Le Journal de Michel Perdrial

Le Journal de Michel Perdrial




Loïc Boyer
Je suis l’auteur de textes courts qui furent publiés depuis mil neuf cent quatre-vingt-quinze dans des revues littéraires en France (Supérieur Inconnu, Supplément d’Ame, Nouvelle Donne, Le Bord de l’Eau, Pris de Peur, l’Art du Bref, Sol’Air, Gros Textes, Salmigondis, Verso, Décharge, Bulle, Filigranes, Diérèse, Martobre, Comme ça et Autrement, (Cahier d’) Ecritures, La Nef des Fous), en Belgique (Traversées, Ecrits Vains, L’Arbre à Plumes, Inédit Nouveau, Bleu d’Encre), au Canada (Les Saisons Littéraires) et en Italie (Les Cahiers du Ru).
Les courageuses Editions du Chardon ont publié en mil neuf cent quatre-vingt-dix-neuf Erotica, un recueil de vingt-huit de ces textes, illustré par Isabelle Pio et Antoine Lopez et préfacé par Sarane Alexandrian, toujours disponible auprès de moi.
Je suis également l’auteur d’une pièce de théâtre et de plusieurs romans ou récits à ce jour inédits.
Depuis le onze novembre deux mille six, je publie mon Journal via Internet, un temps sous-titré Persiflages, moquages et autres énervages mâtinés de complimentages et de contentages. Sa première partie est lisible chez Eklablog, la deuxième ici.
Je vis au centre de Rouen dans un ancien monastère où autrefois les Sœurs de la Miséricorde se vouaient à l’éducation des jeunes filles.







Rss

11 août 2020


Cinq minutes de retard, comme annoncé, pas une de plus, pour le train à une seule rame qui arrive de Guéret et y retourne illico ce lundi matin. J’en descends au deuxième arrêt, à Saint-Sulpice-Laurière, distant de trente-trois kilomètres de Limoges, une destination qui ne figure pas dans mon vieux Guide du Routard mais dont a su me donner envie sa page Ouiquipédia.
Le pied posé dans cette commune de Haute-Vienne, je découvre les douze ginkgos biloba (dix mâles et deux femelles) qui poussent devant la Gare depuis mil huit cent soixante-quatre. Ils furent offerts à l'ingénieur en chef du chantier de cette Gare, M de Leffe, par le frère de l'empereur du Japon qui était devenu son ami lors d’un voyage du Français là-bas. Ces arbres ne m’impressionnent pas suffisamment pour que je les photographie.
Je suis davantage intéressé par l’église Notre-Dame-de-la-Voie, construite au vingtième siècle près de cette Gare, selon la volonté du père Fredon et avec la participation financière des paroissiens (l'église du bourg étant trop éloignée de celui-ci et de moins en moins fréquentée). Ce bâtiment d’architecture contemporaine semble plus ou moins abandonné. Le Bar Brasserie Le Relais des Cheminots en face est définitivement fermé.
En descendant vers le centre, j’entre au Bar Tabac Jeux Presse Le Kerguelen dont rien n’indique qu’il fait aussi Restaurant. Uniquement sur réservation, ai-je lu sur Internet. Ce que me confirme la patronne. Je réserve donc, sans savoir quoi ni à quel prix.
Puis continuant mon exploration de ce bourg où ça ne cesse de monter et de descendre, j’arrive à l’autre bout du pays sans avoir vu l’église principale. Je rebrousse et découvre qu’il fallait prendre la tangente pour voir cette église fortifiée.
Je fais un détour pour saluer des bovins du Limousin, puis marche longtemps au soleil. Vraiment cette église fortifiée est loin de tout, et fermée comme je le découvre en l’atteignant enfin. La Mairie et l’Ecole sont elles aussi au bout du pays.
Revenu au centre, je trouve à m’asseoir à l’ombre, sur la place où se côtoient médecin, pharmacien et opticien. Tout en lisant Montaigne, le chapitre sur le désir sexuel, j’assiste au ballet des voitures des locaux qui, semble-t-il, sont tous de grands malades.
Le ciel se couvre de plus en plus quand midi approche. La patronne du Kerguelen me déconseille la terrasse. Je vous ai mis là, me dit-elle en me montrant une table ronde pour quatre. Vous aimez le poisson, c’est du poisson aujourd’hui, ajoute le patron.
Je suis le seul client de ce restaurant caché mais, à une table rectangulaire, en même temps que moi, mangent le patron cuisinier, la patronne dérangée souvent par qui vient chercher sa dose de tabac ou de jeux à gratter, et leurs deux petites-filles en vacances. Roulé au jambon avec taboulé, poisson qui ne dit pas son nom sauce citron avec purée courgettes pommes de terre (excellente), fromages et tarte aux mirabelles, tel est le menu familial. Pour moi, avec le quart de vin rouge et le café, cela fait quatorze euros soixante-dix.
L’orage n’a pas éclaté. Je remercie vivement mes deux hôtes avant de retourner à la Gare et de quitter avec la rame venant de Guéret, Saint-Sulpice-Laurière, bourgade qui ne mérite sans doute pas le détour, sauf si on a envie d’aller où nul ne va.
                                                                       *
La Gare de Saint-Sulpice-Laurière sert de décor dans une scène du film de Patrice Chéreau, Ceux qui m'aiment prendront le train (que j’ai vu) et pour une des scènes-clés du film de Catherine Corsini La Belle Saison (que je n’ai pas vu).
 

