Le Journal de Michel Perdrial

Le Journal de Michel Perdrial




Loïc Boyer
Je suis l’auteur de textes courts qui furent publiés depuis mil neuf cent quatre-vingt-quinze dans des revues littéraires en France (Supérieur Inconnu, Supplément d’Ame, Nouvelle Donne, Le Bord de l’Eau, Pris de Peur, l’Art du Bref, Sol’Air, Gros Textes, Salmigondis, Verso, Décharge, Bulle, Filigranes, Diérèse, Martobre, Comme ça et Autrement, (Cahier d’) Ecritures, La Nef des Fous), en Belgique (Traversées, Ecrits Vains, L’Arbre à Plumes, Inédit Nouveau, Bleu d’Encre), au Canada (Les Saisons Littéraires) et en Italie (Les Cahiers du Ru).
Les courageuses Editions du Chardon ont publié en mil neuf cent quatre-vingt-dix-neuf Erotica, un recueil de vingt-huit de ces textes, illustré par Isabelle Pio et Antoine Lopez et préfacé par Sarane Alexandrian, toujours disponible auprès de moi.
Je suis également l’auteur d’une pièce de théâtre et de plusieurs romans ou récits à ce jour inédits.
Depuis le onze novembre deux mille six, je publie mon Journal via Internet, un temps sous-titré Persiflages, moquages et autres énervages mâtinés de complimentages et de contentages. Sa première partie est lisible chez Eklablog, la deuxième ici.
Je vis au centre de Rouen dans un ancien monastère où autrefois les Sœurs de la Miséricorde se vouaient à l’éducation des jeunes filles.







Rss

31 mai 2021


Point de cars BreizhGo le matin du dimanche, je reste donc à Quimper, allant acheter deux croissants à la boulangerie Loiseau avec l’espoir que l’hôtel à côté aura sorti sa terrasse. Je suis déçu et me dirige vers  le centre-ville.
A l’arrivée dans le Vieux Quimper, je suis le seul dans la rue du Frout qui mène directement à la Cathédrale. Cette fois encore je petit-déjeune à sa proximité, face à Laennec statufié, puis en attendant qu’un café daigne ouvrir je vais lire au bord de l’Odet.
C’est au Bar des Amis que je prends place vers dix heures. Un homme ayant posé son bouquet de Fête des Mères sur la table commande deux chardonnays qu’il boit coup sur coup avant de filer. « Pourquoi aller au café boire deux verres cul sec et puis partir ? », se demande le serveur. « Autant acheter une bouteille et boire chez soi », ajoute-t-il. C’est aussi mon avis, mais peut-être fallait-il ça à ce fils pour affronter sa génitrice.
Déjeuner dans cette ville en ce moment n’est pas simple. Je trouve une table vraiment tranquille place au Beurre, renommée par les autochtones place de la Crêpe, car on n’y trouve que des crêperies. La moitié d’entre elles sont fermées, La mienne s’appelle Crêperie de Saint Corentin. Elle ne présente qu’une carte réduite jusqu’au neuf juin. Je choisis une bretonne (andouille de Guémené, crème moutarde, pomme de terre, salade), un demi pichet de Kerné brut à la pression et une crêpe au petit épeautre bio caramel beurre salé. Cela fait dix-sept euros quarante.
Le café, je le prends au soleil à la grande terrasse du Steïr où l’on se plaint du manque de clientèle : « Le problème à Quimper, c’est que quand il pleut, ils restent chez eux et quand il fait beau, il se barrent à la plage ».
Le dimanche, pour rentrer chez soi, il ne s’agit pas de rater le bus A. Il ne monte la côte que toutes les heures. Je l’attends assis sur un muret. Une jeune fille me rejoint qui s’accroupit sur le trottoir.
-Vous pouvez vous asseoir à côté de moi, ça ne me dérange pas, lui dis-je.
Elle ne veut pas, à cause des fourmis.
Le bus se faisant un peu attendre, elle finit par me rejoindre. « J’espère qu’il va arriver », me dit-elle, Cette jeunesse trouve que monter la côte à pied, c’est trop fatigant. A qui le dit-elle.
-C’est la Fête des Mères aujourd’hui, je vais voir ma maman.
Comme c’est mignon.
                                                                        *
Côté météo, depuis mon arrivée en Finistère, soit c’est prévu mauvais et c’est mieux qu’annoncé, soit c’est prévu beau et c’est moins bien qu’annoncé.
                                                                        *
Cloches des églises de Cornouaille : un certain bruit de casserole.
 

