Le Journal de Michel Perdrial

Le Journal de Michel Perdrial




Loïc Boyer
Je suis l’auteur de textes courts qui furent publiés depuis mil neuf cent quatre-vingt-quinze dans des revues littéraires en France (Supérieur Inconnu, Supplément d’Ame, Nouvelle Donne, Le Bord de l’Eau, Pris de Peur, l’Art du Bref, Sol’Air, Gros Textes, Salmigondis, Verso, Décharge, Bulle, Filigranes, Diérèse, Martobre, Comme ça et Autrement, (Cahier d’) Ecritures, La Nef des Fous), en Belgique (Traversées, Ecrits Vains, L’Arbre à Plumes, Inédit Nouveau, Bleu d’Encre), au Canada (Les Saisons Littéraires) et en Italie (Les Cahiers du Ru).
Les courageuses Editions du Chardon ont publié en mil neuf cent quatre-vingt-dix-neuf Erotica, un recueil de vingt-huit de ces textes, illustré par Isabelle Pio et Antoine Lopez et préfacé par Sarane Alexandrian, toujours disponible auprès de moi.
Je suis également l’auteur d’une pièce de théâtre et de plusieurs romans ou récits à ce jour inédits.
Depuis le onze novembre deux mille six, je publie mon Journal via Internet, un temps sous-titré Persiflages, moquages et autres énervages mâtinés de complimentages et de contentages. Sa première partie est lisible chez Eklablog, la deuxième ici.
Je vis au centre de Rouen dans un ancien monastère où autrefois les Sœurs de la Miséricorde se vouaient à l’éducation des jeunes filles.







Rss

19 avril 2020


Une bonne nouvelle ce samedi au lever : Macron a décidé que les vieux seront libérés en même temps que le reste de la volaille, sous leur entière responsabilité. Je craignais tant qu’il en soit autrement, sur l’injonction des vieux médecins, que j’en étais venu à envisager la pire extrémité : reprendre officiellement le travail pour échapper à cette mesure discriminatoire, en me déclarant auto-entrepreneur. Tout en ne travaillant pas, simplement pour bénéficier de la liberté de mouvement. Renseignements pris, ce n’est aussi simple. Il ne suffit pas de s’inscrire, d’obtenir une immatriculation professionnelle, et basta. Bon, n’en parlons plus, avant que, autre piste envisagée, je me fasse teindre les cheveux pour échapper au contrôle au faciès, l’affaire est réglée. Du moins, je l’espère.
C’est jour de concert à la Cathédrale. Le carillonneur ne manque pas de rendre hommage à Christophe en commençant par Les Mots bleus, puis vient La Tendresse de Bourvil, ensuite je ne sais pas. Pendant ce temps j’avance dans ma lecture du premier tome du Journal de Samuel Pepys. La peste est à Amsterdam, les bateaux arrivant sur la Tamise sont mis en quarantaine pour trente jours.
Vivant à l’heure solaire, je dois attendre un peu plus longtemps chaque jour que l’ombre soit suffisante pour m’installer dehors avec mon ordinateur, relisant pour le noter dans sa mémoire ce que du Journal intégral de Julien Green m’a semblé le plus percutant. Ainsi le lundi quatorze novembre mil neuf cent trente-deux : Rencontré hier, dans le tramway, Mauriac qui me demande si je ne veux pas faire une vie de saint pour une nouvelle collection qu’il dirige ! Maurois fera saint Ignace ! Vaudoyer, sainte Hélène ! Ah, quelle ignoble cochonnerie que ces petits hommes ! Nous aurons bientôt la vie pure et glorieuse de sainte Nitouche, la vie tourmentée de saint Glinglin, etc. Mauriac qui ne peut s’empêcher de rire, un peu gêné, me propose saint Louis de Gonzague, qui refusait d’embrasser sa mère parce que cette action est entachée d’impureté. Que je méprise ce catholicisme de littérateurs !
                                                                *
Encore quelques Jacques Brel écoutés ce jour : son concert à l’Olympia en mil neuf cent soixante-quatre, Aux suivants (des reprisses intéressantes, notamment par Bashnug, Arno, Annegarn) et sa comédie musicale L'Homme de la Mancha où je trouve une description parfaite de la situation actuelle : Pauvre monde, insupportable monde / C'en est trop, tu es tombé trop bas / Tu es trop gris, tu es trop laid.
Aussi ce conseil pour plus tard : Partir où personne ne part.
 