10 août 2020


Pour plusieurs raisons (dimanche, un peu de fatigue, la chaleur, un risque d’orage), je reste à Limoges en ce neuf août, et pour la première fois depuis mon arrivée, je dois partager l’ascenseur avec un quidam qui y entre au quatrième étage. Nous sommes à moins d’un mètre dans un minuscule lieu clos, ça ne me plaît pas mais qu’y faire ? Il habite ici, il a le droit d’aller mettre au recyclage les contenants en verre de ses libations au moment où je vais baguenauder. A l’issue de notre descente commune, nous nous souhaitons une bonne journée.
Je remonte l’avenue des Bénédictins jusqu’au centre-ville, trouvant d’ouvert pour acheter des viennoiseries La Mie Câline, et pour boire le café Le Central place de la République. « Quelle chaleur ! », me dit mon voisin de table. Il espère que cela serve de début à une intéressante conversation sur la météo. Je préfère lire Montaigne qui, s’il a bien des qualités de pensée, a une opinion des femmes qui ne le grandit pas.
Comme je ne suis pas loin de la rue des Combes, je vais photographier le numéro onze, anciennement treize, où au dernier étage de ce qui était un hôtel peu reluisant, le futur Serge Gainsbourg vécut caché avec sa famille.
Il fait lourd, des nuages gris et noirs ont remplacé le ciel bleu. Je trouve près des Halles Centrales, le bien nommé Au Coin des Halles qui propose le bronche du dimanche qu’apprécient particulièrement celles et ceux qui regardent les séries américaines. Cette chose n’est pas donnée : dix-neuf euros, pour en définitive pas grand-chose, mais il y a des tables à l’extérieur et cela me permet de déjeuner à onze heures.
Un homme dans mon genre est installé à la table voisine. Les autres sont des jeunes couples qui ont bien la tête à ça. L’une, à peine assise et en attendant la pitance, se lance dans les mots croisés publicitaires du set de table sans se soucier de celui qui l’a invité à, comme elle dit au téléphone, « faire un brunch ». Avant de manger, elle photographie ce qui est arrivé sur leur table et l’envoie à je ne sais qui.
Au moins puis-je rentrer à midi avec l’espoir de voir éclater l’orage. Espoir déçu : au cours de l’après-midi, le soleil reprend le pouvoir.
                                                                        *
Place Saint-Michel, trois imbibés s’aspergent d’eau à la fontaine dominée par la statue de Saint Martial. Ils hésitent ensuite sur le chemin à suivre. L’un d’eux se tient à sa casquette.
                                                                        *
A l’affluence des taxis devant la Gare des Bénédictins se devine l’arrivée prochaine d’un train venant de Paris. La nuit, leurs lumières vertes sont remplies d’espoir.
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Une machine à sous dans la boulangerie la plus proche de la Cathédrale Saint-Etienne. Pour payer ton pain ou ton croissant, tu glisses ton billet dans la fente et la machine te rend la monnaie (j’en ai vu une première dans la boulangerie la plus proche de la Gare de Brive).
La boulangère de Limoges m’a dit qu’elle l’a depuis sept ans, rien à voir avec le Covid.
Autant mettre des distributeurs de baguettes et de croissants à l’extérieur. Cela évitera de devoir chercher, au fond de sa poche ou de son sac, un vieux masque tripoté cent fois avant d’entrer dans la boutique.
 

