Dernières notes
Loïc Boyer
Je suis l’auteur de textes courts qui furent publiés depuis mil neuf cent quatre-vingt-quinze dans des revues littéraires en France (Supérieur Inconnu, Supplément d’Ame, Nouvelle Donne, Le Bord de l’Eau, Pris de Peur, l’Art du Bref, Sol’Air, Gros Textes, Salmigondis, Verso, Décharge, Bulle, Filigranes, Diérèse, Martobre, Comme ça et Autrement, (Cahier d’) Ecritures, La Nef des Fous), en Belgique (Traversées, Ecrits Vains, L’Arbre à Plumes, Inédit Nouveau, Bleu d’Encre), au Canada (Les Saisons Littéraires) et en Italie (Les Cahiers du Ru).
Les courageuses Editions du Chardon ont publié en mil neuf cent quatre-vingt-dix-neuf Erotica, un recueil de vingt-huit de ces textes, illustré par Isabelle Pio et Antoine Lopez et préfacé par Sarane Alexandrian, toujours disponible auprès de moi.
Je suis également l’auteur d’une pièce de théâtre et de plusieurs romans ou récits à ce jour inédits.
Depuis le onze novembre deux mille six, je publie mon Journal via Internet, un temps sous-titré Persiflages, moquages et autres énervages mâtinés de complimentages et de contentages. Sa première partie est lisible chez Eklablog, la deuxième ici.
Je vis au centre de Rouen dans un ancien monastère où autrefois les Sœurs de la Miséricorde se vouaient à l’éducation des jeunes filles.
Les courageuses Editions du Chardon ont publié en mil neuf cent quatre-vingt-dix-neuf Erotica, un recueil de vingt-huit de ces textes, illustré par Isabelle Pio et Antoine Lopez et préfacé par Sarane Alexandrian, toujours disponible auprès de moi.
Je suis également l’auteur d’une pièce de théâtre et de plusieurs romans ou récits à ce jour inédits.
Depuis le onze novembre deux mille six, je publie mon Journal via Internet, un temps sous-titré Persiflages, moquages et autres énervages mâtinés de complimentages et de contentages. Sa première partie est lisible chez Eklablog, la deuxième ici.
Je vis au centre de Rouen dans un ancien monastère où autrefois les Sœurs de la Miséricorde se vouaient à l’éducation des jeunes filles.
27 avril 2020
Sept heures cinq, départ de la sortie dominicale dans la limite autorisée de temps et de distance, je mets le cap sur la place Saint-Marc que je traverse en quasi diagonale afin de rejoindre le quai haut de la Seine pas loin de l’endroit où je sais un double portillon permettant de traverser la voie ferrée. J’accède ainsi au quai bas par ce passage emprunté autrefois avec celle qui me tenait la main, le dimanche justement, quand il s’agissait de se balader librement après avoir fait peu d’emplettes au marché.
Je prends d’abord à ma gauche vers Amfreville-la-Mivoie, passant près de péniches d’habitation dont beaucoup témoignent dans leurs abords d’un laisser-aller assez comparable avec celui que l’on trouve à la campagne dans certaines fermes. L’une a nom Docteur Paradis, promesse de remède miracle ou d’envoi direct ad patres. Une autre s’appelle Sécurité, rappel à l’ordre bienvenu quand il s’agit de côtoyer un de ces coureurs à expectoration intense. Il semble qu’on ne puisse fréquenter ce lieu sans se prendre pour un sportif.
A hauteur de la déchetterie, je fais demi-tour, repasse devant le portillon qui m’a permis d’entrer, puis continue en direction du pont Corneille. Lui passé par en dessous, je trouve là le Bizet, un de ces navires de croisière fluviale qui autrefois déversait de vieux touristes par dizaines dans la ville avec passage obligé dans ma ruelle. Devenu immobile, il n’en fait pas moins tourner ses moteurs. Près de lui est amarré le Cyclone, un porte-conteneurs transportant de la marchandise chinoise, appartenant à Bolorré Logistics.
Un peu après le pont de la Jeanne, je suis obligé de rebrousser car l’heure tourne, ne pouvant donc aller voir de près un tronc d’arbre qui flotte au milieu du fleuve un peu plus loin. Je remonte par l’escalier qui débouche sur l’Opéra, dont les affiches annoncent un concert qui n’a jamais eu lieu. J’en traverse le parvis en diagonale, fait de même avec celui de la Cathédrale. Huit heures sonnent à son clocher quand j’arrive à ma porte.
J’écoute ensuite trois cédés de Christophe : Les paradis perdus, Clichés d’amour et Bevilacqua. J’ai un faible pour Clichés d’amour, que je possède également en vinyle, disque de reprises en français de standards anglophones et hispanophones un peu dégoulinants.
Je bénéficie du calme et du ciel bleu pour passer le reste de la journée avec Samuel Pepys et Julien Green, terminant le tapotage de mes extraits choisis du Journal du second, lequel à l’approche de la guerre, ne trouve plus l’énergie de poursuive régulièrement son activité de diariste.
Il faut l’admirable inconscience de Pepys pour tenir un journal digne de ce nom, croire plus que je ne le puis à la réalité de ce qui nous entoure. écrivait-il le cinq février mil neuf cent trente-neuf
Et certes, ce n’est pas le risque de mourir de la peste qui nuit à la soif de vivre de Pepys : … puis avec le capitaine Cocke, on alla boire une bonne pinte (que je m’autorise volontiers désormais en ces temps de peste, selon l’avis de tous et sans contrevenir au serment que j’ai fait, car mon médecin est mort et mon chirurgien trop loin pour que j’aille lui demander conseil)… (seize septembre mil six cent soixante-cinq)
Il faut dire que pour lui la mort est un don de Dieu.
*
Les jours ont beau être exactement les mêmes, vides de toute raison et de tout sens, je continue à ressentir le spleen du dimanche.
