Le Journal de Michel Perdrial

Le Journal de Michel Perdrial




Loïc Boyer
Je suis l’auteur de textes courts qui furent publiés depuis mil neuf cent quatre-vingt-quinze dans des revues littéraires en France (Supérieur Inconnu, Supplément d’Ame, Nouvelle Donne, Le Bord de l’Eau, Pris de Peur, l’Art du Bref, Sol’Air, Gros Textes, Salmigondis, Verso, Décharge, Bulle, Filigranes, Diérèse, Martobre, Comme ça et Autrement, (Cahier d’) Ecritures, La Nef des Fous), en Belgique (Traversées, Ecrits Vains, L’Arbre à Plumes, Inédit Nouveau, Bleu d’Encre), au Canada (Les Saisons Littéraires) et en Italie (Les Cahiers du Ru).
Les courageuses Editions du Chardon ont publié en mil neuf cent quatre-vingt-dix-neuf Erotica, un recueil de vingt-huit de ces textes, illustré par Isabelle Pio et Antoine Lopez et préfacé par Sarane Alexandrian, toujours disponible auprès de moi.
Je suis également l’auteur d’une pièce de théâtre et de plusieurs romans ou récits à ce jour inédits.
Depuis le onze novembre deux mille six, je publie mon Journal via Internet, un temps sous-titré Persiflages, moquages et autres énervages mâtinés de complimentages et de contentages. Sa première partie est lisible chez Eklablog, la deuxième ici.
Je vis au centre de Rouen dans un ancien monastère où autrefois les Sœurs de la Miséricorde se vouaient à l’éducation des jeunes filles.







Rss

29 septembre 2022


Il est grand temps d’aller dans la Presqu’île de Giens car les deux bus qui la desservent ne circuleront plus après le deux octobre (ce sera du transport à la demande).
C’est pourquoi ce mercredi je suis quand même de retour dans le car Zou ! qui part pour Le Lavandou à sept heures quarante-cinq et j’en descends à Hyères Centre Joffre où je monte peu après dans le bus Mistral numéro Soixante-Sept dont le terminus est La Tour Fondue au bout de la presqu’île, là où se trouve l’embarcadère pour Porquerolles. Je le quitte à l’arrêt Giens, près du l’église du village perché, et à deux pas d’icelle, je reconnais le petit magasin Spar où j’allais faire des courses chères.
C’était il y a plus de trente ans. Un mois de vacances d’été passé à Giens dans un mobil-home loué à un psychiatre via une annonce de Libération. Ce mobil-home était son ancienne demeure et se trouvait dans son jardin. Un soir j’y ai dîné, dans ce jardin, avec un couple de ses amis, Frédéric Chopin (de la famille de l’autre mais pas son descendant puisque le compositeur n’a pas eu d’enfant) et sa femme (une Castafiore anglaise).
Ce psychiatre faisait faire de la moto à sa femme enceinte de huit mois. Son oie dormait dans sa Mercedes. Des fourmis se baladaient dans son réfrigérateur. Un jour où nous étions en route pour Aix-en-Provence où sa femme devait consulter pour l’accouchement, deux pneus de sa Mercedes éclatèrent en même temps dans un virage.
Je serais bien incapable de retrouver la maison de ces vacances lointaines. Je n’essaie même pas. Je vois une pancarte indiquant Port du Niel et je suis cette route qui descend vers la mer. De chaque côté, ce sont des quartiers privés à l’américaine.
Quand j’arrive en bas, je découvre un charmant petit port que j’avais oublié. Quelques pêcheurs y officient encore. Une caisse en fait foi, emplie de gros et longs poissons. Ceux qui les ont attrapés me disent leurs noms, qui me sont inconnus et que je ne peux retenir. De ce port, il y a vue sur les îles.
Remonté au village, je constate qu’aucun restaurant ne fera mon affaire, bien que l’un s’appelle Mich’Resto, et que l’unique bar ouvert l’est sur la route. Aussi, je vais attendre le bus du retour.
Celui-ci longe les étangs et les salins des Pesquiers. Des flamants roses se font voir. J’en descends à l’arrêt Gare de Hyères et attends le numéro Vingt-Neuf qui va à la Gare Routière de Toulon. Si le trajet au début n’est pas désagréable, qui montre vignes et oliviers, par la suite c’est une banlieue interminable. Quand je suis au but, je me jure de ne plus jamais le prendre.
A midi dix, je suis à la Feuille de Chou. Le plat du jour est poitrine de veau farcie au figatelli et gratin dauphinois. Il s’avère excellent. Le dessert est un fondant au chocolat. Ce pourrait être un bon moment mais nous sommes mercredi et un couple avec trois enfants me côtoie de trop près. L’un des moutards a nom Gustave. Ça en dit long.
Ce putain de mistral continuant à souffler, je m’assois à une table située contre la paroi de l’auvent de La Cigale. Là, après un café, je peux quand même lire, mais moins longtemps que je le voudrais.
J’en repars après avoir constaté que le mistral est aux pigeons ce que le ventilateur est aux moustiques, une sérieuse source de dérangement.
                                                              *
Il y a plus de trente ans, l’été, la plage publique de Giens, c’était déjà l’horreur. Des corps par milliers collés les uns aux autres et des guêpes par dizaines autour des poubelles.
La première solution fut d’aller à la plage de l’Hôpital Renée-Sabran mais la vue des estropiés d’accidents de la route avait fini par devenir déprimante.
Aussi le choix fut d’emprunter à pied la voie privée d’un quartier réservé nommé La Polynésie et de s’allonger sur le sable de sa petite plage bien cachée dans une calanque, parmi des riches qui n’osaient ou ne pouvaient protester.
                                                              *
Saint-John-Perse adorait Giens et y est enterré, pas eu envie d’aller le saluer, pas assez cher à mon cœur (comme on dit).
 