9 août 2020


Cap sur Bellac ce samedi matin, à quarante-trois kilomètres de Limoges, avec un Téheuherre Poitou Charentes dont le terminus est Poitiers. C’est le deuxième arrêt. Nous sommes trois vieux à en descendre, dont deux autochtones. A gauche au stop, me dit l’un quand je lui demande par où le centre.
Cela monte mais je n’ai pas à marcher loin. Je passe d’abord devant la maison natale de Jean Giraudoux, écrivain célébré au milieu du vingtième siècle, guère lu aujourd’hui (il en est d’autres).
Je prends ensuite à droite la rue qui va vers l’église. Il n’est pas neuf heures mais une file impressionnante de masques attend devant la boulangerie. Un peu plus loin est une pâtisserie sans personne à l’intérieur où j’achète deux croissants pour un euro cinquante. Je les découvre excellents (ils veulent du pain, je mange de la brioche).
Arrivé au bout de la rue du Coq, j’y trouve l’avertissement « Défense de trotter en ville » qui remonte au temps où Bellac était un dépôt de remonte. En dessous, sur la vitrine de la boutique désaffectée, Fred le Chevalier a collé une de ses œuvres (comme à Limoges en deux endroits au moins) ; un sympathique garçon que j’ai rencontré autrefois à Rouen et à Paris.
Pour mon vieux Guide du Routard Auvergne Limousin, l’église de Bellac « est assez jolie mais un peu quelconque ». Peut-être mais ce qui importe, c’est son emplacement. Ancienne chapelle d’un château disparu, elle domine le bourg et les alentours, de quoi faire quelques photos intéressantes. Des escaliers permettent de descendre au bord du Vincou d’où on la voit bien. Un superbe pont du treizième siècle enjambe cette rivière, près duquel est visible un séchoir à peaux du quinzième. A proximité se trouve la Tannerie Gal dont j’admire la belle cheminée de brique. Il est possible de marcher le long du Vincou sur une centaine de mètres et de s’asseoir sur un banc pour regarder les canards.
Quand je remonte dans le bourg, il fait déjà très chaud. Je trouve une place à l’ombre au Bar du Palais, près de la Médiathèque Jean Giraudoux, face à Familles Rurales, Amplifon et Pédicure Podologue. J’y bois un café à un euro cinquante en constatant que ce n’est pas là qu’il faut déjeuner. La carte est piégeuse et le patron, un gros malin.
J’ai repéré, à côté de la maison natale de Jean Giraudoux, l’auberge Le Cheval Blanc, un beau bâtiment de même couleur, et je constate en y retournant que l’on y a sorti quelques tables sur le trottoir. J’en réserve une, bien à l’ombre, puis vais voir sans y entrer à quoi ressemble le marché.
Le Cheval Blanc propose son menu à quatorze euros même le samedi. J’y choisis une croustine, le foie d’agneau du Limousin poêlé, un supplément de fromage à trois euros et une tarte à la framboise, avec un demi-pichet de vin rouge à six euros qui s’avère assez moyen. Dès treize heures, c’est complet même à l’intérieur. Dès treize heures trente, on affiche qu’on ne sert plus.
Il est bon d’avoir tout son temps pour déjeuner, mon train de retour n’est qu’à quinze heures quatorze. Je peux observer à loisir la vieille qui baille installée à la table voisine face à moi. Elle essuie son verre avec sa serviette avant d’y mettre de l’eau. Elle prend un air dégoûté à chaque fois que le serveur prononce le mot porc. Elle mange avec son sac à main sur les genoux. Elle tue une guêpe à coups de téléphone, heureusement gainé. Elle se lave les mains avec l’eau qui reste dans la carafe.
Je n’ai, après mon café à un euro cinquante bu et l’addition réglée, qu’à me laisser redescendre et à commander un diabolo menthe à l’Hôtel de la Gare, que je bois en lisant un peu des Essais. C’est à nous à rêver et baguenauder et à la jeunesse de se tenir sur la réputation et le bon bout : elle va vers le monde, vers le crédit ; nous en venons. écrit Michel de Montaigne.
                                                                           *
Sur le sol en béton du kiosque à musique de Bellac, une niaiserie signée Jean Giraudoux : La terre est ronde pour ceux qui s’aiment. Une autre près de la Médiathèque qui porte son nom : La vie est sans remède.
Eh bien si justement. J’y songeais cette nuit en regardant par la fenêtre ouverte le sol gazonné huit étages plus bas, mais pour moi ce n’est pas l’heure, et puis faire ça à ma gentille et troublante logeuse, je ne pourrais.
                                                                           *
Comme l’a fort opportunément rappelé sur son site Le Populaire du Centre ce huit août à l’heure où j’y déjeunais, Jean de la Fontaine est passé par Bellac et l’a raconté dans une lettre à sa femme :
Autant que l’abord de cette ville est fâcheux, autant elle est désagréable, ses rues vilaines et ses maisons mal accommodées […], on place en ce pays-là, la cuisine au second étage. Qui a une fois vu ces cuisines n’a pas grande curiosité pour les sauces qu’on y apprête. Ce sont gens capables de faire un très méchant mets d’un très bon morceau. Quoique nous eussions choisi la meilleure hôtellerie, nous y bûmes du vin à teindre les nappes, et qu’on appelle communément « la tromperie de Bellac ». (…)
Rien ne m’aurait plu sans la fille du logis, jeune personne et assez jolie. […] Tout méchant qu’était notre gîte, je ne laissai pas d’y avoir une nuit fort douce. Mon sommeil ne fut nullement bigarré de songes comme il a coutume de l’être : si pourtant Morphée m’eût amené la fille de l’hôte, je pense bien que je ne l’aurais pas renvoyée ; il ne le fit point, et je m’en passai.
 

