Le Journal de Michel Perdrial

Le Journal de Michel Perdrial




Loïc Boyer
Je suis l’auteur de textes courts qui furent publiés depuis mil neuf cent quatre-vingt-quinze dans des revues littéraires en France (Supérieur Inconnu, Supplément d’Ame, Nouvelle Donne, Le Bord de l’Eau, Pris de Peur, l’Art du Bref, Sol’Air, Gros Textes, Salmigondis, Verso, Décharge, Bulle, Filigranes, Diérèse, Martobre, Comme ça et Autrement, (Cahier d’) Ecritures, La Nef des Fous), en Belgique (Traversées, Ecrits Vains, L’Arbre à Plumes, Inédit Nouveau, Bleu d’Encre), au Canada (Les Saisons Littéraires) et en Italie (Les Cahiers du Ru).
Les courageuses Editions du Chardon ont publié en mil neuf cent quatre-vingt-dix-neuf Erotica, un recueil de vingt-huit de ces textes, illustré par Isabelle Pio et Antoine Lopez et préfacé par Sarane Alexandrian, toujours disponible auprès de moi.
Je suis également l’auteur d’une pièce de théâtre et de plusieurs romans ou récits à ce jour inédits.
Depuis le onze novembre deux mille six, je publie mon Journal via Internet, un temps sous-titré Persiflages, moquages et autres énervages mâtinés de complimentages et de contentages. Sa première partie est lisible chez Eklablog, la deuxième ici.
Je vis au centre de Rouen dans un ancien monastère où autrefois les Sœurs de la Miséricorde se vouaient à l’éducation des jeunes filles.







