Le Journal de Michel Perdrial
Le Journal de Michel Perdrial



Loïc Boyer
Je suis l’auteur de textes courts qui furent publiés depuis mil neuf cent quatre-vingt-quinze dans des revues littéraires en France (Supérieur Inconnu, Supplément d’Ame, Nouvelle Donne, Le Bord de l’Eau, Pris de Peur, l’Art du Bref, Sol’Air, Gros Textes, Salmigondis, Verso, Décharge, Bulle, Filigranes, Diérèse, Martobre, Comme ça et Autrement, (Cahier d’) Ecritures, La Nef des Fous), en Belgique (Traversées, Ecrits Vains, L’Arbre à Plumes, Inédit Nouveau, Bleu d’Encre), au Canada (Les Saisons Littéraires) et en Italie (Les Cahiers du Ru).
Les courageuses Editions du Chardon ont publié en mil neuf cent quatre-vingt-dix-neuf Erotica, un recueil de vingt-huit de ces textes, illustré par Isabelle Pio et Antoine Lopez et préfacé par Sarane Alexandrian, toujours disponible auprès de moi.
Je suis également l’auteur d’une pièce de théâtre et de plusieurs romans ou récits à ce jour inédits.
Depuis le onze novembre deux mille six, je publie mon Journal via Internet, un temps sous-titré Persiflages, moquages et autres énervages mâtinés de complimentages et de contentages. Sa première partie est lisible chez Eklablog, la deuxième ici.
Je vis au centre de Rouen dans un ancien monastère où autrefois les Sœurs de la Miséricorde se vouaient à l’éducation des jeunes filles.