Je prends d’abord à ma gauche vers Amfreville-la-Mivoie, passant près de péniches d’habitation dont beaucoup témoignent dans leurs abords d’un laisser-aller assez comparable avec celui que l’on trouve à la campagne dans certaines fermes. L’une a nom Docteur Paradis, promesse de remède miracle ou d’envoi direct ad patres. Une autre s’appelle Sécurité, rappel à l’ordre bienvenu quand il s’agit de côtoyer un de ces coureurs à expectoration intense. Il semble qu’on ne puisse fréquenter ce lieu sans se prendre pour un sportif.
A hauteur de la déchetterie, je fais demi-tour, repasse devant le portillon qui m’a permis d’entrer, puis continue en direction du pont Corneille. Lui passé par en dessous, je trouve là le Bizet, un de ces navires de croisière fluviale qui autrefois déversait de vieux touristes par dizaines dans la ville avec passage obligé dans ma ruelle. Devenu immobile, il n’en fait pas moins tourner ses moteurs. Près de lui est amarré le Cyclone, un porte-conteneurs transportant de la marchandise chinoise, appartenant à Bolorré Logistics.
Un peu après le pont de la Jeanne, je suis obligé de rebrousser car l’heure tourne, ne pouvant donc aller voir de près un tronc d’arbre qui flotte au milieu du fleuve un peu plus loin. Je remonte par l’escalier qui débouche sur l’Opéra, dont les affiches annoncent un concert qui n’a jamais eu lieu. J’en traverse le parvis en diagonale, fait de même avec celui de la Cathédrale. Huit heures sonnent à son clocher quand j’arrive à ma porte.
J’écoute ensuite trois cédés de Christophe : Les paradis perdus, Clichés d’amour et Bevilacqua. J’ai un faible pour Clichés d’amour, que je possède également en vinyle, disque de reprises en français de standards anglophones et hispanophones un peu dégoulinants.
Je bénéficie du calme et du ciel bleu pour passer le reste de la journée avec Samuel Pepys et Julien Green, terminant le tapotage de mes extraits choisis du Journal du second, lequel à l’approche de la guerre, ne trouve plus l’énergie de poursuive régulièrement son activité de diariste.
Il faut l’admirable inconscience de Pepys pour tenir un journal digne de ce nom, croire plus que je ne le puis à la réalité de ce qui nous entoure. écrivait-il le cinq février mil neuf cent trente-neuf
Et certes, ce n’est pas le risque de mourir de la peste qui nuit à la soif de vivre de Pepys : … puis avec le capitaine Cocke, on alla boire une bonne pinte (que je m’autorise volontiers désormais en ces temps de peste, selon l’avis de tous et sans contrevenir au serment que j’ai fait, car mon médecin est mort et mon chirurgien trop loin pour que j’aille lui demander conseil)… (seize septembre mil six cent soixante-cinq)
Il faut dire que pour lui la mort est un don de Dieu.
*
Les jours ont beau être exactement les mêmes, vides de toute raison et de tout sens, je continue à ressentir le spleen du dimanche.
26 avril 2020
C’est le silence qui règne désormais chez U Express. Chaque employé(e), masqué(e) et plexiglasé(e), est occupé(e) à remplir les rayons en ne disant mot. Oubliées les bonnes blagues et les petites embrouilles d’avant. Côté clientèle, ce samedi matin, je n’ai qu’une jeune femme à éviter en remplissant mon panier, une opération encore une fois rondement menée.
A onze heures trente, alors que je lis Pepys sur le banc et sous un ciel provisoirement couvert, le carillon de la Cathédrale se rappelle à mon bon souvenir avec d’entrée de jeu, comme la semaine dernière, Les Mots bleus de Christophe puis des airs qui me sont familiers sans que je sache les reconnaître. Cet évènement hebdomadaire est le seul qui subsiste. Il empêche que je puisse dire : il n’y a plus rien.
J’en suis précisément à Christophe dans ma réécoute de cédés, n’ayant pas avancé assez vite pour que ce soit de son vivant. D’abord une réédition de ses chansons des années soixante où je suis heureux de retrouver l’antimilitariste Cette vie-là Adieu monde terrible / Adieu tu ne me referas plus / Le coup du petit soldat / Qui doit marcher au pas, puis une compilation à deux disques intitulée Succès fous.
Je me souviens avoir acheté cette dernière en solde au Printemps. C’était avant que je n’habite à Rouen. Depuis que j’y vis, je n’entre plus dans ce magasin. Autrefois, j’y achetais mes chaussettes, des Burlington.
J’ai du mal à le croire mais il fut une époque où je ne me procurais pas mes paires de chaussettes, toujours noires, par paquets de dix chez Céhéha.
*
Le soleil est de retour quand, protégé par l’ombre du bâtiment je poursuis ma prise de notes de lecture du premier tome du Journal intégral de Julien Green, dont celle-ci datée du lundi vingt et un juin mil neuf cent trente-sept :
Toujours pensé que les maladies, petites et grandes, et les accidents qui viennent déranger notre vie, montrent clairement la volonté qu’a la nature de se débarrasser de nous ; elle essaie par tous les moyens de nous affaiblir et de nous user.
*
Samuel Pepys, le trente août mil six cent soixante-cinq, alors que la peste fait des milliers de victimes chaque semaine à Londres et alentour :
Seigneur ! dans la rue, sur les visages et dans les conversations, il n’est rien d’autre que la mort, et fort peu de gens s’aventurent au-dehors, si bien que la ville est pareille à un lieu désert et abandonné.
A onze heures trente, alors que je lis Pepys sur le banc et sous un ciel provisoirement couvert, le carillon de la Cathédrale se rappelle à mon bon souvenir avec d’entrée de jeu, comme la semaine dernière, Les Mots bleus de Christophe puis des airs qui me sont familiers sans que je sache les reconnaître. Cet évènement hebdomadaire est le seul qui subsiste. Il empêche que je puisse dire : il n’y a plus rien.
