Dernières notes
Loïc Boyer
Je suis l’auteur de textes courts qui furent publiés depuis mil neuf cent quatre-vingt-quinze dans des revues littéraires en France (Supérieur Inconnu, Supplément d’Ame, Nouvelle Donne, Le Bord de l’Eau, Pris de Peur, l’Art du Bref, Sol’Air, Gros Textes, Salmigondis, Verso, Décharge, Bulle, Filigranes, Diérèse, Martobre, Comme ça et Autrement, (Cahier d’) Ecritures, La Nef des Fous), en Belgique (Traversées, Ecrits Vains, L’Arbre à Plumes, Inédit Nouveau, Bleu d’Encre), au Canada (Les Saisons Littéraires) et en Italie (Les Cahiers du Ru).
Les courageuses Editions du Chardon ont publié en mil neuf cent quatre-vingt-dix-neuf Erotica, un recueil de vingt-huit de ces textes, illustré par Isabelle Pio et Antoine Lopez et préfacé par Sarane Alexandrian, toujours disponible auprès de moi.
Je suis également l’auteur d’une pièce de théâtre et de plusieurs romans ou récits à ce jour inédits.
Depuis le onze novembre deux mille six, je publie mon Journal via Internet, un temps sous-titré Persiflages, moquages et autres énervages mâtinés de complimentages et de contentages. Sa première partie est lisible chez Eklablog, la deuxième ici.
Je vis au centre de Rouen dans un ancien monastère où autrefois les Sœurs de la Miséricorde se vouaient à l’éducation des jeunes filles.
Les courageuses Editions du Chardon ont publié en mil neuf cent quatre-vingt-dix-neuf Erotica, un recueil de vingt-huit de ces textes, illustré par Isabelle Pio et Antoine Lopez et préfacé par Sarane Alexandrian, toujours disponible auprès de moi.
Je suis également l’auteur d’une pièce de théâtre et de plusieurs romans ou récits à ce jour inédits.
Depuis le onze novembre deux mille six, je publie mon Journal via Internet, un temps sous-titré Persiflages, moquages et autres énervages mâtinés de complimentages et de contentages. Sa première partie est lisible chez Eklablog, la deuxième ici.
Je vis au centre de Rouen dans un ancien monastère où autrefois les Sœurs de la Miséricorde se vouaient à l’éducation des jeunes filles.
18 mars 2015
Une lecture qui ne m’a pas emballé, celle des Souvenirs indiscrets de Natalie Clifford Barney (Flammarion). Ces souvenirs manquent de révélations sur elle-même. Préférant évoquer les autres (Renée Vivien, Rémy de Gourmont, la duchesse de Clermont-Tonnerre, les Mardrus, Colette, Milosz), cela dans un style ampoulé fâcheusement daté, elle reste là aussi trop discrète et respectueuse à mon goût.
Quand même, cette perfidie sur Colette :
Au début de ce siècle, lorsque je vis Colette pour la première fois, elle n’était déjà plus la mince adolescente aux longues nattes, couchée dans un hamac, que nous montre une photographie, mais une jeune femme bien campée sur des jambes solides, et dont la chute de reins dévalait vers un derrière rebondi…
Cette anecdote confirmant ce que l’on sait de Willy :
Et j’eus cette fois un exemple pénible de la contrainte que Willy exerçait sur Colette : lorsque j’arrivai chez eux pour inviter Colette seule à cette petite fête que j’improvisais à la hâte chez moi à Neuilly, où Mata-Hari m’avait proposé de redonner une séance de ses danses japonaise, mais toute nue, et devant un groupe de dames seules, Willy, de mauvaise humeur d’être ainsi exclu, ne voulut donner son consentement qu’en imposant des conditions scabreuses. Et Colette, chemin faisant, m’avoua : « J’ai honte que tu aies vu d’aussi près ma chaîne. »
Et cette autre, montrant Gide faire face à une surprise-party :
A Paris, Gide vivait retiré dans sa haute maison du parc de Montmorency, avec des meurtrières en guise de fenêtres, afin de ne pas être dérangé. C’est de l’une d’elles qu’il nous vit arriver, à l’instigation de Mardrus, avec des paniers de provisions et le fou-rire, devant sa porte étroite, que Gide dut entrebâiller pour nous laisser entrer. (…)
Sur ce, Mardrus ayant déballé couverts et vivres sur la dernière marche du vestibule, pria cérémonieusement Gide de devenir notre hôte, ce qu’il fit de façon tortueuse et cachant mal son déplaisir.
*
En fin d’ouvrage, une série d’aphorismes sur l’amour dont je ne peux sauver que celui-ci :
« Aime ton prochain comme toi-même. » A croire que personne ne s’aime !
*
Natalie Clifford Barney, dans son Avertissement, en toute modestie :
Je crois ne m’être jamais approchée d’un être sans lui faire du bien.
Renée Vivien aurait-elle trouvé sa voie sans moi ?
Remy de Gourmont aurait-il eu sa vie renouvelée, sans son Amazone ?