18 avril 2020


La nouvelle redoutée me parvient au réveil ce vendredi : Christophe est mort. Plus d’un demi-siècle de compagnonnage sonore cesse en cette détestable année deux mille vingt. J’avais quatorze ans en mil neuf cent soixante-cinq, époque des tubes de l’été et du hit-parade, lorsque Aline de Christophe et Capri c’est fini d’Hervé Vilard se livraient à une rude bataille pour la tête du classement sur les ondes d’Europe Numéro Un et de Radio Luxembourg. Ensuite les chansons de Christophe, le dandy de nuit, aux paroles souvent guimauve mais sublimées par la musique (le son, comme il disait) et par sa voix, m’ont le plus souvent séduit d’année en année. Une unique fois je le vis sur scène, un concert d’excellente qualité, au Hangar Vingt-Trois en novembre deux mille dix ; j’ai raconté ça dans ce Journal.
Bizarrement, sa famille s’entête à dire qu’il est mort d’un emphysème. S’il était atteint de cette maladie chronique (facteur de comorbidité), il l’était surtout du Covid Dix-Neuf puisqu’il a fait partie d’un convoi de malades transportés de Paris à Brest. On dirait que sa femme et sa fille pensent qu’il s’agit d’une maladie honteuse.
A huit heures trente-cinq, muni d’une officielle dérogation dont la date et l’heure sont renseignées au stylo magique, j’entre chez U Express et emplis rapidement mon panier. Alors que je suis à la caisse s’approche de moi un bièreux venu chercher sa dose dont la toux m’inquiète. Du doigt, je lui enjoins de rester à distance.
-Je tousse mais c’est pas le corona, me dit-il, je tousse comme ça tous les matins.
Je préfèrerais qu’il se taise. Déjà, en temps normal, je ne supportais pas ce type d’affranchi à capuche, alors en cette saison,…
C’est fou le nombre de chansons que Jacques Brel a consacré au thème de la mort, me dis-je en achevant ma réécoute du dixième cédé du coffret que je possède, acheté il y a longtemps au vide grenier des Andelys. Et qui mieux que lui a évoqué, avec sa chanson Les Vieux, la vie de celles et ceux pour qui le confinement est à perpétuité.
Après avoir essuyé du banc les traces d’une averse, c’est dans un calme appréciable que je poursuis ma lecture du Journal de Samuel Pepys. Jaloux de l’intérêt que sa femme porte à son professeur de danse, il l’expédie à la campagne chez ses parents à lui et, en son absence, oublie ses bonnes résolutions avec des femmes qu’il se reproche ensuite d’avoir « chiffonnées », « lutinées » ou « patinées ».
Depuis quelques jours des fleurs blanches en forme de calice embellissent le jardin et ce vendredi, au faîte d’un bâtiment voisin, un oiseau lance des trilles jamais entendus. Je ne connais ni le nom de la plante ni celui du volatile et n’ai pas envie de les savoir.
                                                                               *
Capri c’est fini était la chanson préférée de Marguerite Duras. J’ai entendu un jour Yann Andréa avec qui elle formait un couple hors du commun, raconter sur France Culture que lors d’une de leurs disputes, alors qu’il quittait les lieux avec son sac, elle lui avait lancé le quarante-cinq tours d’Hervé Vilard du balcon de son appartement des Roches Noires. Sur la pochette, elle avait rageusement écrit : « Cette fois c’est vraiment fini ». Quelques jours plus tard il sonnait à sa porte. Elle le fit entrer et la première chose qu’elle voulut savoir,  c’est s’il avait le disque d’Hervé Vilard.
 