J’en suis précisément à Christophe dans ma réécoute de cédés, n’ayant pas avancé assez vite pour que ce soit de son vivant. D’abord une réédition de ses chansons des années soixante où je suis heureux de retrouver l’antimilitariste Cette vie-là Adieu monde terrible / Adieu tu ne me referas plus / Le coup du petit soldat / Qui doit marcher au pas, puis une compilation à deux disques intitulée Succès fous.
Je me souviens avoir acheté cette dernière en solde au Printemps. C’était avant que je n’habite à Rouen. Depuis que j’y vis, je n’entre plus dans ce magasin. Autrefois, j’y achetais mes chaussettes, des Burlington.
J’ai du mal à le croire mais il fut une époque où je ne me procurais pas mes paires de chaussettes, toujours noires, par paquets de dix chez Céhéha.
*
Le soleil est de retour quand, protégé par l’ombre du bâtiment je poursuis ma prise de notes de lecture du premier tome du Journal intégral de Julien Green, dont celle-ci datée du lundi vingt et un juin mil neuf cent trente-sept :
Toujours pensé que les maladies, petites et grandes, et les accidents qui viennent déranger notre vie, montrent clairement la volonté qu’a la nature de se débarrasser de nous ; elle essaie par tous les moyens de nous affaiblir et de nous user.
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Samuel Pepys, le trente août mil six cent soixante-cinq, alors que la peste fait des milliers de victimes chaque semaine à Londres et alentour :
Seigneur ! dans la rue, sur les visages et dans les conversations, il n’est rien d’autre que la mort, et fort peu de gens s’aventurent au-dehors, si bien que la ville est pareille à un lieu désert et abandonné.
25 avril 2020
De la radio en mode dégradé avec l’interrogé au téléphone, c’est ce qu’est devenue l’émission matinale de Guillaume Erner sur France Culture. Ce vendredi, l’invité est un écrivain de seconde zone. Il déclare qu’à quelque chose malheur est bon, une formule qui m’est insupportable, puis se fait le chantre des animaux, comme si parmi eux il n’y en avait pas qui étaient l’ennemi de l’être humain. A commencer par les chauves-souris. Je ne suis pas loin de penser qu’il faudrait toutes les zigouiller.
Dans la réécoute alphabétique de mes cédés francophones, j’arrive à Philippe Chatel, né Philippe de Chateleux de Villeneuve-Bergemont de Duras, une compilation de ses succès de la seconde moitié des années soixante-dix, parmi lesquels j’aime particulièrement J't'aime bien Lili J't'aime bien Lili / Bien qu'je sois pas le seul à qui tu dises oui, Ma lycéenne Parfois tu écris une lettre / Où tu ne signes que d'un point et J’suis resté seul dans mon lundi J'espère que tu te mets toujours / Au premier rang près d'la sortie.
Suit une certaine Chloé, dont le patronyme absent est Perier, avec Cœur de Française, des reprises jazzy au piano de standards de la chanson française, de Gainsbourg à Nougaro, un cédé qui traînait parmi les livres chez Book-Off et que j’avais ramassé pour son prix d’un euro. A l’intérieur, une dédicace de l’artiste « A Laurence, merci pour le soutien, plein de bonheurs ».
Sur le banc du jardin, j’attaque les mille sept cents pages (pour quatre années) du second volume du Journal de Samuel Pepys. Le sept juin mil six cent soixante-cinq, la peste est à Londres. Pepys s’inquiète mais a son remède :
Aujourd’hui, et bien contre mon gré, vis dans Drury Lane deux ou trois maisons marquées d’une croix rouge sur la porte, avec l’inscription « Seigneur, ayez pitié de nous ! » – spectacle affligeant, et autant qu’il m’en souvienne, c’était la première fois que j’en voyais de la sorte. J’en vins à me méprendre sur mon état et sur ce que je sentais, à tel point que je dus acheter un rouleau de tabac à priser et à chiquer, ce qui dissipa mes appréhensions.
Aujourd’hui, certains espèrent de la nicotine des vertus anti Covid Dix-Neuf.
*
Du côté de Julien Green et de son amant Robert, on connaît bien avant l’heure les affres d’une guerre à venir.
Mardi huit octobre mil neuf cent trente-cinq : Aujourd’hui ou demain Robert et moi nous allons nous acheter des masques à gaz, comme le recommande la police sans commentaire. Le seul commentaire possible serait un billet pour le prochain bateau partant pour New York.
Aujourd’hui, aucun moyen de transport et aucun lieu où se réfugier.
*
Un mail de mon ophtalmologue. Pas un mot. Une simple ordonnance en pièce jointe. Que je ne peux pas imprimer.
*
Publicité d’après confinement pour le campigne-car à la télévision. Voyagez dans votre maison. En toute sécurité.
Dans la réécoute alphabétique de mes cédés francophones, j’arrive à Philippe Chatel, né Philippe de Chateleux de Villeneuve-Bergemont de Duras, une compilation de ses succès de la seconde moitié des années soixante-dix, parmi lesquels j’aime particulièrement J't'aime bien Lili J't'aime bien Lili / Bien qu'je sois pas le seul à qui tu dises oui, Ma lycéenne Parfois tu écris une lettre / Où tu ne signes que d'un point et J’suis resté seul dans mon lundi J'espère que tu te mets toujours / Au premier rang près d'la sortie.
Suit une certaine Chloé, dont le patronyme absent est Perier, avec Cœur de Française, des reprises jazzy au piano de standards de la chanson française, de Gainsbourg à Nougaro, un cédé qui traînait parmi les livres chez Book-Off et que j’avais ramassé pour son prix d’un euro. A l’intérieur, une dédicace de l’artiste « A Laurence, merci pour le soutien, plein de bonheurs ».
