Le Journal de Michel Perdrial

Le Journal de Michel Perdrial




Loïc Boyer
Je suis l’auteur de textes courts qui furent publiés depuis mil neuf cent quatre-vingt-quinze dans des revues littéraires en France (Supérieur Inconnu, Supplément d’Ame, Nouvelle Donne, Le Bord de l’Eau, Pris de Peur, l’Art du Bref, Sol’Air, Gros Textes, Salmigondis, Verso, Décharge, Bulle, Filigranes, Diérèse, Martobre, Comme ça et Autrement, (Cahier d’) Ecritures, La Nef des Fous), en Belgique (Traversées, Ecrits Vains, L’Arbre à Plumes, Inédit Nouveau, Bleu d’Encre), au Canada (Les Saisons Littéraires) et en Italie (Les Cahiers du Ru).
Les courageuses Editions du Chardon ont publié en mil neuf cent quatre-vingt-dix-neuf Erotica, un recueil de vingt-huit de ces textes, illustré par Isabelle Pio et Antoine Lopez et préfacé par Sarane Alexandrian, toujours disponible auprès de moi.
Je suis également l’auteur d’une pièce de théâtre et de plusieurs romans ou récits à ce jour inédits.
Depuis le onze novembre deux mille six, je publie mon Journal via Internet, un temps sous-titré Persiflages, moquages et autres énervages mâtinés de complimentages et de contentages. Sa première partie est lisible chez Eklablog, la deuxième ici.
Je vis au centre de Rouen dans un ancien monastère où autrefois les Sœurs de la Miséricorde se vouaient à l’éducation des jeunes filles.







Rss

16 novembre 2024


Bien que l’arc de cercle apparaisse moins souvent dans mon œil gauche, je me rends ce vendredi matin avec un bus Effe Sept à l’usine ophtalmologique. J’arrive un peu avant l’ouverture du cabinet du boss. Quatre personnes me précèdent dans le couloir, qui ont un rendez-vous officiel. La secrétaire et les deux orthoptistes se présentent peu après.
L’aimable secrétaire se souvient pourquoi je viens et m’invite à rejoindre la salle d’attente. Au bout d’un quart d’heure, l’une des deux orthoptistes appelle mon nom. Je lui explique ce qui m'amène, la bévue de l’infirmière mettant des gouttes dans l’œil déjà opéré et les craintes qui en découlent pour moi. Elle examine mes yeux et note les résultats de son observation sur son ordinateur sans me dire quoi que ce soit mais je sens qu’il n’y a rien d’inquiétant. « Le docteur va vous recevoir », me dit-elle.
Je retourne dans la salle d’attente puis elle appelle à nouveau mon nom et me fait entrer dans son espace d’examen. Le boss me rejoint peu après. Je commence par le remercier vivement pour les deux opérations et lui explique mon inquiétude. Il regarde lui-même ce qu’il en est de mes yeux. Rien d’anormal. Il suffit maintenant d’attendre que ceux-ci se remettent totalement de l’intervention, ce qui prendra un mois. Lors du bilan final je serai doté d’une nouvelle paire de lunettes me permettant de lire de près. Pour le reste, je vois parfaitement sans lunettes, le boss ayant profité des interventions pour supprimer ma myopie. Jamais je n’ai vu aussi bien depuis mon enfance. « Je ne me rendais pas compte à quel point je voyais mal », lui dis-je. « J’ai donc eu raison d’insister », me dit-il. « Oui, c’est comme cela qu’il fallait faire avec moi. » Au moment de nous séparer, il me serre la main.
Je vais voir la secrétaire pour fixer le rendez-vous futur. Elle en profite pour me donner la facture du dépassement d’honoraires, quatre cents euros par œil. La Mutuelle Générale de l’Education Nationale m’en remboursera peut-être une partie. Evidemment c’est cher mais le résultat est là. Tranquillisé, bien que sachant que des complications rares soient toujours possibles, je rentre avec un bus Effe Sept.
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Tout n’est cependant pas réglé pour mes problèmes de vue car même si le boss a posé des stens destinés à faire baisser la pression oculaire et malgré les gouttes que je mets deux fois par jour, mon glaucome va continuer à évoluer.
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J’aurais eu moins peur de cette opération, qui consiste à remplacer le cristallin opacifié par une lentille synthétique transparente, si le boss m’avait expliqué que, durant l’intervention, je ne verrais et ne sentirais rien, mais quand je lui ai dit que cette opération me faisait peur, tout ce qu’il a su me répondre, c’est « J’ai l’habitude ».

