Dernières notes
Loïc Boyer
Je suis l’auteur de textes courts qui furent publiés depuis mil neuf cent quatre-vingt-quinze dans des revues littéraires en France (Supérieur Inconnu, Supplément d’Ame, Nouvelle Donne, Le Bord de l’Eau, Pris de Peur, l’Art du Bref, Sol’Air, Gros Textes, Salmigondis, Verso, Décharge, Bulle, Filigranes, Diérèse, Martobre, Comme ça et Autrement, (Cahier d’) Ecritures, La Nef des Fous), en Belgique (Traversées, Ecrits Vains, L’Arbre à Plumes, Inédit Nouveau, Bleu d’Encre), au Canada (Les Saisons Littéraires) et en Italie (Les Cahiers du Ru).
Les courageuses Editions du Chardon ont publié en mil neuf cent quatre-vingt-dix-neuf Erotica, un recueil de vingt-huit de ces textes, illustré par Isabelle Pio et Antoine Lopez et préfacé par Sarane Alexandrian, toujours disponible auprès de moi.
Je suis également l’auteur d’une pièce de théâtre et de plusieurs romans ou récits à ce jour inédits.
Depuis le onze novembre deux mille six, je publie mon Journal via Internet, un temps sous-titré Persiflages, moquages et autres énervages mâtinés de complimentages et de contentages. Sa première partie est lisible chez Eklablog, la deuxième ici.
Je vis au centre de Rouen dans un ancien monastère où autrefois les Sœurs de la Miséricorde se vouaient à l’éducation des jeunes filles.
Les courageuses Editions du Chardon ont publié en mil neuf cent quatre-vingt-dix-neuf Erotica, un recueil de vingt-huit de ces textes, illustré par Isabelle Pio et Antoine Lopez et préfacé par Sarane Alexandrian, toujours disponible auprès de moi.
Je suis également l’auteur d’une pièce de théâtre et de plusieurs romans ou récits à ce jour inédits.
Depuis le onze novembre deux mille six, je publie mon Journal via Internet, un temps sous-titré Persiflages, moquages et autres énervages mâtinés de complimentages et de contentages. Sa première partie est lisible chez Eklablog, la deuxième ici.
Je vis au centre de Rouen dans un ancien monastère où autrefois les Sœurs de la Miséricorde se vouaient à l’éducation des jeunes filles.
6 février 2024
Je ne connaissais pas Mihail Sebastian, écrivain roumain francophile et francophone, avant de trouver chez Book-Off son épais Journal (1935-1944) publié chez Stock et d’en faire ma lecture de lit.
On y croise notamment trois jeunes amis de l’auteur, avant leur exil, un Eugène Ionesco un peu perdu, un Emil Michel Cioran alors sympathisant du mouvement fasciste et antisémite la Garde de Fer et un Mircea Eliade lui aussi partisan de la Garde de Fer et encore plus ardemment antisémite. Je n’ai jamais pu blairer ce dernier, devenu par la suite icône mystico pantoufle.
Ce Journal n’est pas une lecture de tout repos, Mihail Sebastian, lui-même Juif, passant des horreurs du nazisme à celles du stalinisme, comme le montrent ces deux extraits :
On parle encore de plus de six mille Juifs tués, mais il est peut-être impossible de déterminer le nombre exact. Nous ne le connaîtrons peut-être jamais. De nombreux Juifs ont été tués dans le bois de Băneasa et leurs corps laissés là, nus pour la plupart. D’autres aux abattoirs de Străulești. Les uns et les autres auraient été horriblement mutilés avant d’être achevés. A la morgue, le frère de Jacques Costin était presque méconnaissable pour sa propre famille. Maître Beiler était criblé de balles et, en plus, égorgé. (Mercredi vingt-neuf janvier mil neuf cent quarante et un)
L’incompréhension, la peur, la perplexité. Des soldats russes qui violent les femmes (Dina Cocea me l’a raconté hier). Des soldats qui arrêtent les voitures dans la rue, font descendre le conducteur et les passagers, prennent le volant et disparaissent. Des magasins pillés. Cet après-midi, ils ont fait irruption à trois chez Zaharia, ils ont fouillé dans le coffre-fort et se sont emparés des montres. (La montre est leur jouet préféré.) (Vendredi premier septembre mil neuf cent quarante-quatre)
Dans cette Roumanie « libérée » par les Russes, Mihail Sebastian fait son bilan personnel :
Toujours la même vie dissipée. L’absence de logement stable me désorganise. Je n’ai vraiment pas l’esprit pratique. Je suis à l’évidence un type qui ne sait pas « s’arranger ». Un « poète », dans la pire acceptation du mot. Je ne sais pas discuter avec mon propriétaire, je ne sais pas me disputer avec mon voisin qui me fait des misères, je ne sais pas me débrouiller au commissariat de circonscription. Tout ce que je souhaite, c’est qu’on me fiche la paix. Je perds, je cède, j’accepte, je supporte, pourvu qu’on me fiche la paix. C’est absurde et honteux. Je suis, à trente-sept ans, aussi démuni qu’un enfant. (Mardi vingt six septembre mil neuf cent quarante-quatre)
Après avoir envisagé de quitter le pays, Mihail Sebastian choisit de rester. Il est nommé maître de conférences à l’Université Ouvrière Libre de Bucarest. Le vingt-neuf mai mil neuf cent quarante-cinq, s’y rendant pour son premier cours de littérature universelle, il est tué par un camion, une mort que d’aucuns jugent non accidentelle.