8 août 2020


Ce vendredi, le jour pas encore levé complétement, j’attends, en compagnie de la contrôleuse et d’un autre homme, le six heures trente et une ayant pour terminus Saint-Yrieix-la-Perche à quarante et un kilomètres de Limoges. C’est une rame unique Poitou Charentes qui se présente, dans laquelle nous sommes rejoints par un quatrième peu avant le départ.
Quand elle quitte la Gare des Bénédictins, je regarde l’appartement du huitième étage d’où j’aurais pu la voir. Bientôt, la contrôleuse s’enquiert de mon billet. Visiblement, il l’intrigue. « Carte valide nécessaire ? » s’interroge-t-elle. Elle n’a jamais vu ça. « C’est écrit sur tous mes billets, lui dis-je, c’est parce que j’ai une Carte Senior, vous voulez que je vous la montre ? » Elle ne veut pas que je la lui montre.
Après un trajet forestier et champêtre assorti de trois arrêts intermédiaires, nous arrivons à sept heures dix-sept à Saint-Yrieix-la-Perche, connu selon mon vieux Guide du Routard pour son kaolin, ses porcs au cul noir et son sous-sol gorgé d’or. J’y vois surtout un énorme Hôpital complété d’un Epahd (gisement d’or gris).
La collégiale du Moûtier est éclairée par le soleil levant. Près elle, la tour du Plô est cachée par des échafaudages. Il s’agit d’en faire une ruine présentable. Je fais la découverte du centre dit médiéval puis explore un faubourg avec de belles maisons à demi détruites et des boutiques en déshérence.
A neuf heures, il fait suffisamment chaud pour que la seule activité raisonnable soit de s’asseoir. Je le fais pour boire un café à l’une des tables de trottoir du Joker « bar tabac jeux », où se rassemblent les enkystés du pays, puis sur un banc en pierre d’une sorte de jardin public. J’y lis Montaigne près d’une eau un peu croupie.
Vers onze heures ; je remonte au centre du bourg et réserve une table à l’ombre au seul restaurant possible : L’Ecu d’Chouettes puis vais m’asseoir sur un muret à l’ombre, face au Joker. Il y a là une exposition d’artisanat d’art où des femmes traînent des hommes.
Quand je reviens à L’Ecu d’Chouettes, je signale à l’aimable patronne que j’ai un train à treize heures vingt-trois. Encore un repas que je dois presser par la faute des horaires des Téheuherres (le suivant est à dix-huit heures quinze).
Le menu est à quinze euros, sans choix possible. C’est gaspacho andalou, saucisse de porc (sûrement pas à cul noir) avec taboulé aux champignons et crème brûlée. Près de moi sont deux jeunes femmes que je suppose flamandes car elles s’expriment aussi très bien en français. L’une qui ne mange pas de viande obtient d’avoir du poisson. Elle parle tout le temps, ce qui n’est pas désagréable car je ne comprends pas et cela faisait longtemps que je n’avais côtoyé des étrangères à table. Mon quart de vin rouge (trois euros !) est excellent. La patronne fait en sorte que tout m’arrive rapidement. J’ai quand même le temps de regarder aller et venir sa jeune serveuse qui porte bien le chorte. Un café (un euro vingt !), l’addition réglée (moins de vingt euros) et me voici reparti pour la Gare.
La rame du retour est déjà là, heureusement climatisée. Nous sommes aussi peu de passagers qu’à l’aller. Le contrôleur ne trouve rien d’étonnant à mon billet. Quand on arrive à Limoges, je suis à demi endormi.
L’après-midi, de mon huitième étage, je contemple la gare écrasée par la chaleur. Cet énorme bâtiment est posé sur un plateau soutenu par des piliers. Les trains lui passent dessous, ingénieux système.
                                                                             *
L’annonce sur le masque dans les gares : « Tout manquement pourra être sanctionné ». Et non pas « Tout manquement sera sanctionné ». On fait semblant, ici comme ailleurs. L’important, c’est de faire croire que la situation est sous contrôle alors que la médecine est impuissante.
 