30 mai 2021


Pour aller de Quimper à Locronan, point de car BreizhGo, c’est un bus de la communauté de communes qu’il faut prendre, le Dix. Si on veut y être le matin, il n’y a que le samedi, où part un sept quarante. Or le samedi, les bus quimpérois sont gratuits.
Il est étonnant dans ces conditions que j’en sois le seul passager. C’est pourtant le cas. Le voyage est agréable, qui fait passer par de petites routes de campagne, traverser Plogonnec, dont l’église est remarquable, et le bois du Névet.
A l’arrivée à Locronan, je suis également le seul dans la rue qui mène directement des parquignes à touristes à l’église Saint Ronan et à la chapelle du Pénity attenante. Plusieurs fois, j’ai parcouru ces lieux, seul ou accompagné, jamais avec cette tranquillité. Je peux photographier sans avoir à me soucier d’humains parasites.
Le tour de la Petite Cité de Caractère terminé, un des Plus Beaux Villages de France, j’entre à la boulangerie, sise face à l’église, où, en sus de deux croissants, je trouve un plan et un court historique de la ville.
Avec mon butin je prends place à une table de terrasse du bar tabac Ostaliri ti Jos situé sur le côté de l’église et y demande un allongé. Ce café est installé dans une ancienne maison. On peut y commander par les fenêtres ouvertes quand on est un habitué. Il en est ici de nature sympathique, tout comme le patron et sa serveuse, qui ne fait pas ses quarante ans.
Ayant bu, mangé et lu la doc, je marche un peu sur les hauteurs jusqu’au Manoir de Kerguénolé, puis entre dans l’église et sa chapelle siamoise où j’admire la descente de croix en kersanton polychrome, le gisant de Saint Ronan, Saint Michel pesant les âmes, le retable du Rosaire, etc.,  enfin je vais voir la maison où vivait Yves Tanguy dans la rue Lann.
Il est temps de retrouver Jules et Edmond et pas de meilleur endroit pour cela que l’Ostaliri ti Jos. J’y commande cette fois un café et y lis jusqu’à ce qu’il soit l’heure de se demander où déjeuner. Des restaurants sont alignés près des parquignes d’arrivée. Le peu qui sont ouverts vont être envahis par les familles. Aussi, comme le patron d’ici vante sa galette saucisse, j’en commande une à sa serveuse, dès qu’il sera prêt. Dans l’attente, je m’offre un kir classique.
Vers midi arrive ma galette qui effectivement ne contient rien d’autre qu’une saucisse. Je l’accompagne d’un verre de bordeaux. Des gouttes d’eau tombées des nuages ne suffisent pas à remplir mon autre verre. Café inclus, j’en ai pour treize euros quatre-vingts.
Le ciel noircissant de plus en plus, je décide de rentrer par le treize heures dix. Avant cela, j’ai le temps de remonter la rue Moal d’où l’on aperçoit la baie de Douarnenez.
C’est un jeune homme qu’on pourrait croire du Neuf Trois qui conduit le bus Dix du retour dans lequel je suis le seul à monter. Il est en conversation en arabe au téléphone quand je m’y installe. Quand il en a terminé, il se tourne vers moi : « Où tu m’as dit que tu descendais ? » Cela me fait toujours plaisir que l’on s’adresse à moi comme si je n’étais pas un vieux.
A Plogonnec monte une vieille femme qui intercède auprès du chauffeur pour qu’il s’arrête entre deux stations afin de prendre un homme qui fait signe. Il accepte. « Je le fais mais je n’ai pas le droit, lui dit-il, s’il y a un accident, j’aurai des ennuis. »
Cette brave dame, entre son bus d’aller et son bus de retour, n’a eu que le temps de planter une fleur au cimetière. « Vingt minutes, c’est pas beaucoup », regrette-t-elle.
                                                                            *
C’est grâce à Roman Polanski qu’au centre de Locronan les réseaux électriques et téléphoniques sont enterrés depuis mil neuf cent soixante-dix-neuf. Il a payé une partie des travaux. C’était pour y tourner Tess.
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Entre Quimper et Locronan, un hameau nommé La Lorette me fait songer aux Goncourt. La lorette n’est que l’exagération de la femme. écrivent les deux misogynes en août mil huit cent cinquante-sept.
 

