Entre les deux son cœur balance. Tout juste fiancé à l'actrice Olga Scheinpflugová, Karel Čapek rencontre fin mil neuf cent vingt Věra Hrůzová, une étudiante belle et brillante, fille d'un éminent professeur de l'Université de Brno. Il épousera Olga mais n’en continuera pas moins d’écrire à Věra, même après le mariage de celle-ci. Le triangle amoureux aura duré presque trois ans.
Ce sont ces Lettres à Věra, publiées par Cambourakis, que j’ai lues il y a quelques semaines en bord de mer à Sainte-Adresse.
Quelques extraits, empreints de l’ironie amère coutumière à l’écrivain :
Vingt-sept décembre mil neuf cent vingt : Hier, chez madame Felicinka, il y avait une atmosphère un brin funèbre ; on parlait des morts, que l’on avalait avec des petits fours ; c’était une issue assez digne de cette overdose psychique que me fait toujours Noël. (…)
Etre insouciant que vous êtes, si vous m’aviez vu aujourd’hui, vous auriez plissé les lèvres avec dédain.
Vingt janvier mil neuf cent vingt et un : Je vous supplie de ne pas chercher à soigner mon image ; cela me ferait ressembler à un gentil petit garçon ce qui est une sensation un peu gênante.
Vingt juillet mil neuf cent vingt-deux : Il y a quelque chose de très dénudé dans votre écriture ; c’est comme si l’on effleurait un corps nu. La tentation.
Vingt-quatre août mil neuf cent vingt-deux : Cependant, j’ai beaucoup à faire, comme vous le comprenez sûrement vous-même si vous pratiquez cette activité superficielle qu’est la lecture des journaux.
Huit septembre mil neuf cent vingt-deux : Si vous voulez savoir quelque chose, alors aujourd’hui, j’ai engagé une assistante ; je vous avais proposé ce poste mais vous m’aviez préféré un quelconque bureau technique ; c’est votre affaire – d’ailleurs, la mienne aussi. Mon assistance maitrise six langues mais quand je pense à celle, unique au monde, de couleur rose, bien agile et chargée de volupté…
Dix-neuf février mil neuf cent vingt-trois : Je ne peux vraiment rien faire qui vaille dans pareil état ; je vais poser mon cadavre au lit et j’espère une seule chose : dormir sans rêves durant au moins une semaine pendant laquelle il y aura la fin du monde.
Vingt et un décembre mil neuf cent vingt-quatre : J’ai réfléchi au cadeau de Noël que j’aurais envie de vous acheter ; comme cela arrive souvent chez des intellectuels, à force de cogiter et de mourir d’impatience, j’ai oublié de passer à l’acte…
Seize juillet mil neuf cent vingt-cinq : Ayez confiance dans l’expérience d’un écrivain : les plus beaux textes sont ceux que l’on n'aura jamais écrits ; c’est valable aussi pour une lettre.
Trois novembre mil neuf cent vingt-cinq : Vous avez complètement oublié de me faire part des expériences mémorables que vous avez faites à Paris. Probablement aucune, vu que vous n’y étiez pas seule. Un explorateur doit être seul.
Dix-neuf décembre mil neuf cent vingt-cinq : Je n’ai pas lu ce Duhamel, je vous le jure ; sans prétendre de n’avoir jamais plagié, pour une fois, je dois reprocher à Duhamel d’avoir écrit sans mon accord des choses que j’aurais moi-même écrites sous peu (et par ailleurs, moi, moins bien que lui ; ça c’est le comble !).
Treize juin mil neuf cent vingt-six : Sachez que, dans ma rocaille, je suis en train de créer un bel assortiment de pierres ; cet endroit sera un jour un peu comme la chapelle Saint-Venceslas, sauf que recouverte de joubarbes, d’orpins, de saxifrages et de draves. Enfin, cette montée du fascisme m’énerve – ma pelle à la main, j’ai envie de courir jusqu’à Prague pour y arracher les tripes à quelqu'un.
