Le Journal de Michel Perdrial

Le Journal de Michel Perdrial




Loïc Boyer
Je suis l’auteur de textes courts qui furent publiés depuis mil neuf cent quatre-vingt-quinze dans des revues littéraires en France (Supérieur Inconnu, Supplément d’Ame, Nouvelle Donne, Le Bord de l’Eau, Pris de Peur, l’Art du Bref, Sol’Air, Gros Textes, Salmigondis, Verso, Décharge, Bulle, Filigranes, Diérèse, Martobre, Comme ça et Autrement, (Cahier d’) Ecritures, La Nef des Fous), en Belgique (Traversées, Ecrits Vains, L’Arbre à Plumes, Inédit Nouveau, Bleu d’Encre), au Canada (Les Saisons Littéraires) et en Italie (Les Cahiers du Ru).
Les courageuses Editions du Chardon ont publié en mil neuf cent quatre-vingt-dix-neuf Erotica, un recueil de vingt-huit de ces textes, illustré par Isabelle Pio et Antoine Lopez et préfacé par Sarane Alexandrian, toujours disponible auprès de moi.
Je suis également l’auteur d’une pièce de théâtre et de plusieurs romans ou récits à ce jour inédits.
Depuis le onze novembre deux mille six, je publie mon Journal via Internet, un temps sous-titré Persiflages, moquages et autres énervages mâtinés de complimentages et de contentages. Sa première partie est lisible chez Eklablog, la deuxième ici.
Je vis au centre de Rouen dans un ancien monastère où autrefois les Sœurs de la Miséricorde se vouaient à l’éducation des jeunes filles.







Rss

14 septembre 2022


Attaqué dans la nuit par des moustiques, pas moyen de fermer la fenêtre, il fait trop chaud, je mets en marche le ventilateur, il les chasse et son bruit ne m’empêche pas de dormir, pour ce qui est de la responsabilité écologique, on repassera.
Le ciel est gris au petit matin quand je petit-déjeune au Maryland mais comme la météo annonce beau dès neuf heures, ce n’est pas encore ce mardi que je connaîtrai une température supportable.
A huit heures, je suis seul à la proue du vaporetto qui part pour Les Sablettes (commune de La Seyne-sur-Mer). Ce quartier est situé dans l’isthme de la Presqu’île de Saint-Mandrier. Le débarcadère se trouve dans la baie du Lazaret, à proximité d’une zone portuaire interlope derrière laquelle se trouve un chapiteau permanent destiné à l’apprentissage des arts du cirque.
Pour découvrir ce qu’est vraiment le quartier des Sablettes, il n’est qu’à traverser le Parc Paysager Fernand-Braudel où nagent de gros poissons rouges et que longe une allée Danielle-Mitterrand « femme d’engagement ». On arrive sur une longue plage.
Partant sur sa gauche, je trouve quelques restaurants, des écoles de voile et autres sports de mer et enfin arrive dans le petit port de Saint-Elme où les bateaux des pêcheurs ont encore leur place. L’un nommé Diderot a pour voisin celui nommé Les Deux Frères (Grimm ? Ce serait trop beau).
Revenu sur mes pas, je découvre dans l’autre partie des Sablettes une alignée de restaurants de bord de plage doublée d’une rue intérieure commerçante. De l’ombre m’attend à la terrasse du Prôvence Plage. C’est là qu’après un café à un euro soixante-dix, je lis Léautaud en regardant ce qui se passe sur la plage (des corps abîmés par l’âge y prennent le soleil) et dans la Méditerranée (des vieilles et des vieux en ticheurte vert y marchent). Au loin sont visibles les Deux Frères, îlots jumeaux au bout du Cap Sicié.
A midi, je change de table pour déjeuner au même endroit. On y propose une formule du jour à dix-sept euros quatre-vingts (plat verre de vin dessert café). Je choisis le pavé de bœuf sauce poivre frites salade. Le dessert est une tarte aux poires. Cela est servi suffisamment vite pour que je puisse rentrer à Toulon par le bateau de treize heures dix.
Dans l’après-midi, j’apprends la mort de Jean-Luc Godard. Il a pu bénéficier d’un suicide assisté car citoyen suisse (la France, ce pays arriéré). Certaines scènes de Pierrot le Fou ont été tournées à Saint-Mandrier.
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Sur la plage des Sablettes, une bibliothèque Effet Mer, ouverte jusqu’à fin septembre.
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Dans les toilettes du Prôvence Plage, une affichette : « Par mesure d’hygiène et de sécurité, il est interdit de se laver les pieds dans le lavabo. »
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Retrouvailles entre deux pêcheurs au port de Saint-Elme :
-Ne cours pas, gros con !
-Oh salope, c’est le bonjour ça ?
 