17 avril 2020


Ayant appris que Guillaume Erner avait repris l’antenne honteusement laissée à France Inter j’abandonne France Musique ce jeudi matin pour les Matins de France Culture. L’émission est à peu près la même qu’avant, sauf que France Inter y crache toujours ses informations. J’essaie d’éviter les postillons.
Je manque dix minutes d’émission pour être à sept heures trente-cinq à la boulangerie où la patronne n’est toujours pas munie de masque. Depuis le début de la confinerie, j’y dépense la monnaie de ma bourse spéciale vide greniers, lesquels ne sont pas prêts d’avoir à nouveau lieu, et quand bien même seraient-ils autorisés que je n’irais pas.
A partir de mil neuf cent soixante-deux, Jacques Brel, cela devient vraiment bien. J’ai le temps d’écouter deux cédés avant d’aller lire Pepys au soleil sur le banc puis, la température ayant remonté, je peux à nouveau sortir plateau et tréteaux pour taper mes notes concernant le Journal intégral de Julien Green.
A 5 heures, visite de Stefan Zweig, petit Juif aimable qui me fait des compliments. Comme nous parlons des menaces de l’avenir, il me dit : « Rendons grâces à Dieu de ce que, dans une création où tant de choses nous sont hostiles, les éléphants n’ont point d’ailes, ni l’Allemagne d’unité. » Il ne croit pas au danger du pangermanisme, mais bien à la fin du monde tel que nous l’avons connu. « Vous verrez, dit-il, tout se fera par des usines. Il n’y aura plus de petits relieurs, plus de raccommodeurs de porcelaine dans les rues. » Si c’est vrai, j’aime mieux m’en aller. écrivait Julien Green le mercredi trente décembre mil neuf cent trente et un.
Avant de me replier dans l’appartement j’ouvre ma boîte à lettres qui est le plus souvent vide. Pas cette fois, deux missives s’y trouvent.
Sur l’enveloppe de la plus grande, bien qu’elle ne m’ait pas écrit depuis plusieurs années, je reconnais l’écriture de celle qui est confinée à Paris. A l’intérieur, je découvre une lettre d’icelle accompagnée d’une liasse d’attestations de déplacement dérogatoire et de stylos magiques permettant d’effacer date et heure. Cette surprise, qui a mis neuf jours à me parvenir, me fait du bien.
L’autre courrier m’est envoyé par la Direction de la Solidarité et de la Cohésion Sociale de la Ville de Rouen. On me propose de m’inscrire au Plan d’Alerte Solidarités Seniors au titre de personne « fragile ». Cette circulaire est signée par le toujours Maire de Rouen. Il a un an de plus que moi. Yvon, rentre à la maison.
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Hospitalisé en Espagne depuis la fin du mois de février, l’écrivain chilien Luis Sepulveda, soixante-dix ans,  est mort ce jour du Covid Dix-Neuf.
 

