Le Journal de Michel Perdrial
Le Journal de Michel Perdrial



Loïc Boyer
Je suis l’auteur de textes courts qui furent publiés depuis mil neuf cent quatre-vingt-quinze dans des revues littéraires en France (Supérieur Inconnu, Supplément d’Ame, Nouvelle Donne, Le Bord de l’Eau, Pris de Peur, l’Art du Bref, Sol’Air, Gros Textes, Salmigondis, Verso, Décharge, Bulle, Filigranes, Diérèse, Martobre, Comme ça et Autrement, (Cahier d’) Ecritures, La Nef des Fous), en Belgique (Traversées, Ecrits Vains, L’Arbre à Plumes, Inédit Nouveau, Bleu d’Encre), au Canada (Les Saisons Littéraires) et en Italie (Les Cahiers du Ru).
Les courageuses Editions du Chardon ont publié en mil neuf cent quatre-vingt-dix-neuf Erotica, un recueil de vingt-huit de ces textes, illustré par Isabelle Pio et Antoine Lopez et préfacé par Sarane Alexandrian, toujours disponible auprès de moi.
Je suis également l’auteur d’une pièce de théâtre et de plusieurs romans ou récits à ce jour inédits.
Depuis le onze novembre deux mille six, je publie mon Journal via Internet, un temps sous-titré Persiflages, moquages et autres énervages mâtinés de complimentages et de contentages. Sa première partie est lisible chez Eklablog, la deuxième ici.
Je vis au centre de Rouen dans un ancien monastère où autrefois les Sœurs de la Miséricorde se vouaient à l’éducation des jeunes filles.







Rss

« Je trouve imbécile d’être venu, pour être obligé de partir. », cent cinquantième anniversaire de la naissance de Léautaud

18 janvier 2022


Il y a ce jour cent cinquante ans, le dix-huit janvier mil huit cent soixante-douze, Paul Léautaud naissait, de parents comédiens, dans le premier arrondissement de Paris au numéro trente-sept de la rue Molière, dont on vient de fêter le quatre centième.
Une mère un peu catin qui m’a laissé tranquille dès ma naissance, un père qui était un brillant cascadeur plein de succès de femmes et qui ne s’occupait pas de moi. Enfin, ces gens qui m’ont laissé faire ma vie moi-même… je trouve que c’est quelque chose. commenta-t-il dans les Entretiens radiophoniques avec Robert Mallet.
Contrairement aux deux cents ans de Flaubert et aux quatre cents ans de Molière, cet anniversaire est inaperçu.
Je le célèbre à ma manière en publiant ici mon texte intitulé Trop tôt, trop tard paru en mars deux mille sept dans le numéro cent trente-trois de la revue Décharge :
Je t’aurais suivi Léautaud dans les rues de Rouen si je n’étais arrivé à la gare  un siècle en retard, on aurait pris le tramway jusqu’à l’hôtel de Bordeaux en bas de la rue de la République, il est toujours là cet hôtel, seulement ce n’est plus le même, la deuxième guerre mondiale est passée par là. De ta chambre, on aurait contemplé l’agitation du marché sur la place de la Basse-Vieille-Tour dominée par la flèche de la cathédrale. Je t’aurais accompagné dans ces vieilles rues que tu aimais bien, je suis sûr que tu es passé dans la mienne, sous mes fenêtres exactement. On aurait évité, je suis bien d’accord, ce palais dit de justice. Et puis on aurait bu des apéritifs et des cafés au café du Commerce, n’est plus là celui-là, et dîné au café de Paris, rue du Gros-Horloge, disparu lui aussi. Quand je pense à ce que j’ai manqué, on se serait bien amusés, notamment dans ce petit café, où donc pouvait-il être? de la rue de la République où l’on trouvait un phonographe, un piano mécanique, un oiseau tout aussi mécanique et ces fumivores avec un automate qui faisait du gymnase, comme tu disais. Ensuite, tu m’aurais emmené, tu connaissais les bonnes adresses, au Perroquet vert, ce bordel de la porte Guillaume Lion où bien sûr nous ne serions pas entrés. Le lendemain, on aurait grimpé avec le tramway jusqu’au sommet de la côte Sainte-Catherine et puis revenant à pied on se serait cachés tous les deux dans un bosquet pour reluquer, au bas de la côte, près du sentier, la jeune fille qui branlait le jeune homme. Ça nous aurait excités, on aurait fini aux Folies-Bergères dans l’île Lacroix, quel bon temps on aurait pris, aujourd’hui plus de bergères, plus de folies, et la statue de Corneille n’est même plus là pour montrer le chemin. Le troisième jour, tu ne m’aurais plus supporté c’est sûr, je t’aurais laissé partir seul à Darnétal, quelle foutue idée d’aller dans cette banlieue, et tout ça pour te faire interpeller par deux commissaires de police. Débrouille-toi tout seul, Léautaud, d’ailleurs je suis en vacances, en Bretagne.
Je t’aurais cherché Léotard si tu n’avais pas disparu une décennie plus tôt, seul dans ton imper à Quimper. On aurait exploré une à une toutes les rues de la Soif du Finistère, du Morbihan et des Côtes d’Armor en braillant des chansons de Léo Ferré, à l’amour comme à la guerre. À demi-mots amers, la nuit serait montée au cœur des jeunes filles. Tu m’aurais raconté une dernière fois l’histoire du ministre de la défense et du ministre de la défonce, elle était bien bonne celle-là mais ça t’a coûté cher, Léotard.
Oui, cela demande de la concentration, il faut faire bien attention, pour lire avec profit, comme je le fais, le Journal Littéraire de Paul Léautaud en écoutant les chansons de Philippe Léotard, seul dans mon blouson à Crozon, alors «laissez-moi en paix dans la tempête» comme disait Pouchkine.
                                                                         *
Etre un vieux monsieur n’est pas gai. Chaque nouveau jour qui passe y ajoute. Je supporte cela fort mal. Je n’ai rien vu de la sagesse qui fait qu’on se résigne, ni de la raison, qui vous fait dire qu’il n’y a rien à faire contre. Je peste et, en esprit, je me révolte. Je trouve imbécile d’être venu, pour être obligé de partir. (Paul Léautaud, lettre à Georgette Simon, le jeudi vingt-deux juillet mil neuf cent quarante-huit)