13 septembre 2022


Retour à la Gare Routière, ce lundi matin, pour prendre le peu fréquenté car Zou ! Toulon Bandol. Je l’attends seul au quai Onze. Quand il arrive, son chauffeur descend pour vapoter et me dit qu’il en a marre, qu’on lui a gâché hier son après-midi en l’appelant pour aller faire un ramassage scolaire de huit minutes. Il songe à devenir chauffeur Uber. Près de nous, quai Douze, une longue file patiente pour le car d’Aix-en-Provence. Un autre chauffeur vient saluer son collègue vapoteur mécontent et, considérant les jolies filles qui vont à Aix, s’épanche : « Toutes ces beautés ! Et dans mon car, que des vieilles, que des vieux vagins ! ». Il va à La Cadière dans les terres.
Nous sommes quatre dans le Toulon Bandol, y compris le chauffeur. Celui-ci m’arrête au lieu-dit La Gorguette, commune de Sanary-sur-Mer. De là, par une piste goudronnée en bord de route, je longe pédestrement la Baie de Bandol et son immense plage, entre la Pointe de la Tourette et le Casino de Bandol. En chemin, je photographie une joueuse de flûte assise sur son sac à dos au bord de l’eau, à moins que ce soit un garçon.
J’ai déjà trop chaud quand j’arrive au but, alors qu’il n’est que neuf heures. C’est lundi mais heureusement la terrasse du Flament B est prête à m’accueillir, bien ombragée. Le café à deux euros bu, je reste là à lire Léautaud près d’un couple de Genevois qui a commandé une seule petite bouteille d’eau minérale avec deux verres.
Eux aussi attendent le car Zou ! d’onze heures, direction Toulon. Il est ponctuel mais catastrophe, sa porte avant ne veut plus se fermer. Nous voilà bloqués à Bandol. Le chauffeur bidouille mais n’arrive à rien. Il appelle un car de secours. Celui-ci met une demi-heure à arriver.
Parvenu enfin à Toulon, je descends jusqu’à chez Béchir où je déjeune d’un foie de veau frites maison à douze euros puis rejoins La Gitane pour boire un café et lire à ma table perché.
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Deux retours successifs à problème avec les cars Zou ! du Var. Je commence à comprendre pourquoi la dame blonde de la Gare Routière de Toulon trouvait que c’était une idée bizarre pour un touriste d’acheter une carte d’abonnement mensuel.
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Le chauffeur du car hors d’usage à son collègue qui repart avec : « Tu leur diras bien que la porte fait pschitt ». Ce pourrait être le nouveau nom des cars départementaux, les cars Pschitt !
 