29 septembre 2022


Je crapahute et je m’épuise. Une journée de pause m’est nécessaire et elle tombe bien car, je m’en rends compte en sortant, ce mardi matin souffle un putain de mistral. « Là, ils annoncent cent », dit le serveur du Maryland qui part à la retraite vendredi prochain. « Cent dix », renchérit un client. On n’en est pas là mais le plus désagréable, c’est que ce vent est froid. « Mets ta cagoule », conseille ce même serveur à un commerçant du marché.
Mon petit-déjeuner terminé, je me rends au Grand Café de la Rade pour un autre café, accompagné cette fois de la lecture du Journal littéraire de Paul Léautaud. A l’intérieur de ce vaste établissement, je suis longtemps seul avec la serveuse énigmatique au physique un peu étrange possiblement anorexique.
Vers dix heures, j’achète des fruits peu chers sur le cours Lafayette à une marchande qui se plaint que son petit-fils ait des profs qui ne tiennent que deux jours puis je me dirige vers la place de la Liberté.
Près de celle-ci, j’ai découvert Les Kiosques par hasard samedi dernier en sortant de la Maison des Arts. D’abord, je n’en ai vu qu’un, celui ouvert à tout vent, dans lequel il n’y a personne. J’ai pris ça pour une boîte à livres géante. J’ai eu beau chercher parmi les trois mètres de hauteur de livres, avec échelle mise à disposition, je n’y ai vu que de la daube. Je suis donc ressorti sans rien à la main et c’est alors que j’ai vu en face une autre caverne pleine de livres, en forme de boutique, où était écrit Les Kiosques et dedans une jeune femme qui m’observait.
J’ai traversé la rue et lui ai demandé des explications. Ainsi ai-je appris qu’il s’agit d’une bouquinerie éclatée en plusieurs kiosques. D’autres sont plus haut dans la rue. Avec la pluie qui tombait, je ne me suis pas attardé. J’y reviens ce mardi pour faire des photos et voir ça de plus près, surtout ceux du haut où doit se trouver la bonne littérature.
Le maître des lieux, installé dans un local ouvert sur la rue, me renseigne. Pas de rayon correspondances et journaux intimes. Il faut chercher par ordre alphabétique d’auteurs dans la boutique d’en face. Je ne trouve rien que je n’aie déjà. Dans ce que je vois. Car des piles de livres en désordre cachent des pans entiers d’alphabet.
Je repars donc sans livre acheté et me mets à la recherche d’un restaurant. Tutti Frutti et Côté Cochon n’ont plus de plat du jour mais un plat qui reste plusieurs jours. Aussi, je retourne à La Feuille de Chou qui en a encore un et où les tables sont de plus un peu protégées du vent. Ce jour, c’est conchiglioni farcis sauce tomate et basilic, que je fais suivre d’un tiramisu au café.
Impossible d’aller boire le café et lire à La Gitane. Sur le quai, le mistral est insupportable. Je trouve refuge à la terrasse du bar tabac Le Brazza, près d’une fontaine, place Camille-Ledeau, un euro soixante l’expresso, mais quand même du vent.
Je ne peux rester là longtemps à lire. S’il souffle moins fort sur cette place, ce mistral est surtout froid. « C’est le tournant », disent des passants. Je me demande si je ne vais pas être obligé d’acheter un pull.
                                                                        *
Pratique d’avoir une pharmacie en bas du cours Lafayette qui ouvre à sept heures et demie du matin quand on a des médicaments à renouveler. Le Grand Café de la Rade, lui, c’est sept jours sur sept, toute l’année, de six heures à minuit. Ce n’est pas à Rouen que l’on trouvera ça.
 