15 novembre 2024


Pour l’œil droit, je suis convoqué ce mardi douze novembre à douze heures trente à l’usine ophtalmologique. J’y arrive à pied en avance. Les formalités d’admission faites à l’accueil, je monte au premier étage où je rejoins d’autres malvoyants devant être opérés comme moi de la cataracte. Nous sommes la matière première nécessaire au fonctionnement de l’usine. De temps en temps sort un vieux ou une vieille avec un cache sur l’œil mais personne n’est invité à entrer.
Enfin, vers quatorze heures, une infirmière nous dit qu’on va passer à l’après-midi. Je suis appelé assez vite par un infirmier. Si j’étais moins stressé que la première fois, il se charge de faire remonter la pression quand il me reproche de ne pas avoir prévu mon retour à domicile en transport sanitaire alors qu’on m’a toujours dit que c’était une infirmière qui s’en chargerait. Le problème vient de ce que la secrétaire du boss n’a fait qu’un seul bon pour les deux opérations. L’ambulancier de la première fois l’a gardé. Cet infirmier désagréable me dit que je vais devoir rentrer à mes frais. Heureusement, une infirmière sympathique prend le relais et me dit que ça va s’arranger.
C’est avec elle que je me mets en tenue de malade. Elle me fait asseoir dans l’un des lits à roulettes puis me déplace. Au bout d’un moment une autre infirmière m’y allonge. Elle fixe les instruments de mesure sur mon corps. Arrive un anesthésiste que je suppose jeune au son de sa voix, mais que je ne vois pas car j’ai déjà des gouttes dans l’œil à opérer et garde l’autre fermé.
Ce jeune médecin doit trouver une veine pour le cathéter de la perfusion destinée à me shooter. Il essaie sur le dos de la main gauche là où je lui ai dit que son confrère l’avait fait la semaine dernière, puis sur le dos de la main droite. Il me fait mal pour rien. Nouvelle tentative avec les veines du bras droit où, après m’avoir fait encore une fois bien mal, il y arrive enfin.
Pendant ce temps, l’infirmière continue à me mettre des gouttes dans l’œil droit. Il s’agit de dilater la pupille et celle-ci résiste. Si bien qu’à un moment, elle se trompe et me met des gouttes dans l’œil gauche déjà opéré. Je proteste. Elle me dit que ce n’est pas grave. « Je vais vous enlever ça avec de l’eau. » Ce qu’elle fait. Avant que j’aie pu réagir, elle me tamponne la paupière et repasse à l’œil droit jusqu’à ce que la pupille soit enfin suffisamment dilatée.
Bientôt on me dit que l’on va m’emmener dans la salle d’opération. Le boss, que je ne vois pas, me dit bonjour. Comme la première fois, je ne me rends pas compte de ce qu’il me fait et cela ne dure pas longtemps.
Je suis de nouveau à l’extérieur. Il faut patienter allongé. J’entends les infirmières et infirmiers discuter des cartes Pokémon.
Au bout d’une demi-heure, on vient me dire que je vais pouvoir me lever pour aller prendre une collation. Cette collation est ce que l’on appelait un petit-déjeuner la fois précédente, café noir, jus d’orange, brioche, confiture, auxquels est ajouté un yaourt (jus de fruit industriel et confiture industrielle, de la nourriture que les médecins vous déconseillent de consommer).