Rss

A Paris un mercredi de calme après la tempête

13 décembre 2024


Ce n’est que depuis ce mardi que les trains circulent à nouveau entre Le Havre et Paris. Le sept heures vingt-trois du mercredi est à l’heure. J’y lis M Train de Patti Smith, un texte autobiographique illustré de photos en noir et blanc prises par elle-même. Cela m’intéresse plus que je l’imaginais. La voici passant Noël seule dans un cinéma qui projette Millénium : Les hommes qui n’aimaient pas les femmes. Me voilà en compagnie d’une vingtaine de traînards, confortablement isolée du monde, baignant dans un certain bien-être de Noël, pas de cadeaux, pas d’Enfant Jésus, pas de guirlandes argentées ni de gui, juste un sentiment de liberté absolue.
Je cesse de lire quand les saumons commencent à remonter la rame. Ce qu’ils font de plus en plus tôt, tant les obsède le désir de travailler on ne peut plus rapidement.
Paris est mouillée quand je sors de terre à Ledru-Rollin. Je suis seul client au Camélia où le fils de la maison est de retour derrière le comptoir du tabac et des jeux à perdre.
Emile est absent au Marché d’Aligre. Chez Amin, qui a sorti ses barnums, les livres abrités sont les mêmes que ceux de la semaine dernière, à quoi s’ajoutent quelques nouveautés, dont quatre énormes volumes de Correspondance de Saint Pierre Fourier. Heureusement, je ne m’intéresse pas à la chose religieuse.
Rien chez Re Read où je regrette surtout de ne plus voir la jolie vendeuse et une maigre récolte au Book Off de Ledru-Rollin où je ne dépense qu’un euro pour A la garde - Lettre à mon père pasteur de Daniel de Roulet (Labor et Fides).
Au guichet du métro, je blinde de trente voyages une de mes cartes Navigo Easy. Elle me permettra de continuer à circuler au prix d’un euro soixante-treize le trajet quand arriveront les augmentations de janvier deux mille vingt-cinq.
Mon déjeuner, c’est encore chez Au Diable des Lombards, os à moelle au four et ses toasts puis côte de porc, pommes de terre et patates douces.
Le sous-sol du Book-Off de Saint-Martin me permet de remplir mon sac de livres à un euro : Un ciel de pierres - Voyage en Atacama de Matthieu Gounelle avec des dessins de Frédéric Pajak (Gallimard), Mémoires de la Marquise de La Tour du Pin (Le Temps Retrouvé / Mercure de France), Encyclopédie privée d’Enis Batur (Actes Sud), Les années / Vers la chartreuse de Carlo Emilio Gadda (Christian Bourgois), La Tragédie du Saint-Philibert de Roland Mornet (La Geste), Enfance salentine de Gianluca Virgilio (Edit Santoro), Exobiographie de René de Obaldia (Les Cahiers Rouges / Grasset), Les sautes d’humour de Marcel Proust recensées par Serge Sanchez (Payot) et Les plus jolies fautes de français de nos grands écrivains récoltées par Anne Boquel et Etienne Kern (Payot).
De là au Bistrot d’Edmond, pour un café comptoir peu bon mais peu cher. Le troisième Book-Off vaudra-t-il le détour cette fois ?
A l’angle de deux allées je vois gicler un tabouret à roulettes envoyé là par une béquille au bout de laquelle s’accroche le vieux bouquiniste qui pousse d’un pied un lourd panier de livres. Il me demande si j’arrive à lire tous les livres que j’achète. « Bien sûr que non, lui dis-je, mais je suis obligé de les prendre car je ne les reverrai sans doute pas à ce prix-là. » Il me raconte une nouvelle fois sa vie, m’apprenant qu’il a pour voisin Raphaël Glucksmann (inutile de préciser l’adresse). Voyant un livre de Guy Bedos : « Il était gentil. Il m’achetait des livres quand j’avais une boîte sur les quais. Je lui ai montré une photo de ma fille qui venait de naître. Po po po, il m’a dit, comme elle est belle ! » Il m’en montre une de cette même fille qui a maintenant douze ans, allongée sur un canapé, une tablette entre les mains. Elle ne lit aucun livre, c’est son désespoir. Il veut aussi me montrer une photo de son bureau, mais oubliant ce qu’il cherche, m’en présente deux de lui quand il était hippy. « J’ai mis trois mois pour arriver en Inde et je suis revenu en une journée. » Malgré son handicap, il grimpe à l’étage où sont les livres d’art. Sans doute perd-il un peu la tête, il est persuadé qu’on s’est connu sur les quais.
Je quitte les lieux en ayant ajouté quatre livres à un euro à mon butin du jour, dont par coïncidence Défense des bouquinistes des quais et d’ailleurs, un hors-série du bulletin des Amateurs de Rémy de Gourmont publié lorsque la Maire Hidalgo, qui a enfin ôté la décoration dédiée de son Hôtel de Ville, voulait les virer pour l’ouverture de ses Jeux Olympiques, avec des textes dudit et de contemporains ainsi que des dessins de cette époque. Les trois autres sont Paul Gadenne par Didier Sarrou (La Part Commune), Lectures - Chroniques du New Yorker de George Steiner (Arcades / Gallimard) et Mais dans quel monde vivez-vous ! de Georges Picard (José Corti).
Je rentre en compagnie de Patti Smith qui peste quand elle trouve sa table préférée au Café ‘Ino occupée par une autre. Dans un épisode d’Inspecteur Barnaby, on l’aurait sûrement retrouvée étranglée au fond d’un ravin, derrière un presbytère abandonné. Sa commande habituelle : un café, un toast de pain complet et de l’huile d’olive. Un petit-déjeuner donc je pourrais m’inspirer si je ne peux plus manger de confiture.
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Le site Far Out m’apprend que le Café ‘Ino a fermé ses portes en deux mille treize, deux ans avant la publication de M Train, et que le propriétaire a offert à Patti Smith la table et la chaise qu’elle a occupées pendant plus d'une décennie. Ça n’a pas dû suffire à la consoler.
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Légende d’un des dessins de Défense des bouquinistes des quais et d’ailleurs : « Je cherche ce que je trouve. »