27 septembre 2022


« Merci de me faire descendre à La Gorguette », dis-je au chauffeur du car Zou ! Toulon Bandol de sept heures quarante-cinq quand je constate que les arrêts ne seront pas annoncés dans son véhicule. Il me le promet.
Oui mais comme il cause avec des habituées assises près de lui, le moment venu il oublie et je me retrouve au terminus. Je ne suis pas content et le lui fais savoir : « Vous parlez avec ces dames et vous oubliez de faire votre travail ». Il me répond qu’il a le droit de discuter. « Non, il est interdit de parler au chauffeur. » Il sait que j’ai raison et qu’il s’est mis en tort. « Je vous y conduis », me dit-il.
Il va faire demi-tour au rond-point et nous voici repartis dans l’autre sens en dehors de tout règlement. Quand je suis là où je voulais être, je le remercie et lui souhaite une bonne journée.
Muni du plan que l’on m’a remis l’autre jour à l’Office de Tourisme de Sanary, je me mets à la recherche de la maison qui appartenait dans les années trente à Aldous Huxley et à sa femme Maria. Celle où il écrivit pendant l’année mil neuf cent trente et un, en quatre mois, Le Meilleur des mondes, où il rédigea également d’autres ouvrages, parmi lesquels Croisière d'hiver en Amérique centrale son deuxième récit de voyage. Cette demeure est devenue par la suite un lieu d’hébergement pour classes de découverte nommé Les Flots et est aujourd’hui en travaux afin de la transformer en Villa Huxley, lieu de souvenir et de rencontre.
Je la trouve à l’endroit indiqué, allée Thérèse. C’est effectivement un chantier. Je demande à l’un des ouvriers si je peux entrer dans le jardin pour faire quelques photos. « Vous êtes un particulier ? Oui alors allez-y ».
D’où est située cette vaste maison aux volets bleus, l’écrivain et sa femme ne voyaient la mer que depuis les étages.
Plus loin, vers la pointe de la Tourette, est la première des deux maisons qu’occupèrent à Sanary, Lion Feuchtwanger et sa femme Maria, quand ils fuirent l’Allemagne nazie avec l’espoir de trouver la sécurité en France. On sait ce qu’il en fut, j’en ai parlé dans ce Journal.
Il me faut marcher un certain temps sur une étroite avenue du Prado qui monte et qui descend, puis pareillement sur le tout aussi étroit boulevard de la Plage pour atteindre la Villa Lazare, grande maison carrée également en travaux. Des échafaudages l’entourent. Le rouge carmin de ses murs est tout récent. Je demande à l’un des ouvriers si c’est la couleur d’origine. « Non pas du tout. » L’endroit est privé, je ne demande pas à entrer.
En contrebas de cette villa est la baie de Cousse et sa petite plage de galets. L’écrivain et sa femme avaient bien choisi leur premier lieu d’exil. Ils étaient cachés par les arbres et avaient une vue magnifique sur le large.
En revenant vers mon point de départ, je cherche une possibilité de me rapprocher de la côte mais impossible, tout est privé. Quand même, une brèche me permet d’entrer dans un jardin et de découvrir en contrebas un port privé où sont amarrés une petite dizaine de bateaux à moteur.
Le car Zou ! du retour ne sera qu’à onze heures. Cela me laisse le temps de marcher le long des plages en direction de Bandol jusqu’à l’arrêt Viaduc. Là est un restaurant posé sur le sable, le K Banon. J’y bois un café à deux euros.
Rentré à Toulon, je déjeune en terrasse à La Feuille de Chou. Il fait un peu frais, l’automne est là, plus de tenue sexy pour la jeune serveuse et comme plat du jour un bœuf bourguignon à la polenta gratinée.
                                                                    *
Dans tous les cars de toutes les régions de France, des femmes à chauffeur, des habituées ou non, qui s’assoient le plus près possible de lui, et lui raconte leur vie pleine de déboires durant tout le trajet. Eux, flattés, bien sûr.
                                                                   *
...nous sommes en train d'emménager dans une petite maison donnant sur la Méditerranée. S'il vous venait à l'idée de revoir à nouveau le "vieux monde", rappelez-vous bien notre adresse: 30 mn de Marseille, 10 de Toulon, Sincèrement vôtre. (Aldous Huxley)
                                                                   *
En octobre mil neuf cent trente-trois, un jour où Lion Feuchtwanger discutait avec Bertolt Brecht et Arnold Zweig venus lui rendre visite à la Villa Lazare, le frein à main de sa voiture céda à cause de la pente. Elle allait les renverser quand Maria réussit à la faire dévier mais elle eut la jambe cassée. C’est chez Aldous Huxley qu’ils appelèrent les secours. Cela est raconté sur la plaque qui est apposée sur le mur d’enceinte de cette Villa Lazare.
 

