Dernières notes
Loïc Boyer
Je suis l’auteur de textes courts qui furent publiés depuis mil neuf cent quatre-vingt-quinze dans des revues littéraires en France (Supérieur Inconnu, Supplément d’Ame, Nouvelle Donne, Le Bord de l’Eau, Pris de Peur, l’Art du Bref, Sol’Air, Gros Textes, Salmigondis, Verso, Décharge, Bulle, Filigranes, Diérèse, Martobre, Comme ça et Autrement, (Cahier d’) Ecritures, La Nef des Fous), en Belgique (Traversées, Ecrits Vains, L’Arbre à Plumes, Inédit Nouveau, Bleu d’Encre), au Canada (Les Saisons Littéraires) et en Italie (Les Cahiers du Ru).
Les courageuses Editions du Chardon ont publié en mil neuf cent quatre-vingt-dix-neuf Erotica, un recueil de vingt-huit de ces textes, illustré par Isabelle Pio et Antoine Lopez et préfacé par Sarane Alexandrian, toujours disponible auprès de moi.
Je suis également l’auteur d’une pièce de théâtre et de plusieurs romans ou récits à ce jour inédits.
Depuis le onze novembre deux mille six, je publie mon Journal via Internet, un temps sous-titré Persiflages, moquages et autres énervages mâtinés de complimentages et de contentages. Sa première partie est lisible chez Eklablog, la deuxième ici.
Je vis au centre de Rouen dans un ancien monastère où autrefois les Sœurs de la Miséricorde se vouaient à l’éducation des jeunes filles.
Les courageuses Editions du Chardon ont publié en mil neuf cent quatre-vingt-dix-neuf Erotica, un recueil de vingt-huit de ces textes, illustré par Isabelle Pio et Antoine Lopez et préfacé par Sarane Alexandrian, toujours disponible auprès de moi.
Je suis également l’auteur d’une pièce de théâtre et de plusieurs romans ou récits à ce jour inédits.
Depuis le onze novembre deux mille six, je publie mon Journal via Internet, un temps sous-titré Persiflages, moquages et autres énervages mâtinés de complimentages et de contentages. Sa première partie est lisible chez Eklablog, la deuxième ici.
Je vis au centre de Rouen dans un ancien monastère où autrefois les Sœurs de la Miséricorde se vouaient à l’éducation des jeunes filles.
24 septembre 2016
Avant que l’exposition Beat Generation ne s’achève, la chenille m’emmène au sixième étage du Centre Pompidou ce mercredi de fin d’été. Il s’agit d’en voir la partie que j’ai négligée lors de mon premier passage.
Je longe à nouveau le rouleau de trente-six mètres cinquante d’On the Road (dans une vitrine à côté, pour les fétichistes, une tenue de Jack Kerouac, sans le sous-vêtement : pantalon d’étoffe blanche, ticheurte, ceinture usagée, casquette blanche, gourde) puis me dirige vers la salle consacrée à la Californie. On y montre des photos de la librairie City Lights fondée en mil neuf cent cinquante-trois à San Francisco par Lawrence Ferlinghetti et le professeur Peter D. Martin, laquelle existe toujours. C’est là que fut publié Howl and Others Poems d’Allen Ginsberg, livre qui échappa de peu à l’interdiction pour obscénité.
La salle suivante est consacrée au Mexique où se réfugia Burroughs après sa trop grande réussite au tir au pistolet et où le rejoignirent Kerouac et d’autres, soucieux d’essayer de nouvelles drogues et d’échapper à une guerre nucléaire jugée proche. On y montre les photos prises par Bernard Plossu dix ans plus tard.
Puis c’est Tanger où toute la bande passa et fit la rencontre de Paul Bowles.
La dernière étape est Paris et l’hôtel de la rue Gît-le-Cœur dont une chambre est vaguement reconstituée, que l’on découvre à travers la Dreamachine de Brion Gysin, sorte de kaléidoscope multidimensionnel tourbillonnant censé produire des effets hallucinatoires si on le regarde les yeux fermés.
Je ne m’y risque pas et ne reste pas plus longtemps dans cette évocation désordonnée des années beat finalement assez fatigante à visiter. Dans la galerie d’à côté vient de commencer la rétrospective René Magritte. Ce sera pour une autre fois.
*
Il n’y a pas que des bons moments dans la vie d’un barman ou d’une barmaid. Deux exemples :
Au Café du Faubourg, un homme entre sans un bonjour et demande au barman :
-Vous avez le code ouifi ?
-Y en a pas.
Le type lui tourne le dos sans un merci et s’apprête à sortir quand le barman le rappelle pour lui dire que si c’est la ouifi qu’il cherche, on l’a, mais qu’il n’y a pas de code, puis il se tourne vers moi et d’un regard me fait part de son exaspération.
Au Bistrot d’Edmond, la barmaid découvre les trois pièces de cinq centimes qu’un consommateur lui a laissées. Excédée, elle les jette dans la caisse et me dit : « C’est une insulte, je préfère qu’on ne me laisse pas de pourboire. »
*
Trouvé à Paris, ce mercredi, l’édition par l’Age d’Homme de Gatsby le Magnifique dans la traduction nouvelle de Michel Viel avec à l’intérieur un papillon (comme on dit au Québec) : « Avec les compliments de Jean-Pierre Lecoq, Maire du 6e arrondissement de Paris & Andonia Dimitijevic, Directrice des Editions l’Age d’Homme. Bonne et heureuse année 2014 ». Un cadeau arrivé tardivement.
Je longe à nouveau le rouleau de trente-six mètres cinquante d’On the Road (dans une vitrine à côté, pour les fétichistes, une tenue de Jack Kerouac, sans le sous-vêtement : pantalon d’étoffe blanche, ticheurte, ceinture usagée, casquette blanche, gourde) puis me dirige vers la salle consacrée à la Californie. On y montre des photos de la librairie City Lights fondée en mil neuf cent cinquante-trois à San Francisco par Lawrence Ferlinghetti et le professeur Peter D. Martin, laquelle existe toujours. C’est là que fut publié Howl and Others Poems d’Allen Ginsberg, livre qui échappa de peu à l’interdiction pour obscénité.
La salle suivante est consacrée au Mexique où se réfugia Burroughs après sa trop grande réussite au tir au pistolet et où le rejoignirent Kerouac et d’autres, soucieux d’essayer de nouvelles drogues et d’échapper à une guerre nucléaire jugée proche. On y montre les photos prises par Bernard Plossu dix ans plus tard.
Puis c’est Tanger où toute la bande passa et fit la rencontre de Paul Bowles.
La dernière étape est Paris et l’hôtel de la rue Gît-le-Cœur dont une chambre est vaguement reconstituée, que l’on découvre à travers la Dreamachine de Brion Gysin, sorte de kaléidoscope multidimensionnel tourbillonnant censé produire des effets hallucinatoires si on le regarde les yeux fermés.