7 août 2020


Des fiches horaires que m’a données l’employée du Ciel (Centre Intermodal d'Echange de Limoges), j’ai jeté la moitié (cars ne circulant qu’en période scolaire, cars ne me permettant pas de faire l’aller et retour dans la journée). Ce jeudi, j’utilise celle de la ligne Quatre qui part du Ciel pour aller à Saint-Pardoux-le-Lac et retour.
Malheureusement, le premier car de cette ligne quotidienne n’est qu’à dix heures trente. Je l’attends en compagnie de femmes voilées à glacières avec enfants à seaux pelles et râteaux et d’un trio de zonards à boîtes de bière. Puis quelques jeunes gens des deux sexes se joignent à nous, ainsi qu’une femme seule.
Ce car est au deux tiers plein quand il quitte Limoges pour Saint-Pardoux (trente-trois kilomètres pour deux euros). Il est climatisé et son chauffeur n’impose pas de radio à ses voyageurs. Tout le monde porte un masque, à sa manière, rarement la bonne.
Nous roulons sur la route du Haut-Limousin. Arrivé au but, le chauffeur fait deux premiers arrêts près des plages à familles. Tout le monde descend, sauf la femme seule et moi-même. Pour elle c’est au suivant, un bord de lac sans plage, et je vais jusqu’au bourg (terminus). J’ai l’intention de déjeuner au Restaurant de la Forge puis de marcher jusqu’à l’endroit où est descendue cette femme.
Las, ce restaurant est fermé, définitivement. De l’autre côté de la place est un Bistrot de la Forge, juste en face de la massive église. Il est tenu par des Anglais(e)s. Celle qui m’accueille est peu aimable. Comme j’insiste, elle consent à ouvrir le seul parasol afin que je puisse manger dehors. C’est pizzas, crêpes ou burgueurs. J’opte pour une pizza saumon fromage avec un quart de vin blanc.
-Ça va prendre quelques minutes parce que le four, il vient d’allumer, me dit l’anglaise tenancière.
J’attends en chassant les deux guêpes qui m’embêtent. Cette pizza n’est pas très cuite mais elle me va comme ça. Ensuite, je prends un gâteau chocolat noix de coco qui s’avère décevant puis un café. D’autres terminent de manger à l’intérieur. Bientôt la maison va fermer pour rouvrir ce soir. Je m’en tire à dix-sept euros et quelques.
Après avoir fait quelques photos du minuscule centre de ce village, je renonce à marcher jusqu’au lac car la chaleur est devenue éprouvante. J’entre dans l’église dont toutes les portes sont ouvertes. Il y fait frais, l’humidité remonte par les dalles. Les chaises sont les mêmes que les deux que j’ai chez moi. Je m’assois sur l’une à un endroit permettant de voir ce qui se passe à l’extérieur. J’y lis Montaigne, son chapitre Le repentir où l’on trouve Le monde est une branloire pérenne
Je reste seul et tranquille pendant une heure dans cette fraîcheur. Pas de belle pécheresse à confesser, les seules filles que j’aperçois par la porte ouverte sont des randonneuses en sueur qui portent leur espoir sur le Bistrot de la Forge. Elles vont devoir marcher jusqu’au lac pour se désaltérer.
Il part d’où le car de Saint-Pardoux ? De l’endroit de son arrivée. A quelle heure ? A quatorze heures trente. Il s’agit de ne pas le rater. Le suivant n’est qu’à dix-huit heures trente. Il sera pris d’assaut par les mal masqué(e)s.
Je voyage avec le même chauffeur dont le siège est hydraulique (il semble faire du trampoline en conduisant) en compagnie très éloignée d’une jeune femme qui descend avant d’avoir atteint le Ciel.
                                                                        *
Le lac de Saint-Pardoux a connu un épisode fâcheux dans son histoire. On y a trouvé des boues radioactives lors d’un curage, conséquence de l’existence ancienne de mines d’uranium à ciel ouvert en Limousin. Il semble que cela se soit amélioré.
                                                                        *
De ma fenêtre de huitième étage, comme les vaches dans leur pré, je regarde passer les trains ou bien je les entends. Je sais maintenant, rien qu’au son, s’il s’agit d’un Intercités ou d’un Téheuherre. Grâce au site annonçant les départs de la Gare des Bénédictins, je peux savoir où va le train qui démarre. Le danger serait de passer mon temps à ça.
 