26 septembre 2022


Ce dimanche, nous sommes trois passagers dans le premier bateau bus pour Saint-Mandrier. Pour une fois je me tiens à la proue et suis impressionné par la façon dont il brasse la mer quand le capitaine met la gomme sitôt sorti du port de Toulon. Nous croisons un ferry jaune qui arrive de Corse ou de Sardaigne. Bon nombre de ses passagers sont sur le pont. A l’arrivée dans l’anse du Creux Saint-Georges, je descends au ponton Président qui donne accès à la partie ouest du port.
Mon objectif est facile ce jour : marcher le long de l’eau jusqu’à la pointe de la Vieille. Cela me fait passer à côté de la Capitainerie, du Centre Nautique, de la plage du Touring, puis, par le quai Séverine, j’atteins le cleube de plongée où un bateau est prêt à partir. C’est ensuite un hôtel cleube et une résidence Pierre et Vacances et me voici à la plage de la Vieille et à la pointe du même nom. Malheureusement, je ne peux marcher jusqu’à son extrémité car elle est inclue dans un terrain militaire qui enserre une jolie colline boisée où je me serais bien baladé. Le panneau que je ne cesse de rencontrer depuis le début du mois est sans appel : « Défense d’entrer ».
Je reviens sur mes pas. Pour retourner à Toulon depuis le ponton principal, il me faut faire le tour du port, ce qui me fait passer par la pointe des Blagueurs (peut-être appelée ainsi parce qu’il n’y a pas de pointe à cet endroit). Je découvre le Foyer des Jeunes, sinistre local qui donne à penser qu’ils ont tous été bouclés derrière les solides barreaux bleus (un problème de réglé) puis j’atteins le coin des pêcheurs qui est bien bordélique (à Sanary on en serait malade) et la Mairie sur laquelle la banderole de soutien à l’Ukraine n’est plus. Il ne me reste qu’à m’asseoir sous l’abri du ponton.
A neuf heures et demie, le bateau bleu se présente. Nous sommes une dizaine à rallier Toulon. Sitôt à quai, je me dirige vers le Grand Café de la Rade. Le temps me permet à nouveau d’occuper une table de premier rang à sa terrasse.
Je lis Léautaud jusqu’à onze heures et demie puis entre dans la vieille ville à la recherche d’un endroit où déjeuner. Je m’arrête au Mondial Café qui affiche ses burgueurs à douze euros cinquante. J’opte pour celui au reblochon.
-Voulez-vous le journal ? me demande la patronne.
-Non merci
-Il est vrai que maintenant avec le téléphone…
Je n’hésite pas à mentir :
-Je n’ai pas de téléphone.
-Ah c’est une bonne chose, me dit-elle, la réponse convenue de qui ne peut s’en passer.
Je ne suis pas déçu par mon burgueur quand il arrive. Il est bien garni et à mon goût. Je félicite le cuisinier qui vient aux nouvelles. A part moi ne mange là qu’un trentenaire qui a commandé une salade sans vinaigrette. Le quart de vin n’est pas donné, sept euros, je le découvre en payant avec la carte bancaire.
Je n’ai plus qu’à descendre jusqu’à La Gitane où j’espère que ma table sera libre. Ce faisant je passe, place de la Poissonnerie, devant une plaque commémorative qui dit qu’ici se trouvait la Maison des Têtes où il y eut treize morts lors de sa destruction par explosion en mil neuf cent quatre-vingt-neuf.
Je me souviens de cette histoire. La version officielle est le suicide au gaz d’une habitante du troisième étage, une adjudante cheffe à la retraite qui était dépressive. Cependant certains ont accusé les militaires. Il y avait des manœuvres conjointes avec l’armée américaine ce jour-là. Un missile aurait détruit la maison. Une femme disait avoir été au téléphone avec l’une des victimes, un homme, et l’avoir entendu pousser un cri d’effroi juste avant l’explosion. Comme s’il avait vu quelque chose foncer sur lui. La question est de savoir si on a le temps de voir arriver un missile avant qu’il vous tue. J’espère ne pas avoir à en faire l’expérience avant la fin de mon séjour.
                                                                    *
A Saint-Mandrier, un quidam avec écrit sur son ticheurte : « Près des marmottes, loin des blaireaux ». Le meilleur moyen de signaler qu’on en est un, de blaireau, contrairement à ce qui est écrit.
 