Sur le banc du jardin, j’attaque les mille sept cents pages (pour quatre années) du second volume du Journal de Samuel Pepys. Le sept juin mil six cent soixante-cinq, la peste est à Londres. Pepys s’inquiète mais a son remède :
Aujourd’hui, et bien contre mon gré, vis dans Drury Lane deux ou trois maisons marquées d’une croix rouge sur la porte, avec l’inscription « Seigneur, ayez pitié de nous ! » – spectacle affligeant, et autant qu’il m’en souvienne, c’était la première fois que j’en voyais de la sorte. J’en vins à me méprendre sur mon état et sur ce que je sentais, à tel point que je dus acheter un rouleau de tabac à priser et à chiquer, ce qui dissipa mes appréhensions.
Aujourd’hui, certains espèrent de la nicotine des vertus anti Covid Dix-Neuf.
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Du côté de Julien Green et de son amant Robert, on connaît bien avant l’heure les affres d’une guerre à venir.
Mardi huit octobre mil neuf cent trente-cinq : Aujourd’hui ou demain Robert et moi nous allons nous acheter des masques à gaz, comme le recommande la police sans commentaire. Le seul commentaire possible serait un billet pour le prochain bateau partant pour New York.
Aujourd’hui, aucun moyen de transport et aucun lieu où se réfugier.
*
Un mail de mon ophtalmologue. Pas un mot. Une simple ordonnance en pièce jointe. Que je ne peux pas imprimer.
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Publicité d’après confinement pour le campigne-car à la télévision. Voyagez dans votre maison. En toute sécurité.
24 avril 2020
Jour de balade matutinale ce jeudi avec passage devant la Poste principale de la rue de la Jeanne afin d’y glisser une lettre puis par le square Verdrel dont les toilettes publiques ont été incendiées. Contournant le Musée des Beaux-Arts, je rejoins la rue Beauvoisine, la remonte un bout puis tourne à droite vers la fontaine Sainte-Marie et le Théâtre des Deux Rives. Je m’engage alors dans le réseau des petites rues typiques jamais fréquentées par les touristes quand il y en avait. Elles me mènent à l’avenue de la Porte des Champs. Je la descends, passe devant le Conservatoire, puis prends à droite la rue Eau-de-Robec au Son du Cor claquemuré. En dehors de celui des oiseaux, les seuls sons que j’entends sont ceux d’une toux dans une rue latérale et d’un bruit de pas derrière moi. Ceux qui les émettent sont à plus de cent mètres, détectés par mon hyperacousie.
Rentré, je poursuis ma réécoute de la lettre Cé avec Barbara Carlotti l’Amour, l’Argent, le Vent où l’on trouve la vénéneuse Ouais ouais ouais ouais : T'es si jolie quand t'as mal ça me rend folle / De voir ce noir sous tes beaux yeux qui coule / Je veux encore te mettre une claque / Mais sans te laisser de marque, puis changement d’époque et d’atmosphère avec Jean-Roger Caussimon, les volumes Deux et Trois de chez Saravah qui appartenaient à mon frère Jacques dont c’est bientôt l’anniversaire de la mort. Je n’ai jamais trouvé le volume Un qui lui manquait. Ne l’ai pas cherché non plus.
Je passe ensuite une grande partie de cette belle journée printanière avec Samuel Pepys et Julien Green dont le point commun était de prendre régulièrement des résolutions de sagesse sexuelle et de ne pas les tenir.
Pepys le vingt-trois janvier mil six cent soixante-cinq :
Si bien que je revins derechef à mon bureau, où, à ma grande satisfaction, je pus faire le vœu de me consacrer à mon seul travail et de laisser aller les femmes pendant un mois ; je me réjouis de tout cœur d’avoir eu le courage d’une telle résolution, de manière à me consacrer à mes affaires, qui sont en souffrance, et mon honneur avec.
Green le jeudi vingt et mars mil neuf cent trente-cinq :
Il faut que j’apprenne à gouverner mon appétit de la chair. La beauté m’excite ; c’est un danger. Il faut que je ne me branle presque plus.
*
Autre bénéfice de mon hyperacousie : participer au télétravail de mon codétenu du troisième étage, via ses fenêtres ouvertes, lorsque je lis sur le banc du jardin. Achat de masques par millions en Chine, transport de ceux-ci de Shanghai à Marseille, problèmes de signatures de contrat et de Tévéha.
*
La Ministre des Sports déclarant que dans les mois qui viennent les compétitions sportives seront « en mode dégradé ».
*
Viendront les transports en commun en mode dégradé, les cafés en mode dégradé, les restaurants en mode dégradé, toute une vie en mode dégradé.
Rentré, je poursuis ma réécoute de la lettre Cé avec Barbara Carlotti l’Amour, l’Argent, le Vent où l’on trouve la vénéneuse Ouais ouais ouais ouais : T'es si jolie quand t'as mal ça me rend folle / De voir ce noir sous tes beaux yeux qui coule / Je veux encore te mettre une claque / Mais sans te laisser de marque, puis changement d’époque et d’atmosphère avec Jean-Roger Caussimon, les volumes Deux et Trois de chez Saravah qui appartenaient à mon frère Jacques dont c’est bientôt l’anniversaire de la mort. Je n’ai jamais trouvé le volume Un qui lui manquait. Ne l’ai pas cherché non plus.
Je passe ensuite une grande partie de cette belle journée printanière avec Samuel Pepys et Julien Green dont le point commun était de prendre régulièrement des résolutions de sagesse sexuelle et de ne pas les tenir.
Pepys le vingt-trois janvier mil six cent soixante-cinq :
Si bien que je revins derechef à mon bureau, où, à ma grande satisfaction, je pus faire le vœu de me consacrer à mon seul travail et de laisser aller les femmes pendant un mois ; je me réjouis de tout cœur d’avoir eu le courage d’une telle résolution, de manière à me consacrer à mes affaires, qui sont en souffrance, et mon honneur avec.