29 mai 2021


Ce vendredi, j’ai le temps d’acheter deux croissants à l’ouverture de la boulangerie Loiseau face à la Gare Routière avant de monter dans le car BreizhGo Quarante-Deux, direction Fouesnant, terminus Beg Meil.
-Vous allez jusqu’où ? me demande son chauffeur, visiblement proche de la retraite.
-Au terminus.
-Je n’y vais pas, il y a des travaux, je m’arrête avant.
Il m’explique que je n’aurais qu’à marcher cinq cents mètres pour y être. A sept heures dix pile, nous démarrons. Avec moi sont des travailleurs travailleuses dont l’une à trottinette électrique. Tout(e)s descendent à Fouesnant. La trottineuse a encore de la route à faire.
Quand le car s’arrête dans un quartier résidentiel, l’aimable chauffeur descend avec moi pour me montrer la direction à prendre pour rejoindre le centre de Beg Meil. Arrivé sur place, je découvre un morne bourg en forme de rue où tout est fermé sauf la boulangerie salon de thé. Je me souviens alors être venu ici avec ma petite voiture dans laquelle se trouvait celle qui me donnait la main. Nous cherchions un hôtel et étions reparti bredouilles.
Ayant atteint le bord de mer, je fais une photo du soleil se levant en face au-dessus de Concarneau puis je trouve le sentier côtier. Il est assez peinard et suffisamment étroit pour que je sois heureux de n’y être dérangé que par une jeune coureuse devant laquelle je m’efface. Il est agréable de la voir grimper en petites foulées le seul escalier métallique qui s’offre à nous. Pendant ce temps, les vagues lèchent les amas de rochers. Le plus spectaculaire est sous le sémaphore. C’est là que je trouve un banc. Je refuse donc d’aller plus loin. J’y mange mes croissants puis sors de mon sac à dos le Journal des Goncourt.
A peine suis-je en compagnie de Jules et d’Edmond qu’arrivent au pas de marche deux uniformes. Nous nous saluons, tous trois dépourvus de masque. Dans le dos d’un est inscrit « Affaires Maritimes ». Je lis là un bon moment. Quand je cesse, je m’aperçois que sur l’un des rochers apparaissent en creux une bouche, des oreilles et des yeux. Cette tête de pierre me regarde bizarrement.
Je ne traîne pas pour rentrer au centre de Beg Meil. Je commande un café allongé à la boulangerie qui dispose d’une terrasse où des locaux se sont également rabattus, dont des commerçantes qui se demandent si oui ou non elles vont ouvrir. Le bar tabac lui n’ouvre qu’à onze heures. Pour la crêperie, ce sera le deux juin. Que faire pour le déjeuner ? Attendre d’être rentré à Quimper avec le car de treize heures dix ou trouver de quoi dans cette boulangerie ? J’opte pour la seconde option. Ce sera quiche, panini, gâteau breton, avec un verre d’eau : dix euros.
C’est au bar tabac, où l’on doit aller se servir au comptoir et dont la clientèle est déjà bien imbibée, que je prends le café (un euro cinquante). On y est décontracté du masque et de la poignée de main.
Je trouve le même chauffeur au retour. Il m’apprend qu’il est effectivement très proche de la retraite. C’est bon pour le ticket, me dit-il en me le rendant sans le poinçonner. Il fait pareil aves des apprenti(e)s qui montent en chemin. Ce trajet de retour passe par Cap Coz dont nous longeons la plage. Si j’avais été mieux organisé, j’aurais prévu de m’y arrêter et de prendre le car de seize quarante pour finir le voyage, mais quand j’y songe nous sommes déjà loin.
 