Je dois rester à ma table jusqu’à ce qu’une nouvelle infirmière vienne faire les formalités de sortie qui consistent à prendre une dernière fois ma tension, laquelle est encore une fois plus élevée qu’à l’ordinaire, et à me délivrer une autorisation de quitter les lieux. « Un œil ne fait pas l’autre », me dit cette infirmière quand je lui dis que cela s’étant bien passé pour le premier, j’espère qu’il en est de même pour le second.
Je suis ensuite conduit jusqu’au vestiaire. Je ne sais combien nous étions cet après-midi dans l’usine ophtalmologique. Une infirmière m’a dit qu’il y a quarante casiers dans ce vestiaire.
Rhabillé, j’attends que l’on vienne me chercher. C’est une jolie ambulancière qui appelle mon nom. Avec elle je repasse à l’accueil pour régler la facture du dépassement de l’anesthésiste. « Cent euros ! Il ne se gêne pas », me dit la secrétaire. «  Et cela pour me charcuter », ne lui dis-je pas. Je retrouve mon ambulancière. Par un chemin que lui dicte son Gépéhesse et qui n’est pas le plus court, elle me ramène chez moi. Il est seize heures trente.
Je passe une nuit moyenne, l’œil droit muni d’un cache scotché et le gauche muni d’un couvre-œil comme il l’est chaque nuit depuis quelques jours.
Au matin, j’ai la désagréable surprise de constater qu’une sorte d’arc de cercle suit le déplacement de cet œil gauche qui a reçu des gouttes par erreur. Je m’inquiète car je crains que cela soit la conséquence de l’erreur de l’infirmière. Vers neuf heures, je téléphone au numéro que l’on m’a donné en cas de problème et explique le mien. Ce téléphone se trouve dans la salle de sortie, me dit l’infirmière qui me répond. Elle ne peut rien me dire sur ce qui m’arrive mais transfère mon appel à la secrétaire du boss.
Celle-ci, qui a l’air de connaître la médecine, me dit que les gouttes mises par erreur ont fait dilater la pupille. Elle me demande si cela diminue ma vue, car c’est ça qui serait inquiétant. Ce n’est pas le cas. Elle me dit qu’elle va en informer le boss et que si cela se maintenait de passer au cabinet vendredi matin pour faire un contrôle.
Un peu rassuré, je retourne m’asseoir dans mon fauteuil de ministre. Mon œil droit voit encore flou et avec l’autre je ne peux lire ce qui est proche. Au fil de la journée, mon œil nouvellement opéré voit de mieux en mieux.
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Jour trois pour l’œil droit. L’arc de cercle de l’œil gauche est toujours là. Demain direction le cabinet du boss. Je passe chez Ecouter Voir demander s’il y aurait une possibilité de lunettes provisoires pour que je puisse lire un livre. « Votre vue va évoluer pendant un mois jusqu’à la cicatrisation, me dit celle qui me reçoit, il va vous falloir patienter. » Au moins puis-je lire ce qui est à distance, par exemple l’écran de mon ordinateur et dans mon lit, en le tenant assez loin, un livre.
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Avant les opérations, des messages de sympathie reçus par mail et via Effe Bé, dont deux propositions d’aide si j’avais besoin, auxquelles s’ajoute celle de ma voisine. Je n’en ai pas eu besoin mais j’apprécie le geste.