Green le jeudi vingt et mars mil neuf cent trente-cinq :
Il faut que j’apprenne à gouverner mon appétit de la chair. La beauté m’excite ; c’est un danger. Il faut que je ne me branle presque plus.
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Autre bénéfice de mon hyperacousie : participer au télétravail de mon codétenu du troisième étage, via ses fenêtres ouvertes, lorsque je lis sur le banc du jardin. Achat de masques par millions en Chine, transport de ceux-ci de Shanghai à Marseille, problèmes de signatures de contrat et de Tévéha.
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La Ministre des Sports déclarant que dans les mois qui viennent les compétitions sportives seront « en mode dégradé ».
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Viendront les transports en commun en mode dégradé, les cafés en mode dégradé, les restaurants en mode dégradé, toute une vie en mode dégradé.
23 avril 2020
Ce mercredi est jour de courses à la va-vite chez U Express où je chope ce dont j’ai besoin. Pas ce dont j’ai envie. En ce moment, dans le domaine alimentaire, je n’ai envie de rien. Cela sans me soucier du prix, car cette crise m’a délivré de ma maladie de toujours : choisir le moins cher (une séquelle de mon enfance pauvre). Depuis un mois je n’ai rien acheté d’autre que de la nourriture.
Autant par obligation que je me suis donnée que par envie, je poursuis la réécoute de mes cédés francophones par ordre alphabétique. J’en suis à Jean-Michel Caradec, deux compilations qui m’emmènent de façon cruelle dans cette Bretagne où j’avais prévu d’aller après ma visite chez l’ophtalmo. Je retrouve La Colline aux coralines que je faisais entendre à mes élèves de maternelle et nombre d’autres chanson délectables, dont C’est râpé : Ton tee-shirt est un peu froissé / Sur le bout de tes seins dressés / A tes parents tu voulais tout cacher / C'est râpé. Jean Michel Caradec est mort à l’âge de trente-quatre ans dans des circonstances qui ont fait jaser. Sa voiture, où se trouvait une autre femme que la sienne, s’est encastrée à l’arrière d’un camion sur l’autoroute. C’était peu après la sortie de son album Dernier avis où l’on trouve une chanson intitulée Passeport pour la mort.
Dès avant que le soleil ne le touche, je vais poursuivre sur le banc du jardin ma lecture du Journal de Samuel Pepys dont j’ai presque atteint la fin du premier tome. Le deux octobre mil six cent soixante-quatre était Jour du Seigneur. Pepys le célébrait à sa façon : Ce soir Mrs Lane (aujourd’hui Martin) et son mari vinrent solliciter mon aide pour lui trouver une place, à lui ; il paraît que ce pauvre Mr Daniel, du bureau des subsistances, est mort ; c’est une trop bonne place pour que ce blanc-bec y succède – mais je lui offris les plus belles paroles que je pus et après avoir bu un verre de vin les renvoyai, mais avec beaucoup de bonté.
Il me faut attendre quinze heures désormais pour m’installer à l’ombre avec mon ordinateur afin de continuer à noter ce que j’ai retenu de ma lecture du premier tome du Journal intégral de Julien Green. Le dimanche n était pas pour lui « Jour du Seigneur », du moins à l’époque de sa jeunesse, mais un jour de loisir, ainsi le neuf septembre mil neuf cent trente-quatre : En revenant, nous nous sommes arrêtés à Bagneux, pour voir le dolmen qu’on dit le plus grand d’Europe. C’est en tout cas l’opinion de la vieille dame préposée à la garde de ce monument. Elle est aussi fière de son dolmen que si elle l’avait mis au monde, et lui, comme un bon fils, la nourrit de petits pourboires.
Avant de rentrer, j’ouvre ma boîte à lettres et y trouve une missive qui me réjouit. Postée à Asnières le neuf avril, elle a mis deux semaines pour parcourir cent trente kilomètres.
*
« Il faut bâtir un déconfinement régional », déclare Hervé Morin, notre Duc de Normandie. Ce garçon me surprendra toujours.
Autant par obligation que je me suis donnée que par envie, je poursuis la réécoute de mes cédés francophones par ordre alphabétique. J’en suis à Jean-Michel Caradec, deux compilations qui m’emmènent de façon cruelle dans cette Bretagne où j’avais prévu d’aller après ma visite chez l’ophtalmo. Je retrouve La Colline aux coralines que je faisais entendre à mes élèves de maternelle et nombre d’autres chanson délectables, dont C’est râpé : Ton tee-shirt est un peu froissé / Sur le bout de tes seins dressés / A tes parents tu voulais tout cacher / C'est râpé. Jean Michel Caradec est mort à l’âge de trente-quatre ans dans des circonstances qui ont fait jaser. Sa voiture, où se trouvait une autre femme que la sienne, s’est encastrée à l’arrière d’un camion sur l’autoroute. C’était peu après la sortie de son album Dernier avis où l’on trouve une chanson intitulée Passeport pour la mort.
Dès avant que le soleil ne le touche, je vais poursuivre sur le banc du jardin ma lecture du Journal de Samuel Pepys dont j’ai presque atteint la fin du premier tome. Le deux octobre mil six cent soixante-quatre était Jour du Seigneur. Pepys le célébrait à sa façon : Ce soir Mrs Lane (aujourd’hui Martin) et son mari vinrent solliciter mon aide pour lui trouver une place, à lui ; il paraît que ce pauvre Mr Daniel, du bureau des subsistances, est mort ; c’est une trop bonne place pour que ce blanc-bec y succède – mais je lui offris les plus belles paroles que je pus et après avoir bu un verre de vin les renvoyai, mais avec beaucoup de bonté.