28 mai 2021


Le car BreizhGo Quarante et Un de sept heures cinquante qui mène à Bénodet est encore le mien ce jeudi, et celui de deux dames noires qui semblent le prendre chaque jour pour aller travailler au centre-ville.
Mon retour à Bénodet n’est pas une fin en soi. J’ai pour objectif de traverser l’Odet. Il me faut pour cela attendre dix heures et demie, le premier départ du P’tit Bac à deux euros qui mène en face, à Sainte-Marine.
En presque cinquante ans de pérégrinations, je suis passé par quasiment toutes les villes bretonnes mais je suis à peu près certain de n’être jamais allé à Sainte-Marine. Un couple de bicyclistes et un couple avec enfançon énervant (ne pourrait-on pas rendre les crèches obligatoires ?) partagent avec moi ce très court voyage en bateau.
On se croirait sur une île à l’arrivée. Et les prix pratiqués dans l’« adorable petit port abrité, coloré et pittoresque », comme dit mon Guide du Routard de Bretagne Sud deux mille douze que j’ai trouvé peu avant mon départ dans une boîte à livres rouennaise, conforte cette impression : deux euros vingt pour mon café verre d’eau au Café du Port. Cette agréable terrasse, sise à côté de l’Abri du Marin, jolie maisonnette aux murs roses, offre une vue magnifique sur l’Odet et Bénodet. Je m’y attarde jusqu’à midi moins le quart en lisant le Journal des Goncourt.
A midi, j’ai une table avec presque la même vue, un peu plus loin, à la terrasse de l’Hôtel et Bistrot du Bac. J’y déjeune de rillettes de maquereau, d’un Parmentier de canard confit et d’un tartare de fruits frais, avec deux verres de Picpoul. Cela fait vingt-huit euros soixante.
A l’issue, je trouve le sentier douanier qui longe l’Odet en direction de la mer. Il me permet de voir de près le phare à tête rouge que l’on aperçoit de la plage de Bénodet, puis un Fort reconverti en lieu d’exposition et j’arrive à la pointe de Combrit où se trouve une construction en forme de maison que Le Routard qualifie de batterie.
De retour dans le port, je n’ai que quelques minutes à attendre pour voir venir le P’tit Bac. J’en suis le seul passager. Son capitaine m’explique qu’autrefois il travaillait pour le Transmanche à partir du Havre. Un banc m’attend à Bénodet pour lire Jules et Edmond face à Sainte-Marine.
Dans le BreizhGo du retour, je retrouve les deux dames de l’aller. Je crains qu’elles passent chaque journée de la semaine à Bénodet sans jamais voir la mer.
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« Arrêtez de prendre des réservations pour dimanche en deuxième service s’il vous plaît, on n’arrivera jamais à faire décoller les gens, c’est le jour de la Fête des Mères. » (le patron du Café du Port à son personnel)
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Salon de coiffure de Quimper : Kemp’Hair (celui-là, on ne peut le faire qu’ici).
 