11 novembre 2024


Je vais à pied jusqu’à l’usine ophtalmologique ce jeudi quatre novembre. Mon rendez-vous pour l’opération de l’œil gauche est fixé à sept heures trente. Je marche seul dans la nuit, faisant attention où je mets le pied, notamment sur le pont Corneille en travaux. J’arrive à six heures quarante-cinq. Je ne suis pas le premier. Trois personnes attendent déjà devant la porte fermée.
Quand celle-ci s’ouvre à sept heures, je fais les formalités d’admission auprès d’une secrétaire qui a l’air d’être aussi âgée que moi. Elle m’invite à monter au premier étage rejoindre les autres vieux et vieilles concernés par l’opération de la cataracte. D’autres sont aussi convoqués, plus loin dans le couloir, des jeunes couples qui ont besoin d’aide médicale à la procréation. Il faut attendre encore assez longtemps avant qu’arrivent des infirmières. La moitié des mal voyants apprennent que leur ophtalmo est malade et qu’ils ne seront pas opéré ce matin. Ils doivent aller prendre un autre rendez-vous. Aucun ne proteste : « Ça arrive. »
Mon dossier est étudié par une première infirmière. Elle m’emmène dans une cabine où je dois me déshabiller et revêtir une tenue adéquate. Mes affaires sont mises dans un casier. Je suis emmené dans une salle de pré-opération où sont alignés plusieurs lits à roulettes. L’un est pour moi sur lequel je suis installé. A un moment, je suis emmené un peu plus loin  sans savoir où car je dois garder les yeux fermés à cause des gouttes qu’on y a mis.
Un homme se présente comme étant l’anesthésiste. Il me place un cathéter dans une veine du dos de la main. Il s’agit de me shooter (comme il dit) à l’aide d’une perfusion. Une infirmière me dote d’un tensiomètre, d’une pince sur le doigt, d’électrodes pour surveiller mon cœur. Elle bloque ma tête avec un adhésif. Et puis il faut attendre. J’attends plus que prévu parce qu’il y a eu un carambolage sur le pont Mathilde et le boss est retardé. Quand il arrive enfin, on me dit que c’est bon
Je suis roulé dans une sorte de couloir noir jusqu’à la salle d’opération. Le boss, que je ne vois pas, me dit bonjour, Je ne me sens pas shooté. Je ne sais pas ce qui se passe car aucun mot n’est prononcé. Je ne vois pas arriver une aiguille ou un autre instrument vers mon œil. Je ne perçois qu’un cercle coloré. Je me demande quand ça va commencer quand on me dit que c’est terminé.
Je suis emmené dans la salle de surveillance où je dois patienter. Un appareil automatique prend ma tension régulièrement. Au bout d’une demi-heure, on me conduit dans la salle de petit-déjeuner. J’ai droit à un café, une brioche et un jus d’orange. Il faut encore attendre pour que je sois autorisé à sortir.
Une dernière prise de tension (élevée, contrairement à l’habituelle) et je peux aller me rhabiller. Dans le miroir, je découvre comment mon œil est caché. Ça peut faire peur. Quand je sors de la cabine arrive l’ambulancier appelé par l’une des infirmières pour me ramener chez moi. Il faut repasser par l’accueil afin que je règle cent euros, le supplément d’honoraire de l’anesthésiste. Pour le boss, ce sera plus tard et davantage.
L’ambulancier m’accompagne jusqu’à sa voiture. Il a un peu de mal à sortir parce que le responsable de la barrière ne répond pas. Après un long détour dû aux travaux du pont Corneille, il réussit à entrer dans la rue Saint-Romain elle aussi en travaux. Il me dit qu’avant il était chauffeur de bus et qu’il peut rentrer avec sa voiture dans ma ruelle. Heureusement, il ne s’y risque pas. Il m’accompagne à pied jusqu’à ma porte. Cela est pris en charge par la Sécurité Sociale.
Il est onze heures quarante. Après avoir déjeuné, je ne peux rien faire. Je passe l’après-midi assis dans mon fauteuil de ministre à écouter France Culture puis une nuit un peu agitée.
Le lendemain, à cinq heures du matin, je me débarrasse du cache-œil. Mon œil gauche est semblable à ce qu’il était. Il voit déjà mieux qu’avant et cela doit s’améliorer au fil des jours. L’œil droit ne me sert à rien, myope comme il est, ne voyant même pas le ZU du tableau des ophtalmos. Cette deuxième journée est fort longue. Je ne peux ni lire ni écrire.
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Jour trois pour l’œil gauche, j’ai l’impression de redécouvrir mon appartement. De la profondeur, du volume et de la poussière. Pas question de faire le ménage, c’est une des activités interdites.
Ma première sortie est pour aller acheter une tradigraine à la boulangerie Chez Catherine place Saint-Marc. Pour la première fois depuis l’âge de quatorze ans, je suis dans la rue sans lunettes. Je redécouvre les pavés de Rouen où je risque moins de faire une chute.
Maintenant je vois mieux de près. L’après-midi, je mets en marche mon ordinateur et en forçant un peu, je commence à mettre en forme mon texte dicté.
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Jour quatre pour l’œil gauche, sans changement notable. Un court passage au marché du Clos Saint-Marc. Lire, quand on a un œil réparé et l’autre pas, c’est comme marcher avec une jambe plus courte que l’autre, on se fatigue vite.
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Jour cinq pour l’œil gauche, et veille de l’opération de l’œil droit. Première chose à faire : ce soir me doucher corps et cheveux avec Betadine.
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Ce onze novembre deux mille vingt-quatre marque le dix-huitième anniversaire de mon Journal.