Quand même, cette perfidie sur Colette :
Au début de ce siècle, lorsque je vis Colette pour la première fois, elle n’était déjà plus la mince adolescente aux longues nattes, couchée dans un hamac, que nous montre une photographie, mais une jeune femme bien campée sur des jambes solides, et dont la chute de reins dévalait vers un derrière rebondi…
Cette anecdote confirmant ce que l’on sait de Willy :
Et j’eus cette fois un exemple pénible de la contrainte que Willy exerçait sur Colette : lorsque j’arrivai chez eux pour inviter Colette seule à cette petite fête que j’improvisais à la hâte chez moi à Neuilly, où Mata-Hari m’avait proposé de redonner une séance de ses danses japonaise, mais toute nue, et devant un groupe de dames seules, Willy, de mauvaise humeur d’être ainsi exclu, ne voulut donner son consentement qu’en imposant des conditions scabreuses. Et Colette, chemin faisant, m’avoua : « J’ai honte que tu aies vu d’aussi près ma chaîne. »
Et cette autre, montrant Gide faire face à une surprise-party :
A Paris, Gide vivait retiré dans sa haute maison du parc de Montmorency, avec des meurtrières en guise de fenêtres, afin de ne pas être dérangé. C’est de l’une d’elles qu’il nous vit arriver, à l’instigation de Mardrus, avec des paniers de provisions et le fou-rire, devant sa porte étroite, que Gide dut entrebâiller pour nous laisser entrer. (…)
Sur ce, Mardrus ayant déballé couverts et vivres sur la dernière marche du vestibule, pria cérémonieusement Gide de devenir notre hôte, ce qu’il fit de façon tortueuse et cachant mal son déplaisir.
*
En fin d’ouvrage, une série d’aphorismes sur l’amour dont je ne peux sauver que celui-ci :
« Aime ton prochain comme toi-même. » A croire que personne ne s’aime !
*
Natalie Clifford Barney, dans son Avertissement, en toute modestie :
Je crois ne m’être jamais approchée d’un être sans lui faire du bien.
Renée Vivien aurait-elle trouvé sa voie sans moi ?
Remy de Gourmont aurait-il eu sa vie renouvelée, sans son Amazone ?
17 mars 2015
Ce dimanche après-midi, j’ai place décentrée en corbeille à l’Opéra de Rouen pour un concert intitulé Quatuors viennois, entouré uniquement par des vieilles et des vieux (neuf femmes pour un homme), autrement dit par des personnes qui me ressemblent et ce n’est pas pour me plaire.
Heureusement, il y a la musique jouée par Jane Peters (violon), Hervé Walczak Le Sauder (violon), Agathe Blondel (alto) et Florent Audibert (violoncelle), les Six bagatelles d’Anton Webern, le Quatuor numéro dix-neuf en do majeur « Les Dissonances » de Wolfgang Amadeus Mozart et le Quatuor numéro treize en la mineur « Rosamund » de Franz Schubert.
Ces deux quatuors sont de toute beauté mais leur interprétation est perturbée par les toux des malades de service et les trop nombreux accordages d’instruments entre les mouvements.
A l’issue, je quitte vite mon entourage de peur d’être emporté jusqu’à un salon de thé.
*
Avant le concert, dialogue de deux de mes voisines :
-T’as fermé ton téléphone ?
-Il est dans mon sac.
-Oui, mais tu l’as arrêté ?
-Oh, personne va m’appeler.
Ce qui s’est confirmé.
Heureusement, il y a la musique jouée par Jane Peters (violon), Hervé Walczak Le Sauder (violon), Agathe Blondel (alto) et Florent Audibert (violoncelle), les Six bagatelles d’Anton Webern, le Quatuor numéro dix-neuf en do majeur « Les Dissonances » de Wolfgang Amadeus Mozart et le Quatuor numéro treize en la mineur « Rosamund » de Franz Schubert.
Ces deux quatuors sont de toute beauté mais leur interprétation est perturbée par les toux des malades de service et les trop nombreux accordages d’instruments entre les mouvements.
A l’issue, je quitte vite mon entourage de peur d’être emporté jusqu’à un salon de thé.
*
Avant le concert, dialogue de deux de mes voisines :
-T’as fermé ton téléphone ?
-Il est dans mon sac.
-Oui, mais tu l’as arrêté ?
-Oh, personne va m’appeler.
Ce qui s’est confirmé.
16 mars 2015
Ce dimanche matin, je suis de retour au vide grenier rouennais du quartier Augustins Molière, moins fourni en vendeurs et surtout en visiteurs que la veille, ce qui est un bien. Un déballeur de ma connaissance m’a dit hier qu’il serait près du Crédit Agricole avec beaucoup de livres à bas prix et c’est exact. Il m’en fait sept pour quatre euros, parmi lesquels Ma vie, mes conneries de Ben Vautier (Z’éditions, Nice) et la réédition Jean de Bonnot pour bibliophile (avec certificat d’authenticité) de Plaidoyer contre l’introduction de cadenas ou ceinture de chasteté de Maître Freydier, avocat à Nîmes, une harangue datant de mil sept cent cinquante.
A l’autre extrémité du déballage, je trouve une jeune femme qui se débarrasse sans envie d’une partie de sa bibliothèque, n’ayant gardé que les deux cents livres qui lui tiennent le plus à cœur. Je fais là aussi quelques affaires, oubliant la déception du samedi.