27 mai 2021


Ce mercredi s’annonce mal : il a plu toute la nuit et cela continue. De plus, au réveil plus d’Internet. Néanmoins, comme le car BreizhGo Trente-Sept ne se rend à Camaret que le mercredi et le samedi, je maintiens mon projet d’y aller ce jour, en laissant Jules et Edmond à la maison.
Tandis que je bois un allongé face à la gare routière de Quimper à l’hôtel dont je ne sais toujours pas le nom, Bob Dylan chante Don’t think twice, it’s all right, un titre qui semble fait pour moi.
Ce n’est qu’à neuf heures quarante-cinq que nous quittons la ville pour un voyage d’une heure et demie dans une campagne très vallonnée et dans la brume et la mouillasse, frôlant Locronan, Saint-Nic et Roscanvel où j’ai souvenir d’une nuit chez la dame aux chevaux avec celle qui me tenait la main, elle nous avait appris que c’est ici que sont formés les agents secrets. Après Crozon, c’est la descente sur Camaret. Le terminus est au port. Quand je quitte le car avec mes quelques compagnons de voyage, il ne pleut plus.
Je passe à l’Office de Tourisme afin de me munir d’un plan puis vais voir de près sur le Sillon le cimetière de bateaux, la chapelle Notre-Dame-de-Rocamadour et la tour Vauban.
A midi, je trouve une table avec vue sur ces curiosités touristiques au restaurant A l’Abri du Kraken. L’équipe y est jeune et aimable. On y propose un menu à dix-sept euros : tapas, poire de bœuf sauce au poivre frites maison et gâteau au chocolat. Je l’accompagne d’un quart de merlot au goût bizarre à quatre euros vingt. Le café n’est qu’à un euro cinquante.
Je consulte ensuite mon plan pour trouver la rue Saint-Pol-Roux. Elle monte raisonnablement sur plus d’un kilomètre. Je suis content d’apercevoir les alignements de Lagat-Jar. Derrière ces rangées de menhirs apparaissent les tours du manoir en ruine de Saint-Pol-Roux, un lieu que j’ai fréquenté bien accompagné. Désormais un filin d’acier empêche d’y pénétrer. Je fais des photos de ce lieu tragique ainsi que de la magnifique vue sur la mer qu’avait le poète.
Redescendu sur le port, je prends un café à un euro quarante à la terrasse d’une crêperie puis vais marcher du côté du port de pêche, lequel est très réduit. Me heurtant au chantier naval, je rebrousse et vais attendre l’heure du car de retour au bar tabac La Chaloupe. J’aurais dû emmener Jules et Edmond, le temps est un peu long sans eux.
De retour à Quimper, je vais voir mon jeune logeur. Il débranche et rebranche sa boxe et voici Internet revenu.
                                                                     *
C’est en mil neuf cent trois que Saint-Pol-Roux achetait à Camaret une maison de pêcheurs surplombant la plage de Pen-Had et la transformait en manoir exotique pourvu de huit tourelles, le Manoir de Boultous. À la mort de son fils Coecilian, tué près de Verdun en mil neuf cent quatorze, il le rebaptisait Manoir de Coecilian. Pendant l'entre-deux-guerres, il y fit venir de nombreux artistes et écrivains dont Louis-Ferdinand Céline. En juin mil neuf cent quarante, le Manoir est investi par un soldat nazi ivre qui tue la servante, blesse le poète et viole sa fille Divine. Pendant que Saint-Pol-Roux est hospitalisé, le manoir est pillé. Il mourra peu après. J’ai raconté cette histoire dans un de mes textes autrefois.
                                                                     *
La même année, le quinze août, Laurent Tailhade fit scandale à Camaret. Lorsque  la procession de la Fête de la Bénédiction de la Mer et des Bateaux passa devant l'Hôtel de France où il logeait, il versa le contenu de son vase de nuit par la fenêtre de sa chambre de premier étage. Quelques jours plus tard, mille huit cent Camarétois firent le siège de l'Hôtel de France, menaçant de jeter Tailhade dans le port. Il fallut l'intervention des gendarmes de Châteaulin et l’écrivain fut contraint de quitter Camaret pour se réfugier à Morgat. Il se vengea en publiant dans L'Assiette au beurre un pamphlet intitulé Le peuple noir contre les Bretons et leurs prêtres. On lui a parfois attribué la chanson paillarde Les Filles de Camaret mais il n’a fait qu’y ajouter quelques couplets.
 