6 novembre 2024


Sur le quai Deux de la Gare de Rouen, attendant ce mardi le sept heures vingt-trois pour Paris, je me dis, pensée on ne peut plus flippante, qu’un jour ce sera pour la dernière fois que je me tiendrai là, que je ne peux savoir quand et que si dans les jours et semaines qui viennent, cela se passe mal pour moi, ce pourrait être cette fois.
Ce bol d’air parisien vient au lendemain de deux heures passées à l’usine ophtalmologique, anesthésiste, échographie, rencontre rapide (à ma demande) avec le boss, secrétariat de celui-ci, pré-admission, un parcours dont je suis sorti avec beaucoup de paperasse et pas moins d’inquiétude.
Stressé comme je suis, j’ai oublié de prendre un livre à lire dans le train. Je n’ai pour penser à autre chose que la vue des jolies jambes de ma voisine d’outre couloir, gainées dans des collants ajourés de type cabaret. Ce n’est pas si mal.
Le bon air et un bain de foule dans le métro Huit que je n’ai pas souvent vu aussi chargé. Mon circuit est inchangé, Camélia pour un café, Marché d’Aligre, Re-Read, Book-Off Ledru-Rollin (la rue du Faubourg Saint-Antoine a désormais une piste cyclable vers la Bastille, nouveauté dangereuse pour les piétons distraits), Le Rallye pour déjeuner, Book-Off Saint-Martin (Hidalgo n’a pas encore décroché les moches décorations olympiques de sa Mairie), Bistrot d’Edmond pour un café, Book-Off Quatre Septembre.
Je n’ai pas l’esprit à acheter. J’essaie de penser à autre chose qu’à ce qui m’occupe l’esprit depuis des semaines (des mois). Ce à quoi j’arrive très partiellement.
Quand même, à l’issue, dans mon sac se trouvent, à un euro : Les Mille Vies d’Agatha Christie de Béatrix de l’Aulnoit (Texto), Journal du huitième hiver de Samuel Brussell (L’Age d’Homme), Cons de Juan Manuel de Prada (Points Seuil), Traces écrites de Roland Simounet (Domens), Dissimulons ! de Noël Herpe (Plein Jour) et, ayant sauté aux miens, Les yeux cousus de Mona Malacar (Editions Dynastes).
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Maintenant, mon actualité m’impose une pause. Je reprendrai l’écriture de mon Journal un jour ou l’autre. Du moins, je l’espère.

2 novembre 2024


Quand je quitte mon logis Air Bibi ce jeudi matin, je laisse la clé dans la boîte à lettres de ma logeuse et descends la rue Arago. Là se trouve la Médiathèque devant laquelle j’attends, seul, le premier bus Un, celui de six heures vingt-sept.
Un passage de ma carte bancaire devant le valideur vaut ticket et me voici dix minutes plus tard à la Gare de Sète. Je me procure un café allongé à un euro cinquante chez Relay pour accompagner mes tartelettes industrielles. Du quai, je vois la Croix Saint-Clair, encore éclairée, et le lever du soleil derrière les mats des voiliers.
Le Tégévé de sept heures vingt-cinq pour Paris est à l’heure. Je voyage en première à une place isolée. Montpellier, Nîmes et Valence sont les arrêts intermédiaires. Jérôme est notre chef de bord. Un jeune père monte à Nîmes avec son rejeton. La jeune mère reste sur le quai. « Amuse-toi bien », lui dit-il. Peu avant Valence, le ciel se couvre. Ensuite, on fonce dans le brouillard. Une allégorie de ce qui m’attend en novembre.
A l’arrivée à Paris, c’est le froid qui me saisit. Je passe dans le tourbillon de la ligne Quatorze. Gare Saint-Lazare, je mange mes sandouiches triangles et attends le train Nomad de douze heures trente-neuf pour Rouen. En choisissant ma date de retour je n’avais pas vu que c’était la veille d’un jour férié. Impossible de compter sur la voiture Cinq pour voyager tranquillement, elle est en réservation aussi. Partout du monde et des familles, sûrement pas pour se rendre sur les tombes des êtres que l’on dit chers.
Le train est à quai mais un bagage y a été oublié. Un Policier à chien va le faire renifler à l’animal puis une cheminote le rapporte à la main. C’est une guitare dans son étui. Nous partons quand même à l’heure, ce qui est un exploit. Ma voisine se goinfre d’une nourriture tirée d’un sac à tout « Marseille, fière d’accueillir les Jeux Olympiques ». Mon voisin d’outre couloir lit Réforme, le journal des protestants. Un article qui dit « Comment remédier à la baisse de la natalité ». Une obsession de toutes les religions qui contribue au malheur de l’humanité.