*
Bihorel, banlieue de Rouen, a pour Maire Pascal Houbron de l’Hudéhi, un adepte du gazouillis :
« J'ai décidé de ne plus recevoir en Mairie les personnes qui n'iront pas voter ; nous avons des droits, mais aussi des devoirs de citoyen »
« Je ne vote pas : je ne suis pas prioritaire pour une place de crèche ou pour m'inscrire au voyage des anciens. J'ai des droits et des devoirs »
A Bihorel, si l’on vote et donc si l’on est reçu par Monsieur le Maire, on bénéficie de favoritisme pour avoir une place en crèche ou dans le car des retraités réjouis.
*
Un autre politicien de je ne sais où et dont je n’ai pas retenu le nom, un Ecologiste, demande à ce que le vote soit obligatoire, une vieille idée défendue autrefois par Laurent le Fabuleux, mais je crains que cette proposition ne soit pas appliquée avant la fin de ma vie.
Cela m’éviterait de me demander à chaque fois si j’y vais ou si je n’y vais pas, puisque je refuserais d’obéir, payant à chaque fois avec plaisir l’amende qui sanctionnerait les réfractaires.
A l’autre extrémité du déballage, je trouve une jeune femme qui se débarrasse sans envie d’une partie de sa bibliothèque, n’ayant gardé que les deux cents livres qui lui tiennent le plus à cœur. Je fais là aussi quelques affaires, oubliant la déception du samedi.
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Bihorel, banlieue de Rouen, a pour Maire Pascal Houbron de l’Hudéhi, un adepte du gazouillis :
« J'ai décidé de ne plus recevoir en Mairie les personnes qui n'iront pas voter ; nous avons des droits, mais aussi des devoirs de citoyen »
« Je ne vote pas : je ne suis pas prioritaire pour une place de crèche ou pour m'inscrire au voyage des anciens. J'ai des droits et des devoirs »
A Bihorel, si l’on vote et donc si l’on est reçu par Monsieur le Maire, on bénéficie de favoritisme pour avoir une place en crèche ou dans le car des retraités réjouis.
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Un autre politicien de je ne sais où et dont je n’ai pas retenu le nom, un Ecologiste, demande à ce que le vote soit obligatoire, une vieille idée défendue autrefois par Laurent le Fabuleux, mais je crains que cette proposition ne soit pas appliquée avant la fin de ma vie.
Cela m’éviterait de me demander à chaque fois si j’y vais ou si je n’y vais pas, puisque je refuserais d’obéir, payant à chaque fois avec plaisir l’amende qui sanctionnerait les réfractaires.
14 mars 2015
Le vide grenier rouennais des rues Molière et des Augustins est l’un des premiers de deux mille quinze, les quatorze et quinze mars. Lorsque j’y arrive ce samedi à sept heures, très peu de vendeurs sont installés. En revanche, côté potentiels acheteurs, c’est une vraie folie après la frustration de l’hiver. Des essaims se précipitent sur le moindre carton sorti des coffres de voitures. Parmi ces hystériques se distinguent pas mal de non lavés et de pas peignés. Je leur laisse la place, rentre à la maison et reviens une heure plus tard.
Un vent glacial s’est levé. Des voitures de vendeurs retardataires immatriculées en région parisienne se fraient un chemin dans la foule des acheteurs surtout composée de pauvres pas du quartier. Quant à la marchandise proposée, j’en mettrais bien les trois quarts à la déchetterie.
Je rencontre Emmanuel à qui je fais remarquer que malgré tout, on voit beaucoup plus de vinyles que de livres. « Oui mais il faut aimer Tino Rossi » me répond-il tandis qu’arrive Jean-Pierre qui confirme. Ce dernier a quand même trouvé une rareté : Maurice Chevalier disant des poèmes de Jehan Rictus.
Il nous plante au milieu d’une phrase car un carton de disques vient de faire son apparition sur la table en face.
-C’est comme un aimant pour lui, fais-je remarquer à Emmanuel.
-J’y vais aussi, me dit-il.
Je me retrouve seul au milieu de la rue.
Après avoir arpenté encore une fois l’ensemble du déballage, je m’apprête à en repartir avec un simple Michaux, acheté histoire de ne pas repartir bredouille, cinquante centimes, quand je croise l’homme au chapeau. Je lui montre ma modeste trouvaille, qu’il estime à sa juste valeur.
*
La veille au matin, jour de drouille au marché du Clos, pour laquelle certains sont prêts à en piétiner d’autres, je mets la main sur un lot de journaux et revues relatant la mort de Sartre que j’achète parce que je suis dans la lecture des lettres d’icelui au Castor et à quelques autres.
Dans Paris Match, des photos de l’enterrement : grappes d’humains grimpés sur les tombes voisines, jeune homme tombé sur le cercueil, Simone paralysée de douleur ne pouvant jeter sa rose dans la fosse.
Dans Libération, journal dont il fut le directeur et dans lequel il dut mettre beaucoup d’argent, l’enterrement n’a droit qu’à un quart de une, l’essentiel étant consacré aux vingt-quatre heures du Mans de la moto, il y a donc longtemps que ce journal a pris un mauvais virage.
*
Sur la porte du tapissier de la rue Malpalu : « En cas d’absence, il n’y a personne. »
Un vent glacial s’est levé. Des voitures de vendeurs retardataires immatriculées en région parisienne se fraient un chemin dans la foule des acheteurs surtout composée de pauvres pas du quartier. Quant à la marchandise proposée, j’en mettrais bien les trois quarts à la déchetterie.