6 août 2020


Après être resté quelque temps caché à Limoges, rue des Combes, Lucien Ginzburg est accueilli comme pensionnaire, sous le nom de Lucien Guimbard, dans un collège jésuite de Saint-Léonard-de-Noblat. Il y restera jusqu’à la Libération. Puis il deviendra Serge Gainsbourg. C’est dans cette petite ville, située à vingt-trois kilomètres de Limoges, que je vais ce mercredi matin avec le train.
La Gare de Saint-Léonard-de-Noblat est éloignée du centre. Il me faut marcher un moment dans le sens de la montée. C’est par la photo d’une autre célébrité, champion cycliste, que je suis accueilli au croisement d’une rue intérieure et du boulevard circulaire.
Et c’est pour un troisième personnage public lié à cet endroit que je me rends à l’Hôtel de Ville afin de connaître l’emplacement de sa tombe au cimetière communal. J’ai lu qu’on peut la chercher sans la trouver. C’est ce que racontait François Bon en deux mille huit dans son Tiers Livre. Je ne veux pas vivre cette expérience.
Un buste de Gay-Lussac est présent dans le jardin de cette Mairie car lui aussi est lié à ce bourg de Haute-Vienne. Il faut sonner.
Une jeune femme vient m’ouvrir, me regardant avec les yeux de qui se trouve face à un inconnu. « Je voudrais avoir un renseignement sur le cimetière », lui dis-je.
Au nom que je lui donne, elle répond par un « Venez avec moi », m’emmenant dans le bureau qu’elle partage avec une femme plus âgée. Cette dernière cherche l’emplacement de la tombe sur son ordinateur, puis me le montre sur le plan en papier de la partie récente du cimetière. Elle est en Quatre-Vingt-Dix-Sept Dé. L’homme en question est dans le caveau Grandjouan Lévêque, ça je le savais. Je pensais qu’il y avait aussi son nom sur la tombe, mais elle m’affirme que non.
« Vous êtes à pied ? Le cimetière est à cinq minutes », me dit celle qui m’a ouvert. Il suffit de suivre le boulevard circulaire jusqu’au kiosque à musique puis d’aller sur la gauche. Je remercie ces deux employées municipales et ressors par l’arrière de l’Hôtel de Ville (procédure obligatoire par temps de Covid).
C’est peut-être à cinq minutes en voiture, à pied c’est plus long. Comme j’hésite après le kiosque et que j’entends parler près d’une porte ouverte, je sonne.
-Qui ça peut être encore ?
La dame qui sort est rassurée par ma tête d’inconnu. Je suis sur le bon chemin.
-Vous y avez quelqu’un de votre famille ou c’est pour quelqu’un de connu ? me demande-t-elle.
-Pour quelqu’un de connu, enfin, pas par tout le monde.
-Pas monsieur Poulidor ?
-Non, Gilles Deleuze.
-Connais pas.
Arrivé dans la partie récente et quadrillée du cimetière, je trouve facilement l’allée Dé et au bout le caveau Grandjouan Lévêque. La dame de la Mairie est dans l’erreur : il y a aussi le nom de Gilles Deleuze et ses deux dates séparées par le tiret de sa vie. Figure aussi celui de  Julien Deleuze, né en mil neuf cent soixante et mort en deux mille douze, son fils.
Si le philosophe est enterré ici, c’est que sa femme Fanny (née Grandjouan) possède une propriété à proximité de Saint-Léonard-de-Noblat, où il passait ses vacances. Après un dernier été ici, ayant de plus en plus de mal à respirer, il s’est défenestré à son domicile parisien. Il avait soixante-dix ans.
J’ai le soleil en face pour faire des photos de cette tombe, ce qui est dommageable. Quelque petites pierres y sont posées. J’ajoute la mienne, une petite ardoise en équilibre instable.
Après cela, je fais un tour dans Saint-Léonard-de-Noblat dont le joli centre devrait être débarrassé de ses voitures, puis ayant repéré une gargote sur le chemin de la Gare, j’y arrive juste pour midi.
Ce bar restaurant, situé près d’une station de lavage de voitures, se nomme Chez Christelle, anciennement Chez Krist’l, et propose un menu à treize euros cinquante (entrée plat fromage dessert vin). Le mercredi, c’est tête de veau.
-Je vais prendre un quart de vin rouge, dis-je à Christelle.
-Je mets la bouteille sur votre table et vous buvez ce que vous voulez.
Ah oui, et c’est une bouteille d’un litre. « Entrée terrine », me dit-elle. Puis arrive ma tête accompagnée d’une grosse pomme de terre cuite à la vapeur, suivie de trois morceaux de fromage. Je choisis ensuite la glace vanille rhum raisin puis commande un café. « Il  est offert », me dit Christelle.
Je n’ai plus qu’à me laisser glisser jusqu’à la Gare. Sur un banc à l’ombre, je m’apprête à tenter de lire Montaigne en attendant mon train prévu pour dans une heure quand s’en présente un autre sous la forme d’une unique rame. J’y grimpe et, tandis que le paysage défile, je songe à Sarah, celle que j’appelais ma petite princesse libanaise, dont je n’ai plus de nouvelles depuis longtemps. Ses parents voulaient retourner à Beyrouth. Y a-t-elle subi l’horrible explosion d’hier soir ?
                                                                        *
L’ouvrier contemporain refuse la tête de veau et boit de l’eau.
                                                                        *
Inutile de chercher la tombe de Raymond Poulidor dans le cimetière de Saint-Léonard-de-Noblat, il a été incinéré et le mystère plane sur le sort de ses cendres.
                                                                        *
Nous sommes à l’âge de la communication, mais tout âme bien née fuit et rampe au loin chaque fois qu’on lui propose une petite discussion, un colloque, une simple conversation. (Gilles Deleuze, Qu'est-ce que la philosophie ?)
 