16 avril 2020


Ce n’est pas sans appréhension que je me prépare à aller à la Grande Pharmacies du Centre ce mercredi matin afin de renouveler les gouttes qui permettent à mes yeux de subir moins de tension. Une pharmacie, c’est un lieu dangereux puisque fréquenté par des malades, dont ceux du coronavirus.
Pour être le premier client je m’y rends dès huit heures cinquante. De quoi profiter pendant dix minutes de la beauté de la Cathédrale qui lui fait face. Nul ne me rejoint et à l’ouverture je suis seul et rassuré. Mon ordonnance a épuisé ses six renouvellements, mais de manière dérogatoire la pharmacienne me délivre un nouveau flacon du médicament qui donne l’illusion d’être soigné. Aurai-je le temps de devenir aveugle avant d’être mort ? La réponse n’est plus la même désormais.
Si le jardin où je suis cloîtré pour lire Pepys a l’avantage de ne pas être trop sujet au vent frais, il est en revanche soumis aux aléas de la vie en codétention.
-Ça vous gêne pas la musique pour lire ? me demande le voisin du troisième quand il passe devant moi.
-Faut s’accommoder de tout, lui réponds je.
-Oui mais y a aucun respect.
Encore un qui voudrait que ce soit moi qui me mêle de ce problème à sa place. Il n’en est pas question. Ayant eu pour habitude, avant-guerre, de lire dans des cafés à musique forte, je suis rôdé. Par ailleurs, j’ai décidé de ne plus m’occuper de ce qui se passe dans la copropriété.
En ayant terminé avec Brassens, c’est en écoutant Jacques Brel, dont je possède un coffret de dix cédés, que je poursuis le tapotage des notes de lecture du premier tome du Journal intégral de Julien Green. Les débuts de Brel furent laborieux, que de niaiseries religieuses dans ses premières chansons, mais on y trouve quelques pépites, dont les antireligieuses Grand Jacques, Le Diable ou La Dame patronnesse.
Le mardi vingt-deux décembre mil neuf cent trente et un, Julien Green écoutait lui aussi un disque : Après déjeuner, audition d’un disque de Joyce écouté dans un silence religieux, ce qui me fait sourire, car l’érotisme de Joyce est d’une souveraine impudeur, mais comme c’est en anglais, cela passe très bien. Louis Gillet, texte en main (Anna Livia Plurabelle), commente les saletés à mi-voix, assis tout près d’Anne qui est fort gênée. J’entends le vieux satyre qui murmure : «  Oui, virginals, c'est-à-dire les appâts, la poitrine, les seins d’une fillette qui n’est pas encore mûre. » J’ai l’impression qu’il trouve Anne à son goût. (Anne est la sœur de Julien qui a pour amant Robert, tous trois vivant dans le même appartement).
                                                                     *
Hallucinant de voir à la télé ce vieux médecin, Président du Conseil Scientifique, déclarer qu’il faudra que les vieux soient confinés jusqu’à la fin de l’année. Qu’il commence par donner l’exemple en restant à la maison.
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Autre vieux médecin pas à la maison, Professeur Raoult, le Mage de Marseille. Il déclare que par chez lui la pandémie disparaît avec l’arrivée du printemps. A son début, il déclarait « Ce virus n'est pas si méchant, ce n'est pas un meurtrier aveugle. »
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Vouloir maintenir les vieux en détention, c’est avouer que les gestes barrières (comme ils disent) ne suffisent pas, et donc que tout le monde est en danger et devrait rester confiné.
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Discriminer les vieux, c’est une mesure non autorisée par la loi. J’espère qu’il y aura des associations pour mettre cette affaire devant la Justice.
 

15 avril 2020


Ce mardi, arrivant un peu après l’ouverture chez U Express, je constate que les employé(e)s, en sus de leur masque, portent désormais une sorte de visière en plexiglas qui leur couvre le visage. Je pense être le seul client, jusqu’à ce qu’à un croisement d’allées je découvre une jeune et jolie personne qui s’efface pour me laisser passer avec un grand sourire que je lui rends. Depuis combien de jours un tel échange de sourires ne m’avait-il pas été permis ?
Poursuivant ma réécoute des disques de Brassens dans l’ordre chronologique, j’arrive à sa période insupportable, d’abord avec Misogynie à part, un monument de beauferie, puis, et là on touche le fond, avec Les Casseuses Quand vous ne nous les caressez / Pas, chéries, vous nous les cassez., une chanson dans laquelle il qualifie sa femme de « bâton merdeux ». J’en ai assez entendu. Je me signe une attestation dérogatoire me donnant le droit de ne pas écouter les six cédés de ses concerts à Bobino et ailleurs, mets quand même dans ma platine Les oiseaux de passage, le cédé de reprises de ses chansons par la jeune génération, dans lequel je ne trouve guère de bon.
Toutefois j’étais quelque peu irrité par la négligence de ma femme, qui a laissé son écharpe, son corselet et ses vêtements de nuit dans la voiture qui nous a ramenés aujourd’hui de Westminster ; j’avoue qu’elle me les avaient confiés – mais elle est fautive de ne s’être pas assurée que je les avais effectivement sortis de la voiture. écrit Samuel Pepys, le six janvier mil six soixante-trois. Cette absolue mauvaise foi me ravit. J’en suis à un peu plus de la moitié des mille trois cent cinquante pages du premier tome de son Journal que malgré la fraîcheur le soleil me permet de lire encore une fois sur le banc du jardin.
Dans l’après-midi m’appelle celle qui est confinée dans la capitale et est plus libre de circuler que moi en raison de son statut de travailleuse indépendante. Grâce à la distanciation sociale, elle peut se permettre les petites robes de printemps que lui interdisait le harcèlement de rue. Cela lui rappelle son année new-yorkaise pendant laquelle elle se vêtait de tenues impossibles à mettre à Paris. Je me souviens du petit chorte vert qu’elle portait le jour où elle m’accueillit à JFK Airport.
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Le Tour de France en août septembre ? On voit par-là qu’on n’a pas les pieds sur terre quand on fait du vélo.
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Leçon à tirer des deux guerres précédentes, l’une ne devait durer que quelques mois, l’autre ne jamais commencer, cinq années pour la première, sept pour la deuxième.
 