Il me faut attendre quinze heures désormais pour m’installer à l’ombre avec mon ordinateur afin de continuer à noter ce que j’ai retenu de ma lecture du premier tome du Journal intégral de Julien Green. Le dimanche n était pas pour lui « Jour du Seigneur », du moins à l’époque de sa jeunesse, mais un jour de loisir, ainsi le neuf septembre mil neuf cent trente-quatre : En revenant, nous nous sommes arrêtés à Bagneux, pour voir le dolmen qu’on dit le plus grand d’Europe. C’est en tout cas l’opinion de la vieille dame préposée à la garde de ce monument. Elle est aussi fière de son dolmen que si elle l’avait mis au monde, et lui, comme un bon fils, la nourrit de petits pourboires.
Avant de rentrer, j’ouvre ma boîte à lettres et y trouve une missive qui me réjouit. Postée à Asnières le neuf avril, elle a mis deux semaines pour parcourir cent trente kilomètres.
*
« Il faut bâtir un déconfinement régional », déclare Hervé Morin, notre Duc de Normandie. Ce garçon me surprendra toujours.
22 avril 2020
Soit Loïc Lachenal a lu le reproche que je lui faisais de se soucier de la survie de son institution culturelle (l’Opéra de Rouen) sans se soucier de celle de ses spectateurs, soit d’autres lui ont fait la même remarque, car son nouveau message est d’une teneur différente :
« Dans cette situation inédite nous devons tout d’abord penser à ceux qui souffrent et ceux qui se battent pour lutter contre l’épidémie en portant soins et réconforts aux malades, ainsi qu’à tous ceux qui nous permettent de continuer à vivre, nous alimenter, nous informer. »
Il poursuit :
« Mais il est de notre devoir de rêver et de penser aux prochains levers de rideaux, à la joie de vous retrouver, à celle de partager avec tous l’enthousiasme qui fait vivre au quotidien les équipes et les artistes de l’Opéra.
Pour cela, nous vous donnerons prochainement rendez-vous, pour découvrir ensemble, d’une manière ou d’une autre, la programmation de la saison 2020-2021. »
Cela montre (et il est loin d’être le seul) qu’il n’a pas pris conscience de la gravité de la situation.
Sauf si ce virus disparaît avec l’été (ce qui est loin d’être assuré, il prospère en Inde où il fait quarante degrés) ou si est découvert un médicament miracle (c’est de moins en moins probable), on en sera toujours au même point à l’automne (un éventuel vaccin n’est pas envisageable avant dix-huit mois), donc aucun rassemblement, notamment sous forme de public, ne sera possible.
C’est du moins ce que je pense. J’espère me tromper.
*
Me tromper, je l’ai fait en affirmant que le retour à l’école, le onze mai, était destiné à libérer les parents afin qu’ils retournent au travail. Cette rentrée n’étant que partielle, ce ne pourra être le cas.
J’imagine le casse-tête pour les enseignants et suis bien aise de ne plus en faire partie. Je sais aussi ce que vont subir les enfants, obligés de se plier à des règles contraires à leur nature.
*
A-t-on jamais vu plus beau mois d’avril en Normandie ? Le soleil radieux me permet une nouvelle fois de rejoindre le banc du jardin le matin puis d’installer plateau et tréteaux sur la pelouse l’après-midi.
Une lettre du syndic de copropriété a ramené le calme du côté de la principale source de décibels. Reste le son des films que regarde chaque jour l’un qui s’en plaignait.
Le film achevé, c’est la tranquillité totale. Au point que, levant les yeux de mon ordinateur, je vois passer un rat le long d’un des murs. Il sort en passant sous la porte cochère. Aucun cri ne se fait entendre dans la ruelle, ce qui montre bien qu’elle est déserte.
*
Trois cédés de Jil Caplan écoutés ce mardi : La Charmeuse de serpents, Avant qu’il ne soit trop tard, Jil Caplan. Après sa période Jay Alanski, je ne l’ai plus suivie.
*
Un chapeau, des chaussures que nous avons longtemps portés finissent, d’une manière inexplicable, par nous ressembler. remarquait Julien Green en mil neuf cent trente-trois. Point de chapeau pour moi, mais des chaussures épuisées, dont l’une trouée sur le côté.
« Dans cette situation inédite nous devons tout d’abord penser à ceux qui souffrent et ceux qui se battent pour lutter contre l’épidémie en portant soins et réconforts aux malades, ainsi qu’à tous ceux qui nous permettent de continuer à vivre, nous alimenter, nous informer. »
Il poursuit :
« Mais il est de notre devoir de rêver et de penser aux prochains levers de rideaux, à la joie de vous retrouver, à celle de partager avec tous l’enthousiasme qui fait vivre au quotidien les équipes et les artistes de l’Opéra.
Pour cela, nous vous donnerons prochainement rendez-vous, pour découvrir ensemble, d’une manière ou d’une autre, la programmation de la saison 2020-2021. »
Cela montre (et il est loin d’être le seul) qu’il n’a pas pris conscience de la gravité de la situation.
Sauf si ce virus disparaît avec l’été (ce qui est loin d’être assuré, il prospère en Inde où il fait quarante degrés) ou si est découvert un médicament miracle (c’est de moins en moins probable), on en sera toujours au même point à l’automne (un éventuel vaccin n’est pas envisageable avant dix-huit mois), donc aucun rassemblement, notamment sous forme de public, ne sera possible.
C’est du moins ce que je pense. J’espère me tromper.
*
Me tromper, je l’ai fait en affirmant que le retour à l’école, le onze mai, était destiné à libérer les parents afin qu’ils retournent au travail. Cette rentrée n’étant que partielle, ce ne pourra être le cas.
J’imagine le casse-tête pour les enseignants et suis bien aise de ne plus en faire partie. Je sais aussi ce que vont subir les enfants, obligés de se plier à des règles contraires à leur nature.
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A-t-on jamais vu plus beau mois d’avril en Normandie ? Le soleil radieux me permet une nouvelle fois de rejoindre le banc du jardin le matin puis d’installer plateau et tréteaux sur la pelouse l’après-midi.