12 septembre 2022


Ce samedi soir, tandis que je subis stoïquement le concert des Oursins, il me vient à l’esprit que des oursins je n’en ai mangé qu’une seule fois dans ma vie, il y a fort longtemps, et pas loin d’où je suis, dans la Presqu’île de Giens, en compagnie de Frédéric Chopin et de son épouse cantatrice anglaise.
Après une nuit de sommeil approximatif, je décide d’aller de l’autre côté de la rade découvrir le centre de La Seyne-sur-Mer. Comme le premier vaporetto desservant le port principal de cette ville ne part qu’à neuf heures cinq le dimanche, j’ai du temps pour lire Léautaud près de l’embarcadère à la terrasse du Grand Café de la Rade (le café y est à un euro quatre-vingt-dix).
Le port principal de La Seyne-sur-Mer est doté d’un pont-levant devenu inactif qui a belle allure. Il y stationne un de ces énormes paquebots de croisière dont les cabines sont autant de cellules identiques. Quelques prisonniers sont sur leur mini balcon. Ils regardent le petit bateau bleu qui arrive devant la Mairie.
En faisant le tour du port, je découvre sur un terrain poussiéreux un assez vaste vide grenier dont je parcours les allées. Un couple vend quelques livres, parmi lesquels 16 Octobre 1943 de Giacomo Debenedetti dans la collection de poche des éditions Allia. Je le paie un euro. Mince comme il est, il n’alourdira pas ma valise.
J’entre ensuite dans les rues de La Seyne. Elles se révèlent bien plus attrayantes que je ne pensais. Dans l’une d’elles est un marché qui ne manque pas de charme. Certains bâtiments ont servi de support à des artistes muralistes. L’une des œuvres est signée Vasarely.
Quand j’ai envie de m’arrêter, c’est à la terrasse du Café des Arts que je m’installe. J’y prends un café à un euro cinquante puis lis en regardant passer les locaux. Certain(e)s sont fort pittoresques, que ce soit dans la parlure ou dans la vêture.
A midi, je déjeune à une table de la même rue, chez Limitless, gargote de restauration rapide à la portugaise, d’une « morue à bras » qui ne me laissera pas un souvenir inoubliable. Avec le quart de vin blanc, cela fait dix-huit euros, en liquide s’il vous plaît, la machine ne marche pas. Les toilettes sont au bout du couloir de l’immeuble d’à côté.
Je prends un café à un euro soixante sur une petite place proche, à La Forge, où l’eau est servie dans un minuscule gobelet en carton. Au bout d’un quart d’heure le jeune homme enlève ma tasse vide en me demandant si je veux autre chose. Que non. Cela ne m’empêche pas de continuer à lire jusqu’à ce qu’il soit l’heure du bateau de retour à Toulon.
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Beaucoup de personnes en fauteuil à La Seyne-sur-Mer, je ne pose pas la question du pourquoi.
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Parcourent les rues, trois uniformes de la Brigade Anti Incivilités.
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Un des quatre retraités de la table voisine au Café des Arts : « Quand tu te promènes au cimetière, tu tombes sur des têtes. Tiens, il est mort celui-là ! ».
 