14 avril 2020


Programme inhabituel ce lundi matin sur France Musique, une agréable musique planante non interrompue par un commentaire, qui dure et dure et n’est toujours pas terminée lorsque je reviens de la boulangerie avec un pain de la Jeanne. Au bout de deux heures, j’apprends que j’ai entendu la fin de Sleep, une œuvre de huit heures signée Max Richter, qui l’a composée « il y a cinq ans comme une invitation à marquer une pause dans le rythme effréné de notre quotidien. » Cette diffusion de Sleep, à l’initiative de Bibici Radio et de l’Union Européenne de Radio-Télévision était unique et malheureusement pas réécoutable.
Après cela, je poursuis la réécoute de tous mes cédés de Brassens et arrive à la période où ça se gâte, inaugurée par Les Copains d’abord (je déteste cet hymne masculiniste). A partir de là, on sent l’effort dans l’écriture de la plupart des chansons. D’ailleurs, elles durent deux fois plus longtemps que les premières. Ce sont souvent des discours (voire des sermons) mis en musique.
Quand le soleil est sur le banc, j’y vais poursuivre ma lecture de Pepys, vêtu d’un pull car le vent souffle, faisant gonfler le pansement de la flèche de la Cathédrale. Le calme règne, seulement troublé par le viol d’une pigeonne.
L’après-midi, c’est à l’intérieur que je continue à taper mes notes du Journal intégral de Julien Green où parfois l’on peut prendre des leçons d’écriture : Je veux dire que deux phrases étant écrites, il doit en exister une troisième non écrite qui joint ces phrases de telle sorte que sans elle les mots tracés sur le papier perdent quelque chose de leur sens. (six août mil neuf cent trente et un) 
L’événement du jour est à vingt heures deux. Notre Président annonce que certains pourront sortir progressivement du confinage à partir du onze mai « si tout va bien ». Ce « si tout va bien » montre l’incertitude qui règne, mais il faut bien que la marmaille retourne à l’école si on veut renvoyer les parents au labeur. Il serait « absurde » de dépister le virus dans toute la population, déclare-t-il. C’est qu’on n’a pas de quoi le faire, lui réponds-je, tout comme auparavant il était absurde que chacun porte un masque. Les deux vélotypistes de Caen, Sylvia Costy et Laurianne Lecapitaine, chargées de sous-titrer en direct son message créent à cette occasion un néologisme en forme de mot-valise qui en dit long sur notre avenir : « le foutur ».
                                                                  *
Plus tôt dans la journée, Nicolas Mayer-Rossignol, qui se croit toujours le prochain Maire de la ville, déclare : «Faisons de Rouen une Capitale de l’Après». Ce garçon en est un de capital.
                                                                  *
Il pleut à verse. Tu n’as pas de parapluie. Tu te mets à l’abri sous l’auvent d’une boutique. Tu attends. Ça ne devrait pas durer plus de cinq minutes. Mais non, ça dure. Dix minutes. Un quart d’heure. Au bout de vingt minutes, tu ramasses un vieux journal qui traîne par terre. Tu le mets au-dessus de ta tête et reprends ton chemin. Lorsque tu arrives chez toi, tu es aussi trempé que si tu n’avais pas attendu, ta protection grand public n’a servi à rien et tu as perdu vingt minutes. Toute comparaison avec des faits réels et contemporains ne serait pas inappropriée.
 