Je rencontre Emmanuel à qui je fais remarquer que malgré tout, on voit beaucoup plus de vinyles que de livres. « Oui mais il faut aimer Tino Rossi » me répond-il tandis qu’arrive Jean-Pierre qui confirme. Ce dernier a quand même trouvé une rareté : Maurice Chevalier disant des poèmes de Jehan Rictus.
Il nous plante au milieu d’une phrase car un carton de disques vient de faire son apparition sur la table en face.
-C’est comme un aimant pour lui, fais-je remarquer à Emmanuel.
-J’y vais aussi, me dit-il.
Je me retrouve seul au milieu de la rue.
Après avoir arpenté encore une fois l’ensemble du déballage, je m’apprête à en repartir avec un simple Michaux, acheté histoire de ne pas repartir bredouille, cinquante centimes, quand je croise l’homme au chapeau. Je lui montre ma modeste trouvaille, qu’il estime à sa juste valeur.
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La veille au matin, jour de drouille au marché du Clos, pour laquelle certains sont prêts à en piétiner d’autres, je mets la main sur un lot de journaux et revues relatant la mort de Sartre que j’achète parce que je suis dans la lecture des lettres d’icelui au Castor et à quelques autres.
Dans Paris Match, des photos de l’enterrement : grappes d’humains grimpés sur les tombes voisines, jeune homme tombé sur le cercueil, Simone paralysée de douleur ne pouvant jeter sa rose dans la fosse.
Dans Libération, journal dont il fut le directeur et dans lequel il dut mettre beaucoup d’argent, l’enterrement n’a droit qu’à un quart de une, l’essentiel étant consacré aux vingt-quatre heures du Mans de la moto, il y a donc longtemps que ce journal a pris un mauvais virage.
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Sur la porte du tapissier de la rue Malpalu : « En cas d’absence, il n’y a personne. »
13 mars 2015
Surprise, ce jeudi soir, quand j’ouvre ma porte pour aller au vernissage de l’exposition Walker Evans, the magazine work à la Galerie du Pôle Image, un pigeon mal en point s’est réfugié sur le seuil. Je l’y laisse et arrive le premier rue de la Chaîne, trouvant porte close. Une affichette précise que ça n’ouvrira qu’à dix-huit heures, pas question de visiter ça tranquillement avant la foule. Je constate à travers la vitre qu’il ne s’agira pas ici de voir des œuvres originales, pas même des tirages contemporains, mais des reproductions agrandies de pages de magazines, et certains de ces magazines ouverts dans des vitrines.
Arrive une jeune femme que je connais de vue. Elle me demande si c’est bien moi l’auteur du Journal dont elle est devenue lectrice après l’avoir découvert en page d’accueil d’un ordinateur à Stockholm. Ce n’est pas la première à qui ça arrive.
La porte ouverte, je fais le tour d’une galerie remaniée, agrandie et éclairée par le dégagement d’une fenêtre donnant sur un jardin intérieur, l’une des nouveautés apportées par la free-lanceuse Raphaëlle Stopin, l’autre étant dans le choix du photographe exposé.
-Ça nous change des photos de vaches, me dit l’une de mes connaissances qui s’en réjouit autant que moi.
Oui, cela semble en être fini des artistes en résidence (assignés à résidence), lesquels en retour nous gratifiaient de photos de vaches sous les pommiers en hiver à Bacqueville-en-Caux ou d’une rue en impasse dans un quartier pavillonnaire de Beaumont-le-Roger.
Nous voici aux Etats-Unis, de la période prospère à la crise économique et après : bâtiments anguleux, outils en gros plan, carcasses de voitures, sigles peints sur les murs, portraits de travailleurs anonymes. L’œuvre photographique de Walker Evans est sociale et architecturale. N’en est montrée à Rouen que la part publiée dans les magazines dont il était l’employé, bien que bénéficiant de pas mal de liberté (choix des sujets, de la mise en page, des commentaires), cela avec panneaux explicatifs à vocation pédagogique.
Le monde est là pour vernir. D'aucuns sont liés de près ou de loin au Conseil Général, pour qui le proche avenir postélectoral est incertain. Dans un silence troublé par la porte qui grince à chaque entrée ou sortie, l’un, se déclarant président par intérim du Pôle Image, fait un court éloge et excuse l’absence de Didier Mouchel, ancien responsable du lieu, quasi fonctionnaire et désormais retraité, que j’imagine dans son campigne-car entre Bacqueville-en-Caux et Beaumont-le-Roger. Il présente la nouvelle responsable, que le statut de free-lance privera de retraite, et lui donne la parole. Elle parle de l’expo et de Walker Evans puis invite David Campany, auteur du livre Walker Evans, the magazine work, paru aux éditions Steidl en deux mille treize, à dire quelques mots dans sa langue qu’elle traduit.
Je quitte le lieu en dédaignant le cheap buffet. Le pigeon invalide est maintenant dans la partie la plus étroite de la venelle, n’ayant rencontré ni ami des bêtes ni chat.
*
David Campany donnait conférence le matin même à l’auditorium du Musée des Beaux-Arts, pour laquelle il fallait s’inscrire par mail au Pôle Image, ce que j’avais fait. On ne m’a pas répondu. Eût-il plu que j’aurais fait quand même le déplacement, mais le soleil m’a conseillé d’aller lire au jardin.