Je ne m’y risque pas et ne reste pas plus longtemps dans cette évocation désordonnée des années beat finalement assez fatigante à visiter. Dans la galerie d’à côté vient de commencer la rétrospective René Magritte. Ce sera pour une autre fois.
*
Il n’y a pas que des bons moments dans la vie d’un barman ou d’une barmaid. Deux exemples :
Au Café du Faubourg, un homme entre sans un bonjour et demande au barman :
-Vous avez le code ouifi ?
-Y en a pas.
Le type lui tourne le dos sans un merci et s’apprête à sortir quand le barman le rappelle pour lui dire que si c’est la ouifi qu’il cherche, on l’a, mais qu’il n’y a pas de code, puis il se tourne vers moi et d’un regard me fait part de son exaspération.
Au Bistrot d’Edmond, la barmaid découvre les trois pièces de cinq centimes qu’un consommateur lui a laissées. Excédée, elle les jette dans la caisse et me dit : « C’est une insulte, je préfère qu’on ne me laisse pas de pourboire. »
*
Trouvé à Paris, ce mercredi, l’édition par l’Age d’Homme de Gatsby le Magnifique dans la traduction nouvelle de Michel Viel avec à l’intérieur un papillon (comme on dit au Québec) : « Avec les compliments de Jean-Pierre Lecoq, Maire du 6e arrondissement de Paris & Andonia Dimitijevic, Directrice des Editions l’Age d’Homme. Bonne et heureuse année 2014 ». Un cadeau arrivé tardivement.
23 septembre 2016
C’est encore la nuit ce dernier jour d’été quand j’arrive à la gare de Rouen devant laquelle une paire de Témoins de Jéhovah est déjà aux aguets. Je trouve place assise dans le train de sept heures vingt-huit. Il file dans le brouillard. Celles et ceux qui ont fait le choix de la voiture pour aller à Paris ce matin ont eu tort, constate-t-on lorsqu’il longe l’autoroute. Tous les véhicules sont à l’arrêt pour une raison inconnue. A l’approche de la capitale, le brouillard s’estompe. Le ciel bleu annonce une fin d’été ensoleillée. Le chef de bord est fier d’annoncer une arrivée avec deux minutes d’avance.
Je bois un café au comptoir du Café du Faubourg en lisant Le Parisien « Un policier mordu par un vendeur de tours Eiffel », puis rejoins le marché d’Aligre où je trouve sur l’étal d’un vendeur inhabituel Sur mon père de Tatiana Tolstoï publié en poche chez Allia (un euro) et Sur quelques-uns et sur lui-même de Robert Walser publié dans la collection Arcades chez Gallimard (deux euros). Dans ce dernier se cachent le programme de l’adaptation théâtrale d’Esquisses viennoises de Peter Altenberg joué en mil neuf cent quatre-vingt-cinq au Théâtre de Poche à Montparnasse et la lettre que Claude A. envoya le vingt-cinq janvier mil neuf cent quatre-vingt-six à une « Chère Madame » :
« Un grand merci pour votre si belle lettre et pour le livre de Walser. Le cadeau d’un livre est toujours quelque chose de si beau. Altenberg m’avait lui été envoyé par le destin –un livre de solde qui traînait sur un étal !... »
Devant le rideau fermé du Book-Off de Ledru-Rollin, je retrouve le vieux bouquiniste que j’ai un jour suspecté à tort d’avoir le droit d’entrer avant les autres. Il me parle de son père qui était communiste et sénateur. A l’ouverture, il commence par regarder derrière le comptoir où sont stockés les livres nouvellement arrivés. Bien que leur tranche ne soit pas directement visible, son œil de professionnel y repère le livre intéressant.
-Le Quarto d’Annie Ernaux, ça vous intéresse ? me demande-t-il.
-Ah oui, lui dis-je.
Je le remercie. Une employée attrape Ecrire la vie, ce pavé réunissant les premiers récits de l’écrivaine et des bonus, dont cent pages de photos personnelles accompagnées d’extraits du Journal intime inédit. « Je vais le prendre si c’est possible », lui dis-je. Elle le scanne, me l’annonce à sept euros, l’étiquette et le voici dans mon panier.
A midi, je déjeune Chez Céleste, en terrasse, d’un avocat crevettes et d’un poulet boucané. Avec un quart de vin du pays, cela fait dix-neuf euros cinquante, un euro de plus qu’avant.
-Ça faisait un an et demi qu’on n’avait pas augmenté la formule, les autres l’ont fait alors on a suivi.
Sans commentaire, je sors ma carte bancaire.
Je décide de rejoindre à pied le Centre Pompidou afin de voir la partie de l’exposition Beat Generation que j’avais délaissée l’autre fois. En chemin, je prends un café au comptoir du Rivolux au-dessus duquel sont accrochés des soutiens-gorge accompagnés d’un prénom et de petits cœurs.
-Ça, ce sont les filles un peu saoules en fin de soirée quand elles veulent draguer le barman, m’explique celui-ci.
-Ah oui, c’est un bon métier.
-Parfois oui.
Après l’exposition, je furète dans le second Book-Off puis me rapproche de Saint-Lazare mais ne peux m’abreuver Chez Léon. Les grilles sont mises et les vitres sont passées à la chaux. Sur la porte, un petit mot manuscrit annonce une fermeture exceptionnelle pour cause de décès.
La vieille dame, ancienne patronne, qui, il y a encore quelques mois, essuyait les verres au fond du café et que sa fille incitait à faire les comptes afin que son cerveau ne s’endorme pas tout à fait, a dû mourir. Je la savais sévèrement déclinante par la conversation familiale de l’estaminet
Le train du retour file aussi vite que celui de l’aller. Je n’ai pas le temps de lire jusqu’au bout le livre de Tatiana Tolstoï avant l’arrivée à Rouen.
Je bois un café au comptoir du Café du Faubourg en lisant Le Parisien « Un policier mordu par un vendeur de tours Eiffel », puis rejoins le marché d’Aligre où je trouve sur l’étal d’un vendeur inhabituel Sur mon père de Tatiana Tolstoï publié en poche chez Allia (un euro) et Sur quelques-uns et sur lui-même de Robert Walser publié dans la collection Arcades chez Gallimard (deux euros). Dans ce dernier se cachent le programme de l’adaptation théâtrale d’Esquisses viennoises de Peter Altenberg joué en mil neuf cent quatre-vingt-cinq au Théâtre de Poche à Montparnasse et la lettre que Claude A. envoya le vingt-cinq janvier mil neuf cent quatre-vingt-six à une « Chère Madame » :
« Un grand merci pour votre si belle lettre et pour le livre de Walser. Le cadeau d’un livre est toujours quelque chose de si beau. Altenberg m’avait lui été envoyé par le destin –un livre de solde qui traînait sur un étal !... »
Devant le rideau fermé du Book-Off de Ledru-Rollin, je retrouve le vieux bouquiniste que j’ai un jour suspecté à tort d’avoir le droit d’entrer avant les autres. Il me parle de son père qui était communiste et sénateur. A l’ouverture, il commence par regarder derrière le comptoir où sont stockés les livres nouvellement arrivés. Bien que leur tranche ne soit pas directement visible, son œil de professionnel y repère le livre intéressant.