*
Autre lecture de lit, Lettres à Delphine de Louis Pergaud, dont adolescent j’ai lu La Guerre des boutons et les récits animaliers De Goupil à Margot Cette correspondance publiée au Mercure de France que j’ai payée deux euros au Clos Saint-Marc contient aussi les lettres que l’écrivain devenu soldat en mil neuf cent quatorze écrivit à ses amis. Antimilitariste et pacifiste avant la guerre, Pergaud devient, comme beaucoup, quand il se retrouve sur le front, va-t-en-guerre et anti-Boches. Quelques mois plus tard, devant les atrocités, il se reprend, déclarant qu’après la guerre, il sera encore plus antimilitariste qu’il ne l’était avant.
Le dimanche vingt et un mars mil neuf cent quinze, il écrit ceci à son ami Marcel Martinet :
Nous avons attaqué la tranchée boche après une insuffisante préparation d’artillerie et deux de nos compagnies se sont fait héroïquement faucher. J’étais là prêt à les soutenir avec mon peloton ; nous avions déjà fait sous la mitraille et les balles deux bonds en avant et nous étions en première ligne prêts à foncer quand l’ordre de faire cesser cette boucherie est arrivé. Dans cette marche en avant j’avais perdu huit hommes tués et onze blessés. Les balles me sifflaient aux oreilles et trois obus m’ont éclaté devant le nez me brûlant les yeux sans que je sois touché. (…) Devant nous, entre les réseaux boches des cadavres pendaient, des blessés se traînaient, d’autres se plaignaient ; et la nuit tragique avec un soleil rouge est tombée là-dessus. Il s’est mis à pleuvoir ; on marchait dans des mares de sang, dans des éclats de cervelle. Jamais je n’oublierai ça.
Dans la nuit du sept au huit avril, Louis Pergaud prend part à une nouvelle attaque où il disparaît.
*
Ces lectures ne m’empêchent pas de m’endormir sitôt le livre posé. Ce n’est que plus tard dans la nuit que mon cerveau entre en ébullition.
On y croise notamment trois jeunes amis de l’auteur, avant leur exil, un Eugène Ionesco un peu perdu, un Emil Michel Cioran alors sympathisant du mouvement fasciste et antisémite la Garde de Fer et un Mircea Eliade lui aussi partisan de la Garde de Fer et encore plus ardemment antisémite. Je n’ai jamais pu blairer ce dernier, devenu par la suite icône mystico pantoufle.