Rss

27 mars 2015


Ce mercredi matin, ça ne rigole pas avec le contrôle des billets dans le huit heures sept pour Paris, nul n’y échappe, avec nouvelles amendes augmentées à la clé, les contrôleurs étant soutenus par les membres de la Sûreté Ferroviaire.
Arrivé dans la capitale, je file vers le faubourg Saint-Antoine. Sitôt le café bu à l’angle de Ledru-Rollin je fouille chez Book-Off où ma pêche est maigre. De là, je gagne à pied Beaubourg et déjeune dans l’impasse du même nom chez New New. Chez mes voisin(e)s de table, chacun est dans son jeu de rôle. A ma droite, on espère avoir son rendez-vous avec l’intersyndicale. A ma gauche, on espère être admissible à l’oral.
Le métro me conduit à proximité du Musée d’Orsay où j’entre suite à une courte attente, attiré là par l’exposition Pierre Bonnard, peindre l’Arcadie. Après une nouvelle attente raisonnable au niveau inférieur, me voici admis à m’ajouter aux six cent quarante-huit personnes déjà à l’intérieur (estimation personnelle). La moyenne d’âge est élevée et certain(e)s font groupe autour de guides, gênant encore plus l’approche des tableaux que les individuel(le)s.
Je vais de salle et salle, me glissant dans les espaces libres afin de voir au mieux les portraits, les paysages, les intérieurs et surtout les nus pour lesquels Marthe, épouse, passa des heures dans la salle de bains, ne vieillissant jamais ou si peu. Comme le remarque une visiteuse : « Ce sont des nus juvéniles. » D’autres s’intéressent plutôt aux chats. Il faut dire que le chat vu par Bonnard à une allure particulière, très personnage de bandes dessinées. Qu’il peigne à Vernonnet, à Paris ou au Cannet, ses couleurs expriment la même température torride incitant à l’oisiveté. Même ses hivers ont l’air d’être chauds.
-De quelle couleur est la neige ? demande une guide.
-Rose, répondent en chœur un troupeau d’institutrices retraitées ramenées à l’âge de leurs ancien(e)s élèves.
Parfois sous nos pieds se fait entendre le métro et, pendant cinq minutes, un appel en multiples langues résonne dans chaque salle alertant sur la trouvaille d’un objet abandonné dont le propriétaire est invité à se faire connaître au plus vite auprès du personnel de sécurité. J’aime toujours Bonnard, même si sa peinture à la croisée de celle de Degas et de Matisse m’est désormais trop familière pour que je sois à nouveau vivement intéressé.
Je m’extrais de cette foule exténuante et monte dans les étages pour revoir les salles consacrées à Paul Gauguin et Vincent Van Gogh dont la peinture est tellement plus puissante que celle de Pierre Bonnard. J’y croise beaucoup de jeunesse occupée à prendre en photo La Nuit étoilée ou Et l’or de leur corps ou bien elle-même devant les tableaux qu’elle cache, la faute à Fleur Pellerin, Ministre de la Communication (et de la Culture), qui a récemment obligé Orsay à autoriser cette pratique.
Ensuite, on me voit au Book-Off de l’Opéra puis Chez Léon avant que le train de dix-neuf heures vingt-huit ne me ramène à Rouen. S’y affairent à nouveau les contrôleurs et les membres de la Sûreté Ferroviaire : cinquante euros d’amende pour ma voisine de devant à qui il ne manque qu’un justificatif d’abonnement.
                                                                  *
Parmi le peu de livres trouvés, The Hidden Mother, un roman exposition psychanalytique d’Estelle Benazet et Sinziana Ravini (L’Avenir Dure Longtemps/Editions Montgolfier/PCA Editions). Dans l’introduction, elles sont toutes deux au Bistrot du Peintre à Ledru-Rollin où elles « dégustent des cuisses de canards bien croustillantes et des pommes de terre sautées au persil ». De quoi m’obliger à l’acheter.
                                                                  *
A quoi bon acheter chaque semaine un journal dont je trouve bêtes beaucoup de dessins et dont les opinons me hérissent souvent le poil ? C’est la question que je me pose depuis la republication de Charlie Hebdo.
Celui de ce mercredi sera le dernier, achevé que je suis par l’édito de Riss Ça sert à rien d’aller voter dans lequel il fustige les abstentionnistes en leur attribuant « une pensée d’usagers de la carte Cofinoga ou de la carte de fidélité Darty ».
Elargissant son propos, ce brillant analyste s’en prend à ceux qui se désintéressent du militantisme politique : « Les seuls qui n’ont pas cru à cela, ce sont les militants du Front National. Pendant trente ans, ils ont distribué des tracts que personne ne lisait. Ils ont crié des slogans que personne n’écoutait (…) En apparence en tout cas. Alors pourquoi ont-ils continué à le faire (…) ? Parce que eux savent que le temps ne s’écoule pas de la même manière quand on croit à ses idées que lorsqu’on n’y croit pas. »
Et comment expliques-tu, Riss, que le Hennepéha et Hello, qui distribuent leurs tracts et crient leur slogans sans se lasser depuis plus de trente ans, n’obtiennent toujours que deux pour cent aux élections ?
 

26 mars 2015


Mardi soir, à l’Opéra de Rouen, je suis en fond d’orchestre pas loin des deux sœurs abonnées. Entre elles et moi est assise l’une de leurs connaissances qui dit qu’elle n’a pas aimé l’opéra Contes de la lune vague après la pluie. Ses voisines ont aimé.
-On m’a dit que l’an prochain le programme sera très bien, se console par avance la déçue.
-On verra, répondent les deux autres.
Un homme enjambe hardiment les sièges libres à ma droite pour s’y installer sans nous déranger. Je l’ai repéré depuis quelques concerts : il a un faux air de Tomi Ungerer.
-C’est très masculin ce soir, commente l’une des sœurs en consultant son livret programme.
Il est vrai que sur les quatorze interprètes, il n’y a que deux femmes ; oui mais : Naoko Yoshimura (clarinette) et Mami Nakahira (basson). C’est aussi une soirée qui a du cor, pas moins de quatre.
Après la Sérénade en mi bémol majeur de Richard Strauss, vient la Suite persane d’André Caplet, qualifié de « compositeur plus qu’honorable » par la rédactrice du livret programme, ayant eu à souffrir de la concurrence de Maurice Ravel et Claude Debussy. C’est une agréable découverte. Pour finir est donnée la Sérénade pour vents en ré mineur d’Antonin Dvořák.
Tout cela à la satisfaction de tout le monde, il n’y aura pas de débat pour savoir si on a aimé ou pas, ni à ma gauche ni à ma droite.
                                                                *
Au Socrate, une femme à son caniche :
-Donne la papatte à Tata.
La papatatata, il ne veut pas la donner.
                                                                *
« Ça va dans le bon sens » : énervante expression employée par les politicien(ne)s et les expert(e)s en tout genre, spécialement les économistes.
 