-Le Quarto d’Annie Ernaux, ça vous intéresse ? me demande-t-il.
-Ah oui, lui dis-je.
Je le remercie. Une employée attrape Ecrire la vie, ce pavé réunissant les premiers récits de l’écrivaine et des bonus, dont cent pages de photos personnelles accompagnées d’extraits du Journal intime inédit. « Je vais le prendre si c’est possible », lui dis-je. Elle le scanne, me l’annonce à sept euros, l’étiquette et le voici dans mon panier.
A midi, je déjeune Chez Céleste, en terrasse, d’un avocat crevettes et d’un poulet boucané. Avec un quart de vin du pays, cela fait dix-neuf euros cinquante, un euro de plus qu’avant.
-Ça faisait un an et demi qu’on n’avait pas augmenté la formule, les autres l’ont fait alors on a suivi.
Sans commentaire, je sors ma carte bancaire.
Je décide de rejoindre à pied le Centre Pompidou afin de voir la partie de l’exposition Beat Generation que j’avais délaissée l’autre fois. En chemin, je prends un café au comptoir du Rivolux au-dessus duquel sont accrochés des soutiens-gorge accompagnés d’un prénom et de petits cœurs.
-Ça, ce sont les filles un peu saoules en fin de soirée quand elles veulent draguer le barman, m’explique celui-ci.
-Ah oui, c’est un bon métier.
-Parfois oui.
Après l’exposition, je furète dans le second Book-Off puis me rapproche de Saint-Lazare mais ne peux m’abreuver Chez Léon. Les grilles sont mises et les vitres sont passées à la chaux. Sur la porte, un petit mot manuscrit annonce une fermeture exceptionnelle pour cause de décès.
La vieille dame, ancienne patronne, qui, il y a encore quelques mois, essuyait les verres au fond du café et que sa fille incitait à faire les comptes afin que son cerveau ne s’endorme pas tout à fait, a dû mourir. Je la savais sévèrement déclinante par la conversation familiale de l’estaminet
Le train du retour file aussi vite que celui de l’aller. Je n’ai pas le temps de lire jusqu’au bout le livre de Tatiana Tolstoï avant l’arrivée à Rouen.
22 septembre 2016
Voici mes voisins de proximité partis pour une maison avec jardin où pourra s’épanouir leur chien Moka, ceci dans un village proche de ma ville natale et que je connais bien, Ils ne vont pas me regretter.
Un après-midi de cet été alors que je tapotais sur mon ordinateur dans le jardin de la copropriété, cette jeune voisine apparut à sa fenêtre de l’étage et, se retournant vers son compagnon, lui dit :
-Florent, tu veux voir quelqu'un qui écrit de la merde ?
Pourtant je n’étais pas en train d’écrire sur celle que leur chien laissait partout sur la pelouse
-Hein quoi ? lui répondit-il
Elle le lui répéta plus fort. Il vint voir.
Lui comme elle n’ont jamais voulu comprendre à quel point je peux tout entendre en ce lieu, au jardin et plus encore au travers du mur de ma chambre principale. A leur arrivée, il y a plusieurs années, je les avais avertis de cette absence d’isolation phonique entre leur appartement et le mien : « De mon lit, je peux entendre jusqu'au bruit d’une assiette que vous posez sur la table ».
J’ai toujours signalé ce fait aux nouveaux arrivants. La plupart l’ont vite oublié ou n’y ont cru qu’à moitié parce que l’inverse n’est pas vrai. Ils n’entendent pas de bruit venant de chez moi. C’est peut-être que je n’en fais guère.
Une seule fois un couple a compris. « Si j’avais su ça, jamais on n’aurait pris cet appartement », m’a-t-elle dit. Deux semaines plus tard, ils déménageaient.
Les propriétaires de Moka sont restés plusieurs années et avec eux j’ai eu droit à pas mal de réveils nocturnes pour cause de disputes tournant à la crise de nerf. J’ai aussi subi deux ou trois soirées biture de lui avec ses peutes, desquelles j’ai parlé dans ce Journal. Je pensais qu’ils ne me liraient pas, mais c’était sans compter sur une malintentionnée qui est allée cafter. Du jour au lendemain, ils ne m’ont plus dit bonjour.
Depuis deux ou trois ans, leur poubelle intérieure était exilée à l’extérieur, en équilibre sur la gouttière, à un mètre de ma fenêtre, une lubie soudaine et durable, crainte des miasmes peut-être. Ce qui me valait le bruit supplémentaire de l’ouverture et de la fermeture de la fenêtre pour chaque déchet à jeter, de jour comme de nuit.
Bon, les voilà partis. Je ne risquerai plus de marcher dans la merde en m’installant sur la pelouse avec un livre ou mon ordinateur.. C’est lui qui se chargeait de la récolter dans un sac en plastique mais il en oubliait la moitié, semblable en cela à un ramasseur de champignons peu doué, bien que ce soit un gars de la campagne.
*
Cela avait pourtant bien commencé entre eux et moi.
-Si vous avez besoin de quelque chose, dites-le moi, leur avais-je dit à leur arrivée.
-Justement, on n’a pas de connexion Internet, est-ce que ce serait possible que vous nous donniez le code de votre boxe ?
J’ai dit oui.
*
« Viens-là, Moka ! » « A ta place, Moka ! » « Au pied, Moka ! » « C’est bien, Moka ! », comme il est doux à certain(e)s d’exercer leur pouvoir sur un être vivant.
Un après-midi de cet été alors que je tapotais sur mon ordinateur dans le jardin de la copropriété, cette jeune voisine apparut à sa fenêtre de l’étage et, se retournant vers son compagnon, lui dit :
-Florent, tu veux voir quelqu'un qui écrit de la merde ?
Pourtant je n’étais pas en train d’écrire sur celle que leur chien laissait partout sur la pelouse
-Hein quoi ? lui répondit-il
Elle le lui répéta plus fort. Il vint voir.
Lui comme elle n’ont jamais voulu comprendre à quel point je peux tout entendre en ce lieu, au jardin et plus encore au travers du mur de ma chambre principale. A leur arrivée, il y a plusieurs années, je les avais avertis de cette absence d’isolation phonique entre leur appartement et le mien : « De mon lit, je peux entendre jusqu'au bruit d’une assiette que vous posez sur la table ».