Une lettre du syndic de copropriété a ramené le calme du côté de la principale source de décibels. Reste le son des films que regarde chaque jour l’un qui s’en plaignait.
Le film achevé, c’est la tranquillité totale. Au point que, levant les yeux de mon ordinateur, je vois passer un rat le long d’un des murs. Il sort en passant sous la porte cochère. Aucun cri ne se fait entendre dans la ruelle, ce qui montre bien qu’elle est déserte.
*
Trois cédés de Jil Caplan écoutés ce mardi : La Charmeuse de serpents, Avant qu’il ne soit trop tard, Jil Caplan. Après sa période Jay Alanski, je ne l’ai plus suivie.
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Un chapeau, des chaussures que nous avons longtemps portés finissent, d’une manière inexplicable, par nous ressembler. remarquait Julien Green en mil neuf cent trente-trois. Point de chapeau pour moi, mais des chaussures épuisées, dont l’une trouée sur le côté.
21 avril 2020
S’il est un mail que je m’attends à recevoir en ce mois d’avril, c’est celui de mon ophtalmo de la clinique Mathilde m’annonçant l’annulation de notre rendez-vous de ce lundi vingt à quinze heures. Or il n’en est rien. Dubitatif, muni de l’attestation de déplacement dérogatoire relative aux « consultations et soins des patients atteints d’une affection de longue durée », je sors de chez moi à quatorze heures quinze pour une promenade de plus d’un kilomètre.
C’est la première fois depuis le début du confinage que je mets le pied dans la rue hors des heures très matinales. Je m’attends à y voir davantage de monde. Ce n’est pas le cas. Hormis de petits groupes de livreurs à vélo dans l’attente d’une commande à honorer, je ne croise que de rares piétons, rive droite comme rive gauche.
Un chemin de barrières mène à l’entrée principale de la clinique Mathilde. Celle-ci est munie d’un sas sous forme d’une tente blanche. Des infirmières en tenue y montent la garde. J’ai l’impression de voir clignoter des avertissements « danger » dans leurs yeux. L’une d’elles m’indique que pour le service d’ophtalmologie je dois faire le tour du bâtiment.
A cette entrée secondaire, un autre filtrage est en place. J’apprends, sans en être surpris, que mon ophtalmologue ne consulte pas.
Sur le chemin du retour, j’aperçois sur le trottoir d’en face un père et ses quatre enfants de la Génération Cinquante (celle qui connaîtra les cinquante degrés à l’ombre vers deux mille cinquante). Rue de la République, les livreurs bicyclistes sont toujours à l’arrêt, par grappes de trois, la tête à moins de cinquante centimètres l’un de l’autre, sans masque. Je les contourne à bonne distance.
Rentré, j’envoie un mail à celui qui n’a pas jugé nécessaire de me prévenir de son absence, lui demandant de m’envoyer par courrier une ordonnance pour les gouttes censées retarder le moment où je perdrai la vue. Le lira-t-il ?
*
Début de la lettre Cé dans la réécoute de mes cédés francophones : le premier de Camille Le Sac des filles (les suivants avec ses expérimentations sonores m’ont éloigné d’elle) et le premier de Jil Caplan A peine 21 (en attendant les autres) :
Lui au moins il n’a rien à perdre / Alors que moi je n’ai rien vu / Les gens croient qu’il ne me touche pas / Mais il me touche mon petit vieux (Camille, Mon petit vieux)
J'ai si vite grandi et j'me sens tellement vieille / A peine vingt et un, ça vaut plus l'coup qu'j'essaye. (Jil Caplan, A peine 21)
C’est la première fois depuis le début du confinage que je mets le pied dans la rue hors des heures très matinales. Je m’attends à y voir davantage de monde. Ce n’est pas le cas. Hormis de petits groupes de livreurs à vélo dans l’attente d’une commande à honorer, je ne croise que de rares piétons, rive droite comme rive gauche.
Un chemin de barrières mène à l’entrée principale de la clinique Mathilde. Celle-ci est munie d’un sas sous forme d’une tente blanche. Des infirmières en tenue y montent la garde. J’ai l’impression de voir clignoter des avertissements « danger » dans leurs yeux. L’une d’elles m’indique que pour le service d’ophtalmologie je dois faire le tour du bâtiment.
A cette entrée secondaire, un autre filtrage est en place. J’apprends, sans en être surpris, que mon ophtalmologue ne consulte pas.
Sur le chemin du retour, j’aperçois sur le trottoir d’en face un père et ses quatre enfants de la Génération Cinquante (celle qui connaîtra les cinquante degrés à l’ombre vers deux mille cinquante). Rue de la République, les livreurs bicyclistes sont toujours à l’arrêt, par grappes de trois, la tête à moins de cinquante centimètres l’un de l’autre, sans masque. Je les contourne à bonne distance.
Rentré, j’envoie un mail à celui qui n’a pas jugé nécessaire de me prévenir de son absence, lui demandant de m’envoyer par courrier une ordonnance pour les gouttes censées retarder le moment où je perdrai la vue. Le lira-t-il ?
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Début de la lettre Cé dans la réécoute de mes cédés francophones : le premier de Camille Le Sac des filles (les suivants avec ses expérimentations sonores m’ont éloigné d’elle) et le premier de Jil Caplan A peine 21 (en attendant les autres) :
Lui au moins il n’a rien à perdre / Alors que moi je n’ai rien vu / Les gens croient qu’il ne me touche pas / Mais il me touche mon petit vieux (Camille, Mon petit vieux)
J'ai si vite grandi et j'me sens tellement vieille / A peine vingt et un, ça vaut plus l'coup qu'j'essaye. (Jil Caplan, A peine 21)
20 avril 2020
Sept heures cinq, écris-je ce dimanche sur l’autorisation de sortie me donnant droit à une promenade d’une heure jusqu’à un kilomètre de mon logement. Le temps est fort brumeux, comme je le constate en arrivant sur les quais hauts de la Seine. Par le pont Corneille je rejoins l’île Lacroix qui m’était familière quand j’avais une voiture (elle y passait ses nuits en toute tranquillité).