25 mars 2015


« Sixième jour de colère » est-il annoncé ce mardi matin en ouverture des informations de sept heures de France Culture, informations réduites. « En raison d’un appel à la grève par plusieurs organisations syndicales portant sur les difficultés budgétaires et la défense de l’emploi à Radio France, nous ne sommes pas en mesure de diffuser l'intégralité de nos programmes habituels. Nous vous prions de nous en excuser. ». Ce message vient régulièrement ponctuer le saoulant programme musical en boucle. D’émission, il n’y a plus qu’une, à six heures du matin l’enregistrée Un autre jour est possible de Tewfik Hakem. Après, plus rien n’est possible.
Cette absence me pèse.
Je pourrais en profiter pour écouter mes cédés, ce que je fais rarement depuis qu’il n’y a personne pour partager mes ouiquennedes, mais il faudrait que je sois capable de rester dans la même pièce, alors qu’avec la radio, c’est un tuner dans le salon, une mini-chaîne dans ma chambre, un radio-réveil dans l’escalier, un transistor dans la salle de bains, de façon à n’en pas perdre une miette.
                                                    *
Y a-t-il vraiment eu un Salon du Livre de Paris cette année si France Culture n’y était pas ?
Y aura-t-il encore France Culture dans les années à venir, notamment si Sarko, le fat sot, revient au pouvoir avec son envie d’économies et sa détestation des intellectuels ?
                                                    *
Revoici les nuisibles guides touristiques sous mes fenêtres à tonitruer leurs sottises en direction des troupeaux qui les suivent. L’une, ce mardi matin, voyait du torchis entre les pans de bois des maisons. Une autre, la veille, confirmait que les années passant elle parle toujours aussi bien anglais :
-Garalo, garalo, garalo, hurlait-elle en français.
Puis devenant pédagogue : l’eau : ze ouateur, gare à : cochionne, gare à l’eau : cochionne ze ouateur.
                                                   *
Le nombre de villes de l’Eure à avoir mis le F-Haine en tête au premier tour des départementales, et souvent en deuxième la Droite, c’est consternant. Parmi lesquelles Louviers, ville natale, il y a peu encore de Gauche.
La sortante Socialiste sortie est Leslie Cléret, avec qui je fus collègue (comme on dit) en cette ville à l’école Jean-Macé dans les années quatre-vingt, et son binôme (comme ils disent), Patrice Yung, était déjà prof de maths au lycée quand j’y étais élève à la fin des années soixante.
Elle et lui seront bientôt sous mes fenêtres au sein d’un groupe de retraités cornaqués, puis iront visiter gratuitement l’Historial Jeanne d’Arc avec le billet de faveur que leur aura remis Laurent le Fabuleux.
                                                  *
Déjà qu’il était affecté de tics, le voici maintenant atteint de bégaiement : Ni Nicolas Sarkozy.
 