J’ai toujours signalé ce fait aux nouveaux arrivants. La plupart l’ont vite oublié ou n’y ont cru qu’à moitié parce que l’inverse n’est pas vrai. Ils n’entendent pas de bruit venant de chez moi. C’est peut-être que je n’en fais guère.
Une seule fois un couple a compris. « Si j’avais su ça, jamais on n’aurait pris cet appartement », m’a-t-elle dit. Deux semaines plus tard, ils déménageaient.
Les propriétaires de Moka sont restés plusieurs années et avec eux j’ai eu droit à pas mal de réveils nocturnes pour cause de disputes tournant à la crise de nerf. J’ai aussi subi deux ou trois soirées biture de lui avec ses peutes, desquelles j’ai parlé dans ce Journal. Je pensais qu’ils ne me liraient pas, mais c’était sans compter sur une malintentionnée qui est allée cafter. Du jour au lendemain, ils ne m’ont plus dit bonjour.
Depuis deux ou trois ans, leur poubelle intérieure était exilée à l’extérieur, en équilibre sur la gouttière, à un mètre de ma fenêtre, une lubie soudaine et durable, crainte des miasmes peut-être. Ce qui me valait le bruit supplémentaire de l’ouverture et de la fermeture de la fenêtre pour chaque déchet à jeter, de jour comme de nuit.
Bon, les voilà partis. Je ne risquerai plus de marcher dans la merde en m’installant sur la pelouse avec un livre ou mon ordinateur.. C’est lui qui se chargeait de la récolter dans un sac en plastique mais il en oubliait la moitié, semblable en cela à un ramasseur de champignons peu doué, bien que ce soit un gars de la campagne.
*
Cela avait pourtant bien commencé entre eux et moi.
-Si vous avez besoin de quelque chose, dites-le moi, leur avais-je dit à leur arrivée.
-Justement, on n’a pas de connexion Internet, est-ce que ce serait possible que vous nous donniez le code de votre boxe ?
J’ai dit oui.
*
« Viens-là, Moka ! » « A ta place, Moka ! » « Au pied, Moka ! » « C’est bien, Moka ! », comme il est doux à certain(e)s d’exercer leur pouvoir sur un être vivant.
21 septembre 2016
« Lundi 19 septembre 14h, je me suis tenu seul contre un arbre avec une pancarte "NON à l'ABATTAGE" pour en empêcher l'abattage par les bûcherons de la ville de Rouen. Une responsable des espaces verts est venue me parler ainsi qu'une journaliste de Paris-Normandie. Quelques passants se sont joints à moi. La séance de coupage s'est interrompue. Mais demain mardi, ils remettent ça à 8h. Si vous voulez venir cela augmentera les chances de survie de ces pauvres arbres. »
Je connais le jeune homme qui raconte ça sur le réseau social Effe Bé ce lundi soir. Je trouve sa réaction salutaire. Je connais aussi les arbres de la rue d’Amiens. Plus d’une fois, ils m’ont abrité du soleil brûlant. Aussi ce mardi à huit heures, j’y vais.
Le jeune homme est là, accompagné d’un autre que je connais également et qui va devoir aller au lycée. Ils ont apposé des panneaux dénonçant l’abattage sur les arbres dont les branches ont été coupées hier et dont il ne reste que les fûts. D’autres sont encore intacts. L’équipe des bûcherons de la ville de Rouen arrive peu après. Ils installent un système de feux tricolores pour mettre la rue en circulation alternée puis des plots devant les arbres intacts. Nous nous déplaçons vers ceux-ci.
L’un des bûcherons s’adresse au jeune homme qu’il connaît depuis la veille :
-T’es au bon endroit, là, c’est par là qu’on doit commencer.
Bientôt arrivent un camion avec nacelle et une broyeuse de branches. Puis c’est le tour d’autres personnes venues soutenir les arbres et d’une voiture de la Police Municipale venue aux nouvelles. Un Policier et une Policière en sortent. Le Policier nous dit que lui non plus n’aime pas qu’on coupe des arbres mais qu’en empêchant les ouvriers de travailler, on ne s’en prend pas aux bonnes personnes, qu’on serait plus efficace si on allait discuter avec ceux qui ont décidé ça, à la Mairie. Bref, il veut qu’on parte. La Policière nous demande de lui dire si on va le faire. Nous restons évasifs et ne bougeons pas.
Nous sommes rejoints par des habitant(e)s de l’immeuble qui est derrière les arbres. Des retraité(e)s qui n’étaient au courant de rien. Bien que ces arbres leur fassent beaucoup d’ombre, ils y tiennent. Le Président du Conseil Syndical nous dit que jamais les copropriétaires n’ont demandé cet abattage. Lui-même habite là où un arbre a déjà été privé de toutes ses branches. Hier soir, il a baissé le rideau tellement il était triste de ne plus avoir sa vue habituelle. Il passait beaucoup de temps à regarder cet arbre et le pigeon qui y faisait des allers et retours. Est aussi présente la journaliste de Paris Normandie qui habite en face, venue faire son métier.
Nous nous attendons à voir arriver la Police Nationale mais rien ne se passe. Au bout d’un long moment, le Policier Municipal nous annonce qu’un élu va venir nous donner des explications. Il y a maintenant là aussi un spécialiste de la contestation politique organisée qui plaide pour que les habitants des différents quartiers s’organisent et fassent remonter leurs revendications (air connu).
On attend l’élu. Il finit par arriver. C’est Kader Chekhemani, l’Adjoint chargé du quartier. Il serre la main de tout le monde. Depuis le début de la matinée, Jezabel Saumur, la « gestionnaire du patrimoine arboré » de la ville de Rouen, est présente, mais sur l’autre trottoir. Il faut que l’élu l’appelle pour qu’elle daigne traverser la rue.
Questionné par les habitant(e)s de l’immeuble le plus touché par la disparition des arbres, Kader Chekhemani reconnaît un manque d’information mais justifie la coupe. Les arbres seront remplacés par d’autres, ils sont vieux, cinquante ans, on ne peut plus les élaguer, ça les stresse. La gestionnaire aussi est stressée, elle se tord les doigts et peine à s’exprimer. Sur les points techniques, son adjoint parle à sa place. Elle a tout de la technocrate. Son plan de remplacement des arbres est un plan quinquennal à la soviétique.
-Elle connaît peut-être les arbres, me dit une riveraine, mais il y a aussi ce que ressentent les êtres humains.
Finalement, nous obtenons qu’une réunion avec les habitants concernés et les autres ait lieu jeudi soir dans l’ancienne école Victor-Hugo et qu’en attendant l’abattage soit arrêté.
Ce délai n’empêchera rien. Néanmoins, il permet aux riverains de profiter des arbres indemnes pendant quelques jours encore et à ceux de la rue du Docteur-Blanche, où poussent les prochains sur la liste des arbres à abattre, d’en jouir quelques jours de plus (pour eux, c’était prévu lundi prochain).