1er novembre 2024


Je m’étonne lors de mon dernier petit-déjeuner au Classic qu’il ne soit pas question du serveur parti en vacances chez un ami en Espagne à Valence, ville qui vient d’être victime d’une catastrophe climatique aggravée par la société productiviste. Le soleil brille pour la fin de mon séjour d’un mois à Sète. Je mets à profit cette belle matinée pour voir la Pointe Courte sous un ciel bleu.
La Pointe Courte est construite comme Manhattan. Des avenues parallèles reliées par des rues perpendiculaires. Malheureusement, ces dernières, les traverses, servent à garer les voitures des résidents. Les « avenues » sont quasiment désertes à cette heure. Je croise plus de chats que d’humains. Quand même, il y a là Arnaud le Sétois et son petit troupeau de touristes descendus de son minibus rouge. Sa promesse : vous emmener dans les coins secrets de Sète. Ils sont indiqués sur le véhicule et dans tous les guides touristiques (il n’y a pas Le Barrou).
Quand j’ai bien revu et photographié ce quartier de pêcheurs, je bois un café verre d’eau tout au bord du Canal à la terrasse du Passage. Derrière moi, sur le pont de chemin de fer passe un Tégévé qui me fait penser à demain. Vers dix heures trente, ce pont ferroviaire et le pont routier se lèvent de concert pour laisser passer deux voiliers entrant et un sortant.
C’est le moment où commence à arriver le monde qu’il convient de fuir, mais c’est pire en ville, il y a foule, spécialement près des Halles autour desquelles s’étale le marché.
Par chance, je peux disposer d’une table à l’Idéal Bar. « C’est tous les jours », me dit le serveur quand je lui commande mes six huîtres de Bouzigues et mon verre de Picpoul. Il exagère grandement et c’est la dernière. « La lumière est revenue », me dit l’aimable patronne quand je paie mes neuf euros. Je peux donc aller aux toilettes sans son téléphone.
La rue à descendre et me voici au Tabary’s qui propose la macaronade à la sétoise pour quatorze euros. Je choisis une table d’intérieur et ajoute un verre de côtes de Thau à quatre euros. Les plats arrivent du dessous par l’escalier public qui perfore la véranda. Cette macaronade nourrit son homme encore une fois.
Je passe ensuite de l’autre côté du Canal Royal pour le café au Quai Bohème. « Ah ! Jean Hugo ! » s’exclame un autochtone à chariot retour du marché en voyant mon livre. Il lève le pouce et poursuit son chemin.
Quand je quitte les lieux, je fais un détour par le Pont de Pierre afin de voir si les Editions Kailash, que j’ai trouvées ici, alors que je les croyais à Pondichéry, sont ouvertes. Elles le sont, bien que ce ne soit pas l’horaire réglementaire. J’y trouve l’éditeur en personne, qui me dit avoir quitté Pondichéry parce que ça lui coûtait cher et Paris, où la maison avait un pied-à-terre, depuis trois ans pour changer d’air. Cela fait trente ans qu’il s’occupe de ces éditions, me dit-il. J’ai découvert les Editions Kailash chez Book-Off par leur collection de poche Les Exotiques dans laquelle sont republiés des textes d’écrivains décadents, parfois opiomanes ou cocaïnomanes, de jolis petits livres avec des couvertures sérigraphiées à la main sur des papiers colorés naturels ou recyclés. Je suis content de terminer mon séjour à Sète par cette rencontre.

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