24 mars 2015


Dimanche matin, je suis de nouveau à attendre devant le lycée Marc-Bloch de Védéherre, seul cette fois. Ce que voyant, les membres d’Amnesty International déjà présents me font entrer avant l’heure avec la cordialité un peu trop expressive qui caractérise ce genre de militants.
-Ça a marché hier ? demande l’un aux deux autres.
-Oui, on a vendu quatre mille livres. A un moment, on a dû ouvrir quatre caisses en parallèle.
-Oui, mais des livres à un ou deux euros, tempère le troisième.
-Quand même, entre quatre mille et huit mille euros en une journée, c’est pas mal.
Effectivement, me dis-je.
J’ai toutes les salles pour moi, jusqu’à ce qu’arrive à l’heure officielle l’une de mes connaissances rouennaises, ancien relieur qui fit aussi bouquiniste à une époque dans une partie de son atelier.
-Vous êtes déjà là ? Comment avez-vous fait pour entrer avant l’heure ? me demande-t-il.
Aujourd’hui, c’est moi qui fais figure de privilégié. Il est spécialement intéressé par les philosophes et encore plus par les Pères de l’Eglise mais ayant manqué la journée d’hier faute d’information, il ne trouve rien pour lui dans les bacs. Reste la salle baptisée « livres anciens » où il va aller faire un tour. On y trouve tout et n’importe quoi à condition que ce soit vieux et dépenaillé et donc considéré par celui qui s’en occupe jalousement comme rare et de grande valeur. C’est lui, improvisé libraire d’ancien chaque année, qui fixe les prix selon ses critères dont sans doute celui de deviner combien l’éventuel acheteur est prêt à mettre dans la vieillerie.
L’ancien relieur en revient dépité :
-Je ne peux pas le supporter, me dit-il et m’expliquant que ce cas relève de la psychiatrie.
De mon côté, je trouve de quoi emplir un sac, dont Messages, Signes & Dyables, trois cent quatre-vingts dessins d’André Malraux (Jacques Damase-Denoël  éditeurs), Le Temps du cœur, la correspondance amoureuse d’Ingeborg Bachmann et Paul Celan (Le Seuil) et J’avais peur de Virginia Woolf, les souvenirs de Richard Kennedy, qui fut à seize ans le grouillot de l’écrivaine, illustrés par lui-même, avec « un poster pliant de la vie avec les Woolf, par la grande porte et la petite » (Anatolia).
Je paie mon modeste dû, semblant ne pas entendre les voix féminines qui tentent de m’attirer vers les tables à pétitions, et arrive à la maison à midi pile, l’heure de l’apéritif que je prends désormais et malheureusement seul.
                                                              *
Petits malentendus sans importance, recueil de nouvelles d’Antonio Tabucchi, dont le titre est à la fois une explication et une excuse à sa présence au rayon des policiers en poche à la vente de Védéherre.
                                                              *
Ce dimanche est celui du premier tour des élections départementales mais dégoûté à des titres divers par tou(te)s les candidat(e)s, je m’abstiens. Plus précisément, je fais la grève du vote.
                                                              *
Il n’empêche que j’ai quand même failli voter, pour un autre ne pouvant y aller, mais il s’est avéré que nous n’étions pas du même bureau.
 

23 mars 2015


Samedi, avant que ne commence à quatorze heures la vente de livres d’occasion annuelle d’Amnesty International à Val-de-Reuil, j’ai l’idée de faire le détour par le Champ de Foire d’Elbeuf où il y a vide grenier. C’en est une mauvaise ; sur place, c’est poussière et misère. Je m’extrais de cette ville au réseau routier compliqué et arrive en avance devant le lycée Marc-Bloch de Védéherre.
A ce moment en sort Marc-Antoine Jamet, Maire, Socialiste, accompagné de ses amis. Ils portent sous le bras des livres qu’ils ont pu choisir avant tout le monde. Chaque année c’est ainsi.
Je suis rejoint par quelques autres pressés dans mon genre devant la porte coulissante qu’il est interdit de franchir avant l’heure officielle. Monsieur le Maire revient. Il a oublié son manteau. Quand il ressort, il nous déclare avec un grand sourire :
-Vous remarquerez que je n’emporte pas de livres.
Je raconte aux autres qu’il en avait deux sous le bras, il y a cinq minutes.
-Quand on est Socialiste, on peut se servir avant les autres, leur dis-je.
D’autres sont d’ailleurs en train de le faire. La dame d’Amnesty est offusquée par mon propos.
-Ce sont des gens qui nous aident, les élus, le directeur du lycée, les copains, c’est normal qu’on les remercie.
Nous sommes bientôt nombreux à attendre. Au feu vert, chacun se précipite vers son intérêt particulier, au rayon littérature pour moi où me rattrape la souriante bouquiniste rouennaise des Mondes Magiques, puis je continue par les livres d’art et les éditions de poche, cependant que ça ne cesse d’arriver sous l’œil d’une caméra de télévision.
Cette année, la politique des prix est à l’avantage des acheteurs, beaucoup de livres sont à un euro et les poches toujours à cinquante centimes. Je passe par tous les rayons, même ceux du sport et de la cuisine où peut m’attendre un ouvrage mal rangé.
Je recroise la jeune femme des Mondes Magiques. Elle peine à porter l’un de ses sacs.
-Vous allez pouvoir emporter tout ça ? lui dis-je.
-Pas en une seule fois.
Je suis moi-même lourdement chargé lorsque, saturant, je choisis d’en rester là en me promettant de revenir le lendemain. Dans mon butin : Les Soleils révolus (Journal 1979-1982) de Gabriel Matzneff (L’Infini/Gallimard) et le catalogue de la mythique exposition Paris Moscou 1900/1930 organisée en mil neuf cent soixante-dix-neuf au Centre Georges Pompidou.
De retour à Rouen, j’attends qu’un bus Teor passe pour traverser la rue du Général-Leclerc quand celui-ci, d’un coup de rétroviseur, pulvérise le feu qui commande sa circulation. Par chance aucune partie n’en est projetée. Mourir sur la voie publique un sac de livres au bout de chaque bras aurait pu m’arriver ce samedi après-midi.
                                                                             *
Ces élus du Parti Socialiste qui se servent avant les électeurs ne sont pas une concurrence bien dangereuse. Ce qui est époustouflant, c’est qu’ils ne voient pas ce qu’il y a de choquant à faire ce qu’ils font, l’effet déplorable produit chez celles et ceux qui les regardent.
 