-À jeudi, me dit le jeune homme à l’origine de la rébellion.
-Non, lui dis-je, je déteste les réunions. On se reverra sous un arbre ou ailleurs.
Ce jeune homme va souffrir, il est viscéralement opposé à l’abattage de ces arbres et ne pourra pas l’empêcher.
Il est onze heures et demie quand je remonte la rue d’Amiens pour rentrer. Une dame que je connais un peu m’interpelle. Elle m’apprend qu’elle aussi habite dans l’immeuble protégé par les arbres. Je l’informe de ce qui se trame et de la réunion de jeudi. Elle est navrée de la disparition prochaine de celui qu’elle appelle « mon tilleul ».
-Je l’aime tellement, me dit-t-elle.
*
La grosse majorité des arbres de Rouen datent du baby boom. On les abat avant qu’ils soient trop vieux et malades pour les remplacer par des jeunes. Ce discours municipal sonne bizarrement aux oreilles de celles et ceux qui ont le même âge (ou plus) que ces feuillus.
Je connais le jeune homme qui raconte ça sur le réseau social Effe Bé ce lundi soir. Je trouve sa réaction salutaire. Je connais aussi les arbres de la rue d’Amiens. Plus d’une fois, ils m’ont abrité du soleil brûlant. Aussi ce mardi à huit heures, j’y vais.
Le jeune homme est là, accompagné d’un autre que je connais également et qui va devoir aller au lycée. Ils ont apposé des panneaux dénonçant l’abattage sur les arbres dont les branches ont été coupées hier et dont il ne reste que les fûts. D’autres sont encore intacts. L’équipe des bûcherons de la ville de Rouen arrive peu après. Ils installent un système de feux tricolores pour mettre la rue en circulation alternée puis des plots devant les arbres intacts. Nous nous déplaçons vers ceux-ci.
L’un des bûcherons s’adresse au jeune homme qu’il connaît depuis la veille :
-T’es au bon endroit, là, c’est par là qu’on doit commencer.
Bientôt arrivent un camion avec nacelle et une broyeuse de branches. Puis c’est le tour d’autres personnes venues soutenir les arbres et d’une voiture de la Police Municipale venue aux nouvelles. Un Policier et une Policière en sortent. Le Policier nous dit que lui non plus n’aime pas qu’on coupe des arbres mais qu’en empêchant les ouvriers de travailler, on ne s’en prend pas aux bonnes personnes, qu’on serait plus efficace si on allait discuter avec ceux qui ont décidé ça, à la Mairie. Bref, il veut qu’on parte. La Policière nous demande de lui dire si on va le faire. Nous restons évasifs et ne bougeons pas.
Nous sommes rejoints par des habitant(e)s de l’immeuble qui est derrière les arbres. Des retraité(e)s qui n’étaient au courant de rien. Bien que ces arbres leur fassent beaucoup d’ombre, ils y tiennent. Le Président du Conseil Syndical nous dit que jamais les copropriétaires n’ont demandé cet abattage. Lui-même habite là où un arbre a déjà été privé de toutes ses branches. Hier soir, il a baissé le rideau tellement il était triste de ne plus avoir sa vue habituelle. Il passait beaucoup de temps à regarder cet arbre et le pigeon qui y faisait des allers et retours. Est aussi présente la journaliste de Paris Normandie qui habite en face, venue faire son métier.
Nous nous attendons à voir arriver la Police Nationale mais rien ne se passe. Au bout d’un long moment, le Policier Municipal nous annonce qu’un élu va venir nous donner des explications. Il y a maintenant là aussi un spécialiste de la contestation politique organisée qui plaide pour que les habitants des différents quartiers s’organisent et fassent remonter leurs revendications (air connu).
On attend l’élu. Il finit par arriver. C’est Kader Chekhemani, l’Adjoint chargé du quartier. Il serre la main de tout le monde. Depuis le début de la matinée, Jezabel Saumur, la « gestionnaire du patrimoine arboré » de la ville de Rouen, est présente, mais sur l’autre trottoir. Il faut que l’élu l’appelle pour qu’elle daigne traverser la rue.
Questionné par les habitant(e)s de l’immeuble le plus touché par la disparition des arbres, Kader Chekhemani reconnaît un manque d’information mais justifie la coupe. Les arbres seront remplacés par d’autres, ils sont vieux, cinquante ans, on ne peut plus les élaguer, ça les stresse. La gestionnaire aussi est stressée, elle se tord les doigts et peine à s’exprimer. Sur les points techniques, son adjoint parle à sa place. Elle a tout de la technocrate. Son plan de remplacement des arbres est un plan quinquennal à la soviétique.
-Elle connaît peut-être les arbres, me dit une riveraine, mais il y a aussi ce que ressentent les êtres humains.
Finalement, nous obtenons qu’une réunion avec les habitants concernés et les autres ait lieu jeudi soir dans l’ancienne école Victor-Hugo et qu’en attendant l’abattage soit arrêté.
Ce délai n’empêchera rien. Néanmoins, il permet aux riverains de profiter des arbres indemnes pendant quelques jours encore et à ceux de la rue du Docteur-Blanche, où poussent les prochains sur la liste des arbres à abattre, d’en jouir quelques jours de plus (pour eux, c’était prévu lundi prochain).
-À jeudi, me dit le jeune homme à l’origine de la rébellion.
-Non, lui dis-je, je déteste les réunions. On se reverra sous un arbre ou ailleurs.
Ce jeune homme va souffrir, il est viscéralement opposé à l’abattage de ces arbres et ne pourra pas l’empêcher.
Il est onze heures et demie quand je remonte la rue d’Amiens pour rentrer. Une dame que je connais un peu m’interpelle. Elle m’apprend qu’elle aussi habite dans l’immeuble protégé par les arbres. Je l’informe de ce qui se trame et de la réunion de jeudi. Elle est navrée de la disparition prochaine de celui qu’elle appelle « mon tilleul ».
-Je l’aime tellement, me dit-t-elle.
*
La grosse majorité des arbres de Rouen datent du baby boom. On les abat avant qu’ils soient trop vieux et malades pour les remplacer par des jeunes. Ce discours municipal sonne bizarrement aux oreilles de celles et ceux qui ont le même âge (ou plus) que ces feuillus.
20 septembre 2016
La lune, presque ronde, est visible lorsque je sors de chez moi à sept heures ce dimanche matin afin de gagner le bord de Seine où se tient le dix-septième Quai aux Livres de Rouen. Elle ne l’est plus quand j’arrive. Le ciel gris l’a emporté sur l’éclaircie. C’est l’heure où les acheteurs encore plus pressés que moi éteignent leur lampe de poche.
Peu de vendeurs sont tout à fait installés. Deux d’entre eux sont assis sur un banc près de leurs sacs de livres. Ils m’interpellent :
-Savez-vous où c’est « le bollard B64G » ?