5 août 2020


Après une bonne nuit de huitième étage, je rejoins la Gare des Bénédictins par le raccourci. Il me fait passer devant la Gare Routière où un homme est assis sur un banc. Je lui demande s’il sait où je peux me procurer les horaires sur papier des cars de la Région. Il me répond qu’il est l’un des chauffeurs et que sa collègue chargée du bureau arrive. Il m’emmène jusqu’à elle et celle-ci entreprend de récolter tout ce qui existe en matière d’horaires de car partant de Limoges. De là j’entre en Gare, vais à l’accueil et demande au guichetier la même chose pour les trains. « D’abord, je vais vous donner le plan de lignes de la région », me dit-il, puis il récolte tout ce qui existe en matière d’horaires de train depuis Limoges. Il est huit heures et demie et me voici muni de tout ce qu’il faut pour organiser la suite de mon séjour grâce à ces zélés employés.
De la Gare, je file droit sur la Cathédrale Saint-Etienne où des ouvriers travaillent avec du matériel électrique (qu’ils n’y mettent pas le feu) puis je remonte le centre-ville vers les Halles Centrales en explorant chaque rue attirante. Je découvre que Limoges vaut la peine, par ses maisons (notamment à pans de bois), ses églises Saint-Pierre-du-Queyrois et Saint-Michel-des-Lions, sa chapelle Saint-Aurélien dans l’ancien quartier des bouchers, son pavillon du Verdurier, ancien congélateur art déco dû à Roger Gonthier, ses Halles façon Baltard, etc. Je ne manque pas de passer rue des Combes.
Pour déjeuner, ne trouvant pas mieux, je retourne aux tables de terrasse pour six du Bistrot d’Olivier et y choisis la fraise de veau sauce gribiche, l’onglet sauce échalote pommes grenailles et le plateau de fromage (j’ai besoin de calcium) avec un peu plus de vin rouge qu’hier, rapport au fromage.
Je n’ai ensuite qu’à me laisser glisser en passant par l’Hôtel de Ville un peu kitch puis par les jardins de l’Evêché jusqu’au bord de la Vienne. J’en remonte le cours jusqu’à trouver un banc à l’ombre. Derrière moi des locaux jouent à la pétanque. Sur la rivière passent des padeules. Pour un peu, je me croirais dimanche.
                                                                       *
C’est à Limoges, rue des Combes, m’a appris mon vieux Guide du Routard, que Lucien Ginzburg passa une partie de son adolescence au temps des persécutions nazies. Oui mais où précisément ? Apercevant une vieille femme se coiffant à l’intérieur du bar Le Gousset, je lui demande si elle sait. Elle est très sourde, mais on arrive à s’entendre.
C’est plus bas, au numéro treize, m’explique-t-elle. C’était sous les toits, c’était terrible. Les journalistes sont venus chez moi. Parce que, vous savez, il y a eu un film. Il a dit qu’il aimait pas du tout les Limousins. Parce que vous savez, les gens d’ici, ils sont spécials. J’ai soixante-treize ans. Ça fait quarante-cinq ans que je suis ici. Vous, vous n’êtes pas Limousin ? Ça se voit.
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Je fais une photo de ce numéro treize mais en rentrant, je lis sur le site du Populaire du Centre que la rue a été renumérotée, que c’était au onze que le jeune Lucien vivait caché avec sa famille avant de devoir partir pour Saint-Léonard-de-Noblat.
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Hier, dans ce même Populaire du Centre, un article écrit par une journaliste sur le frotteur de Limoges condamné pour agression sexuelle sur une mineure de quinze ans dans un Super U. On y lit ceci : « C’est plus loin, devant les farines que Marion est devenue blanche. » et aussi « Car, elle, refuse désormais d’accompagner sa maman faire les courses. »
De quoi amuser le mauvais esprit que je suis.
 

