Le Journal de Michel Perdrial

Le Journal de Michel Perdrial




Loïc Boyer
Je suis l’auteur de textes courts qui furent publiés depuis mil neuf cent quatre-vingt-quinze dans des revues littéraires en France (Supérieur Inconnu, Supplément d’Ame, Nouvelle Donne, Le Bord de l’Eau, Pris de Peur, l’Art du Bref, Sol’Air, Gros Textes, Salmigondis, Verso, Décharge, Bulle, Filigranes, Diérèse, Martobre, Comme ça et Autrement, (Cahier d’) Ecritures, La Nef des Fous), en Belgique (Traversées, Ecrits Vains, L’Arbre à Plumes, Inédit Nouveau, Bleu d’Encre), au Canada (Les Saisons Littéraires) et en Italie (Les Cahiers du Ru).
Les courageuses Editions du Chardon ont publié en mil neuf cent quatre-vingt-dix-neuf Erotica, un recueil de vingt-huit de ces textes, illustré par Isabelle Pio et Antoine Lopez et préfacé par Sarane Alexandrian, toujours disponible auprès de moi.
Je suis également l’auteur d’une pièce de théâtre et de plusieurs romans ou récits à ce jour inédits.
Depuis le onze novembre deux mille six, je publie mon Journal via Internet, un temps sous-titré Persiflages, moquages et autres énervages mâtinés de complimentages et de contentages. Sa première partie est lisible chez Eklablog, la deuxième ici.
Je vis au centre de Rouen dans un ancien monastère où autrefois les Sœurs de la Miséricorde se vouaient à l’éducation des jeunes filles.







Rss

31 août 2024


Dernier vendredi d’août, jour de prérentrée des enseignant(e)s. Comme j’aurais été furieux si j’avais dû autrefois retourner travailler avant septembre. J’ai une pensée particulière pour celle qui me tenait la main à la fin du vingtième siècle pour qui c’est la fin des vacances.
Ce trente août, à la terrasse du Son du Cor, j’arrive au bout des mille six cent quatorze pages de Correspondance des routes croisées de Nicolas Bouvier et Thierry Vernet. Passionnante lecture qui m’aura pris tout le mois, à raison de deux ou trois heures chaque jour, sauf les mercredis.
En soirée, souvent sur le banc du jardin, je lisais autre chose. Récemment, le deuxième volume de Paris Review les entretiens, des rencontres fort intéressantes avec les meilleurs écrivains anglophones. Mercredi soir, j’étais accompagné par les effluves musicaux de la Vashfol. La fanfare donnait concert sur le parvis de la Cathédrale. Son répertoire va de Paint it Black au Pornographe du phonographe.
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Dans la boîte à livres de l’esplanade Marcel-Duchamp, un vieux numéro de France Culture Papiers. Je prends conscience qu’on n’en parle plus à l’antenne, de cette revue. Et pour cause, elle a discrètement disparu. J’avais prévu son échec. Il a fini par arriver.
Dans la boîte à livres du Vieux Marché, comme souvent, plusieurs exemplaires de L’Eau Vive édité par des chrétiens évangéliques. Je les prends à chaque fois, direction la poubelle la plus proche.
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Découverte du parler suisse dans les missives de Nicolas Bouvier et Thierry Vernet. Ainsi : « foutu loin » pour « jeté à la poubelle » (Les numéros de L’Eau Vive, je les ai foutus loin) et « je me tiens les pouces » pour « je croise les doigts » (Je me tiens les pouces pour qu’il fasse beau en septembre et octobre).
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Le dernier jour d’août, je suis à la Gare, attendant qu’arrive le train de dix heures trente avec à l’intérieur celle qui travaille du côté de la Bastille et me donnait la main au début du vingt et unième siècle. Nous buvons des cafés à la Brasserie Paul qui est toujours fière d’avoir eu comme clients Marcel Duchamp et Simone de Beauvoir (mais elle était ailleurs), parlons de choses graves en écoutant le concert de carillon et décidons d’y déjeuner d’un simple risotto. Vers treize heures, elle me quitte car ce n’est pas pour moi qu’elle est à Rouen ce samedi mais pour un ancien copain de lycée dont elle sera témoin de mariage. Aujourd’hui, il enterre sa vie de garçon.
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Ultime lecture d’août au Son du Cor Comment c’était (Souvenirs sur Samuel Becket) d’Anne Atik. Un livre traduit de l’anglais par Emmanuel Moses à qui j’ai vendu un livre récemment (un autre à Jean-Guy Talamoni).
 

