent quatre-vingt-dix-neuf Erotica, un recueil de vingt-huit de ces textes, illustré par Isabelle Pio et Antoine Lopez et préfacé par Sarane Alexandrian, toujours disponible auprès de moi.
Je suis également l’auteur d’une pièce de théâtre et de plusieurs romans ou récits à ce jour inédits.
Depuis le onze novembre deux mille six, je publie mon Journal via Internet, un temps sous-titré Persiflages, moquages et autres énervages mâtinés de complimentages et de contentages. Sa première partie est lisible chez Eklablog, la deuxième ici.
Je vis au centre de Rouen dans un ancien monastère où autrefois les Sœurs de la Miséricorde se vouaient à l’éducation des jeunes filles.







Rss

En piochant dans les cent dix-huit lettres inédites publiées dans le numéro deux cent quatre-vingt-six de La Nouvelle Revue Française

3 juillet 2019


Numéro atypique que le deux cent quatre-vingt-six de La Nouvelle Revue Française paru au quatrième trimestre de mil neuf cent soixante-seize, tout entier consacré à la correspondance d’auteur(e)s de la maison Gallimard. De ma lecture des cent dix-huit lettres inédites, j’ai retenu ceci :
Je suis obsédé par la fuite des jours ; je sens la mort de l’année dès le plein été et même en juillet, sans attendre le mois d’août. André Suarès à sa sœur, Paris, deux octobre mil neuf cent vingt-trois
Je suis un homme très pauvre, presque septuagénaire et incapable de courses multiples. (…)
Il ne me coûte rien de vous dire que vos 50 F ont été reçus hier soir comme une bénédiction. Je suis gueux et je mourrai gueux, n’ayant jamais voulu prostituer ma pensée. On accorde que je suis un grand écrivain, quelques-uns même vont jusqu’à me supposer du génie. Mais les journaux ne parlent pas de mes livres, parce que cela pourrait les faire vendre et qu’il est nécessaire à l’équilibre des mufles que je périsse de misère. Léon Bloy à Monsieur le Baron Albert Lumbroso, Bourg-la-Reine, treize février mil neuf cent quatorze
Une haine invétérée de l’Amérique s’est emparée de moi récemment. Les livres ne se vendent pas : ils sont alignés comme des cadavres. Les Américains ne lisent pas de livres ; ils lisent le Saturday Evening Post et les enseignes lumineuses. (…)
Peut-être, quand viendra l’été et que j’aurai tout mon temps à moi – et quand je serai libéré de ces gens inqualifiables, de ces rues affreuses et de ces hôtels lugubres –, je pourrai faire quelque chose. (…)
Il n’y a qu’écrire qui me protège de l’Amérique. Je souhaite qu’un raz-de-marée emporte tout le pays et ses centaines de millions d’habitants. Je sais à présent ce que veut dire l’expression « un parfait Européen ». John Cowper Powys à Llewelyn Powys, Hôtel Claypool, Indianapolis, vingt janvier mil neuf cent dix-sept
Ainsi ces jours-ci j’ai été dans ce mauvais état de santé physique et morale, atteint d’amnésie spéciale. Il ne me reste plus rien de ma vie de poète. Pierre Reverdy à Jean Paulhan, mil neuf cent dix-huit
Ces gens pour qui tout est si simple ou plutôt si facile qu’ils n’ont qu’à prendre la plume pour accoucher de bêtises plates dont ils seront immanquablement contents… parce que c’est de la littérature. Pauvres gens. On devrait créer à leur intention une administration littéraire où chacun d’eux occuperait un pupitre. Du même au même la même année
Je vous dirai qu’à diverses époques dont j’aime mieux que vous ne parliez pas, j’ai bénéficié ainsi qu’une grande indulgence qui aurait dû, sans la contrariété de ma santé et peut-être aussi de ma paresse extrême, m’encourager au travail. (…)
Si de vos amis comme vous semblez le dire ont écrit sur moi, remerciez-les de ma part. L’impolitesse de mon silence vient de ce que je n’avais pas su. J’aurais su, que je n’eusse peut-être pas pu, tant mon était de santé est désastreux. (…)
Mais venir ainsi à vous comme vous me l’avez demandé avec un flot de références, comme un valet de pied qui se présente et montre ses certificats, je ne peux vous dire combien cela serait pénible, si ce n’était très adouci par le plaisir de faire connaissance avec vous. Marcel Proust au baron Albert Lumbroso, quinze mai mil neuf cent vingt
Il faut n’écrire à ses amis que des choses sans importance, car on risque, à écrire et à résumer les choses qui valent d’être dites, de les défigurer et, si on les note avec un soin suffisant, de vivre de travers. André Malraux à Marcel Arland, Pnom-Penh, le sept janvier mil neuf cent vingt-quatre
Ce qu’il y a de plus bas en nous, seul, attend quelque chose de la vie, quelque sens que vous donnez au mot attendre. Les meilleurs moments n’attendent rien. (…)
Nous commençons à comprendre que la valeur d’un homme ne s’évalue guère à l’aide de règles, et que la vulgarité de Flaubert n’empêche en rien son raffinement. Le même au même, date et lieu inconnus
Je t’ai dit que j’étais réfugié à Quimper contre toutes les haines, les médisances, les trahisons, les abandons, les vols matériels et spirituels d’une époque plus maligne que moi. Max Jacob à Jean Denoël, Quimper, le vingt et un novembre mil neuf cent trente-cinq
Renan raconte qu’un Anglais lui avait dit qu’il avait perdu la foi parce que l’Exode classe le lièvre parmi les animaux ruminants. Paul Claudel à Jacques Borel, Château de Brangues, le sept mai mil neuf cent quarante-trois
Le malheur des hommes, c’est la charité, cette sale habitude de pardonner… Je me suis raidi à temps… Et j’entends mal finir – en voyou – socialement parlant… Michel de Ghelderode à Alain Bosquet, Bruxelles en Brabant, le quatorze octobre mil neuf cent cinquante-neuf
Oui, la mort de Brice (Parain) m’a causé chagrin. Je l’ai apprise par les journaux, sa femme – qui connaissait notre amitié – n’ayant pas daigné me prévenir. J’aurais aussi voulu le voir – avant. Dans sa dernière lettre, qui date de février, il se félicitait d’avoir changé de place chez Gallimard et de pouvoir observer le progrès des bourgeons sur les arbres. Georges Perros à Marcel Arland, mil neuf cent soixante-neuf