11 septembre 2022


Le chanteur de Bande à Part ne m’épargne pas ce vendredi soir avec ses reprises de Delpech, Balavoine et consorts. Cette musique de bourrin entre à plein par ma fenêtre ouverte (si je la ferme, je meurs de chaud). Heureusement nous sommes dans une ville suffisamment fliquée pour qu’un concert annoncé se terminer à vingt-deux heures trente finisse à l’heure dite.
Au matin de ce samedi je me lève comme habitude à cinq heures et suis étonné d’entendre des annonces sonores provenant d’un ferry sur le départ. J’en suis pourtant loin. Certains, plus proches, doivent fulminer d’être réveillé si tôt au premier jour du ouiquennede.
A six heures cinquante, je monte dans le car Zou ! à destination de Saint-Tropez et en descends après Le Lavandou, vers neuf heures, à Cavalaire-sur-Mer,
J’achète deux pains au chocolat chez Léone (un euro quarante pièce) et les savoure avec un café à un euro quatre-vingt-dix à la terrasse du Rhum Caffée d’où l’on a vue sur le « rond-point de Saint-Exupéry » avec au loin les mâts des voiliers.
Cavalaire-sur-Mer est d’une architecture déplorable, sa plage est vaste et son port aussi, dans lequel se cachent quelques navires de pêche. Cela vu, je retourne au Rhum Caffée pour un nouveau café, puis y lis Léautaud avant d’aller attendre pour rentrer le car Zou ! d’onze heures à la Halte Routière près de ce qui fut autrefois une jolie petite Gare.
Deux branlotines me tiennent compagnie qui entreprennent ce long trajet pour aller chez McDo et Zara dans l’immense zone commerciale jouxtant Toulon. Le car attendu n’arrive qu’à onze heures vingt.
Ce n’est que le premier d’une série de désagréments : climatisation en panne et absence de rideaux, embouteillages successifs, demi-tour suite à une rue barrée, valises mises dans le car malgré l’interdiction car la soute est pleine, plus de place pour ceux qui veulent monter à Bormes-les-Mimosas, l’un tente de bloquer le car, le chauffeur lui crie de se pousser avant qu’il lui fonce dessus, enfin à un arrêt proche de Toulon une vieille part avec la valise d’un autre, qui heureusement pour lui s’en aperçoit. Tous ces incidents amusent des retraitées (c’est tellement drôle des gens qui ne peuvent pas monter dans le car où on est tranquillement assise). Leurs rires de ménopausées m’exaspèrent. Plus jamais ça, me dis-je à l’arrivée à la Gare Routière de Toulon.
Il est treize heures trente. Je descends jusqu’à chez Béchir et demande s’il y a encore moyen d’avoir un couscous.
-Ah non, c’est trop tard.
-Je suis resté bloqué dans un car.
-Mais appelez-nous !
-Je n’ai pas de téléphone.
C’est quasiment vrai, depuis mon arrivée à Toulon il n’a pas quitté l’endroit où je l’ai posé.
Le serveur va en cuisine et revient pour me dire qu’on va s’occuper de moi.
Quand je paie, les deux femmes qui ont fait ce bon et presque trop copieux couscous dans un endroit minuscule sont en train de boire un verre. Je ne manque pas de les remercier puis vais à La Gitane pour mon café lecture.
Or, à peine suis-je en train de boire ce noir breuvage qu’on y met une télé à fond où il est encore question d’un putain de match. Ma tasse reposée, je me tire et vais en prendre une autre à la terrasse du Bar du Cours.
En rentrant, j’apprends que ce n’est pas fini le premier anniversaire de la Halle Municipale. Au menu ce soir un concert des Oursins, « groupe de reggae festif et original ».
                                                                 *
A l’Office du Tourisme de Cavalaire-sur-Mer, une vieille à: l’employée :
-Je viens de m’installer définitivement ici. Y a-t-il des voyages organisés pour les retraités ?
-Rien du tout.
                                                                 *
En ce moment c’est Caval’Air de Jazz. C’est souvent dans les endroits de seconde zone qu’on trouve des festivals consacrés à ce type de musique.
 