21 mars 2015


Le merle fait ce qu’il faut vers six heures pour que cette journée soit bien celle du nouveau printemps mais quand je mets le pied dehors deux heures plus tard en direction du marché du Clos, il fait gris et froid. Les ouvriers polonais travaillant depuis des mois sur le chantier du vingt-quatre de la rue Saint-Romain déchargent leur matériel du vieux camion immatriculé dans leur pays garé tout contre le mur de l’Archevêché. Ils semblent aussi épuisés que s’ils terminaient leur journée. Je ne trouve aucun livre et rentre.
Deux heures plus tard, il fait encore plus froid et sombre. L’éclipse de soleil que personne ne verra doit expliquer cela, mais pour le gris du ciel la pollution a son rôle. Autre éclipse, depuis deux jours plus de France Culture en raison d’une grève reconductible des personnels de Radio France contre le manque de moyens et les suppressions de postes. La daube musicale remplaçant les émissions me fait prendre conscience du nombre de mauvaises chansons françaises en circulation.
Le soir venu, après avoir vu sur France Trois Haute-Normandie l’apparition de Laurent le Fabuleux à l’inauguration de l’Historial Jeanne d’Arc et entendu sa déclaration historique : « A partir de maintenant, on ne dira plus la Pucelle d’Orléans mais l’Héroïne de Rouen », je prends sous un ciel toujours plombé le chemin qui mène à l’Opéra. En loge neuf, j’assiste à la création mondiale de Contes de la lune vague après la pluie, musique de Xavier Dayer, livret d’Alain Perroux d’après le scénario du film de Mizoguchi, un opéra de chambre d’une heure et demie. Cette histoire d’hommes qui partent à l’aventure et de femmes qui en font les frais est mise en scène, en lumière, en costumes, par les anciens collaborateurs de Patrice Chéreau, dont son compagnon Richard Peduzzi. Les musicien(ne)s de l’Opéra sont dirigé(e)s par Jean-Philippe Wurtz et les chanteurs et chanteuses à la hauteur, me semble-t-il, mais à l’issue les applaudissements sont mesurés et certain(e)s pressé(e)s de s’en aller.
                                                        *
Reçu une nouvelle carte d’électeur, sur laquelle la Mairie de Rouen a l’amabilité de me rajeunir de deux jours, et le matériel de vote qui ne me servira pas pour les Départementales à double candidature. Parmi les partis se présentant dans mon canton, le Mudi qui s’affirme Patriote et Ouvrier.
Dans ces duos homme femme, le plus souvent c’est l’homme qui pédale devant et dirige l’engin, la femme appuyant mollement derrière. Il y a des exceptions, notamment quand le tandem est fabriqué par Carelman, avec deux guidons opposés, la Communiste pédalant à fond vers la centrale nucléaire cependant que l’Ecologiste fait de même dans l’autre sens. Ce tandem à deux guidons pourrait réussir à faire chuter le Socialiste en l’empêchant d’obtenir le nombre de voix nécessaire pour faire la course du deuxième tour (douze virgule cinq pour cent des inscrits).
Tous ces duos n’ont plus des suppléant(e)s mais des remplaçant(e)s, le côté sportif sans doute.
                                                        *
V’là que le Lavomatic Tour est arrivé à Rouen, après Paris, Le Havre, Marseille, Lyon et Rennes. Il était temps, on a failli se sentir hors de la modernité. Le principe : empêcher celles et ceux qui n’ont pas de machine à laver de faire leur lessive en donnant un concert dans un Lavomatic. Le premier rouennais s’est déroulé dans le quartier de la Croix de Pierre, boboïtude oblige. Le public débordait loin dans la rue, pour des musiciens que pas grand monde serait allé ouïr s’ils avaient joué dans un lieu dédié à ça.
Jicé Decaux réfléchirait à mettre ses toilettes à disposition pour quand on se sera lassé de l’odeur de la lessive.
 