Ce Journal n’est pas une lecture de tout repos, Mihail Sebastian, lui-même Juif, passant des horreurs du nazisme à celles du stalinisme, comme le montrent ces deux extraits :
On parle encore de plus de six mille Juifs tués, mais il est peut-être impossible de déterminer le nombre exact. Nous ne le connaîtrons peut-être jamais. De nombreux Juifs ont été tués dans le bois de Băneasa et leurs corps laissés là, nus pour la plupart. D’autres aux abattoirs de Străulești. Les uns et les autres auraient été horriblement mutilés avant d’être achevés. A la morgue, le frère de Jacques Costin était presque méconnaissable pour sa propre famille. Maître Beiler était criblé de balles et, en plus, égorgé. (Mercredi vingt-neuf janvier mil neuf cent quarante et un)
L’incompréhension, la peur, la perplexité. Des soldats russes qui violent les femmes (Dina Cocea me l’a raconté hier). Des soldats qui arrêtent les voitures dans la rue, font descendre le conducteur et les passagers, prennent le volant et disparaissent. Des magasins pillés. Cet après-midi, ils ont fait irruption à trois chez Zaharia, ils ont fouillé dans le coffre-fort et se sont emparés des montres. (La montre est leur jouet préféré.) (Vendredi premier septembre mil neuf cent quarante-quatre)
Dans cette Roumanie « libérée » par les Russes, Mihail Sebastian fait son bilan personnel :
Toujours la même vie dissipée. L’absence de logement stable me désorganise. Je n’ai vraiment pas l’esprit pratique. Je suis à l’évidence un type qui ne sait pas « s’arranger ». Un « poète », dans la pire acceptation du mot. Je ne sais pas discuter avec mon propriétaire, je ne sais pas me disputer avec mon voisin qui me fait des misères, je ne sais pas me débrouiller au commissariat de circonscription. Tout ce que je souhaite, c’est qu’on me fiche la paix. Je perds, je cède, j’accepte, je supporte, pourvu qu’on me fiche la paix. C’est absurde et honteux. Je suis, à trente-sept ans, aussi démuni qu’un enfant. (Mardi vingt six septembre mil neuf cent quarante-quatre)
Après avoir envisagé de quitter le pays, Mihail Sebastian choisit de rester. Il est nommé maître de conférences à l’Université Ouvrière Libre de Bucarest. Le vingt-neuf mai mil neuf cent quarante-cinq, s’y rendant pour son premier cours de littérature universelle, il est tué par un camion, une mort que d’aucuns jugent non accidentelle.
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Autre lecture de lit, Lettres à Delphine de Louis Pergaud, dont adolescent j’ai lu La Guerre des boutons et les récits animaliers De Goupil à Margot Cette correspondance publiée au Mercure de France que j’ai payée deux euros au Clos Saint-Marc contient aussi les lettres que l’écrivain devenu soldat en mil neuf cent quatorze écrivit à ses amis. Antimilitariste et pacifiste avant la guerre, Pergaud devient, comme beaucoup, quand il se retrouve sur le front, va-t-en-guerre et anti-Boches. Quelques mois plus tard, devant les atrocités, il se reprend, déclarant qu’après la guerre, il sera encore plus antimilitariste qu’il ne l’était avant.
Le dimanche vingt et un mars mil neuf cent quinze, il écrit ceci à son ami Marcel Martinet :
Nous avons attaqué la tranchée boche après une insuffisante préparation d’artillerie et deux de nos compagnies se sont fait héroïquement faucher. J’étais là prêt à les soutenir avec mon peloton ; nous avions déjà fait sous la mitraille et les balles deux bonds en avant et nous étions en première ligne prêts à foncer quand l’ordre de faire cesser cette boucherie est arrivé. Dans cette marche en avant j’avais perdu huit hommes tués et onze blessés. Les balles me sifflaient aux oreilles et trois obus m’ont éclaté devant le nez me brûlant les yeux sans que je sois touché. (…) Devant nous, entre les réseaux boches des cadavres pendaient, des blessés se traînaient, d’autres se plaignaient ; et la nuit tragique avec un soleil rouge est tombée là-dessus. Il s’est mis à pleuvoir ; on marchait dans des mares de sang, dans des éclats de cervelle. Jamais je n’oublierai ça.
Dans la nuit du sept au huit avril, Louis Pergaud prend part à une nouvelle attaque où il disparaît.
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Ces lectures ne m’empêchent pas de m’endormir sitôt le livre posé. Ce n’est que plus tard dans la nuit que mon cerveau entre en ébullition.
5 février 2024
Jeudi midi, au bout de la rue Saint-Nicolas, je me heurte presque à quatre filles identiques aux cheveux blonds flottant au vent. Elles sont vêtues pareillement. Chacune porte à la main un petit sac en papier Sephora. Des quadruplées ?
Un peu de réflexion me donne à penser que ce sont des sportives de la French Cup en tenue décontractée. Sans le chignon serré qui en fait de parfaits clones.
J’en ai la confirmation lorsque vendredi j’en croise tout un lot tirant les mêmes valises à roulettes. Elles vont de leur hôtel à la patinoire. Là se tient la compétition internationale de patinage synchronisé nommée French Cup.
Le trio de retraités du samedi matin au Socrate les a repérées. D’autant plus facilement qu’ils habitent prés de la patinoire dans l’île Lacroix,. « De beaux brins de filles. » « Mon garçon, ils les auraient bien invitées à la maison. » Ils les ont vues chanter derrière la fanfare lors de la parade. Celle-ci est passée au bout de ma ruelle. J’ai entendu sans voir. « Elles ont pas le droit de sortir seules. Minimum trois. », dit encore l’un. « Elles ont raison. Avec tout ce qu’on voit. », conclut un autre.