10 septembre 2022


Ce vendredi, je suis à la proue du vaporetto toulonnais parti à huit heures. Après vingt minutes de navigation, il fait un premier arrêt aux Sablettes (commune de la Seyne-sur-Mer), où le quittent la plupart des voyageurs pour aller travailler ou étudier, et un quart d’heure plus tard, je descends au ponton Tamaris, autre quartier de La Seyne. Il eut son heure de gloire au temps de Michel Pacha.
J’en admire les quelques villas cossues, véritables turqueries, puis marche sur la corniche Michel-Pacha jusqu’au Fort Balaguier devenu Musée. La vue est belle sur la baie du Lazaret où se croisent un bateau de guerre et un ferry. De retour sur mes pas, je remarque un bateau à demi coulé dans le port du Manteau et un autre dans le même état près de l’embarcadère. Au large sont visibles des parcs à moules et des fermes aquacoles où l’on cultive le loup et la daurade.
Ce n’est qu’à neuf heures et demie qu’ouvre le café restaurant Les Tamaris. Sous l’un des arbres de sa terrasse, après avoir bu un café à deux euros, je lis longuement Léautaud puis rentre par le bateau d’onze heures cinq.
Il est onze heures et demie quand j’arrive à l’Unic Bar. Pour être sûr d’avoir droit à l’aïoli maison du vendredi, je m’installe sans attendre à l’une des tables encore libres et y bois  un kir.
Cette fois je suis servi le premier à midi pile. J’accompagne ce plat d’un quart de vin blanc. Une part de cabillaud, des crevettes, des moules, un œuf dur et divers légumes se partagent mon assiette mais ce que j’aime avant tout, c’est cette mayonnaise aillée dont je finis par manquer. Je demande au serveur s’il est possible d’avoir une coupelle supplémentaire. « Oh la la », me dit-il en allant plaider ma cause en cuisine. Il revient avec la coupelle bien remplie. Je me damnerais pour un aïoli. Je remercie quand je paie mes vingt et un euros puis descends le cours Lafayette jusqu’au port.
Installé en hauteur à La Gitane, mon café bu, je lis Léautaud tout en m’intéressant à la vie du port. L’incident du jour a lieu à bord d’un des bateaux qui font le tour de la rade. Avant son départ, une femme a fait un malaise. Elle est examinée par les pompiers. Une cinquantaine de vieilles et de vieux attendent en râlant de pouvoir monter. Ils fuient le soleil cuisant du quai en squattant les parasols et les auvents du bar. Le serveur les chasse comme il le fait pour les pigeons. D’ailleurs n’en sont-ils pas, me dis-je.
Quand je rentre à mon logis temporaire, je trouve des agents de sécurité en uniforme et des policiers municipaux armés à la porte de l’immeuble. Une scène a été installée devant les Halles Municipales qui fêtent le premier anniversaire de leur réouverture. « Il va y avoir un concert, me disent ces autorités, mais on sait pas quoi. »
Je me renseigne via Internet. Ce sera Bande à Part, un groupe d’Ajaccio qui fait des reprises pour tout public. Ma fenêtre ne donne pas côté Halles mais côté Cathédrale. Ça ne suffira pas à me protéger..
                                                                           *
Blaise Jean Marius Michel, directeur des phares de l’Empire ottoman, fut anoblit par le Sultan et devint Michel Pacha. Rentré au pays, il fut Maire de Sanary et, dit le Guide du Routard, « arrosa la région avec prodigalité ». Ainsi créa-t-il la station balnéaire des Tamaris.
 