*
Karel Čapek meurt le vingt-cinq décembre mil neuf cent trente-huit, à l’âge de quarante-huit ans, d’un œdème pulmonaire. Après la publication des Lettres à Olga en mil neuf cent soixante et un, Věra décide de rendre publiques les siennes. Elles ne paraîtront qu’en mil neuf cent quatre-vingt, un an après sa mort.
Ce sont ces Lettres à Věra, publiées par Cambourakis, que j’ai lues il y a quelques semaines en bord de mer à Sainte-Adresse.
Quelques extraits, empreints de l’ironie amère coutumière à l’écrivain :
Vingt-sept décembre mil neuf cent vingt : Hier, chez madame Felicinka, il y avait une atmosphère un brin funèbre ; on parlait des morts, que l’on avalait avec des petits fours ; c’était une issue assez digne de cette overdose psychique que me fait toujours Noël. (…)
Etre insouciant que vous êtes, si vous m’aviez vu aujourd’hui, vous auriez plissé les lèvres avec dédain.
Vingt janvier mil neuf cent vingt et un : Je vous supplie de ne pas chercher à soigner mon image ; cela me ferait ressembler à un gentil petit garçon ce qui est une sensation un peu gênante.
Vingt juillet mil neuf cent vingt-deux : Il y a quelque chose de très dénudé dans votre écriture ; c’est comme si l’on effleurait un corps nu. La tentation.
Vingt-quatre août mil neuf cent vingt-deux : Cependant, j’ai beaucoup à faire, comme vous le comprenez sûrement vous-même si vous pratiquez cette activité superficielle qu’est la lecture des journaux.
Huit septembre mil neuf cent vingt-deux : Si vous voulez savoir quelque chose, alors aujourd’hui, j’ai engagé une assistante ; je vous avais proposé ce poste mais vous m’aviez préféré un quelconque bureau technique ; c’est votre affaire – d’ailleurs, la mienne aussi. Mon assistance maitrise six langues mais quand je pense à celle, unique au monde, de couleur rose, bien agile et chargée de volupté…
Dix-neuf février mil neuf cent vingt-trois : Je ne peux vraiment rien faire qui vaille dans pareil état ; je vais poser mon cadavre au lit et j’espère une seule chose : dormir sans rêves durant au moins une semaine pendant laquelle il y aura la fin du monde.
Vingt et un décembre mil neuf cent vingt-quatre : J’ai réfléchi au cadeau de Noël que j’aurais envie de vous acheter ; comme cela arrive souvent chez des intellectuels, à force de cogiter et de mourir d’impatience, j’ai oublié de passer à l’acte…
Seize juillet mil neuf cent vingt-cinq : Ayez confiance dans l’expérience d’un écrivain : les plus beaux textes sont ceux que l’on n'aura jamais écrits ; c’est valable aussi pour une lettre.
Trois novembre mil neuf cent vingt-cinq : Vous avez complètement oublié de me faire part des expériences mémorables que vous avez faites à Paris. Probablement aucune, vu que vous n’y étiez pas seule. Un explorateur doit être seul.
Dix-neuf décembre mil neuf cent vingt-cinq : Je n’ai pas lu ce Duhamel, je vous le jure ; sans prétendre de n’avoir jamais plagié, pour une fois, je dois reprocher à Duhamel d’avoir écrit sans mon accord des choses que j’aurais moi-même écrites sous peu (et par ailleurs, moi, moins bien que lui ; ça c’est le comble !).
Treize juin mil neuf cent vingt-six : Sachez que, dans ma rocaille, je suis en train de créer un bel assortiment de pierres ; cet endroit sera un jour un peu comme la chapelle Saint-Venceslas, sauf que recouverte de joubarbes, d’orpins, de saxifrages et de draves. Enfin, cette montée du fascisme m’énerve – ma pelle à la main, j’ai envie de courir jusqu’à Prague pour y arracher les tripes à quelqu'un.
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Karel Čapek meurt le vingt-cinq décembre mil neuf cent trente-huit, à l’âge de quarante-huit ans, d’un œdème pulmonaire. Après la publication des Lettres à Olga en mil neuf cent soixante et un, Věra décide de rendre publiques les siennes. Elles ne paraîtront qu’en mil neuf cent quatre-vingt, un an après sa mort.