*
J’ai appris des choses sur Walker Evans grâce aux deux émissions récemment rediffusées en fin de nuit sur France Culture, ayant noté son goût pour la littérature française, Baudelaire, Flaubert, Proust, entre autres (jeune, il voulait devenir écrivain) et son séjour à Cuba où il se saoulait et fréquentait les bordels avec Hemingway.
Arrive une jeune femme que je connais de vue. Elle me demande si c’est bien moi l’auteur du Journal dont elle est devenue lectrice après l’avoir découvert en page d’accueil d’un ordinateur à Stockholm. Ce n’est pas la première à qui ça arrive.
La porte ouverte, je fais le tour d’une galerie remaniée, agrandie et éclairée par le dégagement d’une fenêtre donnant sur un jardin intérieur, l’une des nouveautés apportées par la free-lanceuse Raphaëlle Stopin, l’autre étant dans le choix du photographe exposé.
-Ça nous change des photos de vaches, me dit l’une de mes connaissances qui s’en réjouit autant que moi.
Oui, cela semble en être fini des artistes en résidence (assignés à résidence), lesquels en retour nous gratifiaient de photos de vaches sous les pommiers en hiver à Bacqueville-en-Caux ou d’une rue en impasse dans un quartier pavillonnaire de Beaumont-le-Roger.
Nous voici aux Etats-Unis, de la période prospère à la crise économique et après : bâtiments anguleux, outils en gros plan, carcasses de voitures, sigles peints sur les murs, portraits de travailleurs anonymes. L’œuvre photographique de Walker Evans est sociale et architecturale. N’en est montrée à Rouen que la part publiée dans les magazines dont il était l’employé, bien que bénéficiant de pas mal de liberté (choix des sujets, de la mise en page, des commentaires), cela avec panneaux explicatifs à vocation pédagogique.
Le monde est là pour vernir. D'aucuns sont liés de près ou de loin au Conseil Général, pour qui le proche avenir postélectoral est incertain. Dans un silence troublé par la porte qui grince à chaque entrée ou sortie, l’un, se déclarant président par intérim du Pôle Image, fait un court éloge et excuse l’absence de Didier Mouchel, ancien responsable du lieu, quasi fonctionnaire et désormais retraité, que j’imagine dans son campigne-car entre Bacqueville-en-Caux et Beaumont-le-Roger. Il présente la nouvelle responsable, que le statut de free-lance privera de retraite, et lui donne la parole. Elle parle de l’expo et de Walker Evans puis invite David Campany, auteur du livre Walker Evans, the magazine work, paru aux éditions Steidl en deux mille treize, à dire quelques mots dans sa langue qu’elle traduit.
Je quitte le lieu en dédaignant le cheap buffet. Le pigeon invalide est maintenant dans la partie la plus étroite de la venelle, n’ayant rencontré ni ami des bêtes ni chat.
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David Campany donnait conférence le matin même à l’auditorium du Musée des Beaux-Arts, pour laquelle il fallait s’inscrire par mail au Pôle Image, ce que j’avais fait. On ne m’a pas répondu. Eût-il plu que j’aurais fait quand même le déplacement, mais le soleil m’a conseillé d’aller lire au jardin.
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J’ai appris des choses sur Walker Evans grâce aux deux émissions récemment rediffusées en fin de nuit sur France Culture, ayant noté son goût pour la littérature française, Baudelaire, Flaubert, Proust, entre autres (jeune, il voulait devenir écrivain) et son séjour à Cuba où il se saoulait et fréquentait les bordels avec Hemingway.
12 mars 2015
Le soleil est levé ce mercredi lorsque je me rends au Drugstore pour y acheter le nouveau numéro de Charlie Hebdo. La une signée Luz m’accable, un dessin cucul avec pour légende : « Baisons avant les élections. On votera moins con ! ». Ce n’est ni drôle, ni sensé. A l’intérieur je ne trouve guère à me plaire, hormis les dessins de Willem et la chronique de Philippe Lançon sur sa vie de survivant à l’hôpital. Continuer à acheter ce journal va tenir du sacerdoce.
J’assure ensuite ma survie en me rendant à l’Intermarché de la place Saint-Marc. Les clients du matin, qui attendent comme moi l’heure d’ouverture, me font penser à ceux que j’ai vu massés devant les baraques à frites de Boulogne. Certains se plient en deux pour passer sous le rideau métallique avant qu’il ne soit totalement levé. Je fais d’indispensables courses et file à la caisse, à peine entré, déjà sorti. J’enchaîne avec Super U et la boulangerie Robergeot.
Je retrouve France Culture et constate qu’on y parle toujours autant de l’islam, de quoi me donner envie de couper le son et d’aller prendre le frais dans le jardin. En une semaine, les fleurs de printemps sont écloses.
Je déjeune plus tôt qu’il ne convient afin d’être à midi, heure d’ouverture, au Son du Cor. C’est ma première terrasse de l’année deux mille quinze en ce lieu où je côtoie des têtes vues dans le passé. Seul changement, le verre d’eau accompagnant le café est devenu minuscule. J’y relis le début du premier volume des Lettres au Castor et à quelques autres de Jean-Paul Sartre, ayant perdu mon carnet de notes quelque part dans le Pas de Calais.