13 avril 2020


Pâques est là, que je célèbre par une promenade matutinale dans les limites autorisées par la loi d’exception à laquelle nous ont soumis les médecins qui nous gouvernent. Départ vers Saint-Maclou puis rue Martainville où j’entends venir derrière moi une sorte de locomotive. C’est une jeune coureuse qui souffle des naseaux, expectorant à tout va. Heureusement qu’elle passe à cinq mètres de moi.
Avec la rue Armand-Carrel, je rejoins l’église Saint-Vivien, constate que tout le monde dort à la Gendarmerie, puis par la rue Eau-de-Robec arrive à la Croix de Pierre où sont ouvertes les deux boulangeries, l’industrielle aux gâteaux à un euro et l’artisanale plus chère.
Un peu plus loin se trouve la librairie anarchiste L’Insoumise. Une pancarte l’annonce en vente. C’est que le pignon du bâtiment dont elle occupe le rez-de-chaussée menace ruine et que les anars n’ont pas les moyens de payer leur part de travaux. Il ne faut jamais céder aux sirènes de l’accession à la propriété. Ils ont pourtant dû le lire dans les livres qui sont à l’intérieur. Peut-être y trouve-t-on aussi des exemplaires de mon recueil de nouvelles Erotica que j’y avais mis en dépôt et ne suis jamais allé rechercher.
Je tourne ensuite à gauche, pensant traverser le square Marcel-Halbout, mais ses grilles sont cadenassées à l’aide d’une chaîne. J’ai des souvenirs dans ce jardin et dans la rue piétonnière que j’emprunte pour le contourner. Certains jours, celle qui est confinée à Paris m’y rejoignait pour pique-niquer quand elle était en classe préparatoire au Lycée de la Jeanne.
Je prends ensuite la rue Orbe où la Police Municipale a baissé le rideau et arrive à la Chapelle Corneille. Cette salle de concert affiliée à l’Opéra me paraissait déjà dangereuse avant, du fait des difficultés à en sortir ; je ne suis pas prêt d’à nouveau y entrer. Bientôt, je suis devant le Musée des Beaux-Arts puis de retour à la maison.
Surprise à onze heures trente, c’est concert pascal de carillon. Il est suivi à midi d’une retentissante clocherie de dix minutes. Christ est ressuscité.
Qu’arrive-t-il à Samuel Pepys, dont je poursuis la lecture du Journal au jardin, le voilà qui s’assagit. Plus de vin, plus de théâtre, plus d’infidélités conjugales, il ne parle que de son travail et de l’argent que ça lui rapporte. J’avance en diagonale, m’arrêtant à ses tentations et aux quelques manquements à ses bonnes résolutions, ainsi qu’aux évènements imprévus.
L’après-midi, tapotant mes notes de celui de Julien Green, je relève ceci à la date du vendredi vingt-sept mai mil neuf cent vingt-six : La vieillesse est un châtiment. Ce châtiment est suffisant en lui-même. Pas la peine d’en rajouter en discriminant les vieux, comme on le fait actuellement.
Après avoir lu un article du Figaro annonçant que l’Union Européenne souhaite qu’ils ne soient pas déconfinés avant l’élaboration d’un vaccin, j’appelle ma sœur, mais ce n’est pas sur elle que je peux compter pour pester avec moi. Légaliste comme elle est, on l’enfermerait chez elle avec de la nourriture déposée à sa porte une fois par semaine, comme ce fut le cas en Chine, qu’elle applaudirait.
                                                              *
J’enrage, je fulmine, je ronge mon frein.
                                                              *
Covid Dix-N’œuf de Pâques, personne ne l’a faite celle-là, il faut bien que je me dévoue.
 