25 septembre 2022


Comme annoncé depuis plusieurs jours, il pleut à Toulon ce samedi matin, une pluie que je qualifierais de normande, tranquille et persévérante. Sous l’auvent qui abrite mon petit-déjeuner, le serveur du Maryland m’apporte « le journal » avec mon allongé. Var Matin dit que ça va tomber jusqu’à ce soir alors que le site Météo France prévoit le retour du soleil vers midi.
Ce qui est sûr, c’est qu’il pleut. Je vais donc lire Léautaud, que je transporte dans un sac de pharmacie bien étanche, à l’intérieur du Grand Café de la Rade, près de la vitre ouverte, à une table d’où je vois le mouvement des bateaux dans la brume. La Presqu’île de Saint-Mandrier est à peine visible.
A onze heures, je mets le cap sur la place de la Liberté. Près d’icelle se trouve l’Hôtel des Arts dont l’extérieur a été l’objet en deux mille vingt d’une intervention artistique d’Alexandre Benjamin Navet (décors peints sur façade). S’y tient l’une des deux expositions gratuites organisées pour le sixième festival Design Parade Toulon, celle intitulée Intérieurs Modernes 1920 1930. On peut y voir du mobilier prêté pat le Centre Pompidou, sur deux niveaux, dans des salles assez petites où il fait trop chaud. J’ai déjà vu ces meubles à Paris mais les ai oubliés.
Je redécouvre le bureau suspendu, le lit avec chevet intégré et la chaise inclinable de Jean Prouvé, des pièces de mobilier de la maison en bord de mer d’Eileen Grey que j’ai frôlée l’an dernier à cette saison lors de mon séjour à Nice, et aussi la table extensible, le casier mural et la studio bar de Charlotte Perriand, également des chaises et fauteuils provenant de la villa construite par l’architecte Robert Mallet-Stevens pour Charles et Marie-Laure de Noailles à Hyères.
De retour dans la vieille ville, je passe devant le Roger Bar qui me servit de repère le jour de mon arrivée pour trouver mon logement Air Bibi. Il propose ce samedi du poisson à la créole avec des patates douces. Ce bar est dans son jus (comme disent les agents immobiliers) et sa clientèle fort pittoresque. A l’intérieur, trois tables et demie, un cuisinier d’origine antillaise et celui qui sert au bar, tous deux en couple peut-être.
Le cuisinier m’installe à l’une des tables et bientôt m’apporte son plat du jour. Je suis déçu tant par la qualité des patates douces que par leur quantité. La moitié de l’assiette est occupée par de la salade. Tandis que je mange, Claude François chante Cette année-là et le cuisinier inoccupé évoque son passé avec un client habillé à la mode des années cinquante. Il parle du temps où il travaillait à Genève, quand il avait vingt ans, à La Garçonnière. Maintenant, il en a cinquante-huit. Avec le quart de vin blanc, j’en ai pour dix-sept euros cinquante. Ça a été ? Oui, dis-je lâchement. La maison ne prend pas la carte bancaire.
Il est temps d’aller voir la seconde expo du festival Design Parade Toulon. Elle se tient dans l’ancien Evêché situé à l’angle du cours Lafayette et de ma rue provisoire. Quand j’entre, je découvre un lieu bien plus vaste qu’il n’apparaît de l’extérieur, et sur trois niveaux. Alors, comme en plus la pluie cesse, je décide de remettre ma visite à un autre jour et vais boire un café puis lire à La Gitane.
Quand, de ma chaise haute, je regarde qui passe sur le quai, je vois deux jolies filles qui se tiennent par la main puis un jeune homme habillé arc-en-ciel. A seize heures trente, c’est la Marche des Fiertés à Toulon, la troisième seulement.
                                                                      *
De façon un peu décousue, je m’informe de l’actualité rouennaise.
C’est ainsi que j’apprends, sans surprise, je l’avais prévu, que c’est le bazar pour traverser la rue de la Jeanne depuis que les passages zébrés sur la chaussée ont été remplacés par les œuvres d’art d’InkOj (il n’y est pour rien, c’est l’idée de la Mairie qui est mauvaise).
Plus grave, que le metteur en scène Thomas Jolly a été désigné directeur artistique des cérémonies d’ouverture et de clôture des Jeux Olympiques de Paris. Quelle erreur d’avoir cédé ainsi aux sirènes de la notoriété. Mon souhait est que cet évènement néfaste, ce gouffre financier, cette catastrophe écologique, cette apologie des nationalismes, n’ait pas lieu.
                                                                       *:
« Ce qui est certain, c'est que je ne retrouve chez vous, rien de la Dominique que j’ai connue.
Pour le reste: j'écris ce que je veux, vous en pensez ce que vous voulez. »
C’est ce que j’ai répondu à une qui m’a envoyé un mail très désagréable pour avoir évoqué il y a quelques temps, à l’occasion de sa mort, sa mère que j’ai connue autrefois.
 