29 août 2024


Ce dernier mercredi d’août est le premier jour des Jeux Paralympiques, celui de la cérémonie d’ouverture et, avant cela, de la balade de la Flamme dans les rues de Paris, une Flamme en douze exemplaires, donc présente un peu partout dans la ville, j’espère néanmoins y échapper.
Le train de sept heures vingt-trois est un long comme prévu et le trajet effectué dans le temps réglementaire, cela sous un ciel bleu.
Ayant rejoint le onzième arrondissement dans des métros de nouveau fréquentés, je bois un café au comptoir du Camélia dont je suis le seul client, explore en vain les livres d’Emile au Marché d’Aligre et rejoins Re-Read cinq minutes avant l’ouverture.
Même si je ne trouve encore une fois rien à acheter, j’y vois de meilleurs livres qu’au Bibliovore rouennais parce qu’à Paris globalement on lit mieux qu’en province. Tiens, je ne savais pas que Mark Twain avait écrit La saga de Jeanne d’Arc, dommage que la Pucelle me laisse indifférent. Tiens, la Correspondance Flaubert Sand, que j’ai déjà, est encore là, depuis plusieurs semaines, et pour ma grande joie, car cela montre qu’on est peu à lire les correspondances et journaux d’écrivains.
Il y a foule chez Book-Off, essentiellement des vendeurs de livres cédés dévédés etc. C’est la fin du mois et c’est la rentrée. Chacun repart avec moins d’argent qu’espéré. Je reste également sur ma faim car côté livres à un euro, Mon journal depuis la Libération de Jean Galtier-Boissière (Phébus libretto) et c’est tout.
Au Rallye, je fais suivre mon coutumier filet de hareng pommes à l’huile de lasagnes bolognaises. Le puîné de la maison met le nez dans son cahier de vacances (il est temps), puis lit avec sa mère, puis tue une mouche avec la raquette électrique. « Il faut tenir en même temps le rôle de parent, le rôle de prof et le rôle de cafetier », commente la maitresse des lieux qui parle un meilleur français que son mari.
Je suis content, entrant au deuxième Book-Off, d’y entendre à nouveau Fip. J’en explore le chaud sous-sol, trouvant, parmi les ouvrages à un euro, à mettre dans mon panier uniquement Comment c’était (Souvenirs sur Samuel Beckett) d’Anne Atik (Editions de l’Olivier).
Le troisième Book-Off sauvera-t-il ma journée ? C’est ce que je me demande devant mon café verre d’eau au comptoir du désert Bistrot d’Edmond.
La question, elle est vite répondue. Rien pour moi. Cependant, à un euro pièce, je me laisse aller à faire miens Nuit de haschich et d’opium de Maurice Magre et Voyage au bout de l’envers de Frédéric Marinacce. Je ne sais pas résister aux petits livres des Editions Kailash de Pondichéry.
Je rentre à Rouen sans avoir vu la queue d’une Flamme. Dans le train de seize heures quarante, mes voisins d’outre couloir sont deux moniteurs de colo qui retournent chez eux après le séjour et se demandent l’un à l’autre « des potins », c’est-à-dire qui a couché avec qui. Je termine là ma lecture des courts récits des voyages de proximité de Francis Navarre réunis dans De l’Hexagone considéré comme un exotisme, un livre qui m’aura moins plu que je l’espérais, écrit par un auteur qui emploie de façon erronée le mot éponyme.
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Au Book-Off de Ledru-Rollin un homme dont l’une des poches du sac à dos bée.
-Votre sac est ouvert, lui dis-je.
-Oh pardon, me répond-t-il au lieu de me remercier.
Comme si c’était sa braguette.
 

27 août 2024


Un nouveau spectacle Cathédrale de lumière est à l’affiche cette année, proposé par la Métropole Rouen Normandie sous le titre Star and Stone : a kind of love… some say. Ce que l’on peut traduite par « Astre et Roc : une sorte d’amour … comme ils disent ». C’est une création de  Bob Wilson.
J’arrive sur le parvis à dix heures moins dix ce lundi soir, y trouve du monde assis sur les pavés et du monde debout. Comme tous les vieux, je dois rester debout.
A dix heures tapantes, ça commence. Des poésies de Maya Angelou sont dites par Bob Wilson et leur traduction en français par Isabelle Huppert sur fond d’extraits des musiques de Philip Glass. Il est surtout question de la vie et de la mort. Vers la fin, des élèves du Collège Fontenelle et des Lycées Corneille et Flaubert ajoutent leurs voix bilingues à celles des deux professionnels.
Pendant ce temps, sur la façade de la Cathédrale se succèdent des séquences évoquant paraît-il l’histoire de Rouen. Des images assez sommaires qui donnent à penser qu’on ne s’est pas foulé ou que l’argent manquait  Bref, je suis plus intéressé par le son que par la lumière, le jeune couple à ma droite ayant lui choisi de s’éclipser à mi-parcours. Lequel dure une demi-heure. Les applaudissements sont mesurés.
 