Je n’ai jamais entendu ce mot, bollard. Croisant un gilet jaune de l’organisation, je lui signale les deux perplexes et lui demande ce qu’est ce bollard.
Il m’en montre un. C’est le nom de ces masses métalliques cylindriques et coudées plantées le long du quai servant à amarrer les navires.
-Lorsque c’est droit, on appelle ça une bitte, ajoute-t-il (ça je le savais).
Un groupe de vendeurs qui s’installe a cerné son périmètre de chaises reliées par un cordon en plastique.
-Vous êtes prisonniers ? leur dis-je.
-On n’est pas embêté par les bouquinistes comme ça, me dit l’un qui doit me prendre pour un de ces indésirables.
Des bouquinistes, il n’y en a pas que chez les acheteurs de la première heure. Un certain nombre est parmi les vendeurs. Quelques-uns que je connais de vue, d’autres venus de je ne sais où, comme celui qui déclare à son collègue :
-J’ai pas apporté le meilleur, c’est pas la peine de donner de la confiture aux cochons. Ici, ils ont l’esprit foire à tout.
Comme chaque année, le déballage est en deux parties, une première en bord de Seine et une seconde, en retrait sur un parquigne et séparée de la première par un ancien bâtiment portuaire. Une femme qui doit s’installer dans ce lieu de deuxième choix s’en plaint à un gilet jaune.
-Les gens ne sont jamais contents, lui répond-il.
-Je vais vous dire pourquoi, lui rétorque-t-elle. Sur votre courrier, c’est écrit « entre le pont Jeanne-d’Arc et le pont Guillaume-le-Conquérant », alors on ne pensait jamais être là. Il faudrait mettre « entre le pont Jeanne-d’Arc et le XXL ». Ça lui ferait de la pub. Il en a besoin, cet horrible machin.
Parmi les dizaines de milliers de livres exposés, j’en trouve moins qui m’intéressent que dimanche dernier au vide grenier de la Croix de Pierre. Mon sac se remplit quand même. Mon meilleur achat est la Correspondance intime de François Mauriac chez Bouquins Laffont, à l’état neuf, un euro au lieu de trente (prix facial).
Un autre de mes achats (cinquante centimes) a déjà servi, Messages révolutionnaires d’Antonin Artaud (Folio/Essais). Sur sa couverture, au stylo, ce propos qui n’a rien a voir avec le livre : « Traduit par P. Sollers, (MERDRE !!!) ».
Je demande à la vendeuse de qui est ce message énervé.
-Il faudra que je demande à ma fille, me répond-elle
-Ah, c’est le copain de votre fille.
-Un des copains de ma fille, me précise-t-elle..
L’ancienne bouquiniste de la rue des Bons-Enfants vient me voir et me remercie pour le lot de Découvertes Gallimard que je lui ai fait acheter à Evreux. Elle les a eus à un très bon prix et les a déjà presque tous vendus.
-Cela valait bien un merci.
-Au moins oui.
-Une tasse de café, si vous voulez.
-Vous m’achèterez mes livres quand j’en aurai à revendre.
-Ah non, vous allez m’apportez n’importe quoi !
Je ne suis pas apprécié à ma juste valeur.
Des Découvertes Gallimard, il y en d’autres à vendre. Deux professionnels père et fils, tirant chacun une charrette bleue, en emportent une pile.
-Bonne lecture, leur dit le vendeur.
-Ils ne les liront pas, lui dis-je, ce sont des bouquinistes et ça ne lit pas ces gens-là.
Au bout d’un certain nombre d’allers et venues, je vois venir l’ami Masson, la mine réjouie et l’œil allumé. Il ouvre son sac et en sort un livre acheté pour moi : Le Bouquin des méchancetés et autres traits d’esprit de François Xavier Testu (Bouquins Laffont), un cadeau qui me fait fort plaisir et dont je le remercie vivement.
Quand je rentre à la maison, il est onze heures trente et aucune goutte de pluie n’est tombée.
*
Sur la couverture de ce Bouquin des méchancetés et autres traits d’esprit, une caricature de Georges Clemenceau par Jean-Louis Forain est accompagnée de la déclaration de cet homme politique à la mort de Félix Faure : « En entrant dans le néant, il a dû sentir chez lui. »
Le contraste est flagrant avec ce que disent les politiciens contemporains, ce lundi matin, de Jacques Chirac, pas encore tout à fait mort.
Peu de vendeurs sont tout à fait installés. Deux d’entre eux sont assis sur un banc près de leurs sacs de livres. Ils m’interpellent :
-Savez-vous où c’est « le bollard B64G » ?
Je n’ai jamais entendu ce mot, bollard. Croisant un gilet jaune de l’organisation, je lui signale les deux perplexes et lui demande ce qu’est ce bollard.
Il m’en montre un. C’est le nom de ces masses métalliques cylindriques et coudées plantées le long du quai servant à amarrer les navires.
-Lorsque c’est droit, on appelle ça une bitte, ajoute-t-il (ça je le savais).
Un groupe de vendeurs qui s’installe a cerné son périmètre de chaises reliées par un cordon en plastique.
-Vous êtes prisonniers ? leur dis-je.
-On n’est pas embêté par les bouquinistes comme ça, me dit l’un qui doit me prendre pour un de ces indésirables.
Des bouquinistes, il n’y en a pas que chez les acheteurs de la première heure. Un certain nombre est parmi les vendeurs. Quelques-uns que je connais de vue, d’autres venus de je ne sais où, comme celui qui déclare à son collègue :
-J’ai pas apporté le meilleur, c’est pas la peine de donner de la confiture aux cochons. Ici, ils ont l’esprit foire à tout.
Comme chaque année, le déballage est en deux parties, une première en bord de Seine et une seconde, en retrait sur un parquigne et séparée de la première par un ancien bâtiment portuaire. Une femme qui doit s’installer dans ce lieu de deuxième choix s’en plaint à un gilet jaune.
-Les gens ne sont jamais contents, lui répond-il.
-Je vais vous dire pourquoi, lui rétorque-t-elle. Sur votre courrier, c’est écrit « entre le pont Jeanne-d’Arc et le pont Guillaume-le-Conquérant », alors on ne pensait jamais être là. Il faudrait mettre « entre le pont Jeanne-d’Arc et le XXL ». Ça lui ferait de la pub. Il en a besoin, cet horrible machin.
Parmi les dizaines de milliers de livres exposés, j’en trouve moins qui m’intéressent que dimanche dernier au vide grenier de la Croix de Pierre. Mon sac se remplit quand même. Mon meilleur achat est la Correspondance intime de François Mauriac chez Bouquins Laffont, à l’état neuf, un euro au lieu de trente (prix facial).
Un autre de mes achats (cinquante centimes) a déjà servi, Messages révolutionnaires d’Antonin Artaud (Folio/Essais). Sur sa couverture, au stylo, ce propos qui n’a rien a voir avec le livre : « Traduit par P. Sollers, (MERDRE !!!) ».