24 septembre 2022


Ce vendredi, je retrouve la Gare Routière d’où part à sept heures quarante-cinq un bus Mistral numéro Trente-Neuf dont le terminus est à Hyères. Mon objectif est d’en descendre à Carqueiranne. Je ne le réalise qu’après un long trajet sans grand intérêt de trois quarts d’heure. L’arrêt Carqueiranne est sur la grand-route. Je prends la première à droite qui descend vers la mer et arrive au port.
Celui-ci est banal et occupe tout le bord de mer public. Ensuite, de chaque côté, ce sont des propriétés privées. Aucun espoir de trouver un sentier côtier. J’ai quand même la belle vue sur la Presqu’île de Giens.
La Boule des Pins Penchés a son local près de ce port et des cafés restaurants le longent. Je boirais bien un café à la terrasse de l’un d’eux mais les gars de la ville sont en train de fixer un panneau pour l’Ecole de Plongée à l’aide d’une perceuse qui me vrille les oreilles. Filons d’ici, me dis-je.
Je remonte jusqu’à la grand-route où il me faut attendre vingt-cinq minutes le bus qui va à Toulon. Quand j’y arrive, je descends vers le port et sitôt sur place trouve une table de premier rang à la terrasse du Grand Café de la Rade où je peux reprendre dans les meilleures conditions ma lecture du Journal littéraire de Paul Léautaud. Celui-ci donne son opinion sur les livres pour enfants, bien que les enfants, d’ordinaire, il ne s’en soucie pas, il les a même en horreur. Ça me fait penser à quelqu’un, aussi prends-je pour lui une photo de ma table avec le livre ouvert à cette page et à côté mon carnet de notes qui lui rappellera quelque chose.
A midi, on me trouve une table à la terrasse de l’Unic Café. C’est le jour de l’aïoli. Je demande au serveur une double portion de mayonnaise aillée, quitte à payer un supplément, mais il n’est pas question de payer plus, me dit Béchir lorsque je règle ce délicieux repas.
Quels sont ces gens sur mon perchoir ? me dis-je en arrivant au bar tabac La Gitane. Je dois le laisser au couple vulgaire qui l’occupe et me contente d’une table basse pour mon café lecture qu’à part les pigeons effrontés, nul ne vient troubler.
                                                                  *
Une quinquagénaire à sa semblable qu’elle attendait devant la Station Maritime où sont les bateaux bus : « Tu ne peux pas avoir un téléphone qui marche, je ne supporte pas les gens qu’on ne peut pas joindre ». La réprimandée la suit docilement au lieu de la planter là.
                                                                 *
Deux pêcheurs comme voisins de table chez Béchir, ils attrapent les poissons avec du poulet.
L’un à l’autre :
-Tu fais quoi toi pour nettoyer tes lunettes ?
-Je les mets dans le lave-vaisselle.
                                                                 *
Sur un panneau publicitaire entre Toulon et Carqueiranne « Salon du Mariage Aubagne ».  Une mise en garde subliminale.
                                                                 *
Au Pradet, entre ces mêmes villes, une librairie Mille Paresses.
 

23 septembre 2022