24 août 2024


La trêve va se terminer, les Jeux Paralympiques menacent. A Rouen, cela se traduit par le retour de la flamme. Cette nouvelle procession du Saint-Sacrement ne me gênera pas. Ce dimanche en fin d’après-midi que ferais-je en ville ?
Ce samedi, déjà des restrictions de stationnement, mais rien qui puisse me gêner pour rejoindre pédestrement la Gare de Rouen afin d’y imprimer mes billets de train de mercredi. Il me faut trouver un automate en état de marche. L’un semble fonctionner mais, au bout de la procédure, l’obtention du billet ne peut se faire faute de papier dans la machine. Je recommence ailleurs. Heureusement, la Gare de Rouen dispose de pas mal d’automates.
Le problème avec mes billets en papier qui ressemblent à des tickets de caisse, c’est que depuis quelques semaines leur Cul Air Code n’est plus lisible aux bornes Ile de France et aux bornes Normandie de la Gare Saint-Lazare. A mon arrivée à Paris, je franchis les barrières à Pécresse en collant aux fesses de la personne qui me précède. Au retour, à chaque fois, je suis bloqué aux barrières à Morin. Un Gilet Rouge Nomad doit venir à mon secours et me faire passer avec son badge. Evidemment, quand le contrôleur passe, mon billet n’est pas reconnu par son scanneur. Il doit le vérifier à l’ancienne, en lisant avec ses yeux ce qui est écrit. En conséquence, je ne compte pas dans le nombre des voyageurs.
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Une jeune touriste, découvrant la succession d’inscriptions à la peinture rouge « Le bruit tue ! », la première à la sortie de la copropriété où je vis, les suivantes à gauche dans la ruelle : « C’est fou de faire ça. »
 

23 août 2024


Dans le sous-sol du Book-Off de Saint-Martin, parmi les un euro, je mets la main sur deux curiosités. En un cahier sous pochette plastifiée Deux fantaisies fantastiques de Gérard de Nerval (éditions marguerite waknine). Illustré par Michel Barréteau L’arracheur d’heures de Saint-Pol-Roux (Passage Piétons). A quoi j’ajoute le tout petit Lettres à Tonton de Colette (Mille et une nuits).
Le métro m’emmène à Quatre Septembre. A sa sortie, le vendeur de fruits à la sauvette est de retour. Je bois un café au comptoir du Bistrot d’Edmond dans lequel il y a toujours davantage de serveurs que de clients.
Dans le troisième Book-Off La Salle de bain de Jean-Philippe Toussaint est classé au rayon Vie Familiale. Je trouve un peu plus loin parmi les romans à un euro celui de Ken Kesey Et quelquefois j’ai comme une grande idée, une publication de Monsieur Toussaint Louverture, gros et bel objet avec une couverture de Blexbolex, mais est-ce que je le lirai ? et un livre qui n’en est pas un, que je lirai, La Maison Maupassant de Patrick Wald Lasowski (Gallimard).
Au retour, c’est encore le bazar ferroviaire. Ce mercredi, le train de seize heures quarante pour Rouen et Le Havre, mis à quai tardivement, est ce que les navetteurs présents près de moi appellent « un train de merde », c’est-à-dire un ancien à sièges colorés dans lequel les réservations ne comptent plus.
J’y suis assis, il part à l’heure et, en cherchant un peu, on y trouve des toilettes en état de marche. C’est là que je termine Chez les fous d’Albert Londres.
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Les mendiants sont de retour à Paris, peut-être plus nombreux qu’avant. La trêve, c’est quand c’est terminé les Jeux et pas encore commencé les Para Jeux. Les fous eux ne sont jamais partis.
 