Je demande à la vendeuse de qui est ce message énervé.
-Il faudra que je demande à ma fille, me répond-elle
-Ah, c’est le copain de votre fille.
-Un des copains de ma fille, me précise-t-elle..
L’ancienne bouquiniste de la rue des Bons-Enfants vient me voir et me remercie pour le lot de Découvertes Gallimard que je lui ai fait acheter à Evreux. Elle les a eus à un très bon prix et les a déjà presque tous vendus.
-Cela valait bien un merci.
-Au moins oui.
-Une tasse de café, si vous voulez.
-Vous m’achèterez mes livres quand j’en aurai à revendre.
-Ah non, vous allez m’apportez n’importe quoi !
Je ne suis pas apprécié à ma juste valeur.
Des Découvertes Gallimard, il y en d’autres à vendre. Deux professionnels père et fils, tirant chacun une charrette bleue, en emportent une pile.
-Bonne lecture, leur dit le vendeur.
-Ils ne les liront pas, lui dis-je, ce sont des bouquinistes et ça ne lit pas ces gens-là.
Au bout d’un certain nombre d’allers et venues, je vois venir l’ami Masson, la mine réjouie et l’œil allumé. Il ouvre son sac et en sort un livre acheté pour moi : Le Bouquin des méchancetés et autres traits d’esprit de François Xavier Testu (Bouquins Laffont), un cadeau qui me fait fort plaisir et dont je le remercie vivement.
Quand je rentre à la maison, il est onze heures trente et aucune goutte de pluie n’est tombée.
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Sur la couverture de ce Bouquin des méchancetés et autres traits d’esprit, une caricature de Georges Clemenceau par Jean-Louis Forain est accompagnée de la déclaration de cet homme politique à la mort de Félix Faure : « En entrant dans le néant, il a dû sentir chez lui. »
Le contraste est flagrant avec ce que disent les politiciens contemporains, ce lundi matin, de Jacques Chirac, pas encore tout à fait mort.
19 septembre 2016
Quand même, grâce au site Internet du diocèse de Rouen, je sais avant qu’il ne commence qu’au concert inaugural du carillon restauré de la Cathédrale de Rouen, Christine Laugié-Vanhoutte, carillonneuse invitée, titulaire du carillon de la Cathédrale de Pamiers (Ariège), jouera en duo avec le titulaire Patrice Latour, que la maîtrise Saint-Évode créera une œuvre pour carillon et chœur, lauréate deux mille seize du concours l’Inédit : De rubore sanguini – Antiphona de Marios Ros (Barcelone), qu’un ensemble de cuivres dirigé par Claude Brendel jouera avec le carillon La tête au carré de Volny Hostiou et que le carillon dialoguera aussi avec le piano de François-René Duchâble et avec le chant d’Anne Paccard.
Une scène avec forte sono est installée sur le parvis et un grand écran doit permettre au public de voir jouer carillonneuse et carillonneur.
Cependant, je préfère écouter ça de mon appartement, fenêtres ouvertes, plutôt que d’être mêlé à la foule, me privant certes des collaborations, mais étant tranquille pour ouïr le son guilleret des cloches du carillon.
L’heure venue, il pleut dru et je n’ai pas à regretter mon choix. J’écoute ça, bruit de la pluie en sus, en mangeant des caramels à la vanille de chez Hema.
*
Dire qu’entendant une répétition depuis le jardin, j’avais pris pour une fanfare l’ensemble de cuivres dirigé par Claude Brendel. Mille excuses.
Une scène avec forte sono est installée sur le parvis et un grand écran doit permettre au public de voir jouer carillonneuse et carillonneur.
Cependant, je préfère écouter ça de mon appartement, fenêtres ouvertes, plutôt que d’être mêlé à la foule, me privant certes des collaborations, mais étant tranquille pour ouïr le son guilleret des cloches du carillon.
L’heure venue, il pleut dru et je n’ai pas à regretter mon choix. J’écoute ça, bruit de la pluie en sus, en mangeant des caramels à la vanille de chez Hema.
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Dire qu’entendant une répétition depuis le jardin, j’avais pris pour une fanfare l’ensemble de cuivres dirigé par Claude Brendel. Mille excuses.
17 septembre 2016
Toujours à la recherche du programme détaillé du Concert Inaugural du Carillon de la Cathédrale, je m’adresse cette fois aux dames de permanence dans l’édifice. Elles sont bien plus aimables et informées que celles d’en face à l’Office de Tourisme mais désolées de ne pourvoir me satisfaire.
-J’espérais que le diocèse ferait imprimer ce programme et qu’il serait distribué aux auditeurs.
-Oh ça ! pas de commentaires, me dit l’une en riant.
-Je sais que ça ce terminera par J’irai revoir ma Normandie, me dit un homme qui passe par là
-Cet air-là je devrais le reconnaître, lui dis-je.
*
Au Sushi Tokyo, restaurant « japonais » de la rue Verte : un endroit où l’on risque fort d’entendre la tablée voisine parler d’informatique. Une fille choisit le menu à volonté et ne prend que deux makis et des salades (sûr qu’elle en a, de la volonté). Un type mange sans enlever sa veste (il devait faire pareil en cours au collège).
Une nouveauté dont j’avais rêvé : le sushi au poulet. Cette réalité n’est toutefois pas conforme à mon rêve. Le poulet est cuit. Celui de mon rêve est cru.
*
« La France est-elle encore la patrie des intellectuels ? », tel est l’intitulé de la journée spéciale de France Culture. Et non pas « La France est-elle encore le pays des intellectuels ? »
-J’espérais que le diocèse ferait imprimer ce programme et qu’il serait distribué aux auditeurs.
-Oh ça ! pas de commentaires, me dit l’une en riant.
-Je sais que ça ce terminera par J’irai revoir ma Normandie, me dit un homme qui passe par là
-Cet air-là je devrais le reconnaître, lui dis-je.
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Au Sushi Tokyo, restaurant « japonais » de la rue Verte : un endroit où l’on risque fort d’entendre la tablée voisine parler d’informatique. Une fille choisit le menu à volonté et ne prend que deux makis et des salades (sûr qu’elle en a, de la volonté). Un type mange sans enlever sa veste (il devait faire pareil en cours au collège).
Une nouveauté dont j’avais rêvé : le sushi au poulet. Cette réalité n’est toutefois pas conforme à mon rêve. Le poulet est cuit. Celui de mon rêve est cru.
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« La France est-elle encore la patrie des intellectuels ? », tel est l’intitulé de la journée spéciale de France Culture. Et non pas « La France est-elle encore le pays des intellectuels ? »
16 septembre 2016
Ce jeudi en fin d’après-midi, je regarde sur le plan de Rouen comment rejoindre la rue Georges-d’Amboise où se trouve la galerie Point Limite qui est aussi l’espace de travail et de création des photographes Guillaume Painchault et Guillaume Laurent. J’y suis pourtant déjà allé plusieurs fois, mais cette partie de la ville m’est tellement étrangère que je pourrais m’y perdre.