9 septembre 2022


Un orage me réveille à trois heures du matin ce jeudi. Allongé sur mon lit, je le regarde et l’écoute fenêtre ouverte, car si la pluie tombe drue, elle tombe droite. Ce n’est que lorsque le tonnerre passe du grondement au craquement que la peur me fait la fermer. Il a bientôt fini, aura duré quarante minutes, impossible de me rendormir.
C’est donc assez fatigué que je bipe à huit heures et demie dans le car Zou ! qui va à Saint-Tropez par la côte. Pour cette traversée du Var, il faut d’abord sortir de Toulon par de tristes zones commerciales, ensuite passer Hyères, puis la mer se fait voir, et de mieux en mieux, avec ses rochers impressionnants, surtout au Lavandou, vaste commune.
Le car se remplit au fil des arrêts, jusqu’à être presque complet. Vers Gassin soudain une voyageuse prise d’un malaise chute dans l’allée. Son amie, aidée du chauffeur, la fait descendre. Ce dernier remonte et redémarre, les abandonnant au milieu de nulle part après avoir prévenu les secours. L’arrêt suivant avait pourtant pour nom Pôle Santé.
A l’approche de Saint-Tropez c’est l’embouteillage. Il va nous en falloir du temps pour atteindre la Gare Routière. Un saisonnier travaillant dans un hôtel de luxe avec restaurant une étoile en profite pour raconter sa vie. Le burgueur est le plat le moins cher, soixante-huit euros. « Avec les frites », ajoute-il. Il y a peu Fabrice Lucchini a passé deux nuits, il est très gentil avec les femmes de ménage et les cuisiniers, il a dit au patron : « Allez, augmentez-les, comme ça je ne serai plus obligé de leur donner des pourboires ».
Ouf, nous touchons le but. Ce trajet aura duré deux heures vingt. L’orage a été plus rude ici, en témoignent des mares d’eau, mais il fait chaud comme avant quand je rejoins la vieille ville. Nous sommes en semaine, hors vacances scolaires, et pourtant c’est la foule partout, moitié des riches, moitié des pauvres.
J’en ai vite assez. J’entre au Petit Casino près de la boutique Louis Vuitton et en ressors avec une note de sept euros douze pour deux sandouiches et une petite bouteille d’eau.
Je déjeune assis sur un banc face aux bateaux de luxe. Derrière moi est garée une Ferrari que les pauvres photographient en sortant la blague éculée de la voiture du jardinier. Je ne sais ce qui m’énerve le plus de la bêtise des pauvres ou de la vulgarité des riches.
Tirons-nous d’ici dès que possible, me dis-je en me dirigeant vers la Gare Routière. Il est midi trente. J’ai la chance de trouver deux cars Zou ! prêts à partir pour Toulon. Je monte dans celui qui passe par l’intérieur des terres et arrivera le premier. Son itinéraire traverse le Massif des Maures, virages sévères et pente à dix pour cent, puis c’est Hyères. La fin du voyage me voit à demi endormi.
Un café me réveille à l’un des nombreux bars du cours Lafayette. J’y lis Léautaud pour me laver la tête.
                                                              *
Quelque part dans la nature, pas loin du Fort de Brégançon, un élevage de palmiers.
                                                              *
J’avais pourtant gardé un assez bon souvenir de mon dernier passage à Saint-Tropez. Je me souviens y avoir été tranquille dans les petites rues et avoir fait une photo de draps d’hôtel séchant dans un pré. C’était en deux mille douze. Au mois de mars.
 

8 septembre 2022


A l’intérieur de la vaste Métropole Toulon Provence Méditerranée le ticket de bus est non seulement à un euro (avec la carte dix voyages) mais il permet aussi de prendre des bateaux qui traversent la rade en direction de Saint-Mandrier-sur-Mer ou Les Sablettes ou La Seyne-sur-Mer. Ce mercredi matin, je choisis la première destination et prends place à la proue du bateau bleu afin de profiter de la vue et de la fraîcheur.
Après avoir quitté le port, ce bateau bus passe entre le ferry pour la Corse et le navire militaire Mistral. Ensuite il file droit devant avec un léger tangage qui fait que l’on se sent vraiment sur la mer. Nous croisons un cargo puis au terme de vingt minutes de traversée c’est l’arrivée dans le port de Saint-Mandrier, joli bourg dont les habitations sont certes disparates mais esthétiquement cela se tient.
Je marche le long de ce port jusqu’à atteindre la petite plage du Canon près de laquelle rouille un bateau militaire puis reviens sur mes pas et découvre le petit port de pêche. J’entre ensuite à l’intérieur du bourg, me contentant d’en voir l’église mignonnette, près de laquelle est une maison abandonnée livrée à la végétation, et la Mairie qui affiche sa solidarité avec l’Ukraine.
Un bar tabac nommé Le Mistral me permet de boire un café à un euro cinquante puis de lire Léautaud avec vue un peu lointaine sur les bateaux de pêche. En face, l’arrêt de bus se nomme Bar Tabac. Il jouxte l’Office de Tourisme.
Celui-ci est climatisé. Je demande à la ravissante employée les plans de Saint-Mandrier, La Seyne, Six-Fours, Sanary et Bandol. Elle est sincèrement navrée de ne pas pouvoir me fournir le dernier.
Quelle paix à Saint-Mandrier, on se croirait déjà hors-saison. Plusieurs restaurants sont fermés. Chez ceux ouverts, on promet peu pour cher. Je me rabats sur la crêperie Au Roy d’Ys dont la terrasse est au bord de l’eau. Quinze euros cinquante pour une galette roquefort en morceaux pommes fraîches cuites et une crêpe sucre cannelle beurre demi sel. Au moins sont-elles bonnes. « J’ai pas envie d’aller à Bandol », dit un des trois travailleurs de la table voisine. Je le comprends.
Je retourne au Mistral pour le café puis rentre avec le bateau bus de treize heures trente-cinq, un modèle qui ne permet pas de se tenir à la proue, il faut suer à l’intérieur pendant les vingt minutes de traversée.
Sur les quais du port de Toulon, c’est la foule habituelle dont je m’extrais pour aller lire à La Gitane, sur un siège perché.
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Entendu ici et là, du genre féminin :
« On a bien mangé au mariage de samedi. Autant au mariage d’Audrey, on a mal mangé. C’est pas une critique. »
« J’en ai rien à faire qu’elle soit gentille. Elle est pas compétente. »
« Je ne suis pas en vacances pour manger des petits pois en boîte. »
 