26 mai 2021


Mon oiseau réveil est actuellement réglé sur cinq heures et demie. Il remplit parfaitement son office ce mardi pour me sortir du lit de mon logis temporaire où je suis à nouveau seul à l’étage. Le temps hésite encore entre éclaircies et averses quand je me dirige vers la Gare Routière qui jouxte celle des chemins de fer. On trouve en face une boulangerie on j’achète deux croissants et je prends un allongé (un euro soixante) un peu plus loin à la terrasse d’un hôtel dont j’oublie de noter le nom.
La Gare Routière fourmille d’internes à valises pour qui c’est le début de la semaine. Aucun n’attend le car BreizhGo Quarante et Un de sept heures cinquante qui mène à Bénodet, station balnéaire où vinrent en villégiature, entre autres, Emile Zola, Marcel Proust, Guillaume Apollinaire, Sarah Bernhard et Winston Churchill qui y fit de la peinture.
Nous sommes six au départ, inclus le chauffeur qui se passe allégrement de masque. En chemin nous traversons Gouesnac’h (belle chapelle typique) puis Clohars-Fouesnant ((belle chapelle typique). Dans ce dernier bourg est organisé un concours de poésie dont le thème est « Le Désir ». L’arrivée à Bénodet se fait en bord de mer, près du Casino et de l’Hôtel Ker-Moor, devant un gros canard jaune en plastique sur lequel il est interdit de monter. En revanche, rien n’indique qu’il est interdit d’enlever son masque et j’ai tôt fait de mettre le mien dans mon sac à dos.
Je n’ai qu’à traverser la route pour être à la plage. Je la longe par sa promenade en direction de l’embouchure de l’Odet, photographiant au passage le Minaret, le Phare du Coq et le Grand Phare. Arrivé en vue du pont de Cornouaille, je rebrousse et marche le long de  la mer jusqu’à ce que des maisons en occupant le bord me dissuadent d’aller plus loin.
Il est temps de s’asseoir sur un banc au-dessus de la plage, à l’abri du vent et au soleil quand il est là, pour retrouver Jules et Edmond. Après dix heures apparaissent des retraités marcheurs à bâtons et des familles à enfançons. Cet endroit donc être abominable l’été.
Pour déjeuner il n’y a pas le choix, c’est le Resto Plage Le Sans Souci, un endroit qui d’extérieur ne paie pas de mine mais qui s’avère sympathique quand on y entre. Il possède de grandes terrasses, dont l’une couverte où je trouve place.
Comme je sens que le temps va bientôt mal tourner, je décide de rentrer à Quimper plus tôt que je n’en avais l’intention et demande à l’aimable serveuse de faire presser ma commande : un stèque de thon à la plancha, écrasé de pommes de terre, crème de pesto rouge, à treize euros quatre-vingt-dix.
Il ne me déçoit pas. Je l’accompagne d’un verre de muscadet à trois euros vingt. A la table voisine sont trois handicapées et leurs deux accompagnatrices, derrière moi une famille à enfançon. Nul propos à en noter.
Nous sommes une dizaine au retour dans le BreizhGo de treize heures onze. Il arrive à Quimper juste à temps pour que je chope un bus A qui me monte en haut de la côte.
                                                                          *
Le Minaret, situé à l'embouchure de l'Odet, est le nom courant de la Villa Magdalena. Elle a été construite entre mil neuf cent vingt-six et vingt-huit par Albert Laprade et son assistant Léon Bazin pour Maurice Heitz-Boyer, l’architecte et le commanditaire ayant tous deux séjourné au Maroc, Laprade en tant qu'architecte et urbaniste, Heitz-Boyer comme médecin de Thami El Glaoui, pacha de Marrakech, apprends-je de Ouiquipédia.
                                                                          *
Comment passer par Bénodet sans évoquer Le Monologue shakespearien de Vincent Delerm :
Pendant la deuxième scène en fait j'imaginais
Ses vacances y a deux ans sur la plage de Bénodet
                                                                          *
Bénodet vu par Guillaume Apollinaire en mil neuf cent dix-sept :
Je vous aime ce soir où monte la marée, / Bateaux de Bénodet à la voile azurée, / Pêcheurs de Loctudy dont les filets d'azur / Se confondent avec la mer et le ciel pur. / Cependant que l'Odet bleu comme une prière / Pâlit et que là-bas, chaque phare s'éclaire / L'Odet / Est la plus bleue et la plus claire / Rivière / Loin de la guerre atroce et des coups de canon / Bénodet ne sait pas celle-là qu'il préfère / La mer aux mille écueils ou sa tendre rivière / L'Odet plus douce encore que ne sonne son nom / Mais le temps passe il faudra bien que tu t'en ailles / Laissant Quimper et le Comté de Cornouailles
 