Un peu après l’église orthodoxe Saint Silouane de l'Athos, je prends sur la gauche le chemin qui longe le fleuve. On est là comme à la campagne avec au fond la colline Sainte Catherine. Poursuivant, je trouve un bateau qui mérite la photographie puis arrive sous le pont Mathilde. Il ne serait pas raisonnable d’aller plus loin. Marchant sous le tablier de ce pont, je prends l’île par le travers, frôlant piscine et patinoire, puis, à hauteur du refuge de la Essepéha, j'emprunte le chemin qui mène à l’autre bras de la Seine. Un chien me repère, qui aboie mollement.
Sur cette rive le chemin est rectiligne et très étroit, pas plus d’un mètre de large avec vue dégagée. Il ne faudrait pas qu’un quidam s’engage en face. Il ne faudrait pas non plus que je trébuche et chois dans le fleuve. Au bout de l’île, près de l’ancre de la Jeanne (porte-hélicoptères), j’ai bonne vue sur la tour des Archives à bâbord et sur la Cathédrale à tribord. Il est temps de rentrer en passant sous le pont Corneille pour rejoindre l’escalier. Seuls êtres humains aperçus pendant cette balade : des vieilles et des vieux promenant leur chien.
Un dimanche à la campagne, un dimanche au bord de l’eau, un dimanche sous les ponts, ce qui s’appelle multiplier les aujourd’hui.
*
Dans presque tous les journaux que je lis, un jour ou l’autre, il est question de Rouen. Dans celui de Julien Green, c’est à la date du mardi quinze mars mil neuf cent trente-trois :
L’autre jour, Pierre Meyer est mort dans un hôtel à Rouen. Il s’est empoisonné avec du véronal, volontairement peut-être. Son amant était avec lui, et avec eux une femme dont le rôle semble avoir été celui d’une voyeuse.
*
Fin de la lettre Bé dans la réécoute de mes cédés francophones : Françoiz Breut (son premier), Rodolphe Burger (le bilingue Meteor-Show) et Buzy (son meilleur).
On peut trouver des alibis / Nier quelque chose qu'on a fait / Mais sur l'instant on ne peut pas / Nier qu'on est là où l'on est. (Françoiz Breut, Le don d’ubiquité)
*
Résumé de l’intervention télévisée d’Edouard Philippe et Olivier Véran : tout va toujours aussi mal, on ne sait pas comment faire pour s’en sortir.
*
Certains déplorent ce qu'ils appellent un relâchement du confinement ou la foule dans une rue commerçante. Le vrai problème, c’est qu’on est beaucoup trop nombreux.
Soixante-sept millions de Français, c’est insensé. Et il en ainsi dans la plupart des pays, parfois c’est bien pire. Je crains que le merdier dans lequel nous sommes ne dissuade pas certains de continuer à se reproduire.
*
Plus d’un mois que je n’ai pas vu un enfant. Je ne m’en plains pas.
Un peu après l’église orthodoxe Saint Silouane de l'Athos, je prends sur la gauche le chemin qui longe le fleuve. On est là comme à la campagne avec au fond la colline Sainte Catherine. Poursuivant, je trouve un bateau qui mérite la photographie puis arrive sous le pont Mathilde. Il ne serait pas raisonnable d’aller plus loin. Marchant sous le tablier de ce pont, je prends l’île par le travers, frôlant piscine et patinoire, puis, à hauteur du refuge de la Essepéha, j'emprunte le chemin qui mène à l’autre bras de la Seine. Un chien me repère, qui aboie mollement.
Sur cette rive le chemin est rectiligne et très étroit, pas plus d’un mètre de large avec vue dégagée. Il ne faudrait pas qu’un quidam s’engage en face. Il ne faudrait pas non plus que je trébuche et chois dans le fleuve. Au bout de l’île, près de l’ancre de la Jeanne (porte-hélicoptères), j’ai bonne vue sur la tour des Archives à bâbord et sur la Cathédrale à tribord. Il est temps de rentrer en passant sous le pont Corneille pour rejoindre l’escalier. Seuls êtres humains aperçus pendant cette balade : des vieilles et des vieux promenant leur chien.
Un dimanche à la campagne, un dimanche au bord de l’eau, un dimanche sous les ponts, ce qui s’appelle multiplier les aujourd’hui.
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Dans presque tous les journaux que je lis, un jour ou l’autre, il est question de Rouen. Dans celui de Julien Green, c’est à la date du mardi quinze mars mil neuf cent trente-trois :
L’autre jour, Pierre Meyer est mort dans un hôtel à Rouen. Il s’est empoisonné avec du véronal, volontairement peut-être. Son amant était avec lui, et avec eux une femme dont le rôle semble avoir été celui d’une voyeuse.
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Fin de la lettre Bé dans la réécoute de mes cédés francophones : Françoiz Breut (son premier), Rodolphe Burger (le bilingue Meteor-Show) et Buzy (son meilleur).
On peut trouver des alibis / Nier quelque chose qu'on a fait / Mais sur l'instant on ne peut pas / Nier qu'on est là où l'on est. (Françoiz Breut, Le don d’ubiquité)
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Résumé de l’intervention télévisée d’Edouard Philippe et Olivier Véran : tout va toujours aussi mal, on ne sait pas comment faire pour s’en sortir.
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Certains déplorent ce qu'ils appellent un relâchement du confinement ou la foule dans une rue commerçante. Le vrai problème, c’est qu’on est beaucoup trop nombreux.
Soixante-sept millions de Français, c’est insensé. Et il en ainsi dans la plupart des pays, parfois c’est bien pire. Je crains que le merdier dans lequel nous sommes ne dissuade pas certains de continuer à se reproduire.
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Plus d’un mois que je n’ai pas vu un enfant. Je ne m’en plains pas.
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