Ce dimanche matin, allant au marché, je dois me faire un chemin rue Saint-Romain parmi celles qui logeaient à l’Hôtel de la Cathédrale. Chignons moyennement serrés, elles s’apprêtent à faire une dernière fois du bruit sur le pavé mouillé avec leurs valises à roulettes. Un autocar les attend qui les ramènera dans leur pays.
*
Un matin, je lis sur le site Actu Seine-Maritime comment une jeune femme a fait installer chez elle une pompe à chaleur après que des artisans lui ont fait croire qu’elle aurait droit à MaPrimeRénov’ alors qu’en réalité ce qu’ils lui ont fait signer c’est un emprunt de vingt-quatre mille euros.
Dans la demi-heure qui suit, mon fil d’actualité sur le réseau social Effe Bé est saturé de publicités pour les pompes à chaleur, les panneaux solaires, les diagnostics pour obtenir MaPrimeRénov’, etc.
Cela alors que je ne suis pas passé par Effe Bé pour lire cet article. C’est effrayant. Aucun autre sujet ne m’avait valu ça. Je perds un temps fou à supprimer ces pubs en cochant la case « Hors de propos ».
*
Agriculteur : personne qui achète à crédit un tracteur de cent mille euros pour gagner six cents euros par mois.
Un peu de réflexion me donne à penser que ce sont des sportives de la French Cup en tenue décontractée. Sans le chignon serré qui en fait de parfaits clones.
J’en ai la confirmation lorsque vendredi j’en croise tout un lot tirant les mêmes valises à roulettes. Elles vont de leur hôtel à la patinoire. Là se tient la compétition internationale de patinage synchronisé nommée French Cup.
Le trio de retraités du samedi matin au Socrate les a repérées. D’autant plus facilement qu’ils habitent prés de la patinoire dans l’île Lacroix,. « De beaux brins de filles. » « Mon garçon, ils les auraient bien invitées à la maison. » Ils les ont vues chanter derrière la fanfare lors de la parade. Celle-ci est passée au bout de ma ruelle. J’ai entendu sans voir. « Elles ont pas le droit de sortir seules. Minimum trois. », dit encore l’un. « Elles ont raison. Avec tout ce qu’on voit. », conclut un autre.
Ce dimanche matin, allant au marché, je dois me faire un chemin rue Saint-Romain parmi celles qui logeaient à l’Hôtel de la Cathédrale. Chignons moyennement serrés, elles s’apprêtent à faire une dernière fois du bruit sur le pavé mouillé avec leurs valises à roulettes. Un autocar les attend qui les ramènera dans leur pays.
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Un matin, je lis sur le site Actu Seine-Maritime comment une jeune femme a fait installer chez elle une pompe à chaleur après que des artisans lui ont fait croire qu’elle aurait droit à MaPrimeRénov’ alors qu’en réalité ce qu’ils lui ont fait signer c’est un emprunt de vingt-quatre mille euros.
Dans la demi-heure qui suit, mon fil d’actualité sur le réseau social Effe Bé est saturé de publicités pour les pompes à chaleur, les panneaux solaires, les diagnostics pour obtenir MaPrimeRénov’, etc.
Cela alors que je ne suis pas passé par Effe Bé pour lire cet article. C’est effrayant. Aucun autre sujet ne m’avait valu ça. Je perds un temps fou à supprimer ces pubs en cochant la case « Hors de propos ».
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Agriculteur : personne qui achète à crédit un tracteur de cent mille euros pour gagner six cents euros par mois.
1er février 2024
Un voyage en train sans histoire ce dernier jour du mois de janvier deux mille vingt-quatre et peu de monde dans le bus Vingt-Neuf où je viens en aide à un vieil Arabe qui veut descendre à Opéra, lui indiquant qu’il faut demander l’arrêt et pour cela appuyer sur le bouton rouge. Nous nous saluons mutuellement quand il descend.
Il fait doux et beau à Paris ce mercredi. J’ai le soleil dans les yeux quand je marche rue du Faubourg-Saint-Antoine puis rue Théodore-Roussel.