Quand l’ombre me rattrape, j’enchaîne avec le café de l’Ubi où je bénéficie de l’indispensable ouifi. Toujours pas d’Internet à la maison, plus on me donne de conseils et de pistes pour installer la nouvelle box dont je n’ai pas ouvert le carton, plus je trouve cela compliqué et voué à l’échec.
*
« Il n'est pas de problème dont une absence de solution ne finisse par venir à bout. » disait Henri Queuille, ce jeudi matin ma vieille box Orange refonctionne.
J’assure ensuite ma survie en me rendant à l’Intermarché de la place Saint-Marc. Les clients du matin, qui attendent comme moi l’heure d’ouverture, me font penser à ceux que j’ai vu massés devant les baraques à frites de Boulogne. Certains se plient en deux pour passer sous le rideau métallique avant qu’il ne soit totalement levé. Je fais d’indispensables courses et file à la caisse, à peine entré, déjà sorti. J’enchaîne avec Super U et la boulangerie Robergeot.
Je retrouve France Culture et constate qu’on y parle toujours autant de l’islam, de quoi me donner envie de couper le son et d’aller prendre le frais dans le jardin. En une semaine, les fleurs de printemps sont écloses.
Je déjeune plus tôt qu’il ne convient afin d’être à midi, heure d’ouverture, au Son du Cor. C’est ma première terrasse de l’année deux mille quinze en ce lieu où je côtoie des têtes vues dans le passé. Seul changement, le verre d’eau accompagnant le café est devenu minuscule. J’y relis le début du premier volume des Lettres au Castor et à quelques autres de Jean-Paul Sartre, ayant perdu mon carnet de notes quelque part dans le Pas de Calais.
Quand l’ombre me rattrape, j’enchaîne avec le café de l’Ubi où je bénéficie de l’indispensable ouifi. Toujours pas d’Internet à la maison, plus on me donne de conseils et de pistes pour installer la nouvelle box dont je n’ai pas ouvert le carton, plus je trouve cela compliqué et voué à l’échec.
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« Il n'est pas de problème dont une absence de solution ne finisse par venir à bout. » disait Henri Queuille, ce jeudi matin ma vieille box Orange refonctionne.
11 mars 2015
Comme promis, pile à sept heures et demie, pour ce dernier jour de vagabondage, le petit-déjeuner m’est apporté à demeure, copieux comme il est d’usage dans les bonnes chambres d’hôtes.
Suivant les consignes, j’éteins le chauffage et laisse la clé sur la porte ; puis quitte la Ferme du Chat Perché après un dernier regard sur le cap Blanc-Nez ensoleillé. Il s’agit de faire la route dans l’autre sens en suivant le bord de mer. Je repasse donc par le cap Gris-Nez, le port de Boulogne, évite Le Touquet mais tourne à droite aussitôt après en direction de Stella-Plage qui en est une sorte d’antithèse. J’ai déjeuné autrefois avec celle qui m’accompagnait dans l’un des trois restaurants du bout de la longue avenue descendant vers la plage, un établissement recevant « toutes ces familles pauvres qui y mangeaient avec leurs Kevin, Brian et Jennifer », comme elle me l’écrit, mais ce mardi d’après vacances scolaires tout est fermé.
Je reprends donc la route et choisis de faire escale au Crotoy, mal vu à l’aller pour cause de marché et de voiture enrhumée. J’y photographie notamment les épaves de bateaux de pêche et la demeure rococo rouge orangé, aux deux tourelles, ayant appartenu au couturier Balmain, ne croisant que des retraités, en couple ou en groupe, beaucoup ayant garé leurs campigne-cars les uns contre les autres dans le lieu sans attrait prévu pour cet usage.
Le beau temps doux se maintenant, c’est à la terrasse du Saint-Pierre que je déjeune, la seule dont la vue sur le large ne soit pas détruite par le stationnement des voitures, d’un menu correct à quinze euros cinquante : assiette de bulots, andouillette sauce moutarde avec frites de la maison et mousse au chocolat. La statue de la Jeanne sur la place m’observe. Elle aussi fit escale au Crotoy (enfermée dans un cachot) avant de gagner Rouen.
*
Derrière une croix, au bout d’un quai, une plaque avec les noms des « péris en mer » du Crotoy. Le dernier inscrit est de mil neuf cent soixante-neuf, du navire nommé Fatalité.
*
Au bord de la route, quelque part, une pancarte blanche qui me donne à songer : ‘Nounou agréée cherche à garder petits et grands ».
*
Ou tu pars en période de vacances scolaires et tu dois supporter les moutards et leurs parents ébahis, ou tu pars en dehors de ces vacances et tu dois supporter les retraités réjouis.
*
Au retour à Rouen, plus d’Internet à la maison, la box Orange passe par toutes les couleurs de l’arc-en-ciel. L’été dernier, j’en ai reçu une nouvelle, plus moderne paraît-il, sans l’avoir demandée, avec injonction de l’installer, ce que je n’ai pas fait, sachant que je ne suis pas fait pour ça. Va bien falloir que je m’y colle.
*
Bienfaiteur de mon humanité, celui qui inventera un Internet fonctionnant avec un simple interrupteur, comme l’eau, le gaz, l’électricité, la radio, la télé et tutti.