20 mars 2015


A la main le carton pour l’avant-première, ce jeudi après-midi, de Sienne aux origines de la Renaissance au Musée des Beaux-Arts de Rouen, exposition placée « sous le haut patronage de Monsieur François Hollande Président de la République », et à laquelle m’invitent Laurent Fabius et les personnels des musées, je croise l’un de mes lecteurs. Je lui propose de faire la deuxième personne mais il préfère aller au cinéma. Il me dit alors qu’il a deux places pour Le Vaisseau fantôme à Caen, mais là c’est moi qui décline : « Je n’arrive déjà plus à aller jusqu’au Rive Gauche. »
Il y a bien du monde dans les salles assombries du Musée aux murs duquel scintillent les œuvres importées (quelques-unes pas encore installées ne seront visibles qu’à partir de demain, jour de vernissage auquel je ne suis pas invité). Ce foisonnant public est constitué d’une grande majorité de vieilles et de vieux qui connaissent tous les personnages représentés et l’histoire racontée, bien que certain(e)s en aient oublié l’un des épisodes :
-C’est quoi déjà la dormition de la Vierge ?
-On regardera ça sur Internet.
D’autres se plaignent que les cartouches soient trop petits. Un qui a une bonne vue explique à une autre qu’il y a une erreur sur le cartel de l’œuvre numéro douze, l’ordre des saints est inversé.
-Je vais tout de suite le dire à Sylvain Amic, lui déclare-t-elle, il est là, je viens de le voir.
Directeur des Musées de Rouen, il doit savoir s’il faut parler de cartel ou de cartouche.
Evidemment, moi y compris, tout le monde trouve ça magnifique. Comme le résume l’une : « Même si tu crois en rien, tu vois la beauté de ce qui a été fait ». De plus, la scénographie et les éclairages sont réussis. La statue du bébé Jésus nu a son ombre deux fois portée au sol. Une femme lui photographie les fesses malgré l’interdiction.
Je fais une deuxième fois le tour, profitant d’un peu moins de monde pour m’approcher au plus près d’une chevelure ou d’un drapé, puis entre dans la salle où en annexe sont exposées les œuvres de François Rouan Un printemps à Sienne, lesquelles ne suscitent guère mon intérêt.
                                                              *
Bien longtemps que le Musée des Beaux-Arts de Rouen n’avait organisé une exposition de cette importance, englué qu’il est le plus souvent dans le localisme.
Bien dommage que cette initiative ne soit pas davantage l’objet de publicité, c’est plus l’occasion pour les Parisien(ne)s et autres lointain(e)s de venir à Rouen qu’une énième expo sur les Impressionnistes.
                                                             *
Les lumières et les caméras de télévision sont pointées ailleurs, sur l’Historial Jeanne d’Arc qui ouvre ses portes ce ouiquennede dans les locaux de l’Archevêché au bout de ma ruelle. On y verra, en groupes et en temps limité, des images créées par les technologies modernes retraçant l’histoire de celle devenue sainte bien longtemps après le bûcher. Que du virtuel donc mais on ne peut exclure une apparition bien réelle de celui qui est à l’initiative de cette nouvelle animation du Rouen Parc à Thèmes : Laurent le Fabuliste.
 