Au Marché d’Aligre. Emile Débarras n’a pas sorti les auvents. Ses aides, trouvés sur place, finissent d’installer les livres sur les deux longues tables. L’un d’eux se fait rabrouer par son employeur. « D’habitude, tu me dis que je les mets bien les livres », se défend-il. « Oui mais là tu as bu ». Le ton monte. Emile s’en débarrasse. Beaucoup de ces livres sont nouveaux. Hélas, ils sont sales. Certains, terreux, semblent venir d’une cave. Heureusement, ceux qui m’intéressent, je les ai déjà. A un moment, ce que je prends pour une vieille femme me colle de trop prés. C’est le Nabot. Il avait disparu depuis des mois. Je le croyais mort.
Au Camélia, après le café, je lis Romain, un regard particulier de Lesley Blanch. La première femme de Romain Gary y raconte leur vie commune. Elle est sans pitié pour celui qui a partagé sa vie pendant quinze ans et avec qui elle est restée amie jusqu’à son suicide. D’une façon générale, il y avait peu de choses qui lui plaisaient : le sexe, les blinis, nager dans la mer et, bien sûr, ses écrits. Elle ne lui pardonne qu’une chose : ses nombreuses infidélités. Les idées de Romain sur l’amour et les rapports sexuels – le plus souvent séparés – étaient toujours nettement définies. Très tôt dans nos relations, il s’était longuement étendu sur l’attrait éperdu qu’il éprouvait envers les filles très jeunes. Nabokov n’avait pas encore écrit Lolita, mais ce syndrome était une part essentielle de la nature psychologique de Romain.
« Mon idéal, avait-il poursuivi avec une franchise désarmante, serait d’avoir une jeune fille très jolie… Est-ce que ça vous choque ? » demanda-t-il avec sollicitude.
Non. Je n’étais pas choquée. Je ne sais pas pourquoi.
Un peu avant onze heures, je me pointe devant les rideaux baissés de Book-Off et y découvre une affichette indiquant qu’aujourd’hui ça n’ouvre qu’à douze heures. Fichtre !
Le métro m’emmène à Châtelet. Je fouine un quart d’heure chez Boulinier sans rien trouver puis rejoins à midi moins le quart le restaurant China rue de la Verrerie. L’aimable serveuse m’accepte avant l’heure d’ouverture. Cela me permet de déjeuner avant l’arrivée du monde. Je déteste attendre devant les micro-ondes. Ce buffet à volonté est toujours à douze euros cinquante. Il est correct, hormis les nems caoutchouteux.
A midi et demi j’explore le sous-sol du Book-Off de Saint-Martin. Parmi les livres à un euro, je fais miens le volume un de Lettres à Suzanne de Jean Giraudoux (Grasset), Pelures d’oignon de Günter Grass (Seuil) et Absolument la vie d’Etienne Barilier (Labor & Fides).
Sorti de là je retourne à Ledru-Rollin où je retrouve et évite le Nabot. Encore plus décati qu’autrefois, ne pouvant plus porter les livres, il tire un chariot derrière lui. Je n’en suis pas encore là. Mon panier est lourd mais je le porte encore. Des livres à un euro le remplissent, le numéro d’Europe consacré à Alexandre Vialatte, La duchesse de Bloomsbury Street d’Helene Hanff (Payot), Notes sur Chopin d’André Gide (Gallimard), Le père Dutourd de François Taillandier (Stock), La Fontaine de Jacques Réda (Buchet Chastel), Vie de Henrik Ibsen d’Alberto Savinio (Christian Bourgois), Singulières et plurielles de Colette Nys-Mazure (Desclée de Brouwer) et Quand tu aimes il faut partir de la même (Invenit). Ce dernier bénéficie d’un envoi daté de mai deux mille seize de l’auteure à Pierrette Fleutiaux « en vive admiration », les héritiers s'en sont débarrassés. A cela j’ajoute, au prix de six euros, Correspondance d’Auguste Perret et de Marie Dormoy (Editions du Linteau), celle-ci ayant été l’amante de celui-là avant d’être celle de Léautaud.
Pas le temps d’aller au troisième Book-Off. Après un deuxième passage au Camélia, je rejoins Saint-Lazare. Dans le train de seize heures quarante, je termine le livre de Lesley Blanch. Peu avant Mantes-la-Jolie, nous longeons de près l’autoroute où d’habitude j’aime regarder les voitures qui circulent. Barrage d’agriculteurs oblige, elle est déserte, une image de fin du monde.
Il fait doux et beau à Paris ce mercredi. J’ai le soleil dans les yeux quand je marche rue du Faubourg-Saint-Antoine puis rue Théodore-Roussel.