Ce jeudi, je reste à Toulon et explore le Petit Chicago. Ainsi appelle-t-on le quartier assez vaste situé entre la rue d’Alger (par où je rentre à mon logis temporaire quand je descends d’un bateau bus) et l’Arsenal. Les marins, militaires ou civils, étaient les premiers clients des dames qui faisaient payer pour se faire enfiler. Tout cela n’existe plus maintenant, a jugé bon de me dire celui qui m’a renseigné à l’Office du Tourisme. Il en connaît un rayon sur cet ancien lieu de débauche et de règlements de compte, ainsi que sur l’endroit, plus petit, vers la porte d’Italie, où se vendait l’opium.
Le Petit Chicago a été grandement rénové. C’est un plaisir de découvrir ses places encore un peu secrètes reliées entre elles par une succession de passages autrefois fermés. Je trouve, sans l’avoir cherché, le Bateau Sculpture, œuvre monumentale dont j’ignore l’auteur. Adossée à un immeuble, elle reproduit fidèlement la proue d’un navire royal du dix-huitième siècle.
A l’issue de cette dérive, je prends place au premier rang de la terrasse du Grand Café de la Rade pour un café verre d’eau Léautaud puis, en attendant qu’il soit midi, vais m’asseoir, faute de banc et au risque de paraître suspect, sur un muret à l’entrée de l’Arsenal. Devant moi passent des soldats en uniforme et d’autres sans, la plupart de ces derniers se livrant à la course à pied.
Pour déjeuner, je jette mon dévolu (comme on dit) sur un restaurant japonais à volonté situé dans le Petit Chicago et nommé O Sushi & Wok. Malheureusement, on ignore ici le tapis roulant et la possibilité de choix est restreinte par le fait que chaque maki doive être commandé en six exemplaires. De plus, ceux-ci sont gros avec beaucoup de riz. Quant aux brochettes bœuf fromage, je n’en ai jamais mangé de plus sèches. Une coupe trois boules (vanille pistache café) termine ce festin qui, avec le quart de vin blanc, me revient à vingt-trois euros quatre-vingts.
Je vais me remettre de cette déception à la terrasse de la Gitane, guère fréquentée cette après-midi. C’est qu’un vent frais s’est levé, obligeant le rabatteur des bateaux du tour de la rade à ajouter à ses chorte et ticheurte un coupe-vent qui n’améliore pas son élégance.
                                                                      *
Le Maire de Toulon est Hubert Falco, Droitiste, catégorie Macroniste, sous-catégorie Philippiste. Si quelqu’un arrive ici en ignorant son nom, cette lacune est vite comblée car celui-ci figure, gravé dans la pierre pour l’éternité, sur les murs de moult rues, places et bâtiments qu’il a inaugurés après les avoir rénovés.
                                                                      *
Raimu a une place à son nom dans le Petit Chicago. En était-il client ? Une installation le représente dans le rôle de César jouant aux cartes avec Panisse. Les deux autres chaises sont libres. On peut s’y asseoir pour figurer Escartefigue et Monsieur Brun, mais je ne vois personne le faire.
                                                                      *
Et de trois, il vient jusqu’à moi alors que je lis à La Gitane.
-Salut !
-Ah tiens, le frère de Momo et de Samir !
-Oh, pardon.
 