7 septembre 2022


Allez zou, c’est le moment de commencer à rentabiliser ma carte mensuelle des cars Zou !
Ce mardi, je bipe dans celui qui va à Bandol et part à sept heures quarante-cinq de la Gare Routière de Toulon. Nous ne sommes qu’une poignée à l’emprunter. Le chauffeur explique qu’il a failli être supprimé, que c’est sûrement sa dernière année. J’en descends au terminus près du Casino, une moche construction qui dispose d’un parquigne privé tout au bord de l’eau.
Ce qui est beau ici, c’est le côté mer, la plage et une île au loin. Côté bâtiments, les immeubles du front de mer sont hideux et ont des noms prétentieux : Le Grand Horizon, Le Baccara, Le Palm Beach. Les quelques villas qui sortent du lot sont tristement kitchs. Un marché peu reluisant empêche de voir le port. Après le Casino, la route du bord de mer est dotée d’une suite rectiligne de petites boutiques minables. Cette ligne droite a pour parallèle une rue intérieure qui par contraste semble presque jolie.
Quand j’ai suffisamment marché, je trouve une place ombragée à la terrasse d’un « restaurant brasserie » de peu d’allure, le Flament B (dont l’enseigne est un flamant rose). Le café y est quand même à deux euros. Quand il est bu, je sors mon Léautaud.
Il fait si chaud que je n’ai pas envie de poursuivre la visite. Je ne saurai donc pas si Rudy Ricciotti est au travail dans son agence du boulevard Victor-Hugo, numéro dix-sept. N’empêche que cela m’aurait plu de revoir le flamboyant architecte. Une autre fois peut-être, il n’est pas impossible que je revienne à Bandol, dont je n’ai vu que la moitié, quand il fera meilleur.
A midi, quitte à mal manger, je retourne au Flament B car on y propose moules frites à dix euros. Cela me suffira avec une carafe d’eau. Ma voisine craque pour le burgueur à dix-huit euros cinquante. Elle fait la tête quand elle le voit arriver. Encore plus quand elle découvre que la tranche de jambon italien promise n’y est pas. Elle proteste. Le cuisinier vient voir « Ah zut, je l’ai oubliée, je vous l’apporte ». « Il ne va quand même pas me l’amener dans une assiette », dit-elle à son copain prudent qui a choisi les moules frites. La suite lui prouve que si.
Après avoir lu un moment sur un banc ombragé face à la mer près d’une jeune mère allaitante, je quitte Bandol avec le car Zou ! de treize heures trente-cinq. Arrivé à Toulon, je vais boire le café chez Béchir (un euro cinquante).
A l’autre bout de la terrasse, un alcoolisé est en boucle contre tous ceux-là. Pas un jour sans que j’entende ce genre de propos. Dans le car Zou ! de l’aller, l’accord était total entre le chauffeur et les quelques habitué(e)s assis derrière lui : « On n’est pas raciste, on les aime pas, c’est pas pareil. »
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A Bandol, une luxueuse villa presque sur la plage où reçoivent des spécialistes de la chirurgie plastique et esthétique.
 

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