Au Marché d’Aligre. Emile Débarras n’a pas sorti les auvents. Ses aides, trouvés sur place, finissent d’installer les livres sur les deux longues tables. L’un d’eux se fait rabrouer par son employeur. « D’habitude, tu me dis que je les mets bien les livres », se défend-il. « Oui mais là tu as bu ». Le ton monte. Emile s’en débarrasse. Beaucoup de ces livres sont nouveaux. Hélas, ils sont sales. Certains, terreux, semblent venir d’une cave. Heureusement, ceux qui m’intéressent, je les ai déjà. A un moment, ce que je prends pour une vieille femme me colle de trop prés. C’est le Nabot. Il avait disparu depuis des mois. Je le croyais mort.
Au Camélia, après le café, je lis Romain, un regard particulier de Lesley Blanch. La première femme de Romain Gary y raconte leur vie commune. Elle est sans pitié pour celui qui a partagé sa vie pendant quinze ans et avec qui elle est restée amie jusqu’à son suicide. D’une façon générale, il y avait peu de choses qui lui plaisaient : le sexe, les blinis, nager dans la mer et, bien sûr, ses écrits. Elle ne lui pardonne qu’une chose : ses nombreuses infidélités. Les idées de Romain sur l’amour et les rapports sexuels – le plus souvent séparés – étaient toujours nettement définies. Très tôt dans nos relations, il s’était longuement étendu sur l’attrait éperdu qu’il éprouvait envers les filles très jeunes. Nabokov n’avait pas encore écrit Lolita, mais ce syndrome était une part essentielle de la nature psychologique de Romain.
« Mon idéal, avait-il poursuivi avec une franchise désarmante, serait d’avoir une jeune fille très jolie… Est-ce que ça vous choque ? » demanda-t-il avec sollicitude.
Non. Je n’étais pas choquée. Je ne sais pas pourquoi.
Un peu avant onze heures, je me pointe devant les rideaux baissés de Book-Off et y découvre une affichette indiquant qu’aujourd’hui ça n’ouvre qu’à douze heures. Fichtre !
Le métro m’emmène à Châtelet. Je fouine un quart d’heure chez Boulinier sans rien trouver puis rejoins à midi moins le quart le restaurant China rue de la Verrerie. L’aimable serveuse m’accepte avant l’heure d’ouverture. Cela me permet de déjeuner avant l’arrivée du monde. Je déteste attendre devant les micro-ondes. Ce buffet à volonté est toujours à douze euros cinquante. Il est correct, hormis les nems caoutchouteux.
A midi et demi j’explore le sous-sol du Book-Off de Saint-Martin. Parmi les livres à un euro, je fais miens le volume un de Lettres à Suzanne de Jean Giraudoux (Grasset), Pelures d’oignon de Günter Grass (Seuil) et Absolument la vie d’Etienne Barilier (Labor & Fides).
Sorti de là je retourne à Ledru-Rollin où je retrouve et évite le Nabot. Encore plus décati qu’autrefois, ne pouvant plus porter les livres, il tire un chariot derrière lui. Je n’en suis pas encore là. Mon panier est lourd mais je le porte encore. Des livres à un euro le remplissent, le numéro d’Europe consacré à Alexandre Vialatte, La duchesse de Bloomsbury Street d’Helene Hanff (Payot), Notes sur Chopin d’André Gide (Gallimard), Le père Dutourd de François Taillandier (Stock), La Fontaine de Jacques Réda (Buchet Chastel), Vie de Henrik Ibsen d’Alberto Savinio (Christian Bourgois), Singulières et plurielles de Colette Nys-Mazure (Desclée de Brouwer) et Quand tu aimes il faut partir de la même (Invenit). Ce dernier bénéficie d’un envoi daté de mai deux mille seize de l’auteure à Pierrette Fleutiaux « en vive admiration », les héritiers s'en sont débarrassés. A cela j’ajoute, au prix de six euros, Correspondance d’Auguste Perret et de Marie Dormoy (Editions du Linteau), celle-ci ayant été l’amante de celui-là avant d’être celle de Léautaud.
Pas le temps d’aller au troisième Book-Off. Après un deuxième passage au Camélia, je rejoins Saint-Lazare. Dans le train de seize heures quarante, je termine le livre de Lesley Blanch. Peu avant Mantes-la-Jolie, nous longeons de près l’autoroute où d’habitude j’aime regarder les voitures qui circulent. Barrage d’agriculteurs oblige, elle est déserte, une image de fin du monde.
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