25 mai 2021


Craignant fort que ce Lundi de Pentecôte soit à Quimper aussi mort qu’hier et par ailleurs le temps, entre averses et coups de vent, ne m’offrant pas la possibilité de lire sur un banc, je me résous à ne pas quitter de la journée le studio où je loge. Ce n’est pas une punition car j’y suis bien, avec pour vis-à-vis la forêt.
Mon logement Air Bibi est meublé simplement. Le lit y est confortable. On y trouve tout ce dont je ne me servirai pas pour faire la cuisine. Il bénéficie même du chauffage central la nuit. Sa salle d’eau est la plus petite que je crois avoir utilisée dans ma vie, un mètre sur deux environ, où sont logés douche, lavabo et toilettes. Je n’y trouve rien à redire. Ce serait être bien exigeant alors que je ne paie, tous frais inclus, que vingt-cinq euros la nuit.
J’étais seul à l’étage les premiers jours mais avec cette Pentecôte est arrivé un jeune couple dans l’un des deux appartements qui ont toilettes dans le couloir. Je ne peux m’en plaindre, le bruit qu’ils font est celui de la vie quotidienne. Pas de musique, pas de télé, c’est ce qui m’importe. Pour le sexe, soit ils s’en passent, soit ils sont on ne peut plus discret.
Ces studios sont à l’étage d’une maison mitoyenne en ravalement de façade. Depuis que je suis là les ouvriers n’ont pas encore fait leur apparition sur l’échafaudage.
Posé ainsi pour la journée, j’organise la suite de mon séjour en Finistère Sud (à partir de maintenant, il va s’agir de rayonner autour de Quimper) et je poursuis ma relecture du Journal des Goncourt.
                                                                         *
Quelques méchancetés signées Jules et Edmond :
Gautier allant de la rue de la Tour-d’Auvergne au Temps corriger ses épreuves : chemise rose ouverte, pantalon gaine gris, pantoufles vertes. Mil huit cent cinquante-trois 
La première fois que Gavarni vit Balzac, c’était chez Girardin et Lautour-Mézeray, du temps de La Mode. Il vit un homme gros, de très jolis yeux noirs, un nez retroussé et un petit peu cassé, parlant beaucoup et fort. Il le prit pour un commis de librairie. Mil huit cent cinquante-cinq
Corot, l’homme heureux par excellence. Quand il peint, heureux de peindre ; quand il ne peint pas, heureux de se reposer. Heureux de sa petite fortune, quand il n’avait pas hérité ; heureux de son héritage, quand il a hérité. Heureux de son obscurité, quand il n’était pas connu ; heureux de ses succès – et tirant tous les mois son coup avec quelque sale modèle qui vient le voir. Mil huit cent cinquante-cinq
 

24 mai 2021


Il faut se rendre à l’évidence : le dimanche matin à Quimper, aucun café n’est ouvert. C’est donc sur un banc face à Laennec statufié que je mange croissant et pain au chocolat.
Profitant d’un ciel bleu qui ne durera pas, je marche au hasard dans les rues pavées, découvrant ainsi l’Hôtel de Boisbilly, ancienne résidence du chanoine éponyme, où habita aussi, début des années cinquante, Polig Montjarret, « le père des bagadoù ». Je passe ensuite devant la maison natale de René Madec qui fut au dix-huitième siècle « Nabab de 1ère classe dans l’Inde ».
Bientôt j’atteins le Steïr, affluent de l’Odet, que je remonte un moment par un chemin paisible de Grande Randonnée. Dans cette jolie rivière nagent la truite fario et le saumon atlantique, en toute discrétion.
Arrivé à un rond-point, je rebrousse et, faute de café pour m’accueillir, je vais lire le Journal des Goncourt sur un banc au soleil contre les vestiges des fortifications qui entouraient la ville. Passent devant moi des familles dont je mets un moment à comprendre qu’elles vont à la messe.
Quand les nuages apparaissent, en l’absence de bus, je remonte à pied la méchante côte qui mène à mon chez moi temporaire. L’après-midi sera à la pluie.
                                                                        *
Ne pas confondre le Steïr, affluent de l’Odet et le Ster, petit fleuve côtier situé dans la commune de Plobannalec-Lesconil, précise Ouiquipédia
                                                                        *
Outre Max Jacob, René Laennec et René Madec, sont également nés à Quimper : Jacques Villeglé (rien vu de lui au Musée) et Dan Ar Braz (il y vit toujours). Pierre-Jakez Hélias y est mort. Julien Gracq y a vécu.
 

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