19 mars 2015


C’est d’abord pour voir celle qui travaille à Paris que j’attends le train de huit heures sept à la gare de Rouen ce mercredi, un œil sur le nouveau numéro de Charlie Hebdo et l’autre sur un essaim de jeunes Anglaises, le printemps étant la saison du renouveau des voyages scolaires, mais je suis aussi content à l’idée de revoir la capitale, dont mon vagabondage en Somme et Pas de Calais m’a privé pendant deux semaines.
A l’arrivée, je file directement au centre du dix-huitième arrondissement, sortant de terre devant la Mairie et avant l’heure du rendez-vous, profitant du beau temps qui s’annonce, grimpe tous les escaliers de la rue du Mont-Cenis, levant mon chapeau au croisement de sa rue au chevalier de La Barre et essayant d’imaginer à quoi pouvait ressembler la maison paysanne où vécut Berlioz à l’endroit de l’immeuble en béton sur lequel est posée la plaque. J’atteins la basilique du Sacré-Cœur, du parvis de laquelle j’ai une belle vue sur la brume qui empêche de voir la ville, un mélange de vapeur d’eau et de fines particules.
A cette heure n’y rodent que des privés de liberté, scolaires cornaqués par les profs et retraités par les guides. De faux artistes s’apprêtent à portraiturer le gogo. Des vendeurs de tours Eiffel chinoises ont déjà déballé. Les militaires du plan Vigipirate rouge renforcé guette l’islamiste ou le futuriste : un grand, un moyen, une petite, les trois à la peau noire, qu’on n’aille pas en déduire quoi que ce soit.
Redescendu à la Mairie, j’ai encore le temps de faire le tour de l’église Notre-Dame-de-Clignancourt, photographiant au passage les tentes des sans abris de la rue Aimé Lavy. A l’heure dite, je toque à sa porte, ma bouteille de vin et mes chips à la main.
Un mois que nous ne nous sommes vus. Heureux de nous retrouver, nous déjeunons d’un plat à la mexicaine de son invention face à la dent creuse dont je fais une photo afin d’en avoir trace le jour où un immeuble sur pivot y sera implanté. Au dessert, un tiramisu, je lui offre l’exemplaire des Trois Brigands de Tomi Ungerer trouvé chez Détéherre, la plus grande bouquinerie rurale de Normandie. Une mini sieste s’impose.
Au réveil, le travail l’appelle près de la Bastille où des livres m’attendent chez Book-Off. Ensemble, nous prenons le métro. Elle ne se sent pas trop en forme mais cela s’améliore au cours du trajet grâce à deux musiciens chanteurs qui investissent la rame : « Comment ça va ? Comme-ci, comme-ci, comme-ci, comme ça… »
                                                            *
Un sexagénaire chez Book-Off :
-Bonjour, est-ce que vous avez L’Officiel des spectacles ?
L’employée l’envoie chez un marchand de journaux.
Le même, de retour dix minutes plus tard :
-Bonjour, est-ce que vous avez L’Officiel des spectacles ?
Son deuxième prénom doit être Aloïs.
                                                            *
Mercredi soir à la gare Saint-Lazare : le piano mis à disposition des passant(e)s est monopolisé par un groupe de gospel. On n’entend pas l’instrument. On n’entend que les chants extatiques de ces frappé(e)s de dieu utilisant l’initiative de la Senecefe pour propager leur croyance de façon ostentatoire dans un lieu public.
                                                            *
Lecture d’un des livres bookoffiés dans le train du retour : Vénus et Tannhäuser, seule œuvre littéraire d’Aubrey Bearsdsley, illustrée par lui-même, censurée pendant longtemps, publiée chez Salvy en mil neuf cent quatre-vingt-quinze :
Sophie manifesta une intimité extrême avec une bouteille de champagne vide, jurant que celle-ci l’avait engrossée, avant de simuler un accouchement sur la table…
 

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