Suivant les consignes, j’éteins le chauffage et laisse la clé sur la porte ; puis quitte la Ferme du Chat Perché après un dernier regard sur le cap Blanc-Nez ensoleillé. Il s’agit de faire la route dans l’autre sens en suivant le bord de mer. Je repasse donc par le cap Gris-Nez, le port de Boulogne, évite Le Touquet mais tourne à droite aussitôt après en direction de Stella-Plage qui en est une sorte d’antithèse. J’ai déjeuné autrefois avec celle qui m’accompagnait dans l’un des trois restaurants du bout de la longue avenue descendant vers la plage, un établissement recevant « toutes ces familles pauvres qui y mangeaient avec leurs Kevin, Brian et Jennifer », comme elle me l’écrit, mais ce mardi d’après vacances scolaires tout est fermé.
Je reprends donc la route et choisis de faire escale au Crotoy, mal vu à l’aller pour cause de marché et de voiture enrhumée. J’y photographie notamment les épaves de bateaux de pêche et la demeure rococo rouge orangé, aux deux tourelles, ayant appartenu au couturier Balmain, ne croisant que des retraités, en couple ou en groupe, beaucoup ayant garé leurs campigne-cars les uns contre les autres dans le lieu sans attrait prévu pour cet usage.
Le beau temps doux se maintenant, c’est à la terrasse du Saint-Pierre que je déjeune, la seule dont la vue sur le large ne soit pas détruite par le stationnement des voitures, d’un menu correct à quinze euros cinquante : assiette de bulots, andouillette sauce moutarde avec frites de la maison et mousse au chocolat. La statue de la Jeanne sur la place m’observe. Elle aussi fit escale au Crotoy (enfermée dans un cachot) avant de gagner Rouen.
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Derrière une croix, au bout d’un quai, une plaque avec les noms des « péris en mer » du Crotoy. Le dernier inscrit est de mil neuf cent soixante-neuf, du navire nommé Fatalité.
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Au bord de la route, quelque part, une pancarte blanche qui me donne à songer : ‘Nounou agréée cherche à garder petits et grands ».
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Ou tu pars en période de vacances scolaires et tu dois supporter les moutards et leurs parents ébahis, ou tu pars en dehors de ces vacances et tu dois supporter les retraités réjouis.
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Au retour à Rouen, plus d’Internet à la maison, la box Orange passe par toutes les couleurs de l’arc-en-ciel. L’été dernier, j’en ai reçu une nouvelle, plus moderne paraît-il, sans l’avoir demandée, avec injonction de l’installer, ce que je n’ai pas fait, sachant que je ne suis pas fait pour ça. Va bien falloir que je m’y colle.
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Bienfaiteur de mon humanité, celui qui inventera un Internet fonctionnant avec un simple interrupteur, comme l’eau, le gaz, l’électricité, la radio, la télé et tutti.
10 mars 2015
Après le petit-déjeuner surclassé (surtout par la vue sur le port depuis le premier étage) à l’Hôtel Hamiot, je quitte Boulogne sous le soleil et un ciel radieux par la route côtière qui mène aux deux caps : Gris-Nez et Blanc-Nez.
Je fais tranquillement le tour du premier où se dresse le phare occupé par les militaires surveillant la Manche, nullement gêné par autrui car je suis le seul à me lever si tôt, puis me rends au village d’Audinghen dont l’église réjouira des amateurs d’architecture du vingtième siècle. Le cimetière l’entoure. En face, c’est le café Entre 2 Caps. Je demande à sa tenancière de m’indiquer la tombe de Raoul de Godewarsvelde. C’est derrière l’église, du côté de la mer.
-Qu’est devenu l’estaminet de Léonce ?
-Vous avez dû le voir en passant, ça s’appelle La Mer Monte mais c’est plus pareil. Après Léonce, ça a été tenu par sa serveuse, Mémé, c’était Chez Mémé. Maintenant c’est autre chose, y a encore les photos de Raoul, mais c’est plus l’ambiance de Raoul.
Je fais le tour de l’église et dis bonjour à Francis Delbarre, photographe, dit Raoul de Godewarsvelde, mort à quarante-neuf ans. Sa tombe est garnie de marques d’amitiés anciennes et porte l’inscription « Si vous saviez comme ils sont, les Artistes ». Pas loin, un ouvrier creuse à la pelle mécanique la fosse du prochain.
Je quitte alors Audinghen (où Alain Bashung se maria en deux mille un) et reprends la route côtière par un temps devenu soudain gris et brumeux, traverse Wissant et arrive à Escalles, dont le nom invite à s’arrêter. Je trouve à me loger à la Ferme du Chat Perché bien que les chambres soient trop chères pour moi : soixante-quinze euros. Sont-ce mes souliers percés et ma veste usée qui amènent le jeune homme qui les gère à me proposer un petit studio pour quarante-cinq euros, petit-déjeuner inclus ? Il me le portera pour éviter les frais d’ouverture de la grande salle à manger pour un seul hôte.
Me réservant le cap Blanc-Nez pour l’après repas, j’avance jusqu’à Sangatte (au loin le beffroi de Calais) et y déjeune d’un burger, frites, salade, au Relais, restaurant dont le chef est fier d’annoncer qu’il est ancien boucher et sait découper la viande. J’en suis le seul client. Ce désert empli de nappes à carreaux rouges et blancs est assez déprimant. Vers treize heures, le patron cuisinier et sa femme serveuse s’installent pour manger eux aussi. Nous sommes trois maintenant, mais hier, me dit-il, c’était plein, partout, partout. Je veux bien le croire.