22 septembre 2022


Désireux de voir La Seyne-sur-Mer sans son marché, je prends à nouveau le bateau bus qui y mène, ce mercredi matin, en compagnie de trois dizaines de filles et de garçons qui vont étudier de l’autre côté de la rade. J’en descends en leur compagnie au premier arrêt, Espace Marine, puis marche seul vers le centre de la ville.
Quand j’ai contourné l’énorme Casino, je retrouve le bord de mer où un monument Hommage aux Justes parmi les Nations a été érigé. Non loin est le Pont-Levant toujours levé. Arrivant à sa base, je vois une femme munie d’un trousseau de clés.
-On peut y monter ? lui demandé-je
-Oui et en plus c’est gratuit, on avait arrêté mais on recommence, je vais vous ouvrir.
Et me voici très content de grimper dans cette structure métallique datant des chantiers navals. Des paliers sont là pour me permettre de souffler et de faire des photos. Un vaporetto stationne au terminus de la ligne et puis en repart tandis qu’un autre arrive. Je peux les voir de dessus, tout comme les voiliers du port de plaisance.
Arrivé en haut je dois faire avec des vitres anti suicide. Aussi je redescends d’un niveau pour mieux voir les bateaux industriels, les montagnes au-dessus de Toulon, la ville de La Seyne, sa Mairie, son église Notre-Dame-du-Bon-Voyage. J’ai tout ça pour moi seul. En redescendant on passe par la machinerie qui ne fonctionnera jamais plus.
Revenu sur le quai, j’entre en ville et en trouve les rues un peu tristes. Un certain nombre de boutiques sont définitivement fermées. On accuse la piétonisation. La terrasse du Café des Arts n’a pas la même clientèle que le dimanche. Sont là des habituées qui ont le tort d’être des femmes à chiens qui trouvent normal que leurs bestioles viennent vous renifler. En plus, elles parlent grossesse. Je change de table pour lire Léautaud le plus loin possible d’elles.
Vers onze heures dix, je prends le bateau du retour. A son arrivée, j’achète des fruits peu chers sur le cours Lafayette puis choisis Le Zinc pour déjeuner. A l’aimable serveuse habituelle s’ajoutent ce jour une jeune serveuse blonde un peu froide et un apprenti emprunté. Le plat du jour s’appelle raviolis à la daube de bœuf.
J’ai pour voisine une très vieille souffrant de solitude que l’aimable serveuse entoure de sa sollicitude, allant jusqu’à proposer de lui prêter son gilet si elle a froid et ça marche puisque au moment de régler l’addition cette femme demande qu’on lui fasse de la monnaie sur son billet de cinquante euros pour laisser un pourboire.
A l’angle de ce restaurant est une petite rue qui ne paie pas de mine et qui a pour nom rue de l’Humilité. Ce n’est certainement pas là qu’habite l’aimable serveuse qui se vante d’être née gentille.
Je ne laisse jamais de pourboire, je suis né méchant. Malgré cela, je suis toujours bien accueilli par les serveuses, les serveurs et la direction de La Gitane. Personne pour me dire : « Vous restez presque tous les jours ici à lire pendant deux heures et vous ne commandez qu’un café ? ».
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Les bateaux bus, c’est gratuit pour les militaires, à condition d’avoir la carte.
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Je suis si près de la Cathédrale que lorsqu’elle carillonne, des bouffées d’air frais entrent dans mon studio Air Bibi.
 

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