4 août 2020


Avec un grand plaisir, ce lundi matin, je quitte le « studio douillet » Air Bibi de Brive-la-Gaillarde et, un peu avant neuf heures, je suis une nouvelle fois dans le train pour Paris Austerlitz dont je descends cette fois à Limoges Bénédictins, gare dont la tour d’horloge est la petite sœur de celle de Rouen. Le bâtiment construit par l’architecte Roger Gonthier dans les années Vingt est de toute beauté (comme on dit).
Il est neuf heures quarante-cinq et je n’ai rendez avec ma nouvelle logeuse temporaire qu’à dix-sept heures après son travail. La question de la valise se pose. Comment ne pas la tirer toute la journée. Après y avoir bu un café à l’une des deux tables de trottoir, je pose la question au patron du bar tabac Le Chiquito situé à côté de ma future résidence.
-Je l’aurais gardée avec plaisir, me dit-il, mais le lundi je ferme à midi.
La seule autre chose ouverte dans les environs est une salle de sport nommée Espace Forme Centre de Fitness, au tout début de l’avenue de Locarno. Certain(e)s y suent déjà. Son jeune responsable n’a l’air surpris de me voir, ni de ma demande. Il me dit oui sans hésiter. « Je vais la mettre dans mon bureau qui est fermé à clé. » Cette salle rouvre à seize heures trente l’après-midi, c’est donc parfait pour moi.
Ce souci supprimé, je me dirige vers le centre-ville quand une drache limousine m’oblige à ouvrir le parapluie puis à m’abriter sous un arbre. Cela ne dure pas. Je reprends la marche et découvre que Limoges est bigrement pentue, c’est une ville où je n’ai fait que passer en voiture sans jamais m’y arrêter.
J’approche d’abord de la Cathédrale, puis vais au hasard ne frôlant que les lieux à voir. Limoges n’est pas une très belle ville mais elle a son charme, telle est ma première impression. C’est lundi, le commerce ne vit qu’à moitié, de même que les restaurants.
Un premier interrogé me conseille ceux de la place de la  République, la Grand-Place de la ville. « Où l’on trouve tout ! », me dit avec un brin d’ironie une coureuse à l’arrêt qui me remet dans le droit chemin. Effectivement Fnaque et Compagnie sont là. Las, cette place est en travaux qui génèrent bruit et poussière et ses brasseries ont pour menu du jour « peu dans l’assiette ».
Un deuxième interrogé me conseille d’aller aux Halles Centrales. J’y suis immédiatement séduit par Le Bistrot d’Olivier où, bien qu’il ne soit pas encore midi, certains sont déjà installés aux tables d’extérieur, lesquelles sont toutes pour six. On veut me mettre dedans. Comme je refuse, j’ai droit à ma grande table.
Il n’y a ici que des originaires du pays. Certains se reconnaissent, partis ailleurs, ici pour congés, pas vus depuis longtemps, et se présentent leur petite famille. Au menu du jour à dix-neuf euros, je choisis le pied de veau sauce gribiche et le gigot d’agneau de pays pommes grenaille avec un quart de vin de Gascogne. Combien excellent est ce pied et combien tendre cet agneau, copieux tous les deux. En entrée, il y avait aussi un pâté de la maison à volonté mais j’ai su résister. Une compotée d’abricots du Roussillon constitue mon dessert au moment où arrive un trio que l’on installe au bout de ma table. L’un est à moins d’un mètre. Parfois, il faut savoir prendre des risques.
Néanmoins, je prends le café ailleurs, au Bistrot Jourdan, un euro cinquante, où j’ai pour voisin un optimiste qui déclare au téléphone : « Peut-être que dans quinze ans, je pourrai être chef de secteur ».
Après avoir terminé le livre second des Essais sur un banc par très loin de mon futur logement, je vais récupérer ma valise et apprends que le responsable n’est pas là, le bureau fermé avec une clé que personne d’autre n’a. Un stagiaire s’emploie au téléphone à le faire venir mais, cinq heures approchent, et je dois partir sans.
Une jeune femme brune arrive peu après moi au lieu de rendez-vous. Je monte avec elle jusqu’au huitième et dernier étage (faudrait-il mettre un masque dans l’ascenseur, oui, mais non) où elle m’ouvre la porte d’un appartement qui me plaît d’emblée. Son plus : une vue imprenable sur la Gare.
Redescendu avec cette agréable hôtesse et après qu’elle m’a montré la barrière qui permet d’accéder par raccourci aux trains, je retrouve ma valise avec des grands mercis aux jeunes sportifs.
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Qui aurait cru qu’un jour j’entrerais dans une salle de fitness. Pas moi.
 

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