12 avril 2020


« Ce sera ouvert lundi de Pâques », me dit la boulangère désormais habituée à ce que je sois son premier client tous les deux ou trois jours, assuré que je suis d’être seul dans la boutique.
Mon pain rangé, en raison de la température anormalement élevée, je lis Pepys sur le banc du jardin avant même que le soleil l’atteigne. Point de concert de carillon pour égayer ce samedi matin, la faute à la mort de Jésus, mais j’ai droit, comme mes codétenus, à une nouvelle bouffée de décibels, moins forte néanmoins que la veille.
-Ça ne vous dérange pas la musique trop forte ? me demande le copropriétaire du premier quand il descend pour faire ses courses.
-Ah ça, moi je ne suis pas propriétaire, ce ne n’est pas à moi de m’occuper de ça, lui réponds-je.
-Bon bah, bonjour quand même, me dit-il en filant à grandes enjambées.
Le calme revient de lui-même puis le soleil trop chaud me fait rentrer. J’écoute les trois Brassens suivants.
L’après-midi, je commence le tapotage de mes notes de lecture du Journal intégral du jeune Julien Green qui, s’il avait une vie sexuelle des plus désordonnées, faisait preuve dans d’autres domaines d’une sagesse précoce. Ainsi quand il écrivait, le vingt-sept avril mil neuf cent vingt-neuf : Plon m’offre un contrat qui m’engagerait pour quinze ans. Que de guerres et de révolutions auront balayé les contrats avant 1945. C’est déjà beaucoup de vivre cinq ans, dix ans sans grand dommage. Loin d’empoisonner ma vie, cette pensée qui me quitte rarement donne à l’heure présente une saveur extraordinaire. Tout projet d’avenir me paraît de plus en plus futile. Mais faisons comme si tout était solide et travaillons jusqu’à ce que tout s’écroule.
Soudain, faisant office d’oies du Capitole, les goélands lancent l’alerte. Un drone survole le quartier, bourdonnant comme une grosse mouche. Je ne sais s’il est dirigé par un policier à fin de contrôle ou un journaliste à fin d’images de rues désertes. Certains s’esbaudissent encore devant le spectacle des rues vides. Comme s’il pouvait en être autrement. De même m’étonne l’étonnement de ceux qui font des photos d’animaux profitant de la place libérée par les humains.
                                                                      *
Sinon le circus virule toujours, comme dirait Edouard. Il n’est pas prêt de disparaître. Le confinement l’ayant ralenti, il a encore une belle capacité de progression. Il ne faudrait donc jamais décider de la fin du bouclage. On est dans une impasse.
                                                                      *
Il fut un temps où les gauchistes de différentes obédiences criaient aux lois liberticides (après les attentats, après les exactions des Gilets Jaunes). Dans la situation présente, ils se taisent. Ceux qui ruent dans les brancards sont plutôt à rattacher au camp des anarchistes de droite (si cette dénomination à un sens), des individualistes du genre Sylvain Tesson.
                                                                     *
Celui-ci vient de se faire rabrouer par un professeur de médecine pour avoir critiqué les Gilets Jaunes. Après que les médecins ont pris le pouvoir sur les politiciens, en voilà maintenant un qui entend décréter ce qui est convenable en matière d’opinion, un hygiéniste de la pensée.
                                                                     *
Le point commun entre ceux qui ont la capacité de mettre les politiciens au pas : un titre précédant le patronyme :
-Bonjour, Général Ladéfaite.
-Professeur Limpuissant, enchanté !
                                                                     *
Premier quotidien régional victime de la catastrophe économique, Paris Normandie dépose le bilan.
 

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