Ce n’est donc pas le cas ce jour, et bien qu’ayant fait le nécessaire pour ne pas être là trop tôt, j’y suis quand même à dix-neuf heures précises, début officiel du vernissage de l’exposition photographique Narrateur incertain de Guillaume Painchault.
Je connais Guillaume Painchault depuis plusieurs années, précisément depuis le jour où il est venu chez moi pour me photographier en vue d’une exposition qui n’eut jamais lieu. J’ai déjà vu quelques-unes de ses photos dans une exposition collective, mais c’est la première fois que je découvre véritablement son travail (comme on dit), des photos en noir et blanc, prises dans les rues ou dans des lieux plus ou moins interlopes, de jour ou de nuit, saisies sur le vif ou posées. Certaines pourraient servir d’illustration pour la couverture d’un roman noir, d’autres de point de départ à une histoire qui tournerait mal.
Dans celles prises sur le vif, j’aime particulièrement quand le regard du ou de la photographié(e) croise celui du photographe, avec inquiétude ou avec défi. Ma préférée est celle de l’homme à la veste blanche, élégant et fatigué, qui traverse le parvis de la Cathédrale sur fond de troupeau de touristes. J’aime aussi beaucoup celle déjà vue de l’employée blonde de la Senecefe à qui l’uniforme et la casquette vont si bien quand elle donne le départ du train en gare de Rouen (parfois ce fut le mien, mais elle a hélas disparu depuis des mois, mutée je le crains).
Contre un euro, Guillaume Laurent me sert un gobelet de vin blanc que j’accompagne d’un petit morceau de gâteau salé apporté par une vernisseuse. Il y a ici des personnes qui me connaissent, avec qui j’ai déjà parlé pour certain(e)s et qui m’évitent désormais pour des raisons diverses et parfois obscures, et d’autres à qui je n’ai jamais parlé mais que je croise souvent en terrasse et là c’est moi qui les évite, n’ayant pas envie de faire connaissance et que mes futurs moments de lecture au Son du Cor ou à L’Interlude soient perturbés par des conversations obligées.
-A demain, me dit Guillaume Painchault lorsque je lui dis au revoir.
J’avais oublié que son exposition est en deux parties. la seconde se tenant au Café Perdu, rue d’Amiens. Elle sera vernie ce vendredi soir. Peut-être irai-je.
*
Ce jeudi matin, en fond sonore se mêlent les pétards de la dernière manifestation contre la Loi Travail et les notes du carillon de la Cathédrale. Après le passage du cortège rue de la République, on peut lire sur la vitrine d’Actimag, le Premium Reseller, en capitales et à l’encre rouge : Anticapitalista.
Jeune Révolutionnaire, n’aurais-tu pas dans ta poche un téléphone de la Pomme ?
*
L’après-midi, un bourdonnement de moustique me fait lever les yeux alors que je lis au jardin durant une éclaircie. Un drone tourne autour de la tour qui supporte la flèche de la Cathédrale. Cette tour est entourée d’un impressionnant échafaudage sur lequel trois êtres humains m’apparaissent minuscules. Leurs voix portent jusqu’à mes oreilles lorsque le drone est derrière la flèche. Je ne comprends pas ce qu’ils disent mais je suppose qu’il s’agit de faire un film promotionnel.
L’as-tu vu mon bel échafaudage ?
Ce n’est donc pas le cas ce jour, et bien qu’ayant fait le nécessaire pour ne pas être là trop tôt, j’y suis quand même à dix-neuf heures précises, début officiel du vernissage de l’exposition photographique Narrateur incertain de Guillaume Painchault.
Je connais Guillaume Painchault depuis plusieurs années, précisément depuis le jour où il est venu chez moi pour me photographier en vue d’une exposition qui n’eut jamais lieu. J’ai déjà vu quelques-unes de ses photos dans une exposition collective, mais c’est la première fois que je découvre véritablement son travail (comme on dit), des photos en noir et blanc, prises dans les rues ou dans des lieux plus ou moins interlopes, de jour ou de nuit, saisies sur le vif ou posées. Certaines pourraient servir d’illustration pour la couverture d’un roman noir, d’autres de point de départ à une histoire qui tournerait mal.
Dans celles prises sur le vif, j’aime particulièrement quand le regard du ou de la photographié(e) croise celui du photographe, avec inquiétude ou avec défi. Ma préférée est celle de l’homme à la veste blanche, élégant et fatigué, qui traverse le parvis de la Cathédrale sur fond de troupeau de touristes. J’aime aussi beaucoup celle déjà vue de l’employée blonde de la Senecefe à qui l’uniforme et la casquette vont si bien quand elle donne le départ du train en gare de Rouen (parfois ce fut le mien, mais elle a hélas disparu depuis des mois, mutée je le crains).
Contre un euro, Guillaume Laurent me sert un gobelet de vin blanc que j’accompagne d’un petit morceau de gâteau salé apporté par une vernisseuse. Il y a ici des personnes qui me connaissent, avec qui j’ai déjà parlé pour certain(e)s et qui m’évitent désormais pour des raisons diverses et parfois obscures, et d’autres à qui je n’ai jamais parlé mais que je croise souvent en terrasse et là c’est moi qui les évite, n’ayant pas envie de faire connaissance et que mes futurs moments de lecture au Son du Cor ou à L’Interlude soient perturbés par des conversations obligées.
-A demain, me dit Guillaume Painchault lorsque je lui dis au revoir.
J’avais oublié que son exposition est en deux parties. la seconde se tenant au Café Perdu, rue d’Amiens. Elle sera vernie ce vendredi soir. Peut-être irai-je.
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Ce jeudi matin, en fond sonore se mêlent les pétards de la dernière manifestation contre la Loi Travail et les notes du carillon de la Cathédrale. Après le passage du cortège rue de la République, on peut lire sur la vitrine d’Actimag, le Premium Reseller, en capitales et à l’encre rouge : Anticapitalista.
Jeune Révolutionnaire, n’aurais-tu pas dans ta poche un téléphone de la Pomme ?
*
L’après-midi, un bourdonnement de moustique me fait lever les yeux alors que je lis au jardin durant une éclaircie. Un drone tourne autour de la tour qui supporte la flèche de la Cathédrale. Cette tour est entourée d’un impressionnant échafaudage sur lequel trois êtres humains m’apparaissent minuscules. Leurs voix portent jusqu’à mes oreilles lorsque le drone est derrière la flèche. Je ne comprends pas ce qu’ils disent mais je suppose qu’il s’agit de faire un film promotionnel.
L’as-tu vu mon bel échafaudage ?
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