-Vous vous sentez partir, me dit-il quand je me lève, expression locale qui ne signifie pas que l’on se sent mourir mais qu’on s’apprête à quitter les lieux.
Je me gare à la sortie de Sangatte près de l’imposante statue érigée en l’honneur d’Hubert Latham, impétueux armateur havrais qui tenta par deux fois en mil neuf cent neuf de traverser la Manche en avion et attendit les secours un fume-cigarette aux lèvres. La troisième tentative de l’avionneur fut empêchée, un accident de chasse le tua. Par un long sentier pentu où je ne croise que quelques randonneurs, je rejoins le bout du cap Blanc-Nez dominé par un monument phallique à la gloire des guerriers du passé. Dans la brume vont et viennent les ferries, objets des convoitises des réfugiés que je ne verrai pas.
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Règlement du Chat Perché : « Nous demandons aux parents de veiller à ce que leurs enfants ne jouent pas au ballon dans la cour. A 300 mètres, la plage offre une aire de jeux de 12 kilomètres de long. »
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« Le 13 avril 1977, il dédicace ses disques à Boulogne-sur-Mer et termine sa journée avec son ami Léonce. Le lendemain, vers 7 heures, le menuisier Michel Legrand d’Audinghen, découvre Raoul pendu à une poutre d’une maison en construction non loin de la sienne. » (Ouiquipédia)
Je fais tranquillement le tour du premier où se dresse le phare occupé par les militaires surveillant la Manche, nullement gêné par autrui car je suis le seul à me lever si tôt, puis me rends au village d’Audinghen dont l’église réjouira des amateurs d’architecture du vingtième siècle. Le cimetière l’entoure. En face, c’est le café Entre 2 Caps. Je demande à sa tenancière de m’indiquer la tombe de Raoul de Godewarsvelde. C’est derrière l’église, du côté de la mer.
-Qu’est devenu l’estaminet de Léonce ?
-Vous avez dû le voir en passant, ça s’appelle La Mer Monte mais c’est plus pareil. Après Léonce, ça a été tenu par sa serveuse, Mémé, c’était Chez Mémé. Maintenant c’est autre chose, y a encore les photos de Raoul, mais c’est plus l’ambiance de Raoul.
Je fais le tour de l’église et dis bonjour à Francis Delbarre, photographe, dit Raoul de Godewarsvelde, mort à quarante-neuf ans. Sa tombe est garnie de marques d’amitiés anciennes et porte l’inscription « Si vous saviez comme ils sont, les Artistes ». Pas loin, un ouvrier creuse à la pelle mécanique la fosse du prochain.
Je quitte alors Audinghen (où Alain Bashung se maria en deux mille un) et reprends la route côtière par un temps devenu soudain gris et brumeux, traverse Wissant et arrive à Escalles, dont le nom invite à s’arrêter. Je trouve à me loger à la Ferme du Chat Perché bien que les chambres soient trop chères pour moi : soixante-quinze euros. Sont-ce mes souliers percés et ma veste usée qui amènent le jeune homme qui les gère à me proposer un petit studio pour quarante-cinq euros, petit-déjeuner inclus ? Il me le portera pour éviter les frais d’ouverture de la grande salle à manger pour un seul hôte.
Me réservant le cap Blanc-Nez pour l’après repas, j’avance jusqu’à Sangatte (au loin le beffroi de Calais) et y déjeune d’un burger, frites, salade, au Relais, restaurant dont le chef est fier d’annoncer qu’il est ancien boucher et sait découper la viande. J’en suis le seul client. Ce désert empli de nappes à carreaux rouges et blancs est assez déprimant. Vers treize heures, le patron cuisinier et sa femme serveuse s’installent pour manger eux aussi. Nous sommes trois maintenant, mais hier, me dit-il, c’était plein, partout, partout. Je veux bien le croire.
-Vous vous sentez partir, me dit-il quand je me lève, expression locale qui ne signifie pas que l’on se sent mourir mais qu’on s’apprête à quitter les lieux.
Je me gare à la sortie de Sangatte près de l’imposante statue érigée en l’honneur d’Hubert Latham, impétueux armateur havrais qui tenta par deux fois en mil neuf cent neuf de traverser la Manche en avion et attendit les secours un fume-cigarette aux lèvres. La troisième tentative de l’avionneur fut empêchée, un accident de chasse le tua. Par un long sentier pentu où je ne croise que quelques randonneurs, je rejoins le bout du cap Blanc-Nez dominé par un monument phallique à la gloire des guerriers du passé. Dans la brume vont et viennent les ferries, objets des convoitises des réfugiés que je ne verrai pas.
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Règlement du Chat Perché : « Nous demandons aux parents de veiller à ce que leurs enfants ne jouent pas au ballon dans la cour. A 300 mètres, la plage offre une aire de jeux de 12 kilomètres de long. »
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« Le 13 avril 1977, il dédicace ses disques à Boulogne-sur-Mer et termine sa journée avec son ami Léonce. Le lendemain, vers 7 heures, le menuisier Michel Legrand d’Audinghen, découvre Raoul pendu à une poutre d’une maison en construction non loin de la sienne. » (Ouiquipédia)
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