22 août 2024


La pagaille sur le borduquet à l’arrivée du sept heures vingt-trois ce mercredi, le train long ayant été remplacé par un train court suite aux problèmes de la veille (une caténaire arrachée et plus tard un arbre sur la voie). Je réussis à obtenir une place dans la voiture Trois. J’y ouvre Chez les fous d’Albert Londres  Le fou est individualiste. Il ne s’occupe pas de son voisin. Il fait son geste, il pousse son cri en toute indépendance.
En métro je rejoins Ledru-Rollin pour un café au comptoir du Camélia. Au Marché d’Aligre, des deux vendeurs de livres, seul Emile est là. Ses ouvrages sont redescendus à deux euros, mais rien n’est pour moi.
Je marche jusqu’au banc proche de Re-Read et constate que le gérant de Cyclable arrive en scouteur électrique plutôt qu’à bicyclette. A l’ouverture, c’est la jolie vendeuse qui est de service à la bouquinerie. J’en explore les rayonnages sans mettre la main sur un morceau de choix. Je lui dirais bien qu’il ne fallait pas mettre La Pornographie de Witold Gombrowicz au rayon Erotisme mais je crains qu’elle ne me suspecte de louches intentions.
A onze heures je retrouve avec plaisir le Book-Off de Ledru-Rollin. Je n’y achète qu’un seul livre à un euro, mais prometteur, De l’Hexagone considéré comme un exotisme de Francis Navarre (Le Dilettante), un hymne au voyage de proximité dont je suis adepte, avec en épigraphe une citation d’un qui voyageait loin, Nicolas Bouvier, C’était une petite ville torride qui sentait la cannelle.
A midi moins le quart, je déjeune au Rallye d’un filet de hareng suivi d’un confit de canard pommes sautées et d’un café. Trois habituées de l’atelier textile y sont aussi. Elles commandent par téléphone, la serveuse pose leurs plats sur la table et cinq minutes après, elles arrivent pour manger en disant du mal des collègues.
Je n’en crois pas mes oreilles, le Book-Off de Saint-Martin diffuse Air Thé Aile Deux au lieu de Fip. Je demande pourquoi aux deux employées qui garnissent les rayons. C’est parce qu’à la réouverture, ça c’est branché automatiquement sur cette radio, mais on va remettre Fip. Cela fait déjà trois jours que c’est rouvert.
-Eh bien oui, faites le, leur dis-je, car ça c’est de la merde.
Elles me regardent d’un air offensé.
                                                                               *
Je pense à cette fille qui mardi soir est venue me voir pour me demander mon numéro de téléphone. Je lui ai donné celui de mon fixe et lui ai dit qu’elle pouvait m’appeler même au milieu de la nuit. Ce n’est pas ce qu’on pourrait penser.
 

20 août 2024


Du bruit ce lundi dans la ruelle, il provient du numéro quatre où deux ouvriers poncent les grilles dans le but de les repeindre. Ils ne portent pas de masque ni de casque et ont sous les yeux, en rouge sur le muret, l’inscription « Le bruit tue ! » qui décore le quartier depuis l’autre nuit.
Au Son du Cor, la serveuse arbore un crop top suédois « Cheap Monday ». « Maudit lundi » ou « Putain de lundi », ai-je envie de traduire.
Il y aurait de quoi écrire davantage. Je préfère ne pas.
                                                                       *
Toutes ces photos d’Alain Delon depuis dimanche, ressorties à l’occasion de sa mort. Très beau dans la vingtaine. Encore pas mal dans la trentaine. Ensuite, c’est rapidement cernes et boursouflure.
                                                                   
 

19 août 2024


Ce dimanche, Jours de Fête propose Masacrade sur le parvis de la Cathédrale, « une tragi-comédie sur fond de voltige suicidaire » de la Compagnie Marcel et ses drôles de femmes, « sept actes de trapèze mini-volant, une voix off, trois interprètes, un tapis gonflable, vingt-cinq costumes et un régisseur pyromane ». « Masacrade c’est avant tout un combat entre l'absurde et la logique. Ou comment trouver le sens de la mort pour donner un sens à la vie. Ou encore, comment trouver un sens à la vie en s’entraînant à mourir avant de mourir. » Cela en quarante-cinq minutes.
Voilà qui me donne envie de sortir.
J’arrive à dix-huit heures cinquante-cinq et me place derrière le dernier rang des assis. Dès que la Cathédrale a sonné les trois coups, ça commence. On passe à coups d’acrobaties trapézistes de l’anatomie humaine à The Cold Song via Shakespeare pour aboutir à Not Today. C’est virtuose et humoristique.
A l’issue, Marcel et ses deux drôles de femmes sont toujours vivants. De même que les spectateurs, dont moi-même. La mort ? Pas aujourd’hui.
                                                               *
Quand même, ce dix-huit août, mille six cents et quelques Français ont quitté la vie, dont Alain Delon.
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Parmi les vivants, les touristes. Il n’en manque pas dans le quartier où je vis. Ils encombrent la rue Saint-Romain, la rue Saint-Nicolas et encore plus la ruelle entre les deux.
Un touriste : « Oh, another church ! »
Une touriste : « On se croirait dans un film du Moyen Age. »
Une enfant de touristes découvrant la flèche de la Cathédrale : « Oh, la Tour Eiffel ! »
                                                               *
Dans cette ruelle, apparue dans la nuit de samedi à dimanche, en plusieurs exemplaires, et même sur le mur d’une maison de la rue Saint-Nicolas, une inscription à la peinture rouge : « Le bruit tue ! ».
 

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